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Trésors et chants médiévaux

La collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine, jusqu’au 7 janvier


Trésors et chants médiévaux
Vue de l’exposition « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français » © The Al Thani Collection 2023. All rights reserved. Photographie par Marc Domage

L’hôtel de la Marine, sur la place de la Concorde, accueille en ce moment une exposition intitulée « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum: quand les Anglais parlaient français ». On peut y voir plusieurs belles pièces médiévales… mais aussi en entendre lors des « intermèdes chantés » proposés lors des nocturnes. Une grande réussite !


Quelle ambiance spéciale, en début de soirée vendredi 15 septembre, à l’hôtel de la Marine ! En entrant dans les salles dédiées à la collection Al Thani, on pouvait non seulement admirer la belle petite exposition en cours, consacrée au Moyen Âge anglais, mais on pouvait aussi entendre un duo de jeunes chanteurs venus entrer en résonance avec les objets exposés en interprétant de la musique de cette époque. Et le mélange est totalement convaincant : combien la musique déploie et anime les œuvres d’art !

Les objets d’exception de la Collection Al Thani

L’exposition, intitulée « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français »[1], est comme son nom l’indique le résultat d’un partenariat avec le V&A, un des plus grands musées du monde, spécialisé en arts décoratifs. Le musée londonien a procédé à un prêt exceptionnel de 70 objets, souvent remarquables. L’objectif annoncé de l’exposition est de montrer la circulation des objets d’exception entre l’Angleterre et l’Europe continentale à l’époque médiévale, notamment du XIIe au XVe siècle.

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Entre manuscrits, sculptures et pièces d’orfèvrerie, la diversité est au rendez-vous, ce qui permet de brosser un rapide tableau des spécialisations géographiques de l’artisanat de luxe. Par exemple, l’Angleterre est renommée pour l’excellence de sa broderie au Moyen Âge : le terme d’« opus anglicanum » désigne carrément un type de broderie raffinée réalisée avec des fils d’or ou d’argent voire des pierres précieuses, le must des tenues ecclésiastiques ou des parures des princes les plus éminents de l’époque… Dans l’exposition, on a notamment l’opportunité de voir la « Chape de Syon », un vêtement liturgique splendide du XIVe siècle, où anges et saints brodés d’or entourent le Christ en croix, figuré au milieu du dos du porteur. Autre spécialité anglaise, exportée sur le continent : la sculpture sur panneaux d’albâtre. L’exposition montre plusieurs pièces dans un magnifique état de conservation, qui rendent justice à la vivacité des traits sculptés par les artisans médiévaux.

Meurtre à Cantorbéry

Pour d’autres types d’œuvres, on fait appel à des artisans venus d’ailleurs en Europe. Ainsi, la pièce peut-être la plus émouvante de l’exposition de l’hôtel de la Marine a été réalisée chez nous ! Il s’agit d’une des châsses de saint Thomas Becket[2], appartenant à une série de reliquaires produits à Limoges dans les années 1180-1200.

Châsse de saint Thomas Becket © The Al Thani Collection 2023. All rights reserved. Photographie par Marc Domage.

La petite châsse dorée, émaillée de bleu, représente avec finesse un des plus grands scandales de l’Angleterre médiévale : le meurtre sanglant, en décembre 1170, de l’archevêque de Cantorbéry, alors même qu’il était en train de célébrer un office dans la cathédrale ! Le crime a été commis par quatre chevaliers de l’entourage royal à la suite d’une longue querelle politico-religieuse entre l’archevêque et Henri II. Thomas Becket est canonisé seulement trois ans plus tard, ce qui oblige le roi d’Angleterre à venir honteusement faire pénitence sur sa tombe…

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Ce meurtre, c’est le sujet d’un des morceaux interprétés avec beaucoup de talent par le duo Les Trouveurs lors des « intermèdes chantés »[3] qu’ils ont proposés au cours de la nocturne du vendredi à l’hôtel de la Marine. « The grain of wheat lies smothered by the chaff, the just man slain by the sword of sinners » – « Le grain de blé est étouffé par la paille, l’homme juste tué par l’épée des pécheurs » : traduction d’une des pièces chantées pour la fête de saint Thomas Becket dès la fin du XIIe siècle.

Chants précieux

C’est ainsi que commence un voyage dans la musique médiévale anglaise, avec des incursions dans la Renaissance. À deux voix – car c’est le Moyen Âge européen qui a inventé la polyphonie ! Parmi les plus jolies pièces interprétées, une chanson du XIIIe siècle en forme de vanité, « Worldes blis ne last no throwe » (« La joie du monde ne dure pas même un moment »).


Le duo explore différents genres, religieux et profanes, passant d’une chanson d’amour à une autre dédiée à la Vierge Marie. Un détour par la France donne lieu à l’interprétation d’une superbe chanson de Guillaume de Machaut, grand compositeur du XIVe siècle. Mais le point d’orgue est atteint quand Les Trouveurs annoncent une « caccia » de Jacopo da Bologna, également du XIVe siècle, type de chanson de « chasse » appelée ainsi, expliquent-ils, parce qu’« une voix chasse et suit l’autre sous forme de fugue ». Composition splendide qui leur permet de manifester toute leur virtuosité.

Campés au milieu des vitrines, les deux jeunes chanteurs remplissent sans mal de leur voix tout l’espace de l’exposition, créant une atmosphère bien différente de celle d’une visite classique – comme si un degré de conscience supplémentaire était atteint. Il est fascinant de voir à quel point la musique insuffle de la vie dans les choses. Quand on visite Versailles, on a presque en tête des morceaux de Lully ou Rameau, pour les avoir cent fois entendus dans des films voire des spots publicitaires… Il est bien plus rare d’entendre de la musique médiévale, ce qui rend de telles occasions encore plus précieuses.

Trésors médiévaux du Victoria & Albert Museum - Quand les Anglais parlaient français

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Exposition « Trésors médiévaux du Victoria and Albert Museum : quand les Anglais parlaient français », Hôtel de la Marine (collection Al Thani), jusqu’au 7 janvier.

Intermèdes musicaux du vendredi en nocturne, avec le duo Les Trouveurs (Camile Macinenti et Mathias Lunghi), nouvelles dates à venir.


[1] https://www.thealthanicollection.com/fr/hdlm/medieval-treasures-from-the-victoria-and-albert-museum-when-the-english-spoke-french

[2] https://collections.vam.ac.uk/item/O80222/the-becket-casket-casket-unknown/

[3] https://www.hotel-de-la-marine.paris/agenda/tresors-medievaux-du-victoria-and-albert-museum-quand-les-anglais-parlaient-francais/intermedes-chantes-en-nocturne



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