Accueil Culture Une rentrée littéraire loin d’Orléans

Une rentrée littéraire loin d’Orléans

Thomas Morales nous propose son journal, loin de la polémique littéraire de la semaine


Une rentrée littéraire loin d’Orléans
Thomas Morales

Thomas Morales nous propose son journal. S’il a pris soin de rester loin de la polémique littéraire du moment qui sature les colonnes de nos gazettes, il tarde à se mettre à la lecture des nouveautés…


Ils s’entassent depuis le mois de juin, voire la mi-mai. Là, monticules informes. Plus loin, vallons cabossés sur le parquet. Pics dans l’escalier. Mottes de caractères d’imprimerie en éruption, au milieu du vestibule. S’infiltrant dans le moindre placard. Partout, Vésuve de l’écrit en furie. Dans un flot ininterrompu, des enveloppes rembourrées encombrent, chaque matin, le tapis de mon entrée. La Poste commence à s’en inquiéter. Mon domicile sera bientôt envahi de manuscrits. Assailli par la mitraille sémantique. Les éditeurs sont les biffins de l’été. Ils recyclent tous les maux de la société. Si bien que je ne pouvais déjà plus sortir de chez moi aux premières lueurs de juillet.

A lire aussi: Oui, Causeur a lu « Orléans » de Yann Moix

A mesure que les piles grimpaient, mon humeur se noircissait à l’encre pas du tout sympathique. Le critique littéraire est un travailleur comme un autre ni plus délicat, ni moins inspiré, soumis aux cadences et à la routine, à la jalousie et au dégoût. Il lit pour payer ses factures. Il écrit faute de mieux. Le mot « artiste » lui glace le sang. Il ne croit ni au labeur, ni au génie. Un aigri, peut-être. Un méchant, certainement pas. Un homme pris dans d’inextricables rouages économiques. Qui ne l’est pas ? Il regrette surtout de n’avoir aucun talent manuel ou un diplôme solide qui l’empêcheraient de gâcher ses journées sur des livres éphémères et vains. Il est nul en électricité, en plomberie, en mécanique et en maçonnerie, n’en parlons même pas. Cet inutile lettré a choisi de parler des livres dans une société qui confond littérature avec agriculture, labourage des sentiments les plus banals, épandage d’un imaginaire formaté et moissonnage des idées les plus convenues.

Ma déprime s’efface devant le bagou des attachées de presse

C’est fou le nombre d’écrivains qui n’ont rien à dire et qu’ils le disent si maladroitement. Comme si leurs petits malheurs intérieurs étaient de nature à combler nos soirées à la belle saison. Leur intimité nuit assurément à notre bonne santé surtout en période caniculaire. Le critique professionnel encarté doit batailler contre cette lassitude pré-automnale, contre l’envie de tout lâcher et de dire merde aux dealers de papier. Il préférera toujours visionner un Pécas décorseté que lire un premier roman boursouflé. Même si la rentrée de septembre le déprime au plus haut point, il doit penser à ses chers lecteurs et aussi à cette veste Renoma en velours aperçue dans une vitrine, très minet sixties du Drugstore. Il l’estime à environ une bonne dizaine de critiques à écrire. Chacun trouve sa motivation à la hauteur de ses ambitions personnelles. Certains écrivent pour s’épancher, d’autres pour se révolter, j’en connais même qui veulent changer le monde par leur prose lancinante, des fous probablement, moi je ne résiste pas à un beau vêtement ou à des souliers patinés. Donnez-moi une paire de double-boucle en crocodile et je vous chronique les 500 romans ! Là, sur le champ ! Cette année, à vrai dire, j’ai eu la flemme de m’y atteler.

A lire aussi, Paul Morand, Bruce Chatwin: Rêveries de deux baigneurs solitaires

J’ai d’abord fait l’erreur fatale de passer un mois entier dans ma campagne nivernaise au milieu des vieux livres et entouré de mes BMX oldschool. Un jour, je vous dirais comment le bicross des années 80 a éveillé chez moi, le goût des stylistes et des moralistes. Je conçois que la comparaison ne soit pas évidente à première vue. Pendant que les attachées de presse me harcelaient à coups de : « Avez-vous eu le temps de lire le dernier untel ? Un primé en puissance ! Déjà sur les listes ! Visionnaire et tellement nostalgique ». Usant d’une flagornerie éhontée et d’un sens hallucinant de l’emphase : « Vous qui êtes un esthète, vous ne résisterez pas à cet Admirable ouvrage, d’une profondeur émotionnelle divine, cet écrivain Majeur est un damné poétique, c’est abyssal de nervosité et aussi de sincérité, un chef d’œuvre cru et dense, une langue redécouverte dans ce qu’elle a de plus instable et étincelante, dites-moi ce que vous en pensez vite, rappelez-moi très vite, n’hésitez pas à me déranger le jour, la nuit, avec plaisir, rencontrez cet auteur Capital, un futur grand, déjà un classique, vous l’aimerez, j’en suis convaincu, personne n’y résiste ». Avouez que c’était tentant, certains vendeurs de voitures devraient s’inspirer de cette technique commerciale. Un bagout incroyable. Une ténacité irréelle. Une propension à divaguer plus proche finalement de l’essence de la littérature que de l’objet en lui-même tant vanté.

Dandysme rural

Calfeutré dans ma thébaïde ligérienne, je faisais le mort, j’esquivais les appels et les relances. Comprenez-moi bien, mon mutisme n’avait rien d’idéologique. Je n’empêche personne de travailler. L’édition n’est pas plus ridicule que les Assurances ou la Grande Distribution. Cette rentrée n’est ni meilleure, ni pire que les vingt précédentes. Gagner sa vie en écrivant (bien ou mal) n’est pas un métier si dégradant quand on y réfléchit. Heureux en fait sont les hommes qui ne possèdent pas une bibliothèque bien garnie. Ils peuvent nager, courir, jardiner, bricoler, s’aérer l’esprit et même s’émerveiller d’un roman de la rentrée 2019. Tout l’éventail des vices est à leur portée. Ils sont vierges. Je n’ai pas cette chance. J’ai commencé vers le 14 juillet par relire mon Hardellet adoré, j’y ai succombé une nouvelle fois. J’ai picoré du Céline, du Rabelais, du Villon, du Blondin, du Perret, du Cossery, me suis endormi au doux son des aphorismes de Jean Carmet, revécu la Libération de Paris sous les assauts nocturnes de Boudard. L’avantage de posséder une bibliothèque exempte de préjugés, c’est passer de Georges Cochon à André Frédérique, d’élever des ponts entre Pierre Charras et Christine de Rivoyre, de plonger tête la première dans Chaval et Clifton.

Et puis, je suis resté comme figé vers le 15 août dans Vie et mort de Jean Chalosse moutonnier des Landes de Roger Boussinot paru chez Robert Laffont, Grand Prix Littéraire des Lectrices de « Elle » en 1976. Le titre splendide presque arachnéen (on dirait du Verlaine) et cette couverture illustrée, j’étais conquis. « C’était mieux avant », Morales nous bassine encore avec ses vieilles lubies, ses auteurs obscurs et son dandysme rural. Je plaide coupable. Promis, dès la semaine prochaine, je vous parle des nouveautés 2019 !

 



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Voyage autour de ma bibliothèque (9/10)
Article suivant Stalinisme et nazisme: même combat, selon le Parlement européen
Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération