Accueil Culture Si Versailles m’était koonsé…

Si Versailles m’était koonsé…


Si Versailles m’était koonsé…

Une polémique peut en cacher une autre. Hier encore, inculte que je suis, je croyais qu’il n’y avait qu’une seule « affaire Jeff Koons » : la réaction indignée des réacs (c’est quand même notre boulot, merdre!) face à l’installation à Versailles des plus belles pièces de la ménagerie koonsienne. Homard gonflable, chien-ballon « vénitien » (?), lapin « willendorfien » (??) et autres innocentes bébêtes prises en otage par l’ »artiste » zoophile ; que fait la SPA ?

Mais on se calme : après tout, ce bestiaire aura disparu le 5 janvier. On ne peut pas en dire autant des colonnes de Buren[1. Pour être tout à fait juste, il y a une autre différence : les colonnes de Buren au moins, on peut s’asseoir dessus ou y écraser ses clopes… Essayez donc de faire pareil avec le « chien-ballon » !]. Aussi ai-je regardé, sans haine et sans crainte, l’ébouriffant publireportage consacré à l’affaire par France 5 et intitulé assez absconnement[2. Néologisme. Pourquoi je serais le seul à pas avoir le droit d’innover ? Moi aussi je peux être un « chien-ballon vénitien », si je veux.] « Au château de Versailles : Jeff Koons, homme de confiance ». Un doc tellement trop hagiographique qu’il aurait pu se conclure par une voix off genre : « I am Jeff Koons, and I approve this message. »

Mais même un « documercial » peut receler des infos utiles. Dans celui de France 5, j’en ai appris une bonne : Jeff Koons le « provocateur » est un artiste officiel ! Il a trouvé en Jean-Jacques Aillagon, sinon son mécène (il n’en a guère besoin), au moins le président de son fan-club francophone. Hier, ministre de la Culture, il le décorait de la Légion d’honneur ; aujourd’hui, président du domaine de Versailles, il lui ouvre les portes du château.

Pour justifier cette « audace », le ministre nous assène sans rire que Versailles et Koons ont deux points communs qui rendaient « inévitable » leur rencontre : l’un et l’autre ne sont-ils pas « mondialement célèbres » et « baroques » ?

Cette polémique-là, Jean-Jacques la démonte le plus facilement – et le plus modestement – du monde : « Beaucoup de gens n’ont pas compris, comme toujours quand il s’agit de grandes initiatives. »

Fermez le ban ! Tout est clair désormais : je suis un « paléo-con[3. Comme dit joliment Marc Cohen.] », donc j’aime pas l’exposition « Jeff Koons-Versailles », voilà tout !

Et pourtant, j’ai une dernière question, M’sieur, sans vous déranger, comme dirait Columbo : pourquoi donc le critique de Télérama déconseille-t-il lui aussi ce programme ? On n’a pas gardé les homards ensemble…

Olivier-Pascal Moussellard (car c’est lui !) estime que les réalisateurs de France 5 ont mal fait leur boulot ; il explique même comment ils auraient dû s’y prendre : « En donnant la parole à quelques esprits critiques, et en s’interrogeant sur le sens de ce triomphe « koonsien » dans les institutions culturelles et sur le marché de l’art. Deux thèmes malheureusement absents. »

Entièrement d’accord, Pascal-Olivier (ou l’inverse) : moi aussi j’aurais aimé entendre sur l’ »affaire » Jean Clair ou Jean Dutourd, « esprits critiques » s’il en est !

A cet instant précis, je me dis : « Attention Basile ; fausse piste ! Ça fait quand même quinze ans sans sursis que tu lis Télérama ! Tu ne peux pas être d’accord avec eux, surtout sur l’art contemporain… Il y a forcément un loup ! »

Ce loup, je n’ai pas eu à le chercher loin : dans un Télérama d’il y a trois mois ! L’antikoonsisme de gauche, figurez-vous, ne relève pas de préférences artistiques, mais de la préférence nationale.

Je cite le papier du critique d’art maison, Olivier Céna : « Pourquoi confier à un artiste étranger[4. C’est moi qui souligne.], quels que soient son talent, sa notoriété, sa cote sur le marché, le soin d’inaugurer une manifestation dans un des lieux les plus connus et les plus visités de France[ Parenthèse pour les amateurs : l’antikoonsisme « de progrès » ne se limite pas au souverainisme culturel. Dans Art-Press, l’oracle Philippe Dagen qualifie Koons d’artiste organique du « capitalisme mondialisé et spectaculaire ». Et là, je suis plutôt entièrement d’accord.] ? »

L’ennemi donc, ce n’est pas l’artiste abscontemporain : c’est l’allogène ! Thèse confirmée quelques lignes plus loin par le discours du Céna : « Pourquoi le Louvre invite-t-il, pour la première confrontation entre art ancien et art contemporain, Jan Favre, un artiste flamand ; et Monumenta, pour ses deux premières éditions sous la nef du Grand Palais, un peintre allemand, Anselm Kiefer, et un sculpteur américain, Richard Serra ? »

Bref, l’antikoonsisme de gauche relève d’un combat rigolo comme je les aime : contre la « préférence nationale », sauf en matière d’ »exception culturelle ».

Décembre 2008 · N°6

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Sur France Culture, l’esprit privatisé
Article suivant Baudrillard et l’affaire Zemmour

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération