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Il faut croire Catherine Breillat

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Art, acteurs, scandales, Metoo, Christophe Rocancourt. La réalisatrice Catherine Breillat, devenue hémiplégique, se confie dans un livre d’entretiens tout à fait réjouissant.


Dans la foulée de la sortie en salles de L’été dernier, ce pur joyau de Catherine Breillat (dont Jean Chauvet célébrait si justement, dans le dernier numéro de Causeur, « l’intranquillité » rageuse et iconoclaste), la Cinémathèque française vient, à raison, de rendre hommage à l’arpenteuse des « tréfonds de l’âme humaine » – pour reprendre l’expression de mon confrère. Avec, en présence de la cinéaste, une rétrospective intégrale de sa filmographie, téléfilms inclus : depuis Une vraie jeune fille (1975), Tapage nocturne (1979) ou 36 fillettes (1987), jusqu’à La belle endormie (2010), en passant par Sale comme un ange (1991), Parfait amour (1996), Romance (1999), A ma sœur (2000), Brève traversée (2001), Sex is Comedy (2002), Anatomie de l’enfer (2004), Une vieille maîtresse (2007), Barbe bleue (2009)… Et bien sûr, L’Eté dernier, réalisé dix ans après Abus de faiblesse (2012), cet autoportrait grinçant inspiré de sa liaison avec le séducteur escroc Christophe Rocancourt, alors que, victime d’un AVC, elle était frappée d’hémiplégie.

Dialogue captivant

Il n’y a pas de scories dans le cinéma de Catherine Breillat. Le mot de Gustave Flaubert, « Madame Bovary, c’est moi ! », pourrait, à la lettre, s’appliquer à chacun de ses titres : Catherine Breillat n’est-elle pas tout à la fois une fillette, une romantique, une sœur, une anatomie, un enfer, un ange, une vieille maîtresse, un parfait amour, une belle endormie – et un été radieux ?

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Coïncidant avec la sortie en salles de L’été dernier à la mi-septembre, le livre d’entretiens qui paraît aux éditions Capricci l’atteste encore, merveilleusement intitulé : Je ne crois qu’en moi. Entre septembre 2022 et mars 2023, Catherine Breillat, alors en plein montage de son dernier long métrage, s’est confiée à Murielle Jourdet, critique et auteur de plusieurs essais (sur Isabelle Huppert, sur Gena Rowlands, etc.). Dialogue captivant. De ces échanges, il se dégage une rage de vivre presque adolescente chez cette femme âgée de 75 ans et physiquement infirme. Quelque chose d’implacable dans la formulation, une gourmandise, aussi, pour l’art sous toutes ses formes, une passion dévorante pour son métier. Comme dans ses films, l’expression de cet intempérant besoin d’assumer, à travers l’image mais aussi l’écriture, tout ce qui saigne et transpire chez l’être humain, passe sans filtre aucun dans la parole de Catherine Breillat : Catherine Breillat ne pose jamais.


Morceaux choisis :

Sur L’été dernier : « Je ne voulais pas d’une prédatrice. Mais d’une femme piégée par l’amour d’un adolescent ».

Sur son enfance : « On m’a éduquée dans un bain de boue, ou de merde ».

Sur l’art : « L’Art est sacré, ça échappe à la morale ». « Bergman est mon maître. Avec Lautréamont ». « Point commun : l’absolue violence, le désespoir de détruire, l’absolu du romantisme » (…) « plus il y a de torture, plus j’aime. Je suis archi violente dans l’imaginaire (…) Les mots ni les images ne font de mal à personne » (…) « Je ne veux pas être Marie Laurencin. Je veux être Francis Bacon ». « Les grands peintres me sauvent toujours. »

Sur le 7ème art : « Je réagence, je n’invente rien ». « Faire un film c’est entrer au Carmel. C’est une cérémonie sacrée et sacrificielle ». « Claude Sautet, c’est ça le ‘’ cinéma moquette’’ ». « À l’époque on croyait au cinéma, aujourd’hui on croit au box office ». « Oui, le cinéma est carnivore et anthropophage ». «  Mes films se situent entre la borne et la limite ».

Sur les acteurs : « C’est du matériel, les acteurs, il faut voir les choses comme elles sont. » « Les acteurs (…) sont enveloppés par la nasse de mon regard, comme si je tenais un filet. Ils doivent être moi, commencer à me ressembler ». « Les actrices françaises jouent, or je veux qu’elles soient ». « Je ne dirige pas les acteurs, je les envoûte, et vice versa ». « [Les acteurs] oublient la substance de leur métier, ils veulent d’abord être des vedettes ».

Sur les figurants de cinéma : « Ils coûtent très cher et puis au fond je les déteste. Puisque je ne sais pas les diriger, je les déteste. C’est bien plus beau sans eux ».

Sur Christophe Rocancourt : « C’est une ordure et même si je suis la victime je n’ai pas envie d’être victimisée ».

Sur son hémiplégie : « Tous les malheurs m’arrivent mais je peux les supporter. Je marche comme Robocop mais mes films ne sont pas infirmes. Je préfère être infirme plutôt que mes films le soient ».

Sur Isabelle Huppert : «  Elle m’a dit ‘’non, t’es pire‘’ » [que le cinéaste Maurice Pialat sur un tournage].  

Sur les costumes : « Je m’y connais. J’achète tout. J’aime passionnément les tissus, depuis toujours ».

Sur # Mee Too : « Moi je ne dis pas la même chose du mouvement. Je vois le retour de bâton. La mise en place d’un ordre moral sans merci. C’est un cauchemar. Les filles vont redevenir ce que j’ai été plus jeune : marquée au fer rouge dès qu’on leur fait une remarque déplacée (…) Ce puritanisme mortifère est je crains qu’il ne devienne la norme. »

Sur le vote : « Voter pour quelqu’un parce que c’est une femme, jamais. Je veux pouvoir être contre une femme ».

Sur la maternité : « Je veux que les enfants détruisent le couple (…) Être mère c’est un fait matériel, pas moral ».

Sur le viol : « Il ne faut pas confondre le viol (qui est un crime) et un trop vague consentement dont on a honte. »  « J’adore la beauté assassinée ou violée. »

Sur le laid : « Moi j’aime le laid, je ne veux pas crever de pudeur. Le déballage du laid je trouve ça très beau. Ou peut-être très grand ».

Sur le scandale : « Au fond je ne me rends jamais compte que je transgresse, j’ai une innocence du scandale ».

Sur sa lucidité : « Je suis folle. Je le sais ». 

Il y en a 232 pages comme ça. Enfin une saine lecture. Pour adultes consentants.

Je ne crois qu’en moi. Entretiens de Catherine Breillat avec Murielle Jourdet. Editions Capricci. En librairies.

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Romance avec paroles

Baudelaire, Molière, Hugo, Cyrano… Dans son disque, Florent Garcimore nous propose une interprétation musicale de la littérature française.


Prenez les plus beaux écrits de la littérature française, mélangez-les à des mélodies douces et agréables jouées par un pianiste d’exception. Ajoutez pour les dire une voix singulière et hypnotique, et cela donne Les Petites Illusions, disque de Florent Garcimore. Auteur, comédien, réalisateur, photographe et chanteur, cet artiste multi-talents est aussi un pianiste émérite qui connaît ses classiques sur le bout des doigts. En particulier, Schubert et Beethoven, auxquels il ajoute sa touche personnelle par l’improvisation. Ses amis peuvent en témoigner, donnez-lui un piano et il peut enflammer les soirées les plus plan-plan.

Toutefois depuis son adolescence, il ne se contente pas de dompter les partitions léguées par d’illustres auteurs. Disponible depuis juin, son premier album, enregistré sur un Steinway & Sons, ne comporte que ses propres compositions, créées pour mettre en musique 17 pépites de la littérature française.

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Sous ses doigts et dans sa voix, Baudelaire, Victor Hugo, Molière et d’autres reviennent à la vie, plus éclatants que jamais. « L’invitation au voyage » nous transporte littéralement, avec une mélodie qui épouse à la perfection le célèbre vers, devenu ici un entêtant refrain –« Là, tout n’est qu’ordre et beauté… luxe, calme et volupté ». On accordera une mention spéciale à la tirade des « non merci », où l’artiste campe un Cyrano intime et moderne sur fond de mélodie en boucle, qui pourrait faire penser à un sample de rap.

En somme, voilà un album à écouter aussi bien sur une route pluvieuse que sur une terrasse ensoleillée ouverte sur les toits de Paris. Et qui pourrait donner aux plus jeunes une envie de poésie – on peut rêver.

Florent Garcimore. © Capture d’écran Twitter @F3Centre

Les petites illusions

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Une solution simple et consensuelle: les migrants au Vatican

« Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par le fanatisme de l’indifférence. » En déplacement à Marseille, notre Pape a chargé les Occidentaux plutôt que les passeurs ou pays africains, et plaidé pour un accueil inconditionnel des migrants clandestins qui arrivent sur les rives européennes. Le cimetière marin qu’il dénonce recevra encore beaucoup de victimes…


L’exemplarité est au cœur des valeurs chrétiennes. Le Christ montre l’exemple du pardon en demandant à son Père au pied de la croix de pardonner à ses bourreaux car « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Marseille offre un magnifique exemple de dévouement chrétien avec son archevêque Mgr de Belsunce qui vint au secours des malades de la terrible peste de 1720, la dernière qui ravagea la France. Le pape François pourrait s’inspirer de cet héroïque prélat et faire lors de son passage dans la cité phocéenne une annonce bouleversante : il hébergera au Vatican les migrants débarqués la semaine dernière à Lampedusa, et pourquoi pas, ceux qui ne manqueront pas d’arriver ensuite. « Ah, vous refusez d’accueillir à bras ouverts ces pauvres gens ? Eh bien moi, je vais le faire ! Je ne vais pas me contenter des deux ou trois familles de musulmans syriens que j’héberge déjà, je vais accueillir tous les rescapés de la traversée ! » Quelle allure ! Cette noblesse d’âme se révélerait contagieuse et chaque foyer européen se sentirait obligé d’accueillir à son tour deux ou trois familles africaines ou moyen-orientales. Chambre d’amis, dressing, garage, baignoire, tant d’espaces sous-employés dans la vie quotidienne pourraient être utilisés !

Le Vatican, New York: même combat !

Le Vatican n’est pas si petit que ça, il mesure près d’un demi-kilomètre carré, ce qui avec les 800 résidents actuels donnerait une densité de 17 600 habitants au kilomètre carré, largement inférieure à celle de Monaco. Mais me direz-vous, il leur faut un toit. Justement, la basilique Saint-Pierre mesure 188 mètres de long sur 154 de large, soit 28 952 m2. Ce qui divisé par 8 000 donne 3 619 m2 pour chaque migrant, qui serait ainsi logé au large. De quoi accueillir sans problème les prochaines vagues d’arrivées, et quand tout le sol sera occupé, on pourra construire des caillebotis pour faire dormir les nouveaux venus, comme dans les navires négriers du XVIIIe siècle. Bien sûr, il faudra retirer des murs et de la coupole de la basilique tous les symboles chrétiens pour ne pas offenser les arrivants, en grande majorité musulmans. L’accueil doit être inconditionnel, en a décidé François, et la générosité ne se discute pas. Pour ne pas trop encombrer les routes et chemins de fer italiens, une rotation de bus ira chercher les migrants en Sicile. Ainsi ont fait aux États-Unis les gouverneurs de certains États républicains qui ont envoyé leurs immigrés à New York, chez le maire démocrate de New York, Eric Adams, qui juge désormais la situation ingérable.

Peut-être que le pape François se rendra compte alors qu’il y a un insurmontable problème d’échelle entre la population européenne, stagnante et vieillissante, et la population africaine, jeune et à l’accroissement exponentiel. Peut-être relira-t-il avec d’autres yeux la parabole du bon Samaritain, qui sert à justifier sa volonté d’immigration illimitée. Il s’agit d’un étranger au pays judéen qui porte secours à un autochtone roué de coups par des brigands. La leçon de la parabole est claire, les étrangers sont capables d’autant de charité que les Juifs, sinon davantage. Rien à voir avec les Européens sommés d’accueillir par milliers des jeunes gens robustes et souriants à larges dents, tout à leur joie enfantine d’être pris en charge par ces pauvres niaiseux de toubabs. Peut-être le pape François se rappellera-t-il que le commandement christique d’aimer son prochain plus que soi-même vise son « proche » et non son « lointain ». Il est en effet plus difficile d’aimer un proche trop connu qu’un étranger lointain, fantasmé et idéalisé. Le Christ, en Matthieu 5:24 nous ordonne : « Ne va pas à la synagogue avant de te réconcilier avec ton frère. » Rousseau, pour une fois d’accord avec les Écritures, se moque dans Émile de « tel philosophe (qui) aime les Tartares pour être dispensé d’aimer son voisin ».

Chiffres considérables

Ajoutons la parabole du fameux « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », présente dans les trois évangiles synoptiques. On tend un piège au Christ en lui demandant s’il faut payer l’impôt aux Romains, il veut savoir de qui est l’effigie gravée sur la pièce de monnaie à verser à l’occupant, et il s’en sort par la célèbre réplique, fondement de la séparation du spirituel et du temporel en Occident. Le Christ se montre légaliste et il n’approuverait sûrement pas le franchissement nocturne en tapinois des cols du Briançonnais.

Tous les arguments immigrationnistes sont devenus inaudibles. J’ai encore entendu ces jours-ci à la télévision une brave dame dire sur un ton d’évidence : « Mais enfin, 8 000 migrants sur 450 millions d’Européens, ce n’est rien du tout ! » L’ennui c’est qu’on nous répète ce refrain depuis une vingtaine d’années, ce qui, multiplié par le nombre de semaines que compte ce laps de temps, donne tout de même un chiffre considérable. Tout aussi naïve, l’injonction donnée à l’Europe de développer économiquement l’Afrique, encore entendue récemment de la bouche d’Alberto Toscano. En 2015, Jean-Louis Borloo a hautement claironné qu’il allait électrifier ce continent. Passons sur le néocolonialisme latent qu’il y a à vouloir faire le travail des Africains à leur place, mais ne passons pas sur le résultat : absolument rien ! Pas de tambours, pas de trompettes, silence absolu sur l’échec du brave homme qui voulait vider à la cuillère l’océan de la corruption de ce malheureux continent. Selon Jeune Afrique, il a simplement déclaré en février 2017 qu’« il se tournait vers d’autres horizons ».

Il n’est pas besoin d’avoir une bonne boule de cristal pour savoir ce qu’il adviendra de l’immigrationnisme brouillon du pape François : Laurent Dandrieu l’a déjà expliqué dans Le Grand Malaise, publié en 2017. L’Église catholique passera pour responsable du grand changement civisationnel, ou plutôt décivilisationnel, qui s’annonce. Les églises s’en trouveront de plus en plus vides et les ordinations de prêtres de plus en plus rares.

Sur les canons de ses armées Louis XIV faisait graver la formule latine « Ultima ratio regum », « le dernier argument des rois ». Non pas une moquerie pour ceux qu’anéantiraient les feux de son artillerie, plutôt une excuse résignée à la nécessité de la guerre dans les cas extrêmes. Toutes les élites européennes avaient été scandalisées au XVIIIe siècle par la première victime célèbre de l’artillerie, nouvellement importée de Chine, le jeune, beau et prometteur général du pape, Jean de Médicis. Un magnifique traité avait été signé par toute l’Europe pour bannir à jamais l’emploi de cette arme diabolique… Un traité de la même eau que les nobles déclarations du pape François à Marseille. Hélas trois fois hélas, la diplomatie de la canonnière sera la seule à résoudre l’interminable problème des migrations. Ceux qui n’osent pas déployer un blocus de navires de guerre européens à travers la Méditerranée seront comptables des milliers de noyades qui se produiront jusque-là. Autant dire que le cimetière marin que dénonce le pape recevra encore beaucoup de victimes.

L’arrogance des «élites» et la fin de la démocratie

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Comme le déplore notre consœur du Figaro Judith Waintraub, la liberté de la presse s’arrêtera-t-elle bientôt là où commence la lutte contre le dérèglement climatique ? Des députés préparent une proposition de loi visant à bannir le climatoscepticisme du débat public et des médias. L’analyse de Didier Desrimais.


« Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne (2014-2019).  

Dans La révolte des élites paru en 1996, Christopher Lasch décrivait la déconnexion entre le peuple américain et ses élites, ainsi que le mépris de ces dernières pour « les valeurs et les vertus qui fondaient autrefois l’idéal démocratique ». Insistant sur la détérioration du débat public, il écrivait : « La démocratie demande un échange vigoureux d’idées et d’opinions. Comme la propriété, les idées doivent être distribuées aussi largement que possible. Pourtant, bon nombre des “gens de bien”, selon l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, ont toujours été sceptiques quant à la capacité des gens ordinaires à saisir des problèmes complexes et à produire des jugements critiques. » De plus, regrettait-il, le journalisme moderne affilié à ces élites, après avoir « adhéré à un idéal fallacieux d’objectivité », s’est défini comme but absolu de « diffuser des informations fiables – autrement dit, le type d’information qui tend non pas à promouvoir le débat mais à y couper court ». Les Français subissent depuis des décennies ce type d’information. L’audiovisuel public et la presse mainstream se font le relais d’experts auto-proclamés en matière, par exemple, de climat ou d’immigration – leur expertise reposant en réalité essentiellement sur leur capacité à diffuser sans les discuter des « informations fiables » issues des évangiles du GIEC et du catéchisme immigrationniste de l’ONU et de l’UE.

Tout, sauf un référendum !

Il y a quelques jours, sur le plateau de 28 minutes d’Arte, Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA France et enseignante à Sciences Po, a expliqué pour quelles raisons il fallait promouvoir une « convention citoyenne » plutôt qu’un référendum sur le sujet de l’immigration. L’immigration, a-t-elle doctement affirmé, est un « sujet technique » qui « suppose qu’on apporte de la nuance. » – « les Français n’ont peut-être pas l’expertise suffisante pour y répondre ». Autrement dit : les Français sont des buses et moi, super-technocrate en chef, je vais leur expliquer en quoi l’immigration est une chance pour la France, affirmation qui n’appelle aucune contradiction et à laquelle aboutira d’ailleurs une convention citoyenne éventuellement cornaquée par moi-même ou un de mes semblables !

D’un côté, les Français subissent une immigration ratifiée par des « élites » mondialistes décidant du destin des peuples sans leur demander leur avis ; de l’autre, les journalistes, prosternés devant les experts, rechignent à lancer de véritables débats sur des décisions prises en haut-lieu et ayant des répercussions capitales sur l’avenir de l’Europe et de la France. Un exemple parmi cent, celui du Pacte de Marrakech.

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Le pacte de Marrakech a été entériné par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2018. Il n’est, pour pasticher les propos de Mme Zulfikarpasic, ni si technique ni si nuancé que ça. Ce pacte, explicitement immigrationniste, prévoit de « créer des conditions favorables qui permettent à tous les migrants d’enrichir nos sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales ». L’objectif 5 stipule que les « filières de migration régulière » doivent être « accessibles et plus souples », « l’objectif étant de développer et de diversifier les filières de migration sûre, ordonnée et régulière ». L’objectif 17 concerne essentiellement les médias. Les États doivent « sensibiliser et informer les professionnels des médias sur les questions migratoires et la terminologie adaptée ». L’opinion publique sera formatée grâce à « un débat public fondé sur l’analyse des faits et associant l’ensemble de la société, le but étant que la question des migrants et des migrations soit abordée de façon plus réaliste, humaine et constructive ». Le problème de ce pacte n’est pas sa supposée technicité mais le fait que la presse mainstream n’en a quasiment pas parlé et n’a pas cru bon de révéler les tenants et les aboutissants d’un programme proclamant clairement que l’immigration n’en est qu’à ses débuts, qu’elle est inévitable et nécessaire, et que les gouvernements des pays concernés doivent s’asseoir sur les opinions contrariantes de leurs concitoyens. Les rares fois où ce pacte a été évoqué sur la radio publique française, cela a été pour répéter qu’il n’était pas « contraignant » et que les pays ne s’y pliant pas ne seraient pas sanctionnés. Mme von der Leyen, outrepassant comme à son habitude ses prérogatives, n’a pourtant pas hésité, comme elle l’avait fait précédemment pour la Hongrie et la Pologne, à menacer de représailles le gouvernement italien si celui-ci appliquait le programme migratoire préconisé par Giorgia Meloni lors de sa campagne électorale. Là encore, la radio publique n’a pas jugé nécessaire d’ouvrir un débat sur les propos hallucinants de cette technocrate se mêlant de décisions prises par des gouvernements démocratiquement élus. L’audiovisuel public devrait être le lieu des débats les plus ouverts et les plus contradictoires, il est celui des « compléments d’enquête » très orientés et de la propagande européiste, immigrationniste et écologiste. 

Guterres parle la même langue que Sandrine Rousseau

Ce qui est vrai pour l’immigration l’est également pour l’écologie et l’inévitable « changement climatique ». Lorsque M. Guterres, secrétaire général des Nations Unies, ne donne pas de leçons de morale à la France, il concocte de soporifiques et incantatoires sentences sur le « changement climatique » et l’écologie reprises par toute la bonne presse : « Notre guerre contre la nature doit cesser. Et nous savons que c’est possible. » (1er Décembre 2019) – « Nous n’avons pas de temps à perdre si nous voulons éviter une catastrophe climatique. » (10 mars 2020) – « Sans égalité des genres (sic), il sera impossible de répondre à l’urgence climatique. »(27 février 2020). La planète n’est visiblement pas la seule à connaître une augmentation anormale de la température : M. Guterres, après avoir fiévreusement affirmé que « l’effondrement climatique a commencé » et que nous étions au début de « l’ère de l’ébullition mondiale », a déclaré, le 20 septembre, que notre addiction aux énergies fossiles avait « ouvert les portes de l’enfer ». Le GIEC a trouvé, en la personne de M. Guterres, un évangéliste exemplaire qui ne craint pas le ridicule. Pourquoi le craindrait-il d’ailleurs ? Ses prédications répétitives et assommantes font le bonheur des instances médiatico-politiques qui reprennent en boucle les conclusions et les préconisations du GIEC.

A lire aussi, du même auteur: Le «catastrophisme éclairé» de Claire, Camille et Aymeric

Car on ne discute plus les conclusions du GIEC. En France, après que Radio France a interdit de donner la parole à quiconque remet en cause quelque point que ce soit du rapport onusien (1), un groupe parlementaire a l’intention de proposer une loi faisant de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) la garante d’une couverture médiatique sur le climat conforme au « consensus scientifique (sic) » selon lequel « il y a un dérèglement climatique et il est d’origine anthropique » – d’après le député socialiste Stéphane Delautrette, ces deux postulats « doivent bien sûr échapper au débat contradictoire ». Peu importe les arguments de Steven Koonin, éminent professeur de physique et ancien conseiller scientifique de Barak Obama ayant démontré entre autres la très médiocre fiabilité (c’est un euphémisme) des « modèles climatiques » censés prédire le climat des futures décennies (2), ceux du prix Nobel de physique John Clauser dénonçant la « corruption » d’une climatologie dévoyée et « métastasée en un mastodonte de pseudo-science – du journalisme à sensation » (3), ou ceux du mathématicien Benoît Rittaud, président de l’Association des climato-réalistes ne réclamant qu’une chose : qu’il soit possible de débattre sur l’évolution du climat « en favorisant l’expression sous toutes ses formes d’avis rigoureux et documentés ». Loi ou pas, ces scientifiques et de nombreux autres interrogeant les travaux du GIEC ne sont de toute manière jamais invités dans les médias publics. La même proposition de loi prévoit par ailleurs d’imposer aux médias audiovisuels publics et privés un minimum de 20% de contenus sur l’écologie et le climat en période électorale, sachant que ces contenus ne devront pas être « relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques (ceux du GIEC, of course) permettant de faire face à l’urgence ». Les médias publics, serviles, disciplinés et bêtes, appliquent d’ores et déjà à la lettre ces recommandations idéologiques. 

Le pluralisme et le « débat public vigoureux » chers à Christopher Lasch ne font plus partie de notre univers « démocratique ». Chaque jour qui passe voit se renforcer des élites dominatrices soutenues par une classe médiatique qui ne rêve que d’appartenir à cet aréopage mondialiste vivant au-dessus de la plèbe. « Il n’est pas indispensable, pour être corrompu par le totalitarisme, de vivre dans un pays totalitaire », écrivait Orwell. « Imposer une parfaite uniformité d’opinion sur tous les sujets est un premier pas vers la dictature » – nous en prenons le chemin.

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 (1) La charte de Radio France issue de son « Tournant environnemental » est lisible sur son site. Son premier article stipule que Radio France se tient « résolument du côté de la science, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres ». Tout est dit – adieu les débats contradictoires, vive l’idéologie et la propagande.

(2) Steven E. Koonin, Climat, la part d’incertitude, Éditions de l’Artilleur.

(3) Article de The Daily Sceptic du 23 juillet 2023 traduit sur le site de l’Association des climato-réalistes.

Immigration clandestine: la réponse de Macron au Pape

Au journal de 20 heures, le président Macron ne s’est évidemment pas permis de contester la parole marseillaise généreuse du chef de l’Église sur les migrants. Et dans le fond, est-il tellement en désaccord avec l’idée d’un accueil sans restrictions?


Nouvelle intervention présidentielle en direct aux 20 heures de TF1 et de France 2. En avril, c’était lors du climat explosif du mouvement contre la réforme des retraites. Fin juillet, c’était peu après les émeutes.

L’automne vient

Cette fois, Emmanuel Macron prend les devants et intervient avant une possible grogne automnale. On se souvient comment s’était terminé le deuxième automne du premier mandat. Ça tombe mal, les prix du carburant sont revenus peu ou prou au niveau d’octobre 2018, et s’accompagnent d’une envolée des denrées alimentaires. Pour autant, pas d’annonces miracles ; la parenthèse du « quoi qu’il en coûte » est refermée.

Avant de répondre aux questions d’Anne-Claire Coudray et de Laurent Delahousse, le président Macron a quand même pris quelques instants pour se féliciter. Accueillir une même semaine le Pape, le Roi d’Angleterre et la Coupe du monde de rugby, peu de monde l’a fait : c’est du meilleur augure à trois cents jours des Jeux olympiques, heureux citoyens Français !

Les propos du chef de l’État très attendus après la n-ième crise à Lampedusa

Mais surtout, l’interview s’est ouverte par plusieurs minutes consacrées au volet migratoire. Apostrophé par le Pape François contre le risque de « fanatisme de l’indifférence », Emmanuel Macron s’en est sorti avec un habituel numéro d’ « en même temps ». « Le Pape a raison d’appeler à ce sursaut contre l’indifférence », mais en même temps « l’Europe est le continent qui fait le plus. Nous, Français, nous faisons notre part ». La réponse polie au Pape a été aussi l’occasion de rappeler la volonté d’accélérer la reconduite aux frontières des demandeurs d’asile déboutés. Sensible au « message d’universalisme », Macron veut « être rigoureux », car « on a un modèle social généreux ». Peut-être un peu trop ?

A lire aussi, du même auteur: «Nous demandons la suppression du droit du sol à Mayotte»

Le président français a aussi salué l’évolution de Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien, pourtant élue sur ce thème, qui a pris le contrepied de sa majorité « simpliste et nationaliste » en prenant sa « part de responsabilité » et en « jouant le rôle de premier port sûr ». À terme, Macron compte sur la coopération des pays de transit, la Tunisie en tête, pour démanteler les passeurs. Mais il a bien été incapable de chiffrer le nombre de migrants de Lampedusa qui seront finalement répartis sur notre territoire national. C’est quand même fâcheux, car depuis le début de l’année 2023, pas moins de 127 000 migrants ont débarqué sur cette île italienne au large de la Tunisie, soit le double du chiffre de 2022 à la même époque.

Robinet d’eau tiède

Le robinet d’eau tiède a coulé en direct à 20h10, et les mânes de Michel Rocard ont été invoqués.

Lors de sa mise en garde à Marseille contre un naufrage civilisationnel, persuadé que les migrants n’étaient pas là pour nous envahir, le Pape a également avancé que l’assimilation à la française « ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, [faisant] prévaloir l’idée sur la réalité et [compromettant] l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance ». Mais les journalistes de TF1 et France 2 n’ont pas estimé intéressant hier soir de revenir sur cet éternel débat entre partisans de l’assimilation et partisans de l’intégration.

Il n’a pas été guère davantage question de blocus maritime dans les questions de nos confrères. En déployant les marines européennes aux limites des eaux territoriales tunisiennes et libyennes, soit à 22 kilomètres, le refoulement au point de départ serait pourtant faisable, avec la possibilité pour les garde-côtes des pays de transit de récupérer les migrants. C’est d’ailleurs ce que fait aujourd’hui la marine grecque le long des eaux territoriales turques.

Antoine Dupont, j’ai honte…

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Un seul être vous manque…


La nuit était passée au 22 septembre quand j’ai appris la nouvelle. Ce n’était pas la tragédie des migrants en masse à Lampedusa, le volontarisme soudain de la France, la probable continuation de l’impuissance européenne. Ni les immenses désastres du Maroc et de la Libye. Ce n’était pas non plus l’annonce de la participation provocatrice et indigne du Syndicat de la magistrature à la manifestation anti-violences policières du 23 septembre. Pas davantage que l’odieuse comparaison, par Sophia Chikirou, de Fabien Roussel avec Jacques Doriot, validée par Jean-Luc Mélenchon : « Il y a du Doriot en lui ». Ce qui aurait été déjà inconvenant sur le plan de l’analyse psychologique devenait franchement abject dans le registre historique et politique. Je n’avais pas été ému plus que cela par les suites de la pantalonnade et de la déconfiture sur la vente à perte. Je gardais mon sang-froid face à l’impression d’une Première ministre emportée dans le flot gouvernemental avec des ministres tentant tant bien que mal de résister à la morosité ambiante. Les rivaux de demain tenaient le haut du pavé aujourd’hui : Gérald Darmanin et Gabriel Attal. J’étais capable de dominer mon impatience face aux tergiversations de LR pour le choix de sa tête de liste pour les élections européennes : François-Xavier Bellamy encore, avec un second très pugnace, ou quelqu’un d’autre. Et à l’attente d’un duel qui vaudra la peine entre Jordan Bardella et Marion Maréchal. Et à la sélection du candidat de « Renaissance » qui sera évidemment à la peine ! Je retardais ma détestation des harcèlements scolaires et des violences faites aux femmes. Je dominais mon exaspération à l’égard de certains propos de Sandrine Rousseau. Pas facile pourtant. Je détournais mon empathie de Véronique Monguillot qui se plaignait de n’avoir pas eu « une justice exemplaire » avec les 15 et 13 ans de réclusion criminelle infligés par la cour d’assises des Pyrénées-Orientales aux deux criminels responsables de la mort de son époux. Je négligeais mon inquiétude face à une France en déclin et en ensauvagement. Je ne dénigrais pas les promesses non tenues, le verbe stérile. Je me sentais ailleurs. Je différais mon admiration pour le courage intellectuel du roi Charles III ayant su, à propos de l’écologie, rassembler notre monde parlementaire sans virulence ni démagogie. Je maîtrisais mon estime pour le président Zelensky, pour son discours à l’ONU et sa volonté d’obtenir des armes offensives encore refusées par le président Biden qui cette fois n’avait pas confondu les pays. Je n’étais obsédé par rien de ce qui aurait dû me heurter, me mobiliser, m’émouvoir.

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J’avais honte de moi parce que cette nouvelle qui avait pris le pas sur tout, c’était la blessure d’Antoine Dupont à la 46e minute du match de la France contre la Namibie, gagné par notre pays avec un score stratosphérique : 96 à 0. J’avais honte de moi parce que la probable absence de notre génial demi de mêlée ne quittait pas ma tête, renvoyant aux oubliettes tant de choses capitales. Et je mesurais mon inélégance à l’égard de son excellent remplaçant Maxime Lucu. Bizarrement, il y avait dans ma honte une étincelle d’étrange joie : le fait que quelqu’un puisse apparaître aussi indispensable, tellement nécessaire alors qu’il n’est rien qui ne soit révisable, critiquable, jetable… J’ai honte mais cela passera. Quand il reviendra.

La stratégie du chaos

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Lors de la manifestation d’extrême gauche tout à fait honteuse de samedi, le mouvement contre les « violences policières » s’est vite transformé en violences contre la police. Analyse.


L’ultra-gauche et ses affidés, au nombre desquels le très zélé Syndicat de la Magistrature, appelaient à manifester dans toute la France ce dernier samedi contre, je cite : « les violences policières, le racisme systémique et pour les libertés publiques. »

Pas le tsunami anti-police espéré

D’après les décomptes officiels ils étaient un peu plus de trente mille, cela pour quelque cent vingt défilés programmés à travers le pays. Tout bien considéré, voilà qui nous donne à peu près une moyenne de deux cent cinquante ardents croisés par cortège. Vraiment pas le tsunami anti-police espéré et imprudemment annoncé. (Juste à titre de comparaison, cela représente à peine la moitié des fidèles rassemblés au stade vélodrome de Marseille pour la messe papale.)

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Pas de quoi pavoiser, certes.

Mais est-ce si important aux yeux des instigateurs, des meneurs, des cadres idéologues qui ont mis l’événement en marche ? Certainement pas autant qu’on pourrait le penser. Ils s’inscrivent – et inscrivent leurs actions – dans une logique révolutionnaire pour laquelle, contrairement à ce qu’implique la logique démocratique, la représentativité effective, l’adhésion du peuple, en fait, ne compte pas, ou très peu. De Robespierre (qu’ils ne font pas mystère d’admirer) à Staline, Mao, Pol Pot et consorts en passant par Hitler, la doctrine est très claire. À chaque prise de parole dans les années de la montée du nazisme, Goebbels se plaisait à répéter qu’ils étaient là pour « libérer le peuple allemand même si celui-ci n’était pas d’accord ». Prétendre faire le bonheur des peuples sans les peuples, voire contre eux, est la grande constante de toutes les épopées dictatoriales.

Les antifas veulent pousser les policiers à la faute

Ainsi, qu’ils ne soient que trente mille ne soucie guère les théoriciens et les activistes de ce type. Ce qui importe pour eux, en l’occurrence, ici, chez nous, maintenant, c’est de pousser toujours plus loin la provocation afin d’atteindre un point de non-retour, le drame sanglant qui ouvrira la voie au paroxysme de la violence insurrectionnelle. Le drame qui embrasera tout. L’ultra-gauche connaît ses classiques. « Quelle était la représentativité de Lénine en octobre 1917 ?… Nulle ou quasi nulle », lui a-t-on seriné en boucle à longueur de séminaires militants. Et pourtant on connaît la suite. Lénine et son orchestre au pouvoir, le goulag en open bar et l’industrie de la fosse commune à son plus haut.

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Aussi, vue sous cet angle, la faible mobilisation de samedi n’est qu’un échec d’apparence. Par ailleurs, ne vouloir considérer les agressions barbares menées par certains groupes de participants qu’on appelle blackblocs ou antifas, ou que sais-je encore, contre les policiers comme de regrettables dérapages qui ne seraient que les effets d’une « sauvageonnerie » particulièrement débridée, relèverait d’une grave erreur d’appréciation. Il s’agit en fait d’une stratégie éprouvée visant à provoquer, en effet, la riposte, la catastrophe, le tir mortel qui permettra d’atteindre dans la foulée ce paroxysme de violence et ce point de non-retour évoqués plus haut. On aurait là le sang versé sur lequel pourrait germer et prospérer l’aventure révolutionnaire.

Fantasmes

Tout le monde aura bien compris que ces activistes, en vérité, manifestent moins contre les prétendues violences que commettraient les fonctionnaires de police que pour se donner l’opportunité de se livrer à leurs violences policières bien à eux, celles exclusivement dirigées contre l’ordre et les forces de l’ordre. Distinguo d’apparence subtile mais au fond des plus grossiers.

De même quand ils prétendent s’élever contre un racisme systémique. Pur fantasme idéologique d’ailleurs, car si les forces de l’ordre paraissent se focaliser sur certaines franges de la population, c’est juste parce que c’est effectivement au sein de celles-ci que prospère une délinquance qui, elle, relève bel et bien du « systémique ». Constat que le ministère de l’Intérieur lui-même a mis clairement en évidence récemment encore.

Quant aux libertés publiques que disent défendre ces gens, sans doute est-ce tout bonnement la liberté de casser le mobilier urbain, les boutiques, les vitrines, de piller les banques, etc, etc. Passons.

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La vérité est que nous sommes confrontés à la stratégie révolutionnaire telle qu’en elle-même. Fabriquer à coups de formules trompeuses, d’analyses biaisées, d’éléments de langage prêts à mâcher et répétés sans fin, une réalité, un état de fait qui n’existe pas, ou qui n’existe qu’à la marge, relevant de l’exception. (Exception qui, le cas échéant, doit être traitée et jugée conformément ce que prévoient les lois de la République.)

Mais, redisons-le, dans cette logique, dans cette stratégie du chaos, le réel n’est rien. La vérité des faits objectivement observables s’efface inexorablement devant une autre vérité, celle idéologiquement acceptable parce qu’utile pour la fin des fins, le nirvâna de la Révolution.

Samedi, un policier pris au piège a sorti son arme. Ils ne voudront retenir que cette image. Et avec eux les médias de complaisance, les institutions complices, ONU et autres…

Ne nous faisons aucune illusion. Ce qu’ils espèrent pour la prochaine fois, c’est que le policier, agressé, harcelé, acculé, menacé de mort, tire pour de bon. Voilà ce sur quoi ils comptent. Voilà ce que leur dicte la fameuse politique du chaos.

Un tel drame ne s’est pas encore produit. Mais pour combien de temps encore ?

En tout état de cause, félicitons sans retenue les policiers et rendons leur grâce pour cette sorte de miracle. Surtout, sachons reconnaître que leur maîtrise, leur sang-froid, leur capacité de résilience sont, face à cette stratégie délibérée du bain de sang, notre ultime rempart.

Une épopée francaise: Quand la France était la France

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Trésors et chants médiévaux

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L’hôtel de la Marine, sur la place de la Concorde, accueille en ce moment une exposition intitulée « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum: quand les Anglais parlaient français ». On peut y voir plusieurs belles pièces médiévales… mais aussi en entendre lors des « intermèdes chantés » proposés lors des nocturnes. Une grande réussite !


Quelle ambiance spéciale, en début de soirée vendredi 15 septembre, à l’hôtel de la Marine ! En entrant dans les salles dédiées à la collection Al Thani, on pouvait non seulement admirer la belle petite exposition en cours, consacrée au Moyen Âge anglais, mais on pouvait aussi entendre un duo de jeunes chanteurs venus entrer en résonance avec les objets exposés en interprétant de la musique de cette époque. Et le mélange est totalement convaincant : combien la musique déploie et anime les œuvres d’art !

Les objets d’exception de la Collection Al Thani

L’exposition, intitulée « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français »[1], est comme son nom l’indique le résultat d’un partenariat avec le V&A, un des plus grands musées du monde, spécialisé en arts décoratifs. Le musée londonien a procédé à un prêt exceptionnel de 70 objets, souvent remarquables. L’objectif annoncé de l’exposition est de montrer la circulation des objets d’exception entre l’Angleterre et l’Europe continentale à l’époque médiévale, notamment du XIIe au XVe siècle.

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Entre manuscrits, sculptures et pièces d’orfèvrerie, la diversité est au rendez-vous, ce qui permet de brosser un rapide tableau des spécialisations géographiques de l’artisanat de luxe. Par exemple, l’Angleterre est renommée pour l’excellence de sa broderie au Moyen Âge : le terme d’« opus anglicanum » désigne carrément un type de broderie raffinée réalisée avec des fils d’or ou d’argent voire des pierres précieuses, le must des tenues ecclésiastiques ou des parures des princes les plus éminents de l’époque… Dans l’exposition, on a notamment l’opportunité de voir la « Chape de Syon », un vêtement liturgique splendide du XIVe siècle, où anges et saints brodés d’or entourent le Christ en croix, figuré au milieu du dos du porteur. Autre spécialité anglaise, exportée sur le continent : la sculpture sur panneaux d’albâtre. L’exposition montre plusieurs pièces dans un magnifique état de conservation, qui rendent justice à la vivacité des traits sculptés par les artisans médiévaux.

Meurtre à Cantorbéry

Pour d’autres types d’œuvres, on fait appel à des artisans venus d’ailleurs en Europe. Ainsi, la pièce peut-être la plus émouvante de l’exposition de l’hôtel de la Marine a été réalisée chez nous ! Il s’agit d’une des châsses de saint Thomas Becket[2], appartenant à une série de reliquaires produits à Limoges dans les années 1180-1200.

Châsse de saint Thomas Becket © The Al Thani Collection 2023. All rights reserved. Photographie par Marc Domage.

La petite châsse dorée, émaillée de bleu, représente avec finesse un des plus grands scandales de l’Angleterre médiévale : le meurtre sanglant, en décembre 1170, de l’archevêque de Cantorbéry, alors même qu’il était en train de célébrer un office dans la cathédrale ! Le crime a été commis par quatre chevaliers de l’entourage royal à la suite d’une longue querelle politico-religieuse entre l’archevêque et Henri II. Thomas Becket est canonisé seulement trois ans plus tard, ce qui oblige le roi d’Angleterre à venir honteusement faire pénitence sur sa tombe…

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Ce meurtre, c’est le sujet d’un des morceaux interprétés avec beaucoup de talent par le duo Les Trouveurs lors des « intermèdes chantés »[3] qu’ils ont proposés au cours de la nocturne du vendredi à l’hôtel de la Marine. « The grain of wheat lies smothered by the chaff, the just man slain by the sword of sinners » – « Le grain de blé est étouffé par la paille, l’homme juste tué par l’épée des pécheurs » : traduction d’une des pièces chantées pour la fête de saint Thomas Becket dès la fin du XIIe siècle.

Chants précieux

C’est ainsi que commence un voyage dans la musique médiévale anglaise, avec des incursions dans la Renaissance. À deux voix – car c’est le Moyen Âge européen qui a inventé la polyphonie ! Parmi les plus jolies pièces interprétées, une chanson du XIIIe siècle en forme de vanité, « Worldes blis ne last no throwe » (« La joie du monde ne dure pas même un moment »).


Le duo explore différents genres, religieux et profanes, passant d’une chanson d’amour à une autre dédiée à la Vierge Marie. Un détour par la France donne lieu à l’interprétation d’une superbe chanson de Guillaume de Machaut, grand compositeur du XIVe siècle. Mais le point d’orgue est atteint quand Les Trouveurs annoncent une « caccia » de Jacopo da Bologna, également du XIVe siècle, type de chanson de « chasse » appelée ainsi, expliquent-ils, parce qu’« une voix chasse et suit l’autre sous forme de fugue ». Composition splendide qui leur permet de manifester toute leur virtuosité.

Campés au milieu des vitrines, les deux jeunes chanteurs remplissent sans mal de leur voix tout l’espace de l’exposition, créant une atmosphère bien différente de celle d’une visite classique – comme si un degré de conscience supplémentaire était atteint. Il est fascinant de voir à quel point la musique insuffle de la vie dans les choses. Quand on visite Versailles, on a presque en tête des morceaux de Lully ou Rameau, pour les avoir cent fois entendus dans des films voire des spots publicitaires… Il est bien plus rare d’entendre de la musique médiévale, ce qui rend de telles occasions encore plus précieuses.

Trésors médiévaux du Victoria & Albert Museum - Quand les Anglais parlaient français

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Exposition « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français », Hôtel de la Marine (collection Al Thani), jusqu’au 7 janvier.

Intermèdes musicaux du vendredi en nocturne, avec le duo Les Trouveurs (Camile Macinenti et Mathias Lunghi), nouvelles dates à venir.


[1] https://www.thealthanicollection.com/fr/hdlm/medieval-treasures-from-the-victoria-and-albert-museum-when-the-english-spoke-french

[2] https://collections.vam.ac.uk/item/O80222/the-becket-casket-casket-unknown/

[3] https://www.hotel-de-la-marine.paris/agenda/tresors-medievaux-du-victoria-and-albert-museum-quand-les-anglais-parlaient-francais/intermedes-chantes-en-nocturne

François à Marseille: entre déférence religieuse et incompréhension politique

Le pape François ne rend rien à César… Pourtant, la coupe de l’accueil est pleine.


Quoi que puisse dire un pape, qu’il soit européen ou vienne d’Amérique du Sud, que sa personnalité me plaise ou non, on ne me prendra jamais en délit d’irrespect à son égard. D’abord parce que ma culture chrétienne m’en dissuaderait si j’en éprouvais la tentation, mais aussi parce qu’il n’y a pas tant, dans notre monde, d’exemples et de messages si forts qu’on puisse se dispenser notamment de ceux d’un pape. Qu’on soit croyant ou non. Ce préambule n’est pas inutile qui concerne le pape François à l’égard duquel mon premier sentiment est de déférence religieuse mais d’incompréhension politique. J’ai même parfois poussé plus loin mon analyse en allant jusqu’à présumer un humanisme et une miséricorde imprégnés seulement de cette philosophie de la libération propre à l’Argentine, avec son parfum révolutionnaire et sa conscience ancrée à gauche. En même temps, sans que je sois un spécialiste du bilan du Pape, force est de constater qu’il a su aussi, sur certains sujets, s’en tenir à des positions conservatrices ou au moins résister à un progressisme inspiré aussi bien par des cardinaux en pointe que par des médias délibérément critiques à l’égard du statu quo de l’Église. S’il a avancé, il l’a fait parfois à pas feutrés mais on ne peut pas dire que ce Saint Père ait transigé sur son pouvoir et ses prérogatives. Il suffit, pour s’en persuader, de relever avec quel soin et quelle vigilance il a nommé des évêques et des cardinaux en étant assuré de leur adhésion à sa ligne.

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Euthanasie, migrants : un éternel ressassement

C’est ce mélange de tradition, de classicisme un zeste autoritaire et de volonté constante et compassionnelle de « rendre hommage aux migrants » comme il l’a fait à plusieurs reprises, en particulier à Marseille ; avec cette étrange provocation de particulariser ses venues, les villes françaises, selon lui, n’étant pas la France, Strasbourg hier et Marseille aujourd’hui. Il me semble que j’ai manqué de finesse et d’intuition tout au long de ces discours et propos du pape sur les migrants, sur l’obligation de les accueillir, sur l’indignité de ne pas les secourir, sur l’horreur de les laisser mourir, sur la responsabilité des pays si peu hospitaliers. J’aurais déjà dû être alerté par cette constance, voire cette obstination dans le ressassement quasiment de ce seul sujet – même si la fin de vie, dans les dispositions françaises à venir, lui cause également du souci – qui se rapporte aux migrants envisagés sous l’unique prisme de la sollicitude et du secours dont les occidentaux devraient se préoccuper. On pourrait cependant banalement opposer au Pape que ses belles leçons relèvent de ce qu’on doit rendre à Dieu mais que César, lui, a sa logique, ses droits et ses devoirs. Pour ce dernier, tout n’est pas possible. Les peuples ont de l’importance et sauvegarder l’identité d’une nation n’est pas honteux. Craindre que l’arrivée massive de migrants avec leur religion, leur mode de vie, leur inévitable instabilité, leurs différences « qui ne sont pas forcément autant de chances », dégradent profondément les humus nationaux n’est pas scandaleux. Certes il y a les réfugiés politiques mais combien de réfugiés économiques laissant s’immiscer dans leur flot quelquefois de troubles malfaisances et desseins terroristes, suscitent à juste titre l’impression, l’angoisse que la coupe de l’accueil est plus que pleine, qu’elle déborde, qu’elle crée des morts en mer, des misères, des tragédies et des détresses, des illégalités en France comme dans quelques autres pays ! C’est le verbe brutalement réaliste de César. Ce Pape néglige César, César lui indiffère, il n’a rien à lui rendre. Il exprime sur un mode absolu l’enseignement d’un catholicisme consacré aux petits, aux faibles, aux sinistrés et aux égarés. Il ne se penche pas une seconde sur les ressorts prosaïques de ces fuites des pays d’origine. Il dénonce « les trafics odieux de migrants ». Il rappelle aux pouvoirs qu’ils n’ont pas le choix. Ils n’ont pas à composer avec le réel quand il est atroce : ils ont avec angélisme à le rendre suave. Sa parole nue est de pure générosité sans le moindre désir d’en référer au contexte. Il n’a cure de la moindre concession et a encore proféré, à Marseille, que l’accueil inconditionnel des migrants est « un devoir d’humanité, un devoir de civilisation ». Ce n’est pas de ce Pape qu’il faudra espérer la moindre prise en considération du temporel et des contraintes et entraves profanes. Même aux antipodes de cette indifférence à l’égard de la politique et de ses inévitables limites, je ne peux m’empêcher de saluer cet extraordinaire entêtement papal dans l’exaltation d’une générosité totale. Une fois qu’on a compris cette splendide et absolue invocation du Pape, contre toutes les sortes de relativisme qui peuvent justifier les politiques de restriction ou d’exclusion, on a enfin appréhendé qui il est. Un intégriste du cœur. Ce que j’exige est impossible, dites-vous ? Alors faites-le. Puisque Dieu est indépassable. Et que le Pape que je suis ne rend rien à César.

À l’Opéra-Bastille, un Lohengrin hanté par la guerre en Ukraine

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C’est le spectacle lyrique le plus attendu de cette rentrée. Avec la mise en scène très clivante de Kirill Serebrennikov


Tous les cinéphiles gardent en mémoire la fameuse séquence de l’apparition d’un Louis II de Bavière emmitouflé dans ses fourrures, sous les traits grimés de Helmut Berger, à bord d’une nacelle évoquant les cygnes de Lohengrin, et qui se meut silencieusement sur l’onde, dans une grotte artificielle, sous la lueur dorée des torchères. Pour le roi solitaire, l’orchestre joue le prélude de l’opéra.

Féérie wagnérienne revisitée

Avec Kirill Serebrennikov, nous voilà bien loin de Ludwig ou le crépuscule des dieux, ce chef d’œuvre  de Visconti (1973). Serebrennikov ? Les films Leto (2018), La Fièvre de Petrov (2021), La femme de Tchaïkovski (2022), sans compter Le Moine noir, adaptation d’une nouvelle de Tchekhov portée sur les planches au Palais des Papes, en Avignon, la même année…  Sous les auspices du fécond cinéaste et metteur en scène russe aujourd’hui exilé à Berlin, la féérie wagnérienne se trouve revisitée de part en part, au prisme de la guerre qui ravage l’Ukraine.

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Après Le Vaisseau fantôme et Tannhaüser, Lohengrin, composé entre 1848 et 1850, est le dernier opéra « romantique » du futur maître de Bayreuth. Inspiré du Parzifal de Wolfram von Eschenbach, de la chanson de geste et des Légendes allemandes écrites à l’orée du XIXème siècle par les frères Grimm, il donnera naissance au « Chevalier au cygne ». Accusée du meurtre de son frère, la princesse Elsa von Brabant sera sauvée par Lohengrin, l’envoyé du Graal qui lui est apparu en rêve, mais à condition de ne jamais lui demander ni son nom, ni son origine… Elsa va trahir son serment.

Débarrassé des oripeaux d’une tradition surannée, Serebrennikov s’affranchit à peu près totalement des indications du livret, pour livrer une interprétation résolument contemporaine de l’œuvre, à distance radicale de la lecture qui fait des personnages de Friedrich von Telramund et de sa femme Ortrud les « monstres » du drame, et de Lohengrin un guerrier sans tache : à l’enseigne du scénographe russo-ukrainien, le Chevalier au cygne n’est jamais ici que la projection fantasmatique d’une Elsa psychiquement perturbée ; Ortrud dirige la clinique psychiatrique où elle est incarcérée, tandis que son époux, psychiatre militaire, résiste à la tentation belliciste dont un Lohengrin en treillis de camouflage sera le héraut et l’instrument.

© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Plateau funèbre de toute beauté

Accompagnant le célèbre prélude, un film en noir et blanc, projeté sur un vaste écran aux contours floutés, suit au ralenti les pas d’un archange – soldat que tente de retenir à soi un bras féminin, depuis le dense entrelac d’une futaie germanique, jusqu’au ponton d’un lac dans les eaux lustrales duquel, se dénudant, il se jette, nous dévoilant deux ailes d’ange tatouées sur ses omoplates. Tout au long du spectacle, le décor d’Olga Pavluk (laquelle avait déjà signé ceux de Parsifal et du Moine noir) se compartimentera en quadrilatères autours lesquels se greffent les vidéos du fidèle Alan Mandelshtan – visages d’éphèbes-soldats, jeunes athlètes au torse maculé de tatouages, cadrages serrés sur des mains de jeunes conscrits éplorés, aux ongles noirs…  Présences spectrales, éthérées, associées à des griffures abstraites qui envahissent les écrans…  Au deuxième acte, divisé en trois espaces – soldats en treillis au réfectoire, à gauche ; mutilés dans leur lit de douleur au centre ; morts, à droite, avec la perspective des casiers funéraires de la morgue, puis les âmes des trépassés qui se lèvent, corps de garçons nus, debout, s’échappant avec lenteur vers le fond de la scène : plateau funèbre de toute beauté. Au troisième acte, les dépouilles s’accumulent, déposées au sol du proscenium dans leur sac de toile noire, sur le long duo sublime Elsa/Lohengrin, chant d’adieu du héros, en vers décasyllabiques, apothéose de l’opéra : « Getrennt, geschieden sollen wir uns sehn:/ Dies muss die Strafe, dies Sühne sein ! » (« Il nous faudra être séparés, éloignés : telle doit être la punition, telle l’expiation »).

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Ovation délirante

Piotr Beczala, 56 ans, a déjà par trois fois occupé le rôle-titre de Lohengrin: à Bayreuth en 2018, suite à la défection de Roberto Alagna ; à Vienne en 2020 ; et à New- York encore. Autant dire qu’il y est à son affaire. Quoiqu’originellement plus belcantiste que wagnérien, le ténor polonais domine cette partition incroyablement exigeante avec une suavité, un phrasé, une richesse de timbre souverains. La soprano sud-africaine Johanni Van Oostrum incarne quant à elle une Elsa merveilleusement languide (en alternance avec Sinéad Campbell-Wallace), tandis que l’immense baryton Wolfgang Koch campe un Tetramund en acier trempé. Au soir de la première, pour le rôle du roi Henri, la basse coréenne Kwangchul Youn, souffrant, était remplacé, « au pied levé » comme on dit, à la perfection par un Tareq Nazmi hiératique. Enfin, la soprano suédoise Nina Stemme figure une Ordrud d’une remarquable intensité, probablement à l’égal de la mezzo-soprano russe Ekaterina Gubanova qui la relaiera à partir du 18 octobre. Si essentiels dans Lohengrin, les chœurs « maison » de l’Opéra de Paris, comme toujours sous la houlette de Ching-Lien Wu, résonnent magnifiquement, dans un accord quasi-parfait avec l’orchestre. Le public ne s’y est pas trompé, qui, se mettant debout comme un seul homme, a réservé, en ce samedi 23 septembre, une ovation délirante à cette distribution. Le parti pris très affirmé du téméraire Kirill Serebrennikov ne rencontre certes pas tous les suffrages – quoi de plus normal : au cinquième rappel, lorsque l’homme vêtu de noir et coiffé d’une casquette vient à son tour saluer la salle comble de l’Opéra-Bastille, quelques puissantes huées résonnent au milieu de la liesse et des applaudissements… Clivant, Serebrennikov ? La rançon du génie, sans doute.


Lohengrin. Opéra romantique en trois actes de Richard Wagner. Direction Alexander Soddy. Mise en scène Kirill Serebrennikov. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Kwangchul Youn (Heinrich der Vogler), Piotr Beczala (Lohengrin), Johanni van Ostrum/Sinead Campbell-Wallace (Elsa von Brabant), Wolfgang Koch (Friedrich von Teiramund), Nica Stemme/Ekaterina Gubanova (Ostrud), Shenyang (Der Heerufer des Königs)…

Opéra Bastille, les 27, 30 septembre, 11, 14, 18, 21, 24, 27 octobre à 19h.

Durée : environ 4h20.  

Il faut croire Catherine Breillat

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La réalisatrice française Catherine Breillat entourée des deux acteurs de son dernier film, Cannes, 26 mai 2023 © SYSPEO/SIPA

Art, acteurs, scandales, Metoo, Christophe Rocancourt. La réalisatrice Catherine Breillat, devenue hémiplégique, se confie dans un livre d’entretiens tout à fait réjouissant.


Dans la foulée de la sortie en salles de L’été dernier, ce pur joyau de Catherine Breillat (dont Jean Chauvet célébrait si justement, dans le dernier numéro de Causeur, « l’intranquillité » rageuse et iconoclaste), la Cinémathèque française vient, à raison, de rendre hommage à l’arpenteuse des « tréfonds de l’âme humaine » – pour reprendre l’expression de mon confrère. Avec, en présence de la cinéaste, une rétrospective intégrale de sa filmographie, téléfilms inclus : depuis Une vraie jeune fille (1975), Tapage nocturne (1979) ou 36 fillettes (1987), jusqu’à La belle endormie (2010), en passant par Sale comme un ange (1991), Parfait amour (1996), Romance (1999), A ma sœur (2000), Brève traversée (2001), Sex is Comedy (2002), Anatomie de l’enfer (2004), Une vieille maîtresse (2007), Barbe bleue (2009)… Et bien sûr, L’Eté dernier, réalisé dix ans après Abus de faiblesse (2012), cet autoportrait grinçant inspiré de sa liaison avec le séducteur escroc Christophe Rocancourt, alors que, victime d’un AVC, elle était frappée d’hémiplégie.

Dialogue captivant

Il n’y a pas de scories dans le cinéma de Catherine Breillat. Le mot de Gustave Flaubert, « Madame Bovary, c’est moi ! », pourrait, à la lettre, s’appliquer à chacun de ses titres : Catherine Breillat n’est-elle pas tout à la fois une fillette, une romantique, une sœur, une anatomie, un enfer, un ange, une vieille maîtresse, un parfait amour, une belle endormie – et un été radieux ?

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Coïncidant avec la sortie en salles de L’été dernier à la mi-septembre, le livre d’entretiens qui paraît aux éditions Capricci l’atteste encore, merveilleusement intitulé : Je ne crois qu’en moi. Entre septembre 2022 et mars 2023, Catherine Breillat, alors en plein montage de son dernier long métrage, s’est confiée à Murielle Jourdet, critique et auteur de plusieurs essais (sur Isabelle Huppert, sur Gena Rowlands, etc.). Dialogue captivant. De ces échanges, il se dégage une rage de vivre presque adolescente chez cette femme âgée de 75 ans et physiquement infirme. Quelque chose d’implacable dans la formulation, une gourmandise, aussi, pour l’art sous toutes ses formes, une passion dévorante pour son métier. Comme dans ses films, l’expression de cet intempérant besoin d’assumer, à travers l’image mais aussi l’écriture, tout ce qui saigne et transpire chez l’être humain, passe sans filtre aucun dans la parole de Catherine Breillat : Catherine Breillat ne pose jamais.


Morceaux choisis :

Sur L’été dernier : « Je ne voulais pas d’une prédatrice. Mais d’une femme piégée par l’amour d’un adolescent ».

Sur son enfance : « On m’a éduquée dans un bain de boue, ou de merde ».

Sur l’art : « L’Art est sacré, ça échappe à la morale ». « Bergman est mon maître. Avec Lautréamont ». « Point commun : l’absolue violence, le désespoir de détruire, l’absolu du romantisme » (…) « plus il y a de torture, plus j’aime. Je suis archi violente dans l’imaginaire (…) Les mots ni les images ne font de mal à personne » (…) « Je ne veux pas être Marie Laurencin. Je veux être Francis Bacon ». « Les grands peintres me sauvent toujours. »

Sur le 7ème art : « Je réagence, je n’invente rien ». « Faire un film c’est entrer au Carmel. C’est une cérémonie sacrée et sacrificielle ». « Claude Sautet, c’est ça le ‘’ cinéma moquette’’ ». « À l’époque on croyait au cinéma, aujourd’hui on croit au box office ». « Oui, le cinéma est carnivore et anthropophage ». «  Mes films se situent entre la borne et la limite ».

Sur les acteurs : « C’est du matériel, les acteurs, il faut voir les choses comme elles sont. » « Les acteurs (…) sont enveloppés par la nasse de mon regard, comme si je tenais un filet. Ils doivent être moi, commencer à me ressembler ». « Les actrices françaises jouent, or je veux qu’elles soient ». « Je ne dirige pas les acteurs, je les envoûte, et vice versa ». « [Les acteurs] oublient la substance de leur métier, ils veulent d’abord être des vedettes ».

Sur les figurants de cinéma : « Ils coûtent très cher et puis au fond je les déteste. Puisque je ne sais pas les diriger, je les déteste. C’est bien plus beau sans eux ».

Sur Christophe Rocancourt : « C’est une ordure et même si je suis la victime je n’ai pas envie d’être victimisée ».

Sur son hémiplégie : « Tous les malheurs m’arrivent mais je peux les supporter. Je marche comme Robocop mais mes films ne sont pas infirmes. Je préfère être infirme plutôt que mes films le soient ».

Sur Isabelle Huppert : «  Elle m’a dit ‘’non, t’es pire‘’ » [que le cinéaste Maurice Pialat sur un tournage].  

Sur les costumes : « Je m’y connais. J’achète tout. J’aime passionnément les tissus, depuis toujours ».

Sur # Mee Too : « Moi je ne dis pas la même chose du mouvement. Je vois le retour de bâton. La mise en place d’un ordre moral sans merci. C’est un cauchemar. Les filles vont redevenir ce que j’ai été plus jeune : marquée au fer rouge dès qu’on leur fait une remarque déplacée (…) Ce puritanisme mortifère est je crains qu’il ne devienne la norme. »

Sur le vote : « Voter pour quelqu’un parce que c’est une femme, jamais. Je veux pouvoir être contre une femme ».

Sur la maternité : « Je veux que les enfants détruisent le couple (…) Être mère c’est un fait matériel, pas moral ».

Sur le viol : « Il ne faut pas confondre le viol (qui est un crime) et un trop vague consentement dont on a honte. »  « J’adore la beauté assassinée ou violée. »

Sur le laid : « Moi j’aime le laid, je ne veux pas crever de pudeur. Le déballage du laid je trouve ça très beau. Ou peut-être très grand ».

Sur le scandale : « Au fond je ne me rends jamais compte que je transgresse, j’ai une innocence du scandale ».

Sur sa lucidité : « Je suis folle. Je le sais ». 

Il y en a 232 pages comme ça. Enfin une saine lecture. Pour adultes consentants.

Je ne crois qu’en moi. Entretiens de Catherine Breillat avec Murielle Jourdet. Editions Capricci. En librairies.

Je ne crois qu'en moi

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Romance avec paroles

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Le pianiste Florent Garcimore © Alexis Barrat

Baudelaire, Molière, Hugo, Cyrano… Dans son disque, Florent Garcimore nous propose une interprétation musicale de la littérature française.


Prenez les plus beaux écrits de la littérature française, mélangez-les à des mélodies douces et agréables jouées par un pianiste d’exception. Ajoutez pour les dire une voix singulière et hypnotique, et cela donne Les Petites Illusions, disque de Florent Garcimore. Auteur, comédien, réalisateur, photographe et chanteur, cet artiste multi-talents est aussi un pianiste émérite qui connaît ses classiques sur le bout des doigts. En particulier, Schubert et Beethoven, auxquels il ajoute sa touche personnelle par l’improvisation. Ses amis peuvent en témoigner, donnez-lui un piano et il peut enflammer les soirées les plus plan-plan.

Toutefois depuis son adolescence, il ne se contente pas de dompter les partitions léguées par d’illustres auteurs. Disponible depuis juin, son premier album, enregistré sur un Steinway & Sons, ne comporte que ses propres compositions, créées pour mettre en musique 17 pépites de la littérature française.

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Sous ses doigts et dans sa voix, Baudelaire, Victor Hugo, Molière et d’autres reviennent à la vie, plus éclatants que jamais. « L’invitation au voyage » nous transporte littéralement, avec une mélodie qui épouse à la perfection le célèbre vers, devenu ici un entêtant refrain –« Là, tout n’est qu’ordre et beauté… luxe, calme et volupté ». On accordera une mention spéciale à la tirade des « non merci », où l’artiste campe un Cyrano intime et moderne sur fond de mélodie en boucle, qui pourrait faire penser à un sample de rap.

En somme, voilà un album à écouter aussi bien sur une route pluvieuse que sur une terrasse ensoleillée ouverte sur les toits de Paris. Et qui pourrait donner aux plus jeunes une envie de poésie – on peut rêver.

Florent Garcimore. © Capture d’écran Twitter @F3Centre

Les petites illusions

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Une solution simple et consensuelle: les migrants au Vatican

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Le pape François au mémorial dédié aux marins et migrants perdus en mer, Marseille, le 22 septembre 2023 © Pavel Golovkin/AP/SIPA

« Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par le fanatisme de l’indifférence. » En déplacement à Marseille, notre Pape a chargé les Occidentaux plutôt que les passeurs ou pays africains, et plaidé pour un accueil inconditionnel des migrants clandestins qui arrivent sur les rives européennes. Le cimetière marin qu’il dénonce recevra encore beaucoup de victimes…


L’exemplarité est au cœur des valeurs chrétiennes. Le Christ montre l’exemple du pardon en demandant à son Père au pied de la croix de pardonner à ses bourreaux car « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Marseille offre un magnifique exemple de dévouement chrétien avec son archevêque Mgr de Belsunce qui vint au secours des malades de la terrible peste de 1720, la dernière qui ravagea la France. Le pape François pourrait s’inspirer de cet héroïque prélat et faire lors de son passage dans la cité phocéenne une annonce bouleversante : il hébergera au Vatican les migrants débarqués la semaine dernière à Lampedusa, et pourquoi pas, ceux qui ne manqueront pas d’arriver ensuite. « Ah, vous refusez d’accueillir à bras ouverts ces pauvres gens ? Eh bien moi, je vais le faire ! Je ne vais pas me contenter des deux ou trois familles de musulmans syriens que j’héberge déjà, je vais accueillir tous les rescapés de la traversée ! » Quelle allure ! Cette noblesse d’âme se révélerait contagieuse et chaque foyer européen se sentirait obligé d’accueillir à son tour deux ou trois familles africaines ou moyen-orientales. Chambre d’amis, dressing, garage, baignoire, tant d’espaces sous-employés dans la vie quotidienne pourraient être utilisés !

Le Vatican, New York: même combat !

Le Vatican n’est pas si petit que ça, il mesure près d’un demi-kilomètre carré, ce qui avec les 800 résidents actuels donnerait une densité de 17 600 habitants au kilomètre carré, largement inférieure à celle de Monaco. Mais me direz-vous, il leur faut un toit. Justement, la basilique Saint-Pierre mesure 188 mètres de long sur 154 de large, soit 28 952 m2. Ce qui divisé par 8 000 donne 3 619 m2 pour chaque migrant, qui serait ainsi logé au large. De quoi accueillir sans problème les prochaines vagues d’arrivées, et quand tout le sol sera occupé, on pourra construire des caillebotis pour faire dormir les nouveaux venus, comme dans les navires négriers du XVIIIe siècle. Bien sûr, il faudra retirer des murs et de la coupole de la basilique tous les symboles chrétiens pour ne pas offenser les arrivants, en grande majorité musulmans. L’accueil doit être inconditionnel, en a décidé François, et la générosité ne se discute pas. Pour ne pas trop encombrer les routes et chemins de fer italiens, une rotation de bus ira chercher les migrants en Sicile. Ainsi ont fait aux États-Unis les gouverneurs de certains États républicains qui ont envoyé leurs immigrés à New York, chez le maire démocrate de New York, Eric Adams, qui juge désormais la situation ingérable.

Peut-être que le pape François se rendra compte alors qu’il y a un insurmontable problème d’échelle entre la population européenne, stagnante et vieillissante, et la population africaine, jeune et à l’accroissement exponentiel. Peut-être relira-t-il avec d’autres yeux la parabole du bon Samaritain, qui sert à justifier sa volonté d’immigration illimitée. Il s’agit d’un étranger au pays judéen qui porte secours à un autochtone roué de coups par des brigands. La leçon de la parabole est claire, les étrangers sont capables d’autant de charité que les Juifs, sinon davantage. Rien à voir avec les Européens sommés d’accueillir par milliers des jeunes gens robustes et souriants à larges dents, tout à leur joie enfantine d’être pris en charge par ces pauvres niaiseux de toubabs. Peut-être le pape François se rappellera-t-il que le commandement christique d’aimer son prochain plus que soi-même vise son « proche » et non son « lointain ». Il est en effet plus difficile d’aimer un proche trop connu qu’un étranger lointain, fantasmé et idéalisé. Le Christ, en Matthieu 5:24 nous ordonne : « Ne va pas à la synagogue avant de te réconcilier avec ton frère. » Rousseau, pour une fois d’accord avec les Écritures, se moque dans Émile de « tel philosophe (qui) aime les Tartares pour être dispensé d’aimer son voisin ».

Chiffres considérables

Ajoutons la parabole du fameux « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », présente dans les trois évangiles synoptiques. On tend un piège au Christ en lui demandant s’il faut payer l’impôt aux Romains, il veut savoir de qui est l’effigie gravée sur la pièce de monnaie à verser à l’occupant, et il s’en sort par la célèbre réplique, fondement de la séparation du spirituel et du temporel en Occident. Le Christ se montre légaliste et il n’approuverait sûrement pas le franchissement nocturne en tapinois des cols du Briançonnais.

Tous les arguments immigrationnistes sont devenus inaudibles. J’ai encore entendu ces jours-ci à la télévision une brave dame dire sur un ton d’évidence : « Mais enfin, 8 000 migrants sur 450 millions d’Européens, ce n’est rien du tout ! » L’ennui c’est qu’on nous répète ce refrain depuis une vingtaine d’années, ce qui, multiplié par le nombre de semaines que compte ce laps de temps, donne tout de même un chiffre considérable. Tout aussi naïve, l’injonction donnée à l’Europe de développer économiquement l’Afrique, encore entendue récemment de la bouche d’Alberto Toscano. En 2015, Jean-Louis Borloo a hautement claironné qu’il allait électrifier ce continent. Passons sur le néocolonialisme latent qu’il y a à vouloir faire le travail des Africains à leur place, mais ne passons pas sur le résultat : absolument rien ! Pas de tambours, pas de trompettes, silence absolu sur l’échec du brave homme qui voulait vider à la cuillère l’océan de la corruption de ce malheureux continent. Selon Jeune Afrique, il a simplement déclaré en février 2017 qu’« il se tournait vers d’autres horizons ».

Il n’est pas besoin d’avoir une bonne boule de cristal pour savoir ce qu’il adviendra de l’immigrationnisme brouillon du pape François : Laurent Dandrieu l’a déjà expliqué dans Le Grand Malaise, publié en 2017. L’Église catholique passera pour responsable du grand changement civisationnel, ou plutôt décivilisationnel, qui s’annonce. Les églises s’en trouveront de plus en plus vides et les ordinations de prêtres de plus en plus rares.

Sur les canons de ses armées Louis XIV faisait graver la formule latine « Ultima ratio regum », « le dernier argument des rois ». Non pas une moquerie pour ceux qu’anéantiraient les feux de son artillerie, plutôt une excuse résignée à la nécessité de la guerre dans les cas extrêmes. Toutes les élites européennes avaient été scandalisées au XVIIIe siècle par la première victime célèbre de l’artillerie, nouvellement importée de Chine, le jeune, beau et prometteur général du pape, Jean de Médicis. Un magnifique traité avait été signé par toute l’Europe pour bannir à jamais l’emploi de cette arme diabolique… Un traité de la même eau que les nobles déclarations du pape François à Marseille. Hélas trois fois hélas, la diplomatie de la canonnière sera la seule à résoudre l’interminable problème des migrations. Ceux qui n’osent pas déployer un blocus de navires de guerre européens à travers la Méditerranée seront comptables des milliers de noyades qui se produiront jusque-là. Autant dire que le cimetière marin que dénonce le pape recevra encore beaucoup de victimes.

L’arrogance des «élites» et la fin de la démocratie

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Antonio Guterres en Somalie après de fortes intempéries climatiques, 11 avril 2023 © Stringer/AP/SIPA

Comme le déplore notre consœur du Figaro Judith Waintraub, la liberté de la presse s’arrêtera-t-elle bientôt là où commence la lutte contre le dérèglement climatique ? Des députés préparent une proposition de loi visant à bannir le climatoscepticisme du débat public et des médias. L’analyse de Didier Desrimais.


« Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne (2014-2019).  

Dans La révolte des élites paru en 1996, Christopher Lasch décrivait la déconnexion entre le peuple américain et ses élites, ainsi que le mépris de ces dernières pour « les valeurs et les vertus qui fondaient autrefois l’idéal démocratique ». Insistant sur la détérioration du débat public, il écrivait : « La démocratie demande un échange vigoureux d’idées et d’opinions. Comme la propriété, les idées doivent être distribuées aussi largement que possible. Pourtant, bon nombre des “gens de bien”, selon l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, ont toujours été sceptiques quant à la capacité des gens ordinaires à saisir des problèmes complexes et à produire des jugements critiques. » De plus, regrettait-il, le journalisme moderne affilié à ces élites, après avoir « adhéré à un idéal fallacieux d’objectivité », s’est défini comme but absolu de « diffuser des informations fiables – autrement dit, le type d’information qui tend non pas à promouvoir le débat mais à y couper court ». Les Français subissent depuis des décennies ce type d’information. L’audiovisuel public et la presse mainstream se font le relais d’experts auto-proclamés en matière, par exemple, de climat ou d’immigration – leur expertise reposant en réalité essentiellement sur leur capacité à diffuser sans les discuter des « informations fiables » issues des évangiles du GIEC et du catéchisme immigrationniste de l’ONU et de l’UE.

Tout, sauf un référendum !

Il y a quelques jours, sur le plateau de 28 minutes d’Arte, Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA France et enseignante à Sciences Po, a expliqué pour quelles raisons il fallait promouvoir une « convention citoyenne » plutôt qu’un référendum sur le sujet de l’immigration. L’immigration, a-t-elle doctement affirmé, est un « sujet technique » qui « suppose qu’on apporte de la nuance. » – « les Français n’ont peut-être pas l’expertise suffisante pour y répondre ». Autrement dit : les Français sont des buses et moi, super-technocrate en chef, je vais leur expliquer en quoi l’immigration est une chance pour la France, affirmation qui n’appelle aucune contradiction et à laquelle aboutira d’ailleurs une convention citoyenne éventuellement cornaquée par moi-même ou un de mes semblables !

D’un côté, les Français subissent une immigration ratifiée par des « élites » mondialistes décidant du destin des peuples sans leur demander leur avis ; de l’autre, les journalistes, prosternés devant les experts, rechignent à lancer de véritables débats sur des décisions prises en haut-lieu et ayant des répercussions capitales sur l’avenir de l’Europe et de la France. Un exemple parmi cent, celui du Pacte de Marrakech.

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Le pacte de Marrakech a été entériné par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2018. Il n’est, pour pasticher les propos de Mme Zulfikarpasic, ni si technique ni si nuancé que ça. Ce pacte, explicitement immigrationniste, prévoit de « créer des conditions favorables qui permettent à tous les migrants d’enrichir nos sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales ». L’objectif 5 stipule que les « filières de migration régulière » doivent être « accessibles et plus souples », « l’objectif étant de développer et de diversifier les filières de migration sûre, ordonnée et régulière ». L’objectif 17 concerne essentiellement les médias. Les États doivent « sensibiliser et informer les professionnels des médias sur les questions migratoires et la terminologie adaptée ». L’opinion publique sera formatée grâce à « un débat public fondé sur l’analyse des faits et associant l’ensemble de la société, le but étant que la question des migrants et des migrations soit abordée de façon plus réaliste, humaine et constructive ». Le problème de ce pacte n’est pas sa supposée technicité mais le fait que la presse mainstream n’en a quasiment pas parlé et n’a pas cru bon de révéler les tenants et les aboutissants d’un programme proclamant clairement que l’immigration n’en est qu’à ses débuts, qu’elle est inévitable et nécessaire, et que les gouvernements des pays concernés doivent s’asseoir sur les opinions contrariantes de leurs concitoyens. Les rares fois où ce pacte a été évoqué sur la radio publique française, cela a été pour répéter qu’il n’était pas « contraignant » et que les pays ne s’y pliant pas ne seraient pas sanctionnés. Mme von der Leyen, outrepassant comme à son habitude ses prérogatives, n’a pourtant pas hésité, comme elle l’avait fait précédemment pour la Hongrie et la Pologne, à menacer de représailles le gouvernement italien si celui-ci appliquait le programme migratoire préconisé par Giorgia Meloni lors de sa campagne électorale. Là encore, la radio publique n’a pas jugé nécessaire d’ouvrir un débat sur les propos hallucinants de cette technocrate se mêlant de décisions prises par des gouvernements démocratiquement élus. L’audiovisuel public devrait être le lieu des débats les plus ouverts et les plus contradictoires, il est celui des « compléments d’enquête » très orientés et de la propagande européiste, immigrationniste et écologiste. 

Guterres parle la même langue que Sandrine Rousseau

Ce qui est vrai pour l’immigration l’est également pour l’écologie et l’inévitable « changement climatique ». Lorsque M. Guterres, secrétaire général des Nations Unies, ne donne pas de leçons de morale à la France, il concocte de soporifiques et incantatoires sentences sur le « changement climatique » et l’écologie reprises par toute la bonne presse : « Notre guerre contre la nature doit cesser. Et nous savons que c’est possible. » (1er Décembre 2019) – « Nous n’avons pas de temps à perdre si nous voulons éviter une catastrophe climatique. » (10 mars 2020) – « Sans égalité des genres (sic), il sera impossible de répondre à l’urgence climatique. »(27 février 2020). La planète n’est visiblement pas la seule à connaître une augmentation anormale de la température : M. Guterres, après avoir fiévreusement affirmé que « l’effondrement climatique a commencé » et que nous étions au début de « l’ère de l’ébullition mondiale », a déclaré, le 20 septembre, que notre addiction aux énergies fossiles avait « ouvert les portes de l’enfer ». Le GIEC a trouvé, en la personne de M. Guterres, un évangéliste exemplaire qui ne craint pas le ridicule. Pourquoi le craindrait-il d’ailleurs ? Ses prédications répétitives et assommantes font le bonheur des instances médiatico-politiques qui reprennent en boucle les conclusions et les préconisations du GIEC.

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Car on ne discute plus les conclusions du GIEC. En France, après que Radio France a interdit de donner la parole à quiconque remet en cause quelque point que ce soit du rapport onusien (1), un groupe parlementaire a l’intention de proposer une loi faisant de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) la garante d’une couverture médiatique sur le climat conforme au « consensus scientifique (sic) » selon lequel « il y a un dérèglement climatique et il est d’origine anthropique » – d’après le député socialiste Stéphane Delautrette, ces deux postulats « doivent bien sûr échapper au débat contradictoire ». Peu importe les arguments de Steven Koonin, éminent professeur de physique et ancien conseiller scientifique de Barak Obama ayant démontré entre autres la très médiocre fiabilité (c’est un euphémisme) des « modèles climatiques » censés prédire le climat des futures décennies (2), ceux du prix Nobel de physique John Clauser dénonçant la « corruption » d’une climatologie dévoyée et « métastasée en un mastodonte de pseudo-science – du journalisme à sensation » (3), ou ceux du mathématicien Benoît Rittaud, président de l’Association des climato-réalistes ne réclamant qu’une chose : qu’il soit possible de débattre sur l’évolution du climat « en favorisant l’expression sous toutes ses formes d’avis rigoureux et documentés ». Loi ou pas, ces scientifiques et de nombreux autres interrogeant les travaux du GIEC ne sont de toute manière jamais invités dans les médias publics. La même proposition de loi prévoit par ailleurs d’imposer aux médias audiovisuels publics et privés un minimum de 20% de contenus sur l’écologie et le climat en période électorale, sachant que ces contenus ne devront pas être « relatifs à des modes de vie ou des imaginaires allant à l’encontre des préconisations scientifiques (ceux du GIEC, of course) permettant de faire face à l’urgence ». Les médias publics, serviles, disciplinés et bêtes, appliquent d’ores et déjà à la lettre ces recommandations idéologiques. 

Le pluralisme et le « débat public vigoureux » chers à Christopher Lasch ne font plus partie de notre univers « démocratique ». Chaque jour qui passe voit se renforcer des élites dominatrices soutenues par une classe médiatique qui ne rêve que d’appartenir à cet aréopage mondialiste vivant au-dessus de la plèbe. « Il n’est pas indispensable, pour être corrompu par le totalitarisme, de vivre dans un pays totalitaire », écrivait Orwell. « Imposer une parfaite uniformité d’opinion sur tous les sujets est un premier pas vers la dictature » – nous en prenons le chemin.

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 (1) La charte de Radio France issue de son « Tournant environnemental » est lisible sur son site. Son premier article stipule que Radio France se tient « résolument du côté de la science, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres ». Tout est dit – adieu les débats contradictoires, vive l’idéologie et la propagande.

(2) Steven E. Koonin, Climat, la part d’incertitude, Éditions de l’Artilleur.

(3) Article de The Daily Sceptic du 23 juillet 2023 traduit sur le site de l’Association des climato-réalistes.

Immigration clandestine: la réponse de Macron au Pape

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De gauche à droite, Anne-Claire Coudray, Emmanuel Macron et Laurent Delahousse, Paris, 24 septembre 2023 © Jacques Witt/SIPA

Au journal de 20 heures, le président Macron ne s’est évidemment pas permis de contester la parole marseillaise généreuse du chef de l’Église sur les migrants. Et dans le fond, est-il tellement en désaccord avec l’idée d’un accueil sans restrictions?


Nouvelle intervention présidentielle en direct aux 20 heures de TF1 et de France 2. En avril, c’était lors du climat explosif du mouvement contre la réforme des retraites. Fin juillet, c’était peu après les émeutes.

L’automne vient

Cette fois, Emmanuel Macron prend les devants et intervient avant une possible grogne automnale. On se souvient comment s’était terminé le deuxième automne du premier mandat. Ça tombe mal, les prix du carburant sont revenus peu ou prou au niveau d’octobre 2018, et s’accompagnent d’une envolée des denrées alimentaires. Pour autant, pas d’annonces miracles ; la parenthèse du « quoi qu’il en coûte » est refermée.

Avant de répondre aux questions d’Anne-Claire Coudray et de Laurent Delahousse, le président Macron a quand même pris quelques instants pour se féliciter. Accueillir une même semaine le Pape, le Roi d’Angleterre et la Coupe du monde de rugby, peu de monde l’a fait : c’est du meilleur augure à trois cents jours des Jeux olympiques, heureux citoyens Français !

Les propos du chef de l’État très attendus après la n-ième crise à Lampedusa

Mais surtout, l’interview s’est ouverte par plusieurs minutes consacrées au volet migratoire. Apostrophé par le Pape François contre le risque de « fanatisme de l’indifférence », Emmanuel Macron s’en est sorti avec un habituel numéro d’ « en même temps ». « Le Pape a raison d’appeler à ce sursaut contre l’indifférence », mais en même temps « l’Europe est le continent qui fait le plus. Nous, Français, nous faisons notre part ». La réponse polie au Pape a été aussi l’occasion de rappeler la volonté d’accélérer la reconduite aux frontières des demandeurs d’asile déboutés. Sensible au « message d’universalisme », Macron veut « être rigoureux », car « on a un modèle social généreux ». Peut-être un peu trop ?

A lire aussi, du même auteur: «Nous demandons la suppression du droit du sol à Mayotte»

Le président français a aussi salué l’évolution de Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien, pourtant élue sur ce thème, qui a pris le contrepied de sa majorité « simpliste et nationaliste » en prenant sa « part de responsabilité » et en « jouant le rôle de premier port sûr ». À terme, Macron compte sur la coopération des pays de transit, la Tunisie en tête, pour démanteler les passeurs. Mais il a bien été incapable de chiffrer le nombre de migrants de Lampedusa qui seront finalement répartis sur notre territoire national. C’est quand même fâcheux, car depuis le début de l’année 2023, pas moins de 127 000 migrants ont débarqué sur cette île italienne au large de la Tunisie, soit le double du chiffre de 2022 à la même époque.

Robinet d’eau tiède

Le robinet d’eau tiède a coulé en direct à 20h10, et les mânes de Michel Rocard ont été invoqués.

Lors de sa mise en garde à Marseille contre un naufrage civilisationnel, persuadé que les migrants n’étaient pas là pour nous envahir, le Pape a également avancé que l’assimilation à la française « ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, [faisant] prévaloir l’idée sur la réalité et [compromettant] l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance ». Mais les journalistes de TF1 et France 2 n’ont pas estimé intéressant hier soir de revenir sur cet éternel débat entre partisans de l’assimilation et partisans de l’intégration.

Il n’a pas été guère davantage question de blocus maritime dans les questions de nos confrères. En déployant les marines européennes aux limites des eaux territoriales tunisiennes et libyennes, soit à 22 kilomètres, le refoulement au point de départ serait pourtant faisable, avec la possibilité pour les garde-côtes des pays de transit de récupérer les migrants. C’est d’ailleurs ce que fait aujourd’hui la marine grecque le long des eaux territoriales turques.

Antoine Dupont, j’ai honte…

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Antoine Dupont lors de France / Namibie, Marseille, 21 septembre 2023 © Daniel Cole/AP/SIPA

Un seul être vous manque…


La nuit était passée au 22 septembre quand j’ai appris la nouvelle. Ce n’était pas la tragédie des migrants en masse à Lampedusa, le volontarisme soudain de la France, la probable continuation de l’impuissance européenne. Ni les immenses désastres du Maroc et de la Libye. Ce n’était pas non plus l’annonce de la participation provocatrice et indigne du Syndicat de la magistrature à la manifestation anti-violences policières du 23 septembre. Pas davantage que l’odieuse comparaison, par Sophia Chikirou, de Fabien Roussel avec Jacques Doriot, validée par Jean-Luc Mélenchon : « Il y a du Doriot en lui ». Ce qui aurait été déjà inconvenant sur le plan de l’analyse psychologique devenait franchement abject dans le registre historique et politique. Je n’avais pas été ému plus que cela par les suites de la pantalonnade et de la déconfiture sur la vente à perte. Je gardais mon sang-froid face à l’impression d’une Première ministre emportée dans le flot gouvernemental avec des ministres tentant tant bien que mal de résister à la morosité ambiante. Les rivaux de demain tenaient le haut du pavé aujourd’hui : Gérald Darmanin et Gabriel Attal. J’étais capable de dominer mon impatience face aux tergiversations de LR pour le choix de sa tête de liste pour les élections européennes : François-Xavier Bellamy encore, avec un second très pugnace, ou quelqu’un d’autre. Et à l’attente d’un duel qui vaudra la peine entre Jordan Bardella et Marion Maréchal. Et à la sélection du candidat de « Renaissance » qui sera évidemment à la peine ! Je retardais ma détestation des harcèlements scolaires et des violences faites aux femmes. Je dominais mon exaspération à l’égard de certains propos de Sandrine Rousseau. Pas facile pourtant. Je détournais mon empathie de Véronique Monguillot qui se plaignait de n’avoir pas eu « une justice exemplaire » avec les 15 et 13 ans de réclusion criminelle infligés par la cour d’assises des Pyrénées-Orientales aux deux criminels responsables de la mort de son époux. Je négligeais mon inquiétude face à une France en déclin et en ensauvagement. Je ne dénigrais pas les promesses non tenues, le verbe stérile. Je me sentais ailleurs. Je différais mon admiration pour le courage intellectuel du roi Charles III ayant su, à propos de l’écologie, rassembler notre monde parlementaire sans virulence ni démagogie. Je maîtrisais mon estime pour le président Zelensky, pour son discours à l’ONU et sa volonté d’obtenir des armes offensives encore refusées par le président Biden qui cette fois n’avait pas confondu les pays. Je n’étais obsédé par rien de ce qui aurait dû me heurter, me mobiliser, m’émouvoir.

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J’avais honte de moi parce que cette nouvelle qui avait pris le pas sur tout, c’était la blessure d’Antoine Dupont à la 46e minute du match de la France contre la Namibie, gagné par notre pays avec un score stratosphérique : 96 à 0. J’avais honte de moi parce que la probable absence de notre génial demi de mêlée ne quittait pas ma tête, renvoyant aux oubliettes tant de choses capitales. Et je mesurais mon inélégance à l’égard de son excellent remplaçant Maxime Lucu. Bizarrement, il y avait dans ma honte une étincelle d’étrange joie : le fait que quelqu’un puisse apparaître aussi indispensable, tellement nécessaire alors qu’il n’est rien qui ne soit révisable, critiquable, jetable… J’ai honte mais cela passera. Quand il reviendra.

La stratégie du chaos

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Marche contre les "violences policières" et contre le "racisme d'État", Paris, 23 septembre 2023 © Gabrielle CEZARD/SIPA

Lors de la manifestation d’extrême gauche tout à fait honteuse de samedi, le mouvement contre les « violences policières » s’est vite transformé en violences contre la police. Analyse.


L’ultra-gauche et ses affidés, au nombre desquels le très zélé Syndicat de la Magistrature, appelaient à manifester dans toute la France ce dernier samedi contre, je cite : « les violences policières, le racisme systémique et pour les libertés publiques. »

Pas le tsunami anti-police espéré

D’après les décomptes officiels ils étaient un peu plus de trente mille, cela pour quelque cent vingt défilés programmés à travers le pays. Tout bien considéré, voilà qui nous donne à peu près une moyenne de deux cent cinquante ardents croisés par cortège. Vraiment pas le tsunami anti-police espéré et imprudemment annoncé. (Juste à titre de comparaison, cela représente à peine la moitié des fidèles rassemblés au stade vélodrome de Marseille pour la messe papale.)

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Pas de quoi pavoiser, certes.

Mais est-ce si important aux yeux des instigateurs, des meneurs, des cadres idéologues qui ont mis l’événement en marche ? Certainement pas autant qu’on pourrait le penser. Ils s’inscrivent – et inscrivent leurs actions – dans une logique révolutionnaire pour laquelle, contrairement à ce qu’implique la logique démocratique, la représentativité effective, l’adhésion du peuple, en fait, ne compte pas, ou très peu. De Robespierre (qu’ils ne font pas mystère d’admirer) à Staline, Mao, Pol Pot et consorts en passant par Hitler, la doctrine est très claire. À chaque prise de parole dans les années de la montée du nazisme, Goebbels se plaisait à répéter qu’ils étaient là pour « libérer le peuple allemand même si celui-ci n’était pas d’accord ». Prétendre faire le bonheur des peuples sans les peuples, voire contre eux, est la grande constante de toutes les épopées dictatoriales.

Les antifas veulent pousser les policiers à la faute

Ainsi, qu’ils ne soient que trente mille ne soucie guère les théoriciens et les activistes de ce type. Ce qui importe pour eux, en l’occurrence, ici, chez nous, maintenant, c’est de pousser toujours plus loin la provocation afin d’atteindre un point de non-retour, le drame sanglant qui ouvrira la voie au paroxysme de la violence insurrectionnelle. Le drame qui embrasera tout. L’ultra-gauche connaît ses classiques. « Quelle était la représentativité de Lénine en octobre 1917 ?… Nulle ou quasi nulle », lui a-t-on seriné en boucle à longueur de séminaires militants. Et pourtant on connaît la suite. Lénine et son orchestre au pouvoir, le goulag en open bar et l’industrie de la fosse commune à son plus haut.

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Aussi, vue sous cet angle, la faible mobilisation de samedi n’est qu’un échec d’apparence. Par ailleurs, ne vouloir considérer les agressions barbares menées par certains groupes de participants qu’on appelle blackblocs ou antifas, ou que sais-je encore, contre les policiers comme de regrettables dérapages qui ne seraient que les effets d’une « sauvageonnerie » particulièrement débridée, relèverait d’une grave erreur d’appréciation. Il s’agit en fait d’une stratégie éprouvée visant à provoquer, en effet, la riposte, la catastrophe, le tir mortel qui permettra d’atteindre dans la foulée ce paroxysme de violence et ce point de non-retour évoqués plus haut. On aurait là le sang versé sur lequel pourrait germer et prospérer l’aventure révolutionnaire.

Fantasmes

Tout le monde aura bien compris que ces activistes, en vérité, manifestent moins contre les prétendues violences que commettraient les fonctionnaires de police que pour se donner l’opportunité de se livrer à leurs violences policières bien à eux, celles exclusivement dirigées contre l’ordre et les forces de l’ordre. Distinguo d’apparence subtile mais au fond des plus grossiers.

De même quand ils prétendent s’élever contre un racisme systémique. Pur fantasme idéologique d’ailleurs, car si les forces de l’ordre paraissent se focaliser sur certaines franges de la population, c’est juste parce que c’est effectivement au sein de celles-ci que prospère une délinquance qui, elle, relève bel et bien du « systémique ». Constat que le ministère de l’Intérieur lui-même a mis clairement en évidence récemment encore.

Quant aux libertés publiques que disent défendre ces gens, sans doute est-ce tout bonnement la liberté de casser le mobilier urbain, les boutiques, les vitrines, de piller les banques, etc, etc. Passons.

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La vérité est que nous sommes confrontés à la stratégie révolutionnaire telle qu’en elle-même. Fabriquer à coups de formules trompeuses, d’analyses biaisées, d’éléments de langage prêts à mâcher et répétés sans fin, une réalité, un état de fait qui n’existe pas, ou qui n’existe qu’à la marge, relevant de l’exception. (Exception qui, le cas échéant, doit être traitée et jugée conformément ce que prévoient les lois de la République.)

Mais, redisons-le, dans cette logique, dans cette stratégie du chaos, le réel n’est rien. La vérité des faits objectivement observables s’efface inexorablement devant une autre vérité, celle idéologiquement acceptable parce qu’utile pour la fin des fins, le nirvâna de la Révolution.

Samedi, un policier pris au piège a sorti son arme. Ils ne voudront retenir que cette image. Et avec eux les médias de complaisance, les institutions complices, ONU et autres…

Ne nous faisons aucune illusion. Ce qu’ils espèrent pour la prochaine fois, c’est que le policier, agressé, harcelé, acculé, menacé de mort, tire pour de bon. Voilà ce sur quoi ils comptent. Voilà ce que leur dicte la fameuse politique du chaos.

Un tel drame ne s’est pas encore produit. Mais pour combien de temps encore ?

En tout état de cause, félicitons sans retenue les policiers et rendons leur grâce pour cette sorte de miracle. Surtout, sachons reconnaître que leur maîtrise, leur sang-froid, leur capacité de résilience sont, face à cette stratégie délibérée du bain de sang, notre ultime rempart.

Une épopée francaise: Quand la France était la France

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Trésors et chants médiévaux

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Vue de l’exposition « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français » © The Al Thani Collection 2023. All rights reserved. Photographie par Marc Domage

L’hôtel de la Marine, sur la place de la Concorde, accueille en ce moment une exposition intitulée « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum: quand les Anglais parlaient français ». On peut y voir plusieurs belles pièces médiévales… mais aussi en entendre lors des « intermèdes chantés » proposés lors des nocturnes. Une grande réussite !


Quelle ambiance spéciale, en début de soirée vendredi 15 septembre, à l’hôtel de la Marine ! En entrant dans les salles dédiées à la collection Al Thani, on pouvait non seulement admirer la belle petite exposition en cours, consacrée au Moyen Âge anglais, mais on pouvait aussi entendre un duo de jeunes chanteurs venus entrer en résonance avec les objets exposés en interprétant de la musique de cette époque. Et le mélange est totalement convaincant : combien la musique déploie et anime les œuvres d’art !

Les objets d’exception de la Collection Al Thani

L’exposition, intitulée « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français »[1], est comme son nom l’indique le résultat d’un partenariat avec le V&A, un des plus grands musées du monde, spécialisé en arts décoratifs. Le musée londonien a procédé à un prêt exceptionnel de 70 objets, souvent remarquables. L’objectif annoncé de l’exposition est de montrer la circulation des objets d’exception entre l’Angleterre et l’Europe continentale à l’époque médiévale, notamment du XIIe au XVe siècle.

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Entre manuscrits, sculptures et pièces d’orfèvrerie, la diversité est au rendez-vous, ce qui permet de brosser un rapide tableau des spécialisations géographiques de l’artisanat de luxe. Par exemple, l’Angleterre est renommée pour l’excellence de sa broderie au Moyen Âge : le terme d’« opus anglicanum » désigne carrément un type de broderie raffinée réalisée avec des fils d’or ou d’argent voire des pierres précieuses, le must des tenues ecclésiastiques ou des parures des princes les plus éminents de l’époque… Dans l’exposition, on a notamment l’opportunité de voir la « Chape de Syon », un vêtement liturgique splendide du XIVe siècle, où anges et saints brodés d’or entourent le Christ en croix, figuré au milieu du dos du porteur. Autre spécialité anglaise, exportée sur le continent : la sculpture sur panneaux d’albâtre. L’exposition montre plusieurs pièces dans un magnifique état de conservation, qui rendent justice à la vivacité des traits sculptés par les artisans médiévaux.

Meurtre à Cantorbéry

Pour d’autres types d’œuvres, on fait appel à des artisans venus d’ailleurs en Europe. Ainsi, la pièce peut-être la plus émouvante de l’exposition de l’hôtel de la Marine a été réalisée chez nous ! Il s’agit d’une des châsses de saint Thomas Becket[2], appartenant à une série de reliquaires produits à Limoges dans les années 1180-1200.

Châsse de saint Thomas Becket © The Al Thani Collection 2023. All rights reserved. Photographie par Marc Domage.

La petite châsse dorée, émaillée de bleu, représente avec finesse un des plus grands scandales de l’Angleterre médiévale : le meurtre sanglant, en décembre 1170, de l’archevêque de Cantorbéry, alors même qu’il était en train de célébrer un office dans la cathédrale ! Le crime a été commis par quatre chevaliers de l’entourage royal à la suite d’une longue querelle politico-religieuse entre l’archevêque et Henri II. Thomas Becket est canonisé seulement trois ans plus tard, ce qui oblige le roi d’Angleterre à venir honteusement faire pénitence sur sa tombe…

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Ce meurtre, c’est le sujet d’un des morceaux interprétés avec beaucoup de talent par le duo Les Trouveurs lors des « intermèdes chantés »[3] qu’ils ont proposés au cours de la nocturne du vendredi à l’hôtel de la Marine. « The grain of wheat lies smothered by the chaff, the just man slain by the sword of sinners » – « Le grain de blé est étouffé par la paille, l’homme juste tué par l’épée des pécheurs » : traduction d’une des pièces chantées pour la fête de saint Thomas Becket dès la fin du XIIe siècle.

Chants précieux

C’est ainsi que commence un voyage dans la musique médiévale anglaise, avec des incursions dans la Renaissance. À deux voix – car c’est le Moyen Âge européen qui a inventé la polyphonie ! Parmi les plus jolies pièces interprétées, une chanson du XIIIe siècle en forme de vanité, « Worldes blis ne last no throwe » (« La joie du monde ne dure pas même un moment »).


Le duo explore différents genres, religieux et profanes, passant d’une chanson d’amour à une autre dédiée à la Vierge Marie. Un détour par la France donne lieu à l’interprétation d’une superbe chanson de Guillaume de Machaut, grand compositeur du XIVe siècle. Mais le point d’orgue est atteint quand Les Trouveurs annoncent une « caccia » de Jacopo da Bologna, également du XIVe siècle, type de chanson de « chasse » appelée ainsi, expliquent-ils, parce qu’« une voix chasse et suit l’autre sous forme de fugue ». Composition splendide qui leur permet de manifester toute leur virtuosité.

Campés au milieu des vitrines, les deux jeunes chanteurs remplissent sans mal de leur voix tout l’espace de l’exposition, créant une atmosphère bien différente de celle d’une visite classique – comme si un degré de conscience supplémentaire était atteint. Il est fascinant de voir à quel point la musique insuffle de la vie dans les choses. Quand on visite Versailles, on a presque en tête des morceaux de Lully ou Rameau, pour les avoir cent fois entendus dans des films voire des spots publicitaires… Il est bien plus rare d’entendre de la musique médiévale, ce qui rend de telles occasions encore plus précieuses.

Trésors médiévaux du Victoria & Albert Museum - Quand les Anglais parlaient français

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Exposition « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français », Hôtel de la Marine (collection Al Thani), jusqu’au 7 janvier.

Intermèdes musicaux du vendredi en nocturne, avec le duo Les Trouveurs (Camile Macinenti et Mathias Lunghi), nouvelles dates à venir.


[1] https://www.thealthanicollection.com/fr/hdlm/medieval-treasures-from-the-victoria-and-albert-museum-when-the-english-spoke-french

[2] https://collections.vam.ac.uk/item/O80222/the-becket-casket-casket-unknown/

[3] https://www.hotel-de-la-marine.paris/agenda/tresors-medievaux-du-victoria-and-albert-museum-quand-les-anglais-parlaient-francais/intermedes-chantes-en-nocturne

François à Marseille: entre déférence religieuse et incompréhension politique

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Stade Velodrome, Marseille, 23 septembre 2023 © Vatican Media/IPA/SIPA

Le pape François ne rend rien à César… Pourtant, la coupe de l’accueil est pleine.


Quoi que puisse dire un pape, qu’il soit européen ou vienne d’Amérique du Sud, que sa personnalité me plaise ou non, on ne me prendra jamais en délit d’irrespect à son égard. D’abord parce que ma culture chrétienne m’en dissuaderait si j’en éprouvais la tentation, mais aussi parce qu’il n’y a pas tant, dans notre monde, d’exemples et de messages si forts qu’on puisse se dispenser notamment de ceux d’un pape. Qu’on soit croyant ou non. Ce préambule n’est pas inutile qui concerne le pape François à l’égard duquel mon premier sentiment est de déférence religieuse mais d’incompréhension politique. J’ai même parfois poussé plus loin mon analyse en allant jusqu’à présumer un humanisme et une miséricorde imprégnés seulement de cette philosophie de la libération propre à l’Argentine, avec son parfum révolutionnaire et sa conscience ancrée à gauche. En même temps, sans que je sois un spécialiste du bilan du Pape, force est de constater qu’il a su aussi, sur certains sujets, s’en tenir à des positions conservatrices ou au moins résister à un progressisme inspiré aussi bien par des cardinaux en pointe que par des médias délibérément critiques à l’égard du statu quo de l’Église. S’il a avancé, il l’a fait parfois à pas feutrés mais on ne peut pas dire que ce Saint Père ait transigé sur son pouvoir et ses prérogatives. Il suffit, pour s’en persuader, de relever avec quel soin et quelle vigilance il a nommé des évêques et des cardinaux en étant assuré de leur adhésion à sa ligne.

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Euthanasie, migrants : un éternel ressassement

C’est ce mélange de tradition, de classicisme un zeste autoritaire et de volonté constante et compassionnelle de « rendre hommage aux migrants » comme il l’a fait à plusieurs reprises, en particulier à Marseille ; avec cette étrange provocation de particulariser ses venues, les villes françaises, selon lui, n’étant pas la France, Strasbourg hier et Marseille aujourd’hui. Il me semble que j’ai manqué de finesse et d’intuition tout au long de ces discours et propos du pape sur les migrants, sur l’obligation de les accueillir, sur l’indignité de ne pas les secourir, sur l’horreur de les laisser mourir, sur la responsabilité des pays si peu hospitaliers. J’aurais déjà dû être alerté par cette constance, voire cette obstination dans le ressassement quasiment de ce seul sujet – même si la fin de vie, dans les dispositions françaises à venir, lui cause également du souci – qui se rapporte aux migrants envisagés sous l’unique prisme de la sollicitude et du secours dont les occidentaux devraient se préoccuper. On pourrait cependant banalement opposer au Pape que ses belles leçons relèvent de ce qu’on doit rendre à Dieu mais que César, lui, a sa logique, ses droits et ses devoirs. Pour ce dernier, tout n’est pas possible. Les peuples ont de l’importance et sauvegarder l’identité d’une nation n’est pas honteux. Craindre que l’arrivée massive de migrants avec leur religion, leur mode de vie, leur inévitable instabilité, leurs différences « qui ne sont pas forcément autant de chances », dégradent profondément les humus nationaux n’est pas scandaleux. Certes il y a les réfugiés politiques mais combien de réfugiés économiques laissant s’immiscer dans leur flot quelquefois de troubles malfaisances et desseins terroristes, suscitent à juste titre l’impression, l’angoisse que la coupe de l’accueil est plus que pleine, qu’elle déborde, qu’elle crée des morts en mer, des misères, des tragédies et des détresses, des illégalités en France comme dans quelques autres pays ! C’est le verbe brutalement réaliste de César. Ce Pape néglige César, César lui indiffère, il n’a rien à lui rendre. Il exprime sur un mode absolu l’enseignement d’un catholicisme consacré aux petits, aux faibles, aux sinistrés et aux égarés. Il ne se penche pas une seconde sur les ressorts prosaïques de ces fuites des pays d’origine. Il dénonce « les trafics odieux de migrants ». Il rappelle aux pouvoirs qu’ils n’ont pas le choix. Ils n’ont pas à composer avec le réel quand il est atroce : ils ont avec angélisme à le rendre suave. Sa parole nue est de pure générosité sans le moindre désir d’en référer au contexte. Il n’a cure de la moindre concession et a encore proféré, à Marseille, que l’accueil inconditionnel des migrants est « un devoir d’humanité, un devoir de civilisation ». Ce n’est pas de ce Pape qu’il faudra espérer la moindre prise en considération du temporel et des contraintes et entraves profanes. Même aux antipodes de cette indifférence à l’égard de la politique et de ses inévitables limites, je ne peux m’empêcher de saluer cet extraordinaire entêtement papal dans l’exaltation d’une générosité totale. Une fois qu’on a compris cette splendide et absolue invocation du Pape, contre toutes les sortes de relativisme qui peuvent justifier les politiques de restriction ou d’exclusion, on a enfin appréhendé qui il est. Un intégriste du cœur. Ce que j’exige est impossible, dites-vous ? Alors faites-le. Puisque Dieu est indépassable. Et que le Pape que je suis ne rend rien à César.

À l’Opéra-Bastille, un Lohengrin hanté par la guerre en Ukraine

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© Charles Duprat / Opéra national de Paris

C’est le spectacle lyrique le plus attendu de cette rentrée. Avec la mise en scène très clivante de Kirill Serebrennikov


Tous les cinéphiles gardent en mémoire la fameuse séquence de l’apparition d’un Louis II de Bavière emmitouflé dans ses fourrures, sous les traits grimés de Helmut Berger, à bord d’une nacelle évoquant les cygnes de Lohengrin, et qui se meut silencieusement sur l’onde, dans une grotte artificielle, sous la lueur dorée des torchères. Pour le roi solitaire, l’orchestre joue le prélude de l’opéra.

Féérie wagnérienne revisitée

Avec Kirill Serebrennikov, nous voilà bien loin de Ludwig ou le crépuscule des dieux, ce chef d’œuvre  de Visconti (1973). Serebrennikov ? Les films Leto (2018), La Fièvre de Petrov (2021), La femme de Tchaïkovski (2022), sans compter Le Moine noir, adaptation d’une nouvelle de Tchekhov portée sur les planches au Palais des Papes, en Avignon, la même année…  Sous les auspices du fécond cinéaste et metteur en scène russe aujourd’hui exilé à Berlin, la féérie wagnérienne se trouve revisitée de part en part, au prisme de la guerre qui ravage l’Ukraine.

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Après Le Vaisseau fantôme et Tannhaüser, Lohengrin, composé entre 1848 et 1850, est le dernier opéra « romantique » du futur maître de Bayreuth. Inspiré du Parzifal de Wolfram von Eschenbach, de la chanson de geste et des Légendes allemandes écrites à l’orée du XIXème siècle par les frères Grimm, il donnera naissance au « Chevalier au cygne ». Accusée du meurtre de son frère, la princesse Elsa von Brabant sera sauvée par Lohengrin, l’envoyé du Graal qui lui est apparu en rêve, mais à condition de ne jamais lui demander ni son nom, ni son origine… Elsa va trahir son serment.

Débarrassé des oripeaux d’une tradition surannée, Serebrennikov s’affranchit à peu près totalement des indications du livret, pour livrer une interprétation résolument contemporaine de l’œuvre, à distance radicale de la lecture qui fait des personnages de Friedrich von Telramund et de sa femme Ortrud les « monstres » du drame, et de Lohengrin un guerrier sans tache : à l’enseigne du scénographe russo-ukrainien, le Chevalier au cygne n’est jamais ici que la projection fantasmatique d’une Elsa psychiquement perturbée ; Ortrud dirige la clinique psychiatrique où elle est incarcérée, tandis que son époux, psychiatre militaire, résiste à la tentation belliciste dont un Lohengrin en treillis de camouflage sera le héraut et l’instrument.

© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Plateau funèbre de toute beauté

Accompagnant le célèbre prélude, un film en noir et blanc, projeté sur un vaste écran aux contours floutés, suit au ralenti les pas d’un archange – soldat que tente de retenir à soi un bras féminin, depuis le dense entrelac d’une futaie germanique, jusqu’au ponton d’un lac dans les eaux lustrales duquel, se dénudant, il se jette, nous dévoilant deux ailes d’ange tatouées sur ses omoplates. Tout au long du spectacle, le décor d’Olga Pavluk (laquelle avait déjà signé ceux de Parsifal et du Moine noir) se compartimentera en quadrilatères autours lesquels se greffent les vidéos du fidèle Alan Mandelshtan – visages d’éphèbes-soldats, jeunes athlètes au torse maculé de tatouages, cadrages serrés sur des mains de jeunes conscrits éplorés, aux ongles noirs…  Présences spectrales, éthérées, associées à des griffures abstraites qui envahissent les écrans…  Au deuxième acte, divisé en trois espaces – soldats en treillis au réfectoire, à gauche ; mutilés dans leur lit de douleur au centre ; morts, à droite, avec la perspective des casiers funéraires de la morgue, puis les âmes des trépassés qui se lèvent, corps de garçons nus, debout, s’échappant avec lenteur vers le fond de la scène : plateau funèbre de toute beauté. Au troisième acte, les dépouilles s’accumulent, déposées au sol du proscenium dans leur sac de toile noire, sur le long duo sublime Elsa/Lohengrin, chant d’adieu du héros, en vers décasyllabiques, apothéose de l’opéra : « Getrennt, geschieden sollen wir uns sehn:/ Dies muss die Strafe, dies Sühne sein ! » (« Il nous faudra être séparés, éloignés : telle doit être la punition, telle l’expiation »).

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Ovation délirante

Piotr Beczala, 56 ans, a déjà par trois fois occupé le rôle-titre de Lohengrin: à Bayreuth en 2018, suite à la défection de Roberto Alagna ; à Vienne en 2020 ; et à New- York encore. Autant dire qu’il y est à son affaire. Quoiqu’originellement plus belcantiste que wagnérien, le ténor polonais domine cette partition incroyablement exigeante avec une suavité, un phrasé, une richesse de timbre souverains. La soprano sud-africaine Johanni Van Oostrum incarne quant à elle une Elsa merveilleusement languide (en alternance avec Sinéad Campbell-Wallace), tandis que l’immense baryton Wolfgang Koch campe un Tetramund en acier trempé. Au soir de la première, pour le rôle du roi Henri, la basse coréenne Kwangchul Youn, souffrant, était remplacé, « au pied levé » comme on dit, à la perfection par un Tareq Nazmi hiératique. Enfin, la soprano suédoise Nina Stemme figure une Ordrud d’une remarquable intensité, probablement à l’égal de la mezzo-soprano russe Ekaterina Gubanova qui la relaiera à partir du 18 octobre. Si essentiels dans Lohengrin, les chœurs « maison » de l’Opéra de Paris, comme toujours sous la houlette de Ching-Lien Wu, résonnent magnifiquement, dans un accord quasi-parfait avec l’orchestre. Le public ne s’y est pas trompé, qui, se mettant debout comme un seul homme, a réservé, en ce samedi 23 septembre, une ovation délirante à cette distribution. Le parti pris très affirmé du téméraire Kirill Serebrennikov ne rencontre certes pas tous les suffrages – quoi de plus normal : au cinquième rappel, lorsque l’homme vêtu de noir et coiffé d’une casquette vient à son tour saluer la salle comble de l’Opéra-Bastille, quelques puissantes huées résonnent au milieu de la liesse et des applaudissements… Clivant, Serebrennikov ? La rançon du génie, sans doute.


Lohengrin. Opéra romantique en trois actes de Richard Wagner. Direction Alexander Soddy. Mise en scène Kirill Serebrennikov. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Kwangchul Youn (Heinrich der Vogler), Piotr Beczala (Lohengrin), Johanni van Ostrum/Sinead Campbell-Wallace (Elsa von Brabant), Wolfgang Koch (Friedrich von Teiramund), Nica Stemme/Ekaterina Gubanova (Ostrud), Shenyang (Der Heerufer des Königs)…

Opéra Bastille, les 27, 30 septembre, 11, 14, 18, 21, 24, 27 octobre à 19h.

Durée : environ 4h20.