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Paris, ville en voie de développement

Une ville peut être en voie de développement, mais qu’en est-il d’une jungle ?


Paris, ville en voie de développement
Paul Maumont - Bertrand GUAY / AFP - Mario FOURMY/SIPA

Outre la saleté et la dégradation, notre capitale souffre d’un mal plus inquiétant encore. Ses rues offrent un spectacle qu’on ne voyait, jusqu’à présent, que dans les villes extra-européennes.


Sacha Guitry disait : « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console. » Si Paris pouvait parler, la pauvre dirait aujourd’hui : « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je m’affole. » Notre capitale ne cesse de creuser l’écart avec ses consœurs occidentales. De part et d’autre de la Seine, tout se détraque, tout se déglingue sans qu’aucun signal permette de croire à une amélioration de la vie quotidienne. Le spectacle que nous offrent les rues de ce qui a été la Ville lumière en est la preuve « éclatante ».

Comme dans les villes du Maghreb, le paysage urbain est encombré par de nombreux chantiers fantômes ou inachevés. Les barrières qui encadrent un trou creusé au milieu d’un trottoir ou d’une chaussée peuvent y rester des semaines, voire des mois, sans aucune intervention. Et lorsqu’il n’y a pas de barrière, certains de ces trous sont comblés par des plots fluo qui, plantés la tête en bas, se convertissent en poubelles débordantes de détritus au ras du sol.

Par ailleurs, l’Hôtel de Ville ne juge plus utile, depuis des années, d’employer des géomètres pour refaire le niveau des chaussées et des caniveaux. Sans dénivelé correct, ces derniers refluent dès la moindre pluie, et les eaux accumulées mettent longtemps à s’écouler vers les égouts. Ces mares stagnantes sont infranchissables pour les piétons et l’on s’attend, aux abords de quelque grille obstruée, à voir surgir un varan, comme il en sort des sous-sols humides de Bangkok.

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Comme à Rio, les touristes sont appelés ici à la plus grande vigilance, et les précautions qu’on leur demande de prendre sont identiques à celles qui se transmettaient au Brésil il y a vingt ans : ne pas porter de montre, de collier, de sac en bandoulière… sous peine de se les faire arracher violemment. Ces vols brutaux sont quotidiens dans ce qu’on appelait jadis les « beaux quartiers ».

Comme à Jakarta, il faut ajouter à la circulation automobile (ne parlons pas des vélos et des trottinettes) celle des tuk-tuk. Ces triporteurs bricolés pour transporter quatre à huit personnes bénéficient d’une étrange tolérance de la part de la Mairie et de la Préfecture. Ces véhicules accueillant des passagers n’ont ni ceinture de sécurité ni plaque d’immatriculation. Ils sont conduits par des membres de ces familles-gangs venues de Bucarest ou de ses environs, ceux-là mêmes qui composent ces hordes de mendiants partout étalés sur les trottoirs. Ce sont des réseaux de traite humaine, avec des patrons et des hommes de main, ils sont connus, ils sont localisés et on laisse faire. Vieillards, femmes et enfants sont déposés par des camionnettes dans un quartier au petit matin puis sont ramassés le soir par ces mêmes camionnettes qui les conduisent dans des campements sauvages aux portes de Paris. Durant la journée, ils font la manche plus ou moins paisiblement alors que les adolescents, arrivés avec eux, font les poches des passants. Ces groupes organisés ne restent jamais longtemps dans le même coin, aussi, tout Parisien, où qu’il soit, a ou aura une cour des miracles en bas de chez lui.

Comme dans la banlieue de Yamoussoukro, des marginaux sous l’emprise de crack vivent sur des matelas crasseux, à même le sol. Seuls ou en groupe, ils zonent dans les gares, aux abords des bretelles du périphérique, exposent leurs crises de manque ou de délire aux yeux de tous. Leurs campements sont régulièrement démantelés, déplacés, recomposés, redémantelés, etc.

Leurs abris de fortune voisinent parfois avec ceux d’immigrés clandestins qui bénéficient, là encore, d’une curieuse tolérance. Ainsi, celui de la place de la Bastille a-t-il été évacué après plus d’un an, non parce que les plaintes des riverains avaient fini par être entendues, mais parce qu’un contrôle sanitaire a révélé que les quelque 150 personnes qui campaient face à l’opéra avaient la gale.

Comme à Addis-Abeba, on croise des femmes voilées. Mais à Paris, on ne voit pas ces voiles transparents aux couleurs vives ou pastel qu’arborent les belles Peules. Ici, ce ne sont que noir, gris et marron : les couleurs austères de l’islam hostile.

Comme dans les rues les plus pauvres de São Paolo ou de Los Angeles, la pauvreté est devenue une tare physique : les corps malnutris sont obèses et ce qui a longtemps été ici une exception est devenue la démonstration d’un déclassement généralisé.

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À cela s’ajoute la mode vestimentaire qui prône l’avachissement et la silhouette de zadiste pour tous, baskets, casquette, capuche, jogging, pantalon troué… qui donnent à la foule autrefois élégante des allures de flot de réfugiés.

Comme à La Havane, nos édiles construisent des tours en béton en méprisant le bâti historique et le maillage urbain. Cette aberration écologique ne choque pas notre maire qui se dit écolo et se double d’un sérieux anachronisme : le temps n’est plus aux centres commerciaux, aux bureaux et aux grands sièges d’entreprises.

Comme à Pyongyang, les gens attendent de plus en plus nombreux aux arrêts d’autobus. Là-bas la discipline impose une file qui permet aux premiers arrivés – qui ont donc attendu le plus longtemps – de monter les premiers à bord ; ici c’est la foire d’empoigne et à qui saura le mieux jouer des coudes.

Paris n’a jamais été une ville ségrégationniste, mais il est certaines lignes de bus qui semblent réservées à certaines populations. S’y presse une multitude bigarrée dans laquelle des poules en cage ou quelques ballots de linges roulés ne dépareilleraient pas.

Comme nulle part ailleurs, la déglingue générale s’affiche dans l’espace public : les horloges municipales sont de moins en moins entretenues, donnent donc de moins en moins l’heure exacte et, parfois, n’en donnent aucune car leurs aiguilles sont brisées et ne sont pas remplacées.

Comme nulle part ailleurs, l’anomie a été institutionnalisée et permet aux vélos et aux trottinettes électriques de rouler à contresens et de ne pas respecter les feux de circulation, de rouler sur les trottoirs et de se garer n’importe où.

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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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