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Toujours jeune, toujours catholique et toujours heureux de l’être

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Il y avait l’opposition à l’avortement. Il y avait la réprobation de l’homosexualité. Il y avait l’accusation de propagation du SIDA en Afrique. Il y avait l’interdiction du divorce. Et puis, il y avait le soupçon de refus du plaisir lors du zizipanpan. Autant de choses que la société ne saurait pardonner.

Depuis samedi, c’est du lourd : il y a la prétendue « réhabilitation » d’un évêque négationniste. Avouez que le catholique, pour être catholique, doit décidément avoir une paire de balloches bien accrochées. Ou être une fille.

Après son arrestation par Vichy, Mounier appelait du fond de la Drôme à revitaliser, voire reviriliser, le catholicisme : « »qu’on ne fasse plus à nos jeunes chrétiens de ces regards sans acier dont on ne sait s’ils offrent ou s’ils mendient l’amour ou je ne sais quel sentiment qui reste entre l’offre et la demande, entre l’amour ou le néant, écrivait-il. Qu’ils apprennent à marcher dans le vent et seuls ». (L’affrontement chrétien)

En l’occurrence, duc in altum, duc in altum : j’avance en eaux profondes, malgré le vent et la tempête, j’avance, j’ai confiance, j’ai confiance, j’ai confiance (il faut le répéter trois fois, sinon ça ne marche pas). Je suis dans le vent, et seul : quel bel exercice pratique que cette levée d’excommunication !

Lorsque je lis, dans La Croix et dans Le Monde, que Matthieu Grimpret, auteur de Jeune, catholique et heureux de l’être, proclame sa « honte d’être catholique », je dis non ! Aujourd’hui encore, je suis jeune et catholique. Je suis surtout toujours heureux de l’être. Et, n’en déplaise, j’en suis même fier. D’ailleurs, on ne peut être fier que des choix difficiles : l’occasion est donc rêvée. Et puisque je ne voudrais pas donner raison aux intégristes, moi, je fais la preuve de mon obéissance filiale sans réserves… voyez l’acier dans mon regard.

Pour autant, et toujours pour ne pas donner raison aux intégristes de tout poil, je sais que la disposition au martyr n’est pas une preuve suffisante de la pertinence d’une position. Alors tâchons de nous expliquer. Car, dans la précipitation habituelle, il est un mot que se renvoient les uns et les autres, de site à site, sans se soucier de sa parfaite inexactitude : le Vatican aurait « réhabilité » Richard Williamson. Selon Matthieu Grimpret, il s’agit même de « rendre toute sa place à un évêque qui nie la Shoah ». Au risque de lasser mon lectorat, je dis et je redis non !

Le 7 décembre 1965, le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras lisaient une déclaration commune par laquelle ils levaient les excommunications réciproques prononcées par les deux églises chrétiennes. Quarante-quatre ans après, le dialogue se poursuit continue, franchit des étapes remarquables, mais les églises orthodoxes et catholiques sont toujours séparées. La Fraternité Saint-Pie X (ie les intégristes) en général et Richard Williamson en particulier n’ont donc pas, du seul fait de la levée de l’excommunication qui les frappait, rejoint le giron de l’Eglise catholique romaine.

Le fait d’avoir levé les excommunications permet uniquement d’envisager un dialogue sur les divergences de fond.

Richard Williamson n’est pas aujourd’hui un membre de l’Eglise catholique. Il n’en est pas un fidèle, il n’en est pas un évêque. Et, si le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X promet d’être ardu, avec Richard Williamson, cela promet d’être encore une autre paire d’étoles. Car ce bonhomme apparemment calme qui réussit le tour de force de considérer que le 11 septembre est le fait du gouvernement américain et de citer les Protocoles des sages de Sion, estime aussi que Vatican II est l’œuvre d’un complot judéo-maçonnique contre l’Eglise… Autant dire que, si l’Eglise peut l’endurer, il se montre également insultant à son encontre. L’heure de la « réhabilitation » de Richard Williamson n’a pas sonné. Et l’on peut penser qu’elle ne sonnera jamais.

Williamson est d’ailleurs à ce jour toujours suspens a divinis : il n’est pas en pleine communion avec le Pape, ne peut prêcher dans l’Eglise catholique, ni donner la communion, ou aucun autre sacrement. Les prêtres qu’il ordonne sont toujours eux-mêmes suspens a divinis et les sacrements que donnent ces derniers donnent sont illicites.
Williamson est toujours frappé de cette sanction, contre ce que l’Eglise considère comme un délit, et celle-ci l’empêche de se réclamer de l’Eglise catholique, la seule, la vraie, l’unique, la sainte, l’apostolique et romaine. Bref : la mienne.

Voilà bien toute la quadrature du cercle car nous attendons tous confusément du Pape qu’il pose aujourd’hui un acte clair pour réaffirmer ce que seuls des esprits aussi affûtés que celui de Williamsom peuvent lui contester : son ferme rejet de tout ce que sous-tendent les propos de Willy, et ses propos mêmes. Bref, qu’il le sanctionne, qu’il le colle à Parthenia à la place de Mgr Gaillot, qu’il l’envoie comme le défunt fondateur des Légionnaires du Christ mener une vie de retraite et de prière dans un monastère isolé, où il devra assister chaque jour à la messe en langue vernaculaire, ceci à supposer bien sûr que la justice britannique ne s’en saisisse pas avant.

Seulement voilà : Richard Williamson ne fait pas partie de l’Eglise catholique, et le Pape serait bien en peine de sanctionner. Tragique, non ?

D’ailleurs, on notera que, le Vatican ne pouvant le faire, la Fraternité Saint-Pie X l’a fait et a demandé pardon au Pape et à tous les hommes de bonne volonté pour les propos tenus.
Bref, je comprends parfaitement le trouble causé et l’incompréhension, d’autant que je ne me rencarde moi-même sur les sanctions canoniques que depuis vendredi dernier. Mais, si la tâche est rude, si la communication entre le Vatican et le monde – moins pressé de connaître les formules de l’Eglise que celles d’Harry Potter – est difficile, on ne peut renoncer à expliquer encore. Et l’on ne peut laisser croire, Matthieu, que les divorcés-remariés soient, eux, excommuniés, et que l’Eglise soit en train de négocier le retour d’un évêque qui nie la Shoah.

Je n’ai pas honte d’être catholique car, bien comprise, la décision du Pape, solidaire des juifs, n’emporte évidemment aucune acceptation des « opinions négationnistes et des comportements à l’égard des juifs, inacceptables de la part de certains membres des communautés auxquelles l’évêque de Rome tend la main ».
Je n’ai pas honte d’être catholique quand l’Eglise tente, au-delà de tel ou tel hiérarque, de rassembler les brebis plutôt que de prendre son parti, plus facile, de la division.
Je n’ai pas honte d’être catholique car « les propos négationnistes ne sont pas ceux d’un chrétien ». Ils n’ont rien à voir avec ma foi. Ils ne sont que l’expression de la bêtise ordinaire dont le baptême pas plus que l’ordination ne protègent qui que ce soit.
Je suis pour ma part toujours jeune, toujours catholique, toujours heureux de l’être.
C’est quand le vent se lève qu’il faut tenir la barque.
Les marins le savent.

Alors, comme disent les Marines et Saint-Malo : Semper fidelis.

Pourquery démissionne de Libé

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Un de nos correspondants permanents dans les rédactions parisiennes nous signale qu’il y a à peine quelques minutes, Didier Pourquery, directeur délégué de la rédaction, vient d’annoncer son départ imminent de Libération. Une démission qui serait anodine si le quotidien n’était pas en ébullition permanente depuis plusieurs semaines. Effondrement des ventes (45 000 exemplaires certains jours) ; crainte d’un énième plan de redressement, donc de licenciements ; rumeurs persistantes d’exfiltration de Joffrin vers des cieux plus cléments ; pressions assez bébêtes de l’actionnaire majoritaire pour que chaque journaliste produise « plus de copie par jour », sans trop se soucier de la ligne éditoriale. Et donc maintenant, départ de Pourquery qui dirigeait de fait le journal, pour le plus grand malheur de celui-ci. On imagine donc que Rothschild va devoir lancer un appel à candidature qui s’agrégera, nous en sommes sûrs, au désormais fameux Appel des Appels.

L’axe Paris-Pékin est mal parti

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La Chine veut humilier la France. Dans la tournée européenne que son Premier ministre Wen Jiabao va effectuer cette semaine, Paris fait figure de grand absent. Quel péché, demanderez-vous, avons-nous commis pour mériter ce châtiment aussi exemplaire que public ? Ceux qui pensent que l’ire de Pékin a été attisée par l’entretien que le président de la République a osé accorder au Dalaï Lama ont tout faux, ce ne peut être la véritable motivation des Chinois. La preuve ? Il suffit d’examiner l’itinéraire de Wen Jiabao : parmi les pays non-ignorés figurent l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Or, bien que cela date de six mois, on n’a pas oublié qu’Angela Merkel avait décidé de bouder la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin le 8 août dernier. Dans l’étape suivante de son périple européen, le Premier ministre chinois serrera la main d’un autre boycotteur, Gordon Brown, qui avait annoncé quatre mois avant l’événement son intention de ne pas se rendre à Pékin pour ladite cérémonie. Après un passage de la flamme olympique un peu perturbé à Londres, cette décision avait provoqué la fureur des autorités chinoises qui se sont, comme on peut en juger, calmées depuis.

Contrairement à Merkel et Brown qui ont boycotté la cérémonie d’ouverture sans perdre le droit à cette visite d’Etat, Sarkozy semble avoir perdu sur les deux tableaux. Le président de la République a choisi de se rendre à Pékin, ne voulant trop tirer sur une corde déjà assez raide après les incidents qui avaient émaillé le passage de la flamme à Paris. De plus, non content d’avoir semé la pagaille à Paris, le reporter sans frontières français Robert Menard avait réussi à perturber la cérémonie de l’allumage de la flamme en Grèce, ce qui avait indisposé les Chinois contre la France. Quand les enfants cassent, les parents doivent payer. L’Elysée comprend cette philosophie et préférant les intérêts de la France aux éphémères bénéfices médiatiques d’une position droit-de-l’hommiste, Sarkozy a dépêché sur place Raffarin et Poncelet, porteurs d’une lettre de plates excuses présidentielles à la demoiselle Jin Jing, l’escrimeuse handicapée qui avait porté la flamme olympique lors de son passage mouvementé à Paris.

Peu importe la façon dont on tourne cette affaire, la France a clairement tout fait pour ne pas fâcher les Chinois, assurant en même temps un service minimum vis-à-vis des Tibétains. Paris a certainement fait plus de chemin vers Pékin que Londres et Berlin. Résultats : le sommet sino-européen qui devait avoir lieu à Lyon ainsi que la rencontre prévue entre dirigeants chinois et français pour marquer le 45e anniversaire de l’établissement des relations ente les deux pays sont annulés (« reportés sans nouvelle date », en jargon diplomatique) et Wen Jiabao contourne soigneusement la France. Tout ça pour ça. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères s’emballe alors, avec sa prose d’un autre siècle : « Le revers des relations bilatérales n’est pas de la responsabilité de la Chine, et ce n’est pas ce que nous souhaitons voir » ou encore « Il est mieux que celui qui a fait défasse ce qu’il a fait. Nous espérons que la France prêtera une pleine attention aux préoccupations centrales de la Chine, prendra des mesures concrètes […] et ramènera les relations bilatérales sur la voie d’un développement sain ».

S’il s’agissait seulement d’un jeu diplomatique entre gouvernements, cette prose prêterait plutôt à sourire mais le problème est plus profond. Selon les professionnels du tourisme en France, sur les 9 premiers mois de l’année 2008, la fréquentation des touristes chinois dans l’hôtellerie française aurait chuté de 17%. Ce phénomène coïncide donc avec les « tensions olympiques » et précède la crise économique. Pas très grave ? Peut-être, mais le risque est que par ce jeu le gouvernement chinois transforme la France en une sorte de bouc émissaire responsable de tous les maux de l’Occident. Tout le monde se veut sa photo avec le Dalaï Lama ? c’est la France qui paye. En Grèce, à Londres, San-Francisco et Paris, le passage de la flamme ne se passe pas comme on se l’imaginait à Pékin ? On boycotte Carrefour et annule des voyages en France. Or, une fois qu’ils sont enracinés, il est presque impossible de se débarrasser des ces stéréotypes. Le « France bashing » pourrait devenir un sport national, et en Chine le sport est une affaire sérieuse.

Pourquoi s’en prendre à la France ? La Chine semble fâchée tout rouge contre la France, mais on peut aussi voir les choses autrement : ne cherche-t-elle pas à faire un exemple pour montrer urbi et orbi qu’il ne faut pas l’énerver ? Pour ce genre de démonstration, la cible idéale est celle qui assure un bon rapport risques/gains, autrement dit une victime dont on n’a pas vraiment peur et dont on peut obtenir des excuses avec force courbettes et messages de paix et d’amitié entre les peuples. Et puisque c’est ainsi et parce que nous sommes en crise économique, je propose qu’on nomme Raffarin ambassadeur à Pékin : pour faire le dos rond, il a le physique de l’emploi et pas mal d’expérience.

Les poings sur les i

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Interrogé hier matin dans le journal d’Ali Baddou, Olivier Besancenot s’est cru obligé de faire la leçon à Marc Kravetz, qui lui demandait, très conventionnellement pourtant, si c’était le racisme qui avait motivé ses premiers engagements. Notre ami le postier a tenu à reformuler la question en précisant, pour que les choses soient bien claires, que c’est au contraire l’antiracisme qui avait déclenché ses premiers émois contestataires. Du coup, Kravetz, vexé, a renvoyé l’invité dans ses cordes en lui expliquant sèchement qu’on était sur France Cul et que tout le monde avait compris le sens de la question, sauf lui apparemment.
Kravetz, faut pas le réveiller.

Mourir pour l’Afghanistan ?

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On peut faire semblant de l’oublier : mais la guerre, c’est moche. Et ça tue. Le 18 août, elle a fait brutalement irruption dans la réalité politique et médiatique française, quand dix soldats sont morts dans une embuscade dans une vallée reculée d’Afghanistan. Depuis 2001, la France est présente aux côtés de contingents américains, anglais ou allemands. Une action dans un « cadre multinational », des troupes noyées dans un mille-feuille de commandements multiples. Autant dire que la France n’a pas de stratégie. Ce flottement, cette « impasse militaire totale et durable » a poussé Jean-Dominique Merchet, journaliste à Libération à écrire dans l’urgence Mourir pour l’Afghanistan, (Jacob-Duvernet éditeur).

Merchet ne peut guère être suspecté de ne pas aimer le drapeau et encore moins d’avoir viré antimilitariste. Il tient le blog le plus prodigieusement exotique de Libération, Secret défense, dans lequel à longueur de posts il donne la parole aux galonnés, stratèges militaires ou simples biffins en colère. L’enseigne des lieux dit bien ce qu’elle veut dire : « Rien de ce qui est kaki, bleu marine ou bleu ciel ne nous est étranger. »

En vertu de quoi, Merchet n’aime guère qu’on se planque derrière la dignité des militaires et qu’on se drape dans l’honneur de la patrie ou qu’on radote sur le courage de nos soldats, juste pour éviter de dire clairement pourquoi nous sommes en Afghanistan. « Le soldat peut mourir, mais pas en victime de la figuration internationale », comme l’a dit François Sureau, dans un texte glaçant et sublime publié dans Le Figaro, en août dernier.

Mourir pour l’Afghanistan surprend : en effet, pour Jean-Dominique Merchet, il faut quitter l’Afghanistan et « le plus vite possible ». Au risque de laisser le pays aux Afghans, au risque de « baisser notre niveau d’exigence quant aux résultats obtenus et passer des compromis avec des gens peu recommandables », en clair les islamistes ou trafiquants. Rappelons que la justification officielle de la présence de nos soldats sur place est simple voire simplette : « nous sommes en Afghanistan pour empêcher les attentats dans le métro à Paris », lui explique un responsable militaire Français. Refrain repris en cœur par l’inénarrable ministre de la Défense, Hervé Morin.

Un conte de fées auquel Merchet ne croit pas : si les militaires occidentaux sont là bas pour détruire les « sanctuaires » où se planquent les djihhadistes d’Al-Qaida, qui ensuite visent des tours avec des 747 ou transforment des palaces indiens en Fort Chabrol, autant dire que les Occidentaux font mal leur boulot. En sept ans d’opérations militaires, une seule partie dudit sanctuaire est ratissée. Et personne surtout ne se hasarde à aller gratter du côté pakistanais de la frontière, là ou manifestement on se cache. « Nous luttons contre le terrorisme en Afghanistan, mais nous nous arrêtons à la frontière », rigole Jean-Dominique Merchet. Résultat, non seulement Mollah Omar peut continuer à fuir à mobylette et Ben Laden à menacer la terre entière dans des vidéos collectors, mais en plus la Coalition offre sur un plateau des cibles de choix aux terroristes en la personne de ses vaillants soldats professionnels. Une aubaine pour des terroristes biberonnés à CNN et à Youtube, qui sentent bien que dix militaires tués, dans un petit pays comme la France peuvent déclencher un bordel politique monstre. Surtout quand le Président de la République se précipite sur place et que le ministre de la Défense est suffisamment stupide pour essayer de faire croire que nos « soldats ne sont pas là bas pour faire la guerre, mais pour faire la paix. »

Merchet s’agace aussi du manque de moyens dont disposent les militaires français et narre, par exemple un épisode qui pourrait être comique, la bataille des armées pour obtenir des « tourelleaux téléopérés ». Un truc qui, en gros, permet de tirer sur l’ennemi sans avoir à faire le mariole sur le capot des véhicules blindés, à portée de lance-pierre des talibans. Jean-Dominique Merchet en reste songeur : « Lorsqu’on se penche sur la manière dont fonctionnent conrètement les armements, on se demande parfois si les états-majors ont envisagé, ne serait-ce qu’un seul jour qu’ils puissent être employés à la guerre. La vraie, celle ou l’ennemi n’est pas toujours animé des meilleurs intentions. »

La fin, on la connaît : il est probable que, dans quelques mois ou dans quelques années, il se trouvera un ministre Français pour dire : « Le départ de nos troupes n’est pas une défaite. L’armée est en excellente condition et le moral est élevé. C’est un départ organisé d’un pays que nous n’avions pas l’intention d’occuper. » Il suffira aux officiels français de copier-coller cette déclaration signée des responsables soviétiques en Afghanistan. Entre experts en déculotée, on devrait se comprendre.

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Causez badgés !

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La crise est là, les établissements de la place Vendôme vous sont inaccessibles et pourtant, Madame, Monsieur, vous souhaitez offrir à la femme ou à l’homme de vos pensées un témoignage précieux de votre vénération… N’allez pas plus loin ! Causeur met le luxe à votre portée en ouvrant la boutique la plus hype de la place. Trois séries collector de cinq badges, tirées chacune à vingt exemplaires, vous sont proposées à un prix défiant toute concurrence. Réalisés dans un alliage des métaux les plus nobles (fer, aluminium, papier mâché et il doit bien y avoir un peu de mercure et de plomb), ces badges vous permettront de briller en société tout en gagnant en élégance. Ces badges ont également une utilité pour : écarter les esprits mauvais, désenvoûter, faire revenir l’affection, accroître sa chance au Loto, favoriser la fécondité, etc. En un mot comme en cent : causez badgés !

Ceci était un communiqué du Mage John Cohen-Mamadou, chef de la division marketing de Causeur.fr

Benoît XVI, ton nouveau voisin de palier

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Village planétaire. Je n’ai jamais compris l’expression et je tiens pour des gogos ceux qui lui prêtent le moindre sens. Ils ignorent au moins deux choses : ce qu’est un village et ce qu’est une planète. Pourtant, la crise aidant, on nous rebat les oreilles depuis quelques mois de ce terme inventé par McLuhan en 1967. L’universitaire canadien venait alors de se faire installer le téléphone dans son appartement de Toronto, avait trouvé le procédé fort ingénieux et en avait sorti un essai : The Medium is the message. Il faut dire qu’à l’époque McLuhan ne savait composer que le numéro de l’horloge parlante et chaque matin, durant dix ans, il l’appela à 10 heures précises pour vérifier qu’il était bien 10 heures. Le jour où il apprit qu’il existait d’autres numéros, que l’on pouvait parler dans le combiné et s’attendre même à recevoir une réponse, il était trop tard : McLuhan était déjà mort.

Les choses en seraient restées là s’il ne s’était pas trouvé pourtant quelques penseurs d’envergure mondiale – comme Jacques Attali ou Alain Minc pour ne citer que les plus brillants – pour populariser le terme de « village planétaire » et le faire entrer dans le langage courant. Je ne dis pas qu’Internet n’a rien changé à la marche du monde : le type de la campagne qui devait mettre un imperméable beige, prendre un billet de seconde classe et monter à la ville pour aller au ciné porno n’a plus besoin que d’une connexion haut débit pour mater chez lui des filles se gamahuchant avec distinction. Hier encore, il était obligé de se mettre sur son trente-et-un pour assister à un meeting de Nadine Morano : aujourd’hui il peut suivre, installé dans son canapé, une canette de bière à la main, les circonvolutions rhétoriques de la plus brillante parlementaire française de sa génération. C’est là le principal apport d’Internet à l’humanité : les hommes qui autrefois devaient enfiler un pantalon s’ils voulaient participer à la marche du monde peuvent rester en caleçon pour s’en gratter une sans réveiller l’autre.

Moi, remarquez, le village global, je ne m’en soucie guère : je vis dans un immeuble planétaire (global building). Au rez-de-chaussée, il y a un restaurant chinois, assez convenablement tenu par une famille de boat people qui a abandonné la navigation en solitaire pour remplir de nems et de corbeilles cinq bonheurs les ventres occidentaux affamés. Au premier étage, un couple d’homosexuel sans enfant (les pauvres, l’un d’entre eux est stérile) fait face à une octogénaire catholique et tradi. Au second étage, nous partageons le palier avec un médecin noir qui vit à la colle avec une sud-américaine reconnaissable de loin à son bonnet péruvien et à sa flûte de pan, tandis que le troisième étage abrite les Cohen et, face à eux, un retraité de la Sparkasse devenu antisémite notoire le jour où Mme Cohen, sa voisine, a prétendu que son chien n’était pas propre et qu’il avait fait ses besoins sur son paillasson. Regardez c’est encore frais et n’allez pas me dire que votre sale clébard n’y est pour rien.

Tout cela forme une micro-société aussi parfaite que solidaire : quand un voisin manque de quelque chose, il est suffisamment poli pour ne pas déranger les autres. Lorsque nous nous croisons dans l’escalier nous sommes assez respectueux de notre prochain pour ne pas nous saluer et risquer de nous perdre dans une conversation qui, de toute façon, ne déboucherait sur rien d’autre que briser le fragile équilibre de notre diversité locative.

Et voilà que, patatras, le ciment qui faisait toute la cohésion de mon immeuble planétaire vient de s’effriter hier soir sur les coups de 20 heures. L’une des locataires m’a adressé la parole. L’ascenseur était en panne et je m’étais résolue à gravir les trois étages qui me séparaient de mon appartement lorsque, au premier, la porte de Madame Wimmzer s’est entrouverte à mon passage.

– Psst, psst, Frau Kohl, Frau Kohl ! Une chose très grave est arrivée. Jésus, Marie ! L’antéchrist ! Il est là !, me lança-t-elle, l’air aussi ahuri qu’un Badiou[1. Alain Badiou, philosophe français. Après avoir été le pote de Pol Pot, il devint le pote de Paul, le saint.] découvrant que Sarkozy est de droite.
– Voyons, Frau Wimmzer, calmez-vous. Vous avez pris vos médicaments ?
– De l’eau de Lourdes, trois fois. Mais rien n’y fera !, pleura la vieille bigote en me tirant par la manche pour me faire entrer chez elle.

La porte se referma sur moi. Je faisais face à ce qu’une protestante comme moi n’aurait jamais pu imaginer, même dans ses marrades antipapistes les plus achevées. C’était comme un autel vaudou qui trônait dans la salle à manger de Madame Wimmzer. Une statue en plâtre de bonne taille occupait le plus gros de la carrée. Sans doute moulée par les pieds d’un artiste unijambiste, la ressemblance avec Pie XII ne frappait pas au prime abord, mais l’inscription sur le socle ne laissait aucun doute. C’était bien lui. Des dizaines de photos, de portraits et de médailles votives représentant le pape Pacelli s’étalaient sur les murs. Des bougies illuminaient l’endroit et l’odeur de l’encaustique mêlée à celle du renfermé donnait passablement l’idée d’un puissant encens.

Madame Wimmzer me tendit la Badische Zeitung du matin, se signa et, un chapelet à la main, s’agenouilla péniblement sur un prie-dieu. Le journal faisait une manchette sur la nouvelle du jour : « Le pape fait son entrée sur Youtube ! »

J’eus beau expliquer à Madame Wimmzer ce qu’était Youtube, que ce n’était pas un site pornographique comme elle le croyait, ni qu’il fallait être nécessairement drogué, prostitué, admirateur de Belzébuth ou lecteur des pages éco du Figaro pour le fréquenter et y publier des vidéos. Rien n’y fit.

– Il nous redonne la messe en latin, il nous réintègre dans la communion de notre Sainte Mère l’Eglise, il nous redonne nos évêques – et des pas mal du tout ! Tout ça pour au final montrer Ses Saintes Fesses sur Internet ! Seigneur, délivre notre Pape de Youtube ! Délivre notre Pape de Youtube !

Avant de finir totalement noyée sous les aspersions d’eau bénite dont elle me gratifiait depuis dix minutes déjà, je m’éclipsai, sans mot dire, abandonnant la vieille Wimmzer à ses sanglots tridentins. Après la soutane dans les dents, la webcam dans la mitre : les temps changent[2. Les temps changent si profondément d’ailleurs que le site Youtube du pape est disponible en quatre langues : anglais, italien, espagnol et allemand. La francophonie progresse.].

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Le cas Routchy

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En 1856, la rumeur circula un temps à Paris que le fils de l’impératrice Eugénie n’était pas issu du lit conjugal. Certaines gazettes prêtaient au duc de Morny la paternité de Louis Napoléon Eugène tandis que d’autres pariaient leur honneur et leur fortune sur Victor de Persigny ou Eugène Rouher. Tous nièrent en bloc. Les regards et les doutes se portèrent alors sur Casimir Routchy, premier camériste de l’Empereur. Dans un premier temps, Casimir Routchy ne prêta pas le flanc aux rumeurs, confiant même à Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique : « Je ne suis pas le père de l’enfant. Et tu as vu sa gueule, à la Montijo ? Je tiens à mon standing[1. C’est la première occurence de l’emploi du terme standing en langue française. Jean Dutourd.], moi. » Puis, la rumeur augmentant et risquant le licenciement, il accorda une interview au Moniteur dans laquelle il avouait à la face du monde son petit défaut[2. On disait comme ça à l’époque quand on en avait un gros.]. Apprenant cela, Napoléon III exila son chambrier à Londres : ce fut le premier outing de l’histoire.

John Bentley, Portrait de Casimir Routchy, jeune homme. Huile sur toile, 1858, conservée dans le bureau du président de la Région Ile-de-France, mais sortie depuis peu.

Complot rose-brun dans l’édition française

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Décidément, le ventre qui a enfanté la bête immonde est encore fécond. Sommes-nous donc périodiquement condamnés à revivre ces offensives larvées qui veulent mettre à genoux l’Empire du Bien, du Beau et de la Diversité. Oh, bien sûr, nous savons depuis le second tour des élections de 2002, quand Le Pen est arrivé en finale, que le fascisme est à nos portes, malgré vingt ans de vigilance antiraciste, de films recommandés par Télérama et de romans concernés de Didier Daeninckx. Bien sûr, nous avons poussé un soupir de soulagement quand des centaines de milliers de jeunes qui n’avaient jamais voté le firent avec leurs pieds démocrates entre les deux tours et repoussèrent l’hydre infâme, offrant un score sud-américain au président Chirac.

Mais le fascisme n’est pas seulement une bête immonde, c’est aussi une bête rusée, une vieille taupe mutante et parasitaire, capable de s’emparer d’un organisme sain et de le transformer en zombie de l’intolérance, de la haine et de l’exclusion, un peu comme dans l’immortel chef d’œuvre cinématographique de Don Siegel, L’invasion des profanateurs de sépulture.

Les lecteurs de Causeur se souviendront sans doute de l’effroyable complot rouge-brun qui au début des années 90 faillit submerger notre démocratie française. Ce complot unissait dans son lit les cheveux blonds, les cheveux gris d’intellectuels dévoyés, ex-communistes, crypto-fascistes, païens, bretons, russes, voire talentueux. On pouvait les trouver par exemple dans les colonnes de L’Idiot International, sous la plume de Jean-Edern Hallier, son chef d’orchestre nihiliste, des articles toujours plus anti-mitterrandiens, ce qui était bien la preuve de son aberration mentale. Lui qu’on croyait héritier de Chateaubriand était en fait un disciple secret d’Ernst Von Salomon, un réprouvé rêvant de Corps francs pour en finir avec ce modèle de société humaniste que représenta le second septennat de François Mitterrand, celui qui vit devenir ministre le camarade Bernard Tapie.

Ces rouge-bruns s’illustrèrent dans toute leur infamie lors du conflit en ex-Yougoslavie, prononçant régulièrement l’éloge des Serbes qui étaient alors le dernier peuple national-communiste d’Europe et qui en reçurent un juste châtiment quelques années plus tard grâce à des bombardements massifs de l’Otan. Au premier rang d’entre eux se trouvait un certain Edouard Limonov. D’aucuns le tiennent pour un écrivain majeur de ce temps, c’est surtout un monstre et ceux qui diront que ce n’est pas incompatible sont bons pour un stage de rééducation démocratique à la prochaine université d’été du Modem.

Longtemps, Limonov, qui est fourbe et cruel comme tous les rouge-bruns, fit illusion. En effet, il avait fui l’Union Soviétique pour New York en 1975 et New York pour Paris en 1980. Le problème, c’est qu’à la lecture un peu sérieuse de romans comme Autoportrait dans son adolescence, L’Etranger en sa ville natale et surtout La Grande époque où il trace le portrait ému de son père officier du NKVD, on s’aperçut avec horreur qu’il était dissident, certes, mais parce qu’il ne trouvait plus l’URSS assez stalinienne à son goût. Déjà, il voyait sous Brejnev percer Gorbatchev, et sous Gorbatchev, Elstine ce modernisateur qui rendit la Russie si attrayante en dérégulant l’économie et l’espérance de vie des plus pauvres.

Et la voilà chez nous, cette infâme créature, pervertissant nos écrivains et allant jusqu’à faire le coup de feu sur les hauteurs de Sarajevo ou en Transnistrie, cette région russe de la Moldavie qui voulait rester russe. Heureusement, nombre de Vigilants signèrent de nombreuses pétitions, des proscriptions furent dressées et des interdictions professionnelles prononcées. Le bloc central médiatique qui protège notre cher Empire du Bien (Le Monde, Libé, Télérama pour faire vite) non seulement ne parla jamais des livres de Limonov mais, en plus, contribua à réduire quasi-militairement cette atroce aberration idéologique qu’il avait suscitée. Un ouf de soulagement fut poussé, Limonov rentra en Russie et comme il avait décidément le diable au corps, il y créa aussi sec son Parti National-Bolchévique, fut arrêté et emprisonné entre 2001 et 2003.

On aurait pu penser que l’affaire allait s’arrêter là. Il y eut bien quelques pétitions que l’on fit circuler en France pour sa libération mais, heureusement, nos pétitionnaires professionnels gardèrent leur stylo au chaud car autant on a le droit de signer pour un mauvais écrivain démocrate autant il vaut mieux éviter quand il s’agit d’un très bon idéologiquement suspect.

Mais, non, le cauchemar continue et il nous revient de plein fouet ces jours-ci avec le dernier livre de Limonov, Mes Prisons, publié aux éditions… Actes Sud ! Oui, mesdames et messieurs, aux éditions Actes Sud ! La maison fondée par Hubert Nyssen était pourtant réputée sûre. Imaginez un peu, on y édite Berberova, Paul Auster, beaucoup de Scandinaves champions du partage des tâches domestiques. Autant dire que cette maison avait parfois des allures d’annexe littéraire de « Désirs d’Avenir » ou de la défunte Camif. Des livres de chez Actes Sud dans votre bibliothèque, c’était une assurance donnée aux gens qui venaient chez vous : vous étiez fréquentable, forcément fréquentable.

Et là, tout d’un coup, comme un bloc d’abîme, Limonov… `

Ce n’est plus d’un complot rouge-brun dont il s’agit ici mais bel et bien d’un complot rose-brun dont Actes Sud, qui avait déjà réédité en poche un roman posthume de l’infâme ADG, J’ai déjà donné, est devenu par on ne sait quelles obscures manœuvres le vaisseau-amiral.

C’est un jour tragique pour l’édition et la démocratie. Mais nous nous battrons. Jusqu’au bout. Les stylos pétitionnaires sont déjà dégainés. Actes Sud n’a qu’à bien se tenir.

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Téhéran, le retour

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Ça y est, ça commence. Selon le numéro de samedi du Times, plusieurs puissances occidentales se sont lancées avant Noël dans une course diplomatique pour convaincre les pays producteurs d’uranium de ne pas approvisionner l’Iran, dont les stocks de yellowcake seraient presque épuisés.

Cette information est tellement bizarre que même l’analyste du prestigieux quotidien londonien semble douter de l’efficacité de ces mesures, qui consistent à verrouiller les portes de l’écurie longtemps après qu’il n y ait plus de chevaux. On peut ajouter aussi qu’il est au moins bizarre que les puissances occidentales qui traitent ensemble le dossier iranien (US, Grand Bretagne, France, Allemagne) aient attendu Noël 2008 pour empêcher Téhéran de se procurer de l’uranium.

Pourquoi donc cette information et pourquoi maintenant ? Il faut d’abord préciser que la source est très probablement le Whitehall britannique – il suffit de lire le papier publié par le Times pour s’en rendre compte. L’honorable correspondant qui a appelé le journaliste du quotidien de référence londonien et lui a payé un fish & chips ou un chicken tikka (les temps sont durs) dans la City voulait sans doute réorienter le buzz médiatique de ces jours-ci, encore très largement focalisé sur Gaza et y replacer le nucléaire iranien, même si tout ce que l’on a à servir au public est un vieux plat de nouilles réchauffé. Quant au timing, les Iraniens ont utilisé le Hamas pour kidnapper l’agenda d’Obama, dès son installation dans le bureau ovale. Sur l’échiquier du Moyen-Orient, Téhéran a donc avancé un fou à Gaza, en vertu de quoi Washington avance de son côté une tour à Londres.

Toujours jeune, toujours catholique et toujours heureux de l’être

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Il y avait l’opposition à l’avortement. Il y avait la réprobation de l’homosexualité. Il y avait l’accusation de propagation du SIDA en Afrique. Il y avait l’interdiction du divorce. Et puis, il y avait le soupçon de refus du plaisir lors du zizipanpan. Autant de choses que la société ne saurait pardonner.

Depuis samedi, c’est du lourd : il y a la prétendue « réhabilitation » d’un évêque négationniste. Avouez que le catholique, pour être catholique, doit décidément avoir une paire de balloches bien accrochées. Ou être une fille.

Après son arrestation par Vichy, Mounier appelait du fond de la Drôme à revitaliser, voire reviriliser, le catholicisme : « »qu’on ne fasse plus à nos jeunes chrétiens de ces regards sans acier dont on ne sait s’ils offrent ou s’ils mendient l’amour ou je ne sais quel sentiment qui reste entre l’offre et la demande, entre l’amour ou le néant, écrivait-il. Qu’ils apprennent à marcher dans le vent et seuls ». (L’affrontement chrétien)

En l’occurrence, duc in altum, duc in altum : j’avance en eaux profondes, malgré le vent et la tempête, j’avance, j’ai confiance, j’ai confiance, j’ai confiance (il faut le répéter trois fois, sinon ça ne marche pas). Je suis dans le vent, et seul : quel bel exercice pratique que cette levée d’excommunication !

Lorsque je lis, dans La Croix et dans Le Monde, que Matthieu Grimpret, auteur de Jeune, catholique et heureux de l’être, proclame sa « honte d’être catholique », je dis non ! Aujourd’hui encore, je suis jeune et catholique. Je suis surtout toujours heureux de l’être. Et, n’en déplaise, j’en suis même fier. D’ailleurs, on ne peut être fier que des choix difficiles : l’occasion est donc rêvée. Et puisque je ne voudrais pas donner raison aux intégristes, moi, je fais la preuve de mon obéissance filiale sans réserves… voyez l’acier dans mon regard.

Pour autant, et toujours pour ne pas donner raison aux intégristes de tout poil, je sais que la disposition au martyr n’est pas une preuve suffisante de la pertinence d’une position. Alors tâchons de nous expliquer. Car, dans la précipitation habituelle, il est un mot que se renvoient les uns et les autres, de site à site, sans se soucier de sa parfaite inexactitude : le Vatican aurait « réhabilité » Richard Williamson. Selon Matthieu Grimpret, il s’agit même de « rendre toute sa place à un évêque qui nie la Shoah ». Au risque de lasser mon lectorat, je dis et je redis non !

Le 7 décembre 1965, le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras lisaient une déclaration commune par laquelle ils levaient les excommunications réciproques prononcées par les deux églises chrétiennes. Quarante-quatre ans après, le dialogue se poursuit continue, franchit des étapes remarquables, mais les églises orthodoxes et catholiques sont toujours séparées. La Fraternité Saint-Pie X (ie les intégristes) en général et Richard Williamson en particulier n’ont donc pas, du seul fait de la levée de l’excommunication qui les frappait, rejoint le giron de l’Eglise catholique romaine.

Le fait d’avoir levé les excommunications permet uniquement d’envisager un dialogue sur les divergences de fond.

Richard Williamson n’est pas aujourd’hui un membre de l’Eglise catholique. Il n’en est pas un fidèle, il n’en est pas un évêque. Et, si le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X promet d’être ardu, avec Richard Williamson, cela promet d’être encore une autre paire d’étoles. Car ce bonhomme apparemment calme qui réussit le tour de force de considérer que le 11 septembre est le fait du gouvernement américain et de citer les Protocoles des sages de Sion, estime aussi que Vatican II est l’œuvre d’un complot judéo-maçonnique contre l’Eglise… Autant dire que, si l’Eglise peut l’endurer, il se montre également insultant à son encontre. L’heure de la « réhabilitation » de Richard Williamson n’a pas sonné. Et l’on peut penser qu’elle ne sonnera jamais.

Williamson est d’ailleurs à ce jour toujours suspens a divinis : il n’est pas en pleine communion avec le Pape, ne peut prêcher dans l’Eglise catholique, ni donner la communion, ou aucun autre sacrement. Les prêtres qu’il ordonne sont toujours eux-mêmes suspens a divinis et les sacrements que donnent ces derniers donnent sont illicites.
Williamson est toujours frappé de cette sanction, contre ce que l’Eglise considère comme un délit, et celle-ci l’empêche de se réclamer de l’Eglise catholique, la seule, la vraie, l’unique, la sainte, l’apostolique et romaine. Bref : la mienne.

Voilà bien toute la quadrature du cercle car nous attendons tous confusément du Pape qu’il pose aujourd’hui un acte clair pour réaffirmer ce que seuls des esprits aussi affûtés que celui de Williamsom peuvent lui contester : son ferme rejet de tout ce que sous-tendent les propos de Willy, et ses propos mêmes. Bref, qu’il le sanctionne, qu’il le colle à Parthenia à la place de Mgr Gaillot, qu’il l’envoie comme le défunt fondateur des Légionnaires du Christ mener une vie de retraite et de prière dans un monastère isolé, où il devra assister chaque jour à la messe en langue vernaculaire, ceci à supposer bien sûr que la justice britannique ne s’en saisisse pas avant.

Seulement voilà : Richard Williamson ne fait pas partie de l’Eglise catholique, et le Pape serait bien en peine de sanctionner. Tragique, non ?

D’ailleurs, on notera que, le Vatican ne pouvant le faire, la Fraternité Saint-Pie X l’a fait et a demandé pardon au Pape et à tous les hommes de bonne volonté pour les propos tenus.
Bref, je comprends parfaitement le trouble causé et l’incompréhension, d’autant que je ne me rencarde moi-même sur les sanctions canoniques que depuis vendredi dernier. Mais, si la tâche est rude, si la communication entre le Vatican et le monde – moins pressé de connaître les formules de l’Eglise que celles d’Harry Potter – est difficile, on ne peut renoncer à expliquer encore. Et l’on ne peut laisser croire, Matthieu, que les divorcés-remariés soient, eux, excommuniés, et que l’Eglise soit en train de négocier le retour d’un évêque qui nie la Shoah.

Je n’ai pas honte d’être catholique car, bien comprise, la décision du Pape, solidaire des juifs, n’emporte évidemment aucune acceptation des « opinions négationnistes et des comportements à l’égard des juifs, inacceptables de la part de certains membres des communautés auxquelles l’évêque de Rome tend la main ».
Je n’ai pas honte d’être catholique quand l’Eglise tente, au-delà de tel ou tel hiérarque, de rassembler les brebis plutôt que de prendre son parti, plus facile, de la division.
Je n’ai pas honte d’être catholique car « les propos négationnistes ne sont pas ceux d’un chrétien ». Ils n’ont rien à voir avec ma foi. Ils ne sont que l’expression de la bêtise ordinaire dont le baptême pas plus que l’ordination ne protègent qui que ce soit.
Je suis pour ma part toujours jeune, toujours catholique, toujours heureux de l’être.
C’est quand le vent se lève qu’il faut tenir la barque.
Les marins le savent.

Alors, comme disent les Marines et Saint-Malo : Semper fidelis.

Pourquery démissionne de Libé

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Un de nos correspondants permanents dans les rédactions parisiennes nous signale qu’il y a à peine quelques minutes, Didier Pourquery, directeur délégué de la rédaction, vient d’annoncer son départ imminent de Libération. Une démission qui serait anodine si le quotidien n’était pas en ébullition permanente depuis plusieurs semaines. Effondrement des ventes (45 000 exemplaires certains jours) ; crainte d’un énième plan de redressement, donc de licenciements ; rumeurs persistantes d’exfiltration de Joffrin vers des cieux plus cléments ; pressions assez bébêtes de l’actionnaire majoritaire pour que chaque journaliste produise « plus de copie par jour », sans trop se soucier de la ligne éditoriale. Et donc maintenant, départ de Pourquery qui dirigeait de fait le journal, pour le plus grand malheur de celui-ci. On imagine donc que Rothschild va devoir lancer un appel à candidature qui s’agrégera, nous en sommes sûrs, au désormais fameux Appel des Appels.

L’axe Paris-Pékin est mal parti

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La Chine veut humilier la France. Dans la tournée européenne que son Premier ministre Wen Jiabao va effectuer cette semaine, Paris fait figure de grand absent. Quel péché, demanderez-vous, avons-nous commis pour mériter ce châtiment aussi exemplaire que public ? Ceux qui pensent que l’ire de Pékin a été attisée par l’entretien que le président de la République a osé accorder au Dalaï Lama ont tout faux, ce ne peut être la véritable motivation des Chinois. La preuve ? Il suffit d’examiner l’itinéraire de Wen Jiabao : parmi les pays non-ignorés figurent l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Or, bien que cela date de six mois, on n’a pas oublié qu’Angela Merkel avait décidé de bouder la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin le 8 août dernier. Dans l’étape suivante de son périple européen, le Premier ministre chinois serrera la main d’un autre boycotteur, Gordon Brown, qui avait annoncé quatre mois avant l’événement son intention de ne pas se rendre à Pékin pour ladite cérémonie. Après un passage de la flamme olympique un peu perturbé à Londres, cette décision avait provoqué la fureur des autorités chinoises qui se sont, comme on peut en juger, calmées depuis.

Contrairement à Merkel et Brown qui ont boycotté la cérémonie d’ouverture sans perdre le droit à cette visite d’Etat, Sarkozy semble avoir perdu sur les deux tableaux. Le président de la République a choisi de se rendre à Pékin, ne voulant trop tirer sur une corde déjà assez raide après les incidents qui avaient émaillé le passage de la flamme à Paris. De plus, non content d’avoir semé la pagaille à Paris, le reporter sans frontières français Robert Menard avait réussi à perturber la cérémonie de l’allumage de la flamme en Grèce, ce qui avait indisposé les Chinois contre la France. Quand les enfants cassent, les parents doivent payer. L’Elysée comprend cette philosophie et préférant les intérêts de la France aux éphémères bénéfices médiatiques d’une position droit-de-l’hommiste, Sarkozy a dépêché sur place Raffarin et Poncelet, porteurs d’une lettre de plates excuses présidentielles à la demoiselle Jin Jing, l’escrimeuse handicapée qui avait porté la flamme olympique lors de son passage mouvementé à Paris.

Peu importe la façon dont on tourne cette affaire, la France a clairement tout fait pour ne pas fâcher les Chinois, assurant en même temps un service minimum vis-à-vis des Tibétains. Paris a certainement fait plus de chemin vers Pékin que Londres et Berlin. Résultats : le sommet sino-européen qui devait avoir lieu à Lyon ainsi que la rencontre prévue entre dirigeants chinois et français pour marquer le 45e anniversaire de l’établissement des relations ente les deux pays sont annulés (« reportés sans nouvelle date », en jargon diplomatique) et Wen Jiabao contourne soigneusement la France. Tout ça pour ça. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères s’emballe alors, avec sa prose d’un autre siècle : « Le revers des relations bilatérales n’est pas de la responsabilité de la Chine, et ce n’est pas ce que nous souhaitons voir » ou encore « Il est mieux que celui qui a fait défasse ce qu’il a fait. Nous espérons que la France prêtera une pleine attention aux préoccupations centrales de la Chine, prendra des mesures concrètes […] et ramènera les relations bilatérales sur la voie d’un développement sain ».

S’il s’agissait seulement d’un jeu diplomatique entre gouvernements, cette prose prêterait plutôt à sourire mais le problème est plus profond. Selon les professionnels du tourisme en France, sur les 9 premiers mois de l’année 2008, la fréquentation des touristes chinois dans l’hôtellerie française aurait chuté de 17%. Ce phénomène coïncide donc avec les « tensions olympiques » et précède la crise économique. Pas très grave ? Peut-être, mais le risque est que par ce jeu le gouvernement chinois transforme la France en une sorte de bouc émissaire responsable de tous les maux de l’Occident. Tout le monde se veut sa photo avec le Dalaï Lama ? c’est la France qui paye. En Grèce, à Londres, San-Francisco et Paris, le passage de la flamme ne se passe pas comme on se l’imaginait à Pékin ? On boycotte Carrefour et annule des voyages en France. Or, une fois qu’ils sont enracinés, il est presque impossible de se débarrasser des ces stéréotypes. Le « France bashing » pourrait devenir un sport national, et en Chine le sport est une affaire sérieuse.

Pourquoi s’en prendre à la France ? La Chine semble fâchée tout rouge contre la France, mais on peut aussi voir les choses autrement : ne cherche-t-elle pas à faire un exemple pour montrer urbi et orbi qu’il ne faut pas l’énerver ? Pour ce genre de démonstration, la cible idéale est celle qui assure un bon rapport risques/gains, autrement dit une victime dont on n’a pas vraiment peur et dont on peut obtenir des excuses avec force courbettes et messages de paix et d’amitié entre les peuples. Et puisque c’est ainsi et parce que nous sommes en crise économique, je propose qu’on nomme Raffarin ambassadeur à Pékin : pour faire le dos rond, il a le physique de l’emploi et pas mal d’expérience.

Les poings sur les i

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Interrogé hier matin dans le journal d’Ali Baddou, Olivier Besancenot s’est cru obligé de faire la leçon à Marc Kravetz, qui lui demandait, très conventionnellement pourtant, si c’était le racisme qui avait motivé ses premiers engagements. Notre ami le postier a tenu à reformuler la question en précisant, pour que les choses soient bien claires, que c’est au contraire l’antiracisme qui avait déclenché ses premiers émois contestataires. Du coup, Kravetz, vexé, a renvoyé l’invité dans ses cordes en lui expliquant sèchement qu’on était sur France Cul et que tout le monde avait compris le sens de la question, sauf lui apparemment.
Kravetz, faut pas le réveiller.

Mourir pour l’Afghanistan ?

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On peut faire semblant de l’oublier : mais la guerre, c’est moche. Et ça tue. Le 18 août, elle a fait brutalement irruption dans la réalité politique et médiatique française, quand dix soldats sont morts dans une embuscade dans une vallée reculée d’Afghanistan. Depuis 2001, la France est présente aux côtés de contingents américains, anglais ou allemands. Une action dans un « cadre multinational », des troupes noyées dans un mille-feuille de commandements multiples. Autant dire que la France n’a pas de stratégie. Ce flottement, cette « impasse militaire totale et durable » a poussé Jean-Dominique Merchet, journaliste à Libération à écrire dans l’urgence Mourir pour l’Afghanistan, (Jacob-Duvernet éditeur).

Merchet ne peut guère être suspecté de ne pas aimer le drapeau et encore moins d’avoir viré antimilitariste. Il tient le blog le plus prodigieusement exotique de Libération, Secret défense, dans lequel à longueur de posts il donne la parole aux galonnés, stratèges militaires ou simples biffins en colère. L’enseigne des lieux dit bien ce qu’elle veut dire : « Rien de ce qui est kaki, bleu marine ou bleu ciel ne nous est étranger. »

En vertu de quoi, Merchet n’aime guère qu’on se planque derrière la dignité des militaires et qu’on se drape dans l’honneur de la patrie ou qu’on radote sur le courage de nos soldats, juste pour éviter de dire clairement pourquoi nous sommes en Afghanistan. « Le soldat peut mourir, mais pas en victime de la figuration internationale », comme l’a dit François Sureau, dans un texte glaçant et sublime publié dans Le Figaro, en août dernier.

Mourir pour l’Afghanistan surprend : en effet, pour Jean-Dominique Merchet, il faut quitter l’Afghanistan et « le plus vite possible ». Au risque de laisser le pays aux Afghans, au risque de « baisser notre niveau d’exigence quant aux résultats obtenus et passer des compromis avec des gens peu recommandables », en clair les islamistes ou trafiquants. Rappelons que la justification officielle de la présence de nos soldats sur place est simple voire simplette : « nous sommes en Afghanistan pour empêcher les attentats dans le métro à Paris », lui explique un responsable militaire Français. Refrain repris en cœur par l’inénarrable ministre de la Défense, Hervé Morin.

Un conte de fées auquel Merchet ne croit pas : si les militaires occidentaux sont là bas pour détruire les « sanctuaires » où se planquent les djihhadistes d’Al-Qaida, qui ensuite visent des tours avec des 747 ou transforment des palaces indiens en Fort Chabrol, autant dire que les Occidentaux font mal leur boulot. En sept ans d’opérations militaires, une seule partie dudit sanctuaire est ratissée. Et personne surtout ne se hasarde à aller gratter du côté pakistanais de la frontière, là ou manifestement on se cache. « Nous luttons contre le terrorisme en Afghanistan, mais nous nous arrêtons à la frontière », rigole Jean-Dominique Merchet. Résultat, non seulement Mollah Omar peut continuer à fuir à mobylette et Ben Laden à menacer la terre entière dans des vidéos collectors, mais en plus la Coalition offre sur un plateau des cibles de choix aux terroristes en la personne de ses vaillants soldats professionnels. Une aubaine pour des terroristes biberonnés à CNN et à Youtube, qui sentent bien que dix militaires tués, dans un petit pays comme la France peuvent déclencher un bordel politique monstre. Surtout quand le Président de la République se précipite sur place et que le ministre de la Défense est suffisamment stupide pour essayer de faire croire que nos « soldats ne sont pas là bas pour faire la guerre, mais pour faire la paix. »

Merchet s’agace aussi du manque de moyens dont disposent les militaires français et narre, par exemple un épisode qui pourrait être comique, la bataille des armées pour obtenir des « tourelleaux téléopérés ». Un truc qui, en gros, permet de tirer sur l’ennemi sans avoir à faire le mariole sur le capot des véhicules blindés, à portée de lance-pierre des talibans. Jean-Dominique Merchet en reste songeur : « Lorsqu’on se penche sur la manière dont fonctionnent conrètement les armements, on se demande parfois si les états-majors ont envisagé, ne serait-ce qu’un seul jour qu’ils puissent être employés à la guerre. La vraie, celle ou l’ennemi n’est pas toujours animé des meilleurs intentions. »

La fin, on la connaît : il est probable que, dans quelques mois ou dans quelques années, il se trouvera un ministre Français pour dire : « Le départ de nos troupes n’est pas une défaite. L’armée est en excellente condition et le moral est élevé. C’est un départ organisé d’un pays que nous n’avions pas l’intention d’occuper. » Il suffira aux officiels français de copier-coller cette déclaration signée des responsables soviétiques en Afghanistan. Entre experts en déculotée, on devrait se comprendre.

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Causez badgés !

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La crise est là, les établissements de la place Vendôme vous sont inaccessibles et pourtant, Madame, Monsieur, vous souhaitez offrir à la femme ou à l’homme de vos pensées un témoignage précieux de votre vénération… N’allez pas plus loin ! Causeur met le luxe à votre portée en ouvrant la boutique la plus hype de la place. Trois séries collector de cinq badges, tirées chacune à vingt exemplaires, vous sont proposées à un prix défiant toute concurrence. Réalisés dans un alliage des métaux les plus nobles (fer, aluminium, papier mâché et il doit bien y avoir un peu de mercure et de plomb), ces badges vous permettront de briller en société tout en gagnant en élégance. Ces badges ont également une utilité pour : écarter les esprits mauvais, désenvoûter, faire revenir l’affection, accroître sa chance au Loto, favoriser la fécondité, etc. En un mot comme en cent : causez badgés !

Ceci était un communiqué du Mage John Cohen-Mamadou, chef de la division marketing de Causeur.fr

Benoît XVI, ton nouveau voisin de palier

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Village planétaire. Je n’ai jamais compris l’expression et je tiens pour des gogos ceux qui lui prêtent le moindre sens. Ils ignorent au moins deux choses : ce qu’est un village et ce qu’est une planète. Pourtant, la crise aidant, on nous rebat les oreilles depuis quelques mois de ce terme inventé par McLuhan en 1967. L’universitaire canadien venait alors de se faire installer le téléphone dans son appartement de Toronto, avait trouvé le procédé fort ingénieux et en avait sorti un essai : The Medium is the message. Il faut dire qu’à l’époque McLuhan ne savait composer que le numéro de l’horloge parlante et chaque matin, durant dix ans, il l’appela à 10 heures précises pour vérifier qu’il était bien 10 heures. Le jour où il apprit qu’il existait d’autres numéros, que l’on pouvait parler dans le combiné et s’attendre même à recevoir une réponse, il était trop tard : McLuhan était déjà mort.

Les choses en seraient restées là s’il ne s’était pas trouvé pourtant quelques penseurs d’envergure mondiale – comme Jacques Attali ou Alain Minc pour ne citer que les plus brillants – pour populariser le terme de « village planétaire » et le faire entrer dans le langage courant. Je ne dis pas qu’Internet n’a rien changé à la marche du monde : le type de la campagne qui devait mettre un imperméable beige, prendre un billet de seconde classe et monter à la ville pour aller au ciné porno n’a plus besoin que d’une connexion haut débit pour mater chez lui des filles se gamahuchant avec distinction. Hier encore, il était obligé de se mettre sur son trente-et-un pour assister à un meeting de Nadine Morano : aujourd’hui il peut suivre, installé dans son canapé, une canette de bière à la main, les circonvolutions rhétoriques de la plus brillante parlementaire française de sa génération. C’est là le principal apport d’Internet à l’humanité : les hommes qui autrefois devaient enfiler un pantalon s’ils voulaient participer à la marche du monde peuvent rester en caleçon pour s’en gratter une sans réveiller l’autre.

Moi, remarquez, le village global, je ne m’en soucie guère : je vis dans un immeuble planétaire (global building). Au rez-de-chaussée, il y a un restaurant chinois, assez convenablement tenu par une famille de boat people qui a abandonné la navigation en solitaire pour remplir de nems et de corbeilles cinq bonheurs les ventres occidentaux affamés. Au premier étage, un couple d’homosexuel sans enfant (les pauvres, l’un d’entre eux est stérile) fait face à une octogénaire catholique et tradi. Au second étage, nous partageons le palier avec un médecin noir qui vit à la colle avec une sud-américaine reconnaissable de loin à son bonnet péruvien et à sa flûte de pan, tandis que le troisième étage abrite les Cohen et, face à eux, un retraité de la Sparkasse devenu antisémite notoire le jour où Mme Cohen, sa voisine, a prétendu que son chien n’était pas propre et qu’il avait fait ses besoins sur son paillasson. Regardez c’est encore frais et n’allez pas me dire que votre sale clébard n’y est pour rien.

Tout cela forme une micro-société aussi parfaite que solidaire : quand un voisin manque de quelque chose, il est suffisamment poli pour ne pas déranger les autres. Lorsque nous nous croisons dans l’escalier nous sommes assez respectueux de notre prochain pour ne pas nous saluer et risquer de nous perdre dans une conversation qui, de toute façon, ne déboucherait sur rien d’autre que briser le fragile équilibre de notre diversité locative.

Et voilà que, patatras, le ciment qui faisait toute la cohésion de mon immeuble planétaire vient de s’effriter hier soir sur les coups de 20 heures. L’une des locataires m’a adressé la parole. L’ascenseur était en panne et je m’étais résolue à gravir les trois étages qui me séparaient de mon appartement lorsque, au premier, la porte de Madame Wimmzer s’est entrouverte à mon passage.

– Psst, psst, Frau Kohl, Frau Kohl ! Une chose très grave est arrivée. Jésus, Marie ! L’antéchrist ! Il est là !, me lança-t-elle, l’air aussi ahuri qu’un Badiou[1. Alain Badiou, philosophe français. Après avoir été le pote de Pol Pot, il devint le pote de Paul, le saint.] découvrant que Sarkozy est de droite.
– Voyons, Frau Wimmzer, calmez-vous. Vous avez pris vos médicaments ?
– De l’eau de Lourdes, trois fois. Mais rien n’y fera !, pleura la vieille bigote en me tirant par la manche pour me faire entrer chez elle.

La porte se referma sur moi. Je faisais face à ce qu’une protestante comme moi n’aurait jamais pu imaginer, même dans ses marrades antipapistes les plus achevées. C’était comme un autel vaudou qui trônait dans la salle à manger de Madame Wimmzer. Une statue en plâtre de bonne taille occupait le plus gros de la carrée. Sans doute moulée par les pieds d’un artiste unijambiste, la ressemblance avec Pie XII ne frappait pas au prime abord, mais l’inscription sur le socle ne laissait aucun doute. C’était bien lui. Des dizaines de photos, de portraits et de médailles votives représentant le pape Pacelli s’étalaient sur les murs. Des bougies illuminaient l’endroit et l’odeur de l’encaustique mêlée à celle du renfermé donnait passablement l’idée d’un puissant encens.

Madame Wimmzer me tendit la Badische Zeitung du matin, se signa et, un chapelet à la main, s’agenouilla péniblement sur un prie-dieu. Le journal faisait une manchette sur la nouvelle du jour : « Le pape fait son entrée sur Youtube ! »

J’eus beau expliquer à Madame Wimmzer ce qu’était Youtube, que ce n’était pas un site pornographique comme elle le croyait, ni qu’il fallait être nécessairement drogué, prostitué, admirateur de Belzébuth ou lecteur des pages éco du Figaro pour le fréquenter et y publier des vidéos. Rien n’y fit.

– Il nous redonne la messe en latin, il nous réintègre dans la communion de notre Sainte Mère l’Eglise, il nous redonne nos évêques – et des pas mal du tout ! Tout ça pour au final montrer Ses Saintes Fesses sur Internet ! Seigneur, délivre notre Pape de Youtube ! Délivre notre Pape de Youtube !

Avant de finir totalement noyée sous les aspersions d’eau bénite dont elle me gratifiait depuis dix minutes déjà, je m’éclipsai, sans mot dire, abandonnant la vieille Wimmzer à ses sanglots tridentins. Après la soutane dans les dents, la webcam dans la mitre : les temps changent[2. Les temps changent si profondément d’ailleurs que le site Youtube du pape est disponible en quatre langues : anglais, italien, espagnol et allemand. La francophonie progresse.].

Pour comprendre les médias: Les prolongements technologiques de l'homme

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Le cas Routchy

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roger-karoutchi

En 1856, la rumeur circula un temps à Paris que le fils de l’impératrice Eugénie n’était pas issu du lit conjugal. Certaines gazettes prêtaient au duc de Morny la paternité de Louis Napoléon Eugène tandis que d’autres pariaient leur honneur et leur fortune sur Victor de Persigny ou Eugène Rouher. Tous nièrent en bloc. Les regards et les doutes se portèrent alors sur Casimir Routchy, premier camériste de l’Empereur. Dans un premier temps, Casimir Routchy ne prêta pas le flanc aux rumeurs, confiant même à Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique : « Je ne suis pas le père de l’enfant. Et tu as vu sa gueule, à la Montijo ? Je tiens à mon standing[1. C’est la première occurence de l’emploi du terme standing en langue française. Jean Dutourd.], moi. » Puis, la rumeur augmentant et risquant le licenciement, il accorda une interview au Moniteur dans laquelle il avouait à la face du monde son petit défaut[2. On disait comme ça à l’époque quand on en avait un gros.]. Apprenant cela, Napoléon III exila son chambrier à Londres : ce fut le premier outing de l’histoire.

John Bentley, Portrait de Casimir Routchy, jeune homme. Huile sur toile, 1858, conservée dans le bureau du président de la Région Ile-de-France, mais sortie depuis peu.

Complot rose-brun dans l’édition française

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Décidément, le ventre qui a enfanté la bête immonde est encore fécond. Sommes-nous donc périodiquement condamnés à revivre ces offensives larvées qui veulent mettre à genoux l’Empire du Bien, du Beau et de la Diversité. Oh, bien sûr, nous savons depuis le second tour des élections de 2002, quand Le Pen est arrivé en finale, que le fascisme est à nos portes, malgré vingt ans de vigilance antiraciste, de films recommandés par Télérama et de romans concernés de Didier Daeninckx. Bien sûr, nous avons poussé un soupir de soulagement quand des centaines de milliers de jeunes qui n’avaient jamais voté le firent avec leurs pieds démocrates entre les deux tours et repoussèrent l’hydre infâme, offrant un score sud-américain au président Chirac.

Mais le fascisme n’est pas seulement une bête immonde, c’est aussi une bête rusée, une vieille taupe mutante et parasitaire, capable de s’emparer d’un organisme sain et de le transformer en zombie de l’intolérance, de la haine et de l’exclusion, un peu comme dans l’immortel chef d’œuvre cinématographique de Don Siegel, L’invasion des profanateurs de sépulture.

Les lecteurs de Causeur se souviendront sans doute de l’effroyable complot rouge-brun qui au début des années 90 faillit submerger notre démocratie française. Ce complot unissait dans son lit les cheveux blonds, les cheveux gris d’intellectuels dévoyés, ex-communistes, crypto-fascistes, païens, bretons, russes, voire talentueux. On pouvait les trouver par exemple dans les colonnes de L’Idiot International, sous la plume de Jean-Edern Hallier, son chef d’orchestre nihiliste, des articles toujours plus anti-mitterrandiens, ce qui était bien la preuve de son aberration mentale. Lui qu’on croyait héritier de Chateaubriand était en fait un disciple secret d’Ernst Von Salomon, un réprouvé rêvant de Corps francs pour en finir avec ce modèle de société humaniste que représenta le second septennat de François Mitterrand, celui qui vit devenir ministre le camarade Bernard Tapie.

Ces rouge-bruns s’illustrèrent dans toute leur infamie lors du conflit en ex-Yougoslavie, prononçant régulièrement l’éloge des Serbes qui étaient alors le dernier peuple national-communiste d’Europe et qui en reçurent un juste châtiment quelques années plus tard grâce à des bombardements massifs de l’Otan. Au premier rang d’entre eux se trouvait un certain Edouard Limonov. D’aucuns le tiennent pour un écrivain majeur de ce temps, c’est surtout un monstre et ceux qui diront que ce n’est pas incompatible sont bons pour un stage de rééducation démocratique à la prochaine université d’été du Modem.

Longtemps, Limonov, qui est fourbe et cruel comme tous les rouge-bruns, fit illusion. En effet, il avait fui l’Union Soviétique pour New York en 1975 et New York pour Paris en 1980. Le problème, c’est qu’à la lecture un peu sérieuse de romans comme Autoportrait dans son adolescence, L’Etranger en sa ville natale et surtout La Grande époque où il trace le portrait ému de son père officier du NKVD, on s’aperçut avec horreur qu’il était dissident, certes, mais parce qu’il ne trouvait plus l’URSS assez stalinienne à son goût. Déjà, il voyait sous Brejnev percer Gorbatchev, et sous Gorbatchev, Elstine ce modernisateur qui rendit la Russie si attrayante en dérégulant l’économie et l’espérance de vie des plus pauvres.

Et la voilà chez nous, cette infâme créature, pervertissant nos écrivains et allant jusqu’à faire le coup de feu sur les hauteurs de Sarajevo ou en Transnistrie, cette région russe de la Moldavie qui voulait rester russe. Heureusement, nombre de Vigilants signèrent de nombreuses pétitions, des proscriptions furent dressées et des interdictions professionnelles prononcées. Le bloc central médiatique qui protège notre cher Empire du Bien (Le Monde, Libé, Télérama pour faire vite) non seulement ne parla jamais des livres de Limonov mais, en plus, contribua à réduire quasi-militairement cette atroce aberration idéologique qu’il avait suscitée. Un ouf de soulagement fut poussé, Limonov rentra en Russie et comme il avait décidément le diable au corps, il y créa aussi sec son Parti National-Bolchévique, fut arrêté et emprisonné entre 2001 et 2003.

On aurait pu penser que l’affaire allait s’arrêter là. Il y eut bien quelques pétitions que l’on fit circuler en France pour sa libération mais, heureusement, nos pétitionnaires professionnels gardèrent leur stylo au chaud car autant on a le droit de signer pour un mauvais écrivain démocrate autant il vaut mieux éviter quand il s’agit d’un très bon idéologiquement suspect.

Mais, non, le cauchemar continue et il nous revient de plein fouet ces jours-ci avec le dernier livre de Limonov, Mes Prisons, publié aux éditions… Actes Sud ! Oui, mesdames et messieurs, aux éditions Actes Sud ! La maison fondée par Hubert Nyssen était pourtant réputée sûre. Imaginez un peu, on y édite Berberova, Paul Auster, beaucoup de Scandinaves champions du partage des tâches domestiques. Autant dire que cette maison avait parfois des allures d’annexe littéraire de « Désirs d’Avenir » ou de la défunte Camif. Des livres de chez Actes Sud dans votre bibliothèque, c’était une assurance donnée aux gens qui venaient chez vous : vous étiez fréquentable, forcément fréquentable.

Et là, tout d’un coup, comme un bloc d’abîme, Limonov… `

Ce n’est plus d’un complot rouge-brun dont il s’agit ici mais bel et bien d’un complot rose-brun dont Actes Sud, qui avait déjà réédité en poche un roman posthume de l’infâme ADG, J’ai déjà donné, est devenu par on ne sait quelles obscures manœuvres le vaisseau-amiral.

C’est un jour tragique pour l’édition et la démocratie. Mais nous nous battrons. Jusqu’au bout. Les stylos pétitionnaires sont déjà dégainés. Actes Sud n’a qu’à bien se tenir.

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Téhéran, le retour

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Ça y est, ça commence. Selon le numéro de samedi du Times, plusieurs puissances occidentales se sont lancées avant Noël dans une course diplomatique pour convaincre les pays producteurs d’uranium de ne pas approvisionner l’Iran, dont les stocks de yellowcake seraient presque épuisés.

Cette information est tellement bizarre que même l’analyste du prestigieux quotidien londonien semble douter de l’efficacité de ces mesures, qui consistent à verrouiller les portes de l’écurie longtemps après qu’il n y ait plus de chevaux. On peut ajouter aussi qu’il est au moins bizarre que les puissances occidentales qui traitent ensemble le dossier iranien (US, Grand Bretagne, France, Allemagne) aient attendu Noël 2008 pour empêcher Téhéran de se procurer de l’uranium.

Pourquoi donc cette information et pourquoi maintenant ? Il faut d’abord préciser que la source est très probablement le Whitehall britannique – il suffit de lire le papier publié par le Times pour s’en rendre compte. L’honorable correspondant qui a appelé le journaliste du quotidien de référence londonien et lui a payé un fish & chips ou un chicken tikka (les temps sont durs) dans la City voulait sans doute réorienter le buzz médiatique de ces jours-ci, encore très largement focalisé sur Gaza et y replacer le nucléaire iranien, même si tout ce que l’on a à servir au public est un vieux plat de nouilles réchauffé. Quant au timing, les Iraniens ont utilisé le Hamas pour kidnapper l’agenda d’Obama, dès son installation dans le bureau ovale. Sur l’échiquier du Moyen-Orient, Téhéran a donc avancé un fou à Gaza, en vertu de quoi Washington avance de son côté une tour à Londres.