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Cellules islamistes…


Cellules islamistes…
La prison Saint-Joseph (aujourd'hui désaffectée), Lyon, 2009.
La prison Saint-Joseph (aujourd'hui désaffectée), Lyon, 2009.

Prières collectives illégales, apologie du terrorisme, prosélytisme omniprésent : le dernier ouvrage du sociologue Farhad Khosrokhavar[1. Prisons de France – Violence, radicalisation, déshumanisation : surveillants et détenus parlent, éditions Robert Laffont, 2016.] dresse un portrait alarmant des prisons françaises, devenues l’un des théâtres de la propagation de l’islam radical en France. Il aura fallu des centaines de morts pour que, en haut lieu, on prenne le problème au sérieux. Reste à se demander si les moyens mis en œuvre sont à la hauteur des enjeux.

Que se passe-t-il vraiment à l’ombre des cellules, derrière les portiques de sécurité, dans le secret des parloirs, entre les yeux des miradors ? Nous avons interrogé surveillants, hauts fonctionnaires de la pénitentiaire, directeurs honoraires ou en fonction, experts et conseillers qui, tous, vivent ou ont vécu la prison au quotidien. Derrière les grilles, on ne parle pas. Aussi ont-ils tous tenu à être protégés par un strict anonymat, refusant d’être identifiés, fût-ce par de faux prénoms.

« Dans les prisons parisiennes, il y a à peu près trois quarts de musulmans et seulement 5 % d’Européens. »

Surpopulation, insalubrité, le décor, propice à toutes les dérives, est connu. La première directrice interrogée, que l’on ne nommera donc pas, évoque les conditions de détention « très hétérogènes ». « Les condamnés à de longues peines sont en maison centrale, où ils bénéficient de cellules individuelles. En maison d’arrêt, en revanche, le surencombrement est endémique : de la cellule occupée par une seule personne au dortoir partagé par 17 détenus, c’est la grande loterie. » D’année en année, la Cour européenne des droits de l’Homme condamne la France pour manquement à l’obligation de fournir aux détenus des cellules individuelles. « On préfère payer plutôt qu’améliorer les choses », avoue un cadre de l’administration pénitentiaire. Un constat partagé par un surveillant de la prison de Fresnes, connue pour être l’un des pires établissements carcéraux en France. « Entre les cafards, les rats et les punaises de lit, c’est un vrai bestiaire, souffle-t-il. Ce n’est pas étonnant que les détenus finissent par verser dans l’islam radical. Quant aux surveillants, ils sont épuisés, à bout. On ne peut plus continuer comme ça. »

Pour commencer, il faudrait connaître la véritable ampleur du problème. Faute de statistiques officielles, interdites par la législation, « on fait des statistiques non officielles, confie un taulier. Dans les prisons parisiennes, il y a à peu près trois quarts de musulmans et seulement 5 % d’Européens. Lors du ramadan, 80 % des détenus des prisons franciliennes demandent des plateaux-repas compatibles avec leurs impératifs religieux ». L’une de ses collègues confirme : « Le Coran est, avec le Code de procédure pénale, l’ouvrage le plus emprunté dans les prisons. » Pour autant, tous deux rejettent toute corrélation systématique entre prison et radicalisation. « Il est ridicule de jeter la pierre à la seule pénitentiaire. Avant d’atterrir chez nous, ils ont fréquenté des terreaux infiniment plus favorables à la radicalisation. Il peut exister un phénomène de contagion, mais la prison est loin d’être un élément déclencheur. » Les chiffres leur donnent raison : seuls[access capability= »lire_inedits »] 16 % des personnes impliquées dans des actes terroristes sont déjà passés par la case prison.

Un directeur de prison: « La plupart des nouveaux intégristes ne connaissent rien à l’islam. Je suis plus renseigné qu’eux sur la vie du Prophète ! »

L’ouvrage de Khosrokhavar, truffé de témoignages édifiants, dévoile cependant la prégnance de l’islam en milieu carcéral et les tensions qui en découlent. « Avec la constitution par les musulmans d’un groupe extrêmement important en prison, l’islam est devenu un enjeu majeur, notamment eu égard à la radicalisation et aux problèmes d’ordre sécuritaire », écrit le sociologue. Nombre de détenus se convertissent par opportunisme. Pour faire face à la solitude et à l’isolement, ils trouvent en l’islam une protection, une communauté, une manière comme une autre de survivre à l’enfermement. « Quand on fait un délit crapuleux comme tuer des enfants, on se convertit et les musulmans vous défendent », avance l’un d’eux. Un autre justifie les vols dans un pays non islamique. « Si voler ou braquer peut aider l’islam, alors c’est un acte pieux ! » À la question : « Peut-on être un bon musulman et un délinquant à la fois ? » un autre répond en toute bonne foi : « Où est la contradiction ? » Au-delà de ces cocasses anecdotes, l’ouvrage montre un climat explosif, perceptible à travers l’exemple de détenus musulmans s’inscrivant au culte catholique dans le seul but d’y faire éclore des « dissensions et polémiques mettant en cause la dignité du culte religieux ».

Reste à savoir comment on passe de délinquant à djihadiste. Cela tient plus souvent du bricolage religieux que de l’épiphanie mystique. « La plupart n’y connaissent rien, observe, narquois, ce directeur de prison. Ils font à peine la différence entre sunnisme et chiisme. Je suis plus renseigné sur la vie du Prophète qu’eux ! »

Psychologue au sein des prisons, Éliane analyse deux profils : « D’abord, les radicalisés ayant déjà un potentiel de disponibilité, car ils ont engrangé énormément de frustrations, de manques : la doctrine proposée par Daesh peut répondre à leurs frustrations. On retrouve, dans leur cas, beaucoup de troubles psychologiques : des psychopathes, des bipolaires… » De l’autre côté, les « victimes » : « Ils peuvent être sous l’emprise de quelqu’un et estiment avoir manqué de quelque chose. Souvent, ils ont un discernement annihilé et fonctionnent sur un mode binaire : croyant/incroyant, pur/impur… » La psychologue s’interroge sur la réversibilité du processus de radicalisation. « Tout dépend du degré d’engagement du sujet. Si l’environnement familial est très présent, c’est possible ; si l’individu est allé plus loin, je ne crois pas à la repentance. » « La radicalisation, c’est comme un cancer : c’est réversible jusqu’à un certain point », confirme un chef d’établissement.

La prise de conscience a été très lente

Encore faudrait-il se donner les moyens de lutter contre ce cancer, ce qui suppose de le dépister. Or la prise de conscience a été très lente, comme le souligne cette directrice de prison : « J’ai commencé à envoyer des courriers au siège de l’administration pénitentiaire pour leur demander quoi faire par rapport aux radicalisés il y a dix ans, se souvient-elle. Ils m’ont répondu qu’ils ne savaient pas comment agir. » Ce sentiment d’impuissance est partagé par de nombreux cadres de l’administration pénitentiaire. « On n’a jamais eu de formation au renseignement, s’alarme l’un d’eux. On fait notre petite cuisine derrière nos hauts murs. On est livrés à nous-mêmes. » Comme le sont les surveillants, pourtant en première ligne. « Certains surveillants s’écrasent devant l’islam, parce qu’ils savent que c’est une manière comme une autre d’avoir la paix, confirme l’un d’eux. D’autres ne rapportent pas à la hiérarchie des informations cruciales, parce qu’ils considèrent que ce n’est pas leur boulot. Bien que minoritaires, ils font honte à la profession. »

Quant aux politiques mises en place, elles sont pour le moins timides, y compris en matière de détection des détenus dangereux. « Notre erreur, c’est d’avoir refusé le triptyque détection/neutralisation/dispersion », s’agace un chef d’établissement. Les indices ne manquent pourtant pas pour identifier un individu en phase de radicalisation : « Si un prisonnier qui recevait une abondante correspondance ne reçoit plus rien, s’il tient subitement des propos politiques, s’il met plus de soin dans son habillement – pour éviter d’être repéré –, c’est suspect », énumère-t-il.

Les règles juridiques européennes empêchent les directeurs de prison de prendre des mesures adaptées

Les meilleurs principes peuvent accoucher des situations les plus dangereuses. En France, le respect des droits individuels s’impose jusque dans les prisons. « On n’espionne pas en prison, on contrôle, précise un directeur d’établissement. Aujourd’hui, la cellule est considérée comme un domicile qui échappe à ce contrôle. » Les espaces communs (ateliers, salles de classe, coursives) sont soumis à une surveillance électronique et humaine. Mais les conversations téléphoniques des détenus, parfois écoutées en temps réel, ne sont pas enregistrées. « À quoi ça sert ? ironise un surveillant. De toute manière, en prison, presque tous les détenus ont accès à des téléphones portables ! » Ainsi s’échangent, dans le secret des cellules, des ouvrages salafistes et des prêches radicaux. Certaines lacunes, comme l’absence de fouille systématique des visiteurs aux parloirs, semblent inexplicables. « On ne les filme pas systématiquement, confie le surveillant d’une prison francilienne. Beaucoup de drogue transite par ce biais. La moitié des familles “visitantes” apporte du cannabis aux détenus. »

Les règles juridiques européennes empêchent souvent les directeurs de prison de prendre des mesures adaptées, face à la radicalisation des détenus. « On n’a pas le droit aux sanctions collectives, et nos cellules d’isolement sont trop peu nombreuses », regrette, en chœur, l’ensemble des cadres pénitentiaires interrogés. La loi elle-même ne sait que faire vis-à-vis de la radicalisation qui, aujourd’hui encore, n’est pas considérée comme un délit. « Ce flou juridique nous lie pieds et poings, déplore un directeur de prison. Impossible de faire pression sur les détenus, sur leurs amis ou leurs familles. On se débrouille comme on peut, mais souvent on ne peut pas grand-chose. La prise de conscience des cabinets ministériels successifs a été beaucoup trop longue. » Pour faire face à cette menace, le renseignement au sein des prisons, arme indispensable, « existe, mais de manière embryonnaire, explique un haut fonctionnaire ayant travaillé sur le sujet. Depuis des années, on demande à ce que des postes d’officiers y soient affectés, mais cette demande demeure lettre morte ».

Il aura fallu des mois d’état d’urgence et deux attentats pour qu’enfin ce sujet soit traité sérieusement : depuis juin 2016, la prison est intégrée au « second cercle du renseignement », et l’équipe affectée à cette problématique passera, dans les prochains mois, de dix à 50 personnes. Pour faire du renseignement en prison, on dispose d’un réseau complexe de capteurs composé de surveillants, d’enseignants, de personnels d’insertion, de médecins, de familles et de détenus. « Quand l’un de ces capteurs nous fournit une information, nous la croisons avec d’autres sources, détaille un directeur de prison. Si elles sont vérifiées, nous prenons les mesures nécessaires et les ajoutons à des fichiers : ainsi, une simple information devient le rouage d’un complexe système de renseignement opérationnel. » Les informations obtenues de cette façon permettent souvent d’éviter une évasion, ou de révéler l’existence de cellules de radicalisation.

« Le strict respect des lois, c’est une zone blanche. L’illégalité, c’est une zone noire. Souvent, on navigue dans des eaux gris foncé »

Ce système se heurte toutefois à l’obligation faite à l’administration de détruire les fichiers carcéraux des détenus dix-huit mois après leur libération – délai étendu à dix ans pour les détenus les plus sensibles. « L’interdiction faite à l’administration pénitentiaire de créer des fichiers nominatifs sur les détenus nous désarme », peste un autre taulier. Cette mesure empreinte d’humanisme représente un grave danger pour la sécurité des prisons, explique un haut cadre de l’administration pénitentiaire. « Prenons un exemple concret : si un détenu A demande une permission de sortie pour aller chez une personne C, et que deux ans plus tard, un détenu B demande la même faveur pour aller chez la même personne, l’absence de fichiers nominatifs nous empêche de constater un lien de proximité entre les personnes A et B, qui pourrait pourtant nous éclairer. » Devant l’absurdité de certains textes, on s’accommode comme on peut. « La loi nous désarme. Dans le strict respect des règles, tout renseignement en prison serait impossible », assène le même cadre. Directeurs de prisons et hauts responsables empruntent donc des chemins de traverse pour éviter les déperditions d’informations. « Le strict respect des lois, c’est une zone blanche. L’illégalité, c’est une zone noire. Souvent, on navigue dans des eaux gris foncé », explique-t-il sans vouloir donner de plus amples détails.

Alors qu’il est urgent de donner à l’État les moyens de savoir ce qui se trame en cellule, le seul pont institutionnel entre les détenus musulmans et l’administration, ce sont les imams, souvent amenés à jouer le rôle d’indicateurs malgré eux. « Ce n’est pas pour rien si on en recrute de plus en plus, souligne une directrice de prison. Ils sont les seuls à pouvoir ouvrir un dialogue. »

« Les radicalisés constituent une minorité qui se vit comme opprimée. Toute la pédagogie du monde ne sert à rien. »

En attendant, les acteurs de l’administration pénitentiaire en ont assez d’être accusés de tous les maux de la société alors qu’ils ont le sentiment de faire ce qu’ils peuvent avec peu. « Il faut arrêter de répéter qu’on ne fait rien contre la radicalisation en prison : la société dans son ensemble est à blâmer, pas nous », s’énerve une cadre. Recrutement d’imams non salafistes et ateliers « citoyenneté et vivre-ensemble », les initiatives se multiplient, toutes empreintes d’excellentes intentions, dont on aimerait croire qu’elles changeront le cours des choses : « Nous mettons au point des brochures antiradicalisation, des flyers, des formations spécialisées. Nous recrutons des binômes de soutien composés d’éducateurs et de psychologues qui travaillent auprès des jeunes », détaille-t-elle. L’un de ses collègues se montre plus circonspect : « Les radicalisés constituent une minorité qui se vit comme opprimée, analyse-t-il. Ainsi, toute la pédagogie du monde ne sert à rien. »

Autant dire que personne n’a encore trouvé la martingale de la déradicalisation. Faut-il alors, comme le réclament certains, ouvrir des unités réservées aux radicalisés ? « C’est une aberration, soupire un cadre de la pénitentiaire en levant les yeux au ciel. L’idéal, ce serait de faire des rotations de sécurité en mettant les profils radicalisés à l’isolement, et en les changeant de prison tous les trois mois. » Le manque de cellules d’isolement – on en compte dix pour une prison de 600 places – range cette solution au rayon des utopies. « La prison ne sera plus un territoire perdu à partir du moment où de bons imams feront leur travail et mettront fin au règne de l’islam politique en prison », prophétise un autre, ajoutant qu’il faudra cinq à dix ans pour structurer le renseignement en prison. En attendant ? C’est un surveillant qui donne la réponse : « On continuera à faire ce qu’on fait de mieux : fermer les yeux, serrer les dents. »[/access]


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