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À l’aube de la nouvelle saison de Top 14, le rugby à la croisée des chemins

Alors que le TOP 14 reprend, certains s'inquiètent que le Stade Toulousain ne domine trop ce sport, comme le PSG au foot...


À l’aube de la nouvelle saison de Top 14, le rugby à la croisée des chemins
Le Stade toulousain vainqueur du TOP 14, 29 juin 2024 © SCHEIBER/SIPA

Le rugby est-il en train de perdre son âme ?


Le Top 14 reprend ses droits ce week-end avec, déjà, d’alléchantes affiches : tout commencera par une Peña Baiona au stade Jean Dauger où les locaux de l’Aviron bayonnais affronteront les Catalans de Perpignan, avant de se poursuivre avec la rencontre des outsiders entre La Rochelle et Toulon et de se terminer avec l’opposition entre les nouveaux venus de Vannes et le favori toulousain. La compétition domestique de rugby est un de ces rares plaisirs où les rivalités picrocholines, les mêlées viriles et les troisièmes mi-temps arrosées sont encore admises. Après la professionnalisation édictée en 1995, le rugby semble pourtant aujourd’hui à un nouveau tournant, entre devoir de modernisation et risque de s’y perdre.

Bien sûr, nous ne devrions jamais comparer deux sports, tant chacun de ceux-ci possède ses lettres de noblesse, son histoire, ses drames et ses champions, mais la tentation est grande d’opposer les ballons rond et ovale. Et, en matière de football, les derniers mois furent féconds de ce que la post-modernité produit de plus vil : saga autour du transfert de Mbappé, profusion de rencontres jusqu’à l’indigestion et à des horaires improbables, multipropriétés, stades hypermodernes et hyperconnectés répondant au nom de richissimes sponsors, règne des stats, pour se terminer par le tirage récent de la Champions League où la seule chose qui fut comprise de tous est qu’elle favoriserait les mastodontes au détriment de la glorieuse incertitude du sport – sans laquelle celui-ci n’est plus qu’un spectacle.

Le rugby, qui tire sa filiation de la phéninde grecque et de l’harpastum romain[1], autant que du jeu de soule qui mettait aux prises des villages voisins, n’est évidemment pas à l’abri de connaître le même sort. Si on voue une admiration sans borne pour les exploits du Stade toulousain, sa domination outrageante ne manque pas de soulever quelques inquiétudes dans une discipline où les lauriers se répartissent à peu près équitablement  – en dehors de quelques sagas, dont celle de Béziers dans les années 70 sous la houlette de Raoul Barrière. La starification, malgré lui, du brillant et modeste Antoine Dupont tranche avec un sport éminemment collectif. L’argent prend une place toujours croissante et on espère ne pas voir advenir le « rugby business », avec des « maillots third » floqués au nom de joueurs négociant leur transfert sous d’autres horizons, des droits vendus à l’encan, des abonnements hors de prix, des compétitions qui se multiplient et des bagarres dans les tribunes… Certains signaux n’ont pas manqué d’inquiéter ces derniers mois.

La modernisation est inévitable et ne fait que suivre l’évolution de la société. Il y a d’ailleurs bien longtemps que l’Ovalie a tranché avec les origines sociales liées à ses berceaux : pour simplifier à l’excès, le rugby était d’extraction noble en Angleterre où il fut la chasse gardée de la gentry ; étudiante en Irlande, aux abords du Trinity College et d’autres écoles réservées aux élites ; populaire au Pays de Galles où dockers, mineurs et métallurgistes mélangèrent leur sueur à la suie et à la houille ; paysanne en Ecosse, où il gagna rapidement les campagnes. On ne retrouve plus guère de tout cela aujourd’hui et il est d’ailleurs sans doute utopique d’espérer que le sport de Webb Ellis garde éternellement ses particularismes.

Mais que ses acteurs, des joueurs aux dirigeants, n’en dénaturent pas l’essence et conservent ce qui fait le charme de la discipline. Le rugby, c’est avant tout un sport de territoire qui se conquiert par des combats et des actions de génie : ses mêlées, au cours desquelles les casques s’entrechoquent au son des instructions données par l’arbitre (« flexion », « liez », « jeu ») en même temps que les râles se dégagent de ce troupeau si peu moutonnier ; ses ballons envoyés à l’autre bout du terrain avant qu’ils ne reviennent, comme pour sacraliser le principe de l’éternel retour ; ses essais enfin et surtout, anodins ou entrés dans l’histoire, comme celui de Gareth Edwards avec les Barbarians en 1973. Le rugby, ce sont des traditions : le folklore chanté en tribune et accompagné des fanfares et bandas du Sud-Ouest, le haka des guerriers néo-zélandais qui tranche avec le jeu souvent châtié de générations de All Blacks qui ont honoré de leur talent la toison noire frappée d’une fougère ou encore les hymnes lors du tournoi des Six nations, dont le Flower of Scotland entamé à la cornemuse et terminé a capella ou le magnifique Land of my Father repris par les chœurs gallois. 

Le rugby, ce sont les troisièmes mi-temps qui adoucissent les rivalités cristallisées à l’ombre des poteaux plantés en plein cœur de territoires où le soleil se cache rarement. Le rugby, ce sont des grandes voix, de Roger Couderc, de Thierry Gilardi et aujourd’hui de Jean Abeilhou  et de Matthieu Lartot ; et des écrivains qui ont rehaussé par leur plume la dimension épique de ce sport, d’Antoine Blondin à Denis Tillinac qui retrouvaient sans doute dans l’Ovalie leur monde de hussards. Le rugby, ce sont aussi les joueurs fidjiens, samoans et tongiens venus apporter un vent frais et féroce, les feuilles jaunes de Midi Olympique qui s’envolent sur les terrasses des sous-préfectures, un mélange de petits et de gros, des stades portant encore le nom de joueurs et de dirigeants et les Narbonne-Carcassone annoncés avec l’accent du terroir. Le rugby, ce sont les yeux d’Emilie. Et mille autres choses dont on espère qu’elles ne commencent pas à tourner rond ou carré.

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[1] Pour les références historiques : Jacques Verdier, anthologie mondiale du rugby 




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