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Quand la gauche française fait une syncope devant la Coupe du Monde de rugby

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La cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde organisée sur notre sol ne visait pas à l’universalité, mais à montrer la particularité d’un sport et la façon dont il s’inscrit dans notre identité nationale. De nombreux journalistes et personnalités progressistes ont estimé que tout cela sentait très mauvais.


Il est peu dire que la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de rugby a fait couler beaucoup d’encre ! Jamais avare en commentaires de femme au bord de la crise de nerfs, Sandrine Rousseau a fait part de sa « honte », avant que Libé ne lui emboîte le pas en dénonçant une « France rance ». Samuel Gontier, qui se définit lui-même comme un journaliste de canapé pour Télérama, de nouveau victime d’une « glissade intersectionnelle », s’est de son côté demandé si Eric Zemmour avait été à l’origine de la conception des festivités.

Ma France, mon pinard, mon cochon

Mieux encore, plus fort, plus hystérique, cet article de l’inénarrable William Perreira dans les colonnes de 20 Minutes : « Ma France, mon pinard, mon cochon. Plus fâcheux encore, la cérémonie qui, paraît-il, célébrait l’art de vivre à la française, n’est pas vraiment inclusive. Ici un manque de représentativité, là-bas des symboles désuets, comme le magnifique jambon de pays apparu à plusieurs reprises à l’écran, limite ostentatoire. On frôle parfois la version chorégraphiée du meme rétrograde « Ma France, mon pinard, mon cochon » ».

Fallait-il, pour complaire à des gens qui se moquent habituellement du rugby comme de leur dernière chemise, confier l’organisation de la cérémonie à l’équipe de Drag Race France plutôt qu’à Jean Dujardin ? Ou, comme je l’ai directement répondu à Sandrine Rousseau sur Twitter, ajouter quelques figurants pour rejouer les émeutes de Sainte-Soline, un ou deux transsexuels, un rodéo de minis motos en hommage aux « victimes de la police », deux trois rappeurs pour faire bonne mesure, et un haka en non mixité choisie menée par Mathilde Panot et Raquel Garrido vêtues en Vahinés post-modernes ?

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J’ai même fini par me demander si les habitants du sud-ouest de la France n’étaient pas pris pour des ploucs à cacher dans l’arrière-boutique de la maison France, avec leur rugby et leurs férias d’un autre âge. Serions-nous de trop dans ce paysage « inclusif » et bienveillant qu’entendent nous dessiner madame Rousseau et ses amis ? Qui s’est jamais véritablement intéressé à une ouverture de Coupe du Monde de Rugby ? Il est absolument grotesque de comparer cela, ne serait-ce que sur le plan des moyens financiers et de l’exposition médiatique, à la cérémonie d’entrée des Jeux Olympiques de Londres en 2012, comme s’y sont risqués certains internautes…

Présent pas fédérateur

Le vrai enjeu d’une telle compétition est le jeu. Oui, le rugby est un sport de niche qui est aimé de tous les Français mais très ancré historiquement dans les campagnes et le terroir du quart sud-ouest de la France. Au niveau international, il est surtout pratiqué dans les pays du Commonwealth. En quoi cela dérange qui que ce soit ?

Les réactions de toutes ces pleureuses étaient si attendues et caricaturales qu’elles nous auraient presque donné envie de voir un duo entre Michel Sardou et Patrick Sébastien entonner « Pourvu que ça dure » devant un stade en ébullition : juste pour les faire causer un peu plus, qu’ils aient de bonnes raisons de pester et de mépriser les Français qui ont le malheur de ne pas être encore totalement éveillés à leurs désirs de déconstruction de notre culture. Si cette France « sépia » qui sent la « naphtaline » séduit encore autant, c’est bien parce que notre présent n’est pas fédérateur.

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La cérémonie n’était certes pas parfaite, l’homme coq sûrement ridicule et la Marseillaise en canon proprement massacrée, mais au moins mettait-elle en avant une image qui bien qu’idéalisée n’en restait pas moins fidèle à certains grands permanents de la culture rugbystique française. Elle ne visait pas à l’universalité mais à montrer la particularité d’un sport et la façon dont il s’inscrit dans notre identité nationale. Oui, il est dommage que l’identité de la France se réduise au folklore festif, mais c’est bien parce qu’il s’agit du dernier domaine de fierté autorisé…

Les critiques sont d’ailleurs les premiers à s’afficher sur Instagram avec une planche de charcuterie et un ballon de rouge en terrasses au Pays Basque… Ils sont tout simplement bien souvent hypocrites. Leur est étranger voire odieux « tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binouis, bref, franchouillard ou cocardier » comme le disait déjà Bernard-Henri Lévy il y a quelques décennies. Et ils ne sont pas au bout de leur peine puisque cette équipe composée de deux tiers de joueurs nés en Aquitano-Occitanie, souvent dans de petites villes, pourrait bien gagner ce championnat et entraîner une vague de rugby mania… Les garçons préfèrent généralement le ballon ovale aux tutus. Vous ne faites pas les règles Sandrine.


Elisabeth Lévy sur Sud Radio : « Une partie de la gauche déteste tout ce qui est français et populaire ! »

Retrouvez la chronique de notre directrice après le journal de 8 heures.

Ségolène Royal et Sandrine Rousseau sont dans un bateau… et coulent (avec) la gauche

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Devant l’insistance des journalistes, la députée Sandrine Rousseau a finalement fait preuve de bravitude : non, elle ne voit pas d’un bon œil Ségo en tête de liste de la Nupes aux élections européennes. Récit du dernier camouflet infligé à la star du Poitou.


Ce mardi 5 septembre, dans l’émission Quotidien, Jean-Michel Aphatie – qui semble avoir trouvé immédiatement ses marques dans une émission qui se targue d’informer en divertissant – fait son numéro habituel, mélange de bon sens du terroir surjoué et d’argumentation sarcastique. Après avoir rappelé la proposition de Ségolène Royal de réunir sous sa bannière toute la gauche pour les prochaines élections européennes, le journaliste dresse un portrait goguenard de la prétendante au rôle de fédératrice puis interroge l’invitée du jour, Sandrine Rousseau : « À votre avis, Ségolène Royal peut-elle représenter la gauche ? » La députée écologiste hésite, demande si elle a droit à un joker puis répond sobrement, l’air pincé : « La réponse est non ! »

A ne pas manquer, Jeremy Stubbs: Causeur #115: Gauche Médine contre France Sardou

Sandrine Rousseau, à l’inverse de la majorité de son parti, aurait aimé qu’une liste d’union de la gauche se présente aux Européennes. Mais pas avec n’importe qui pour la diriger – elle se souvient que LFI avait promis de confier la tête d’une éventuelle liste commune à un écologiste. Devinez qui se sentait prête pour remplir cette mission ?

Star Academy

Ce qui manque à cette gauche, a dit la députée pour tacler Ségolène Royal, « ce n’est pas une star ». Sandrine Rousseau versus Ségolène Royal, c’est le combat des cheffes sur le ring des médias – ces deux-là savent faire le buzz et sont prêtes à tout pour attirer les projecteurs sur elles. Sandrine Rousseau n’a pas manqué l’occasion, sur le plateau de Quotidien, de montrer sa différence avec Ségolène Royal en même temps que ses accointances avec LFI sur certains sujets : elle est, par exemple, contre l’interdiction de l’abaya à l’école au nom des « valeurs de la République », et parce que « ce n’est pas un sujet fondamental ». Une « machine de broyage médiatique et ministérielle » a été mise en branle contre des « jeunes filles », selon la députée écologiste qui conclut : « Et je me dis qu’on n’a pas complètement déconstruit les rapports notamment hommes/femmes ». Seule Sandrine Rousseau pouvait oser proférer une telle incongruité – nul doute que pour graver de colossales absurdités au fronton du bâtiment de la gauche en ruine, la star, c’est Sandrine.

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Mmes Royal et Rousseau participent, chacune à sa manière, à l’effondrement de la gauche. Elles ne sont pas les seules et cet effondrement n’est pas que pure hypothèse : le PC et le PS soubresautent au fil des élections en attendant le râle final. L’extrême gauche rouge et verte, immigrationniste, islamo-gauchiste et wokiste, baisse dans les sondages. Les insoumis semblent n’avoir plus d’autre objectif que de mettre la France à genoux et visent en priorité l’électorat musulman. Les écolos, à force d’oukases écologiques « décroissants » et de sermons apocalyptiques sur le climat, exaspèrent une bonne partie de la population et adoptent à leur tour les recommandations de Terra Nova, à savoir chercher à récupérer les voix des « minorités », des femmes, des jeunes diplômés et des Français d’origine immigrée – recommandations suivies à la lettre par LFI. Sur le plateau de Quotidien, un journaliste évoque le dernier sondage (IFOP pour Charlie Hebdo) révélant que 79% des sympathisants EELV et 58% des sympathisants LFI approuvent l’interdiction de l’abaya à l’école. Sandrine Rousseau n’en a cure : « On n’est pas là pour flatter les opinions les gens, je pense qu’on est là pour défendre des valeurs, moi je défends des valeurs », s’agace-t-elle. De son côté, au micro de RCF, Ségolène Royal s’en tient à la loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école et ne mégote pas, à l’inverse de Sandrine Rousseau et des députés LFI, sur l’interdiction de l’abaya qui devra être appliquée, dit-elle, avec « pédagogie et bienveillance » mais sans faillir. Malgré tout, l’envie d’être sous les feux de la rampe l’emportant sur le reste, elle n’a pas hésité, quelques jours auparavant, à se rendre aux universités d’été de LFI et à proposer ses services…

Quand Jean-Luc Mélenchon se sacrifie pour les copains pour accéder à la salle du trésor

Lors de ces universités, Ségolène Royal a dit être « au-dessus des partis » et vouloir « déclencher et faire converger une dynamique d’union ». Afin d’attendrir un public réputé revêche et inhospitalier, elle n’a pas hésité (c’est à ça qu’on la reconnaît) à en appeler à la « tendresse en politique » et à justifier le fait de vouloir le pouvoir, non pour le pouvoir, mais « parce qu’on aime les gens qui nous le confient provisoirement ».

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Hypocritement, Jean-Luc Mélenchon a salué la démarche de Mme Royal en sachant qu’elle ne mènerait nulle part ; il s’est surtout régalé de voir les socialistes et les écologistes se faire tirer les oreilles par l’ancienne candidate aux présidentielles qui, pleine de bravitude, ose affirmer que « LFI s’est sacrifiée pour les législatives au profit des partenaires de la Nupes » qui ont oublié « les bénéfices qu’ils ont tirés de l’union ». Les premiers visés par cette diatribe, les socialistes, pensent également que Ségolène Royal ne représente plus la gauche. Pour beaucoup d’entre eux, Ségolène ne représente plus que Royal, une « marque » en mal de visibilité et n’hésitant pas à faire monter la mayonnaise médiatique et la moutarde aux nez de ses anciens collègues socialistes pour ne pas disparaître de l’offre politique. Certains représentants d’EELV pensent grosso modo la même chose de leur collègue Sandrine Rousseau. Royal et Rousseau ont en commun, en plus d’une absence de véritable programme, un égo surdimensionné, un surmoi en vacances et une appétence pathologique pour l’exposition médiatique, d’où leur détestation réciproque et l’agacement de leurs camarades. Toutes les deux la jouent perso et osent tout – même leurs acolytes politiques semblent avoir de plus en plus de mal à supporter leurs incartades médiatiques qui n’ont qu’un but, faire parler d’elles. D’où la question suivante : Si Ségolène Royal ne le peut pas, Sandrine Rousseau peut-elle, elle, représenter la gauche lors de prochaines élections ? En plus des communistes, des socialistes et des insoumis qui, unanimement mais pour des raisons différentes, répondraient vraisemblablement par la négative, il n’est pas certain qu’au sein même de la gauche écologiste, il ne se trouve pas une bonne partie de sympathisants pour penser que… « la réponse est non ! »

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Nougablues

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Né un 9 septembre, Claude Nougaro aurait eu 94 ans aujourd’hui. 94 ans ça ne se fête pas. Surtout pour lui, absent des ondes, des hommages et des vénérables références. Trop sauvage, trop provincial surtout. Et pourtant. Sa contribution aux générations d’artistes qui ont suivi est balèze. Avec Gainsbourg, il a fait swinguer la langue française sur des rythmes et des sons qui, avant eux, paraissaient incompatibles. Quand Gainsbourg stylisait les mots à la pointe de son fusain, Nougaro les bousculait à la truelle. Il en a cassé des briques et accumulé des tuiles, le maçon cathare. À construire une œuvre monumentale. Pensées sur lui.


D’un stock de granit caché dans la roche
Sort des mots estampillés gros gibier,
Durs à l’impact ils frappent sans pitié
Donneurs de leçons et sonneurs de cloche

Au fond d’un verre de jazz l’âme du poète,
La main du boucher l’instinct de la bête,
Dans un bordel tenu par une baronne,
Le smoking fini au fond d’la Garonne

Son style tombé d’une caisse de munitions,
Pas pour les grives, pour la Révolution,
Est fort en métaphores de chercheurs d’or,
D’épices sauvages à faire bander les morts

Le swing a les secousses d’un tonneau ivre,
La plume se plie aux bagnards de la mer,
De ceux qu’on vénère pour mieux les faire vivre,
Dans l’intimité avant de se taire

Le cuir épais a l’humeur volatile,
Il picore pas la nuit du bout des lèvres,
Il la dévore, la mâche sans ustensile,
De ses doigts tordus gagnés par la fièvre

Il s’écoute en manque de viande, de fer,
Assis à Rungis entre les palettes,
Steak cathare désossé à la machette,
Éclairé par l’néon du frigidaire

Clochard céleste, ange d’impasse,
Il compte ses pieds sur les toits,
Ses doigts vont laisser une trace
De blues, sur l’hermine des rois

Retours perdants

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Ségo et Sarko, entre avenir compromis et ambitions avortées, les retours perdants. L’analyse politique de Céline Pina.


Avoir été devient souvent difficulté à être, quand les feux de la rampe s’éteignent.

Ségolène et Sarkozy ont donc tenté de faire leur grand retour en cette rentrée 2023. Une tentative de retour qui n’a pourtant rien d’une renaissance pour l’un comme pour l’autre. Ségolène Royal a voulu imposer sa présence à son camp, en tentant une OPA sur la liste LFI, au nom de l’union de la gauche. Jean-Luc Mélenchon, évidemment, a bien essayé de son côté de l’instrumentaliser pour déstabiliser le PS, mais même en tant que semeuse de zizanie, il n’y a définitivement plus « d’effet royal » sur qui que ce soit. De son côté, Nicolas Sarkozy cherche à prendre une place de vieux sage, à la fois faiseur de rois et mentor ; il se voudrait l’arbitre des élégances politiques. Le titre de son nouveau livre, Le temps des combats, n’annonce ni retraite ni recul. Mais là aussi, il ne suscite qu’une indifférence polie dans son propre camp.

Vieilles « gloires »

Pourquoi le retour des vieilles gloires de la politique ne fait-elle pas recette, alors que le grand remplacement des élus par le « nouveau monde » macroniste a échoué et redonné de la valeur à l’expérience ? Peut-être parce que le passé qu’ils incarnent n’est pas un temps qui nourrit la nostalgie, mais celui qui explique en partie les raisons de notre déclin. Ils ne sont pas les gardiens d’une sagesse oubliée mais font partie des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Ils ont de l’ambition pour eux-mêmes, mais n’ont jamais vraiment réussi à faire croire qu’ils en avaient pour la France.

A relire, du même auteur: La plus grande trahison du PS

Alors Nicolas Sarkozy essaie bien de distribuer ses oracles à droite mais force est de constater que sa parole n’est ni un repère ni un guide. Son refus de soutenir Valérie Pécresse, candidate de son camp à la présidentielle, l’a marqué du sceau de la traitrise. Une accusation qui jalonne tout son chemin politique. Son actualité reste donc et demeure l’accumulation de ses déboires judiciaires. Il garde néanmoins l’aura d’un ancien président de la République, et incarne de ce fait quelque chose malgré tout. Il en a conscience et n’a pas renoncé à toute dignité : on ne devrait pas le retrouver chroniqueur chez Cyril Hanouna dans cette vie.

Pathétique Ségolène Royal

De son côté, Ségolène Royal, elle, essaie pathétiquement de surnager. Quitte à devenir la tatie Danielle de son ancienne famille politique : sa proposition d’être tête de liste d’une liste d’union de la gauche aux Européennes, proposition faite lors des universités d’été des Insoumis, ne pouvait qu’embarrasser les autres partis qui essaient de s’extirper de la tutelle pesante de Jean-Luc Mélenchon. Il faut dire qu’elle n’a pas grand-chose à son crédit pour incarner un recours potentiel. Son bilan politique est maigre et son heure de gloire a été une défaite retentissante à la présidentielle de 2007. De cette bataille perdue n’est née aucune guerre gagnée. Mais pire encore, à l’heure où elle aurait pu incarner une forme de conscience morale, elle n’a jamais fait preuve du moindre courage. Personne n’oubliera que non contente de ne pas soutenir la jeune Mila, elle l’a brutalement critiquée alors même que cette jeune fille était menacée de mort. Cela donne la dimension d’un être. Nul n’a oublié non plus sa contestation du massacre de Boutcha, en Ukraine, pas plus que la comédie de ce poste d’ambassadeur des Pôles dont elle n’a rien fait, car elle considérait que c’était une marque de considération qui lui était due.

Les carrières d’opportunistes au service de leur propre cause ne laissent guère de traces collectives. Il ne s’agit pas ici de critiquer Ségolène Royal pour avoir su saisir les occasions qui passaient à sa portée. Jeune énarque, elle a su tirer profit de la prise du pouvoir par François Mitterrand et construire sa carrière. Ce qui est triste est de ne pas en avoir fait grand-chose d’utile pour le collectif.

On peut néanmoins la créditer d’avoir su saisir l’air du temps et d’avoir compris en 2007 que la gauche était dans l’impasse. Il y a ainsi quelque chose d’Emmanuel Macron chez Ségolène Royal. Elle a eu, comme lui, une intuition politique féconde : l’idée que le PS de Mitterrand était mort et qu’il fallait rebâtir la légitimité de la gauche en s’emparant du thème de l’autorité et de l’ordre juste. Mais il se trouve que, si en 2007 le PS était déjà un canard sans tête, il courait encore à ce moment-là. En 2017, il n’était plus qu’un grand cadavre à la renverse et notre président actuel, qui avait eu, lui, l’intuition de la fin des partis, a pu l’enjamber sans autres formalités. Il aura réussi, là où elle a échoué, mais quant à faire quelque chose des opportunités saisies, là aussi le parallèle s’impose et il est cruel pour Emmanuel Macron comme pour Ségolène Royal. Ces deux personnages ont toujours été au rendez-vous d’eux-mêmes, mais n’ont pas le courage politique qui permet de faire l’histoire au lieu d’être balayé par elle.

Les vues de Sarkozy sur l’Ukraine contestées par le camp du Bien

C’est aussi le cas de Nicolas Sarkozy qui peine à laisser l’empreinte d’un grand dirigeant. L’ancien président est même soupçonné par ses détracteurs d’être au service d’intérêts étrangers. Sa proposition de travailler à la neutralité de l’Ukraine et de reconnaitre l’annexion de la Crimée a fait bondir le député EELV Julien Bayou. Lequel a dit sur LCI, « on le comprend mieux quand on sait qu’il est acheté par les Russes ». Un certain nombre d’experts, comme Bruno Tertrais ou François Heisbourg, ne se permettent pas ce type de mise en cause mais ont été néanmoins choqué par l’analyse de Nicolas Sarkozy et le peu de recul sur la situation dont elle témoigne.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Comment éviter le grand basculement identitaire

En 2007, le reportage de Karl Zero, Ségo et Sarko sont dans un bateau, montrait à quel point les deux protagonistes de la présidentielle de 2007 avaient des profils proches. Tous deux quinquagénaires, exploitant leur vie privée à des fins médiatiques, habités par le même besoin de réparation d’une enfance vécue comme humiliante, ils bousculaient leur camp par leur modernité. Alors qu’ils tentent tous les deux de faire leur rentrée, c’est encore le parallèle de leur situation qui frappe. Ces vieilles gloires ne suscitent qu’indifférence auprès des leurs et ne signifient rien pour les générations qui viennent. Mais surtout, tous deux ont une terrible épée de Damoclès au-dessus de leur tête, celle de l’opprobre et du ridicule. Pour Nicolas Sarkozy, l’horizon est judiciaire, le jugement de l’affaire Bygmalion se profile et 2023 a déjà vu sa condamnation à un an de prison ferme en première instance dans l’affaire des écoutes. Si le jugement est confirmé, devenir le premier président de la Vème République à être condamné à de la prison ferme est peut-être historique, mais ce n’est pas ce que l’on espère quand on veut laisser une trace dans l’histoire. Du côté de Ségolène Royal, la tentative d’être tête de liste aux Européennes a échoué, mais il reste encore la carte Hanouna à jouer. Ségolène Royal est une des nouvelles chroniqueuses de l’émission de C8 TPMP. Là c’est le besoin d’exister à tout prix qui conduit à une forme de déchéance.

Alors que l’avenir de la France et des Français s’annonce difficile, l’expérience politique d’élus ayant eu de hautes fonctions aurait pu être un atout pour le pays.

Hélas l’exemple que donnent les anciens protagonistes de 2007 est loin de les hisser à la hauteur de l’enjeu. Quant au vainqueur de 2012, son mandat fut si piteux, qu’il n’a même pas pu se représenter.

En 2007, Ségo et Sarko étaient dans le même bateau. La question était de savoir qui tomberait à l’eau. En 2023, ils y sont encore mais ce n’est plus parce que leurs ambitions sont concurrentes mais parce qu’ils rament beaucoup pour ne guère avancer.

Tant qu’il y aura des films

Comme contrepoison à la Barbie barbante du cinéma américain de cet été, rien de tel que le nouveau film décapant et dérangeant de Catherine Breillat servi par une distribution étincelante. En prime, les toujours très précieux films de Mocky qui connaissent une nouvelle vie en salles.


Tout juste

L’Été dernier, de Catherine Breillat

Sortie le 13 septembre 2023

Certains la croyaient morte. D’autres, incapable désormais de toute création artistique. Ils se trompaient : Catherine Breillat, l’enfant terrible du cinéma français, n’a rien perdu de sa verve et de son indépendance à l’égard de la doxa. Présenté presque en douce au Festival de Cannes, L’Été dernier y a fait sensation. Anne (Léa Drucker) est une avocate renommée spécialisée dans les violences sexuelles faites aux mineurs. Lorsqu’elle rencontre le fils de son compagnon, âgé de 17 ans, elle entame une relation incestueuse avec lui, au risque de compromettre sa carrière et sa vie familiale… Difficile de faire plus vénéneux comme point de départ et Breillat, avec son coscénariste, le brillant Pascal Bonitzer, tient la note jusqu’au bout. Les amateurs de situations convenues passeront leur chemin. On imagine aisément ce que le néoféminisme à la mode cinématographique aurait pu faire d’une situation si iconoclaste. L’héroïne aurait fini par rentrer dans le rang, les bonnes mœurs l’auraient emporté et l’« innocence » serait sortie victorieuse du combat face à l’odieux adulte. Et si cela avait été un homme, l’affaire était pliée d’avance : condamnation morale de ce penchant forcément viriliste pour la chair fraîche. Mais, en choisissant une femme, mère de famille et avocate comme personnage principal, Breillat fait le pari de l’intranquillité. Sur le papier, tout fait d’elle une sainte. Dans les faits, elle remet en cause les bienséances. D’accusée potentielle, elle se fait accusatrice. Récusant par avance l’idée qu’elle a tort contre son plaisir, elle attaque et ose mettre en cause la parole de ce mineur que dans d’autres circonstances, elle serait appelée à défendre.

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Remake d’un long métrage danois jamais sorti en France, le film de Breillat cultive sa différence, y compris dans sa durée : une heure et quarante-quatre minutes, contre deux heures et huit minutes pour l’original. Rien d’innocent dans cette durée raccourcie : le récit progresse net et tranchant comme une lame de rasoir. Du cinéma à l’os. Pas de gras, comme s’il s’agissait d’aller à l’essentiel dans la description des sentiments, avec une caméra qui capte le moindre battement de cils.

L’Été dernier, de Catherine Breillat. ©Pyramide Films

Perverse, Breillat ? Non, humaine, tout simplement. Et c’est bien plus intéressant. Elle nous entraîne au fil du récit dans des zones d’inconfort successives. Complexe et ambigu, L’Été dernier assume cette forme de radicalité dans un paysage artistique qui aime tant les vérités simplistes d’un camp contre l’autre. Comme Justine Triet dans son impeccable Anatomie d’une chute, Catherine Breillat exploite les tréfonds de l’âme humaine sans jamais imposer son jugement, sa morale ou sa vision. Rafraîchissante attitude qui tranche avec l’air du temps. Ce que respecte le plus la cinéaste, c’est son spectateur, tout simplement : faisant fi de tout manichéisme imbécile, elle décide que ce sera à lui et à lui seul de se faire son idée définitive (ou non !). En refusant les conformismes et les impasses du film « à thèse », et grâce à une Léa Drucker au meilleur de sa forme, Breillat brosse le portrait d’une manipulatrice endossant le rôle de la victime. Cerise sur ce beau gâteau, une séquence finale filmée au cordeau et qui tombe comme un couperet glaçant. Et si, avec ce film d’une maîtrise totale, Breillat fendait enfin l’armure, se débarrassait une fois pour toutes des oripeaux de la vaine provocation pour décrire, tel un Chabrol, les folies bourgeoises, ordinaires ou non ? Ce serait assurément une bonne nouvelle.

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Tout compris

Jean-Pierre Mocky, l’affranchi (partie 2)

Sortie le 13 septembre

L’excellente société de distribution Les Acacias a eu l’idée de sortir une nouvelle salve de films de Jean-Pierre Mocky qui manque tant au cinéma français, depuis sa disparition en 2019. Pas moins de douze longs métrages aussi réjouissants les uns que les autres ! Quelques perles se détachent même du lot, comme L’Albatros, L’Ibis rouge, La Grande Lessive, Un linceul n’a pas de poches ou bien encore Snobs. Il faut voir et revoir ces œuvres faussement bricolées et vraiment décapantes. Qu’il donne dans le polar politique ou dans la fable sociale, Mocky fait mouche. Et il y a l’intense jubilation de retrouver au fil des films Bourvil, Lonsdale, Poiret, Serrault, Maillan et tant d’autres, y compris ces inénarrables seconds rôles dotés de gueules incroyables qu’affectionnait le cinéaste. Quel plaisir de voir ou de revoir ces films-là sur grand écran, et non sur ces télés étriquées que dénonçait si bien Mocky dans La Grande Lessive !

Jean-Pierre Mocky, l’affranchi (partie 2). ©Acacias Films

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Tout faux

Club Zéro, de Jessica Hausner

Sortie le 20 septembre 2023

Il y avait auparavant le célèbre « Maurice Cloche, comme son nom l’indique », lancé un jour par Henri Jeanson à propos d’un réalisateur de purs navets. Il y aura désormais le « Club zéro pointé », à l’égard du désastreux film de la si surestimée cinéaste autrichienne Jessica Hausner. Le quota féminin instauré officieusement par le Festival de Cannes depuis quelques éditions post-MeToo ne saurait justifier tout et n’importe qui. Réflexion largement partagée en mai dernier sur la Croisette par des festivaliers sidérés de la médiocrité de ce Club Zéro, pourtant en compétition pour la Palme d’Or. On est resté pétrifié devant ce portrait d’une secte alimentaire pour ados chics. Une fable hyper formaliste pour dire le dégoût qu’inspire l’humanité tout entière à la réalisatrice. Ce long ricanement stérile méprise autant ses personnages que ses spectateurs. Mais après tout, qu’un film qui évoque si bêtement l’anorexie puisse donner la nausée, quoi de plus naturel ? Une seule solution : tirer la chasse et passer à autre chose.

Club Zéro, de Jessica Hausner. ©Coproduction Office/Fred Ambroisine

Shakespeare and Company

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Hamlet Mother Fucker, le roman décapant de Thomas A. Ravier.


Pour la rentrée, je vous propose un roman qui décoiffe. Déjà le titre : Hamlet Mother Fucker. Le style est ébouriffant, les dialogues percutants, avec des métaphores et formules que les sensitive readers auraient effacées immédiatement du texte. Censure ! Censure ! Les personnages sont également déjantés, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire qu’ils nous envoient une bouée de sauvetage pour échapper à la marée noire du wokisme. Mention spéciale pour l’actrice écossaise, Stella Garden, qui travaille dans une boucherie et apprécie la chambre froide où pendent, à des crochets, les carcasses. Une héroïne bataillienne qui utilise le crâne de Yorick pour de coupables actes.

Pas le premier coup d’éclat de Thomas A. Ravier

Mettons un peu d’ordre. Le personnage principal se nomme Eliot Royer. Il est comédien et joue le personnage d’Hamlet à la fois sur scène et sur le théâtre du monde. Il a aimé une certaine Joséphine Ortez, Jo pour les intimes, dont la destinée sera tragique. Normal, direz-vous, on évoque ici le plus grand écrivain de tous les temps, Shakespeare, indémodable, indépassable. On est dans le tragique mais également dans le baroque avec le roman de Thomas A. Ravier qui n’en est pas à son premier coup d’éclat. Il a publié de nombreux essais et romans, dont le très remarqué Les aubes sont navrantes (2005), chez Gallimard, collection « L’Infini » dirigée par Philippe Sollers. On retrouve, du reste, l’influence sollersienne dans Hamlet Mother Fucker comme, par exemple, la critique de la Technique ainsi que l’illustration fort érotique de la célèbre affirmation énoncée dans Femmes : « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. Là-dessus, tout le monde ment. » Eliot Royer finit par être emporté par la folie de son personnage. Il ne voyage pas sans sa valise qui contient un crâne, celui de Yorick, évidemment. Mais cette folie, empruntée à Érasme et Artaud, est celle de la clairvoyance. Eliot Royer : « Le couple que je forme avec ma folie me suffit largement. Bâtir un royaume de bâtard pour butors, alors qu’on peut passer sa vie à tenir des discours à l’air immatériel. » Soyons clandestins, à conditions d’avoir de bons livres pour « tenir des siècles en coulisses. »

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Comédie hallucinée

Le problème reste la France qui n’a rien compris à Shakespeare. Eliot Royer : « La France est une prison. Même si l’étendue de la catastrophe est aujourd’hui planétaire, il règne chez nous un malaise honteux spécial. Enfin, nous ne sommes pas responsables de ce qu’est devenu l’immense théâtre de l’univers. Puisque le complot est général… » Alors se pose la question suivante : « Être père ou n’être pas père : telle est la question. »

Il faut se laisser emporter par le fleuve Ravier et sa comédie profonde et hallucinée. Et puis, après, relire Hamlet serait une bonne initiative. Mais pas dans la traduction de Gide, dont les « pudeurs métaphysiques » sont plus que suspectes.

Thomas A. Ravier, Hamlet Mother Fucker, Tinbad.

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Retour du délit de blasphème au Danemark: la violence paie

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L’islam continue de menacer la liberté d’expression en Europe. Le gouvernement danois a présenté au parlement un projet de loi pour interdire la dégradation publique d’objets religieux. Pourtant, et c’est heureux, en Occident, le « blasphème » n’avait plus cours. L’analyse d’Elisabeth Lévy.


Le Danemark s’apprête à rétablir le délit de blasphème. Charlie Hebdo lance un appel. Le texte présenté par le gouvernement danois ne comporte pas le mot « blasphème », mais c’est pourtant bien de cela dont il s’agit : il y est question d’interdire la dégradation publique d’objets religieux (et de la punir, jusqu’à deux ans de prison). L’objectif est de sanctionner les autodafés de Coran et surtout, de montrer aux Iraniens, aux Pakistanais et à d’autres que le gouvernement danois désapprouve ces pratiques. Depuis quelques mois, il y a ce que l’on appelle la crise des Corans brûlés, en Suède et au Danemark. Ces autodafés sont commis par des réfugiés irakiens, une artiste iranienne et des militants nationalistes devant la presse dûment convoquée. Ils ont provoqué des émeutes en Suède et des représailles contre des chrétiens au Pakistan. Ils ont surtout fortement indisposé les mollahs iraniens. Bien que le ministre danois de la Justice ait qualifié ces autodafés de méprisants et antipathiques, le guide suprême de l’Iran Ali Khamenei a affirmé que « soutenir les criminels et les profanateurs du Saint Coran est une forme de guerre contre le monde islamique ».

Le militant Salwan Momika, Stockholm, 20 juillet 2023 © Oscar Olsson/AP/SIPA

C’est un message aux fanatiques : nous céderons

Dans le Charlie Hebdo de la semaine, ainsi que dans plusieurs médias scandinaves, il y a donc une tribune contre cette loi qui « ouvre la porte à toutes les censures », et va à « l’encontre de tout ce pourquoi se sont battus intellectuels, artistes et responsables politiques en Europe depuis deux siècles, à savoir affranchir la vie publique de la tutelle des religions et de leurs dogmes ».

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On peut admettre que ce n’est pas très malin de brûler des Corans. Moi, je n’aime pas qu’on brûle des livres, mais j’aime encore moins qu’on l’interdise.

Dans l’Europe des Lumières, la liberté d’expression, la liberté de critiquer, de détester ou de moquer une religion, le droit d’emmerder Dieu comme dit l’avocat Richard Malka, cette liberté est sacrée. Ce n’est donc pas malin de brûler le Coran, mais c’est encore moins malin de l’interdire. Si on interdit aujourd’hui de brûler des Corans, demain, on sanctionnera ceux qui critiquent l’islam. C’est un message aux fanatiques : la menace et la violence payent. C’est un bras d’honneur aux Iraniennes et à tous ceux qui risquent leur vie pour lutter contre l’emprise religieuse. « Le gouvernement danois devient le complice de ces régimes tyranniques et assassins, dont le pouvoir repose entièrement sur la soumission totale au Coran », résume la tribune. Enfin, pour nous, c’est une insulte à Cabu, à Charb, à Wolinski, une insulte aux 12 personnes assassinées le 7 janvier 2015 parce que Charlie Hebdo avait publié les caricatures de Mahomet en soutien aux dessinateurs danois de Jyllands Posten. Oui, comme le dit Shakespeare, il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark…

Le droit d'emmerder Dieu

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Sur un fil…

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Quelques mots sur la « fantasque » Maria Pacôme (1923 -2018), qui aurait eu 100 ans cet été


Derrière le caractère tonitruant, explosif, la brisure est apparente. C’est justement ce va-et-vient, ce courant alternatif, de l’envolée lyrique au débit filant à une forme de silence, d’introspection d’entre les morts ; là, précisément où le rire joue à la courte-échelle avec les larmes, on ne sait jamais vraiment qui l’emportera à la fin, que Maria Pacôme a posé sa voix si reconnaissable. Voix d’hier, délicieuse et improbable. Voix du Théâtre ce soir et des rideaux rouges. Voix des salles pleines et d’un cinéma non-sédatif. Voix d’une société du spectacle qui faisait la part belle aux artisans et aux fausses bourgeoises, n’ayant pas peur des stéréotypes pour mieux s’en amuser. On aimait l’exagération de cette rousse aux dents du bonheur, la crise poussée à son paroxysme, cette liberté qui fait exploser toutes les coutures, l’allure et le charme d’un féminisme en friche, décousu, qui ne s’apprenait pas alors à l’école des cadres, les mots en pagaille, la mauvaise foi aussi, car elle vous retournait un public d’un plissement de paupières, laissant Jean le Poulain ou Michel Roux, pantois et aphones. Et il en fallait du cran et du métier pour contrecarrer les plans de ces barbons de la scène et leur clouer le bec.

Reine du vaudeville

Danseuse « aux jambes trop courtes », élevée dans la raideur et la justice d’un foyer communiste, reine d’un vaudeville débarrassé de toute vulgarité, tragédienne des portes qui claquent, auteur reconnu pour sa plume tendrement désabusée, elle était de ces comédiennes qui s’inscrivent, s’installent durablement dans l’imaginaire des spectateurs et téléspectateurs. On la voyait une fois, on l’aimait pour la vie.


Nous les sous-doués, nous lui décernions l’Oscar des vendredis et samedis soir. De l’aplomb qui peut virer au rouge furibond, capable de faire rire ou d’agacer prodigieusement ses partenaires, elle faisait trembler les foules et puis, un mouvement de répit, d’abandon, comme un désespoir qui emplit les yeux et suspend le temps, elle vous momifiait un auditoire par une émotion propre aux très grandes. Le génie est forcément injuste. Il ne s’explique pas. Les artifices n’y suffiraient pas, la fragilité sans les trémolos à ce point ne se feint pas, elle est innée.

L’élégance de la réserve

C’était l’actrice des points de suspension, après la mitraille, le verbe qui cascadait, l’horizon se brouillait, les nuages voilaient les sentiments et l’âme pouvait divaguer à sa guise, comme libérée des contraintes matérielles. Quand je pense à Maria Pacôme, me revient ce vers de René Guy Cadou dans son poème « Hélène et le règne végétal » de 1946 : « J’ai toujours habité de grandes maisons tristes ». Pacôme est cette belle demeure fantasque, puissante, pleine de bruit et d’éclat, qui, au creux de la nuit, se replie, s’isole par nécessité et pudeur. Nous sommes à l’ère des confessions malsaines, Pacôme avait l’élégance de la réserve. Et pourtant, elle carillonnait fort dans l’exercice de sa profession. Elle avait quelque chose de sauvage, une terre inatteignable, celle des songes, un pays plus grave et moins fantasque que ses personnages pouvaient laisser transparaître. D’ailleurs, elle ne se considérait pas comme une comique, elle préférait le qualificatif de « fantaisiste ». Le fantaisiste est sur un fil. S’il force trop le trait, veut absolument déclencher un effet, il cabotine et échoue. Alors que s’il alterne, il surprend, il accélère, il appuie sur le champignon et s’offre un tête-à-queue, c’est un acrobate léger qui ne s’enferme dans aucune habitude. Celle qui se présentait comme « horriblement timide », dévoilant quelques bribes de son histoire personnelle chez Chapier ou Bouteiller, acceptant sa caricature, son emploi alimentaire sans fausse modestie, dont le talent fut certainement sous-estimé sur grand écran, continue d’enchanter par sa tenue et sa folie contenue. Que savions-nous d’elle ? Elle aimait les chouettes et avait été mariée passionnément à Maurice Ronet. Elle avait perdu un frère au combat, résistant fusillé sous l’Occupation et son père était revenu de Buchenwald. De tout ça, elle n’en faisait pas l’apanage, les douleurs intimes acceptent mal les déballages. Elle avait caché dans sa maison de l’Essonne, les amours de Jean-Paul et d’Ursula (revoir l’émission Une maison, un artiste en replay). Dans sa pièce « Apprends-moi Céline », quand l’apprenti-cambrioleur Daniel Auteuil la menace d’un « Haut les mains ! », elle répond : « Pour quoi faire ? ». Tout est dit.

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Sur France culture, le rapatriement des Afghanes est problématique. Mais pas pour les raisons auxquelles vous pensiez…

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L’arrivée des cinq réfugiées afghanes à l’aéroport Charles de Gaulle, dans le cadre d’une opération d’évacuation, était très attendue. En revanche, beaucoup moins attendu était le curieux mécontentement exprimé à ce sujet sur les ondes de France Culture


Mardi 5 septembre, le « Journal de 12h30 » de France-Culture bat son plein. Thomas Cluzel passe en revue les actus chaudes : Emmanuel Macron à Orthez, visite de Kim Jong-Un en Russie, ouverture du procès de Rédoine Faïd… Puis, il évoque un sujet apparemment assez consensuel : l’accueil en France, lundi 4 septembre, de cinq femmes afghanes, réfugiées depuis des mois au Pakistan. Le transfert de ces femmes s’étant déroulé avec succès, on aurait pu croire que cet épisode était de nature à susciter l’approbation générale. C’était sans compter sur l’intervention d’une « spécialiste », Julie Billaud, professeur associé en anthropologie et sociologie au Geneva Graduate Institute.

Julie Billaud se présente comme une spécialiste des violences de genre en Afghanistan. Image : DR.

Fémonationalisme

« L’arrivée de ces femmes revêt une puissance symbolique particulière », lance le journaliste intello à l’invitée du jour [1], laquelle répond : « C’est une action qui est problématique, car elle renforce des stéréotypes ancrés dans l’imaginaire selon lesquels les femmes afghanes, et musulmanes de manière générale, auraient besoin d’être sauvées par l’Occident, sauvées des forces talibanes qui seraient la principale cause de leur vulnérabilité. » Pour notre spécialiste des violences de genre, le simple fait qu’une femme afghane soit condamnée à des « restrictions inimaginables » dans son pays (c’est l’ONU qui le dit) relèverait-il donc de l’imaginaire ? L’accueil de ces demandeuses d’asile en France serait « problématique », parce qu’elles sont des musulmanes ? Selon cette logique absurde, pourquoi ne pas carrément être discriminant dans notre politique d’asile, en privilégiant l’accueil des hommes pour abattre les stéréotypes de genre ?

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L’anthropologue ne s’arrête pas là, car elle utilise ensuite un néologisme des plus savoureux pour décrire l’attitude néfaste derrière notre accueil de ces réfugiées : « Ce qui est à l’œuvre, dans cette opération, c’est une forme de fémonationalisme, c’est-à-dire une instrumentalisation du féminisme et de l’émancipation des femmes à des fins racistes. On alimente ces stéréotypes de femmes musulmanes qui ont besoin d’être sauvées par l’Occident ».

Salauds d’Occidentaux !

Et tenez-vous bien : la situation précaire des femmes en Afghanistan n’est pas seulement le fait des Talibans, mais est évidemment en grande partie due… à la France. « On passe sous silence la souffrance des femmes afghanes, qui n’est pas seulement la conséquence de leur genre ou des Talibans, mais le résultat d’une guerre à répétition, d’une occupation qui a été brutale, de la pauvreté généralisée, de la militarisation de la société », assène la flagellante universitaire, avant de formuler son diagnostic final de la situation : « Tous ces processus ont été engendrés en grosse partie à cause de cette occupation à laquelle la France a participé ».

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En effet, l’armée française fut mobilisée, dès 2002 suite aux évènements du 11 septembre 2001, pour neutraliser Al-Qaïda et Ben Laden, et chasser les Talibans de Kaboul. « Ce qui est horrible dans cette bataille, c’est que le corps de femmes est devenu le terrain d’affrontement idéologique entre les islamistes afghans et l’Occident impérialiste… » Alors qu’elle entend poursuivre son développement, la spécialiste n’a pas le temps de finir son analyse; Thomas Cluzel (lui-même sans doute consterné) l’interrompt et la remercie. Au revoir, il y a d’autres sujets à aborder dans l’actualité, on n’a plus le temps… Mais l’auditeur a bien eu le temps de constater que pour certains grands penseurs, il n’y a donc aucune différence entre les islamistes et cet Occident odieux et « impérialiste », lequel paie tout de même des salaires permettant de vivre dans la très chic Genève.

[1] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/journal-de-12h30/journal-de-12h30-du-mardi-05-septembre-2023-4021600 à partir de la 8e minute


Après avoir reçu de nombreux messages d’auditeurs scandalisés, la médiatrice de la radio a été contrainte d’apporter la réponse suivante, blâmant le présentateur de l’émission polémique plutôt que la fameuse experte:
« Julie Billaud est une anthropologue et professeure à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève. Elle est spécialiste de l’islam, de la gouvernance internationale, de l’action humanitaire et du genre. Au lendemain de l’accueil par la France de 5 afghanes réfugiées au Pakistan car menacées par les talibans au pouvoir à Kaboul, il nous paraissait intéressant d’avoir son expertise. Nous aurions sans doute dû prendre le temps en début d’entretien de contextualiser plus avant. Ce rendez-vous dans le journal dure 5 minutes et ne permet pas toujours de prendre suffisamment de recul avant de dérouler une réflexion. Nous allons retravailler avec le présentateur de ce rendez-vous pour être plus attentifs à ne pas heurter nos auditeurs. Par ailleurs nous avons indiqué à Julie Billaud que ses propos avaient créé la polémique. Elle nous a proposé un texte en réponse. Pour tout auditeur qui souhaiterait en prendre connaissance, il suffit d’en faire la demande par message sur le site de la médiatrice de Radio France  •

Blasphème: la décision danoise ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression

Sur ce point, l’ancien magistrat et chroniqueur Philippe Bilger ne risque pas de tomber d’accord avec la patronne


Le blasphème est-il sacré ? C’est une question infiniment délicate, au sujet de laquelle on a droit à des nuances, des prudences et des interrogations qui ne s’imposent pas forcément sur d’autres thèmes. Je l’avais déjà abordé, mais plus rapidement et superficiellement, dans les Vraies Voix sur Sud Radio où j’avais soutenu que je comprenais la position des autorités danoises souhaitant interdire la « dégradation publique d’objets religieux », notamment les autodafés du Coran, tout en veillant à sauvegarder l’expression écrite ou orale pour l’éventuelle dénonciation de l’islam, du christianisme et du judaïsme.

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J’ai évidemment été sensible à la tribune indignée initiée par Richard Malka dénonçant, selon lui, ce retour à une conception « moyenâgeuse » du rapport à la religion. « Pénaliser l’acte de brûler des Coran, c’est s’engager sur une pente extraordinairement dangereuse », selon cet avocat adepte d’une liberté d’expression absolue dans ce domaine. Je comprends la crainte éprouvée par ce défenseur de talent, mais elle n’est pas à ce point irréfutable qu’elle puisse me détourner d’une argumentation contraire. J’ai eu du mal à intégrer que le blasphème en soi soit forcément le signe d’une société libre, ouverte et progressiste. Il me semblait plutôt la manifestation immature et provocatrice d’un monde incapable de respecter les croyances honorablement ressenties. Aussi le fait, pour le Danemark, de sanctionner les offenses religieuses particulièrement blessantes pour les fidèles d’une religion, quelle qu’elle soit, ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression.

L’accusation en lâcheté, injuste

J’avoue également, les expressions orale et écrite étant préservées, que ce qui émane du Danemark et de cette social-démocratie atypique parce que capable de conjuguer l’obligation de l’humanité avec les leçons du réel ne m’a jamais choqué. J’éprouve l’impression que rien n’a été décidé au hasard et que, si des risques ont été pris, c’est en pleine conscience des problématiques à prendre en compte. Le grief qui est fait à ces sociétés d’être lâches face aux dérives souvent mortifères suscitées par les intégrismes religieux, notamment islamiste, est injuste. J’y vois plutôt une forme de raison et même le retour d’une décence qui n’est absolument pas de la complaisance à l’égard des horreurs mais la reconnaissance que le fait religieux mérite la protection des pouvoirs. Leur charge est de veiller à la tranquillité des cultes, d’avoir le souci de préserver les pratiques religieuses des atteintes indignes et de permettre les expressions de ceux qui ne sont concernés ni par les uns ni par les autres.

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À tort ou à raison, une distinction a toujours marqué mon attitude intellectuelle et psychologique dans le domaine de la liberté d’expression. La séparation entre les idées et les croyances. Les premières sont faites pour relever des débats, pour être contredites. Une idée interdite est le comble de l’étouffement démocratique. Les esprits et les intelligences sont offensés. Mais une croyance relève des tréfonds intimes, des histoires personnelles et familiales, d’un terreau qui se rapporte aux sensibilités. Il me semble qu’on devrait laisser tranquilles ces états d’âme et ne jamais se poser en prosélytes ou en procureurs de ces sphères étrangères à la rationalité et à l’argumentation. Une croyance qu’on blesse, singulière ou collective, c’est de l’indélicatesse humaine.

Pas un avis péremptoire

Enfin, prétendre que sanctionner le blasphème, avec les limites indiquées, serait valider des États comme la Syrie ou l’Iran n’hésitant pas à tuer au nom du Coran, n’est pas pertinent. Je ne sache pas que le régime antérieur ait eu un quelconque effet positif sur ces sauvageries. A-t-on le droit de continuer au moins à douter que le délit de blasphème soit une arme décisive à la fois pour offrir aux religions, à leur expression sereine et acceptable, la considération qu’elles méritent et pour entraver la folie d’intégrismes destructeurs ? Ce n’est pas parce que notre Histoire, dans des périodes où le catholicisme faisait loi, a sanctionné tragiquement des blasphémateurs que le blasphème en tant que tel, dans son extériorisation publique, est à célébrer.

Je suis tout sauf péremptoire à ce sujet mais j’ai toujours été gêné par ce poncif, prétendument libérateur et progressiste, que le blasphème doit être perçu comme un progrès de la civilisation. Comme sacré.

Quand la gauche française fait une syncope devant la Coupe du Monde de rugby

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L'acteur français Jean Dujardin lors de la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de rugby, au Stade de France, 8 septembre 2023 © Thibault Camus/AP/SIPA

La cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde organisée sur notre sol ne visait pas à l’universalité, mais à montrer la particularité d’un sport et la façon dont il s’inscrit dans notre identité nationale. De nombreux journalistes et personnalités progressistes ont estimé que tout cela sentait très mauvais.


Il est peu dire que la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de rugby a fait couler beaucoup d’encre ! Jamais avare en commentaires de femme au bord de la crise de nerfs, Sandrine Rousseau a fait part de sa « honte », avant que Libé ne lui emboîte le pas en dénonçant une « France rance ». Samuel Gontier, qui se définit lui-même comme un journaliste de canapé pour Télérama, de nouveau victime d’une « glissade intersectionnelle », s’est de son côté demandé si Eric Zemmour avait été à l’origine de la conception des festivités.

Ma France, mon pinard, mon cochon

Mieux encore, plus fort, plus hystérique, cet article de l’inénarrable William Perreira dans les colonnes de 20 Minutes : « Ma France, mon pinard, mon cochon. Plus fâcheux encore, la cérémonie qui, paraît-il, célébrait l’art de vivre à la française, n’est pas vraiment inclusive. Ici un manque de représentativité, là-bas des symboles désuets, comme le magnifique jambon de pays apparu à plusieurs reprises à l’écran, limite ostentatoire. On frôle parfois la version chorégraphiée du meme rétrograde « Ma France, mon pinard, mon cochon » ».

Fallait-il, pour complaire à des gens qui se moquent habituellement du rugby comme de leur dernière chemise, confier l’organisation de la cérémonie à l’équipe de Drag Race France plutôt qu’à Jean Dujardin ? Ou, comme je l’ai directement répondu à Sandrine Rousseau sur Twitter, ajouter quelques figurants pour rejouer les émeutes de Sainte-Soline, un ou deux transsexuels, un rodéo de minis motos en hommage aux « victimes de la police », deux trois rappeurs pour faire bonne mesure, et un haka en non mixité choisie menée par Mathilde Panot et Raquel Garrido vêtues en Vahinés post-modernes ?

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J’ai même fini par me demander si les habitants du sud-ouest de la France n’étaient pas pris pour des ploucs à cacher dans l’arrière-boutique de la maison France, avec leur rugby et leurs férias d’un autre âge. Serions-nous de trop dans ce paysage « inclusif » et bienveillant qu’entendent nous dessiner madame Rousseau et ses amis ? Qui s’est jamais véritablement intéressé à une ouverture de Coupe du Monde de Rugby ? Il est absolument grotesque de comparer cela, ne serait-ce que sur le plan des moyens financiers et de l’exposition médiatique, à la cérémonie d’entrée des Jeux Olympiques de Londres en 2012, comme s’y sont risqués certains internautes…

Présent pas fédérateur

Le vrai enjeu d’une telle compétition est le jeu. Oui, le rugby est un sport de niche qui est aimé de tous les Français mais très ancré historiquement dans les campagnes et le terroir du quart sud-ouest de la France. Au niveau international, il est surtout pratiqué dans les pays du Commonwealth. En quoi cela dérange qui que ce soit ?

Les réactions de toutes ces pleureuses étaient si attendues et caricaturales qu’elles nous auraient presque donné envie de voir un duo entre Michel Sardou et Patrick Sébastien entonner « Pourvu que ça dure » devant un stade en ébullition : juste pour les faire causer un peu plus, qu’ils aient de bonnes raisons de pester et de mépriser les Français qui ont le malheur de ne pas être encore totalement éveillés à leurs désirs de déconstruction de notre culture. Si cette France « sépia » qui sent la « naphtaline » séduit encore autant, c’est bien parce que notre présent n’est pas fédérateur.

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La cérémonie n’était certes pas parfaite, l’homme coq sûrement ridicule et la Marseillaise en canon proprement massacrée, mais au moins mettait-elle en avant une image qui bien qu’idéalisée n’en restait pas moins fidèle à certains grands permanents de la culture rugbystique française. Elle ne visait pas à l’universalité mais à montrer la particularité d’un sport et la façon dont il s’inscrit dans notre identité nationale. Oui, il est dommage que l’identité de la France se réduise au folklore festif, mais c’est bien parce qu’il s’agit du dernier domaine de fierté autorisé…

Les critiques sont d’ailleurs les premiers à s’afficher sur Instagram avec une planche de charcuterie et un ballon de rouge en terrasses au Pays Basque… Ils sont tout simplement bien souvent hypocrites. Leur est étranger voire odieux « tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binouis, bref, franchouillard ou cocardier » comme le disait déjà Bernard-Henri Lévy il y a quelques décennies. Et ils ne sont pas au bout de leur peine puisque cette équipe composée de deux tiers de joueurs nés en Aquitano-Occitanie, souvent dans de petites villes, pourrait bien gagner ce championnat et entraîner une vague de rugby mania… Les garçons préfèrent généralement le ballon ovale aux tutus. Vous ne faites pas les règles Sandrine.


Elisabeth Lévy sur Sud Radio : « Une partie de la gauche déteste tout ce qui est français et populaire ! »

Retrouvez la chronique de notre directrice après le journal de 8 heures.

Ségolène Royal et Sandrine Rousseau sont dans un bateau… et coulent (avec) la gauche

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La députée d'extrême gauche Sandrine Rousseau à Chateauneuf sur Isère, 26 août 2023 © Alain ROBERT/SIPA

Devant l’insistance des journalistes, la députée Sandrine Rousseau a finalement fait preuve de bravitude : non, elle ne voit pas d’un bon œil Ségo en tête de liste de la Nupes aux élections européennes. Récit du dernier camouflet infligé à la star du Poitou.


Ce mardi 5 septembre, dans l’émission Quotidien, Jean-Michel Aphatie – qui semble avoir trouvé immédiatement ses marques dans une émission qui se targue d’informer en divertissant – fait son numéro habituel, mélange de bon sens du terroir surjoué et d’argumentation sarcastique. Après avoir rappelé la proposition de Ségolène Royal de réunir sous sa bannière toute la gauche pour les prochaines élections européennes, le journaliste dresse un portrait goguenard de la prétendante au rôle de fédératrice puis interroge l’invitée du jour, Sandrine Rousseau : « À votre avis, Ségolène Royal peut-elle représenter la gauche ? » La députée écologiste hésite, demande si elle a droit à un joker puis répond sobrement, l’air pincé : « La réponse est non ! »

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Sandrine Rousseau, à l’inverse de la majorité de son parti, aurait aimé qu’une liste d’union de la gauche se présente aux Européennes. Mais pas avec n’importe qui pour la diriger – elle se souvient que LFI avait promis de confier la tête d’une éventuelle liste commune à un écologiste. Devinez qui se sentait prête pour remplir cette mission ?

Star Academy

Ce qui manque à cette gauche, a dit la députée pour tacler Ségolène Royal, « ce n’est pas une star ». Sandrine Rousseau versus Ségolène Royal, c’est le combat des cheffes sur le ring des médias – ces deux-là savent faire le buzz et sont prêtes à tout pour attirer les projecteurs sur elles. Sandrine Rousseau n’a pas manqué l’occasion, sur le plateau de Quotidien, de montrer sa différence avec Ségolène Royal en même temps que ses accointances avec LFI sur certains sujets : elle est, par exemple, contre l’interdiction de l’abaya à l’école au nom des « valeurs de la République », et parce que « ce n’est pas un sujet fondamental ». Une « machine de broyage médiatique et ministérielle » a été mise en branle contre des « jeunes filles », selon la députée écologiste qui conclut : « Et je me dis qu’on n’a pas complètement déconstruit les rapports notamment hommes/femmes ». Seule Sandrine Rousseau pouvait oser proférer une telle incongruité – nul doute que pour graver de colossales absurdités au fronton du bâtiment de la gauche en ruine, la star, c’est Sandrine.

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Mmes Royal et Rousseau participent, chacune à sa manière, à l’effondrement de la gauche. Elles ne sont pas les seules et cet effondrement n’est pas que pure hypothèse : le PC et le PS soubresautent au fil des élections en attendant le râle final. L’extrême gauche rouge et verte, immigrationniste, islamo-gauchiste et wokiste, baisse dans les sondages. Les insoumis semblent n’avoir plus d’autre objectif que de mettre la France à genoux et visent en priorité l’électorat musulman. Les écolos, à force d’oukases écologiques « décroissants » et de sermons apocalyptiques sur le climat, exaspèrent une bonne partie de la population et adoptent à leur tour les recommandations de Terra Nova, à savoir chercher à récupérer les voix des « minorités », des femmes, des jeunes diplômés et des Français d’origine immigrée – recommandations suivies à la lettre par LFI. Sur le plateau de Quotidien, un journaliste évoque le dernier sondage (IFOP pour Charlie Hebdo) révélant que 79% des sympathisants EELV et 58% des sympathisants LFI approuvent l’interdiction de l’abaya à l’école. Sandrine Rousseau n’en a cure : « On n’est pas là pour flatter les opinions les gens, je pense qu’on est là pour défendre des valeurs, moi je défends des valeurs », s’agace-t-elle. De son côté, au micro de RCF, Ségolène Royal s’en tient à la loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école et ne mégote pas, à l’inverse de Sandrine Rousseau et des députés LFI, sur l’interdiction de l’abaya qui devra être appliquée, dit-elle, avec « pédagogie et bienveillance » mais sans faillir. Malgré tout, l’envie d’être sous les feux de la rampe l’emportant sur le reste, elle n’a pas hésité, quelques jours auparavant, à se rendre aux universités d’été de LFI et à proposer ses services…

Quand Jean-Luc Mélenchon se sacrifie pour les copains pour accéder à la salle du trésor

Lors de ces universités, Ségolène Royal a dit être « au-dessus des partis » et vouloir « déclencher et faire converger une dynamique d’union ». Afin d’attendrir un public réputé revêche et inhospitalier, elle n’a pas hésité (c’est à ça qu’on la reconnaît) à en appeler à la « tendresse en politique » et à justifier le fait de vouloir le pouvoir, non pour le pouvoir, mais « parce qu’on aime les gens qui nous le confient provisoirement ».

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Hypocritement, Jean-Luc Mélenchon a salué la démarche de Mme Royal en sachant qu’elle ne mènerait nulle part ; il s’est surtout régalé de voir les socialistes et les écologistes se faire tirer les oreilles par l’ancienne candidate aux présidentielles qui, pleine de bravitude, ose affirmer que « LFI s’est sacrifiée pour les législatives au profit des partenaires de la Nupes » qui ont oublié « les bénéfices qu’ils ont tirés de l’union ». Les premiers visés par cette diatribe, les socialistes, pensent également que Ségolène Royal ne représente plus la gauche. Pour beaucoup d’entre eux, Ségolène ne représente plus que Royal, une « marque » en mal de visibilité et n’hésitant pas à faire monter la mayonnaise médiatique et la moutarde aux nez de ses anciens collègues socialistes pour ne pas disparaître de l’offre politique. Certains représentants d’EELV pensent grosso modo la même chose de leur collègue Sandrine Rousseau. Royal et Rousseau ont en commun, en plus d’une absence de véritable programme, un égo surdimensionné, un surmoi en vacances et une appétence pathologique pour l’exposition médiatique, d’où leur détestation réciproque et l’agacement de leurs camarades. Toutes les deux la jouent perso et osent tout – même leurs acolytes politiques semblent avoir de plus en plus de mal à supporter leurs incartades médiatiques qui n’ont qu’un but, faire parler d’elles. D’où la question suivante : Si Ségolène Royal ne le peut pas, Sandrine Rousseau peut-elle, elle, représenter la gauche lors de prochaines élections ? En plus des communistes, des socialistes et des insoumis qui, unanimement mais pour des raisons différentes, répondraient vraisemblablement par la négative, il n’est pas certain qu’au sein même de la gauche écologiste, il ne se trouve pas une bonne partie de sympathisants pour penser que… « la réponse est non ! »

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Nougablues

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Le chanteur français Claude Nougaro photographié à Paris en 1985 GINIES/SIPA

Né un 9 septembre, Claude Nougaro aurait eu 94 ans aujourd’hui. 94 ans ça ne se fête pas. Surtout pour lui, absent des ondes, des hommages et des vénérables références. Trop sauvage, trop provincial surtout. Et pourtant. Sa contribution aux générations d’artistes qui ont suivi est balèze. Avec Gainsbourg, il a fait swinguer la langue française sur des rythmes et des sons qui, avant eux, paraissaient incompatibles. Quand Gainsbourg stylisait les mots à la pointe de son fusain, Nougaro les bousculait à la truelle. Il en a cassé des briques et accumulé des tuiles, le maçon cathare. À construire une œuvre monumentale. Pensées sur lui.


D’un stock de granit caché dans la roche
Sort des mots estampillés gros gibier,
Durs à l’impact ils frappent sans pitié
Donneurs de leçons et sonneurs de cloche

Au fond d’un verre de jazz l’âme du poète,
La main du boucher l’instinct de la bête,
Dans un bordel tenu par une baronne,
Le smoking fini au fond d’la Garonne

Son style tombé d’une caisse de munitions,
Pas pour les grives, pour la Révolution,
Est fort en métaphores de chercheurs d’or,
D’épices sauvages à faire bander les morts

Le swing a les secousses d’un tonneau ivre,
La plume se plie aux bagnards de la mer,
De ceux qu’on vénère pour mieux les faire vivre,
Dans l’intimité avant de se taire

Le cuir épais a l’humeur volatile,
Il picore pas la nuit du bout des lèvres,
Il la dévore, la mâche sans ustensile,
De ses doigts tordus gagnés par la fièvre

Il s’écoute en manque de viande, de fer,
Assis à Rungis entre les palettes,
Steak cathare désossé à la machette,
Éclairé par l’néon du frigidaire

Clochard céleste, ange d’impasse,
Il compte ses pieds sur les toits,
Ses doigts vont laisser une trace
De blues, sur l’hermine des rois

Retours perdants

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Paris, 21 juin 2007 © HADJ/SIPA

Ségo et Sarko, entre avenir compromis et ambitions avortées, les retours perdants. L’analyse politique de Céline Pina.


Avoir été devient souvent difficulté à être, quand les feux de la rampe s’éteignent.

Ségolène et Sarkozy ont donc tenté de faire leur grand retour en cette rentrée 2023. Une tentative de retour qui n’a pourtant rien d’une renaissance pour l’un comme pour l’autre. Ségolène Royal a voulu imposer sa présence à son camp, en tentant une OPA sur la liste LFI, au nom de l’union de la gauche. Jean-Luc Mélenchon, évidemment, a bien essayé de son côté de l’instrumentaliser pour déstabiliser le PS, mais même en tant que semeuse de zizanie, il n’y a définitivement plus « d’effet royal » sur qui que ce soit. De son côté, Nicolas Sarkozy cherche à prendre une place de vieux sage, à la fois faiseur de rois et mentor ; il se voudrait l’arbitre des élégances politiques. Le titre de son nouveau livre, Le temps des combats, n’annonce ni retraite ni recul. Mais là aussi, il ne suscite qu’une indifférence polie dans son propre camp.

Vieilles « gloires »

Pourquoi le retour des vieilles gloires de la politique ne fait-elle pas recette, alors que le grand remplacement des élus par le « nouveau monde » macroniste a échoué et redonné de la valeur à l’expérience ? Peut-être parce que le passé qu’ils incarnent n’est pas un temps qui nourrit la nostalgie, mais celui qui explique en partie les raisons de notre déclin. Ils ne sont pas les gardiens d’une sagesse oubliée mais font partie des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Ils ont de l’ambition pour eux-mêmes, mais n’ont jamais vraiment réussi à faire croire qu’ils en avaient pour la France.

A relire, du même auteur: La plus grande trahison du PS

Alors Nicolas Sarkozy essaie bien de distribuer ses oracles à droite mais force est de constater que sa parole n’est ni un repère ni un guide. Son refus de soutenir Valérie Pécresse, candidate de son camp à la présidentielle, l’a marqué du sceau de la traitrise. Une accusation qui jalonne tout son chemin politique. Son actualité reste donc et demeure l’accumulation de ses déboires judiciaires. Il garde néanmoins l’aura d’un ancien président de la République, et incarne de ce fait quelque chose malgré tout. Il en a conscience et n’a pas renoncé à toute dignité : on ne devrait pas le retrouver chroniqueur chez Cyril Hanouna dans cette vie.

Pathétique Ségolène Royal

De son côté, Ségolène Royal, elle, essaie pathétiquement de surnager. Quitte à devenir la tatie Danielle de son ancienne famille politique : sa proposition d’être tête de liste d’une liste d’union de la gauche aux Européennes, proposition faite lors des universités d’été des Insoumis, ne pouvait qu’embarrasser les autres partis qui essaient de s’extirper de la tutelle pesante de Jean-Luc Mélenchon. Il faut dire qu’elle n’a pas grand-chose à son crédit pour incarner un recours potentiel. Son bilan politique est maigre et son heure de gloire a été une défaite retentissante à la présidentielle de 2007. De cette bataille perdue n’est née aucune guerre gagnée. Mais pire encore, à l’heure où elle aurait pu incarner une forme de conscience morale, elle n’a jamais fait preuve du moindre courage. Personne n’oubliera que non contente de ne pas soutenir la jeune Mila, elle l’a brutalement critiquée alors même que cette jeune fille était menacée de mort. Cela donne la dimension d’un être. Nul n’a oublié non plus sa contestation du massacre de Boutcha, en Ukraine, pas plus que la comédie de ce poste d’ambassadeur des Pôles dont elle n’a rien fait, car elle considérait que c’était une marque de considération qui lui était due.

Les carrières d’opportunistes au service de leur propre cause ne laissent guère de traces collectives. Il ne s’agit pas ici de critiquer Ségolène Royal pour avoir su saisir les occasions qui passaient à sa portée. Jeune énarque, elle a su tirer profit de la prise du pouvoir par François Mitterrand et construire sa carrière. Ce qui est triste est de ne pas en avoir fait grand-chose d’utile pour le collectif.

On peut néanmoins la créditer d’avoir su saisir l’air du temps et d’avoir compris en 2007 que la gauche était dans l’impasse. Il y a ainsi quelque chose d’Emmanuel Macron chez Ségolène Royal. Elle a eu, comme lui, une intuition politique féconde : l’idée que le PS de Mitterrand était mort et qu’il fallait rebâtir la légitimité de la gauche en s’emparant du thème de l’autorité et de l’ordre juste. Mais il se trouve que, si en 2007 le PS était déjà un canard sans tête, il courait encore à ce moment-là. En 2017, il n’était plus qu’un grand cadavre à la renverse et notre président actuel, qui avait eu, lui, l’intuition de la fin des partis, a pu l’enjamber sans autres formalités. Il aura réussi, là où elle a échoué, mais quant à faire quelque chose des opportunités saisies, là aussi le parallèle s’impose et il est cruel pour Emmanuel Macron comme pour Ségolène Royal. Ces deux personnages ont toujours été au rendez-vous d’eux-mêmes, mais n’ont pas le courage politique qui permet de faire l’histoire au lieu d’être balayé par elle.

Les vues de Sarkozy sur l’Ukraine contestées par le camp du Bien

C’est aussi le cas de Nicolas Sarkozy qui peine à laisser l’empreinte d’un grand dirigeant. L’ancien président est même soupçonné par ses détracteurs d’être au service d’intérêts étrangers. Sa proposition de travailler à la neutralité de l’Ukraine et de reconnaitre l’annexion de la Crimée a fait bondir le député EELV Julien Bayou. Lequel a dit sur LCI, « on le comprend mieux quand on sait qu’il est acheté par les Russes ». Un certain nombre d’experts, comme Bruno Tertrais ou François Heisbourg, ne se permettent pas ce type de mise en cause mais ont été néanmoins choqué par l’analyse de Nicolas Sarkozy et le peu de recul sur la situation dont elle témoigne.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Comment éviter le grand basculement identitaire

En 2007, le reportage de Karl Zero, Ségo et Sarko sont dans un bateau, montrait à quel point les deux protagonistes de la présidentielle de 2007 avaient des profils proches. Tous deux quinquagénaires, exploitant leur vie privée à des fins médiatiques, habités par le même besoin de réparation d’une enfance vécue comme humiliante, ils bousculaient leur camp par leur modernité. Alors qu’ils tentent tous les deux de faire leur rentrée, c’est encore le parallèle de leur situation qui frappe. Ces vieilles gloires ne suscitent qu’indifférence auprès des leurs et ne signifient rien pour les générations qui viennent. Mais surtout, tous deux ont une terrible épée de Damoclès au-dessus de leur tête, celle de l’opprobre et du ridicule. Pour Nicolas Sarkozy, l’horizon est judiciaire, le jugement de l’affaire Bygmalion se profile et 2023 a déjà vu sa condamnation à un an de prison ferme en première instance dans l’affaire des écoutes. Si le jugement est confirmé, devenir le premier président de la Vème République à être condamné à de la prison ferme est peut-être historique, mais ce n’est pas ce que l’on espère quand on veut laisser une trace dans l’histoire. Du côté de Ségolène Royal, la tentative d’être tête de liste aux Européennes a échoué, mais il reste encore la carte Hanouna à jouer. Ségolène Royal est une des nouvelles chroniqueuses de l’émission de C8 TPMP. Là c’est le besoin d’exister à tout prix qui conduit à une forme de déchéance.

Alors que l’avenir de la France et des Français s’annonce difficile, l’expérience politique d’élus ayant eu de hautes fonctions aurait pu être un atout pour le pays.

Hélas l’exemple que donnent les anciens protagonistes de 2007 est loin de les hisser à la hauteur de l’enjeu. Quant au vainqueur de 2012, son mandat fut si piteux, qu’il n’a même pas pu se représenter.

En 2007, Ségo et Sarko étaient dans le même bateau. La question était de savoir qui tomberait à l’eau. En 2023, ils y sont encore mais ce n’est plus parce que leurs ambitions sont concurrentes mais parce qu’ils rament beaucoup pour ne guère avancer.

Tant qu’il y aura des films

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© Pyramide Films

Comme contrepoison à la Barbie barbante du cinéma américain de cet été, rien de tel que le nouveau film décapant et dérangeant de Catherine Breillat servi par une distribution étincelante. En prime, les toujours très précieux films de Mocky qui connaissent une nouvelle vie en salles.


Tout juste

L’Été dernier, de Catherine Breillat

Sortie le 13 septembre 2023

Certains la croyaient morte. D’autres, incapable désormais de toute création artistique. Ils se trompaient : Catherine Breillat, l’enfant terrible du cinéma français, n’a rien perdu de sa verve et de son indépendance à l’égard de la doxa. Présenté presque en douce au Festival de Cannes, L’Été dernier y a fait sensation. Anne (Léa Drucker) est une avocate renommée spécialisée dans les violences sexuelles faites aux mineurs. Lorsqu’elle rencontre le fils de son compagnon, âgé de 17 ans, elle entame une relation incestueuse avec lui, au risque de compromettre sa carrière et sa vie familiale… Difficile de faire plus vénéneux comme point de départ et Breillat, avec son coscénariste, le brillant Pascal Bonitzer, tient la note jusqu’au bout. Les amateurs de situations convenues passeront leur chemin. On imagine aisément ce que le néoféminisme à la mode cinématographique aurait pu faire d’une situation si iconoclaste. L’héroïne aurait fini par rentrer dans le rang, les bonnes mœurs l’auraient emporté et l’« innocence » serait sortie victorieuse du combat face à l’odieux adulte. Et si cela avait été un homme, l’affaire était pliée d’avance : condamnation morale de ce penchant forcément viriliste pour la chair fraîche. Mais, en choisissant une femme, mère de famille et avocate comme personnage principal, Breillat fait le pari de l’intranquillité. Sur le papier, tout fait d’elle une sainte. Dans les faits, elle remet en cause les bienséances. D’accusée potentielle, elle se fait accusatrice. Récusant par avance l’idée qu’elle a tort contre son plaisir, elle attaque et ose mettre en cause la parole de ce mineur que dans d’autres circonstances, elle serait appelée à défendre.

A lire aussi : Le procès Barbie

Remake d’un long métrage danois jamais sorti en France, le film de Breillat cultive sa différence, y compris dans sa durée : une heure et quarante-quatre minutes, contre deux heures et huit minutes pour l’original. Rien d’innocent dans cette durée raccourcie : le récit progresse net et tranchant comme une lame de rasoir. Du cinéma à l’os. Pas de gras, comme s’il s’agissait d’aller à l’essentiel dans la description des sentiments, avec une caméra qui capte le moindre battement de cils.

L’Été dernier, de Catherine Breillat. ©Pyramide Films

Perverse, Breillat ? Non, humaine, tout simplement. Et c’est bien plus intéressant. Elle nous entraîne au fil du récit dans des zones d’inconfort successives. Complexe et ambigu, L’Été dernier assume cette forme de radicalité dans un paysage artistique qui aime tant les vérités simplistes d’un camp contre l’autre. Comme Justine Triet dans son impeccable Anatomie d’une chute, Catherine Breillat exploite les tréfonds de l’âme humaine sans jamais imposer son jugement, sa morale ou sa vision. Rafraîchissante attitude qui tranche avec l’air du temps. Ce que respecte le plus la cinéaste, c’est son spectateur, tout simplement : faisant fi de tout manichéisme imbécile, elle décide que ce sera à lui et à lui seul de se faire son idée définitive (ou non !). En refusant les conformismes et les impasses du film « à thèse », et grâce à une Léa Drucker au meilleur de sa forme, Breillat brosse le portrait d’une manipulatrice endossant le rôle de la victime. Cerise sur ce beau gâteau, une séquence finale filmée au cordeau et qui tombe comme un couperet glaçant. Et si, avec ce film d’une maîtrise totale, Breillat fendait enfin l’armure, se débarrassait une fois pour toutes des oripeaux de la vaine provocation pour décrire, tel un Chabrol, les folies bourgeoises, ordinaires ou non ? Ce serait assurément une bonne nouvelle.

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Tout compris

Jean-Pierre Mocky, l’affranchi (partie 2)

Sortie le 13 septembre

L’excellente société de distribution Les Acacias a eu l’idée de sortir une nouvelle salve de films de Jean-Pierre Mocky qui manque tant au cinéma français, depuis sa disparition en 2019. Pas moins de douze longs métrages aussi réjouissants les uns que les autres ! Quelques perles se détachent même du lot, comme L’Albatros, L’Ibis rouge, La Grande Lessive, Un linceul n’a pas de poches ou bien encore Snobs. Il faut voir et revoir ces œuvres faussement bricolées et vraiment décapantes. Qu’il donne dans le polar politique ou dans la fable sociale, Mocky fait mouche. Et il y a l’intense jubilation de retrouver au fil des films Bourvil, Lonsdale, Poiret, Serrault, Maillan et tant d’autres, y compris ces inénarrables seconds rôles dotés de gueules incroyables qu’affectionnait le cinéaste. Quel plaisir de voir ou de revoir ces films-là sur grand écran, et non sur ces télés étriquées que dénonçait si bien Mocky dans La Grande Lessive !

Jean-Pierre Mocky, l’affranchi (partie 2). ©Acacias Films

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Tout faux

Club Zéro, de Jessica Hausner

Sortie le 20 septembre 2023

Il y avait auparavant le célèbre « Maurice Cloche, comme son nom l’indique », lancé un jour par Henri Jeanson à propos d’un réalisateur de purs navets. Il y aura désormais le « Club zéro pointé », à l’égard du désastreux film de la si surestimée cinéaste autrichienne Jessica Hausner. Le quota féminin instauré officieusement par le Festival de Cannes depuis quelques éditions post-MeToo ne saurait justifier tout et n’importe qui. Réflexion largement partagée en mai dernier sur la Croisette par des festivaliers sidérés de la médiocrité de ce Club Zéro, pourtant en compétition pour la Palme d’Or. On est resté pétrifié devant ce portrait d’une secte alimentaire pour ados chics. Une fable hyper formaliste pour dire le dégoût qu’inspire l’humanité tout entière à la réalisatrice. Ce long ricanement stérile méprise autant ses personnages que ses spectateurs. Mais après tout, qu’un film qui évoque si bêtement l’anorexie puisse donner la nausée, quoi de plus naturel ? Une seule solution : tirer la chasse et passer à autre chose.

Club Zéro, de Jessica Hausner. ©Coproduction Office/Fred Ambroisine

Shakespeare and Company

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Thomas A. Ravier. © Ed. Tinbad.

Hamlet Mother Fucker, le roman décapant de Thomas A. Ravier.


Pour la rentrée, je vous propose un roman qui décoiffe. Déjà le titre : Hamlet Mother Fucker. Le style est ébouriffant, les dialogues percutants, avec des métaphores et formules que les sensitive readers auraient effacées immédiatement du texte. Censure ! Censure ! Les personnages sont également déjantés, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire qu’ils nous envoient une bouée de sauvetage pour échapper à la marée noire du wokisme. Mention spéciale pour l’actrice écossaise, Stella Garden, qui travaille dans une boucherie et apprécie la chambre froide où pendent, à des crochets, les carcasses. Une héroïne bataillienne qui utilise le crâne de Yorick pour de coupables actes.

Pas le premier coup d’éclat de Thomas A. Ravier

Mettons un peu d’ordre. Le personnage principal se nomme Eliot Royer. Il est comédien et joue le personnage d’Hamlet à la fois sur scène et sur le théâtre du monde. Il a aimé une certaine Joséphine Ortez, Jo pour les intimes, dont la destinée sera tragique. Normal, direz-vous, on évoque ici le plus grand écrivain de tous les temps, Shakespeare, indémodable, indépassable. On est dans le tragique mais également dans le baroque avec le roman de Thomas A. Ravier qui n’en est pas à son premier coup d’éclat. Il a publié de nombreux essais et romans, dont le très remarqué Les aubes sont navrantes (2005), chez Gallimard, collection « L’Infini » dirigée par Philippe Sollers. On retrouve, du reste, l’influence sollersienne dans Hamlet Mother Fucker comme, par exemple, la critique de la Technique ainsi que l’illustration fort érotique de la célèbre affirmation énoncée dans Femmes : « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. Là-dessus, tout le monde ment. » Eliot Royer finit par être emporté par la folie de son personnage. Il ne voyage pas sans sa valise qui contient un crâne, celui de Yorick, évidemment. Mais cette folie, empruntée à Érasme et Artaud, est celle de la clairvoyance. Eliot Royer : « Le couple que je forme avec ma folie me suffit largement. Bâtir un royaume de bâtard pour butors, alors qu’on peut passer sa vie à tenir des discours à l’air immatériel. » Soyons clandestins, à conditions d’avoir de bons livres pour « tenir des siècles en coulisses. »

A lire aussi : Galanterie et sexisme: suis-je un prédateur sexuel qui s’ignore?

Comédie hallucinée

Le problème reste la France qui n’a rien compris à Shakespeare. Eliot Royer : « La France est une prison. Même si l’étendue de la catastrophe est aujourd’hui planétaire, il règne chez nous un malaise honteux spécial. Enfin, nous ne sommes pas responsables de ce qu’est devenu l’immense théâtre de l’univers. Puisque le complot est général… » Alors se pose la question suivante : « Être père ou n’être pas père : telle est la question. »

Il faut se laisser emporter par le fleuve Ravier et sa comédie profonde et hallucinée. Et puis, après, relire Hamlet serait une bonne initiative. Mais pas dans la traduction de Gide, dont les « pudeurs métaphysiques » sont plus que suspectes.

Thomas A. Ravier, Hamlet Mother Fucker, Tinbad.

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Retour du délit de blasphème au Danemark: la violence paie

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Le ministre de la Justice danois Peter Hummelgaard présente une loi visant à interdire de brûler le Coran, Copenhague, 25 août 2023 © Martin Sylvest/AP/SIPA

L’islam continue de menacer la liberté d’expression en Europe. Le gouvernement danois a présenté au parlement un projet de loi pour interdire la dégradation publique d’objets religieux. Pourtant, et c’est heureux, en Occident, le « blasphème » n’avait plus cours. L’analyse d’Elisabeth Lévy.


Le Danemark s’apprête à rétablir le délit de blasphème. Charlie Hebdo lance un appel. Le texte présenté par le gouvernement danois ne comporte pas le mot « blasphème », mais c’est pourtant bien de cela dont il s’agit : il y est question d’interdire la dégradation publique d’objets religieux (et de la punir, jusqu’à deux ans de prison). L’objectif est de sanctionner les autodafés de Coran et surtout, de montrer aux Iraniens, aux Pakistanais et à d’autres que le gouvernement danois désapprouve ces pratiques. Depuis quelques mois, il y a ce que l’on appelle la crise des Corans brûlés, en Suède et au Danemark. Ces autodafés sont commis par des réfugiés irakiens, une artiste iranienne et des militants nationalistes devant la presse dûment convoquée. Ils ont provoqué des émeutes en Suède et des représailles contre des chrétiens au Pakistan. Ils ont surtout fortement indisposé les mollahs iraniens. Bien que le ministre danois de la Justice ait qualifié ces autodafés de méprisants et antipathiques, le guide suprême de l’Iran Ali Khamenei a affirmé que « soutenir les criminels et les profanateurs du Saint Coran est une forme de guerre contre le monde islamique ».

Le militant Salwan Momika, Stockholm, 20 juillet 2023 © Oscar Olsson/AP/SIPA

C’est un message aux fanatiques : nous céderons

Dans le Charlie Hebdo de la semaine, ainsi que dans plusieurs médias scandinaves, il y a donc une tribune contre cette loi qui « ouvre la porte à toutes les censures », et va à « l’encontre de tout ce pourquoi se sont battus intellectuels, artistes et responsables politiques en Europe depuis deux siècles, à savoir affranchir la vie publique de la tutelle des religions et de leurs dogmes ».

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On peut admettre que ce n’est pas très malin de brûler des Corans. Moi, je n’aime pas qu’on brûle des livres, mais j’aime encore moins qu’on l’interdise.

Dans l’Europe des Lumières, la liberté d’expression, la liberté de critiquer, de détester ou de moquer une religion, le droit d’emmerder Dieu comme dit l’avocat Richard Malka, cette liberté est sacrée. Ce n’est donc pas malin de brûler le Coran, mais c’est encore moins malin de l’interdire. Si on interdit aujourd’hui de brûler des Corans, demain, on sanctionnera ceux qui critiquent l’islam. C’est un message aux fanatiques : la menace et la violence payent. C’est un bras d’honneur aux Iraniennes et à tous ceux qui risquent leur vie pour lutter contre l’emprise religieuse. « Le gouvernement danois devient le complice de ces régimes tyranniques et assassins, dont le pouvoir repose entièrement sur la soumission totale au Coran », résume la tribune. Enfin, pour nous, c’est une insulte à Cabu, à Charb, à Wolinski, une insulte aux 12 personnes assassinées le 7 janvier 2015 parce que Charlie Hebdo avait publié les caricatures de Mahomet en soutien aux dessinateurs danois de Jyllands Posten. Oui, comme le dit Shakespeare, il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark…

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Sur un fil…

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L'actrice Maria Pacôme photographiée en 1988 © BENGUIGUI/ARPAJOU/SIPA

Quelques mots sur la « fantasque » Maria Pacôme (1923 -2018), qui aurait eu 100 ans cet été


Derrière le caractère tonitruant, explosif, la brisure est apparente. C’est justement ce va-et-vient, ce courant alternatif, de l’envolée lyrique au débit filant à une forme de silence, d’introspection d’entre les morts ; là, précisément où le rire joue à la courte-échelle avec les larmes, on ne sait jamais vraiment qui l’emportera à la fin, que Maria Pacôme a posé sa voix si reconnaissable. Voix d’hier, délicieuse et improbable. Voix du Théâtre ce soir et des rideaux rouges. Voix des salles pleines et d’un cinéma non-sédatif. Voix d’une société du spectacle qui faisait la part belle aux artisans et aux fausses bourgeoises, n’ayant pas peur des stéréotypes pour mieux s’en amuser. On aimait l’exagération de cette rousse aux dents du bonheur, la crise poussée à son paroxysme, cette liberté qui fait exploser toutes les coutures, l’allure et le charme d’un féminisme en friche, décousu, qui ne s’apprenait pas alors à l’école des cadres, les mots en pagaille, la mauvaise foi aussi, car elle vous retournait un public d’un plissement de paupières, laissant Jean le Poulain ou Michel Roux, pantois et aphones. Et il en fallait du cran et du métier pour contrecarrer les plans de ces barbons de la scène et leur clouer le bec.

Reine du vaudeville

Danseuse « aux jambes trop courtes », élevée dans la raideur et la justice d’un foyer communiste, reine d’un vaudeville débarrassé de toute vulgarité, tragédienne des portes qui claquent, auteur reconnu pour sa plume tendrement désabusée, elle était de ces comédiennes qui s’inscrivent, s’installent durablement dans l’imaginaire des spectateurs et téléspectateurs. On la voyait une fois, on l’aimait pour la vie.


Nous les sous-doués, nous lui décernions l’Oscar des vendredis et samedis soir. De l’aplomb qui peut virer au rouge furibond, capable de faire rire ou d’agacer prodigieusement ses partenaires, elle faisait trembler les foules et puis, un mouvement de répit, d’abandon, comme un désespoir qui emplit les yeux et suspend le temps, elle vous momifiait un auditoire par une émotion propre aux très grandes. Le génie est forcément injuste. Il ne s’explique pas. Les artifices n’y suffiraient pas, la fragilité sans les trémolos à ce point ne se feint pas, elle est innée.

L’élégance de la réserve

C’était l’actrice des points de suspension, après la mitraille, le verbe qui cascadait, l’horizon se brouillait, les nuages voilaient les sentiments et l’âme pouvait divaguer à sa guise, comme libérée des contraintes matérielles. Quand je pense à Maria Pacôme, me revient ce vers de René Guy Cadou dans son poème « Hélène et le règne végétal » de 1946 : « J’ai toujours habité de grandes maisons tristes ». Pacôme est cette belle demeure fantasque, puissante, pleine de bruit et d’éclat, qui, au creux de la nuit, se replie, s’isole par nécessité et pudeur. Nous sommes à l’ère des confessions malsaines, Pacôme avait l’élégance de la réserve. Et pourtant, elle carillonnait fort dans l’exercice de sa profession. Elle avait quelque chose de sauvage, une terre inatteignable, celle des songes, un pays plus grave et moins fantasque que ses personnages pouvaient laisser transparaître. D’ailleurs, elle ne se considérait pas comme une comique, elle préférait le qualificatif de « fantaisiste ». Le fantaisiste est sur un fil. S’il force trop le trait, veut absolument déclencher un effet, il cabotine et échoue. Alors que s’il alterne, il surprend, il accélère, il appuie sur le champignon et s’offre un tête-à-queue, c’est un acrobate léger qui ne s’enferme dans aucune habitude. Celle qui se présentait comme « horriblement timide », dévoilant quelques bribes de son histoire personnelle chez Chapier ou Bouteiller, acceptant sa caricature, son emploi alimentaire sans fausse modestie, dont le talent fut certainement sous-estimé sur grand écran, continue d’enchanter par sa tenue et sa folie contenue. Que savions-nous d’elle ? Elle aimait les chouettes et avait été mariée passionnément à Maurice Ronet. Elle avait perdu un frère au combat, résistant fusillé sous l’Occupation et son père était revenu de Buchenwald. De tout ça, elle n’en faisait pas l’apanage, les douleurs intimes acceptent mal les déballages. Elle avait caché dans sa maison de l’Essonne, les amours de Jean-Paul et d’Ursula (revoir l’émission Une maison, un artiste en replay). Dans sa pièce « Apprends-moi Céline », quand l’apprenti-cambrioleur Daniel Auteuil la menace d’un « Haut les mains ! », elle répond : « Pour quoi faire ? ». Tout est dit.

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Sur France culture, le rapatriement des Afghanes est problématique. Mais pas pour les raisons auxquelles vous pensiez…

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D.R.

L’arrivée des cinq réfugiées afghanes à l’aéroport Charles de Gaulle, dans le cadre d’une opération d’évacuation, était très attendue. En revanche, beaucoup moins attendu était le curieux mécontentement exprimé à ce sujet sur les ondes de France Culture


Mardi 5 septembre, le « Journal de 12h30 » de France-Culture bat son plein. Thomas Cluzel passe en revue les actus chaudes : Emmanuel Macron à Orthez, visite de Kim Jong-Un en Russie, ouverture du procès de Rédoine Faïd… Puis, il évoque un sujet apparemment assez consensuel : l’accueil en France, lundi 4 septembre, de cinq femmes afghanes, réfugiées depuis des mois au Pakistan. Le transfert de ces femmes s’étant déroulé avec succès, on aurait pu croire que cet épisode était de nature à susciter l’approbation générale. C’était sans compter sur l’intervention d’une « spécialiste », Julie Billaud, professeur associé en anthropologie et sociologie au Geneva Graduate Institute.

Julie Billaud se présente comme une spécialiste des violences de genre en Afghanistan. Image : DR.

Fémonationalisme

« L’arrivée de ces femmes revêt une puissance symbolique particulière », lance le journaliste intello à l’invitée du jour [1], laquelle répond : « C’est une action qui est problématique, car elle renforce des stéréotypes ancrés dans l’imaginaire selon lesquels les femmes afghanes, et musulmanes de manière générale, auraient besoin d’être sauvées par l’Occident, sauvées des forces talibanes qui seraient la principale cause de leur vulnérabilité. » Pour notre spécialiste des violences de genre, le simple fait qu’une femme afghane soit condamnée à des « restrictions inimaginables » dans son pays (c’est l’ONU qui le dit) relèverait-il donc de l’imaginaire ? L’accueil de ces demandeuses d’asile en France serait « problématique », parce qu’elles sont des musulmanes ? Selon cette logique absurde, pourquoi ne pas carrément être discriminant dans notre politique d’asile, en privilégiant l’accueil des hommes pour abattre les stéréotypes de genre ?

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L’anthropologue ne s’arrête pas là, car elle utilise ensuite un néologisme des plus savoureux pour décrire l’attitude néfaste derrière notre accueil de ces réfugiées : « Ce qui est à l’œuvre, dans cette opération, c’est une forme de fémonationalisme, c’est-à-dire une instrumentalisation du féminisme et de l’émancipation des femmes à des fins racistes. On alimente ces stéréotypes de femmes musulmanes qui ont besoin d’être sauvées par l’Occident ».

Salauds d’Occidentaux !

Et tenez-vous bien : la situation précaire des femmes en Afghanistan n’est pas seulement le fait des Talibans, mais est évidemment en grande partie due… à la France. « On passe sous silence la souffrance des femmes afghanes, qui n’est pas seulement la conséquence de leur genre ou des Talibans, mais le résultat d’une guerre à répétition, d’une occupation qui a été brutale, de la pauvreté généralisée, de la militarisation de la société », assène la flagellante universitaire, avant de formuler son diagnostic final de la situation : « Tous ces processus ont été engendrés en grosse partie à cause de cette occupation à laquelle la France a participé ».

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En effet, l’armée française fut mobilisée, dès 2002 suite aux évènements du 11 septembre 2001, pour neutraliser Al-Qaïda et Ben Laden, et chasser les Talibans de Kaboul. « Ce qui est horrible dans cette bataille, c’est que le corps de femmes est devenu le terrain d’affrontement idéologique entre les islamistes afghans et l’Occident impérialiste… » Alors qu’elle entend poursuivre son développement, la spécialiste n’a pas le temps de finir son analyse; Thomas Cluzel (lui-même sans doute consterné) l’interrompt et la remercie. Au revoir, il y a d’autres sujets à aborder dans l’actualité, on n’a plus le temps… Mais l’auditeur a bien eu le temps de constater que pour certains grands penseurs, il n’y a donc aucune différence entre les islamistes et cet Occident odieux et « impérialiste », lequel paie tout de même des salaires permettant de vivre dans la très chic Genève.

[1] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/journal-de-12h30/journal-de-12h30-du-mardi-05-septembre-2023-4021600 à partir de la 8e minute


Après avoir reçu de nombreux messages d’auditeurs scandalisés, la médiatrice de la radio a été contrainte d’apporter la réponse suivante, blâmant le présentateur de l’émission polémique plutôt que la fameuse experte:
« Julie Billaud est une anthropologue et professeure à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève. Elle est spécialiste de l’islam, de la gouvernance internationale, de l’action humanitaire et du genre. Au lendemain de l’accueil par la France de 5 afghanes réfugiées au Pakistan car menacées par les talibans au pouvoir à Kaboul, il nous paraissait intéressant d’avoir son expertise. Nous aurions sans doute dû prendre le temps en début d’entretien de contextualiser plus avant. Ce rendez-vous dans le journal dure 5 minutes et ne permet pas toujours de prendre suffisamment de recul avant de dérouler une réflexion. Nous allons retravailler avec le présentateur de ce rendez-vous pour être plus attentifs à ne pas heurter nos auditeurs. Par ailleurs nous avons indiqué à Julie Billaud que ses propos avaient créé la polémique. Elle nous a proposé un texte en réponse. Pour tout auditeur qui souhaiterait en prendre connaissance, il suffit d’en faire la demande par message sur le site de la médiatrice de Radio France  •

Blasphème: la décision danoise ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression

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Un homme dans une mosquée en France, 2015 (c) SIPA. 00859888_000011

Sur ce point, l’ancien magistrat et chroniqueur Philippe Bilger ne risque pas de tomber d’accord avec la patronne


Le blasphème est-il sacré ? C’est une question infiniment délicate, au sujet de laquelle on a droit à des nuances, des prudences et des interrogations qui ne s’imposent pas forcément sur d’autres thèmes. Je l’avais déjà abordé, mais plus rapidement et superficiellement, dans les Vraies Voix sur Sud Radio où j’avais soutenu que je comprenais la position des autorités danoises souhaitant interdire la « dégradation publique d’objets religieux », notamment les autodafés du Coran, tout en veillant à sauvegarder l’expression écrite ou orale pour l’éventuelle dénonciation de l’islam, du christianisme et du judaïsme.

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J’ai évidemment été sensible à la tribune indignée initiée par Richard Malka dénonçant, selon lui, ce retour à une conception « moyenâgeuse » du rapport à la religion. « Pénaliser l’acte de brûler des Coran, c’est s’engager sur une pente extraordinairement dangereuse », selon cet avocat adepte d’une liberté d’expression absolue dans ce domaine. Je comprends la crainte éprouvée par ce défenseur de talent, mais elle n’est pas à ce point irréfutable qu’elle puisse me détourner d’une argumentation contraire. J’ai eu du mal à intégrer que le blasphème en soi soit forcément le signe d’une société libre, ouverte et progressiste. Il me semblait plutôt la manifestation immature et provocatrice d’un monde incapable de respecter les croyances honorablement ressenties. Aussi le fait, pour le Danemark, de sanctionner les offenses religieuses particulièrement blessantes pour les fidèles d’une religion, quelle qu’elle soit, ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression.

L’accusation en lâcheté, injuste

J’avoue également, les expressions orale et écrite étant préservées, que ce qui émane du Danemark et de cette social-démocratie atypique parce que capable de conjuguer l’obligation de l’humanité avec les leçons du réel ne m’a jamais choqué. J’éprouve l’impression que rien n’a été décidé au hasard et que, si des risques ont été pris, c’est en pleine conscience des problématiques à prendre en compte. Le grief qui est fait à ces sociétés d’être lâches face aux dérives souvent mortifères suscitées par les intégrismes religieux, notamment islamiste, est injuste. J’y vois plutôt une forme de raison et même le retour d’une décence qui n’est absolument pas de la complaisance à l’égard des horreurs mais la reconnaissance que le fait religieux mérite la protection des pouvoirs. Leur charge est de veiller à la tranquillité des cultes, d’avoir le souci de préserver les pratiques religieuses des atteintes indignes et de permettre les expressions de ceux qui ne sont concernés ni par les uns ni par les autres.

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À tort ou à raison, une distinction a toujours marqué mon attitude intellectuelle et psychologique dans le domaine de la liberté d’expression. La séparation entre les idées et les croyances. Les premières sont faites pour relever des débats, pour être contredites. Une idée interdite est le comble de l’étouffement démocratique. Les esprits et les intelligences sont offensés. Mais une croyance relève des tréfonds intimes, des histoires personnelles et familiales, d’un terreau qui se rapporte aux sensibilités. Il me semble qu’on devrait laisser tranquilles ces états d’âme et ne jamais se poser en prosélytes ou en procureurs de ces sphères étrangères à la rationalité et à l’argumentation. Une croyance qu’on blesse, singulière ou collective, c’est de l’indélicatesse humaine.

Pas un avis péremptoire

Enfin, prétendre que sanctionner le blasphème, avec les limites indiquées, serait valider des États comme la Syrie ou l’Iran n’hésitant pas à tuer au nom du Coran, n’est pas pertinent. Je ne sache pas que le régime antérieur ait eu un quelconque effet positif sur ces sauvageries. A-t-on le droit de continuer au moins à douter que le délit de blasphème soit une arme décisive à la fois pour offrir aux religions, à leur expression sereine et acceptable, la considération qu’elles méritent et pour entraver la folie d’intégrismes destructeurs ? Ce n’est pas parce que notre Histoire, dans des périodes où le catholicisme faisait loi, a sanctionné tragiquement des blasphémateurs que le blasphème en tant que tel, dans son extériorisation publique, est à célébrer.

Je suis tout sauf péremptoire à ce sujet mais j’ai toujours été gêné par ce poncif, prétendument libérateur et progressiste, que le blasphème doit être perçu comme un progrès de la civilisation. Comme sacré.