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Homme déconstruit qui s’assume enfin, voici comment je suis devenu heureux

Merci #metoo !


Homme déconstruit qui s’assume enfin, voici comment je suis devenu heureux
L'actrice et essayiste féministe Noémie de Lattre, Monaco, 2015 © VILLARD/NIVIERE/SIPA

Comment je me suis reconstruit en tant qu’homme, grâce à #metoo et au féminisme.


Tout d’abord un aveu : pendant une période ma vie, je me souciais peu du féminisme. Je n’étais pas éduqué sur ces questions. Enfant, ma mère portait la culotte à la maison, mais pourtant elle ne m’expliquait pas la théorie féministe. Adolescent puis jeune adule, je ne m’intéressais en réalité pas du tout à la doctrine féminisme réelle. Pour vous donner une idée de mon ignorance : un ami me dit un jour que Gisele Halimi était proche du MLF, je ne savais même pas ce qu’était le MLF, j’ai cru que l’on me disait qu’elle était une MILF, et j’ai répondu « Chacun ses goûts, Gisèle Halimi n’est pas mon type de femme ». Je n’en veux pas à mes parents, c’était une époque où l’on élevait ses enfants sans forcément les éveiller aux luttes pour l’égalité. Je suis simplement né au mauvais moment. Ah si je pouvais d’un coup de baguette magique, retourner dans ces années et tout recommencer en sachant ce que je sais aujourd’hui grâce au féminisme ! Que d’erreurs éviterais-je ! Que de réussites accomplirais-je ! Mais voilà, ce n’est pas possible, comme le dit Kundera, la vie n’est vécue qu’une seule fois et sans aucune préparation.

Le jour où mon destin a basculé

Ma vie a basculé beaucoup plus tard, le 22 janvier 2018, un peu après #metoo. Je marchais dans Londres, j’ai oublié le but de cette marche. Ce que je n’oublierai jamais, en revanche, c’est cet autocollant féministe sur une des colonnes blanches d’une maison de Onslow Square, à South Kensington : « Feminism : educate yourself ! Read the following books… » Suivait une liste de cinq essais écrits par des féministes, parmi lesquelles Judith Butler et Valérie Solanas notamment. Médusé, je réalisai ce jour-là que je n’en avais lu aucun ! Même pas un sur cinq ! Pourtant je me croyais cultivé, j’étais un grand lecteur depuis toujours, mais un lecteur de romans, pas d’essais. J’ai photographié la liste. J’ai commandé ces cinq essais. Les ai lus. Je me suis éduqué au féminisme ! De fil en aiguille j’ai découvert des blogs, des podcasts de scientifiques féministes françaises, Noémie de Lattre, Victoire Tuaillon, Camille Froidevaux-Metterie. Tel Serge Lama, qui a réalisé, en allant voir les petites femmes de Pigalle lorsque sa femme l’a quitté, qu’en amour il n’y connaissait rien, j’ai réalisé qu’en « genre », en rapports hommes-femmes, je n’y connaissais rien ! J’appris par exemple qu’il y avait deux types d’hommes : les hommes « déconstruits » qui remettaient en question les stéréotypes de la virilité et s’interrogeaient sur la leur, et les hommes « virilistes », toxiques, qui ne se posaient aucune question et n’hésitaient pas à affirmer leur virilité sans honte. L’homme déconstruit c’est le nom scientifique de ce que les Américains appellent un « loser », compris-je en lisant la littérature féministe. L’homme viriliste, au contraire, c’est le « winner », celui qui collectionne les conquêtes féminines, la réussite professionnelle et le prestige social.

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Alors j’ai commencé une introspection. J’ai réfléchi. Je lisais beaucoup de romans, je l’ai déjà dit. J’avais adoré l’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante, un chef-d’œuvre de la littérature européenne, selon moi. Je ne connaissais pas les marques de voiture, ne faisais pas la différence entre une Ferrari et une Porsche par exemple. Je détestais la Formule 1, ne comprenais même pas comment ce sport pouvait intéresser quelqu’un. Je me déplaçais à vélo. Au club de sport, je n’utilisais aucun appareil de musculation. Je n’avais jamais fumé le cigare et détestais son odeur. Parmi mes amis hommes, j’étais souvent le seul à avoir déjà assisté à un ballet à l’Opera (ma femme m’avait obligé à l’y accompagner il y a 20 ans, et je ne m’étais même pas endormi). J’aimais le jus de pamplemousse. Au pub, mes copains prenaient des pintes de bière, moi un Coca Zéro. Souvent dans les soirées, un groupe d’hommes se formait, j’essayais de me glisser parmi eux. Mais ils se mettaient à parler de voitures, échangeaient des informations sur les meilleurs spots de kitesurf puis partaient fumer le cigare en terrasse ! J’étais largué, incapable de participer à ces conversations, je me retrouvais contre mon gré seul homme dans un groupe de leurs femmes à discuter de romans ou des études des enfants. Dans les barbecues, je privilégiais les viandes peu grasses comme le blanc de poulet alors que mes amis hommes préféraient les côtes de bœuf et les saucisses. Au bout de quelques semaines d’introspection : je compris enfin la terrible réalité : j’étais, et j’avais toujours été, un homme « déconstruit » !

Je prends mon ticket pour le Salon du barbecue

C’était affreux. Et cela expliquait sans doute, je le réalisais, mes difficultés dans la vie. Alors que mes amis hommes qui fumaient le cigare étaient souvent membres de leur Codir, je n’étais qu’invité au Codir de temps en temps. Ils avaient un 4×4 BMW, moi un break Volvo ! Ils trompaient leurs femmes avec des top-modèles de 25 ans, des danseuses baltes du Crazy Horse, moi seulement avec une voisine à la retraite, de 25 ans de plus que moi, – et encore, je ne voulais pas, c’était elle qui m’obligeait, elle me menaçait de tout dire à ma femme si je refusais – ! Ils avaient d’énormes barbecues Weber au charbon, j’avais le modèle électrique. C’est comme si soudain j’avais été ébloui par la lumière de la science: tout s’éclairait ! Je comprenais mon chemin de vie, mes difficultés ! J’étais un homme déconstruit, c’était déprimant, oui, mais je devais l’admettre. À cause de cela j’avais raté la première moitié de ma vie. Sauf que je pouvais réagir, parce que j’avais lu les auteurs féministes, parce que j’étais éduqué dorénavant. Je connaissais la suite du chemin. C’était un chemin difficile, pentu, il fallait du courage et beaucoup de travail, mais je devais me RECONSTRUIRE. Alors j’ai travaillé sur moi, jour après jour, mois après mois. J’ai d’abord changé de voiture, acheté une BMW. Je me suis mis à fumer le cigare. Au début, juste une taffe, c’était horrible, je toussais, j’avais mal à la gorge. J’ai augmenté progressivement les doses. Je me suis habitué à la bière. J’ai lu Sapiens, puis les biographies de Steve Jobs et Warren Buffet. Ces essais étaient sans intérêt, pénibles, mais les lire me permettait de participer aux discussions entre hommes virilistes. Le plus facile a été d’arrêter complètement le jus de pamplemousse, finalement ce n’était pas si important pour moi.

Image d’illustration Unsplash

Aujourd’hui je suis reconstruit et heureux. J’ai un vrai barbecue, au charbon, pas électrique. Je bois des pintes de bière avec mes copains. Je ne trompe plus ma femme avec la voisine à la retraite mais avec sa petite-fille qui est danseuse. Lorsque je fais l’amour, je ne me préoccupe plus du tout de l’orgasme de ma partenaire, alors que j’en étais obsédé lorsque j’étais un homme déconstruit, et pourtant, -c’est incroyable-, le taux d’orgasme de mes partenaires, qui n’était que de 44% lorsque j’étais déconstruit, est passé à 71%*. Dans mon Codir, trois hommes ont été virés pour être remplacés par trois femmes au nom de la parité. Et pourtant, au même moment, mon patron m’a convoqué et m’a annoncé ma nomination comme membre permanent! Les trois hommes virés étaient trop déconstruits, sans doute, on les a choisis pour qu’ils se virent entre eux car on savait qu’ils ne protesteraient pas. Je suis heureux, enfin. Je suis un homme reconstruit. Souvent le soir, un verre de rouge dans une main, l’os de ma côte de bœuf dans l’autre, du heavy-metal très fort dans mes enceintes, je me dis que mon bonheur je le dois à #metoo et aux intellectuelles féministes qui m’ont éduqué. Je ne laisserai personne raconter que #metoo n’a pas été utile. Je voulais par ce texte les remercier de tout ce qu’elles m’ont apporté. On dit souvent que derrière chaque grand homme il y a une femme, eh bien derrière moi il y en a plusieurs. Oui, Judith Butler, Mona Cholet, merci, merci à toutes et à tous !

* Pourcentage calculé sur 12 mois glissant




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Bertrand Fitoussi est cadre, romancier et blogueur.

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