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Tant qu’il y aura des films

Retrouver le chemin des salles de cinéma reste une nécessité si l’on veut bien considérer que le grand écran, c’est la bonne taille pour regarder un film. Deux nouveautés et une ressortie pour s’en persuader.


Au suivant  !

Un beau matin, de Mia Hansen-Løve

Sortie le 5 octobre

Affiche du film

Alors qu’est relancé le serpent de mer de l’euthanasie pour tous, les cinéastes français n’en finissent pas de nous tendre des miroirs plus ou moins talentueux sur la fin de vie. On avait laissé l’an passé François Ozon et son Tout s’est bien passé, avec un Dussollier cabotinant un peu trop dans le rôle du vieux caractériel au bord de la tombe, roi Lear tyrannisant ses deux filles compatissantes. Mais on est beaucoup plus convaincu par l’interprétation que fait de cette figure l’impeccable et rohmérien Pascal Greggory. Il est en effet à l’affiche du nouveau film écrit et réalisé par la réalisatrice française Mia Hansen-Løve qu’on connaissait jusque-là dans un cinéma plus corseté et moins empathique. Un beau matin s’inspire directement des derniers mois de la vie de son père qui perd peu à peu le contact avec la réalité. Cette proximité avec son sujet explique assurément que le film, contrairement aux précédents, baisse la garde d’une écriture trop sage et d’un univers balisé : le dernier, Bergman Island, se mettait carrément dans les traces du cinéaste suédois révéré. Ici, on oublie les références trop pesantes et la famille décrite par la réalisatrice s’avère absolument réjouissante, même dans un contexte forcément dramatique. Au premier rang donc, ce père, ancien prof adulé par ses étudiants, qui est atteint d’une maladie neurodégénérative dont il accepte assez bien les symptômes. Sa fille, jouée par Léa Seydoux (depuis France, le film cruel mais juste de Bruno Dumont, elle trace le sillon d’une actrice hors norme et capable de tout), souhaite assister son vieux père et vivre avec lui la cérémonie des adieux. Tout en lui cherchant une place dans un Ehpad pas trop cher et parisien. Ce qui, on le sait, revient à chercher la perle rare… Le film tire parfaitement son épingle du jeu de ce versant réaliste, presque documentaire, entre renoncement, accablement et soulagement. On trouve même des ferments de comédie dans cette course au trésor surréaliste. Et dans ce rôle d’orpailleuse, Seydoux fait des merveilles. À ses côtés, une mère absolument loufoque jouée et déjouée par Nicole Garcia plus que parfaite : elle y incarne une bobo parisienne reconvertie dans l’activisme forcené qui jouit de passer la nuit dans un commissariat de police. Portrait au vitriol d’une fofolle progressiste, ridicule précieuse de notre temps et qui, semble-t-il, existe bel et bien dans la réalité familiale de la réalisatrice. Ce parfum d’authenticité renforce le plaisir que l’on prend aux tribulations de cette révolutionnaire des beaux quartiers. C’est dans ce quotidien débridé que se noue une rencontre amoureuse entre le personnage de Seydoux et un « cosmo-chimiste explorateur » auquel Melvil Poupaud prête son indéniable charme rohmérien. Cet adjectif est de mise, au moins dans la façon dont Mia Hansen-Løve traite cette histoire dans l’histoire que n’aurait pas reniée Éric Rohmer. Un beau matin a souvent le bavardage brillant et l’érudition classique. Ce « conte de la fin de vie » se double donc d’un « conte amoureux », les deux dimensions se rencontrant assez harmonieusement. Les états d’âme des uns font écho aux coups de folie et de blues des autres. Le conte se fait chronique et inversement, sans perdre le spectateur en route.

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Mais, il faut y revenir, un acteur porte le film sur ses épaules de bout en bout, et c’est Pascal Greggory. On pouvait tout craindre de ce rôle à effets de pathos potentiels. On connaît la chanson de la représentation outrée et outrancière de la maladie, de la mort et de la sénilité. L’acteur fétiche et de Rohmer et de Chéreau, entre autres, joue une autre carte bien plus subtile et complexe. Il use d’un nuancier admirable pour représenter cet esprit qui s’en va, cette intelligence qui se met en sommeil, cette vieillesse qui retombe en enfance. On y croit sans avoir le sentiment d’être pris en otage par un protocole compassionnel imposé et indésirable. La cinéaste et son acteur multiplient les scènes d’une justesse absolue sans jamais provoquer de malaise voyeuriste chez le spectateur. Ce Beau matin là a la grâce.

Au scalpel

R.M.N., de Cristian Mungiu

Sortie le 19 octobre

NMobraFilms – Pathé

R.M.N., en roumain, c’est notre IRM à nous. Le nouveau film du très remarquable cinéaste roumain Cristian Mungiu s’impose d’entrée de jeu comme une étude microscopique de la société roumaine à partir d’un petit village des Carpates, à la frontière hongroise, pris sous la double dictature bureaucratique de la mondialisation et des directives européennes. Sans compter l’arrivée de migrants qui brouille les cartes et les repères. Mungiu a l’extrême intelligence de ne condamner personne a priori et surtout pas les tentations de repli sur soi et de protection. Il s’interroge sur la façon dont les mécanismes économiques en cours entraînent des comportements humains parfois erratiques, mais jamais infondés. Une incroyable scène de conseil municipal en forme d’exutoire collectif, longue de vingt minutes, renforce cette impression d’analyse équilibrée. Avec un tel film, le cinéma politique retrouve ses lettres de noblesse. Et c’est d’ailleurs certainement la raison (idiote) pour laquelle il est reparti bredouille du dernier Festival de Cannes présidé par un Vincent Lindon qui décidément passe à côté de ce en quoi il fait profession de croire.

À l’os

Le Jouet de Francis Veber

Sortie le  19 octobre

Affiche du film

C’est assurément le film le plus caustique, le plus drôle et le plus radical de son auteur-réalisateur, Francis Veber. Sorti en 1976, il est bien plus mordant que son languissant Dîner de cons ou ses poussifs tandems avec Depardieu et Pierre Richard. Ce dernier partage l’affiche de ce film hors norme, Le Jouet, avec Michel Bouquet, glaçant, glacé et glacial. Et au milieu de ce duo, un enfant, le fils d’un grand patron (c’est Bouquet) qui veut comme cadeau, comme jouet, l’un des employés paternels (et c’est Richard). Abyssale situation de départ. De ce démarrage iconoclaste et incorrect, Veber fait un film qui tient la note jusqu’au bout. Soit un véritable conte cruel qui pourrait figurer dans une comédie italienne des années 1970 où il serait question de monstres quotidiens. Le casting est à la hauteur du propos. Depuis 1976, on cherche un alcool fort de ce type au cinéma. La plus mauvaise idée serait d’en faire un remake forcément pâle et à l’aune des lâchetés sociales actuelles. C’est hélas chose faite et le film sort bientôt. Il est absolument urgent de le bouder et d’aller voir ou revoir l’original, le seul, l’unique, sur grand écran.

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Le rap, c’est aussi une histoire de France !

Une série diffusée sur Arte, Le Monde de Demain, décrit la naissance du groupe NTM sur fond d’explosion du Hip Hop.


La mini série d’Arte, Le monde de demain, des réalisateurs Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, retrace la naissance du hip hop en France et plus précisément, la genèse du groupe NTM. Parler de rap, de Seine Saint Denis et de « nique la police », n’est pas très populaire sur Causeur, mais le rap, c’est aussi la culture du « clash » et j’accepterais volontiers de me faire « clasher », après tout, ce sont les règles du jeu.

Quand la lumière venait du 9-3

Le hip hop, ça n’est pas ma culture, toute occupée que j’étais dans ma jeunesse à écouter du rock et à parfaire ma connaissance des groupes anglais des années 60. Je le regrette, maintenant. Car dans le hip hop, au début des années 80, on ressentait cette énergie folle qui fit vibrer l’Angleterre des 60’s, ou plus tard, celle du punk, qui fut notre dernière dose d’amphétamines, pour nous les « Blancs », avant l’ennui. Il fallut donc que la banlieue, le 9-3 vienne nous réveiller.

Si j’ai beaucoup aimé la série, c’est avant tout parce qu’elle raconte une histoire, et pas seulement un fait de société. L’histoire de Didier Morville dit Joeystarr, de Bruno Lopes dit Kool Shen, mais aussi du DJ (disc-jockey) Dee Nasty, et de toute une bande de danseurs de hip hop et de grapheurs. De filles aussi, qui gravitent autour, qui doivent s’imposer, avec un parcours plus tragique.

Didier et Bruno sont deux petits gars de Saint Denis – « c’est d’la bombe baby » – la bombe faisant ici référence à la culture du graffiti, mais hélas, en 2022, cela résonne différemment. Didier est antillais, fils unique, et se fait tabasser par son père, il dira plus tard : « La ceinture c’est culturel chez nous ». La mère est absente. Bruno, mi breton mi portugais, vit dans une résidence, il vient donc d’un milieu un peu plus « aisé », mais surtout est entouré de parents aimants.

Les deux lascars s’ignorent, jusqu’à ce que le hip hop les réunissent. En effet, lors d’une sortie au Trocadéro, ils tombent en admiration devant un groupe de danseurs de hip hop. Et leur vie prendra enfin un sens.

Cependant, au commencement, il y eu le DJ Dee Nasty, de son vrai nom : Daniel Bigeault. C’est lui qui a importé le hip hop en France, après un voyage à San Francisco. S’il est devenu plus tard un DJ mondialement connu, il ne connut pas les débuts fulgurants de NTM. Il apparaît dans la série comme un prophète, celui qui prêche la bonne parole hip hop, mais qui galère. Il n’a pas la tchatche de ses potes, pourtant il bosse dur.

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Il fut vraiment un pionnier, qui a essayé d’insuffler, en vain, l’esprit hip hop à la mythique radio libre :  Carbone 14. Il officie plus tard sur la non moins mythique – mais plus officielle – Radio Nova. Encore une fois, cela se passe mal. Pourtant, c’est grâce à lui, qui avait investi un terrain vague à La Chapelle, où grapheurs et danseurs de hip hop pouvaient donner libre cours à leur créativité canaille, et – à l’époque illicite – que Didier Morville et Bruno Lopes sont devenus Joeystarr et Kool Shen. A la tête, avec DJ S, du posse Suprême NTM. Car NTM, au départ, c’est toute une bande. Le rap, la danse et le graph ne font qu’un. Le 9-3 et le Nord de Paris sont devenus, grâce à eux, l’espace d’un moment, notre Harlem à nous.

La série aurait d’ailleurs pu s’appeler Le monde d’hier, tant cette énergie, cette façon de revendiquer, non pas une appartenance raciale, mais l’identité d’un quartier, le 9-3, qui à l’époque débordait de vitalité, nous semble à des années-lumière de ce que nous vivons aujourd’hui.

Comme souvent, Joey et Kool Shen ont commencé leur carrière musicale sur un malentendu, par défi, pour répondre au chanteur du groupe Assassin qui ne les croyait pas capables d’écrire des textes et de les interpréter. Ils furent repérés et signés (avec l’aide de Nina Hagen) par le label Epic Record, et enregistrent le single « Le monde de demain » (qui donne son titre à la série), sur un sample de Marvin Gaye, et un texte, mythique et définitif, de Joey et Kool Shen : « Le monde de demain, quoiqu’il advienne nous appartient, la puissance est dans nos mains, alors écoute ce refrain ». La suite, nous la connaissons.

Pureté sauvage

Pour les besoins de cette chronique, j’ai regardé des vidéos de NTM en concert. C’est impressionnant, à la fois de précision et de pureté sauvage. Kool Shen à un « flow » énergique, qui claque comme un métronome, tandis que Joey évolue, tel un félin, avec un charisme qui sature l’espace. Il ponctue les morceaux de cris, de râles, et sa gestuelle est chaloupée, il est partout, il parcourt la scène, un peu comme un chanteur de rock – le Mick Jagger des débuts des Stones – peut-être. J’ai d’ailleurs un ami qui affirme que NTM est le plus grand groupe de rock français.

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Maintenant, Joey est devenu un acteur reconnu (ironiquement, il est excellent dans le rôle d’un flic dans Polisse) et Kool Shen presque un businessman (il a toujours eu la tête sur les épaules.)

Malgré tout ce qu’on peut dire sur ce groupe, sur le soufre qu’il véhicule, ils resteront, en plus d’être des bêtes de scène, les auteurs de textes qui touchent, qui bousculent, qui innovent : « Sache qu’ici bas, plus qu’ailleurs la survie est un combat, à base de coups bas, de coups de ton-bâ, d’esquives et de « paw » de putains de stomba ». (Laisse pas traîner ton fils). Qu’on le veuille ou non, des sortes d’héritiers de Ferré.

Respect.

Le Monde de demain, disponible sur Arte, six épisodes de 48 minutes.

Confessions intimes, pour quoi faire ?

Dorénavant, les célébrités satisfont leur narcissisme (inhérent à la société actuelle) en étalant leur vie et leurs états-d’âmes dans des « oeuvres ». La production artistique ne découle plus de l’artiste mais incarne l’artiste même, dont le sujet doit déchainer les passions.


Il paraît que musiciens, présentateurs et comédiens se livrent de plus en plus sur leur vie intime, dans des livres, des chansons ou sur scène (Le Parisien).

Pour quoi faire ? Pourquoi, aujourd’hui, l’exhibition est-elle devenue non plus une tare mais une obligation ?

Je me demande si cette présentation sans fard de soi ne démontre pas la pauvreté de l’imagination, le caractère relatif du talent, qui a besoin de disposer d’un capital personnel pour s’exprimer.

Mais aussi le narcissisme de certaines personnalités qui s’imaginent que leur « je » est universel et va intéresser bien au-delà de leur cercle immédiat…

J’admets que chaque subjectivité a ses préférences, ses dilections. En ce qui me concerne, il y a des êtres qui sont placés dans la lumière qui ne m’intéressent absolument pas parce que, à tort ou à raison, je suis persuadé qu’ils ne m’apporteront rien, qu’aucune de leurs pensées, aucun de leurs sentiments ne m’enrichiront. Non pas qu’ils soient forcément médiocres mais plutôt à cause de l’intuition qu’il y a des artistes, des vedettes dont la réputation n’est pas à la hauteur de ce qu’ils croient devoir nous transmettre, qui oscille souvent entre le banal ou l’insignifiant.

Le paradoxe est que la grande littérature – par exemple celle d’Annie Ernaux – est de plus en plus centrée sur l’auteur, son univers, et que le commun s’imagine qu’après tout il est infiniment simple de se montrer, de se décrire et de se proposer comme modèle. La conséquence en est que nous vivons dans un monde appauvri parce que les richesses dont on nous gratifie ne sont pas de qualité et que pour une artiste ou un chanteur brillant, passionnant, on doit en subir tant qui ne méritent pas le détour.

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Les confessions intimes sont la rançon d’une universalité défaillante. Le coeur vulgaire ou démagogique d’une humanité qui ne sait tourner qu’autour d’elle-même, en cherchant à se faire passer pour l’essentiel.

Qu’on compte tous ceux qui, dans l’impudeur, l’indécence ou la vulgarité, évoquent leur santé, leurs maladies, leurs états d’âme, leurs turpitudes, leurs faiblesses. Faute d’avoir des grandeurs et des noblesses à raconter, on s’abandonne à des petitesses et à de minuscules péripéties.

Par ce billet, je semble quitter la politique mais pourtant je suis frappé par un vice qui est consubstantiel à cet univers : l’inégalité intellectuelle. On n’ose pas le dire mais il suffit de suivre les débats de l’Assemblée nationale pour constater que, par exemple à La France insoumise, pour un François Ruffin de plus en plus lucide, on a un Thomas Portes dont une intervention adressée à Gérald Darmanin a été totalement délirante.

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Il n’est pas élégant de souligner comme, derrière l’humanisme abstrait qui se plaît à ne distinguer personne, il y a d’incontestables hiérarchies, des supériorités et des infériorités, que tout ne se vaut pas, que les confessions intimes des uns auraient dû demeurer dans le for intérieur, alors que d’autres trop rares ont cet immense avantage de nous parler de nous au travers d’elles.

Parce que je crois à la dure et implacable loi d’un monde qui n’a de cesse, pourtant, de tenter de se masquer la vérité : il y a ceux qui ont la grâce et les autres qui en sont orphelins.

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17 octobre, quand la guerre des mémoires nourrit l’appel à la vengeance

Le 17 octobre, selon que vous soyez un identitaire de droite, un identitaire de gauche, ou encore un islamiste, la date ne renvoie pas à la même référence. En revanche l’objectif est similaire : désigner l’ennemi et en appeler de façon subliminale à la vengeance. « L’affrontement » s’est déroulé de façon virtuelle et symbolique sur les réseaux sociaux, ce 17 octobre 2022, l’extrême droite tentant d’opposer au #17octobre1961 particulièrement cher sur le web aux islamistes et islamogauchistes, le souvenir du 17 octobre 1995.


La mise en avant du 17 octobre 1995 par l’extrême-droite a pour but de réveiller un traumatisme collectif enfoui. En faisant ressurgir l’attentat commis dans le RER C en 1995, l’objectif est ici de rappeler qu’une série d’attentats islamistes ont déjà eu lieu en France avant leur regain actuel. Ces attentats qui se sont déroulés entre juillet et octobre 1995 ont fait dix morts et près de 200 blessés. Ils sont liés au contexte de guerre civile qui se déroule à l’époque en Algérie et sont attribués au GIA (Groupe Islamique Armé) qui avait lancé le djihad sur le territoire français. Pour Damien Rieu, rattacher ce souvenir collectif à la date du 17 octobre est donc l’occasion de faire le lien entre violences, attentats et immigration dans un contexte où le meurtre atroce de Lola par une ressortissante algérienne a traumatisé les Français. C’est tout le sens de son tweet qui substitue à la date du 17 octobre 1961 celle du 17 octobre 1995 : [sic] « Le 17 octobre 1995 Smaïn Aït Ali Belkacem fait exploser une bombe dans le RER C. 30 blessés. Ni @EmmanuelMacron, ni @Anne Hidalgo n’en parleront : cet attentat n’aide pas à faire diversion #Lola ». Le tweet suppose donc que la mobilisation des islamistes, indigènes de la République et autres La France insoumise autour de la date du 17 octobre 1961 est là pour faire oublier le meurtre de la jeune Lola et une fois de plus, substituer à une horreur réelle et immédiate, un évènement historique que les islamistes exploitent depuis longtemps pour attiser la haine chez les musulmans. Il faut hélas reconnaitre que l’on a tous pu être gêné par le nombre de fois où, après des attentats atroces, islamistes et islamogauchistes ont tenté de faire porter le débat sur les risques de représailles envers les musulmans comme pour évacuer plus rapidement la réalité des victimes, alors même que les Français ne faisaient pas d’amalgames douteux, eux.

En revanche, pour l’extrême-gauche et les islamistes, cette date renvoie au 17 octobre 1961. A l’époque le contexte est lourd, la guerre d’indépendance se déroule en Algérie. A Paris, entre fin aout et début octobre, des commandos du FLN (Front de libération national) algérien prennent pour cible les policiers. Au cours de 33 attentats, 13 policiers sont tués. Ils sont exécutés quand ils sont isolés, en rentrant chez eux ou en partant au travail. C’est dans ce contexte qu’a lieu la manifestation du 16 octobre, alors que les policiers exaspérés nourrissent un fort ressentiment contre les militants algériens. Le FLN veut faire de ce défilé contre le couvre-feu imposé aux seuls Algériens, une démonstration de leur force et de leur emprise sur la communauté algérienne en France. Le 17 octobre, le nombre de participants à la manifestation est très élevé, autour de 50 000 personnes. La répression sera terrible et on estime à une centaine de personnes le nombre d’Algériens tués. Cette date, expurgée de tous les éléments de contexte, est devenue une référence pour l’extrême-gauche et les islamistes. Elle permet de faire le procès de l’Etat français en laissant entendre que depuis rien n’a changé et que la France et sa police continuent d’assassiner impunément. C’est ce qu’exprime crûment le tweet de Sihame Assbague, militante racialiste proche des islamistes : « Ce sont des crimes de la République. Un massacre colonial perpétré par l’Etat FR. Ce 17 octobre 1961, des milliers d’algériens qui manifestaient contre les mesures racistes de la Préfecture ont été raflés, tabassés, des dizaines d’entre eux noyés dans la Seine par la police. On n’oublie ni les victimes de 17 oct ni celles qui sont venues allonger la longue et funeste liste des tués par l’EtatFR. Leur rendre hommage c’est dire correctement les choses, répondre aux revendications des collectifs du 17oct & ne pas occulter la continuité de ces crimes ».

Bien entendu on peut compter sur la La France insoumise pour jeter de l’huile sur le feu et reprendre cette dialectique qui n’a vocation qu’à ancrer l’idée que les musulmans sont non seulement persécutés mais que leur souffrance est ignorée aujourd’hui comme hier. Clémentine Autain ajoute donc une couche à l’instrumentalisation de cette affaire en faisant comme si aucun travail historique n’avait été réalisé en France et comme si cette histoire était occultée et niée: « Ce qui s’est passé il y a 61 ans, la nuit du #17octobre1961, porte un nom : crime d’Etat. Le massacre des manifestants algériens à Paris entache l’histoire de notre République. Contre l’oubli, exigeons la vérité et la justice ». Or cela est faux. Il n’y a pas d’oubli. Depuis les années 90, la date est étudiée et fait l’objet d’articles, d’études historiques, de documentaires. Le procès Papon, préfet de police à l’époque a relancé les études sur cette période et nombre de débats ont eu lieu autour de cet évènement. En revanche essayez donc de voir si les massacres d’européens après l’obtention de l’indépendance en Algérie, comme les massacres d’Oran, font l’objet d’études historiques approfondies en Algérie comme en France et vous risquez d’être surpris de la différence de traitement.

Le plus significatif est que le tweet de Sihame Assbague réagit à une prise de position officielle du président Macron, lequel dénonce clairement la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. François Hollande l’avait déjà fait en 2012. Cette histoire est d’ailleurs mise en valeur dans le cadre de Musée de l’Histoire de l’immigration.

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Que les deux dates méritent d’être remémorées et resituées dans leur contexte historique est exact. En faire des brandons pour réveiller en sous-main des haines politico-raciales est en revanche un jeu dangereux. Mais la quête de la vérité historique est la dernière chose que cherchent les identitaires de droite comme de gauche et les islamistes. Seuls certains évènements les intéressent car ils sont passés dans la mémoire collective de certains groupes et permettent de réveiller haine, frustrations et désirs de vengeance. La date du 17 octobre est de ceux-là. Mais La guerre des mémoires, si elle est virtuelle, parle malheureusement d’un désir d’affrontement réel sous couvert d’une victimisation orchestrée. Hélas, en l’absence d’un gouvernement perçu comme protecteur, ce type de raisonnement finit par atteindre ses cibles. Ce n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie.

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Allemagne, un moteur à l’arrêt

Depuis quarante ans, nos alliés d’outre-Rhin enchaînent les erreurs stratégiques en matière énergétique, tantôt sous la pression des lobbys écologistes, tantôt par des calculs court-termistes et bassement politiques. Ils commencent d’ores et déjà à en payer le prix. Et nous avec eux.


« Les délibérations précipitées sont toujours nuisibles aux affaires importantes », disait Tite-Live au ier siècle de notre ère. S’agissant de la politique énergétique allemande, l’adjectif « irréfléchie » serait plus approprié. L’évolution de la politique fédérale en matière nucléaire et sa soumission aux écologistes et au lobby des renouvelables en sont une illustration frappante.

Les écrits de l’historien Joachim Radkau sont à cet égard très instructifs. Dans son ouvrage de 2013 intitulé Aufstieg und Fall der deutschen Atomwirtschaft[1] (« Ascension et chute de l’industrie nucléaire allemande »), l’auteur revient sur les mouvements ayant œuvré à l’affaiblissement du secteur. Il analyse la mutation de la phobie du nucléaire militaire en mouvement visant toute utilisation civile (mutation dans laquelle la Stasi aurait d’ailleurs joué un rôle à l’Est, afin de défendre les intérêts stratégiques de Moscou). Cette tendance, à l’œuvre dès les années 1970 avec notamment l’occupation du chantier de la centrale de Wyhl et d’autres actions similaires, se traduit politiquement par la création du parti des Verts en 1980 à Karlsruhe – parti qui, dès son origine, est étroitement lié aux lobbys antinucléaires. Cette « politisation » du mouvement antinucléaire s’étend rapidement aux grands partis traditionnels. Dès 1998-2002 et le gouvernement Schröder I, l’Allemagne planifie sa sortie progressive du nucléaire, officialisant en cela une politique de transition énergétique majeure, la « Energiewende ». Merkel ne fera qu’enfoncer le clou en 2011 à la suite de l’incident de Fukushima, en annonçant un calendrier d’arrêt définitif de toutes les centrales d’ici 2022 (et ce alors même qu’un an auparavant seulement, le plan « Énergie 2050 » prévoyait une prolongation de 17 centrales jusqu’en 2036).

Dans un rapport éclairant de mai 2021[2], l’École de guerre économique explique que « l’influence des Verts allemands se retrouve aisément au sein des décisions gouvernementales en matière d’énergie, décisions qui seront portées dans un second temps sur la scène européenne ». Et note justement qu’au niveau européen, « on distingue plus de vingt syndicats et associations représentant les industries des énergies renouvelables allemandes (solaire, éolien, biogaz, etc.). En revanche, pas un seul groupement ne défend les intérêts des travailleurs de la filière nucléaire ». Curieux déséquilibre qui traduit le poids idéologique de l’antinucléaire outre-Rhin.

Le rapport souligne également l’influence de certaines organisations comme la Fondation Heinrich Böll. Affiliée aux Verts, celle-ci serait un « interlocuteur privilégié » du groupe parlementaire Die Grünen au Bundestag. Présente dans de nombreux pays européens, la fondation est, selon le rapport, « à l’origine de plusieurs projets qui visent à diffuser le message écologiste et antinucléaire ». Par ailleurs, elle est « bénéficiaire de fonds publics allemands mais également de subventions européennes » tout à fait conséquentes.

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Au demeurant, beaucoup ont souligné l’aberration écologique de la stratégie allemande (si stratégie il y a), le mix énergétique actuel du pays étant bien plus lourd en émissions de CO2 que le précédent avec le nucléaire. Il s’agit là d’une contradiction majeure avec les objectifs avancés par l’Allemagne.

Il ne s’agit pas ici de contester les défis liés à l’énergie nucléaire, au premier lieu desquels la sécurité, le traitement des déchets et les coûts d’infrastructure et de développement. Mais comme le notait en 2011 l’essayiste Jean-Michel Bélouve dans un ouvrage fort à-propos[3], « Fukushima doit servir à alerter sur les risques du nucléaire, non pour le condamner, mais pour accroître notre maîtrise des risques », car « il serait coupable de sacrifier des acquis économiques et humains exceptionnels ». Tout le contraire de la réaction émotive et précipitée de Merkel en 2011, qui espérait sans doute s’attirer le vote des sympathisants écologistes, très nombreux dans la population, même s’ils ne votent pas nécessairement pour les Verts. Bélouve note d’ailleurs dans son ouvrage : « En matière de décision précipitée, Madame Angela Merkel vient de donner un exemple qu’il convient de méditer, en ordonnant la fermeture immédiate de sept centrales nucléaires allemandes au seul prétexte qu’elles étaient vieilles de trente ans ». On ne saurait mieux résumer. Et cela, sans même mentionner l’incroyable dépendance gazière vis-à-vis de la Russie. Onze ans plus tard, en pleine crise ukrainienne, l’Allemagne commence (un peu) à réaliser l’ampleur du problème, et fait face à de probables pénuries cet hiver.

Face à la gravité de la situation, l’Allemagne tente de sauver les meubles. Sur les trois dernières centrales qui devaient définitivement fermer fin 2022 (Isar II, Neckarwestheim II et Emsland), deux vont être prolongées jusqu’au printemps 2023, voire au-delà. Robert Habeck, le ministre de l’Économie (un Realo du parti des Verts…), s’est vu contraint de prendre cette décision il y a quelques semaines, affirmant ne pas pouvoir exclure des risques de coupures. Et pour cause : les scenarii réalisés par les quatre gestionnaires du réseau allemand d’électricité (les fameux « stress-tests ») sont tout sauf rassurants. Cette décision est une première entorse au calendrier Merkel de 2011, et sans doute pas la dernière. Plutôt ironique pour un pays qui avait applaudi (et en grande partie provoqué) la décision française de fermer Fessenheim.

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Logiquement, cette politique a conduit les Allemands à militer contre l’inclusion dans la taxonomie européenne de l’énergie nucléaire ; en d’autres termes à pousser pour que les financements aillent vers d’autres énergies, au détriment du nucléaire. Comme le rappelait Margot de Kerpoisson dans La Tribune en novembre dernier, « plusieurs raisons expliquent la tentative allemande d’affaiblir le nucléaire français au sein de l’UE. Le système énergétique allemand étant défaillant, l’exclusion du nucléaire de la taxonomie européenne permettrait à Berlin de continuer à capter plus de subventions tout en en écartant le nucléaire français. L’Allemagne ne nous demanderait-elle pas de financer exclusivement sa transition énergétique ? »

Une stratégie qui s’est finalement révélée perdante, puisque les eurodéputés ont voté le 6 juillet dernier pour la proposition de la Commission européenne d’inclure le nucléaire dans la « taxonomie verte », qui lui permet de bénéficier de financements privilégiés.


[1]. Oekom Verlag, München, 2013.

[2]. « J’attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie », mai 2021.

[3]. Nucléaire civil, le rebond !, Liber Media, 2011.

Assemblée nationale: mais à quoi servent les députés LR?

Si vous répondez «  À pas grand-chose », vous avez gagné !


Mélenchon, qui est malin, presse Les Républicains de déposer une motion de censure. Les siens la voteront. Et les parlementaires du Rassemblement National en feront de même. 

Ainsi, le gouvernement tombera et il faudra revenir devant les électeurs. Une perspective qui plonge Les Républicains dans l’effroi. Car dans l’hypothèse de nouvelles législatives, ils craignent d’y laisser des plumes. C’est ce qu’ont bien compris Bruno Retailleau et Olivier Marleix.

Et comme il leur est difficile de dire la vérité, ils procèdent avec une tartufferie éprouvée. « Nous allons un jour déposer une motion de censure », a dit Retailleau. « Mais pas tout de suite, car nous sommes faibles et pas prêts », a-t-il ajouté. 

Autant dire jamais ! Ainsi, Les Républicains en sont-ils réduits à jouer les supplétifs des macronistes. Les supplétifs, ça existe. Il y a ceux du groupe Wagner, mais eux au moins ils se battent. 

On comprend Les Républicains. Et nous compatissons à leur sort. Être la bouée de sauvetage des macronistes, ce n’est quand même pas très glorieux.

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Villerville à l’heure d’Hiver!

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La ville normande fête, du 28 octobre au 1er novembre, les 60 ans du film Un singe en hiver tourné dans la station normande et les 100 ans d’Antoine Blondin.


2022 est l’année du Singe en Normandie. Ce week-end, ne vous étonnez pas de les voir par centaines, le nez collé aux vitres du train Paris-Tigreville, un peu hagards, un peu mélancoliques, ils migrent vers la station balnéaire à la recherche de leurs vingt ans. Parce ce que le film d’Henri Verneuil est une borne existentielle, parce que Belmondo toréait à l’entrée de la ville avec l’intensité des enfants tristes, parce que Suzanne Flon en épouse inquiète emmerdait gentiment son mari, parce que Noël Roquevert vendait une marchandise fantasque et improbable au Chic Parisien, parce que Gabin suçait des bonbons sur un quai de gare désert, parce que la pension Dillon était prise d’une soudaine anglomanie, parce que Paul Frankeur, bistrotier amer servait un Picon-bière à la couleur ambrée, parce qu’Audiard alternait entre la poésie d’Apollinaire et la réplique boulevardière, parce que le roman d’Antoine Blondin avait le tragi-comique des appels au secours quand l’heure est trop tard, parce que des fusées colorées explosaient dans le ciel et illuminaient la plage au sable mouillé, parce qu’il était question d’un fleuve lointain et de l’histoire d’un fusiller-marin, parce que Michel Magne chinoisait la mélodie du désespoir par un excès d’harmonica, parce que le crachin normand noyait l’horizon des jeunesses en fuite, parce que l’hôtel Stella comptait quatorze chambres vides à cette saison, parce que les espagnolades au cinéma ramènent toujours les petites filles à la maison, parce qu’on appelait Madrid et que l’on raccrochait avant d’entendre la voix d’une femme jadis aimée. Parce que les sentiments les plus intimes n’empêchaient pas les formules carnavalesques.

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Parce qu’on n’avait pas choisi entre rire ou pleurer, entre s’effondrer ou se redresser. Parce que nous touchions là, peut-être, l’identité française dans ce qu’elle a de plus désenchantée et de follement picaresque, d’humeurs chancelantes et de coups de menton, d’abandon et de sursaut moral. Parce que les Hommes n’avaient pas encore la prétention de tout expliquer, de tout régenter, de tout rentabiliser, de tout compartimenter et de tout justifier. Arrière les Esquimaux ! Et que le besoin de faire des phrases, des jolies, des piquantes, des marrantes, des remplies de larmes et des girondes qui pigeonnent au balconnet, des sèches comme le froissement d’une muleta dans une arène ou des gourmandes comme un petit salé aux lentilles sur une nappe à carreaux amidonnée n’était pas seulement l’apanage des marins. Il y a dans ce film et dans ce roman, les ferments d’une nostalgie libératrice et émancipatrice. Je revois Jean-Paul engoncé à l’arrière d’un taxi DS à la recherche d’une nuitée, sous une flotte drue, qui s’infiltre dans la peau et dans les interstices de l’âme. Et miracle climatologique, la Citroën immatriculée 405 FA 14 s’arrête devant le Stella, Albert Quentin ouvre, il porte une canadienne sur un pyjama à rayures.

Et je me sens bien comme des milliers de fans à travers tout le pays. On respire enfin les œufs en meurette et la sémantique persifleuse. Cette mémoire-là ne doit pas disparaître, des hommes de bonne volonté s’activent pour la faire courir et partager entre les différentes générations. Ils sont des passeurs. Ils ont l’art de la pyrotechnie éclaireuse dans le maquis des sources et des archives. Pour célébrer ce double anniversaire, le film datant de 1962 et les 100 ans d’Antoine Blondin né en 1922, Villerville se met à l’heure d’Hiver durant tout le week-end prochain. La commune très engagée dans la préservation de son patrimoine culturel, bien aidée par une équipe de spécialistes au savoir livresque emmenée par François Jonquères, le sémillant chef des Hussards a élaboré un programme de haute tenue littéraire et au fort tempérament farceur. Au programme, une exposition racontant le tournage d’Henri Verneuil et l’écriture du roman avec des documents originaux rares, des rencontres avec notamment Ariane Dolfus, la nièce d’Antoine Blondin mais aussi avec des critiques et des éditeurs, des projections de films, l’ouverture exceptionnelle du « Cabaret Normand » et même un feu d’artifice qui sera tiré depuis la plage, comme à la fin du film et bien d’autres surprises. Une expérience immersive comme disent les prospectus publicitaires, chers à Gabriel Fouquet. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l’aspect grandiose du mélange !

Victimes palestiniennes: le « deux poids deux mesures » des médias français

Quand un médecin palestinien meurt dans un échange de feu entre Israéliens et Palestiniens dans un camp de réfugiés, on s’attendrait à ce que la presse française en fasse grand cas. Et pourtant, la mort d’Abdallah Abu Tin a été passée sous silence par nos médias normalement pro-palestiniens. L’explication se trouve dans le rôle particulier joué par ce docteur.


La mort du docteur Abdallah Abu Tin a été largement ignorée par les médias mainstream en France. Il a été tué le 14 octobre 2022 dans la ville de Jénine (qu’on appelle « camp de réfugiés » en français) lors d’une opération de l’armée israélienne à la recherche de terroristes.

Un médecin tué par les Israéliens et les médias français n’en font pas des tonnes ? Cherchez l’erreur !

Sa mort a été annoncée par le ministère de la santé palestinien le vendredi 14 octobre, et les journaux anglophones du Moyen Orient, comme The National, ont immédiatement relayé la nouvelle. Pourtant, les Brigades des martyrs d’al-Aqsa, une des milices créées par Yasser Arafat et que l’Union européenne a classée terroriste, n’a pas tardé à révéler que le médecin n’était pas seulement un généraliste, mais aussi un spécialiste de la mitrailleuse.  

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Le groupe terroriste a même créé une affiche montrant apparemment le docteur qui tient plusieurs fusils d’assaut. L’affiche et la photographie d’origine utilisée pour le montage ont été reproduites par The Times of Israel qui a ajouté qu’un compte Telegram considéré comme appartenant à la milice terroriste a salué la mémoire du médecin « mort en martyr en se battant côte à côte avec les résistants armés ».

Une fois les circonstances de sa mort ainsi éclaircies, le cas du médecin tué ne présentait plus aucun intérêt du point de vue de l’extrême-gauche française, pro-palestinienne. Le contraste avec la couverture médiatique de la mort de la journaliste Shireen Abu Akleh, tuée dans un échange de tirs entre terroristes palestiniens et soldats israéliens, est frappant. Deux poids, deux mesures pour la presse française.

Richard Millet aggrave son cas

Dans un silence retentissant, Richard Millet publie deux textes magistraux : La Forteresse, son autobiographie et La Princesse odrysienne, un ultime roman. Ostracisé par le clergé médiatico-littéraire, il confirme pourtant, avec ces pages, être l’un de nos plus grands écrivains.


Il est des livres qui produisent un ébranlement singulier chez le lecteur. Mais c’est de plus en plus rare. Notre époque a sonné le glas de la littérature. Les fonctionnaires du culturel surveillent le terrain et les derniers écrivains, ceux qui créent une œuvre, maîtrisent la langue française – désormais trouée comme un manteau de lépreux – et possèdent un style puissant, sont voués aux gémonies. On encense les médiocres car ils ne perturbent pas le système d’amnésie généralisée. Richard Millet en sait quelque chose, mais il continue d’écrire. Lui, l’écrivain condamné à la mort sociale par les sycophantes du nouvel ordre moral pour avoir publié, il y a dix ans, un livre interdit. Quel était le mobile pour dresser le procès-verbal de son exclusion fatale ? Un court texte au titre provocateur, pas lu par ses détracteurs, Éloge littéraire d’Anders Breivik.

Il n’était pas question de faire l’apologie du tueur de masse, mais d’indiquer que l’effondrement des valeurs de la civilisation européenne, ainsi que la perte de l’identité nationale, risquait d’engendrer de tels actes barbares. Cette urgence à dénoncer l’idée de décadence doit être l’une des fonctions fondamentales de la littérature. Richard Millet, écrivain talentueux et protéiforme, éditeur scrupuleux chez Gallimard (deux de ses « protégés » ont obtenu le prix Goncourt), n’a bénéficié d’aucune protection. L’homme était un solitaire et il l’est resté. Figure moderne du croisé, il a osé défendre les valeurs de l’Occident ; et a scellé son sort.

La Forteresse est une autobiographie dans laquelle Richard Millet retrace ses vingt premières années, de 1953 – naissance le 29 mars, un dimanche des Rameaux, à Viam, sur les terres âpres du Limousin – à 1973. Les années suivantes sont évoquées dans les trois tomes de son journal ainsi que dans La Confession négative et Tuer. Aussi, Millet ne revient-il que de manière brève sur le texte qui lui valut le bannissement de la part du « clergé médiatico-littéraire », notamment pour lui répondre, à ce clergé tout-puissant : « J’écris pour ne pas lui accorder une autre forme de défaite ».

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Nous voici donc face à la boîte noire de l’enfance. Elle est hautement irradiée, et l’écrivain révèle ce qu’elle peut avoir de plus intime, dérangeant, voire violent. Il la dévoile dans un style précis, avec le souffle de l’arpenteur du plateau de Millevaches ou de la montagne libanaise, la phrase se déploie, ductile, et jamais ne rompt. C’est que la nature de l’auteur de Ma vie parmi les ombres est faite de cette lave que le temps a figée en obsidienne noire. « L’enfance est le tout d’une vie, puisqu’elle nous en donne la clé », a écrit François Mauriac, écrivain tourmenté par la chair, à l’image de Millet. Ce dernier évoque, pour justifier son entreprise, la recherche de l’origine de sa sensualité et, plus précisément, la cause première d’une complexion sensuelle douloureuse, comme frappée par la malédiction. Très peu d’écrivains ont osé relever ce défi, décrire l’innommable, montrer la vérité hideuse, morbide, celle pour laquelle il n’existe aucun rachat possible. Millet parvient à nommer la souillure originelle de son être, mieux, il l’analyse et l’offre à ses lecteurs, au risque de les perdre. Mais la vérité est à ce prix. Son père lui a légué ce viatique empoisonné.

Il arrive que l’autobiographie soit le genre retenu par l’écrivain pour donner de lui-même une image retouchée, valorisée, surtout à notre époque où le narcissisme est devenu une pratique olympique. Ici, rien de tel. Millet déteste tout de lui, à commencer par son corps, qui porte à présent les stigmates du cancer, et affirme que « la haine de soi étant, après tout, un bâton aussi commode que le narcissisme pour cheminer ici-bas ».

La vérité nue

Tel Œdipe avant l’ordalie, Millet n’évite rien et franchit tous les obstacles dans le seul but de comprendre pourquoi il s’est complu dans la forteresse qu’il a lui-même érigée, dans l’espoir d’échapper au monde des adultes et de préserver l’enfant qui vit toujours en lui. Un enfant taiseux, timide, blessé par la médiocrité généralisée, effrayé par une sensualité exubérante, traumatisé par des événements exhumés des limbes, l’ensemble étant tenu dans l’ombre paternelle, incommensurable.

Richard est un enfant battu, incapable de se révolter, acceptant l’éducation rigoriste d’un père protestant érudit qui moque sa progéniture dès qu’elle commet une faute de syntaxe ou n’emploie pas le bon mot. Richard sera écrivain à la fois pour et contre ce père, et il attend sa mort, à 99 ans, pour publier La Forteresse. Un père, instituteur puis directeur administratif dans diverses sociétés, qui entraîne, pour son travail, sa famille au Liban. Le futur écrivain découvre la littérature et la musique grâce à cet homme qui ne souhaitait pas d’enfant et était incapable du moindre signe d’amour. Écrire pour combler le manque et tenir en respect l’idée de suicide. Millet, au scalpel : « J’en appelle au néant d’où le sperme paternel m’a tiré pour me projeter dans la sphère maternelle, me faisant passer de la nuit sidérale à l’humide chaleur d’un ventre que j’imagine orangée, et où je n’ai d’abord été qu’un crachat, comme tout un chacun, mais qui me laisse l’impression indéfectible, de l’être resté, aux yeux de mon père comme aux miens ». Puis il ajoute : « D’où mon goût pour les héroïnes de Bataille et de Jouve, et aussi de Faulkner, toutes les femmes sacrificielles ». Ses deux épouses, il les a accompagnées jusqu’à leur dernier soupir, et il y a eu les prostituées. L’une d’entre elles est décrite de façon inouïe. Elle est une sorte de divinité, au milieu d’hommes misérables, dans le quartier de Barbès. Rarement un écrivain n’a deviné aussi loin l’origine de sa sensualité.

Malgré la présence de François, son frère né en 1955, l’enfant, puis l’adolescent continue de mener une existence solitaire, comme celle d’un fils unique, écartelé entre la nature granitique du père et celle mélancolique de la mère, « nuageuse » pour reprendre son adjectif, bourrelée d’angoisses écrasantes, surtout entre midi et seize heures, sous le bleu cru du ciel. Millet renforce ainsi au fil des ans la forteresse qui le protège du bruit, des odeurs, de ses phobies, et surtout de la mesquinerie des hommes, n’ouvrant, malgré lui et à ses dépens, que deux meurtrières, celles des femmes et de la guerre.

Millet se livre totalement, entièrement, sinon à quoi bon cette confession exemplaire. Il dit la vanité de toute chose, le refus d’aller vers autrui, la volonté de ne vivre que par et pour l’écriture, dans une France parodique et post-littéraire, qui a laissé mourir la paysannerie et donc son univers familial. Il espère encore l’amour que ses deux filles pourraient lui porter. Il révèle, avec courage, la maladie dont il souffre et qui s’est déclarée à l’âge de 19 ans. Millet descend jusque « dans l’égout ». C’est la scène dans le cinéma où l’on projette Juste avant la nuit de Chabrol. Sa mère est présente. J’avoue que l’effroi m’a saisi en la lisant. La littérature, décidément, est puissante quand elle est du côté du Mal.

Cette autobiographie ne ressemble à aucune autre. Elle éclaire sous un soleil blafard l’auteur qui tient à la fois d’Holden Caulfield et de Bartleby. Il a voulu tout arrêter, découragé par l’entreprise. Millet : « Continuons, malgré la tentation, une fois encore, de tout laisser en plan pour recourir à la fiction, laquelle en dirait peut-être davantage par la vertu des associations et des métaphores – transports et bonds vers une source aux eaux plus froides, et paralysantes, que je ne pensais ». La fiction, pour aider à descendre dans la salle funéraire où se décomposent les déchets inavouables d’une vie, comme La Princesse odrysienne, ultime roman, selon l’affirmation de Millet lui-même, publié chez Aqua Aura, avec le portrait d’une femme ô combien troublante, Emma.

Le crime de Richard Millet aura été de lézarder les murs de la forteresse où, aveugles et sourds, nous nous retranchons, dans l’espoir de jouir encore un instant d’un pitoyable bonheur. Avec son autobiographie, il aggrave son cas en révélant sa nature complexe, contradictoire, glaçante parfois, et nous oblige à faire notre propre introspection. « Il se peut enfin que le mot de deuil recouvre aussi une énigmatique forme d’amour – et que j’aie toujours été peu ou prou amoureux de ma mort, vivre n’étant qu’une suite de variations sur le deuil, puisque nous ne cessons de mourir à nous-mêmes ».

Aucun pardon ne lui sera accordé ici-bas.

La Forteresse. Autobiographie. 1953-1973

Price: 24,00 €

9 used & new available from 19,98 €

Richard Millet, La Princesse odrysienne, Aqua Aura, 2022.

Cyril Hanouna : tout haut, ce que tout le monde pense tout bas

Les déclarations de Cyril Hanouna sur le plateau de Touche pas à mon poste!, le 18 octobre, révèlent le fossé entre les attentes des Français et la Justice française. A dire la vérité, on récolte la polémique. Tribune


Dans son émission du mardi 18 octobre, Cyril Hanouna, l’animateur-star de C8 a poussé une série de coups de gueule qui ont fait du bruit. Alors que la France vit encore sous l’onde de choc de l’affaire Lola, ce père de famille a demandé un procès très rapide et très ferme.

Et là, c’est le vrai drame. Oublié le meurtre de Lola, oubliée la douleur des parents, oubliés les centaines d’homicides qui ont lieu chaque année ou les 300 000 agressions, multipliées par 7 depuis 1988. Non, le drame c’est que la sacro-sainte procédure judiciaire et les droits des accusés sont en jeu. En disant pourtant ce que l’écrasante majorité des Français pense, Cyril Hanouna a blasphémé.

Mais, le monde judiciaire est quasiment unanime, à commencer par le ministre de la Justice, à condamner ces déclarations. Eric Dupond-Moretti ose même prendre pour témoins les fantômes du « Moyen-Âge », vers lesquels Monsieur Hanouna nous ramènerait.

Indécence et condescendance

Cyril Hanouna n’a jamais prétendu être professeur agrégé, c’est un citoyen français, de surcroît écouté et apprécié par des millions de Français, et il a le droit de pousser un cri du cœur.

Mais les professionnels du droit ne veulent pas de cri du cœur. Ils se drapent dans leur pratique, dans leurs grands principes, dans leur raison supposée éclairée. Ils savent mépriser bien comme il le faut ce « populisme judiciaire ».

C’est un classique : le journal le Monde parlait déjà de « poujadisme judiciaire » dans les années 1980, pour fustiger ce petit peuple français qui soutenait unanimement Lionel Legras, garagiste accusé d’avoir tué un cambrioleur.

Il y a, dans ces cris d’orfraies, non seulement de l’indécence vis-à-vis du drame de Lola, mais surtout une éclatante condescendance. Cette condescendance, on la reconnait, c’est toujours la même. Elle accompagne les analyses des avocats et des magistrats après des affaires criminelles.

C’est la même que j’ai connue personnellement pendant mes cours de droit à la Sorbonne et que tentaient de nous transmettre certains professeurs, heureux de nous accueillir dans la caste « supérieure » des juristes.

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« Le peuple » contre « le discours dominant »

Certes, la procédure judiciaire est important. Son but premier est de protéger les innocents contre les abus de l’Etat et c’est un but noble. Non, bien sûr, la Justice ne peut pas mener de procès expéditifs. Pourtant, la Justice française s’est perdue en procédures… et en laxisme. C’est un fait su de tous, et même organisé par l’Etat depuis une quarantaine d’années.

On a inventé les aménagements de peine, on a gonflé artificiellement les protections des « présumés innocents ». On a inventé des remises de peine automatiques, puis des remises de peines supplémentaires. On a encouragé le bracelet électronique… Bref, on a donc fait 40 ans de cadeaux aux coupables.

Et nous nous réveillons, aujourd’hui, avec une insécurité qui explose : les agressions doublées depuis l’an 2000, les homicides et tentatives depuis 2010, et les violences sexuelles depuis 2012.

Peut-être faudrait-il changer de méthode ? Peut-être que la fermeté, la fin de la complaisance envers les coupables produiraient de meilleurs résultats ?

En définitive, cette affaire met le doigt sur l’immense fossé qui sépare les attentes des Français et la pensée dominante dans le milieu de la Justice. L’ancien ministre de la Justice, Alain Peyrefitte, vilipendé par les milieux judiciaires de l’époque, avait une phrase qui résume tout : «La société a-t-elle le droit de punir ? Le discours dominant le nie. Le peuple l’affirme ».

Et le pire dans cette affaire, c’est que ce réflexe de s’arcbouter sur les « saints » principes de la Justice mènera précisément à leur éclatement total. Ce n’est pas un hasard si, ces derniers jours, à Nantes et à Roanne, des citoyens se sont fait justice eux-mêmes, n’ayant plus aucune confiance dans le système judiciaire. Il est temps que certains milieux remettent leur égo sous le tapis pour écouter ne serait-ce qu’un peu ce que demande la majorité des Français.

Pierre-Marie Sève est délégué général de l’Institut pour la Justice.

Tant qu’il y aura des films

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Pixabay

Retrouver le chemin des salles de cinéma reste une nécessité si l’on veut bien considérer que le grand écran, c’est la bonne taille pour regarder un film. Deux nouveautés et une ressortie pour s’en persuader.


Au suivant  !

Un beau matin, de Mia Hansen-Løve

Sortie le 5 octobre

Affiche du film

Alors qu’est relancé le serpent de mer de l’euthanasie pour tous, les cinéastes français n’en finissent pas de nous tendre des miroirs plus ou moins talentueux sur la fin de vie. On avait laissé l’an passé François Ozon et son Tout s’est bien passé, avec un Dussollier cabotinant un peu trop dans le rôle du vieux caractériel au bord de la tombe, roi Lear tyrannisant ses deux filles compatissantes. Mais on est beaucoup plus convaincu par l’interprétation que fait de cette figure l’impeccable et rohmérien Pascal Greggory. Il est en effet à l’affiche du nouveau film écrit et réalisé par la réalisatrice française Mia Hansen-Løve qu’on connaissait jusque-là dans un cinéma plus corseté et moins empathique. Un beau matin s’inspire directement des derniers mois de la vie de son père qui perd peu à peu le contact avec la réalité. Cette proximité avec son sujet explique assurément que le film, contrairement aux précédents, baisse la garde d’une écriture trop sage et d’un univers balisé : le dernier, Bergman Island, se mettait carrément dans les traces du cinéaste suédois révéré. Ici, on oublie les références trop pesantes et la famille décrite par la réalisatrice s’avère absolument réjouissante, même dans un contexte forcément dramatique. Au premier rang donc, ce père, ancien prof adulé par ses étudiants, qui est atteint d’une maladie neurodégénérative dont il accepte assez bien les symptômes. Sa fille, jouée par Léa Seydoux (depuis France, le film cruel mais juste de Bruno Dumont, elle trace le sillon d’une actrice hors norme et capable de tout), souhaite assister son vieux père et vivre avec lui la cérémonie des adieux. Tout en lui cherchant une place dans un Ehpad pas trop cher et parisien. Ce qui, on le sait, revient à chercher la perle rare… Le film tire parfaitement son épingle du jeu de ce versant réaliste, presque documentaire, entre renoncement, accablement et soulagement. On trouve même des ferments de comédie dans cette course au trésor surréaliste. Et dans ce rôle d’orpailleuse, Seydoux fait des merveilles. À ses côtés, une mère absolument loufoque jouée et déjouée par Nicole Garcia plus que parfaite : elle y incarne une bobo parisienne reconvertie dans l’activisme forcené qui jouit de passer la nuit dans un commissariat de police. Portrait au vitriol d’une fofolle progressiste, ridicule précieuse de notre temps et qui, semble-t-il, existe bel et bien dans la réalité familiale de la réalisatrice. Ce parfum d’authenticité renforce le plaisir que l’on prend aux tribulations de cette révolutionnaire des beaux quartiers. C’est dans ce quotidien débridé que se noue une rencontre amoureuse entre le personnage de Seydoux et un « cosmo-chimiste explorateur » auquel Melvil Poupaud prête son indéniable charme rohmérien. Cet adjectif est de mise, au moins dans la façon dont Mia Hansen-Løve traite cette histoire dans l’histoire que n’aurait pas reniée Éric Rohmer. Un beau matin a souvent le bavardage brillant et l’érudition classique. Ce « conte de la fin de vie » se double donc d’un « conte amoureux », les deux dimensions se rencontrant assez harmonieusement. Les états d’âme des uns font écho aux coups de folie et de blues des autres. Le conte se fait chronique et inversement, sans perdre le spectateur en route.

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Mais, il faut y revenir, un acteur porte le film sur ses épaules de bout en bout, et c’est Pascal Greggory. On pouvait tout craindre de ce rôle à effets de pathos potentiels. On connaît la chanson de la représentation outrée et outrancière de la maladie, de la mort et de la sénilité. L’acteur fétiche et de Rohmer et de Chéreau, entre autres, joue une autre carte bien plus subtile et complexe. Il use d’un nuancier admirable pour représenter cet esprit qui s’en va, cette intelligence qui se met en sommeil, cette vieillesse qui retombe en enfance. On y croit sans avoir le sentiment d’être pris en otage par un protocole compassionnel imposé et indésirable. La cinéaste et son acteur multiplient les scènes d’une justesse absolue sans jamais provoquer de malaise voyeuriste chez le spectateur. Ce Beau matin là a la grâce.

Au scalpel

R.M.N., de Cristian Mungiu

Sortie le 19 octobre

NMobraFilms – Pathé

R.M.N., en roumain, c’est notre IRM à nous. Le nouveau film du très remarquable cinéaste roumain Cristian Mungiu s’impose d’entrée de jeu comme une étude microscopique de la société roumaine à partir d’un petit village des Carpates, à la frontière hongroise, pris sous la double dictature bureaucratique de la mondialisation et des directives européennes. Sans compter l’arrivée de migrants qui brouille les cartes et les repères. Mungiu a l’extrême intelligence de ne condamner personne a priori et surtout pas les tentations de repli sur soi et de protection. Il s’interroge sur la façon dont les mécanismes économiques en cours entraînent des comportements humains parfois erratiques, mais jamais infondés. Une incroyable scène de conseil municipal en forme d’exutoire collectif, longue de vingt minutes, renforce cette impression d’analyse équilibrée. Avec un tel film, le cinéma politique retrouve ses lettres de noblesse. Et c’est d’ailleurs certainement la raison (idiote) pour laquelle il est reparti bredouille du dernier Festival de Cannes présidé par un Vincent Lindon qui décidément passe à côté de ce en quoi il fait profession de croire.

À l’os

Le Jouet de Francis Veber

Sortie le  19 octobre

Affiche du film

C’est assurément le film le plus caustique, le plus drôle et le plus radical de son auteur-réalisateur, Francis Veber. Sorti en 1976, il est bien plus mordant que son languissant Dîner de cons ou ses poussifs tandems avec Depardieu et Pierre Richard. Ce dernier partage l’affiche de ce film hors norme, Le Jouet, avec Michel Bouquet, glaçant, glacé et glacial. Et au milieu de ce duo, un enfant, le fils d’un grand patron (c’est Bouquet) qui veut comme cadeau, comme jouet, l’un des employés paternels (et c’est Richard). Abyssale situation de départ. De ce démarrage iconoclaste et incorrect, Veber fait un film qui tient la note jusqu’au bout. Soit un véritable conte cruel qui pourrait figurer dans une comédie italienne des années 1970 où il serait question de monstres quotidiens. Le casting est à la hauteur du propos. Depuis 1976, on cherche un alcool fort de ce type au cinéma. La plus mauvaise idée serait d’en faire un remake forcément pâle et à l’aune des lâchetés sociales actuelles. C’est hélas chose faite et le film sort bientôt. Il est absolument urgent de le bouder et d’aller voir ou revoir l’original, le seul, l’unique, sur grand écran.

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Le rap, c’est aussi une histoire de France !

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Joeystarr et Kool Shen réunis sous NTM. Concert à Nice du 11/06/85 / BONY/SIPA / 00292207_000002

Une série diffusée sur Arte, Le Monde de Demain, décrit la naissance du groupe NTM sur fond d’explosion du Hip Hop.


La mini série d’Arte, Le monde de demain, des réalisateurs Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, retrace la naissance du hip hop en France et plus précisément, la genèse du groupe NTM. Parler de rap, de Seine Saint Denis et de « nique la police », n’est pas très populaire sur Causeur, mais le rap, c’est aussi la culture du « clash » et j’accepterais volontiers de me faire « clasher », après tout, ce sont les règles du jeu.

Quand la lumière venait du 9-3

Le hip hop, ça n’est pas ma culture, toute occupée que j’étais dans ma jeunesse à écouter du rock et à parfaire ma connaissance des groupes anglais des années 60. Je le regrette, maintenant. Car dans le hip hop, au début des années 80, on ressentait cette énergie folle qui fit vibrer l’Angleterre des 60’s, ou plus tard, celle du punk, qui fut notre dernière dose d’amphétamines, pour nous les « Blancs », avant l’ennui. Il fallut donc que la banlieue, le 9-3 vienne nous réveiller.

Si j’ai beaucoup aimé la série, c’est avant tout parce qu’elle raconte une histoire, et pas seulement un fait de société. L’histoire de Didier Morville dit Joeystarr, de Bruno Lopes dit Kool Shen, mais aussi du DJ (disc-jockey) Dee Nasty, et de toute une bande de danseurs de hip hop et de grapheurs. De filles aussi, qui gravitent autour, qui doivent s’imposer, avec un parcours plus tragique.

Didier et Bruno sont deux petits gars de Saint Denis – « c’est d’la bombe baby » – la bombe faisant ici référence à la culture du graffiti, mais hélas, en 2022, cela résonne différemment. Didier est antillais, fils unique, et se fait tabasser par son père, il dira plus tard : « La ceinture c’est culturel chez nous ». La mère est absente. Bruno, mi breton mi portugais, vit dans une résidence, il vient donc d’un milieu un peu plus « aisé », mais surtout est entouré de parents aimants.

Les deux lascars s’ignorent, jusqu’à ce que le hip hop les réunissent. En effet, lors d’une sortie au Trocadéro, ils tombent en admiration devant un groupe de danseurs de hip hop. Et leur vie prendra enfin un sens.

Cependant, au commencement, il y eu le DJ Dee Nasty, de son vrai nom : Daniel Bigeault. C’est lui qui a importé le hip hop en France, après un voyage à San Francisco. S’il est devenu plus tard un DJ mondialement connu, il ne connut pas les débuts fulgurants de NTM. Il apparaît dans la série comme un prophète, celui qui prêche la bonne parole hip hop, mais qui galère. Il n’a pas la tchatche de ses potes, pourtant il bosse dur.

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Il fut vraiment un pionnier, qui a essayé d’insuffler, en vain, l’esprit hip hop à la mythique radio libre :  Carbone 14. Il officie plus tard sur la non moins mythique – mais plus officielle – Radio Nova. Encore une fois, cela se passe mal. Pourtant, c’est grâce à lui, qui avait investi un terrain vague à La Chapelle, où grapheurs et danseurs de hip hop pouvaient donner libre cours à leur créativité canaille, et – à l’époque illicite – que Didier Morville et Bruno Lopes sont devenus Joeystarr et Kool Shen. A la tête, avec DJ S, du posse Suprême NTM. Car NTM, au départ, c’est toute une bande. Le rap, la danse et le graph ne font qu’un. Le 9-3 et le Nord de Paris sont devenus, grâce à eux, l’espace d’un moment, notre Harlem à nous.

La série aurait d’ailleurs pu s’appeler Le monde d’hier, tant cette énergie, cette façon de revendiquer, non pas une appartenance raciale, mais l’identité d’un quartier, le 9-3, qui à l’époque débordait de vitalité, nous semble à des années-lumière de ce que nous vivons aujourd’hui.

Comme souvent, Joey et Kool Shen ont commencé leur carrière musicale sur un malentendu, par défi, pour répondre au chanteur du groupe Assassin qui ne les croyait pas capables d’écrire des textes et de les interpréter. Ils furent repérés et signés (avec l’aide de Nina Hagen) par le label Epic Record, et enregistrent le single « Le monde de demain » (qui donne son titre à la série), sur un sample de Marvin Gaye, et un texte, mythique et définitif, de Joey et Kool Shen : « Le monde de demain, quoiqu’il advienne nous appartient, la puissance est dans nos mains, alors écoute ce refrain ». La suite, nous la connaissons.

Pureté sauvage

Pour les besoins de cette chronique, j’ai regardé des vidéos de NTM en concert. C’est impressionnant, à la fois de précision et de pureté sauvage. Kool Shen à un « flow » énergique, qui claque comme un métronome, tandis que Joey évolue, tel un félin, avec un charisme qui sature l’espace. Il ponctue les morceaux de cris, de râles, et sa gestuelle est chaloupée, il est partout, il parcourt la scène, un peu comme un chanteur de rock – le Mick Jagger des débuts des Stones – peut-être. J’ai d’ailleurs un ami qui affirme que NTM est le plus grand groupe de rock français.

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Maintenant, Joey est devenu un acteur reconnu (ironiquement, il est excellent dans le rôle d’un flic dans Polisse) et Kool Shen presque un businessman (il a toujours eu la tête sur les épaules.)

Malgré tout ce qu’on peut dire sur ce groupe, sur le soufre qu’il véhicule, ils resteront, en plus d’être des bêtes de scène, les auteurs de textes qui touchent, qui bousculent, qui innovent : « Sache qu’ici bas, plus qu’ailleurs la survie est un combat, à base de coups bas, de coups de ton-bâ, d’esquives et de « paw » de putains de stomba ». (Laisse pas traîner ton fils). Qu’on le veuille ou non, des sortes d’héritiers de Ferré.

Respect.

Le Monde de demain, disponible sur Arte, six épisodes de 48 minutes.

Confessions intimes, pour quoi faire ?

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Livres d'Annie Ernaux. / PHOTO: Kaname Muto/AP/SIPA / AP22726968_000006

Dorénavant, les célébrités satisfont leur narcissisme (inhérent à la société actuelle) en étalant leur vie et leurs états-d’âmes dans des « oeuvres ». La production artistique ne découle plus de l’artiste mais incarne l’artiste même, dont le sujet doit déchainer les passions.


Il paraît que musiciens, présentateurs et comédiens se livrent de plus en plus sur leur vie intime, dans des livres, des chansons ou sur scène (Le Parisien).

Pour quoi faire ? Pourquoi, aujourd’hui, l’exhibition est-elle devenue non plus une tare mais une obligation ?

Je me demande si cette présentation sans fard de soi ne démontre pas la pauvreté de l’imagination, le caractère relatif du talent, qui a besoin de disposer d’un capital personnel pour s’exprimer.

Mais aussi le narcissisme de certaines personnalités qui s’imaginent que leur « je » est universel et va intéresser bien au-delà de leur cercle immédiat…

J’admets que chaque subjectivité a ses préférences, ses dilections. En ce qui me concerne, il y a des êtres qui sont placés dans la lumière qui ne m’intéressent absolument pas parce que, à tort ou à raison, je suis persuadé qu’ils ne m’apporteront rien, qu’aucune de leurs pensées, aucun de leurs sentiments ne m’enrichiront. Non pas qu’ils soient forcément médiocres mais plutôt à cause de l’intuition qu’il y a des artistes, des vedettes dont la réputation n’est pas à la hauteur de ce qu’ils croient devoir nous transmettre, qui oscille souvent entre le banal ou l’insignifiant.

Le paradoxe est que la grande littérature – par exemple celle d’Annie Ernaux – est de plus en plus centrée sur l’auteur, son univers, et que le commun s’imagine qu’après tout il est infiniment simple de se montrer, de se décrire et de se proposer comme modèle. La conséquence en est que nous vivons dans un monde appauvri parce que les richesses dont on nous gratifie ne sont pas de qualité et que pour une artiste ou un chanteur brillant, passionnant, on doit en subir tant qui ne méritent pas le détour.

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Les confessions intimes sont la rançon d’une universalité défaillante. Le coeur vulgaire ou démagogique d’une humanité qui ne sait tourner qu’autour d’elle-même, en cherchant à se faire passer pour l’essentiel.

Qu’on compte tous ceux qui, dans l’impudeur, l’indécence ou la vulgarité, évoquent leur santé, leurs maladies, leurs états d’âme, leurs turpitudes, leurs faiblesses. Faute d’avoir des grandeurs et des noblesses à raconter, on s’abandonne à des petitesses et à de minuscules péripéties.

Par ce billet, je semble quitter la politique mais pourtant je suis frappé par un vice qui est consubstantiel à cet univers : l’inégalité intellectuelle. On n’ose pas le dire mais il suffit de suivre les débats de l’Assemblée nationale pour constater que, par exemple à La France insoumise, pour un François Ruffin de plus en plus lucide, on a un Thomas Portes dont une intervention adressée à Gérald Darmanin a été totalement délirante.

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Il n’est pas élégant de souligner comme, derrière l’humanisme abstrait qui se plaît à ne distinguer personne, il y a d’incontestables hiérarchies, des supériorités et des infériorités, que tout ne se vaut pas, que les confessions intimes des uns auraient dû demeurer dans le for intérieur, alors que d’autres trop rares ont cet immense avantage de nous parler de nous au travers d’elles.

Parce que je crois à la dure et implacable loi d’un monde qui n’a de cesse, pourtant, de tenter de se masquer la vérité : il y a ceux qui ont la grâce et les autres qui en sont orphelins.

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17 octobre, quand la guerre des mémoires nourrit l’appel à la vengeance

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Attentat terroriste du RER C attribué au Groupe Islamiste Armé, Paris, le 17 octobre 1995. / PHOTO: CHASSERY/SIPA / 00270555_000005 "CHASSERY PHOTOGRAPHE" FRANCE PARIS ATTENTAT TERRORISME "MUSULMAN NATIONALITE" "POMPIER FONCTION" BLESSE "INFIRMIER FONCTION" "IMAGE NUMERISEE" POLICE CIVIERE

Le 17 octobre, selon que vous soyez un identitaire de droite, un identitaire de gauche, ou encore un islamiste, la date ne renvoie pas à la même référence. En revanche l’objectif est similaire : désigner l’ennemi et en appeler de façon subliminale à la vengeance. « L’affrontement » s’est déroulé de façon virtuelle et symbolique sur les réseaux sociaux, ce 17 octobre 2022, l’extrême droite tentant d’opposer au #17octobre1961 particulièrement cher sur le web aux islamistes et islamogauchistes, le souvenir du 17 octobre 1995.


La mise en avant du 17 octobre 1995 par l’extrême-droite a pour but de réveiller un traumatisme collectif enfoui. En faisant ressurgir l’attentat commis dans le RER C en 1995, l’objectif est ici de rappeler qu’une série d’attentats islamistes ont déjà eu lieu en France avant leur regain actuel. Ces attentats qui se sont déroulés entre juillet et octobre 1995 ont fait dix morts et près de 200 blessés. Ils sont liés au contexte de guerre civile qui se déroule à l’époque en Algérie et sont attribués au GIA (Groupe Islamique Armé) qui avait lancé le djihad sur le territoire français. Pour Damien Rieu, rattacher ce souvenir collectif à la date du 17 octobre est donc l’occasion de faire le lien entre violences, attentats et immigration dans un contexte où le meurtre atroce de Lola par une ressortissante algérienne a traumatisé les Français. C’est tout le sens de son tweet qui substitue à la date du 17 octobre 1961 celle du 17 octobre 1995 : [sic] « Le 17 octobre 1995 Smaïn Aït Ali Belkacem fait exploser une bombe dans le RER C. 30 blessés. Ni @EmmanuelMacron, ni @Anne Hidalgo n’en parleront : cet attentat n’aide pas à faire diversion #Lola ». Le tweet suppose donc que la mobilisation des islamistes, indigènes de la République et autres La France insoumise autour de la date du 17 octobre 1961 est là pour faire oublier le meurtre de la jeune Lola et une fois de plus, substituer à une horreur réelle et immédiate, un évènement historique que les islamistes exploitent depuis longtemps pour attiser la haine chez les musulmans. Il faut hélas reconnaitre que l’on a tous pu être gêné par le nombre de fois où, après des attentats atroces, islamistes et islamogauchistes ont tenté de faire porter le débat sur les risques de représailles envers les musulmans comme pour évacuer plus rapidement la réalité des victimes, alors même que les Français ne faisaient pas d’amalgames douteux, eux.

En revanche, pour l’extrême-gauche et les islamistes, cette date renvoie au 17 octobre 1961. A l’époque le contexte est lourd, la guerre d’indépendance se déroule en Algérie. A Paris, entre fin aout et début octobre, des commandos du FLN (Front de libération national) algérien prennent pour cible les policiers. Au cours de 33 attentats, 13 policiers sont tués. Ils sont exécutés quand ils sont isolés, en rentrant chez eux ou en partant au travail. C’est dans ce contexte qu’a lieu la manifestation du 16 octobre, alors que les policiers exaspérés nourrissent un fort ressentiment contre les militants algériens. Le FLN veut faire de ce défilé contre le couvre-feu imposé aux seuls Algériens, une démonstration de leur force et de leur emprise sur la communauté algérienne en France. Le 17 octobre, le nombre de participants à la manifestation est très élevé, autour de 50 000 personnes. La répression sera terrible et on estime à une centaine de personnes le nombre d’Algériens tués. Cette date, expurgée de tous les éléments de contexte, est devenue une référence pour l’extrême-gauche et les islamistes. Elle permet de faire le procès de l’Etat français en laissant entendre que depuis rien n’a changé et que la France et sa police continuent d’assassiner impunément. C’est ce qu’exprime crûment le tweet de Sihame Assbague, militante racialiste proche des islamistes : « Ce sont des crimes de la République. Un massacre colonial perpétré par l’Etat FR. Ce 17 octobre 1961, des milliers d’algériens qui manifestaient contre les mesures racistes de la Préfecture ont été raflés, tabassés, des dizaines d’entre eux noyés dans la Seine par la police. On n’oublie ni les victimes de 17 oct ni celles qui sont venues allonger la longue et funeste liste des tués par l’EtatFR. Leur rendre hommage c’est dire correctement les choses, répondre aux revendications des collectifs du 17oct & ne pas occulter la continuité de ces crimes ».

Bien entendu on peut compter sur la La France insoumise pour jeter de l’huile sur le feu et reprendre cette dialectique qui n’a vocation qu’à ancrer l’idée que les musulmans sont non seulement persécutés mais que leur souffrance est ignorée aujourd’hui comme hier. Clémentine Autain ajoute donc une couche à l’instrumentalisation de cette affaire en faisant comme si aucun travail historique n’avait été réalisé en France et comme si cette histoire était occultée et niée: « Ce qui s’est passé il y a 61 ans, la nuit du #17octobre1961, porte un nom : crime d’Etat. Le massacre des manifestants algériens à Paris entache l’histoire de notre République. Contre l’oubli, exigeons la vérité et la justice ». Or cela est faux. Il n’y a pas d’oubli. Depuis les années 90, la date est étudiée et fait l’objet d’articles, d’études historiques, de documentaires. Le procès Papon, préfet de police à l’époque a relancé les études sur cette période et nombre de débats ont eu lieu autour de cet évènement. En revanche essayez donc de voir si les massacres d’européens après l’obtention de l’indépendance en Algérie, comme les massacres d’Oran, font l’objet d’études historiques approfondies en Algérie comme en France et vous risquez d’être surpris de la différence de traitement.

Le plus significatif est que le tweet de Sihame Assbague réagit à une prise de position officielle du président Macron, lequel dénonce clairement la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. François Hollande l’avait déjà fait en 2012. Cette histoire est d’ailleurs mise en valeur dans le cadre de Musée de l’Histoire de l’immigration.

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Que les deux dates méritent d’être remémorées et resituées dans leur contexte historique est exact. En faire des brandons pour réveiller en sous-main des haines politico-raciales est en revanche un jeu dangereux. Mais la quête de la vérité historique est la dernière chose que cherchent les identitaires de droite comme de gauche et les islamistes. Seuls certains évènements les intéressent car ils sont passés dans la mémoire collective de certains groupes et permettent de réveiller haine, frustrations et désirs de vengeance. La date du 17 octobre est de ceux-là. Mais La guerre des mémoires, si elle est virtuelle, parle malheureusement d’un désir d’affrontement réel sous couvert d’une victimisation orchestrée. Hélas, en l’absence d’un gouvernement perçu comme protecteur, ce type de raisonnement finit par atteindre ses cibles. Ce n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie.

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Allemagne, un moteur à l’arrêt

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Depuis quarante ans, nos alliés d’outre-Rhin enchaînent les erreurs stratégiques en matière énergétique, tantôt sous la pression des lobbys écologistes, tantôt par des calculs court-termistes et bassement politiques. Ils commencent d’ores et déjà à en payer le prix. Et nous avec eux.


« Les délibérations précipitées sont toujours nuisibles aux affaires importantes », disait Tite-Live au ier siècle de notre ère. S’agissant de la politique énergétique allemande, l’adjectif « irréfléchie » serait plus approprié. L’évolution de la politique fédérale en matière nucléaire et sa soumission aux écologistes et au lobby des renouvelables en sont une illustration frappante.

Les écrits de l’historien Joachim Radkau sont à cet égard très instructifs. Dans son ouvrage de 2013 intitulé Aufstieg und Fall der deutschen Atomwirtschaft[1] (« Ascension et chute de l’industrie nucléaire allemande »), l’auteur revient sur les mouvements ayant œuvré à l’affaiblissement du secteur. Il analyse la mutation de la phobie du nucléaire militaire en mouvement visant toute utilisation civile (mutation dans laquelle la Stasi aurait d’ailleurs joué un rôle à l’Est, afin de défendre les intérêts stratégiques de Moscou). Cette tendance, à l’œuvre dès les années 1970 avec notamment l’occupation du chantier de la centrale de Wyhl et d’autres actions similaires, se traduit politiquement par la création du parti des Verts en 1980 à Karlsruhe – parti qui, dès son origine, est étroitement lié aux lobbys antinucléaires. Cette « politisation » du mouvement antinucléaire s’étend rapidement aux grands partis traditionnels. Dès 1998-2002 et le gouvernement Schröder I, l’Allemagne planifie sa sortie progressive du nucléaire, officialisant en cela une politique de transition énergétique majeure, la « Energiewende ». Merkel ne fera qu’enfoncer le clou en 2011 à la suite de l’incident de Fukushima, en annonçant un calendrier d’arrêt définitif de toutes les centrales d’ici 2022 (et ce alors même qu’un an auparavant seulement, le plan « Énergie 2050 » prévoyait une prolongation de 17 centrales jusqu’en 2036).

Dans un rapport éclairant de mai 2021[2], l’École de guerre économique explique que « l’influence des Verts allemands se retrouve aisément au sein des décisions gouvernementales en matière d’énergie, décisions qui seront portées dans un second temps sur la scène européenne ». Et note justement qu’au niveau européen, « on distingue plus de vingt syndicats et associations représentant les industries des énergies renouvelables allemandes (solaire, éolien, biogaz, etc.). En revanche, pas un seul groupement ne défend les intérêts des travailleurs de la filière nucléaire ». Curieux déséquilibre qui traduit le poids idéologique de l’antinucléaire outre-Rhin.

Le rapport souligne également l’influence de certaines organisations comme la Fondation Heinrich Böll. Affiliée aux Verts, celle-ci serait un « interlocuteur privilégié » du groupe parlementaire Die Grünen au Bundestag. Présente dans de nombreux pays européens, la fondation est, selon le rapport, « à l’origine de plusieurs projets qui visent à diffuser le message écologiste et antinucléaire ». Par ailleurs, elle est « bénéficiaire de fonds publics allemands mais également de subventions européennes » tout à fait conséquentes.

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Au demeurant, beaucoup ont souligné l’aberration écologique de la stratégie allemande (si stratégie il y a), le mix énergétique actuel du pays étant bien plus lourd en émissions de CO2 que le précédent avec le nucléaire. Il s’agit là d’une contradiction majeure avec les objectifs avancés par l’Allemagne.

Il ne s’agit pas ici de contester les défis liés à l’énergie nucléaire, au premier lieu desquels la sécurité, le traitement des déchets et les coûts d’infrastructure et de développement. Mais comme le notait en 2011 l’essayiste Jean-Michel Bélouve dans un ouvrage fort à-propos[3], « Fukushima doit servir à alerter sur les risques du nucléaire, non pour le condamner, mais pour accroître notre maîtrise des risques », car « il serait coupable de sacrifier des acquis économiques et humains exceptionnels ». Tout le contraire de la réaction émotive et précipitée de Merkel en 2011, qui espérait sans doute s’attirer le vote des sympathisants écologistes, très nombreux dans la population, même s’ils ne votent pas nécessairement pour les Verts. Bélouve note d’ailleurs dans son ouvrage : « En matière de décision précipitée, Madame Angela Merkel vient de donner un exemple qu’il convient de méditer, en ordonnant la fermeture immédiate de sept centrales nucléaires allemandes au seul prétexte qu’elles étaient vieilles de trente ans ». On ne saurait mieux résumer. Et cela, sans même mentionner l’incroyable dépendance gazière vis-à-vis de la Russie. Onze ans plus tard, en pleine crise ukrainienne, l’Allemagne commence (un peu) à réaliser l’ampleur du problème, et fait face à de probables pénuries cet hiver.

Face à la gravité de la situation, l’Allemagne tente de sauver les meubles. Sur les trois dernières centrales qui devaient définitivement fermer fin 2022 (Isar II, Neckarwestheim II et Emsland), deux vont être prolongées jusqu’au printemps 2023, voire au-delà. Robert Habeck, le ministre de l’Économie (un Realo du parti des Verts…), s’est vu contraint de prendre cette décision il y a quelques semaines, affirmant ne pas pouvoir exclure des risques de coupures. Et pour cause : les scenarii réalisés par les quatre gestionnaires du réseau allemand d’électricité (les fameux « stress-tests ») sont tout sauf rassurants. Cette décision est une première entorse au calendrier Merkel de 2011, et sans doute pas la dernière. Plutôt ironique pour un pays qui avait applaudi (et en grande partie provoqué) la décision française de fermer Fessenheim.

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Logiquement, cette politique a conduit les Allemands à militer contre l’inclusion dans la taxonomie européenne de l’énergie nucléaire ; en d’autres termes à pousser pour que les financements aillent vers d’autres énergies, au détriment du nucléaire. Comme le rappelait Margot de Kerpoisson dans La Tribune en novembre dernier, « plusieurs raisons expliquent la tentative allemande d’affaiblir le nucléaire français au sein de l’UE. Le système énergétique allemand étant défaillant, l’exclusion du nucléaire de la taxonomie européenne permettrait à Berlin de continuer à capter plus de subventions tout en en écartant le nucléaire français. L’Allemagne ne nous demanderait-elle pas de financer exclusivement sa transition énergétique ? »

Une stratégie qui s’est finalement révélée perdante, puisque les eurodéputés ont voté le 6 juillet dernier pour la proposition de la Commission européenne d’inclure le nucléaire dans la « taxonomie verte », qui lui permet de bénéficier de financements privilégiés.


[1]. Oekom Verlag, München, 2013.

[2]. « J’attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie », mai 2021.

[3]. Nucléaire civil, le rebond !, Liber Media, 2011.

Assemblée nationale: mais à quoi servent les députés LR?

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Décor de l'émission "Questions pour un champion" le 15/12/2005 / PHOTO: BENAROCH/SIPA / 00521004_000011

Si vous répondez «  À pas grand-chose », vous avez gagné !


Mélenchon, qui est malin, presse Les Républicains de déposer une motion de censure. Les siens la voteront. Et les parlementaires du Rassemblement National en feront de même. 

Ainsi, le gouvernement tombera et il faudra revenir devant les électeurs. Une perspective qui plonge Les Républicains dans l’effroi. Car dans l’hypothèse de nouvelles législatives, ils craignent d’y laisser des plumes. C’est ce qu’ont bien compris Bruno Retailleau et Olivier Marleix.

Et comme il leur est difficile de dire la vérité, ils procèdent avec une tartufferie éprouvée. « Nous allons un jour déposer une motion de censure », a dit Retailleau. « Mais pas tout de suite, car nous sommes faibles et pas prêts », a-t-il ajouté. 

Autant dire jamais ! Ainsi, Les Républicains en sont-ils réduits à jouer les supplétifs des macronistes. Les supplétifs, ça existe. Il y a ceux du groupe Wagner, mais eux au moins ils se battent. 

On comprend Les Républicains. Et nous compatissons à leur sort. Être la bouée de sauvetage des macronistes, ce n’est quand même pas très glorieux.

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Villerville à l’heure d’Hiver!

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Jean Gabin, Suzanne Flon and Jean-Paul Belmondo dans Un singe en hiver, d'Henri Verneuil. 1962. / 01/01/1962 / PHOTO: NANA PRODUCTIONS/SIPA / 01036921_000074

La ville normande fête, du 28 octobre au 1er novembre, les 60 ans du film Un singe en hiver tourné dans la station normande et les 100 ans d’Antoine Blondin.


2022 est l’année du Singe en Normandie. Ce week-end, ne vous étonnez pas de les voir par centaines, le nez collé aux vitres du train Paris-Tigreville, un peu hagards, un peu mélancoliques, ils migrent vers la station balnéaire à la recherche de leurs vingt ans. Parce ce que le film d’Henri Verneuil est une borne existentielle, parce que Belmondo toréait à l’entrée de la ville avec l’intensité des enfants tristes, parce que Suzanne Flon en épouse inquiète emmerdait gentiment son mari, parce que Noël Roquevert vendait une marchandise fantasque et improbable au Chic Parisien, parce que Gabin suçait des bonbons sur un quai de gare désert, parce que la pension Dillon était prise d’une soudaine anglomanie, parce que Paul Frankeur, bistrotier amer servait un Picon-bière à la couleur ambrée, parce qu’Audiard alternait entre la poésie d’Apollinaire et la réplique boulevardière, parce que le roman d’Antoine Blondin avait le tragi-comique des appels au secours quand l’heure est trop tard, parce que des fusées colorées explosaient dans le ciel et illuminaient la plage au sable mouillé, parce qu’il était question d’un fleuve lointain et de l’histoire d’un fusiller-marin, parce que Michel Magne chinoisait la mélodie du désespoir par un excès d’harmonica, parce que le crachin normand noyait l’horizon des jeunesses en fuite, parce que l’hôtel Stella comptait quatorze chambres vides à cette saison, parce que les espagnolades au cinéma ramènent toujours les petites filles à la maison, parce qu’on appelait Madrid et que l’on raccrochait avant d’entendre la voix d’une femme jadis aimée. Parce que les sentiments les plus intimes n’empêchaient pas les formules carnavalesques.

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Parce qu’on n’avait pas choisi entre rire ou pleurer, entre s’effondrer ou se redresser. Parce que nous touchions là, peut-être, l’identité française dans ce qu’elle a de plus désenchantée et de follement picaresque, d’humeurs chancelantes et de coups de menton, d’abandon et de sursaut moral. Parce que les Hommes n’avaient pas encore la prétention de tout expliquer, de tout régenter, de tout rentabiliser, de tout compartimenter et de tout justifier. Arrière les Esquimaux ! Et que le besoin de faire des phrases, des jolies, des piquantes, des marrantes, des remplies de larmes et des girondes qui pigeonnent au balconnet, des sèches comme le froissement d’une muleta dans une arène ou des gourmandes comme un petit salé aux lentilles sur une nappe à carreaux amidonnée n’était pas seulement l’apanage des marins. Il y a dans ce film et dans ce roman, les ferments d’une nostalgie libératrice et émancipatrice. Je revois Jean-Paul engoncé à l’arrière d’un taxi DS à la recherche d’une nuitée, sous une flotte drue, qui s’infiltre dans la peau et dans les interstices de l’âme. Et miracle climatologique, la Citroën immatriculée 405 FA 14 s’arrête devant le Stella, Albert Quentin ouvre, il porte une canadienne sur un pyjama à rayures.

Et je me sens bien comme des milliers de fans à travers tout le pays. On respire enfin les œufs en meurette et la sémantique persifleuse. Cette mémoire-là ne doit pas disparaître, des hommes de bonne volonté s’activent pour la faire courir et partager entre les différentes générations. Ils sont des passeurs. Ils ont l’art de la pyrotechnie éclaireuse dans le maquis des sources et des archives. Pour célébrer ce double anniversaire, le film datant de 1962 et les 100 ans d’Antoine Blondin né en 1922, Villerville se met à l’heure d’Hiver durant tout le week-end prochain. La commune très engagée dans la préservation de son patrimoine culturel, bien aidée par une équipe de spécialistes au savoir livresque emmenée par François Jonquères, le sémillant chef des Hussards a élaboré un programme de haute tenue littéraire et au fort tempérament farceur. Au programme, une exposition racontant le tournage d’Henri Verneuil et l’écriture du roman avec des documents originaux rares, des rencontres avec notamment Ariane Dolfus, la nièce d’Antoine Blondin mais aussi avec des critiques et des éditeurs, des projections de films, l’ouverture exceptionnelle du « Cabaret Normand » et même un feu d’artifice qui sera tiré depuis la plage, comme à la fin du film et bien d’autres surprises. Une expérience immersive comme disent les prospectus publicitaires, chers à Gabriel Fouquet. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l’aspect grandiose du mélange !

Victimes palestiniennes: le « deux poids deux mesures » des médias français

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Membres masqués des brigades de martyrs al-Aqsa à Naplouse avant une conférence de presse le 10 février 2022 Shadi Jarar'ah \ apaimage/SIPA 01060465_000013

Quand un médecin palestinien meurt dans un échange de feu entre Israéliens et Palestiniens dans un camp de réfugiés, on s’attendrait à ce que la presse française en fasse grand cas. Et pourtant, la mort d’Abdallah Abu Tin a été passée sous silence par nos médias normalement pro-palestiniens. L’explication se trouve dans le rôle particulier joué par ce docteur.


La mort du docteur Abdallah Abu Tin a été largement ignorée par les médias mainstream en France. Il a été tué le 14 octobre 2022 dans la ville de Jénine (qu’on appelle « camp de réfugiés » en français) lors d’une opération de l’armée israélienne à la recherche de terroristes.

Un médecin tué par les Israéliens et les médias français n’en font pas des tonnes ? Cherchez l’erreur !

Sa mort a été annoncée par le ministère de la santé palestinien le vendredi 14 octobre, et les journaux anglophones du Moyen Orient, comme The National, ont immédiatement relayé la nouvelle. Pourtant, les Brigades des martyrs d’al-Aqsa, une des milices créées par Yasser Arafat et que l’Union européenne a classée terroriste, n’a pas tardé à révéler que le médecin n’était pas seulement un généraliste, mais aussi un spécialiste de la mitrailleuse.  

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Le groupe terroriste a même créé une affiche montrant apparemment le docteur qui tient plusieurs fusils d’assaut. L’affiche et la photographie d’origine utilisée pour le montage ont été reproduites par The Times of Israel qui a ajouté qu’un compte Telegram considéré comme appartenant à la milice terroriste a salué la mémoire du médecin « mort en martyr en se battant côte à côte avec les résistants armés ».

Une fois les circonstances de sa mort ainsi éclaircies, le cas du médecin tué ne présentait plus aucun intérêt du point de vue de l’extrême-gauche française, pro-palestinienne. Le contraste avec la couverture médiatique de la mort de la journaliste Shireen Abu Akleh, tuée dans un échange de tirs entre terroristes palestiniens et soldats israéliens, est frappant. Deux poids, deux mesures pour la presse française.

Richard Millet aggrave son cas

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Richard Millet, le 07/05/06 / PHOTO: BALTEL/SIPA / 00529501_000002

Dans un silence retentissant, Richard Millet publie deux textes magistraux : La Forteresse, son autobiographie et La Princesse odrysienne, un ultime roman. Ostracisé par le clergé médiatico-littéraire, il confirme pourtant, avec ces pages, être l’un de nos plus grands écrivains.


Il est des livres qui produisent un ébranlement singulier chez le lecteur. Mais c’est de plus en plus rare. Notre époque a sonné le glas de la littérature. Les fonctionnaires du culturel surveillent le terrain et les derniers écrivains, ceux qui créent une œuvre, maîtrisent la langue française – désormais trouée comme un manteau de lépreux – et possèdent un style puissant, sont voués aux gémonies. On encense les médiocres car ils ne perturbent pas le système d’amnésie généralisée. Richard Millet en sait quelque chose, mais il continue d’écrire. Lui, l’écrivain condamné à la mort sociale par les sycophantes du nouvel ordre moral pour avoir publié, il y a dix ans, un livre interdit. Quel était le mobile pour dresser le procès-verbal de son exclusion fatale ? Un court texte au titre provocateur, pas lu par ses détracteurs, Éloge littéraire d’Anders Breivik.

Il n’était pas question de faire l’apologie du tueur de masse, mais d’indiquer que l’effondrement des valeurs de la civilisation européenne, ainsi que la perte de l’identité nationale, risquait d’engendrer de tels actes barbares. Cette urgence à dénoncer l’idée de décadence doit être l’une des fonctions fondamentales de la littérature. Richard Millet, écrivain talentueux et protéiforme, éditeur scrupuleux chez Gallimard (deux de ses « protégés » ont obtenu le prix Goncourt), n’a bénéficié d’aucune protection. L’homme était un solitaire et il l’est resté. Figure moderne du croisé, il a osé défendre les valeurs de l’Occident ; et a scellé son sort.

La Forteresse est une autobiographie dans laquelle Richard Millet retrace ses vingt premières années, de 1953 – naissance le 29 mars, un dimanche des Rameaux, à Viam, sur les terres âpres du Limousin – à 1973. Les années suivantes sont évoquées dans les trois tomes de son journal ainsi que dans La Confession négative et Tuer. Aussi, Millet ne revient-il que de manière brève sur le texte qui lui valut le bannissement de la part du « clergé médiatico-littéraire », notamment pour lui répondre, à ce clergé tout-puissant : « J’écris pour ne pas lui accorder une autre forme de défaite ».

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Nous voici donc face à la boîte noire de l’enfance. Elle est hautement irradiée, et l’écrivain révèle ce qu’elle peut avoir de plus intime, dérangeant, voire violent. Il la dévoile dans un style précis, avec le souffle de l’arpenteur du plateau de Millevaches ou de la montagne libanaise, la phrase se déploie, ductile, et jamais ne rompt. C’est que la nature de l’auteur de Ma vie parmi les ombres est faite de cette lave que le temps a figée en obsidienne noire. « L’enfance est le tout d’une vie, puisqu’elle nous en donne la clé », a écrit François Mauriac, écrivain tourmenté par la chair, à l’image de Millet. Ce dernier évoque, pour justifier son entreprise, la recherche de l’origine de sa sensualité et, plus précisément, la cause première d’une complexion sensuelle douloureuse, comme frappée par la malédiction. Très peu d’écrivains ont osé relever ce défi, décrire l’innommable, montrer la vérité hideuse, morbide, celle pour laquelle il n’existe aucun rachat possible. Millet parvient à nommer la souillure originelle de son être, mieux, il l’analyse et l’offre à ses lecteurs, au risque de les perdre. Mais la vérité est à ce prix. Son père lui a légué ce viatique empoisonné.

Il arrive que l’autobiographie soit le genre retenu par l’écrivain pour donner de lui-même une image retouchée, valorisée, surtout à notre époque où le narcissisme est devenu une pratique olympique. Ici, rien de tel. Millet déteste tout de lui, à commencer par son corps, qui porte à présent les stigmates du cancer, et affirme que « la haine de soi étant, après tout, un bâton aussi commode que le narcissisme pour cheminer ici-bas ».

La vérité nue

Tel Œdipe avant l’ordalie, Millet n’évite rien et franchit tous les obstacles dans le seul but de comprendre pourquoi il s’est complu dans la forteresse qu’il a lui-même érigée, dans l’espoir d’échapper au monde des adultes et de préserver l’enfant qui vit toujours en lui. Un enfant taiseux, timide, blessé par la médiocrité généralisée, effrayé par une sensualité exubérante, traumatisé par des événements exhumés des limbes, l’ensemble étant tenu dans l’ombre paternelle, incommensurable.

Richard est un enfant battu, incapable de se révolter, acceptant l’éducation rigoriste d’un père protestant érudit qui moque sa progéniture dès qu’elle commet une faute de syntaxe ou n’emploie pas le bon mot. Richard sera écrivain à la fois pour et contre ce père, et il attend sa mort, à 99 ans, pour publier La Forteresse. Un père, instituteur puis directeur administratif dans diverses sociétés, qui entraîne, pour son travail, sa famille au Liban. Le futur écrivain découvre la littérature et la musique grâce à cet homme qui ne souhaitait pas d’enfant et était incapable du moindre signe d’amour. Écrire pour combler le manque et tenir en respect l’idée de suicide. Millet, au scalpel : « J’en appelle au néant d’où le sperme paternel m’a tiré pour me projeter dans la sphère maternelle, me faisant passer de la nuit sidérale à l’humide chaleur d’un ventre que j’imagine orangée, et où je n’ai d’abord été qu’un crachat, comme tout un chacun, mais qui me laisse l’impression indéfectible, de l’être resté, aux yeux de mon père comme aux miens ». Puis il ajoute : « D’où mon goût pour les héroïnes de Bataille et de Jouve, et aussi de Faulkner, toutes les femmes sacrificielles ». Ses deux épouses, il les a accompagnées jusqu’à leur dernier soupir, et il y a eu les prostituées. L’une d’entre elles est décrite de façon inouïe. Elle est une sorte de divinité, au milieu d’hommes misérables, dans le quartier de Barbès. Rarement un écrivain n’a deviné aussi loin l’origine de sa sensualité.

Malgré la présence de François, son frère né en 1955, l’enfant, puis l’adolescent continue de mener une existence solitaire, comme celle d’un fils unique, écartelé entre la nature granitique du père et celle mélancolique de la mère, « nuageuse » pour reprendre son adjectif, bourrelée d’angoisses écrasantes, surtout entre midi et seize heures, sous le bleu cru du ciel. Millet renforce ainsi au fil des ans la forteresse qui le protège du bruit, des odeurs, de ses phobies, et surtout de la mesquinerie des hommes, n’ouvrant, malgré lui et à ses dépens, que deux meurtrières, celles des femmes et de la guerre.

Millet se livre totalement, entièrement, sinon à quoi bon cette confession exemplaire. Il dit la vanité de toute chose, le refus d’aller vers autrui, la volonté de ne vivre que par et pour l’écriture, dans une France parodique et post-littéraire, qui a laissé mourir la paysannerie et donc son univers familial. Il espère encore l’amour que ses deux filles pourraient lui porter. Il révèle, avec courage, la maladie dont il souffre et qui s’est déclarée à l’âge de 19 ans. Millet descend jusque « dans l’égout ». C’est la scène dans le cinéma où l’on projette Juste avant la nuit de Chabrol. Sa mère est présente. J’avoue que l’effroi m’a saisi en la lisant. La littérature, décidément, est puissante quand elle est du côté du Mal.

Cette autobiographie ne ressemble à aucune autre. Elle éclaire sous un soleil blafard l’auteur qui tient à la fois d’Holden Caulfield et de Bartleby. Il a voulu tout arrêter, découragé par l’entreprise. Millet : « Continuons, malgré la tentation, une fois encore, de tout laisser en plan pour recourir à la fiction, laquelle en dirait peut-être davantage par la vertu des associations et des métaphores – transports et bonds vers une source aux eaux plus froides, et paralysantes, que je ne pensais ». La fiction, pour aider à descendre dans la salle funéraire où se décomposent les déchets inavouables d’une vie, comme La Princesse odrysienne, ultime roman, selon l’affirmation de Millet lui-même, publié chez Aqua Aura, avec le portrait d’une femme ô combien troublante, Emma.

Le crime de Richard Millet aura été de lézarder les murs de la forteresse où, aveugles et sourds, nous nous retranchons, dans l’espoir de jouir encore un instant d’un pitoyable bonheur. Avec son autobiographie, il aggrave son cas en révélant sa nature complexe, contradictoire, glaçante parfois, et nous oblige à faire notre propre introspection. « Il se peut enfin que le mot de deuil recouvre aussi une énigmatique forme d’amour – et que j’aie toujours été peu ou prou amoureux de ma mort, vivre n’étant qu’une suite de variations sur le deuil, puisque nous ne cessons de mourir à nous-mêmes ».

Aucun pardon ne lui sera accordé ici-bas.

La Forteresse. Autobiographie. 1953-1973

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Richard Millet, La Princesse odrysienne, Aqua Aura, 2022.

Cyril Hanouna : tout haut, ce que tout le monde pense tout bas

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Cyril Hanouna, le 09/03/22 / PHOTO: Laurent VU/SIPA / 01064366_000078

Les déclarations de Cyril Hanouna sur le plateau de Touche pas à mon poste!, le 18 octobre, révèlent le fossé entre les attentes des Français et la Justice française. A dire la vérité, on récolte la polémique. Tribune


Dans son émission du mardi 18 octobre, Cyril Hanouna, l’animateur-star de C8 a poussé une série de coups de gueule qui ont fait du bruit. Alors que la France vit encore sous l’onde de choc de l’affaire Lola, ce père de famille a demandé un procès très rapide et très ferme.

Et là, c’est le vrai drame. Oublié le meurtre de Lola, oubliée la douleur des parents, oubliés les centaines d’homicides qui ont lieu chaque année ou les 300 000 agressions, multipliées par 7 depuis 1988. Non, le drame c’est que la sacro-sainte procédure judiciaire et les droits des accusés sont en jeu. En disant pourtant ce que l’écrasante majorité des Français pense, Cyril Hanouna a blasphémé.

Mais, le monde judiciaire est quasiment unanime, à commencer par le ministre de la Justice, à condamner ces déclarations. Eric Dupond-Moretti ose même prendre pour témoins les fantômes du « Moyen-Âge », vers lesquels Monsieur Hanouna nous ramènerait.

Indécence et condescendance

Cyril Hanouna n’a jamais prétendu être professeur agrégé, c’est un citoyen français, de surcroît écouté et apprécié par des millions de Français, et il a le droit de pousser un cri du cœur.

Mais les professionnels du droit ne veulent pas de cri du cœur. Ils se drapent dans leur pratique, dans leurs grands principes, dans leur raison supposée éclairée. Ils savent mépriser bien comme il le faut ce « populisme judiciaire ».

C’est un classique : le journal le Monde parlait déjà de « poujadisme judiciaire » dans les années 1980, pour fustiger ce petit peuple français qui soutenait unanimement Lionel Legras, garagiste accusé d’avoir tué un cambrioleur.

Il y a, dans ces cris d’orfraies, non seulement de l’indécence vis-à-vis du drame de Lola, mais surtout une éclatante condescendance. Cette condescendance, on la reconnait, c’est toujours la même. Elle accompagne les analyses des avocats et des magistrats après des affaires criminelles.

C’est la même que j’ai connue personnellement pendant mes cours de droit à la Sorbonne et que tentaient de nous transmettre certains professeurs, heureux de nous accueillir dans la caste « supérieure » des juristes.

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« Le peuple » contre « le discours dominant »

Certes, la procédure judiciaire est important. Son but premier est de protéger les innocents contre les abus de l’Etat et c’est un but noble. Non, bien sûr, la Justice ne peut pas mener de procès expéditifs. Pourtant, la Justice française s’est perdue en procédures… et en laxisme. C’est un fait su de tous, et même organisé par l’Etat depuis une quarantaine d’années.

On a inventé les aménagements de peine, on a gonflé artificiellement les protections des « présumés innocents ». On a inventé des remises de peine automatiques, puis des remises de peines supplémentaires. On a encouragé le bracelet électronique… Bref, on a donc fait 40 ans de cadeaux aux coupables.

Et nous nous réveillons, aujourd’hui, avec une insécurité qui explose : les agressions doublées depuis l’an 2000, les homicides et tentatives depuis 2010, et les violences sexuelles depuis 2012.

Peut-être faudrait-il changer de méthode ? Peut-être que la fermeté, la fin de la complaisance envers les coupables produiraient de meilleurs résultats ?

En définitive, cette affaire met le doigt sur l’immense fossé qui sépare les attentes des Français et la pensée dominante dans le milieu de la Justice. L’ancien ministre de la Justice, Alain Peyrefitte, vilipendé par les milieux judiciaires de l’époque, avait une phrase qui résume tout : «La société a-t-elle le droit de punir ? Le discours dominant le nie. Le peuple l’affirme ».

Et le pire dans cette affaire, c’est que ce réflexe de s’arcbouter sur les « saints » principes de la Justice mènera précisément à leur éclatement total. Ce n’est pas un hasard si, ces derniers jours, à Nantes et à Roanne, des citoyens se sont fait justice eux-mêmes, n’ayant plus aucune confiance dans le système judiciaire. Il est temps que certains milieux remettent leur égo sous le tapis pour écouter ne serait-ce qu’un peu ce que demande la majorité des Français.

Pierre-Marie Sève est délégué général de l’Institut pour la Justice.