Mosquée de Stains: sous l’œcuménisme, le salafisme


Mosquée de Stains: sous l’œcuménisme, le salafisme
Hassen Chalghoumi et Salih Attia. Numéro de reportage : 00688991_000005.
stains islam attia daech
Hassen Chalghoumi et Salih Attia. Numéro de reportage : 00688991_000005.

On nous prépare un islam de France tout propre et ripoliné. « On », autrement dit l’Etat et les associations représentatives des musulmans de France, volontiers enclines à accepter l’argent public moyennent quelques concessions à la République. Reste que les mosquées fréquentables peinent à endiguer la vague salafiste (et plus si affinités…) qui déferle sur la communauté musulmane de France depuis quelques années.

Deux imams congédiés en trois ans

Preuve en est, même Le Monde en vient à déciller en consacrant un long article à la mosquée Al-Rawda de Stains (93), inaugurée en 2013 et aujourd’hui fermée pour apologie du djihad. Comme par hasard, l’édifice religieux constituait un vivier de terroristes passés avec armes et bagages chez Daech. Avec comme fil rouge une question lancinante : comment se fait-il que des prêches favorables à l’Etat islamique se fassent entendre dans une mosquée a priori irréprochable ? Pour en avoir le cœur net, sous la plume d’Elise Vincent, le quotidien de révérence tire le portrait de son président, Salih Attia, quinqua issu de l’immigration égyptienne devenu en l’espace de vingt ans l’une des têtes de gondoles de l’islam français. Notre homme, vendeur de fruits et légumes dans le civil, est si insoupçonnable de la moindre visée extrémiste qu’il fait assaut de philosémitisme, allant jusqu’à s’associer à un entrepreneur franco-israélien « muslim-friendly » (sic) dans ses engagements communautaires et religieux.

En adepte du dialogue interreligieux reçu par les politiques de tous bords, Salih Attia balaie les accusations qui pleuvent sur sa mosquée mais applique, certes un peu tardivement, le principe de précaution, renvoyant son imam salaf’ Hatim Roinzo à ses chères études. Le deuxième qu’il congédie en trois ans pour radicalisme, quelle précarité dans la profession…

Mais, si la mosquée de Stains a été fermée sur décision du ministère de l’Intérieur le 2 novembre dernier, ce n’est pas seulement en raison des prêches olé-olé que son self-made-imam y prononçait. Outre un flirt verbal avec l’E.I., la  « mosquée du jardin enchanté » (traduction littérale d’Al-Rawda) a vu passer un nombre impressionnant de djihadistes. A commencer par les compagnons de la chanson daechistes que sont Fabien Clain et d’Adrien Guihal, coryphées de l’E.I. ayant revendiqué par psalmodies les attentats du 13 novembre, Magnanville et Saint-Etienne du Rouvray. Encore plus gênant, deux des six enfants de Salih Attia ont migré vers les terres du califat dès 2012. Un gros caillou dans la babouche du très œcuménique président de la mosquée. « Imbroglio politico-religieux », « double visage de la mosquée de Stains », conclut la journaliste du Monde à l’issue de son enquête très fouillée.

Un précédent : la filière des Buttes-Chaumont

Il y a assurément de quoi en rester coi. De deux choses l’une : soit Salih Attia est un parangon d’ambiguïté et pratique le double langage façon taqiya, modéré à la ville, crypto-salaf à la mosquée ; soit cet habitué des ors de la République n’a tout simplement pas les capacités d’enrayer la salafisation des esprits. Si je penche vers la seconde hypothèse, c’est que le précédent des Buttes-Chaumont incite à la prudence. Au début des années 2000, dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, la mosquée Ad-Da’wa était le fourrier de la filière djihadiste dite des Buttes Chaumont d’où sortiront nombre de combattants en Irak, dont les tristement célèbres Kouachi et Coulibaly. Pourtant, l’imam local Larbi Kechat affiche des états de service républicains irréprochables en tant que pionnier du dialogue interreligieux et exégète réformiste du Coran, déconstruisant notamment la si problématique notion de djihad. Malgré cette façade on ne peut plus rassurante, des petits groupes de radicaux se rassemblaient dans l’enceinte et aux abords de la mosquée sous l’égide du prédicateur djihadiste Farid Benyettou, aujourd’hui officiellement repenti et reconverti dans le business de la déradicalisation. Que l’un des plus grands centres islamiques de France n’ait pu contrôler ses ouailles ni même ralentir leur dérive criminelle en dit long sur l’impuissance des imams républicains. Comme à Stains, les dirigeants de la mosquée jurent avoir les mains propres. Certes, mais ils n’ont pas de mains…

Pour analyser cette impasse, un petit détour par la sociologie s’impose. Dans sa passionnante étude sur les musulmans de France, Tarik Yildiz, que j’ai l’honneur d’interroger dans notre numéro de janvier, dégage quatre catégories de croyants. Mis à part les musulmans discrets ou républicains, trois groupes majoritaires vivent sous la domination idéologique des salafistes : les « superficiels » (délinquants au surmoi salafs mais au mode de vie encore « impie », susceptibles de se radicaliser en quelques mois), les « rigoristes » (salafistes pur sucre) et les « communautaristes » ravis de vivre dans des quartier islamisés sous la coupe réglée d’une minorité de salafs. Qui scrute ce schéma aura compris de quoi il en retourne aux Buttes-Chaumont et à Stains. En dépit des serments d’allégeance aux valeurs françaises des responsables communautaires et religieux, la base ne suit pas.

Touchez pas au grisbi républicain!

C’est là qu’entre en jeu le facteur générationnel. Salih Attia n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’islam des pères nés au bled, paradoxalement bien plus soluble dans l’identité française que l’islam des frères nés dans l’hexagone. A l’instar des Anouar Kbibech, Hassen Chalghoumi et autres Tareq Oubrou, le fondateur de la grande mosquée de Stains se retrouve désarmé face à la jeunesse musulmane made in France. Les codes de la contre-société des banlieues leur échappent. Et la dynastie républicaine des Boubakeur, à la tête de la mosquée de Paris depuis des lustres, ces ambassadeurs d’Alger n’infirment pas la règle, dopés qu’ils sont au grisbi républicain.

D’ailleurs, quoi qu’en dise Dalil Boubakeur, édifier des mosquées cathédrales n’y changerait pas grand-chose. De tels projets pharaoniques raviraient certainement les entrepreneurs communautaires régulièrement reçus Place Beauvau. Mais ne freinerait en rien la sécession culturelle d’une partie de l’Oumma. Un jeu de dupes dans des mosquées Potemkine, est-ce ainsi qu’Allah est grand en France ?



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