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Réforme pénale: Éric Dupond-Moretti est têtu

Acquittator poursuit son offensive...


Réforme pénale: Éric Dupond-Moretti est têtu
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, mars 2021 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 01007443_000056

Selon Philippe Bilger, le projet de réforme de l’actuel Garde des Sceaux entend remplacer la fiction d’une « République des juges » par la réalité d’une République des avocats


Sur les 145 acquittements dont on a crédité l’avocat Eric Dupond-Moretti, combien de coupables sauvés par la faiblesse de l’accusation, le talent de leur défenseur ou les scrupules frileux ou honorables d’un jury ? Avec, parfois, l’égarement médiatique en plus.

« Acquittator », ce surnom dont Eric Dupond-Moretti semblait se moquer mais dont il jouissait comme d’un hommage qui lui était rendu par ses affidés journalistes. « Acquittator » ou « Acquittatort » selon une formule du courrier des lecteurs dans Sud Ouest ?

Le garde des Sceaux, si on considère son projet de réforme – selon lui, « le but de cette loi est de restaurer la confiance de nos concitoyens dans la Justice » – n’a pas changé de combat, derrière l’apparence affichée.

Double paradoxe.

Il prétend « restaurer une confiance » qu’en sa qualité d’avocat il a tout fait pour détruire, en pourfendant la magistrature en gros même s’il disait éprouver de l’estime pour quelques magistrats au détail faciles à identifier: ceux qui lui avaient donné raison et le louaient sans réserve.

Comme ministre, il affirme cette ambition mais il s’est singulièrement illustré récemment, si j’ose dire en se taisant face aux attaques lamentables des politiques et des médias contre le PNF, les juges et la décision rendue le 1er mars (majoritairement non lue) à l’encontre de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert. Cette abstention est moins lâche que démagogique, portée par le désir de s’inscrire dans le vent dominant d’une contestation ignorante et débridée et, au fond, de trahir son devoir de ministre. Sa fonction lui permet, mais par d’autres moyens, de continuer son hostilité d’hier.

Qui pourrait s’étonner de cette attitude face à ce qui apparaît de plus en plus chez lui comme le dessein, avec une sorte de cynisme tranquille et de constance, de remplacer la fiction d’une République des juges par la réalité d’une République des avocats ?

Si on chasse l’écume – plus de réduction de peines automatique par exemple, un détail et un leurre -, l’essentiel manifeste que les avocats vont occuper, grâce à lui, le haut du pavé politique et judiciaire, avec une philosophie qui leur est spécifique en matière pénale: un relativisme et un humanisme qui n’ont pour finalité que de servir une seule cause. La leur et celle de la seule vérité de leur client.

Je n’ai même plus besoin d’évoquer la composition des commissions – la part du lion pour le barreau – et l’aller retour, rhubarbe et séné, entre l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) et l’École de formation des barreaux (EFB), avec la différence capitale que l’ENM sera influencée par sa directrice, ex-avocate, tandis que l’EFB demeurera intouchable malgré la présence à sa tête d’un ex-procureur général. L’auditeur de justice sera manipulé, l’élève avocat conforté.

Sur un autre plan, le secret professionnel des avocats sera renforcé, ce qui aura pour finalité de les constituer en autarcie, de moins en moins comme des auxiliaires de justice. Il faut saluer la cohérence résolue de ces dispositions animées par un seul souci: protéger encore davantage le barreau.

Il paraît qu’il conviendrait de « redonner ses lettres de noblesse » à la cour d’assises alors qu’au contraire, et c’est un tour de force, elle est parvenue à les maintenir malgré un processus constant de banalisation.

Abordons ce domaine central des cours criminelles et de la cour d’assises. Déjà on ne peut que regretter cette idée d’intégrer parmi les assesseurs un avocat honoraire. À quel titre, on ne sait pas. Sinon pour peaufiner cette pratique du mélange des genres imposant l’avocat où il n’était pas nécessaire.

Je relève aussi que le garde des Sceaux, qui était vent debout, comme avocat, contre les cours criminelles (sans jury populaire) a décidé pourtant de poursuivre et d’élargir cette expérience. On serait curieux de savoir en quoi les critiques légitimes que nous avions les uns et les autres formulées contre ce déni de la justice populaire seraient devenues caduques. Pour ma part, je maintiens ma position (voir mon billet du 4 août 2019 : « Les « cours criminelles »: une mauvaise action »).

Je ne ferai pas un sort à cette volte. Il y en a eu tant d’autres ! Le pouvoir a ses contraintes qui balaient l’esprit lucidement critique d’hier.

Toutefois, cette évolution – pour euphémiser – est d’autant plus surprenante que par ailleurs le ministre souligne qu’on « ne peut pas prétendre juger au nom du peuple français et l’exclure des cours et tribunaux ».

Une audience criminelle préparatoire sera organisée – une sorte de mise en état – et sans rien bouleverser cette nouveauté ne fera pas de mal à l’essentiel.

Ce qui ne sera pas le cas de cette indiscutable provocation destinée à faciliter les acquittements et donc à favoriser à nouveau la défense. Le garde des Sceaux ne l’a pas caché: il s’agit de créer « un système où une majorité de jurés sera à nouveau nécessaire pour entrer en voie de condamnation ». Pour décréter la culpabilité de l’accusé, il ne suffira plus de six voix mais de sept, sur les neuf jurés.

Ce qui en effet, comme l’affirme un haut magistrat (qui dénonce en restant anonyme : une tare française), ne sera plus « très loin de la majorité absolue » et ce, dans les affaires les plus graves.

Quelle étrange philosophie qui assignera, par principe, à la cour d’assises le devoir de multiplier les acquittements plus que de voter des condamnations! Elle ne peut être que le propre d’une vision d’avocat quand le citoyen réclamerait au moins une procédure équitable qui ne donnerait pas toutes les chances aux accusés en rendant la mission de convaincre des parties civiles et de l’accusation beaucoup plus difficile!

Si une opposition forte ne se manifeste pas face à cette indécente entreprise, celle-ci aura réussi son double coup: réduire encore davantage l’obligation de sauvegarde sociale et continuer à favoriser une profession que le ministre de la Justice ne parvient pas à oublier.

À considérer les occupations de ce dernier, il est inspiré par une double obsession: celle que je viens de décrire et la lutte constante contre le RN et Marine Le Pen, qui ne s’embarrasse pas, chez lui, de courtoisie républicaine.

Comme si un ministre digne de ce nom ne pouvait à la fois exprimer une opposition politique et le faire sans grossièreté démocratique permanente. On a bien compris qu’il y a pour lui des citoyens de seconde zone mais il abuse de ce mépris !

Mais Acquittator est heureux ; il poursuit son offensive.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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