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Quand La France insoumise rêve de démanteler l’empire logistique de Saadé

LFI contre CMA CGM : l’idéologie face à la réalité du commerce mondial


Quand La France insoumise rêve de démanteler l’empire logistique de Saadé
François Hollande prononce un discours à Marseille pour les 35 ans de la CMA-CGM, 4 juin 2013 © VILLALONGA KARINE/SIPA

Jean-Luc Mélenchon contre « les oligarques de la logistique » : une déconnexion totale avec les réalités économiques


L’économie mondialisée dépend de chaînes logistiques. Cela, l’Institut La Boétie semble au moins l’avoir compris. Dans une émission, le «think tank » de La France Insoumise a ainsi traité de cet enjeu durant deux heures1. Mais las, plutôt que de faire intervenir des professionnels du secteur ou des économistes, l’Institut La Boétie a exclusivement invité des sociologues ! Ainsi de David Gaborieau, sociologue spécialiste de la logistique, de Carlotta Benvegnu, elle aussi sociologue spécialiste de la logistique, ou encore de Lucas Tranchant, sociologue du travail spécialiste des entrepôts. Comme si ce secteur clé de l’économie, qu’elle soit libérale ou dirigée, ne devait être analysé qu’en surplomb ; vu de l’extérieur.

L’économie de la mer, oui, mais pas comme ça…

La thèse de l’institut La Boétie est d’ailleurs simple, schématisée dans la conclusion donnée par Jean-Luc Mélenchon : la logistique est tenue par des oligarques qui profitent de la « globalisation » et de « l’externalisation » et même l’alimentent sciemment afin de rentabiliser leurs investissements. En somme, La France Insoumise pense qu’abattre le secteur logistique peut permettre de « démondialiser » l’économie, de la sortir de la logique du marché et du libre-échange. De quoi faire pâlir d’envie Donald Trump et ses « tarifs douaniers », mais sans l’assumer totalement et avec un fond de marxisme primitif. Si le système économique est loin d’être parfait, encore faut-il savoir par quoi et comment le remplacer. À cette question, déjà posée par Hayek avec sa métaphore du crayon à papier, Jean-Luc Mélenchon ne répond pas.

Il déroule à la place une diatribe dont il a le secret : « La logique de réseaux, ça commence par le fait que l’on fabrique des marchandises à un endroit, et ensuite il faut les amener à un autre. Pas plus vite mais à temps. La régularité devient un enjeu des grands transporteurs. Nous les Français, nous en avons un. C’est monsieur Saadé. On a bien montré l’évolution de cette partie du capitalisme oligarchique sur les autres secteurs de la société. Les voilà maintenant qui achètent des médias. Comme on n’y fait pas d’argent, ils les achètent pour acquérir un pouvoir d’influence. Donc de la logistique à l’influence politique, le lien est direct par le secteur du capital. Tout dépend de la logistique. 90 % du commerce mondial se fait en passant par la mer. Puis passant dans les ports, les patrons et les oligarques de la logistique acquièrent les dépôts ».

Le lien logique entre transport et stockage est évident, mais il est « diabolique » pour Jean-Luc Mélenchon. Il semble que le leader insoumis découvre donc comment fonctionne les chaînes de valeur et sur quoi reposent tous les échanges transactionnels dans le monde : sur des mécaniques infrastructurelles. Le même Mélenchon vantait il y a quelques années « l’économie de la mer », regrettant même que la France néglige le secteur. Pour un pays comme le nôtre, qui a été largement désindustrialisé et qui ne peut malheureusement plus tout produire chez lui du fait des distorsions de concurrence induites par la mondialisation, mieux contrôler le transport et le stock des marchandises est un impératif de souveraineté.

La France ne sortira pas de la mondialisation

Nous n’avons pas édicté les règles du commerce mondial. Elles se sont mises en place naturellement. Tenter de les corriger de manière artificielle ne peut pas nous avantager. Tout au contraire devrions-nous parier sur notre ZEE, la deuxième au monde, et renforcer nos ports nationaux trop longtemps pris en otage par certains amis de Jean-Luc Mélenchon qui y ont vu un terrain de jeu. En cherchant à supprimer la taxe au tonnage, la gauche pourrait faire perdre en compétitivité nos ports. Ce régime dérogatoire spécifique au secteur est nécessaire et utile aux armateurs français pour qu’ils soient compétitifs vis-à-vis de leurs concurrents européens. Ce qui ne s’oppose en revanche pas à une contribution exceptionnelle de solidarité des très grandes entreprises pour faire face au poids de la dette qui plombe nos finances publiques. La marine marchande génère pour la France 23 000 emplois directs, 400 000 emplois indirects et près de 40 milliards d’euros de volumes d’échange. Le secteur de la logistique représente 10 % du PIB mondial.

Relancer la croissance française ne passe pas par se sortir du jeu mondialisé, mais suppose de s’y adapter au mieux en protégeant nos secteurs clés qui nous permettent d’y être compétitifs. Aujourd’hui, les principaux ports commerciaux se situent en Asie (Singapour, Shenzhen, Shangai, Ningbo), la France est loin derrière avec Marseille et Le Havre qui sont modestes comparativement. Pourtant, l’avenir de la logistique se joue dans le transport maritime n’en déplaise à l’institut La Boétie. Comme l’affirme Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique : « Les « Compagnies des Indes » de notre siècle revêtent des formes multiples, à l’image du kaléidoscope des activités et de la mobilité internationale des capitaux. Les grands armateurs mondiaux (MSC, Maersk, CMA CGM, COSCO) dominent le transport maritime, avec des navires, conteneurs, grues et autres équipements construits en Asie (20 % des marins de commerce sont de nationalité philippine). (…) Les géants du transport maritime tendent à devenir des « intégrateurs » en se diversifiant dans la manutention et la gestion d’entrepôts portuaires à travers le monde, mais aussi dans le terrestre — jusqu’à, pour certains, la distribution de « dernier kilomètre » —, voire l’aérien. »

Les Compagnies des Indes ont donné au XIXème siècle un avantage stratégique décisif à l’Empire britannique. Plutôt que de rêver à des Chimères, soyons réalistes et construisons nos compagnies de demain.

  1. https://www.youtube.com/watch?v=Tl0pcZ_TNKc ↩︎


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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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