Accueil Édition Abonné Blasphème: la décision danoise ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression

Blasphème: la décision danoise ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression

Faut-il interdire les autodafés de livres religieux?


Blasphème: la décision danoise ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression
Un homme dans une mosquée en France, 2015 (c) SIPA. 00859888_000011

Sur ce point, l’ancien magistrat et chroniqueur Philippe Bilger ne risque pas de tomber d’accord avec la patronne


Le blasphème est-il sacré ? C’est une question infiniment délicate, au sujet de laquelle on a droit à des nuances, des prudences et des interrogations qui ne s’imposent pas forcément sur d’autres thèmes. Je l’avais déjà abordé, mais plus rapidement et superficiellement, dans les Vraies Voix sur Sud Radio où j’avais soutenu que je comprenais la position des autorités danoises souhaitant interdire la « dégradation publique d’objets religieux », notamment les autodafés du Coran, tout en veillant à sauvegarder l’expression écrite ou orale pour l’éventuelle dénonciation de l’islam, du christianisme et du judaïsme.

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J’ai évidemment été sensible à la tribune indignée initiée par Richard Malka dénonçant, selon lui, ce retour à une conception « moyenâgeuse » du rapport à la religion. « Pénaliser l’acte de brûler des Coran, c’est s’engager sur une pente extraordinairement dangereuse », selon cet avocat adepte d’une liberté d’expression absolue dans ce domaine. Je comprends la crainte éprouvée par ce défenseur de talent, mais elle n’est pas à ce point irréfutable qu’elle puisse me détourner d’une argumentation contraire. J’ai eu du mal à intégrer que le blasphème en soi soit forcément le signe d’une société libre, ouverte et progressiste. Il me semblait plutôt la manifestation immature et provocatrice d’un monde incapable de respecter les croyances honorablement ressenties. Aussi le fait, pour le Danemark, de sanctionner les offenses religieuses particulièrement blessantes pour les fidèles d’une religion, quelle qu’elle soit, ne m’apparaît pas, d’emblée, comme une régression.

L’accusation en lâcheté, injuste

J’avoue également, les expressions orale et écrite étant préservées, que ce qui émane du Danemark et de cette social-démocratie atypique parce que capable de conjuguer l’obligation de l’humanité avec les leçons du réel ne m’a jamais choqué. J’éprouve l’impression que rien n’a été décidé au hasard et que, si des risques ont été pris, c’est en pleine conscience des problématiques à prendre en compte. Le grief qui est fait à ces sociétés d’être lâches face aux dérives souvent mortifères suscitées par les intégrismes religieux, notamment islamiste, est injuste. J’y vois plutôt une forme de raison et même le retour d’une décence qui n’est absolument pas de la complaisance à l’égard des horreurs mais la reconnaissance que le fait religieux mérite la protection des pouvoirs. Leur charge est de veiller à la tranquillité des cultes, d’avoir le souci de préserver les pratiques religieuses des atteintes indignes et de permettre les expressions de ceux qui ne sont concernés ni par les uns ni par les autres.

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À tort ou à raison, une distinction a toujours marqué mon attitude intellectuelle et psychologique dans le domaine de la liberté d’expression. La séparation entre les idées et les croyances. Les premières sont faites pour relever des débats, pour être contredites. Une idée interdite est le comble de l’étouffement démocratique. Les esprits et les intelligences sont offensés. Mais une croyance relève des tréfonds intimes, des histoires personnelles et familiales, d’un terreau qui se rapporte aux sensibilités. Il me semble qu’on devrait laisser tranquilles ces états d’âme et ne jamais se poser en prosélytes ou en procureurs de ces sphères étrangères à la rationalité et à l’argumentation. Une croyance qu’on blesse, singulière ou collective, c’est de l’indélicatesse humaine.

Pas un avis péremptoire

Enfin, prétendre que sanctionner le blasphème, avec les limites indiquées, serait valider des États comme la Syrie ou l’Iran n’hésitant pas à tuer au nom du Coran, n’est pas pertinent. Je ne sache pas que le régime antérieur ait eu un quelconque effet positif sur ces sauvageries. A-t-on le droit de continuer au moins à douter que le délit de blasphème soit une arme décisive à la fois pour offrir aux religions, à leur expression sereine et acceptable, la considération qu’elles méritent et pour entraver la folie d’intégrismes destructeurs ? Ce n’est pas parce que notre Histoire, dans des périodes où le catholicisme faisait loi, a sanctionné tragiquement des blasphémateurs que le blasphème en tant que tel, dans son extériorisation publique, est à célébrer.

Je suis tout sauf péremptoire à ce sujet mais j’ai toujours été gêné par ce poncif, prétendument libérateur et progressiste, que le blasphème doit être perçu comme un progrès de la civilisation. Comme sacré.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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