Accueil Édition Abonné Procès Le Pen en appel av. 2027: «Ce que certains appellent une faveur s’avère être un piège diabolique pour la défense»

Procès Le Pen en appel av. 2027: «Ce que certains appellent une faveur s’avère être un piège diabolique pour la défense»

Entretien avec Rodolphe Bosselut, l'avocat de Marine Le Pen


Procès Le Pen en appel av. 2027: «Ce que certains appellent une faveur s’avère être un piège diabolique pour la défense»
Rodolphe Bosselut © Hannah Assouline

L’avocat de Marine Le Pen estime que le procès des attachés parlementaires du FN est purement politique : les motivations écrites des juges en témoignent. Rodolphe Bosselut dénonce aussi le non-respect du droit de la défense, son interprétation des faits reprochés ayant été retenue comme une circonstance aggravante.


Causeur. Quel est l’état d’esprit est votre cliente depuis qu’elle a appris sa condamnation en première instance ?
Rodolphe Bosselut. Celui d’une femme qui a fait appel et qui est combative.

Avez-vous été surpris par la décision du tribunal ?
Plutôt choqué. Je rappelle que j’ai plaidé la relaxe mais que, dans l’hypothèse d’une condamnation, des peines sévères étaient envisageables puisqu’elles avaient été requises par le parquet. Seulement, celles prononcées par le tribunal n’en sont pas moins choquantes. D’abord en raison de leur nature vexatoire. Ensuite et surtout parce que l’exécution provisoire d’inéligibilité, telle qu’elle a été prononcée, nous prive de toute possibilité de recours en attendant l’arrêt à venir de la cour d’appel de Paris.

N’est-ce pas le lot commun de tout justiciable de devoir attendre sagement sa décision d’appel ?
Certes, lorsque cet appel est suspensif. Généralement, quand vous êtes condamné en première instance à une peine avec exécution provisoire, par exemple une peine de détention provisoire, vous avez la possibilité, durant le délai qui vous sépare de l’audience d’appel au fond, de solliciter auprès de cette même cour d’appel une mise en liberté. Malheureusement, dans le cas spécifique d’une exécution provisoire assortissant une peine d’inéligibilité, rien de tel n’est prévu par le Code de procédure pénale. C’est une anomalie du droit. Et cela pose un vrai problème au regard des principes généraux du droit.

Diriez-vous que ce jugement est politique ?
Assurément. Et pas seulement parce qu’il frappe une personnalité politique de premier plan et donc interfère, par ce simple fait, dans la vie politique du pays de façon majeure. Mais aussi parce qu’il comporte dans ses motivations écrites au moins deux considérations proprement politiques et pas simplement juridiques. Tout d’abord, il est reproché noir sur blanc à Marine Le Pen et à sa formation d’avoir des opinions hostiles à la construction européenne, autrement dit il est clairement indiqué que les charges retenues contre le parti qui s’appelait alors « Front national » seraient moins lourdes s’il s’était agi d’un mouvement fédéraliste. C’est insensé ! Deuxièmement, le tribunal parle du risque de « trouble à l’ordre public démocratique » que représenterait, selon lui, la possibilité que Marine Le Pen se présente à l’élection présidentielle avant d’être jugée en appel. De mémoire judiciaire, on n’a jamais vu des spéculations de ce type dans un jugement…

La cour d’appel de Paris a fait savoir qu’elle jugerait votre affaire en urgence, donc avant la prochaine présidentielle. Cette faveur ne montre-t-elle pas qu’on partage votre point de vue en haut lieu ?
Quelle faveur ? Moi j’y vois plutôt un retour à la normale et un désaveu cinglant pour le tribunal correctionnel : on contraint le parquet général et la présidence de la cour d’appel à précipiter le calendrier judiciaire tant l’exécution provisoire prononcée est disproportionnée.

Peut-on parler, comme Jordan Bardella, de tyrannie des juges ?
Je n’emploie pas ce terme. Mais je constate qu’une décision de justice, en prononçant une inéligibilité immédiatement applicable sans possibilité d’un recours spécifique, bouscule le cours de la vie démocratique. Et cette irruption est justifiée par un risque de récidive qui tiendrait notamment à l’exercice par Marine Le Pen de son droit à la défense…

Comment cela ?
Le tribunal écrit qu’elle est une « récidiviste » en puissance au motif qu’elle a osé recourir à un « système de défense » consistant à minimiser la gravité de sa faute. Mais n’est-ce pas le droit le plus élémentaire d’un prévenu de défendre une lecture juridique différente de celle du ministère public ?

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Nombre de commentateurs pensent qu’il ne s’agit pas de divergences d’interprétation, mais que vous niez purement et simplement les faits qui vous sont reprochés.
Nuance, nous nions que ces faits puissent constituer une infraction. Nous affirmons, arguments à l’appui, que Marine Le Pen avait une pratique parlementaire courante et connue de tous au moment des faits. Pratique qui n’a jamais été reprochée à personne. À cette époque, une seule chose était expressément interdite aux assistants parlementaires « locaux » du Parlement européen, c’est-à-dire ceux qui assistent un élu sur sa terre d’élection et donc qui ne vont jamais ni à Bruxelles ni à Strasbourg : ils n’avaient pas le droit d’accomplir des tâches relevant de la sphère privée. Or aucun assistant parlementaire mis en cause dans cette affaire n’a travaillé pour la sphère privée de qui que ce soit. Cela a été rappelé à de nombreuses reprises, il n’y a dans ce dossier aucun enrichissement personnel. Toutes les activités pour lesquelles des condamnations ont été prononcées avaient un lien direct avec la vie militante du Front national.

Certes, mais pour le tribunal, même les tâches effectuées dans le cadre militant sont illégales…
C’est une mauvaise interprétation du règlement en vigueur, qui ne prohibe textuellement que les activités militantes au sein des partis européens, pas nationaux. Or les parlementaires de Strasbourg sont élus sur des listes partisanes nationales en défendant des programmes partisans nationaux. Si bien que nous affirmons qu’un eurodéputé reste assurément dans le cadre de son mandat électif quand il œuvre à la progression de son parti national.

Parmi les condamnés, il y a le fameux chauffeur-garde du corps dont on se demande quel rapport il avait avec l’engagement partisan.
Contrairement à ce qu’on a pu lire dans de nombreux journaux, les textes européens prévoient de façon tout à fait claire qu’un chauffeur peut être employé avec un contrat d’assistant parlementaire. Les textes européens parlent d’une fonction d’appui technique, qui est autant celle d’un garde du corps que d’un chauffeur. La seule différence est que le chauffeur s’arrête au pied du Parlement alors que le garde du corps poursuit sa mission à l’intérieur des bâtiments de Strasbourg ou de Bruxelles. Marine Le Pen avait hélas des raisons objectives de demander une assistance rapprochée au regard des nombreuses menaces et prises à partie qu’elle subit. Sans cette protection, elle n’aurait pas pu mener son mandat d’élue sereinement.

Il y avait aussi le majordome de Jean-Marie Le Pen…
Nous avons établi devant le tribunal que cette personne effectuait des tâches d’assistant parlementaire pour d’autres députés européens. Ensuite, il est vrai qu’il rendait par ailleurs des services au père de Marine Le Pen en tant qu’homme à tout faire, pas comme Nestor en livrée au château de Moulinsart ! Et cela ne l’empêchait pas d’accomplir parallèlement son travail d’assistant.

Comment se fait-il que ces pratiques, que vous dîtes courantes, n’aient pas été constatées dans d’autres formations comme le PS ou LR ?
Les grands partis ont un nombre suffisant d’élus pour atteindre le seuil de constitution d’un groupe parlementaire, qui donne droit à une enveloppe financière plus conséquente, permettant d’embaucher davantage d’assistants avec des fiches de poste plus spécifiques. Les groupes plus restreints, comme ceux du FN, du Modem ou du Parti de gauche, mais aussi de Podemos en Espagne, étaient quant à eux obligés de confier à leurs assistants des tâches plus variées et de les mutualiser. Je remarque d’ailleurs qu’en Espagne, Podemos n’a eu aucun problème avec la justice.

Que dit la justice européenne de votre affaire ?
J’ai plaidé le volet proprement civil de l’affaire, ayant trait à ce qu’on appelle la « répétition de l’indu », à Luxembourg, qui est le tribunal compétent pour les affaires de trop-perçu au Parlement européen. La procédure devant les juridictions européennes est pour le moins surprenante puisqu’il n’y a pas de double degré de juridiction. Il est piquant de savoir que l’Union européenne, donc le Parlement européen, n’est pas signataire de la convention qui régit la CEDH ! C’est lunaire…

Marine Le Pen arrive au tribunal de Paris pour le verdict de son procès sur des soupçons de détournement de fonds publics européens, 31 mars 2025 © Thomas Hubert/SIPA

Et pourtant, vous pourriez porter l’affaire devant cette CEDH, non ?
C’est effectivement une possibilité. Nous pourrions d’ailleurs, sans attendre d’avoir épuisé toutes les voies de recours de la justice française, réfléchir à demander une « mesure d’urgence » auprès de la CEDH. Je suis cependant très circonspect puisqu’il semble que le fait de se défendre soit dorénavant retenu comme une circonstance aggravante. Je rappelle à cet égard notre demande d’une « question préjudicielle » à la Cour de justice des communautés européennes sur la compatibilité du règlement interne du Parlement européen encadrant l’activité d’assistants parlementaires avec les principes de sécurité juridique et de prévisibilité. Or non seulement cette requête nous a été refusée, mais les juges français ont estimé qu’il s’agissait d’une manœuvre confirmant la thèse selon laquelle Marine Le Pen serait dans le déni…

Marine Le Pen n’aurait-elle pas été mieux avisée de se battre davantage la coulpe ? Peut-être aurait-elle été dispensée du soupçon de récidive et épargnée par l’exécution provisoire…
Autrement dit n’est-il pas plus judicieux pour tout prévenu innocent de reconnaître ce qu’on lui reproche pour s’attirer une éventuelle mansuétude ? Franchement, comme avocat, je ne me résous pas à ce genre de raisonnement. Mais je vous rappelle que, pour justifier l’exécution provisoire, les juges ne se sont pas contentés d’invoquer un risque de récidive. Ils ont aussi agité celui de « trouble à l’ordre public démocratique ». Et ce malgré la mise en garde formulée deux jours avant par le Conseil constitutionnel, qui, interrogé sur une affaire comparable, avait indiqué que les atteintes à la « liberté du vote » des Français devaient être proportionnées.

À vous entendre, l’affaire était perdue d’avance et il fallait, au moins pour sauver l’honneur, ne pas plier l’échine…
C’est une interprétation romantique à laquelle l’homme de droit que je suis ne saurait souscrire.

Diriez-vous toutefois, comme Marine Le Pen, que le « système a sorti la bombe nucléaire » ?
Je me garderai bien de faire des commentaires politiques. Je note toutefois que durant les audiences, les seules personnes qui ont prononcé le mot « système » sont les magistrats, qui ont, dès les premiers jours, allégué qu’on jugeait dans cette affaire un « système ». Quand j’ai entendu cela, je me suis immédiatement inscrit en faux en m’indignant de l’emploi de ce terme évidemment porteur de préjugés. Il y a eu un incident à l’audience au terme duquel le tribunal a consenti à ne plus employer le terme « système » et à le remplacer durant les débats par celui de « gestion centralisée des enveloppes parlementaires ». En fin de compte, c’est bien un « système » qui est retenu dans le jugement… Chassez le naturel, il revient au galop.

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En attendant, Marine Le Pen admet que le chemin qui lui permettrait de se présenter est très étroit…
C’est hélas le cas. Tout le paradoxe de la situation procédurale actuelle est que l’exécution provisoire qui assortit la peine d’inéligibilité entraîne une accélération du calendrier pour qu’une décision puisse être rendue avant les présidentielles prévues en 2027. Ce que certains appellent une « faveur » s’avère être un piège diabolique pour la défense. En effet, tout recours, par exemple une question prioritaire de constitutionnalité, dont on pourrait légitimement envisager l’emploi, devra être mûrement réfléchi, le risque étant de rallonger ou de perturber le calendrier judiciaire et donc politique. Nous sommes symboliquement dans une seringue et cela n’est évidemment pas satisfaisant.

On pouvait s’attendre à ce que le jugement suscite des protestations, voire un scandale, dans l’opinion. Comment expliquez-vous que ce ne soit pas le cas ?
J’ai le sentiment d’une anesthésie générale du débat public. Quand, en 2017, François Fillon a été mis en examen dans une affaire d’assistant parlementaire, beaucoup de gens ont dit que l’élection avait été escamotée. En l’espèce, la situation me semble beaucoup plus grave puisqu’il existe un risque que Marine Le Pen, à la différence de François Fillon, ne puisse pas se présenter à l’élection.

Est-on allé trop loin dans la moralisation de la vie politique ?
On a eu sans doute raison de vouloir punir plus lourdement les élus qui s’enrichissent personnellement en détournant des fonds publics ou en trafiquant leur influence. Mais dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, il ne s’agit absolument pas de cela ! D’ailleurs le tribunal l’a bien compris puisqu’il a inventé le nouveau concept d’« enrichissement militant » pour qualifier le prétendu mésusage commis par ma cliente. Autrement dit, il s’agirait, au pire, d’un financement illicite d’activité politique française par l’Europe. Infraction sans commune mesure avec le détournement de fonds publics dont l’énoncé à lui seul est infâmant.

Mais ne faut-il pas être exemplaire pour être un bon élu ou un bon gouvernant ?
Je me méfie de ces considérations morales. Sauf erreur de ma part, la notion d’exemplarité n’est pas inscrite dans notre droit. En revanche, le droit à l’erreur y figure, depuis 2018.

Vous avez mené un combat si long et fatigant qui s’est conclu par une décision si décevante. Cela a-t-il affecté votre moral ?
Ce procès n’a pas modifié le regard que je porte sur le monde et sur mon métier. J’ai toujours été, et je reste, un pessimiste qui garde l’espoir.

Mai 2025 - #134

Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction de Causeur. Jean-Baptiste Roques est directeur adjoint de la rédaction.

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