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Tant qu’il y aura des films

"L'été dernier" de Catherine Breillat, "Jean-Pierre Mocky, l'affranchi (partie 2)" et "Club Zéro" de Jessica Hausner


Tant qu’il y aura des films
© Pyramide Films

Comme contrepoison à la Barbie barbante du cinéma américain de cet été, rien de tel que le nouveau film décapant et dérangeant de Catherine Breillat servi par une distribution étincelante. En prime, les toujours très précieux films de Mocky qui connaissent une nouvelle vie en salles.


Tout juste

L’Été dernier, de Catherine Breillat

Sortie le 13 septembre 2023

Certains la croyaient morte. D’autres, incapable désormais de toute création artistique. Ils se trompaient : Catherine Breillat, l’enfant terrible du cinéma français, n’a rien perdu de sa verve et de son indépendance à l’égard de la doxa. Présenté presque en douce au Festival de Cannes, L’Été dernier y a fait sensation. Anne (Léa Drucker) est une avocate renommée spécialisée dans les violences sexuelles faites aux mineurs. Lorsqu’elle rencontre le fils de son compagnon, âgé de 17 ans, elle entame une relation incestueuse avec lui, au risque de compromettre sa carrière et sa vie familiale… Difficile de faire plus vénéneux comme point de départ et Breillat, avec son coscénariste, le brillant Pascal Bonitzer, tient la note jusqu’au bout. Les amateurs de situations convenues passeront leur chemin. On imagine aisément ce que le néoféminisme à la mode cinématographique aurait pu faire d’une situation si iconoclaste. L’héroïne aurait fini par rentrer dans le rang, les bonnes mœurs l’auraient emporté et l’« innocence » serait sortie victorieuse du combat face à l’odieux adulte. Et si cela avait été un homme, l’affaire était pliée d’avance : condamnation morale de ce penchant forcément viriliste pour la chair fraîche. Mais, en choisissant une femme, mère de famille et avocate comme personnage principal, Breillat fait le pari de l’intranquillité. Sur le papier, tout fait d’elle une sainte. Dans les faits, elle remet en cause les bienséances. D’accusée potentielle, elle se fait accusatrice. Récusant par avance l’idée qu’elle a tort contre son plaisir, elle attaque et ose mettre en cause la parole de ce mineur que dans d’autres circonstances, elle serait appelée à défendre.

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Remake d’un long métrage danois jamais sorti en France, le film de Breillat cultive sa différence, y compris dans sa durée : une heure et quarante-quatre minutes, contre deux heures et huit minutes pour l’original. Rien d’innocent dans cette durée raccourcie : le récit progresse net et tranchant comme une lame de rasoir. Du cinéma à l’os. Pas de gras, comme s’il s’agissait d’aller à l’essentiel dans la description des sentiments, avec une caméra qui capte le moindre battement de cils.

L’Été dernier, de Catherine Breillat. ©Pyramide Films

Perverse, Breillat ? Non, humaine, tout simplement. Et c’est bien plus intéressant. Elle nous entraîne au fil du récit dans des zones d’inconfort successives. Complexe et ambigu, L’Été dernier assume cette forme de radicalité dans un paysage artistique qui aime tant les vérités simplistes d’un camp contre l’autre. Comme Justine Triet dans son impeccable Anatomie d’une chute, Catherine Breillat exploite les tréfonds de l’âme humaine sans jamais imposer son jugement, sa morale ou sa vision. Rafraîchissante attitude qui tranche avec l’air du temps. Ce que respecte le plus la cinéaste, c’est son spectateur, tout simplement : faisant fi de tout manichéisme imbécile, elle décide que ce sera à lui et à lui seul de se faire son idée définitive (ou non !). En refusant les conformismes et les impasses du film « à thèse », et grâce à une Léa Drucker au meilleur de sa forme, Breillat brosse le portrait d’une manipulatrice endossant le rôle de la victime. Cerise sur ce beau gâteau, une séquence finale filmée au cordeau et qui tombe comme un couperet glaçant. Et si, avec ce film d’une maîtrise totale, Breillat fendait enfin l’armure, se débarrassait une fois pour toutes des oripeaux de la vaine provocation pour décrire, tel un Chabrol, les folies bourgeoises, ordinaires ou non ? Ce serait assurément une bonne nouvelle.

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Tout compris

Jean-Pierre Mocky, l’affranchi (partie 2)

Sortie le 13 septembre

L’excellente société de distribution Les Acacias a eu l’idée de sortir une nouvelle salve de films de Jean-Pierre Mocky qui manque tant au cinéma français, depuis sa disparition en 2019. Pas moins de douze longs métrages aussi réjouissants les uns que les autres ! Quelques perles se détachent même du lot, comme L’Albatros, L’Ibis rouge, La Grande Lessive, Un linceul n’a pas de poches ou bien encore Snobs. Il faut voir et revoir ces œuvres faussement bricolées et vraiment décapantes. Qu’il donne dans le polar politique ou dans la fable sociale, Mocky fait mouche. Et il y a l’intense jubilation de retrouver au fil des films Bourvil, Lonsdale, Poiret, Serrault, Maillan et tant d’autres, y compris ces inénarrables seconds rôles dotés de gueules incroyables qu’affectionnait le cinéaste. Quel plaisir de voir ou de revoir ces films-là sur grand écran, et non sur ces télés étriquées que dénonçait si bien Mocky dans La Grande Lessive !

Jean-Pierre Mocky, l’affranchi (partie 2). ©Acacias Films

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Tout faux

Club Zéro, de Jessica Hausner

Sortie le 20 septembre 2023

Il y avait auparavant le célèbre « Maurice Cloche, comme son nom l’indique », lancé un jour par Henri Jeanson à propos d’un réalisateur de purs navets. Il y aura désormais le « Club zéro pointé », à l’égard du désastreux film de la si surestimée cinéaste autrichienne Jessica Hausner. Le quota féminin instauré officieusement par le Festival de Cannes depuis quelques éditions post-MeToo ne saurait justifier tout et n’importe qui. Réflexion largement partagée en mai dernier sur la Croisette par des festivaliers sidérés de la médiocrité de ce Club Zéro, pourtant en compétition pour la Palme d’Or. On est resté pétrifié devant ce portrait d’une secte alimentaire pour ados chics. Une fable hyper formaliste pour dire le dégoût qu’inspire l’humanité tout entière à la réalisatrice. Ce long ricanement stérile méprise autant ses personnages que ses spectateurs. Mais après tout, qu’un film qui évoque si bêtement l’anorexie puisse donner la nausée, quoi de plus naturel ? Une seule solution : tirer la chasse et passer à autre chose.

Club Zéro, de Jessica Hausner. ©Coproduction Office/Fred Ambroisine

Septembre 2023 – Causeur #115

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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