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Réflexions… psychopolitiques


Réflexions… psychopolitiques
Thibault Serie dans "Le ruban blanc" de Michael Haneke © NANA PRODUCTIONS/SIPA Numéro de reportage : 00625701_000004

La raison prendra-t-elle un jour la place des passions collectives? La haine cèdera-t-elle à l’intérêt bien compris? Les élites occidentales qui rêvent d’un monde meilleur parviendront-elles à se libérer de leurs illusions néfastes?


Tout a commencé au Moyen-Orient. Les Palestiniens sont devenus la cause centrale de la révolte contre le monde blanc et ses privilèges. Mein Kampf est devenu un best-seller en Turquie et les Protocoles des Sages de Sion en Egypte et en Iran. Hitler et Goebbels ne sont pas morts. Leur théorie du complot juif refait surface. A Tel Aviv, les juifs auraient créé leur centre de commandement de « la domination talmudique mondiale ».

Mais Hitler revit aussi à travers un nouveau racialisme qui remet au goût du jour, à sa façon, la hiérarchie des races. Les blancs bénéficient de leur privilège blanc, indûment et ce privilège doit leur être arraché. Surtout, ces blancs obéissent à leurs maîtres, ces juifs qui disposent des manettes du pouvoir et sont à l’origine de toutes les guerres qui empêchent l’humanité de connaître enfin la paix. Noirs américains, africains, musulmans sont les victimes d’un impérialisme et d’un racisme qui a mis en esclavage, colonisé, exterminé. La cause palestinienne sert de modèle : des enfants, des vieillards, des femmes sans défense abattus par la soldatesque hébreue et de l’autre côté une armée de misérables qui n’ont que des frondes et des pierres pour livrer un combat désespéré pour leur libération. La police américaine assassine les noirs. L’armée israélienne martyrise les Palestiniens. George Floyd, Adama Traore, Ahed Tamimi deviennent des symboles de l’oppression.

Derrière la diabolisation d’Israël

Depuis toujours, les véritables génocidaires ont eu besoin d’inventer de telles fables : révolutionnaires de la Terreur et leur loi des suspects, Allemands victimes à la fois du capitalisme et du bolchevisme – juifs tous deux -, Hutus du Rwanda et leurs « maîtres » tutsis, communistes staliniens et leurs koulaks, riches propriétaires et affameurs des prolétaires misérables des villes russes, maoïstes de la révolution culturelle et leurs bourgeois, Pol Pot et ses intellectuels… Les activistes qui manipulent les masses savent ce qu’ils font et ce qu’ils veulent : se mettre à la place de ceux qui ont le pouvoir suprême. A cet effet, ils manient les émotions collectives et donnent à voir la réalité des injustices et des inégalités. Ils font rêver à la suppression de tous les privilèges et à l’avènement d’un âge d’or pour les déshérités. Ils jettent en pâture les « dominateurs » à la vindicte des peuples et ceux-là, affolés légitimement par les crises et les changements brutaux qui les broient, abandonnés par des dirigeants corrompus, indifférents ou incompétents, n’écoutent plus la voix de la raison qui pourrait orienter de vraies transformations et, au contraire, se livrent tête baissée à de nouvelles dictatures, à de nouvelles prisons.

Mais la conquête du pouvoir n’épuise pas toutes les significations de cette diabolisation d’Israël et de l’Occident blanc et de l’appétit de repentance de nombreux occidentaux. La maladie actuelle de la relation à l’autorité peut permettre de comprendre certains errements dans l’appréhension des réalités par une partie de la jeunesse des pays occidentaux. L’autorité « démocratique » ne se présente pas comme toute-puissante à la différence du totalitarisme qui s’appuie sur une connaissance révélée par Dieu lui-même et sur un livre sacré qui ne peut être remis en question (l’islam et le Coran), sur des présupposés scientifiques présentés comme indiscutables (le matérialisme dialectique en Union soviétique ou le «Rassenlehre», la science des races dans l’Allemagne nazie). Dans la psychologie individuelle, l’enfant qui fait face à un père tout-puissant qui se prétend parfait, se soumet et pense qu’en aucun cas, il ne sera l’égal de ce père, de ce maître qu’il révère ou qu’il craint. Il se dit qu’il est mauvais, Il se diabolise et il idéalise l’autorité.

Par contre, lorsque l’autorité présente à la fois des aspects de puissance et de faiblesse, lorsqu’elle montre ses faiblesses, lorsqu’on peut facilement dévoiler ses faiblesses sans courir trop de risques, on va projeter sur l’autorité tout le mal qu’on voit en soi-même et ainsi diaboliser l’autorité. La diabolisation de l’Amérique est née juste après la guerre du Vietnam qui a mis en évidence les limites de la démocratie qu’elle prétendait être depuis Jefferson et les Pères fondateurs. La diabolisation d’Israël en Occident même a commencé après 1967 et l’occupation de la Cisjordanie, de Gaza et du Golan et les relations conflictuelles avec une population soumise à une occupation considérée comme illégitime.

Utopie de réconciliation générale

La diabolisation est un processus complexe qui existe dans la vie individuelle comme dans la vie collective. Diaboliser l’adversaire est un procédé courant des propagandes qui veulent dépeindre l’ennemi de façon monstrueuse pour mieux le disqualifier. Ce qui est important en l’occurrence, c’est de voir que la diabolisation est également un processus interne qui empêche le combat nécessaire contre des doctrines qui visent à l’asservissement des êtres humains. Comment s’explique la diabolisation d’Israël par une grande partie de la gauche européenne qui s’accompagne de la diabolisation de notre propre civilisation occidentale ? Comment peut-on comprendre un tel parti pris qui n’est pas fondé sur des causes politiques rationnelles ? On ne tient jamais assez compte des émotions qui sont à l’origine de bon nombre de nos options idéologiques et de nos parti-pris politiques. Ces émotions constituent trop souvent une sorte de filtre qui, d’une part, empêche une perception juste de la réalité qui existe en dehors de nous, et d’autre part, nous rend influençables, soumis aux propagandes qui s’adressent justement aux émotions.

Les blessures reçues dans l’enfance peuvent être à l’origine de certaines visions du monde, en particulier lorsque ces visions du monde sont collectivement assumées dans les sociétés et confortées par des propagandes. Ainsi, le film de Hanecke, Le Ruban blanc, a bien montré comment l’éducation autoritaire du monde germanique au début du XXe siècle a pu être une des causes de l’avènement du nazisme. Je pense qu’il existe des modes d’éducation communs dans certaines époques et certaines classes sociales et que ces modes d’éducation forgent les destinées individuelles et collectives. Au Rwanda, j’ai pu voir les conséquences d’une culture qui prônait fortement l’obéissance à l’autorité et la soumission de l’enfant à ses parents et à son clan familial. Comment comprendre la diabolisation d’Israël par des personnes qu’on ne peut considérer comme des antisémites et qui, d’ailleurs, ont toujours manifesté leur compassion pour les victimes de la Shoah ? Beaucoup d’enfants des classes protégées et éduquées ont reçu l’amour conditionnel d’une mère qui les a gâtés et qui les a manipulés en leur faisant comprendre qu’ils n’en faisaient jamais assez pour elle. Leur violence qui fait écho à cette violence douce de culpabilisation les amène à se créer des images d’ennemis tout-puissants contre lesquels ils se rebellent. Ils ne veulent surtout pas être des esclaves parce qu’en quelque sorte ils l’ont été, dans leur enfance choyée. Ils se rebellent contre toutes les puissances qui peuvent les rendre esclaves : la nation, l’armée, les colonisateurs, les églises installées. Ils prennent systématiquement et aveuglément le parti des opprimés ou de ceux qu’ils imaginent parfois être des opprimés. Ils s’enthousiasment pour toutes les rébellions et haïssent les oppresseurs qui empêchent la réalisation de leur idéal. Leur recherche d’une bonne mère leur donne une nostalgie de l’amour universel et ils rêvent d’une utopie de réconciliation générale, qui effacerait les différences et les conflits, gommerait les appartenances.

Nous avons là en Europe toute une génération qui se sent coupable de ne pas aimer, qui se sent coupable de toute cette haine refoulée qu’elle projette sur des figures parentales détestées, qui ne veut pas reconnaître la violence et la haine qu’elle retourne contre des figures du Mal, une génération qui profite d’un système de privilèges et qui, en même temps, trouve des justifications à la violence de ceux qu’elle considère comme des victimes. Cette génération ne veut plus du racisme. Elle ne veut pas de la guerre. Elle veut la réalisation de cet amour universel qui devrait lier tous les êtres humains, quitte à avaler au passage quelques couleuvres ou plutôt quelques serpents, sans avoir repéré leurs venins : le fanatisme totalitaire de l’islam radical qui lui paraît moins dangereux que la toute-puissance des monopoles de l’Empire occidental, la haine des Blancs et des Juifs qui lui paraît moins haïssable, quand elle la reconnaît, que le racisme à l’encontre des « damnés de la terre ». Pour les Juifs, toute sa compassion va aux victimes du passé écrasées sous la botte nazie mais pas du tout aux Israéliens, ces « colonisateurs » qui occupent injustement une terre qui ne leur appartient pas. Ainsi son amour de la justice et de la liberté mène, paradoxalement cette génération à rejoindre dans leur combat de véritables antisémites paranoïaques qui ne voient dans Israël que le Juif éternel, dominateur et sanguinaire.

hamas fatah israel marche retour
Jeunes palestiniens à la frontière entre Gaza et Israël, 2 avril 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00852618_000023.

Victimisation permanente

Du côté arabe par contre, il n’y a pas de repentance ou de culpabilité mais une victimisation qui exclut toute responsabilité collective. Les Allemands ont été chassés en 1945 par millions, après leur défaite de leurs terres ancestrales de Prusse-Orientale et de Silésie. Ils y ont laissé leurs maisons, leurs fermes, leurs chemins de fer, leurs usines. Leurs villes ont changé de noms. Les Polonais ont pris la place des Allemands dans leurs maisons et sur leurs terres. Les hindous et les musulmans de l’Inde ont dû échanger les terres et les villes dans lesquelles ils vivaient depuis les temps les plus anciens. Les Grecs ont dû quitter leurs patries d’Anatolie. Smyrne est devenu Izmir. Seuls les Arabes de 1948 rêvent de retrouver leurs maisons dont ils ont gardé la clé en Israël. Ceux qui ont fui ne sont désormais que quelques milliers mais leurs descendants sont toujours appelés réfugiés et vivent dans des villes qu’on appelle des camps. Un organisme de l’ONU, l’Unrwa leur dispense une bonne part des allocations de réfugiés dans un monde qui compte des millions de vrais réfugiés. Pourquoi cette différence ? Serait-ce parce que jusqu’à présent le monde arabo-musulman n’a jamais pu accepter la présence d’un état souverain pour ces juifs autrefois dhimmis soumis ?

Ceux qu’on appelle aujourd’hui les Palestiniens sont entretenus jour après jour dans le rêve du retour à la place de cet Israël illégitime à leurs yeux, dans ces villages qu’ils n’ont jamais connus et qui parfois n’existent plus, dans ces villes créées par ces Juifs qui auraient dû rester à leur place mais qui triomphent aujourd’hui dans le monde de la science et de la technologie modernes. Quel gâchis d’énergies et de possibilités d’avenir pour une jeunesse arabe qui s’est accommodée plus qu’on ne pense de la présence de cet ennemi qui lui apporte développement et incitation à l’intelligence et qu’en même temps, il jalouse pour sa liberté et son audace. Les check-points et le mur de séparation ont été mis en place depuis les intifadas et le terrorisme quotidien. Mais les villes palestiniennes sont plus florissantes que bien des localités de l’Egypte ou du Maghreb, sans parler du Yémen et de la Syrie exsangues. La raison prendra-t-elle un jour la place des passions collectives ? La haine cèdera-t-elle à l’intérêt bien compris ? Les élites occidentales qui rêvent d’un monde meilleur parviendront-elles à se libérer de leurs illusions néfastes ? On peut l’espérer mais en restant lucidement pessimiste à la vue de l’évolution d’un monde actuel en proie aux luttes de pouvoir des nations et des religions, accompagnées par l’aveuglement des élites du monde occidental qui préparent la décadence et peut-être l’effacement de leurs peuples par une sorte de masochisme véritablement névrotique.

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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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