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Classes dangereuses, presse peureuse

Ça se durcit sur le front de la lutte des classes. Le Monde a peur. Le journal, avec majuscule pas le monde en minuscule, c’est-à-dire les gens. Cette peur était patente dans le titre d’un article publié le 1er avril, en pages Economie. « La radicalisation des conflits sociaux se banalise. » En traduction, cela signifie que quand on ferme une usine pour raisons boursières, en face, on résiste. Et Le Monde trouve ça bien inquiétant, ce que confirme le sous-titre : « La violence générée par l’exaspération et le sentiment d’injustice des salariés face à la crise inquiète les experts. » Qu’en termes galants ces choses-là sont dites !

J’aime bien l’expression « sentiment d’injustice ».

Pendant des années, on a accusé ceux qui parlaient de « sentiment d’insécurité » de mollesse coupable, de refuser le bombardement des banlieues insurgées, le mitard pour les mineurs, l’estrapade pour les voleurs de mobylette. Il faut croire que si on peut imaginer un traitement de l’insécurité, il est plus difficile de faire la même chose pour l’injustice.

Vous faire virer comme n’importe quel salarié de Continental et apprendre le même jour le montant de l’indemnité de départ du patron de Valéo, ce n’est pas une injustice, c’est un sentiment d’injustice. Nuance. D’ailleurs qui a écrit cela ? Les experts. Alors là, évidemment si ce sont des experts, on n’a plus rien dire. Sauf que les experts, en matière d’économie, ils sont tous libéraux, c’est-à-dire juge et partie, ils vous ont expliqué pendant des années que le capitalisme financier était la seule solution et quand la Crise est arrivée, les experts ont essayé de faire oublier qu’ils s’étaient comportés comme des boussoles qui indiquent toujours le sud. Voilà pour Le Monde avec une majuscule.

Mais il y a aussi le monde en minuscule : les gens, quoi. Le monde en minuscule, il est plutôt content de voir la peur changer de camp, il est plutôt content de voir les patrons plus ou moins voyous se rendre compte de cette chose assez étonnante : les ouvriers sont des êtres humains et des êtres humains, ça souffre et quand ça souffre trop, surtout dans l’indifférence, ça se met en colère. Ça vous enferme, ça vous séquestre, ça vous insulte, ça vous force même à manifester avec vous, comme l’ont fait les ouvriers de Fulmen, à Auxerre. Après, le patron de Fulmen qui avait caché qu’Exide technologies, propriétaire du site, en avait décidé la fermeture pure et simple, déclare qu’il a été humilié. Ce doit être nouveau, pour lui, l’humiliation. Il ne devait pas croire que ça pouvait lui arriver. L’humiliation, pour lui, ce devait plutôt être un truc pour ceux qui reçoivent une lettre de licenciement par la poste, pour ceux qu’on bouge comme des pions au gré des missions d’intérim, pour ceux qui vivent à quatre sur une paie de mille euros.

Oui, le monde en minuscule, ça peut se faire avoir par un mensonge, mais il ne faut pas non plus exagérer: Nicolas Sarkozy promettant il y a quelques mois de sauver les emplois de Gandrange alors que le site vient de fermer définitivement et que l’Indien Mital s’en tire en toute impunité comme un Albert Spagiarri de la sidérurgie, ça pourrait servir de cours d’introduction à l’Ecole de la Démagogie que pourra toujours créer l’actuel président de la république, une fois qu’il aura été chassé du pouvoir par la juste fureur prolétarienne. Mittal a vidé les coffres, pris les machines et il s’est barré. Moins sympathique que Woody Allen mais avec la même devise qui fit le titre de son premier film : « Prends l’oseille et tire-toi ! »

Alors Le Monde, avec une majuscule, se cherche une cause et cette cause, ça ne peut pas être l’injustice puisque rappelons-le, il n’y a qu’un sentiment d’injustice. Bon, c’est un peu obscur, fumeux, on dit les choses sans les dire : « Sous le sceau de l’anonymat, un conseiller ministériel rapporte que des représentants syndicaux ont parfois été débordés par une base réceptive aux discours de l’extrême gauche. »

Elle pourrait servir d’exemple pour un cours de grammaire sur la modalisation, l’euphémisme, la périphrase, bref tout l’arsenal rhétorique de ceux qui cherchent à vous embrouiller. En gros, ce que veut dire Le Monde, c’est que tout ça, c’est uniquement de la faute aux gauchistes. En d’autres temps, on aurait accusé l’œil de Moscou. A croire que dans certains cercles du pouvoir, on se réunit dans le noir autour d’un guéridon en se tenant par le petit doigt et en demandant, plein d’espoir : « Esprit de Raymond Marcellin, es-tu là ? »

C’est assez amusant quand Le Monde ne comprend plus le monde, finalement.

Avec Obama, un monde sans Bombe

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Ce Barack Obama est un artiste. À la différence d’un Ronald Reagan dont les prestations cinématographiques ne furent qu’un tremplin à une carrière syndicale et politique longue d’un demi-siècle, il scénarise ses interventions avec un talent digne des meilleurs faiseurs hollywoodiens.

Tout l’art consiste à faire passer une action politique internationale d’un classicisme absolu pour une rupture radicale, et une navigation à vue pour la mise en mouvement d’un grand dessein. Après le discours de Berlin pendant la campagne électorale – sur fond de Porte de Brandebourg et renvoi subliminal au ich bin ein Berliner de John Kennedy, voilà le discours de Prague, prononcé dans un décor Mitteleuropa du plus bel effet.

Dans un tel environnement, on ne peut se contenter de paroles banales, d’un discours petit bras où l’on ferait modestement le bilan d’une réunion UE-Etats-Unis assez creuse, en emballant le tout d’une rhétorique convenue sur les bienfaits d’une relation transatlantique où tout le monde peut trouver son compte.

Chaque intervention solennelle du 44e président des Etats-Unis se doit donc de mériter le qualificatif d’historique, et dans ces premiers mois de son mandat, de susciter, chez les observateurs patentés le commentaire ravi qu’il s’agit d’une rupture radicale avec la politique de son prédécesseur honni. Avec une groupie comme la correspondante du Monde aux Etats-Unis, c’est fastoche : il suffit au président américain de faire tinter à ses oreilles ravies quelques petites phrases de tonalité gaucho-pacifiste pour qu’elle achète le lot sans regarder de trop près le contenu du paquet.

Génial, putain, le coup du monde sans bombe atomique dont il fait la nouvelle frontière de la politique étrangère américaine ! Cette déclinaison du yes, we can ! appliquée à un objectif que personne ne peut, en conscience rejeter sans passer pour un avatar du docteur Folamour, mais dont Obama ne peut ignorer qu’il est parfaitement inatteignable dans un avenir visible, est un leurre parfait pour faire gober au monde une nouvelle stratégie de lutte contre la dissémination nucléaire.

Le vrai message du discours de Prague ne réside donc pas dans l’angélisme de l’aspiration à un monde où l’on aurait envoyé à la ferraille tout l’arsenal atomique, mais dans le marché proposé aux Russes et aux Iraniens. Il est d’une simplicité digne des marchandages entre truands de ce Chicago dont cet Obama est, décidément, un digne rejeton : mon cher Medvedev, si tu nous aides à empêcher l’Iran de se doter de la bombe, on oublie le bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque, et on la met en veilleuse sur l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et au Caucase. Et plus tard, pourquoi pas, on se mitonne une petite structure de sécurité collective Russie-Otan qui nous permettrait une cogestion des zones de cinglés où l’on s’est tour à tour emmêlé les pinceaux, comme l’Afghanistan.

Si ça marche (ce qui n’est pas sûr), Obama fermerait ainsi un peu plus la nasse sur les mollahs, tout en leur proposant un dialogue d’égal à égal (on ne rit pas !)

Pour donner le change, on propose un nouveau traité de réduction des armements stratégiques (ce qui est loin de signifier la dénucléarisation générale) et on interdit les essais nucléaires qui ne sont aujourd’hui nécessaires qu’aux pays en passe de franchir le seuil.

Pour le reste, on en revient à la configuration classique de la présence américaine au Proche et Moyen-Orient fondée sur les alliés traditionnels des Etats-Unis dans la région : Turquie, Israël et Arabie Saoudite. Le « mouvement » d’Obama consiste essentiellement à flatter Ankara et Ryad, quelque peu négligés par George W. Bush : aux Turcs on fait l’honneur d’une visite hautement médiatisée, et on promet aux Saoudiens de réintégrer le plan Abdallah pour le règlement du conflit israélo-arabe dans un processus de paix pour le moins ensablé… Si cela n’est pas du bricolage ordinaire de crânes d’œuf du département d’Etat, qui ressortent leurs vieux dossiers des années Clinton et Bush père, je veux bien être affecté à la rue arabe du quai d’Orsay !

L’idée qu’un monde sans arsenal atomique serait plus sûr et moins brutal qu’aujourd’hui est tentante, mais elle est historiquement erronée et politiquement irresponsable. L’équilibre de la terreur des années 1945-1989 a bien évidemment évité une nouvelle déflagration mondiale, et limité l’affrontement planétaire de deux blocs irréconciliables à des guerres périphériques, douloureuses, certes pour ceux qui les ont subies, mais limitées dans le temps et dans l’espace.

Tous les candidats crédibles et possibles au leadership mondial sont aujourd’hui dotés de l’arme atomique, et n’ont pas la moindre envie de s’en défaire. Pour les Etats-Unis, la Chine, la Russie, les intérêts vitaux ne se limitent pas à ce qui se passe à l’intérieur des frontières nationales, et la dissuasion nucléaire est la plus commode et la moins coûteuse en hommes et en matériel. Pourquoi iraient-ils se replacer dans une configuration géostratégique où ils seraient contraints d’exposer leurs soldats contre des entités étatiques « dissuadables » ?

L’Inde et le Pakistan s’empêchent mutuellement d’aller chercher l’autre au Cachemire, et Israël tient en respect des voisins dont les intentions à son égard n’ont rien de particulièrement amical. Pour l’Europe, voir OTAN.

Quant à notre cher et vieux pays, lui ôter sa « dissuasion du faible au fort » au nom d’un peace and love généralisé à l’ensemble de la planète serait aussi stupide qu’inélégant. On n’ôte pas sa vieille pétoire au grand-père qui a fait la guerre. D’abord, elle peut toujours servir à mettre en fuite les voleurs, et puis on a sa dignité.

Cher Julien Coupat

Vous êtes en prison. De deux choses l’une : ou vous êtes coupable, ou vous êtes innocent. Si vous êtes coupable, avouez que c’est de bonne guerre. Pensez à ces centaines de personnes qui ont passé chacune six heures de plus que prévu dans un train. Multipliez, reconnaissez que ça vaut bien quelques mois de taule pour vous tout seul. Déduisez les heures de Jérôme Leroy, il a su en faire bon usage. Allez, à quelques heures près, pour le temps perdu disons qu’on est quitte. Mais le coût pour la SNCF, les dégâts à réparer, les voyageurs à dédommager, qui va payer ? Pas vous, on est d’accord. Non, c’est plutôt moi (le fasciste en chef ou monsieur tout le monde, le lecteur tranchera ) un peu en billets de train, un peu en impôts. Ça s’appelle la solidarité. Alors vous comprendrez qu’on s’attache à décourager les vocations. Et puis, si vous avez choisi la voie de la révolution, c’est le métier qui rentre, que voulez-vous. La révolution, c’est un peu comme la religion, dans la sphère privée, ça n’emmerde personne, sur la place publique, c’est une autre histoire.

Vous vous attaquez à la société, ce n’est pas une mince affaire. Moi qui n’ai pas votre témérité, je ne m’attaque qu’au bois. Car, comme nous l’enseigne Bruce Lee dans Opération Dragon, « le bois ne rend pas les coups ». La société est plus susceptible. Quand on lui chatouille les caténaires, elle éternue. Et vous voilà en prison, tout soufflé. Si cette épreuve vous met un peu de plomb dans la tête, au figuré, ça fait beaucoup moins mal. Dans la société sans police pour vous arrêter que vous appelez de vos vœux, vous auriez bien pu vous faire lyncher par un comité d’usagers en colère. Avouez que vous auriez pu tomber plus mal que dans la patrie de Voltaire, Rousseau et Sarkozy.

Si vous êtes innocent, là, c’est ballot, je dois le reconnaître.

Si vous vous êtes contenté de poêter avec vos potes et qu’on tente de vous faire taire, c’est salaud. C’est rigolo mais c’est salaud. Mais à toute chose malheur est bon. Si vous étiez de ces ultragauchistes jamais contents, l’âme un peu noire, incapable d’être totalement heureux parce que la faim dans le monde et la guerre en Irak, vous verrez, vous allez sortir avec l’air de l’imbécile heureux qui plonge dans la béatitude parce que le ciel est bleu et qu’il y a du papier dans les chiottes. Le bonheur par effet de contraste, vous allez voir c’est radical.

Et puis pensez à la notoriété acquise derrière les barreaux. Martyr de l’Etat policier sarkozyste, votre gloire est faite. De Plenel à Denisot, la Société du spectacle vous attend. Qui sait si vous ne finirez pas rédacteur en chef-adjoint à Libé, consultant chez RSCG ou aux Guignols de l’Info.

Mais cela n’est pas le seul bénéfice que vous allez pouvoir tirer de cette aventure. Avez-vous vu dans les manifestations en votre soutien ces attroupements d’étudiantes en mal de Ché, un peu naïves, un peu crédules et à point pour le Grand soir ? Pensez à ce vivier de jeunes filles dans un âge où la cervelle est déjà molle mais la fesse encore ferme, ça va vous changer de la rudesse de vos codétenus justement emprisonnés. À la libération, vous allez pouvoir enfourcher le train qui siffle plus d’une fois et partir à l’assaut de toutes ces vallées et de toutes ces collines.

Alors, on dit merci qui ? Merci Alain Bauer, merci Alliot-Marie.

Julien, courage, vous tenez le bon bout.

Premier avril à rallonge ?

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Un groupe Facebook nommé Les amis de Bézu vient de m’inviter, le 10 mai prochain à un récital de l’immortel créateur de A la queue-leu-leu. A première vue, l’invitation ne paraît pas émaner d’un de ces innombrables groupes de plaisantins qui polluent le réseau social. Elle est d’ailleurs accompagnée d’explications circonstanciées qui crédibilisent l’ensemble : « Artiste mondialement reconnu quoique légèrement éteint, André Bézu a décidé de célébrer le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, en offrant à l’Alliance un hymne à sa mesure. Il chantera pour la première fois cet hymne dans les jardins de l’Elysée. Le récital sera suivi d’un méchoui. Sangria à volonté. » Tout ça fait sérieux, donc. Mais un fait m’inquiète : l’évènement est d’importance, or Edwy Plenel, à qui rien n’échappe, n’en a pas parlé dans Médiapart. De là à envisager la possibilité d’un canular

D’intégrations en désintégration

La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Otan a de nombreuses conséquences. La plus immédiate est la diminution probable de nos marges de manœuvre opérationnelles : d’une part, cette participation a un coût (environ un demi-milliard d’euros sur cinq ans), d’autre part, de nombreux officiers français seront détachés de nos armées au bénéfice des chaînes du commandement de l’organisation « atlantique » ; il est fort probable que les contingents qui seront dégarnis en priorité, seront ceux qui sont déployés, à la limite de nos capacités, sur les terrains extérieurs à l’Otan, notamment en Afrique.

Les garnisons françaises dont les effectifs ont déjà été réduits à deux reprises en deux ans pourraient encore être allégées, au risque de les rendre inaptes à leur mission, la première étant la stabilité de pays toujours menacés par les coups d’Etat ou les guerres. Où prélever encore ? Abandonner Djibouti serait renoncer à une carte stratégique de première importance ; il en va de même du Tchad, si fragile, comme en d’autres pays de l’Afrique occidentale ou équatoriale qui ont besoin de la France, tout autant que la France a besoin d’eux si elle veut rester une puissance mondiale. Notre lien très ancien avec l’Afrique serait ainsi, comme mécaniquement, la première victime du retour dans l’Otan.

À cela s’ajoutent des conséquences indéterminables mais inquiétantes : il est à peine besoin de rappeler que c’est dans le cadre de la politique d’indépendance menée par le général de Gaulle que furent menés à bien de grands programmes d’industrie de la défense, si précieuses pour la recherche, comme pour notre tissu industriel dans son ensemble. Toute politique consistant à nous en remettre à d’autre du soin de nous défendre a un effet démobilisateur, impossible à mesurer mais certain, qui compta pour beaucoup dans l’anémie de la IVe République. Au reste, si chacun en Europe s’en remet aux autres et, in fine, à une puissance extérieure, c’est l’Europe entière qui sera tôt ou tard sans défense – face au grand « ensauvagement du monde » qu’annonce hélas le XXIe siècle. S’il est vrai que l’indépendance a un coût et qu’il est difficile d’évaluer ses bénéfices, la dépendance a un coût plus grand encore, alors qu’elle est de bien faible rapport.

On touche ici à la dimension symbolique, à commencer par cette impression d’enfermement atlantique qui est un désaveu pour le général de Gaulle en signant l’abandon de sa conception de la Ve République. Ce renoncement est double puisqu’il se manifeste à l’échelle de l’Europe comme à celle du monde. Au moment même où la France revient comme membre à part entière de « la famille atlantique », on annonce l’installation d’une brigade allemande en Alsace, à Illkirch-Graffenstaden. De plus, par sa présence lors des cérémonies de Strasbourg et Kehl, la chancelière semble parrainer le retour de Paris dans le giron de Washington. Un retournement par rapport à la politique franco-allemande telle qu’elle fut fondée entre 1958 et 1963 : alors que de Gaulle tenta d’amener l’Allemagne sur la voie d’une Europe indépendante, c’est aujourd’hui l’Allemagne qui nous ramène à l’alliance américaine !

Il est curieux que la France « rende les armes », pour ainsi dire, alors même que les deux fondements de la solidarité atlantique, d’une part la menace soviétique, d’autre part la faiblesse de l’Europe dévastée par la guerre, sont des pages tournées depuis longtemps. En fait cette décision signifie surtout un alignement d’ordre diplomatique qui, dépassant de beaucoup le cadre atlantique, s’étend à la terre entière : comme l’a écrit le député Ump Daniel Garrigue (Sud-Ouest du 9 février) nous serons de plus en plus « enclins à suivre les Etats-Unis sur les théâtres extérieurs qu’ils choisiront (…) ; le risque est d’autant plus fort que le champ géographique de l’Otan s’est fortement étendu et qu’il est susceptible de s’étendre encore ». C’est là, poursuit le député, remettre en cause « l’un des rares consensus fort de notre pays, voulu par de Gaulle et confirmé par tous ses successeurs ».

Dernier point, le plus grave : depuis toujours la France se définit par son rapport au monde : elle est une voix singulière dans le monde, ou elle n’est rien. De ce point de vue, la politique étrangère est la pierre d’angle de l’unité de la Nation : c’est donc la cohésion de notre pays qui est ici en cause. Intégrée dans l’Union européenne, désormais intégrée dans l’Otan, la France se perd de vue elle-même : toute notre histoire montre que cette accumulation d’intégrations ne fera que précipiter sa désintégration interne – une lente sortie de l’Histoire.

L’Otan facilite le transit

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Profanation d’une église, incendie d’un hôtel, d’une pharmacie, d’un ancien poste frontière : les pacifistes anti-Otan sont parvenus à faire quelque chose de leur briquet et de leur barre à mine samedi à Strasbourg. Malgré les « incessantes provocations policières » et l’intervention d’habitants qui les ont empêchés de foutre le feu au groupe scolaire du quartier, nos braves pacifistes ont porté un coup sévère au grand capital dans le quartier du Port-du-Rhin, qui ne les avait pas attendus pour être déjà l’un des plus mal en point de la ville. Nos confrères des Dernières nouvelles d’Alsace ont couvert l’événement au fil des heures : ce n’est pas tous les jours qu’une locale a un état de siège et des échauffourées sous la main. La palme de la clairvoyance journalistique va certainement aux photographes du quotidien régional qui, pour nommer les photos des exactions sur la version en ligne du quotidien, n’ont rien trouvé de mieux que de ressortir de la fosse d’aisance un mot de cinq de lettres : c’est vrai que ce samedi, à Strasbourg, c’était vraiment la merde.

dna-otan

Médiapart et l’affaire Limonov

Ah, elle n’a pas été longue la réplique des tolérants, ou plutôt de ceux qui confondent tolérance et démocratie. En ce dimanche tranquille, l’un des correspondants savoyards du Culet (comité uni pour une littérature éthique) m’a prévenu que le site Mediapart prenait la défense du rouge-brun Limonov dont nous avions dénoncé ici, grâce à cet asile pour vrais vigilants qu’est Causeur[1. Encore que par souci de réinsertion ce site abrite malheureusement d’anciens rouges-bruns que je ne nommerai pas.], la réapparition éditoriale chez Actes Sud, maison respectant pourtant d’habitude cette éthique à laquelle ma famille de pensée est tellement attachée. Que cela plaise ou non à Mediapart, il y a une tentation rampante à éditer ou rééditer, dans les meilleures maisons, des auteurs idéologiquement suspects. Etait-il indispensable par exemple que Le Dilettante publiât le mois dernier Enfantillages de Jacques Perret qui fut en son temps un écrivain monarchiste et proche de l’OAS ? Que quelques esthètes dévoyés voient chez Perret un sommet de la prose française et une manière inimitable de donner de jolies couleurs à notre langue est une chose, que cela soit édité sans la moindre précaution d’usage, par exemple une remise en perspective de Perret et de ses liens avec l’extrême droite, est véritablement dangereux.

Si les jeunes gens des cités risquent à tout instant de croiser un dealer, ceux des quartiers plus favorisés, eux, risquent de croiser un libraire. Et tous les libraires n’ont pas le bon sens de recommander des livres sains aux jeunes âmes en quête de sens. Plutôt que Pennac, Picouly ou Fred Vargas, qui a récemment rallié mon parti, ils pourront leur conseiller, parce qu’ils sont en vente libre et sans avertissement, l’antisémite surévalué Céline ou, plus proche de nous, Houellebecq, dont le pessimisme morbide, le racisme latent et l’islamophobie sont absolument effrayants, surtout à l’approche d’élections européennes qui doivent être vécues dans un esprit de fraternité démocratique. Tout le monde n’a pas le sang froid d’Elisabeth Lévy qui peut interviouver Maurice G.Dantec sans vomir et montrer ainsi à quel point cet auteur crypto-nazi est proche du delirium tremens.

Tu quoque mi fili ! seraient tentés de lancer tous les membres du Culet au site Mediapart en qui nous pensions trouver un allié dans l’élaboration de cette charte pour une littérature démocrate et humaniste qui se révèle plus que jamais indispensable

Hélas, il semble que notre combat soit encore plus dur que prévu, que bon nombre d’éditeurs, de journalistes et d’écrivains fassent preuve d’une inconséquence citoyenne tragique qui n’est pas sans rappeler les discussions des moines byzantins sur le sexe des anges alors que les Turcs assiégeaient Constantinople.

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Fourrure, fureurs, fou rire

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Tout avait bien commencé pour l’association américaine de défense des animaux PETA (People for the Ethical Treatment of Animals). Elle s’était d’abord fait favorablement connaître en faisant poser des tops entièrement dévêtues sous le slogan affriolant « Plutôt à poil qu’en fourrure ! » Le buzz avait encore enflé quand PETA avait envoyé des commandos de petites femmes nues semer leur zone lors des défilés où l’on exhibait de la zibeline ou du chinchilla. Puis suivant l’exemple des écolos londoniens creveurs de pneus de 4×4, ses militantes avaient encore haussé le ton et semé la terreur dans les fiestas de la jet set new-yorkaise en aspergeant d’hémoglobine les ultimes porteuses d’étoles criminogènes. Hélas, le vent a tourné : chez tous les créateurs, la fourrure, un temps oubliée pour ne pas faire de vagues, est redevenue top trendy. Et PETA, boudée par les mannequins qui se sont trouvé d’autres causes humanitaires, se retrouve mis en accusation, et cette fois par les amis des bêtes ! L’association qui, du temps de sa splendeur – et de ses fundraisings fructueux –, avait ouvert à Norfolk (Virginie) un refuge pour animaux abandonnés vient de reconnaître avoir euthanasié, faute de familles d’accueil, 95 % de ses hôtes à quatre pattes. Rassurez-vous les deux mille et quelques chiens et chats piqués en 2008 ont été ensuite dûment incinérés. Ça doit être ça le « traitement éthique » : on n’a pas revendu leurs peaux à des tanneurs…

Le pape, le pape, le pape

La France est un pays catholique. Enfin, elle l’était encore la semaine dernière, quand tout ce qui portait calotte passionnait les rédactions et déclenchait dans le pays des élans rares de haine et de détestation. Quelle autre nation qu’une ultra-catholique pourrait à ce point focaliser toute son attention sur les propos et l’attitude de l’évêque romain ? Les sujets de préoccupation de nos journaux et de nos magazines n’ont rien eu à envier ces dernières semaines à ceux de l’Osservatore Romano : le pape, le pape, le pape.

On croyait la République laïque, on la voyait maintenant s’agenouiller sur des prie-dieu, faire ses dévotions et enseigner à l’Eglise ce qu’elle devait croire, dire et penser. Exeunt les polémiques sur les racines chrétiennes de l’Europe et la laïcité positive : la Fille aînée de l’Eglise était de retour. En forme, quoique légèrement sourdingue.

Rien d’autre que le pape ne semblait plus exister dans l’actualité. Chacun, ministres et people, avait son avis sur la question et entendait bien toucher sa part du gâteau médiatique pour dénoncer les propos de ce pape décidemment réactionnaire. Pour enfoncer le clou, on compara même Benoît XVI à son prédécesseur : on apprit donc que Jean-Paul II n’avait pas seulement attaqué le mur de Berlin à la petite cuiller, mais qu’il était aussi beaucoup plus cool sur les questions de société – dernière nouvelle. L’Eglise eut beau envoyer quelques-uns de ses prélats pour tenter d’expliquer ses positions sur la levée de l’excommunication des lefebvristes, l’avortement thérapeutique ou le port obligatoire de la capote, rien n’y fit. L’Osservatore Romano consacra même un article aux catholiques qui, en Ouganda, distribuent des préservatifs chaque jour : chacun tint cela pour une manœuvre de diversion.

Il faudra désormais que les catholiques français s’y habituent : sur les affaires de l’Eglise, Pierre Bergé et Christophe Dechavanne sont beaucoup plus informés et instruits que ce béotien de Mgr Vingt-Trois. De quoi se mêle-t-il, d’ailleurs, celui-là ? Et pourquoi défend-il le pape ? Il ne peut pas s’occuper de ses affaires ? Il n’a rien d’autre à faire dans la vie ? Spécialiste incontesté du prêt-à-penser, l’infaillible Pierre Bergé sait. Et il le dit lui-même, confessant au micro d’une journaliste de France 2 qu’il s’intéresse depuis longtemps aux affaires de l’Eglise, « bien qu’étant protestant et athée ». Bien vu, mon Pierrot. Et mon grand-père, il s’intéresse à la parution du prochain Têtu, « bien qu’étant mort et hétérosexuel ».

Comme l’ensemble de l’épiscopat français, président de la Conférence des évêques en tête, semblait unanime à préconiser l’usage du préservatif pour ceux qui ne peuvent pas s’empêcher d’avoir de multiples partenaires de jeux, on se fit fort d’aller débusquer à France Bleu Orléans l’évêque du cru qui professait sur les ondes de la radio publique la plus effroyable monstruosité : « Le préservatif n’est pas fiable à 100 %. » Ouh là là ! que n’avait-il pas dit, cet hérétique ! Ne sait-il pas que la capote est fiable à 1000 %, qu’on peut déchirer l’emballage avec les dents sans endommager le condom, que si on utilise comme lubrifiant de la vaseline ou de la harissa le préservatif n’est bien entendu jamais poreux et que l’histoire des trithérapies préventives en cas de rupture du latex n’est qu’une bonne grosse légende urbaine que les internes se racontent dans les salles de garde ?

Quand la bulle médiatique a une idée en tête, elle ne l’a pas ailleurs. Si elle a décidé que les curés étaient opposés à la capote, ils doivent se soumettre et s’y plier. C’est la raison pour laquelle on gonfle artificiellement l’audience d’un évêque qui s’exprime un matin sur une locale de Radio France pour lui consacrer le soir l’ouverture du 20 heures, tandis que Mgr Vingt-Trois, président de la conférence épiscopale, doit se contenter de notes de bas de page dans des revues spécialisées lorsqu’il veut balancer l’une ou l’autre chose sensée.

Je ne voudrais pas jouer le papolâtre de service – cela m’obligerait à me lever le dimanche matin et à me comporter en bon chrétien –, mais il me faut reconnaître que le langage de vérité, c’est l’Eglise catholique qui le tient. Il est à mille lieux des slogans : il appelle chacun à sa responsabilité. La relation à l’autre est une chose trop importante pour la confier aux publicitaires, comme ne l’a pas dit Clemenceau. Et même pour tirer son coup vite fait bien fait, toutes lumières éteintes, il ne suffit pas de réciter une neuvaine de Sortez couvert, il faut savoir mettre une capote et la mettre bien. Responsabilité, donc, et rien d’autre.

Autant l’avouer tout de suite : il faut s’appeler Hans Jonas (encore un Boche comme Ratzinger, on les aura !) pour trouver excitante l’éthique de responsabilité ou Emmanuel Levinas pour croire à cette fadaise que notre relation à autrui engage toujours notre propre humanité. Il faut même être un peu marxiste (c’est-à-dire beaucoup Jérôme Leroy) pour s’apercevoir que le comportement sexuel n’est pas du tout lié à la doctrine de l’Eglise catholique (qui professe ce qu’elle veut en matière de mœurs et que personne en définitive n’écoute), mais aux infrastructures de la société. Qu’on le veuille ou non, « le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus global de la vie sociale, politique et spirituelle[1. Marx, Préface à la Contribution à la critique de l’Économie politique, 1859.] ». Pour Marx, l’infrastructure conditionne la superstructure. Ce n’est pas le pape qui a décrété le puritanisme dans l’Angleterre victorienne ni même la reine elle-même. Ce n’était pas non plus l’aggiornamento des idées en vogue du temps d’Elisabeth I qui en était la cause. Les manufacturiers de Liverpool, dont les coûts salariaux s’amoindrissaient d’autant plus qu’ils promouvaient le modèle familial, gagnant deux autres bras supplémentaires et escomptant une progéniture[2. Appartenant dans la Rome ancienne à la dernière classe des citoyens, le prolétaire ne possède nulle autre fortune que sa progéniture (proles).] vite productive, avaient déjà scellé l’affaire…

Aujourd’hui, la loi de l’infrastructure, fût-elle « impensée » au sens althussérien, c’est la consommation. Et cette loi s’étend à toute l’hyperstructure : l’intime, le sociétal, le politique, le médiatique (le médiatique résultant d’un ordonnancement assez approximatif des trois autres ordres). Et manque de bol, le spirituel ne veut point s’y plier. Il résiste, le bougre. Et son langage devient dès lors incompréhensible. Quand les cuisses d’une femme sont aussi consommables qu’une paire de Nike, quand le corps de l’autre se rend aussi accessible que l’achat d’un sandwich au Mac Do du coin, quand les images et les slogans déferlent dans une indétermination absolue, quand tout se vaut dès lors que tout s’achète, alors plus rien ne vaut rien. Vouloir parler de valeurs dans ce monde-là est aussi opportun que parler de corde dans la maison d’un pendu.

Mais, à quoi bon, sur de tels sujets, user notre raison ? Contre l’infrastructure, on ne peut rien (le jeune Marx le pressentait dès sa dissertation d’Abitur). Il est aujourd’hui assez émouvant de voir quelques catholiques, comme Patrice de Plunkett et Vincent Neymon, vouloir réagir et tenir bon. Mais c’est comme pisser dans un violon, dût-il, ce dernier, jouer le Salve Regina.

Moi qui ne suis pas spécialiste de ces choses-là (et des autres non plus au demeurant), j’ai été interviewé, suite à un article sur Benoît XVI, par quelques journalistes. Le premier que j’eus au téléphone me demanda si j’étais catholique. Je lui répondis que oui et que, Dieu me préservant malgré tout de la bigoterie, c’était irrémédiable. Il enchaîna abruptement : « Vous êtes catholique, oui, mais de quel courant ? »

Il m’apprenait que l’Eglise avait des courants. Comme mon cœur balançait (suis-je catholique fabiusien, rocardien, strauss-kahnien ou mollétiste ?), je ne pus que lui répondre : « Je suis du courant Jésus, fils de Dieu, conçu du Saint Esprit, né de la Vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts… » Je n’étais pas arrivé à la communion des saints et à la rémission des péchés qu’il m’engueulait déjà au téléphone : « Et le pape dans tout ça ! Et ses erreurs de communication, hein ? »

Quand je lui expliquai que le rôle de l’Eglise n’était pas de participer à la bulle communicationnelle, mais d’assurer le bon envoi des bélinos et des mails entre l’ici-bas et le Très-Haut, il me prit pour un plaisantin, m’insulta de tous les noms et me raccrocha au nez. Quoi ? je ne suis pas à la droite de l’Eglise, je ne suis pas à sa gauche et encore moins en son milieu. Je crois simplement que l’Eglise n’a pas à s’adapter aux modes passagères ni à communiquer : elle a simplement à « porter témoignage » comme l’apôtre Paul y invitait déjà les Corinthiens. Et ce n’est pas le même job : la communication vous promet des Rolex, l’Eglise la vie éternelle. Chacun son fonds de pension.

En attendant, le 22 mars dernier, l’Agence France Presse distribuait, reprise d’un sondage Ifop-JDD, la bonne nouvelle : les catholiques français veulent changer de pape. Ben oui, mes cocos, et on l’installera en Avignon. Et il aura une gueule d’amour comme Gérard Philipe, sauf qu’il sera issu de la diversité et qu’on le choisira assez vieux pour qu’il clamse assez vite (les Français adorent les papes morts), qu’il aura la foi mais pas trop, qu’il sera hyper cool sur les questions sociétales, style Dalaï Lama mais en moins orange et qu’il se battra pour le pouvoir d’achat. Rien d’autre ? Si ! bien sûr, il faudrait aussi qu’il soit un peu juif et musulman, histoire de pas discriminer. Et s’il pouvait être homosexuel ou trans ou bi ou lesbienne au mois de juin, quand approche la gay pride, le type serait un vrai cador. Le nec plus ultra serait qu’il soit une femme. Une participative et démocratique. Et divorcée, deux enfants à charge, dont un ado à problèmes. Et sûr qu’on votera pour elle aux prochaines européennes.

Cessons nos quolibets, laissons parler l’Agence France-Presse : « 43 % des catholiques français souhaitent que le pape Benoît XVI démissionne ou parte en retraite, selon un sondage Ifop paru dans le Journal du dimanche. Seulement 54 % ne le souhaitent pas… » Et maintenant, ami catho, réactionnaire, papophile, contempteur de la capote et collectionneur incurable de croix légèrement gammées, révise ton arithmétique médiatique : elle t’apprendra que 43 est supérieur à 54. Evidemment. Alors, comme t’y incite le Carême, convertis-toi et crois en la Bonne Nouvelle. Tu y liras l’histoire d’un homme[2. Jean 8, 3-11. Or les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu, ils disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ? » Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son doigt sur le sol. Comme ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre ! » Et se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol. Mais eux, entendant cela, s’en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux ; et il fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu. Alors, se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle dit : « Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. »] qui se contentait de dessiner de son doigt des signes sur le sable, chaque fois que se déchaînait autour de lui la compétition des mauvaises nouvelles.

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Le vent se lève…

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne, absolument personne, n’a relevé dans la presse française le dernier dérapage de Jean-Marie Le Pen sur la question de l’antisémitisme. Interrogé par des journalistes à Bruxelles pour savoir ce qu’il pensait du dernier rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union, portant sur 19 pays européens et soulignant une nette remontée des actes antijuifs depuis le déclenchement des hostilités à Gaza, Jean-Marie Le Pen a répondu, sans l’ombre d’une hésitation : « Ça ne me surprend pas qu’il y ait une montée (de l’antisémitisme). En fait, c’est parfaitement compréhensible car Israël alimente des sentiments d’antisémitisme. » Quant au rapport de l’Agence, le président du FN a estimé qu’il s’agissait d’une « grossière diversion », destinée à faire oublier les crimes de guerre d’Israël à Gaza.

On s’étonnera donc que la presse française qui, il y a une semaine, avait amplement relayé la sortie de Le Pen au Parlement européen et le come-back du « détail » dans la rhétorique frontiste, soit restée muette devant cette justification de l’antisémitisme, dont les seuls coupables ne sauraient être que les Israéliens. Enfin on ne s’étonnera qu’à moitié. Parce qu’en vrai, ces mots, cette justification, cette absolution, ce n’est pas à Jean-Marie Le Pen qu’on les doit, mais à Ken Loach.

Oui oui, Ken Loach, le metteur en scène concerné de Bread and Roses, l’humaniste engagé de Le vent se lève, pour lequel il a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2006. Ken Loach le chouchou des pages cinéma de Télérama, du Monde et des Inrocks. Et surtout Ken Loach, le courageux militant d’extrême gauche, le grand contempteur du Capital et du social-libéralisme, le soutien inconditionnel d’Olivier Besancenot à la dernière présidentielle.

A ce stade du récit, une précision s’impose et notamment à l’attention des tenants de l’équation gauchisme = antisionisme = antisémitisme. Je le répéterai autant de fois qu’il le faudra : par pitié, laissons l’amalgame forcené au Camp du Bien ! Je n’accuse pas tous les trotskystes, ni toute l’extrême gauche de complaisance pour l’antisémitisme, et encore moins d’antisémitisme. En Grande Bretagne, de nombreux groupes marxistes ont dénoncé les déclarations de Loach. En France, l’excellent site trotskyste de Gilles Suze (un bolchevik old school, opposant interne au NPA) a prouvé, durant toute la durée du conflit à Gaza qu’on pouvait et qu’on devait impérativement faire la part des choses entre la condamnation de l’intervention et les accusations de massacres ou de génocide, porteuses de dérives antisémites. Toujours chez nous, depuis des années, c’est le site d’extrême gauche – certains diront même d’ultra-gauche – d’Yves Coleman[1. On pourra notamment y lire un compte-rendu hallucinant de la visite de courtoisie faite au Hezbollah par l’antisioniste radical Norman Finkelstein, auteur du fameux ouvrage L’Industrie de l’Holocauste.] qui maintient avec le plus de pertinence et de virulence les saines traditions de cordon sanitaire issues de l’Affaire Dreyfus – et que nombre d’élus banlieusards de la gauche et de la droite respectables oublient volontiers en période électorale.

Mais bon, cela étant dit, on est bien obligé de constater que le discours ultra-limite de Ken Loach a été glissé en douce sous le tapis de Libé jusqu’à l’Obs. Situation délicieuse, ce sont de fieffés réacs tsahalophiles comme mes amis XP et Menahem Macina qui ont rétabli le droit du cinéaste engagé à faire connaître ses prises de positions sur le Proche Orient, le pauvre ayant été censuré, pour son bien, par ses propres groupies !

On attendra donc en vain qu’à chaque fois que nos amis de la presse qui pense reparleront d’un film de Ken Loach, ils prendront des pincettes, préciseront que leur engouement est strictement artistique et qu’il n’a rien à voir avec ses prises de positions politiques nauséabondes ; un traitement façon Brigitte Bardot qu’on peut aimer dans Le mépris sans être pour autant accusé d’être favorable à l’abattage rituel de tous les immigrés pour l’Aïd el Kebir. Plus sérieusement, on attendra qu’Olivier Besancenot se fende d’une petite mise au point. Daniel Bensaïd, qui sait écrire, devrait pouvoir lui faire ça sans trop de souci. On sait le trotskyste lambda pointilleux, voire chichiteux sur les principes, faudrait pas perdre les bonnes habitudes avec la création du NPA. Rappelons que lors d’une rencontre avec le metteur en scène diffusée le 2 janvier 2008 sur France Inter, Olivier Besancenot avait déclaré : « J’irais bien au pouvoir avec Ken Loach ! » Espérons que le cas échéant, il ne lui confiera pas le Quai d’Orsay, et encore moins la division du ministère de l’Intérieur chargée de la protection des lieux de culte.

Bref, je pense qu’Olivier Besancenot et avec lui la quasi-totalité de l’establishment ont tort de fermer les yeux sur ces transgressions de plus en plus transgressives. On est tellement gêné qu’on préfère regarder ailleurs. C’est tabou, un peu comme l’inceste avant que ça devienne à la mode. On fait comme si ça n’existait pas, et pourtant, ça existe : Le Pen n’a pas le monopole du dérapage, il y a des chics types aux normes ISO 2009 qui trouvent que la montée de l’antisémitisme est understandable et que la dénonciation des récentes attaques de synagogues était une « grossière diversion » (Red herring, hareng rouge, en VO). Alors que jusque-là, le seul discours admissible dans cette frange de l’opinion était que quels que soient les crimes imputés à l’Etat d’Israël, toute forme d’antisémitisme était injustifiable. Grâce à Ken Loach, face aux actes antisémites, on est passé du traditionnel Je condamne, mais… à l’innovant Je comprends, mais…, bref on a franchi un palier, et qui risque de ne pas être le dernier. Sincèrement, je ne dis pas que Loach est antisémite et n’encourage personne à le penser. En revanche, je crois qu’il encourage l’antisémitisme, tout en étant intimement persuadé de ne pas le faire. Je pense que cet homme, comme des flopées de citoyennistes est plombé par sa vision strictement binaire du réel, par sa division du monde en bad guys et good guys, qui est pourtant celle des thrillers bourrins américains qu’il déteste et que j’adore. Par absence d’imagination, inculture historique ou paresse idéologique, Ken Loach plaque ses schémas de Land and freedom (méchants franquistes/gentils républicains ou encore crapules staliniennes/angelots trotskystes) sur le conflit entre Tsahal et Hamas, je vous laisse deviner qui est qui…

Le pire dans tout ça, c’est donc que Ken Loach n’est pas vraiment un raciste, ni plus spécialement un antisémite. Il est victime de son ignorance, de ses préjugés, de son simplisme. Oui, c’est ça, c’est un simplet. Il n’est en définitive que le frère jumeau du petit blanc gogol de ses propres cauchemars, celui qui croit que tous les arabes dealent du crack dans les caves de HLM entre deux tournantes…

Classes dangereuses, presse peureuse

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Ça se durcit sur le front de la lutte des classes. Le Monde a peur. Le journal, avec majuscule pas le monde en minuscule, c’est-à-dire les gens. Cette peur était patente dans le titre d’un article publié le 1er avril, en pages Economie. « La radicalisation des conflits sociaux se banalise. » En traduction, cela signifie que quand on ferme une usine pour raisons boursières, en face, on résiste. Et Le Monde trouve ça bien inquiétant, ce que confirme le sous-titre : « La violence générée par l’exaspération et le sentiment d’injustice des salariés face à la crise inquiète les experts. » Qu’en termes galants ces choses-là sont dites !

J’aime bien l’expression « sentiment d’injustice ».

Pendant des années, on a accusé ceux qui parlaient de « sentiment d’insécurité » de mollesse coupable, de refuser le bombardement des banlieues insurgées, le mitard pour les mineurs, l’estrapade pour les voleurs de mobylette. Il faut croire que si on peut imaginer un traitement de l’insécurité, il est plus difficile de faire la même chose pour l’injustice.

Vous faire virer comme n’importe quel salarié de Continental et apprendre le même jour le montant de l’indemnité de départ du patron de Valéo, ce n’est pas une injustice, c’est un sentiment d’injustice. Nuance. D’ailleurs qui a écrit cela ? Les experts. Alors là, évidemment si ce sont des experts, on n’a plus rien dire. Sauf que les experts, en matière d’économie, ils sont tous libéraux, c’est-à-dire juge et partie, ils vous ont expliqué pendant des années que le capitalisme financier était la seule solution et quand la Crise est arrivée, les experts ont essayé de faire oublier qu’ils s’étaient comportés comme des boussoles qui indiquent toujours le sud. Voilà pour Le Monde avec une majuscule.

Mais il y a aussi le monde en minuscule : les gens, quoi. Le monde en minuscule, il est plutôt content de voir la peur changer de camp, il est plutôt content de voir les patrons plus ou moins voyous se rendre compte de cette chose assez étonnante : les ouvriers sont des êtres humains et des êtres humains, ça souffre et quand ça souffre trop, surtout dans l’indifférence, ça se met en colère. Ça vous enferme, ça vous séquestre, ça vous insulte, ça vous force même à manifester avec vous, comme l’ont fait les ouvriers de Fulmen, à Auxerre. Après, le patron de Fulmen qui avait caché qu’Exide technologies, propriétaire du site, en avait décidé la fermeture pure et simple, déclare qu’il a été humilié. Ce doit être nouveau, pour lui, l’humiliation. Il ne devait pas croire que ça pouvait lui arriver. L’humiliation, pour lui, ce devait plutôt être un truc pour ceux qui reçoivent une lettre de licenciement par la poste, pour ceux qu’on bouge comme des pions au gré des missions d’intérim, pour ceux qui vivent à quatre sur une paie de mille euros.

Oui, le monde en minuscule, ça peut se faire avoir par un mensonge, mais il ne faut pas non plus exagérer: Nicolas Sarkozy promettant il y a quelques mois de sauver les emplois de Gandrange alors que le site vient de fermer définitivement et que l’Indien Mital s’en tire en toute impunité comme un Albert Spagiarri de la sidérurgie, ça pourrait servir de cours d’introduction à l’Ecole de la Démagogie que pourra toujours créer l’actuel président de la république, une fois qu’il aura été chassé du pouvoir par la juste fureur prolétarienne. Mittal a vidé les coffres, pris les machines et il s’est barré. Moins sympathique que Woody Allen mais avec la même devise qui fit le titre de son premier film : « Prends l’oseille et tire-toi ! »

Alors Le Monde, avec une majuscule, se cherche une cause et cette cause, ça ne peut pas être l’injustice puisque rappelons-le, il n’y a qu’un sentiment d’injustice. Bon, c’est un peu obscur, fumeux, on dit les choses sans les dire : « Sous le sceau de l’anonymat, un conseiller ministériel rapporte que des représentants syndicaux ont parfois été débordés par une base réceptive aux discours de l’extrême gauche. »

Elle pourrait servir d’exemple pour un cours de grammaire sur la modalisation, l’euphémisme, la périphrase, bref tout l’arsenal rhétorique de ceux qui cherchent à vous embrouiller. En gros, ce que veut dire Le Monde, c’est que tout ça, c’est uniquement de la faute aux gauchistes. En d’autres temps, on aurait accusé l’œil de Moscou. A croire que dans certains cercles du pouvoir, on se réunit dans le noir autour d’un guéridon en se tenant par le petit doigt et en demandant, plein d’espoir : « Esprit de Raymond Marcellin, es-tu là ? »

C’est assez amusant quand Le Monde ne comprend plus le monde, finalement.

Avec Obama, un monde sans Bombe

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Ce Barack Obama est un artiste. À la différence d’un Ronald Reagan dont les prestations cinématographiques ne furent qu’un tremplin à une carrière syndicale et politique longue d’un demi-siècle, il scénarise ses interventions avec un talent digne des meilleurs faiseurs hollywoodiens.

Tout l’art consiste à faire passer une action politique internationale d’un classicisme absolu pour une rupture radicale, et une navigation à vue pour la mise en mouvement d’un grand dessein. Après le discours de Berlin pendant la campagne électorale – sur fond de Porte de Brandebourg et renvoi subliminal au ich bin ein Berliner de John Kennedy, voilà le discours de Prague, prononcé dans un décor Mitteleuropa du plus bel effet.

Dans un tel environnement, on ne peut se contenter de paroles banales, d’un discours petit bras où l’on ferait modestement le bilan d’une réunion UE-Etats-Unis assez creuse, en emballant le tout d’une rhétorique convenue sur les bienfaits d’une relation transatlantique où tout le monde peut trouver son compte.

Chaque intervention solennelle du 44e président des Etats-Unis se doit donc de mériter le qualificatif d’historique, et dans ces premiers mois de son mandat, de susciter, chez les observateurs patentés le commentaire ravi qu’il s’agit d’une rupture radicale avec la politique de son prédécesseur honni. Avec une groupie comme la correspondante du Monde aux Etats-Unis, c’est fastoche : il suffit au président américain de faire tinter à ses oreilles ravies quelques petites phrases de tonalité gaucho-pacifiste pour qu’elle achète le lot sans regarder de trop près le contenu du paquet.

Génial, putain, le coup du monde sans bombe atomique dont il fait la nouvelle frontière de la politique étrangère américaine ! Cette déclinaison du yes, we can ! appliquée à un objectif que personne ne peut, en conscience rejeter sans passer pour un avatar du docteur Folamour, mais dont Obama ne peut ignorer qu’il est parfaitement inatteignable dans un avenir visible, est un leurre parfait pour faire gober au monde une nouvelle stratégie de lutte contre la dissémination nucléaire.

Le vrai message du discours de Prague ne réside donc pas dans l’angélisme de l’aspiration à un monde où l’on aurait envoyé à la ferraille tout l’arsenal atomique, mais dans le marché proposé aux Russes et aux Iraniens. Il est d’une simplicité digne des marchandages entre truands de ce Chicago dont cet Obama est, décidément, un digne rejeton : mon cher Medvedev, si tu nous aides à empêcher l’Iran de se doter de la bombe, on oublie le bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque, et on la met en veilleuse sur l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine et au Caucase. Et plus tard, pourquoi pas, on se mitonne une petite structure de sécurité collective Russie-Otan qui nous permettrait une cogestion des zones de cinglés où l’on s’est tour à tour emmêlé les pinceaux, comme l’Afghanistan.

Si ça marche (ce qui n’est pas sûr), Obama fermerait ainsi un peu plus la nasse sur les mollahs, tout en leur proposant un dialogue d’égal à égal (on ne rit pas !)

Pour donner le change, on propose un nouveau traité de réduction des armements stratégiques (ce qui est loin de signifier la dénucléarisation générale) et on interdit les essais nucléaires qui ne sont aujourd’hui nécessaires qu’aux pays en passe de franchir le seuil.

Pour le reste, on en revient à la configuration classique de la présence américaine au Proche et Moyen-Orient fondée sur les alliés traditionnels des Etats-Unis dans la région : Turquie, Israël et Arabie Saoudite. Le « mouvement » d’Obama consiste essentiellement à flatter Ankara et Ryad, quelque peu négligés par George W. Bush : aux Turcs on fait l’honneur d’une visite hautement médiatisée, et on promet aux Saoudiens de réintégrer le plan Abdallah pour le règlement du conflit israélo-arabe dans un processus de paix pour le moins ensablé… Si cela n’est pas du bricolage ordinaire de crânes d’œuf du département d’Etat, qui ressortent leurs vieux dossiers des années Clinton et Bush père, je veux bien être affecté à la rue arabe du quai d’Orsay !

L’idée qu’un monde sans arsenal atomique serait plus sûr et moins brutal qu’aujourd’hui est tentante, mais elle est historiquement erronée et politiquement irresponsable. L’équilibre de la terreur des années 1945-1989 a bien évidemment évité une nouvelle déflagration mondiale, et limité l’affrontement planétaire de deux blocs irréconciliables à des guerres périphériques, douloureuses, certes pour ceux qui les ont subies, mais limitées dans le temps et dans l’espace.

Tous les candidats crédibles et possibles au leadership mondial sont aujourd’hui dotés de l’arme atomique, et n’ont pas la moindre envie de s’en défaire. Pour les Etats-Unis, la Chine, la Russie, les intérêts vitaux ne se limitent pas à ce qui se passe à l’intérieur des frontières nationales, et la dissuasion nucléaire est la plus commode et la moins coûteuse en hommes et en matériel. Pourquoi iraient-ils se replacer dans une configuration géostratégique où ils seraient contraints d’exposer leurs soldats contre des entités étatiques « dissuadables » ?

L’Inde et le Pakistan s’empêchent mutuellement d’aller chercher l’autre au Cachemire, et Israël tient en respect des voisins dont les intentions à son égard n’ont rien de particulièrement amical. Pour l’Europe, voir OTAN.

Quant à notre cher et vieux pays, lui ôter sa « dissuasion du faible au fort » au nom d’un peace and love généralisé à l’ensemble de la planète serait aussi stupide qu’inélégant. On n’ôte pas sa vieille pétoire au grand-père qui a fait la guerre. D’abord, elle peut toujours servir à mettre en fuite les voleurs, et puis on a sa dignité.

Cher Julien Coupat

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Vous êtes en prison. De deux choses l’une : ou vous êtes coupable, ou vous êtes innocent. Si vous êtes coupable, avouez que c’est de bonne guerre. Pensez à ces centaines de personnes qui ont passé chacune six heures de plus que prévu dans un train. Multipliez, reconnaissez que ça vaut bien quelques mois de taule pour vous tout seul. Déduisez les heures de Jérôme Leroy, il a su en faire bon usage. Allez, à quelques heures près, pour le temps perdu disons qu’on est quitte. Mais le coût pour la SNCF, les dégâts à réparer, les voyageurs à dédommager, qui va payer ? Pas vous, on est d’accord. Non, c’est plutôt moi (le fasciste en chef ou monsieur tout le monde, le lecteur tranchera ) un peu en billets de train, un peu en impôts. Ça s’appelle la solidarité. Alors vous comprendrez qu’on s’attache à décourager les vocations. Et puis, si vous avez choisi la voie de la révolution, c’est le métier qui rentre, que voulez-vous. La révolution, c’est un peu comme la religion, dans la sphère privée, ça n’emmerde personne, sur la place publique, c’est une autre histoire.

Vous vous attaquez à la société, ce n’est pas une mince affaire. Moi qui n’ai pas votre témérité, je ne m’attaque qu’au bois. Car, comme nous l’enseigne Bruce Lee dans Opération Dragon, « le bois ne rend pas les coups ». La société est plus susceptible. Quand on lui chatouille les caténaires, elle éternue. Et vous voilà en prison, tout soufflé. Si cette épreuve vous met un peu de plomb dans la tête, au figuré, ça fait beaucoup moins mal. Dans la société sans police pour vous arrêter que vous appelez de vos vœux, vous auriez bien pu vous faire lyncher par un comité d’usagers en colère. Avouez que vous auriez pu tomber plus mal que dans la patrie de Voltaire, Rousseau et Sarkozy.

Si vous êtes innocent, là, c’est ballot, je dois le reconnaître.

Si vous vous êtes contenté de poêter avec vos potes et qu’on tente de vous faire taire, c’est salaud. C’est rigolo mais c’est salaud. Mais à toute chose malheur est bon. Si vous étiez de ces ultragauchistes jamais contents, l’âme un peu noire, incapable d’être totalement heureux parce que la faim dans le monde et la guerre en Irak, vous verrez, vous allez sortir avec l’air de l’imbécile heureux qui plonge dans la béatitude parce que le ciel est bleu et qu’il y a du papier dans les chiottes. Le bonheur par effet de contraste, vous allez voir c’est radical.

Et puis pensez à la notoriété acquise derrière les barreaux. Martyr de l’Etat policier sarkozyste, votre gloire est faite. De Plenel à Denisot, la Société du spectacle vous attend. Qui sait si vous ne finirez pas rédacteur en chef-adjoint à Libé, consultant chez RSCG ou aux Guignols de l’Info.

Mais cela n’est pas le seul bénéfice que vous allez pouvoir tirer de cette aventure. Avez-vous vu dans les manifestations en votre soutien ces attroupements d’étudiantes en mal de Ché, un peu naïves, un peu crédules et à point pour le Grand soir ? Pensez à ce vivier de jeunes filles dans un âge où la cervelle est déjà molle mais la fesse encore ferme, ça va vous changer de la rudesse de vos codétenus justement emprisonnés. À la libération, vous allez pouvoir enfourcher le train qui siffle plus d’une fois et partir à l’assaut de toutes ces vallées et de toutes ces collines.

Alors, on dit merci qui ? Merci Alain Bauer, merci Alliot-Marie.

Julien, courage, vous tenez le bon bout.

Premier avril à rallonge ?

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Un groupe Facebook nommé Les amis de Bézu vient de m’inviter, le 10 mai prochain à un récital de l’immortel créateur de A la queue-leu-leu. A première vue, l’invitation ne paraît pas émaner d’un de ces innombrables groupes de plaisantins qui polluent le réseau social. Elle est d’ailleurs accompagnée d’explications circonstanciées qui crédibilisent l’ensemble : « Artiste mondialement reconnu quoique légèrement éteint, André Bézu a décidé de célébrer le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, en offrant à l’Alliance un hymne à sa mesure. Il chantera pour la première fois cet hymne dans les jardins de l’Elysée. Le récital sera suivi d’un méchoui. Sangria à volonté. » Tout ça fait sérieux, donc. Mais un fait m’inquiète : l’évènement est d’importance, or Edwy Plenel, à qui rien n’échappe, n’en a pas parlé dans Médiapart. De là à envisager la possibilité d’un canular

D’intégrations en désintégration

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La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Otan a de nombreuses conséquences. La plus immédiate est la diminution probable de nos marges de manœuvre opérationnelles : d’une part, cette participation a un coût (environ un demi-milliard d’euros sur cinq ans), d’autre part, de nombreux officiers français seront détachés de nos armées au bénéfice des chaînes du commandement de l’organisation « atlantique » ; il est fort probable que les contingents qui seront dégarnis en priorité, seront ceux qui sont déployés, à la limite de nos capacités, sur les terrains extérieurs à l’Otan, notamment en Afrique.

Les garnisons françaises dont les effectifs ont déjà été réduits à deux reprises en deux ans pourraient encore être allégées, au risque de les rendre inaptes à leur mission, la première étant la stabilité de pays toujours menacés par les coups d’Etat ou les guerres. Où prélever encore ? Abandonner Djibouti serait renoncer à une carte stratégique de première importance ; il en va de même du Tchad, si fragile, comme en d’autres pays de l’Afrique occidentale ou équatoriale qui ont besoin de la France, tout autant que la France a besoin d’eux si elle veut rester une puissance mondiale. Notre lien très ancien avec l’Afrique serait ainsi, comme mécaniquement, la première victime du retour dans l’Otan.

À cela s’ajoutent des conséquences indéterminables mais inquiétantes : il est à peine besoin de rappeler que c’est dans le cadre de la politique d’indépendance menée par le général de Gaulle que furent menés à bien de grands programmes d’industrie de la défense, si précieuses pour la recherche, comme pour notre tissu industriel dans son ensemble. Toute politique consistant à nous en remettre à d’autre du soin de nous défendre a un effet démobilisateur, impossible à mesurer mais certain, qui compta pour beaucoup dans l’anémie de la IVe République. Au reste, si chacun en Europe s’en remet aux autres et, in fine, à une puissance extérieure, c’est l’Europe entière qui sera tôt ou tard sans défense – face au grand « ensauvagement du monde » qu’annonce hélas le XXIe siècle. S’il est vrai que l’indépendance a un coût et qu’il est difficile d’évaluer ses bénéfices, la dépendance a un coût plus grand encore, alors qu’elle est de bien faible rapport.

On touche ici à la dimension symbolique, à commencer par cette impression d’enfermement atlantique qui est un désaveu pour le général de Gaulle en signant l’abandon de sa conception de la Ve République. Ce renoncement est double puisqu’il se manifeste à l’échelle de l’Europe comme à celle du monde. Au moment même où la France revient comme membre à part entière de « la famille atlantique », on annonce l’installation d’une brigade allemande en Alsace, à Illkirch-Graffenstaden. De plus, par sa présence lors des cérémonies de Strasbourg et Kehl, la chancelière semble parrainer le retour de Paris dans le giron de Washington. Un retournement par rapport à la politique franco-allemande telle qu’elle fut fondée entre 1958 et 1963 : alors que de Gaulle tenta d’amener l’Allemagne sur la voie d’une Europe indépendante, c’est aujourd’hui l’Allemagne qui nous ramène à l’alliance américaine !

Il est curieux que la France « rende les armes », pour ainsi dire, alors même que les deux fondements de la solidarité atlantique, d’une part la menace soviétique, d’autre part la faiblesse de l’Europe dévastée par la guerre, sont des pages tournées depuis longtemps. En fait cette décision signifie surtout un alignement d’ordre diplomatique qui, dépassant de beaucoup le cadre atlantique, s’étend à la terre entière : comme l’a écrit le député Ump Daniel Garrigue (Sud-Ouest du 9 février) nous serons de plus en plus « enclins à suivre les Etats-Unis sur les théâtres extérieurs qu’ils choisiront (…) ; le risque est d’autant plus fort que le champ géographique de l’Otan s’est fortement étendu et qu’il est susceptible de s’étendre encore ». C’est là, poursuit le député, remettre en cause « l’un des rares consensus fort de notre pays, voulu par de Gaulle et confirmé par tous ses successeurs ».

Dernier point, le plus grave : depuis toujours la France se définit par son rapport au monde : elle est une voix singulière dans le monde, ou elle n’est rien. De ce point de vue, la politique étrangère est la pierre d’angle de l’unité de la Nation : c’est donc la cohésion de notre pays qui est ici en cause. Intégrée dans l’Union européenne, désormais intégrée dans l’Otan, la France se perd de vue elle-même : toute notre histoire montre que cette accumulation d’intégrations ne fera que précipiter sa désintégration interne – une lente sortie de l’Histoire.

L’Otan facilite le transit

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Profanation d’une église, incendie d’un hôtel, d’une pharmacie, d’un ancien poste frontière : les pacifistes anti-Otan sont parvenus à faire quelque chose de leur briquet et de leur barre à mine samedi à Strasbourg. Malgré les « incessantes provocations policières » et l’intervention d’habitants qui les ont empêchés de foutre le feu au groupe scolaire du quartier, nos braves pacifistes ont porté un coup sévère au grand capital dans le quartier du Port-du-Rhin, qui ne les avait pas attendus pour être déjà l’un des plus mal en point de la ville. Nos confrères des Dernières nouvelles d’Alsace ont couvert l’événement au fil des heures : ce n’est pas tous les jours qu’une locale a un état de siège et des échauffourées sous la main. La palme de la clairvoyance journalistique va certainement aux photographes du quotidien régional qui, pour nommer les photos des exactions sur la version en ligne du quotidien, n’ont rien trouvé de mieux que de ressortir de la fosse d’aisance un mot de cinq de lettres : c’est vrai que ce samedi, à Strasbourg, c’était vraiment la merde.

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Médiapart et l’affaire Limonov

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Ah, elle n’a pas été longue la réplique des tolérants, ou plutôt de ceux qui confondent tolérance et démocratie. En ce dimanche tranquille, l’un des correspondants savoyards du Culet (comité uni pour une littérature éthique) m’a prévenu que le site Mediapart prenait la défense du rouge-brun Limonov dont nous avions dénoncé ici, grâce à cet asile pour vrais vigilants qu’est Causeur[1. Encore que par souci de réinsertion ce site abrite malheureusement d’anciens rouges-bruns que je ne nommerai pas.], la réapparition éditoriale chez Actes Sud, maison respectant pourtant d’habitude cette éthique à laquelle ma famille de pensée est tellement attachée. Que cela plaise ou non à Mediapart, il y a une tentation rampante à éditer ou rééditer, dans les meilleures maisons, des auteurs idéologiquement suspects. Etait-il indispensable par exemple que Le Dilettante publiât le mois dernier Enfantillages de Jacques Perret qui fut en son temps un écrivain monarchiste et proche de l’OAS ? Que quelques esthètes dévoyés voient chez Perret un sommet de la prose française et une manière inimitable de donner de jolies couleurs à notre langue est une chose, que cela soit édité sans la moindre précaution d’usage, par exemple une remise en perspective de Perret et de ses liens avec l’extrême droite, est véritablement dangereux.

Si les jeunes gens des cités risquent à tout instant de croiser un dealer, ceux des quartiers plus favorisés, eux, risquent de croiser un libraire. Et tous les libraires n’ont pas le bon sens de recommander des livres sains aux jeunes âmes en quête de sens. Plutôt que Pennac, Picouly ou Fred Vargas, qui a récemment rallié mon parti, ils pourront leur conseiller, parce qu’ils sont en vente libre et sans avertissement, l’antisémite surévalué Céline ou, plus proche de nous, Houellebecq, dont le pessimisme morbide, le racisme latent et l’islamophobie sont absolument effrayants, surtout à l’approche d’élections européennes qui doivent être vécues dans un esprit de fraternité démocratique. Tout le monde n’a pas le sang froid d’Elisabeth Lévy qui peut interviouver Maurice G.Dantec sans vomir et montrer ainsi à quel point cet auteur crypto-nazi est proche du delirium tremens.

Tu quoque mi fili ! seraient tentés de lancer tous les membres du Culet au site Mediapart en qui nous pensions trouver un allié dans l’élaboration de cette charte pour une littérature démocrate et humaniste qui se révèle plus que jamais indispensable

Hélas, il semble que notre combat soit encore plus dur que prévu, que bon nombre d’éditeurs, de journalistes et d’écrivains fassent preuve d’une inconséquence citoyenne tragique qui n’est pas sans rappeler les discussions des moines byzantins sur le sexe des anges alors que les Turcs assiégeaient Constantinople.

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Fourrure, fureurs, fou rire

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Tout avait bien commencé pour l’association américaine de défense des animaux PETA (People for the Ethical Treatment of Animals). Elle s’était d’abord fait favorablement connaître en faisant poser des tops entièrement dévêtues sous le slogan affriolant « Plutôt à poil qu’en fourrure ! » Le buzz avait encore enflé quand PETA avait envoyé des commandos de petites femmes nues semer leur zone lors des défilés où l’on exhibait de la zibeline ou du chinchilla. Puis suivant l’exemple des écolos londoniens creveurs de pneus de 4×4, ses militantes avaient encore haussé le ton et semé la terreur dans les fiestas de la jet set new-yorkaise en aspergeant d’hémoglobine les ultimes porteuses d’étoles criminogènes. Hélas, le vent a tourné : chez tous les créateurs, la fourrure, un temps oubliée pour ne pas faire de vagues, est redevenue top trendy. Et PETA, boudée par les mannequins qui se sont trouvé d’autres causes humanitaires, se retrouve mis en accusation, et cette fois par les amis des bêtes ! L’association qui, du temps de sa splendeur – et de ses fundraisings fructueux –, avait ouvert à Norfolk (Virginie) un refuge pour animaux abandonnés vient de reconnaître avoir euthanasié, faute de familles d’accueil, 95 % de ses hôtes à quatre pattes. Rassurez-vous les deux mille et quelques chiens et chats piqués en 2008 ont été ensuite dûment incinérés. Ça doit être ça le « traitement éthique » : on n’a pas revendu leurs peaux à des tanneurs…

Le pape, le pape, le pape

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La France est un pays catholique. Enfin, elle l’était encore la semaine dernière, quand tout ce qui portait calotte passionnait les rédactions et déclenchait dans le pays des élans rares de haine et de détestation. Quelle autre nation qu’une ultra-catholique pourrait à ce point focaliser toute son attention sur les propos et l’attitude de l’évêque romain ? Les sujets de préoccupation de nos journaux et de nos magazines n’ont rien eu à envier ces dernières semaines à ceux de l’Osservatore Romano : le pape, le pape, le pape.

On croyait la République laïque, on la voyait maintenant s’agenouiller sur des prie-dieu, faire ses dévotions et enseigner à l’Eglise ce qu’elle devait croire, dire et penser. Exeunt les polémiques sur les racines chrétiennes de l’Europe et la laïcité positive : la Fille aînée de l’Eglise était de retour. En forme, quoique légèrement sourdingue.

Rien d’autre que le pape ne semblait plus exister dans l’actualité. Chacun, ministres et people, avait son avis sur la question et entendait bien toucher sa part du gâteau médiatique pour dénoncer les propos de ce pape décidemment réactionnaire. Pour enfoncer le clou, on compara même Benoît XVI à son prédécesseur : on apprit donc que Jean-Paul II n’avait pas seulement attaqué le mur de Berlin à la petite cuiller, mais qu’il était aussi beaucoup plus cool sur les questions de société – dernière nouvelle. L’Eglise eut beau envoyer quelques-uns de ses prélats pour tenter d’expliquer ses positions sur la levée de l’excommunication des lefebvristes, l’avortement thérapeutique ou le port obligatoire de la capote, rien n’y fit. L’Osservatore Romano consacra même un article aux catholiques qui, en Ouganda, distribuent des préservatifs chaque jour : chacun tint cela pour une manœuvre de diversion.

Il faudra désormais que les catholiques français s’y habituent : sur les affaires de l’Eglise, Pierre Bergé et Christophe Dechavanne sont beaucoup plus informés et instruits que ce béotien de Mgr Vingt-Trois. De quoi se mêle-t-il, d’ailleurs, celui-là ? Et pourquoi défend-il le pape ? Il ne peut pas s’occuper de ses affaires ? Il n’a rien d’autre à faire dans la vie ? Spécialiste incontesté du prêt-à-penser, l’infaillible Pierre Bergé sait. Et il le dit lui-même, confessant au micro d’une journaliste de France 2 qu’il s’intéresse depuis longtemps aux affaires de l’Eglise, « bien qu’étant protestant et athée ». Bien vu, mon Pierrot. Et mon grand-père, il s’intéresse à la parution du prochain Têtu, « bien qu’étant mort et hétérosexuel ».

Comme l’ensemble de l’épiscopat français, président de la Conférence des évêques en tête, semblait unanime à préconiser l’usage du préservatif pour ceux qui ne peuvent pas s’empêcher d’avoir de multiples partenaires de jeux, on se fit fort d’aller débusquer à France Bleu Orléans l’évêque du cru qui professait sur les ondes de la radio publique la plus effroyable monstruosité : « Le préservatif n’est pas fiable à 100 %. » Ouh là là ! que n’avait-il pas dit, cet hérétique ! Ne sait-il pas que la capote est fiable à 1000 %, qu’on peut déchirer l’emballage avec les dents sans endommager le condom, que si on utilise comme lubrifiant de la vaseline ou de la harissa le préservatif n’est bien entendu jamais poreux et que l’histoire des trithérapies préventives en cas de rupture du latex n’est qu’une bonne grosse légende urbaine que les internes se racontent dans les salles de garde ?

Quand la bulle médiatique a une idée en tête, elle ne l’a pas ailleurs. Si elle a décidé que les curés étaient opposés à la capote, ils doivent se soumettre et s’y plier. C’est la raison pour laquelle on gonfle artificiellement l’audience d’un évêque qui s’exprime un matin sur une locale de Radio France pour lui consacrer le soir l’ouverture du 20 heures, tandis que Mgr Vingt-Trois, président de la conférence épiscopale, doit se contenter de notes de bas de page dans des revues spécialisées lorsqu’il veut balancer l’une ou l’autre chose sensée.

Je ne voudrais pas jouer le papolâtre de service – cela m’obligerait à me lever le dimanche matin et à me comporter en bon chrétien –, mais il me faut reconnaître que le langage de vérité, c’est l’Eglise catholique qui le tient. Il est à mille lieux des slogans : il appelle chacun à sa responsabilité. La relation à l’autre est une chose trop importante pour la confier aux publicitaires, comme ne l’a pas dit Clemenceau. Et même pour tirer son coup vite fait bien fait, toutes lumières éteintes, il ne suffit pas de réciter une neuvaine de Sortez couvert, il faut savoir mettre une capote et la mettre bien. Responsabilité, donc, et rien d’autre.

Autant l’avouer tout de suite : il faut s’appeler Hans Jonas (encore un Boche comme Ratzinger, on les aura !) pour trouver excitante l’éthique de responsabilité ou Emmanuel Levinas pour croire à cette fadaise que notre relation à autrui engage toujours notre propre humanité. Il faut même être un peu marxiste (c’est-à-dire beaucoup Jérôme Leroy) pour s’apercevoir que le comportement sexuel n’est pas du tout lié à la doctrine de l’Eglise catholique (qui professe ce qu’elle veut en matière de mœurs et que personne en définitive n’écoute), mais aux infrastructures de la société. Qu’on le veuille ou non, « le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus global de la vie sociale, politique et spirituelle[1. Marx, Préface à la Contribution à la critique de l’Économie politique, 1859.] ». Pour Marx, l’infrastructure conditionne la superstructure. Ce n’est pas le pape qui a décrété le puritanisme dans l’Angleterre victorienne ni même la reine elle-même. Ce n’était pas non plus l’aggiornamento des idées en vogue du temps d’Elisabeth I qui en était la cause. Les manufacturiers de Liverpool, dont les coûts salariaux s’amoindrissaient d’autant plus qu’ils promouvaient le modèle familial, gagnant deux autres bras supplémentaires et escomptant une progéniture[2. Appartenant dans la Rome ancienne à la dernière classe des citoyens, le prolétaire ne possède nulle autre fortune que sa progéniture (proles).] vite productive, avaient déjà scellé l’affaire…

Aujourd’hui, la loi de l’infrastructure, fût-elle « impensée » au sens althussérien, c’est la consommation. Et cette loi s’étend à toute l’hyperstructure : l’intime, le sociétal, le politique, le médiatique (le médiatique résultant d’un ordonnancement assez approximatif des trois autres ordres). Et manque de bol, le spirituel ne veut point s’y plier. Il résiste, le bougre. Et son langage devient dès lors incompréhensible. Quand les cuisses d’une femme sont aussi consommables qu’une paire de Nike, quand le corps de l’autre se rend aussi accessible que l’achat d’un sandwich au Mac Do du coin, quand les images et les slogans déferlent dans une indétermination absolue, quand tout se vaut dès lors que tout s’achète, alors plus rien ne vaut rien. Vouloir parler de valeurs dans ce monde-là est aussi opportun que parler de corde dans la maison d’un pendu.

Mais, à quoi bon, sur de tels sujets, user notre raison ? Contre l’infrastructure, on ne peut rien (le jeune Marx le pressentait dès sa dissertation d’Abitur). Il est aujourd’hui assez émouvant de voir quelques catholiques, comme Patrice de Plunkett et Vincent Neymon, vouloir réagir et tenir bon. Mais c’est comme pisser dans un violon, dût-il, ce dernier, jouer le Salve Regina.

Moi qui ne suis pas spécialiste de ces choses-là (et des autres non plus au demeurant), j’ai été interviewé, suite à un article sur Benoît XVI, par quelques journalistes. Le premier que j’eus au téléphone me demanda si j’étais catholique. Je lui répondis que oui et que, Dieu me préservant malgré tout de la bigoterie, c’était irrémédiable. Il enchaîna abruptement : « Vous êtes catholique, oui, mais de quel courant ? »

Il m’apprenait que l’Eglise avait des courants. Comme mon cœur balançait (suis-je catholique fabiusien, rocardien, strauss-kahnien ou mollétiste ?), je ne pus que lui répondre : « Je suis du courant Jésus, fils de Dieu, conçu du Saint Esprit, né de la Vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts… » Je n’étais pas arrivé à la communion des saints et à la rémission des péchés qu’il m’engueulait déjà au téléphone : « Et le pape dans tout ça ! Et ses erreurs de communication, hein ? »

Quand je lui expliquai que le rôle de l’Eglise n’était pas de participer à la bulle communicationnelle, mais d’assurer le bon envoi des bélinos et des mails entre l’ici-bas et le Très-Haut, il me prit pour un plaisantin, m’insulta de tous les noms et me raccrocha au nez. Quoi ? je ne suis pas à la droite de l’Eglise, je ne suis pas à sa gauche et encore moins en son milieu. Je crois simplement que l’Eglise n’a pas à s’adapter aux modes passagères ni à communiquer : elle a simplement à « porter témoignage » comme l’apôtre Paul y invitait déjà les Corinthiens. Et ce n’est pas le même job : la communication vous promet des Rolex, l’Eglise la vie éternelle. Chacun son fonds de pension.

En attendant, le 22 mars dernier, l’Agence France Presse distribuait, reprise d’un sondage Ifop-JDD, la bonne nouvelle : les catholiques français veulent changer de pape. Ben oui, mes cocos, et on l’installera en Avignon. Et il aura une gueule d’amour comme Gérard Philipe, sauf qu’il sera issu de la diversité et qu’on le choisira assez vieux pour qu’il clamse assez vite (les Français adorent les papes morts), qu’il aura la foi mais pas trop, qu’il sera hyper cool sur les questions sociétales, style Dalaï Lama mais en moins orange et qu’il se battra pour le pouvoir d’achat. Rien d’autre ? Si ! bien sûr, il faudrait aussi qu’il soit un peu juif et musulman, histoire de pas discriminer. Et s’il pouvait être homosexuel ou trans ou bi ou lesbienne au mois de juin, quand approche la gay pride, le type serait un vrai cador. Le nec plus ultra serait qu’il soit une femme. Une participative et démocratique. Et divorcée, deux enfants à charge, dont un ado à problèmes. Et sûr qu’on votera pour elle aux prochaines européennes.

Cessons nos quolibets, laissons parler l’Agence France-Presse : « 43 % des catholiques français souhaitent que le pape Benoît XVI démissionne ou parte en retraite, selon un sondage Ifop paru dans le Journal du dimanche. Seulement 54 % ne le souhaitent pas… » Et maintenant, ami catho, réactionnaire, papophile, contempteur de la capote et collectionneur incurable de croix légèrement gammées, révise ton arithmétique médiatique : elle t’apprendra que 43 est supérieur à 54. Evidemment. Alors, comme t’y incite le Carême, convertis-toi et crois en la Bonne Nouvelle. Tu y liras l’histoire d’un homme[2. Jean 8, 3-11. Or les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu, ils disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ? » Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son doigt sur le sol. Comme ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre ! » Et se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol. Mais eux, entendant cela, s’en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux ; et il fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu. Alors, se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle dit : « Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. »] qui se contentait de dessiner de son doigt des signes sur le sable, chaque fois que se déchaînait autour de lui la compétition des mauvaises nouvelles.

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Le vent se lève…

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne, absolument personne, n’a relevé dans la presse française le dernier dérapage de Jean-Marie Le Pen sur la question de l’antisémitisme. Interrogé par des journalistes à Bruxelles pour savoir ce qu’il pensait du dernier rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union, portant sur 19 pays européens et soulignant une nette remontée des actes antijuifs depuis le déclenchement des hostilités à Gaza, Jean-Marie Le Pen a répondu, sans l’ombre d’une hésitation : « Ça ne me surprend pas qu’il y ait une montée (de l’antisémitisme). En fait, c’est parfaitement compréhensible car Israël alimente des sentiments d’antisémitisme. » Quant au rapport de l’Agence, le président du FN a estimé qu’il s’agissait d’une « grossière diversion », destinée à faire oublier les crimes de guerre d’Israël à Gaza.

On s’étonnera donc que la presse française qui, il y a une semaine, avait amplement relayé la sortie de Le Pen au Parlement européen et le come-back du « détail » dans la rhétorique frontiste, soit restée muette devant cette justification de l’antisémitisme, dont les seuls coupables ne sauraient être que les Israéliens. Enfin on ne s’étonnera qu’à moitié. Parce qu’en vrai, ces mots, cette justification, cette absolution, ce n’est pas à Jean-Marie Le Pen qu’on les doit, mais à Ken Loach.

Oui oui, Ken Loach, le metteur en scène concerné de Bread and Roses, l’humaniste engagé de Le vent se lève, pour lequel il a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2006. Ken Loach le chouchou des pages cinéma de Télérama, du Monde et des Inrocks. Et surtout Ken Loach, le courageux militant d’extrême gauche, le grand contempteur du Capital et du social-libéralisme, le soutien inconditionnel d’Olivier Besancenot à la dernière présidentielle.

A ce stade du récit, une précision s’impose et notamment à l’attention des tenants de l’équation gauchisme = antisionisme = antisémitisme. Je le répéterai autant de fois qu’il le faudra : par pitié, laissons l’amalgame forcené au Camp du Bien ! Je n’accuse pas tous les trotskystes, ni toute l’extrême gauche de complaisance pour l’antisémitisme, et encore moins d’antisémitisme. En Grande Bretagne, de nombreux groupes marxistes ont dénoncé les déclarations de Loach. En France, l’excellent site trotskyste de Gilles Suze (un bolchevik old school, opposant interne au NPA) a prouvé, durant toute la durée du conflit à Gaza qu’on pouvait et qu’on devait impérativement faire la part des choses entre la condamnation de l’intervention et les accusations de massacres ou de génocide, porteuses de dérives antisémites. Toujours chez nous, depuis des années, c’est le site d’extrême gauche – certains diront même d’ultra-gauche – d’Yves Coleman[1. On pourra notamment y lire un compte-rendu hallucinant de la visite de courtoisie faite au Hezbollah par l’antisioniste radical Norman Finkelstein, auteur du fameux ouvrage L’Industrie de l’Holocauste.] qui maintient avec le plus de pertinence et de virulence les saines traditions de cordon sanitaire issues de l’Affaire Dreyfus – et que nombre d’élus banlieusards de la gauche et de la droite respectables oublient volontiers en période électorale.

Mais bon, cela étant dit, on est bien obligé de constater que le discours ultra-limite de Ken Loach a été glissé en douce sous le tapis de Libé jusqu’à l’Obs. Situation délicieuse, ce sont de fieffés réacs tsahalophiles comme mes amis XP et Menahem Macina qui ont rétabli le droit du cinéaste engagé à faire connaître ses prises de positions sur le Proche Orient, le pauvre ayant été censuré, pour son bien, par ses propres groupies !

On attendra donc en vain qu’à chaque fois que nos amis de la presse qui pense reparleront d’un film de Ken Loach, ils prendront des pincettes, préciseront que leur engouement est strictement artistique et qu’il n’a rien à voir avec ses prises de positions politiques nauséabondes ; un traitement façon Brigitte Bardot qu’on peut aimer dans Le mépris sans être pour autant accusé d’être favorable à l’abattage rituel de tous les immigrés pour l’Aïd el Kebir. Plus sérieusement, on attendra qu’Olivier Besancenot se fende d’une petite mise au point. Daniel Bensaïd, qui sait écrire, devrait pouvoir lui faire ça sans trop de souci. On sait le trotskyste lambda pointilleux, voire chichiteux sur les principes, faudrait pas perdre les bonnes habitudes avec la création du NPA. Rappelons que lors d’une rencontre avec le metteur en scène diffusée le 2 janvier 2008 sur France Inter, Olivier Besancenot avait déclaré : « J’irais bien au pouvoir avec Ken Loach ! » Espérons que le cas échéant, il ne lui confiera pas le Quai d’Orsay, et encore moins la division du ministère de l’Intérieur chargée de la protection des lieux de culte.

Bref, je pense qu’Olivier Besancenot et avec lui la quasi-totalité de l’establishment ont tort de fermer les yeux sur ces transgressions de plus en plus transgressives. On est tellement gêné qu’on préfère regarder ailleurs. C’est tabou, un peu comme l’inceste avant que ça devienne à la mode. On fait comme si ça n’existait pas, et pourtant, ça existe : Le Pen n’a pas le monopole du dérapage, il y a des chics types aux normes ISO 2009 qui trouvent que la montée de l’antisémitisme est understandable et que la dénonciation des récentes attaques de synagogues était une « grossière diversion » (Red herring, hareng rouge, en VO). Alors que jusque-là, le seul discours admissible dans cette frange de l’opinion était que quels que soient les crimes imputés à l’Etat d’Israël, toute forme d’antisémitisme était injustifiable. Grâce à Ken Loach, face aux actes antisémites, on est passé du traditionnel Je condamne, mais… à l’innovant Je comprends, mais…, bref on a franchi un palier, et qui risque de ne pas être le dernier. Sincèrement, je ne dis pas que Loach est antisémite et n’encourage personne à le penser. En revanche, je crois qu’il encourage l’antisémitisme, tout en étant intimement persuadé de ne pas le faire. Je pense que cet homme, comme des flopées de citoyennistes est plombé par sa vision strictement binaire du réel, par sa division du monde en bad guys et good guys, qui est pourtant celle des thrillers bourrins américains qu’il déteste et que j’adore. Par absence d’imagination, inculture historique ou paresse idéologique, Ken Loach plaque ses schémas de Land and freedom (méchants franquistes/gentils républicains ou encore crapules staliniennes/angelots trotskystes) sur le conflit entre Tsahal et Hamas, je vous laisse deviner qui est qui…

Le pire dans tout ça, c’est donc que Ken Loach n’est pas vraiment un raciste, ni plus spécialement un antisémite. Il est victime de son ignorance, de ses préjugés, de son simplisme. Oui, c’est ça, c’est un simplet. Il n’est en définitive que le frère jumeau du petit blanc gogol de ses propres cauchemars, celui qui croit que tous les arabes dealent du crack dans les caves de HLM entre deux tournantes…