Accueil Culture Là-haut, un oiseau passe

Là-haut, un oiseau passe

Exposition Romy Schneider – Cinémathèque


Là-haut, un oiseau passe
Romy Schneider et Michel Piccoli dans "Les choses de la vie" de Claude Sautet (1970) © Fida Cinematografica / Lira Film / Collection ChristopheL via AFP

Romy ensorcelle la Cinémathèque jusqu’au 31 juillet


Longtemps, je suis resté réfractaire au charme écorché de Romy. Je refusais de m’y soumettre. L’opération de séduction me paraissait trop grossière, trop évidente, trop charnelle, trop fabriquée, trop photogénique. Son désespoir apparent et toutes ses lignes de fracture m’empêchaient d’y croire, me mettaient à distance. Sa tristesse infinie polluait ma vision nocturne.

L’intransigeance est la marque des sots

Son débord émotionnel était un frein à mon imaginaire. Même son grain de peau lisse, cette sensualité huileuse et tous ses appels en détresse me gênaient à l’écran. J’enrageais de cette impudeur-là, à peine retenue, largement orchestrée. La colère montait en moi. Je n’y voyais qu’un numéro de dénudement psychologique. La fiction n’autorise pas tous les dévoilements, croyais-je. J’étais heurté par son flot de larmes en captivité et sa douleur à vivre le quotidien. J’exigeais un contrôle total des sentiments de sa part. Cette recherche de moralité m’éloignait de sa vérité intime, la jeunesse s’accorde mal avec la nuance.

A lire aussi: Proust: retour vers le futur

J’étais trop con. L’intransigeance est la marque des sots et des esprits querelleurs. Je n’acceptais pas le chaos intérieur comme moteur de la création. Alors, les hésitations de Romy, ses emportements, sa fragilité, son exigence à bien faire, son professionnalisme qui pouvait confiner à la terreur, me la rendaient totalement étrangère. Je n’avais que faire de sa beauté plastique et de ses failles en cataplasme. Elles étaient trop encombrantes à mon goût pour que ne filtre une émotion non trafiquée. Et puis, le temps a passé, mon intransigeance a disparu.

L’actrice intranquille

Ce n’est que bien plus tard, à la quarantaine venue, que j’ai pu enfin regarder ses films avec une dévotion sincère. Je comprenais son destin. Sa grâce fatiguée me touchait enfin et je pus accepter les images de son éclat, sans la juger. Parce que Romy gagne toujours à la fin. Vous pouvez ériger toutes les barrières ou toutes les frontières contre son attraction, elle réussit à passer, à casser toutes les digues, à pointer son dard dans votre cœur. Dans un rôle au cinéma, dans une interview télé, dans une attitude, un geste anodin ou un mot prononcé avec la puissance gutturale du désespoir, elle vous cueille, vous extrait de votre tranquillité bourgeoise. C’est l’actrice intranquille, par nature. Inconfortable, par essence.

Vous êtes là, hébété, un peu sonné dans un fauteuil rouge, ne comprenant pas ce qui vous arrive, son corps devient accessoire, la nudité chez elle prend la forme d’un don sans conséquence. Ce qui vous saisit vraiment, c’est la teneur de son fracas, son résiduel mal-être ne vous quittera plus. Il vous accompagnera comme le signe d’un déchirement douloureux et beau à la fois, une impossible rédemption, un drame en marche qui, bizarrement, nous vous accablerait pas. On puise beaucoup de force, à son corps défendant, dans l’œuvre de Romy. Pour capter cette délicieuse gêne, ce sentiment équivoque qui s’appelle le trouble, la Cinémathèque lui consacre une exposition jusqu’au 31 juillet. De Sissi à Visconti, de Chanel à Clouzot, des Alpes autrichiennes à Ramatuelle, d’une petite fiancée étendard identitaire à la femme fatale, de Philippe Sarde à Claude Sautet, Romy est une Française qui fut adoptée par tout un peuple reconnaissant. Une Marianne aux yeux clairs et aux seins hauts, le regard embué et cet accent chevrotant qui vaut tous les passeports du monde. L’entendez-vous, déclamer la chanson d’Hélène « Ce soir, nous sommes septembre ; Et j’ai fermé ma chambre ; Le soleil n’y entrera plus ; Tu ne m’aimes plus » ? Comment ne pas percevoir dans ces quelques paroles, toute la fraîcheur et la tragédie des « Choses de la vie » ?

A lire aussi: Jacques Perrin: une dette particulière

La légende demeure

Dans cette exposition, ce sont les détails qui émeuvent, des photos accrochées au mur qui nous rappellent une célébrité éclatante et si souvent outrageante. Plus qu’une star, Romy demeure une légende. Revoyez-les, tous les deux, dans leur lumière tapageuse, timides et déjà conquérants, Alain enlaçant Romy sur les bords de Seine dans un cliché en date du 29 mars 1961 signé Maurice Jarnoux pour Match. Plus tard, sur le bord d’une piscine, l’eau chlorée se reflète dans ses yeux, elle semble heureuse comme un enfant qui plonge à pieds joints et éclabousse toute la maisonnée. Là, en discussion, cigarettes aux lèvres avec Paul Guimard assis dans une chaise en rotin. Et, peut-être, le document le plus précieux de cette rétrospective, dans une vitrine, un mot griffonné au feutre sur du papier à en-tête du Sofitel Thalassa de Quiberon. Cette missive adressée à Claude Sautet, pleine de ferveur et d’admiration, envoyée à son adresse « 15, avenue des Goblins (sans e) » vous laisse groggy mais heureux.

Exposition Romy Schneider – Cinémathèque



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent [Vos années Causeur] Famille je vous hais. Un peu
Article suivant Bon chic, mauvais genre
Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération