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Classes dangereuses, presse peureuse


Classes dangereuses, presse peureuse

Ça se durcit sur le front de la lutte des classes. Le Monde a peur. Le journal, avec majuscule pas le monde en minuscule, c’est-à-dire les gens. Cette peur était patente dans le titre d’un article publié le 1er avril, en pages Economie. « La radicalisation des conflits sociaux se banalise. » En traduction, cela signifie que quand on ferme une usine pour raisons boursières, en face, on résiste. Et Le Monde trouve ça bien inquiétant, ce que confirme le sous-titre : « La violence générée par l’exaspération et le sentiment d’injustice des salariés face à la crise inquiète les experts. » Qu’en termes galants ces choses-là sont dites !

J’aime bien l’expression « sentiment d’injustice ».

Pendant des années, on a accusé ceux qui parlaient de « sentiment d’insécurité » de mollesse coupable, de refuser le bombardement des banlieues insurgées, le mitard pour les mineurs, l’estrapade pour les voleurs de mobylette. Il faut croire que si on peut imaginer un traitement de l’insécurité, il est plus difficile de faire la même chose pour l’injustice.

Vous faire virer comme n’importe quel salarié de Continental et apprendre le même jour le montant de l’indemnité de départ du patron de Valéo, ce n’est pas une injustice, c’est un sentiment d’injustice. Nuance. D’ailleurs qui a écrit cela ? Les experts. Alors là, évidemment si ce sont des experts, on n’a plus rien dire. Sauf que les experts, en matière d’économie, ils sont tous libéraux, c’est-à-dire juge et partie, ils vous ont expliqué pendant des années que le capitalisme financier était la seule solution et quand la Crise est arrivée, les experts ont essayé de faire oublier qu’ils s’étaient comportés comme des boussoles qui indiquent toujours le sud. Voilà pour Le Monde avec une majuscule.

Mais il y a aussi le monde en minuscule : les gens, quoi. Le monde en minuscule, il est plutôt content de voir la peur changer de camp, il est plutôt content de voir les patrons plus ou moins voyous se rendre compte de cette chose assez étonnante : les ouvriers sont des êtres humains et des êtres humains, ça souffre et quand ça souffre trop, surtout dans l’indifférence, ça se met en colère. Ça vous enferme, ça vous séquestre, ça vous insulte, ça vous force même à manifester avec vous, comme l’ont fait les ouvriers de Fulmen, à Auxerre. Après, le patron de Fulmen qui avait caché qu’Exide technologies, propriétaire du site, en avait décidé la fermeture pure et simple, déclare qu’il a été humilié. Ce doit être nouveau, pour lui, l’humiliation. Il ne devait pas croire que ça pouvait lui arriver. L’humiliation, pour lui, ce devait plutôt être un truc pour ceux qui reçoivent une lettre de licenciement par la poste, pour ceux qu’on bouge comme des pions au gré des missions d’intérim, pour ceux qui vivent à quatre sur une paie de mille euros.

Oui, le monde en minuscule, ça peut se faire avoir par un mensonge, mais il ne faut pas non plus exagérer: Nicolas Sarkozy promettant il y a quelques mois de sauver les emplois de Gandrange alors que le site vient de fermer définitivement et que l’Indien Mital s’en tire en toute impunité comme un Albert Spagiarri de la sidérurgie, ça pourrait servir de cours d’introduction à l’Ecole de la Démagogie que pourra toujours créer l’actuel président de la république, une fois qu’il aura été chassé du pouvoir par la juste fureur prolétarienne. Mittal a vidé les coffres, pris les machines et il s’est barré. Moins sympathique que Woody Allen mais avec la même devise qui fit le titre de son premier film : « Prends l’oseille et tire-toi ! »

Alors Le Monde, avec une majuscule, se cherche une cause et cette cause, ça ne peut pas être l’injustice puisque rappelons-le, il n’y a qu’un sentiment d’injustice. Bon, c’est un peu obscur, fumeux, on dit les choses sans les dire : « Sous le sceau de l’anonymat, un conseiller ministériel rapporte que des représentants syndicaux ont parfois été débordés par une base réceptive aux discours de l’extrême gauche. »

Elle pourrait servir d’exemple pour un cours de grammaire sur la modalisation, l’euphémisme, la périphrase, bref tout l’arsenal rhétorique de ceux qui cherchent à vous embrouiller. En gros, ce que veut dire Le Monde, c’est que tout ça, c’est uniquement de la faute aux gauchistes. En d’autres temps, on aurait accusé l’œil de Moscou. A croire que dans certains cercles du pouvoir, on se réunit dans le noir autour d’un guéridon en se tenant par le petit doigt et en demandant, plein d’espoir : « Esprit de Raymond Marcellin, es-tu là ? »

C’est assez amusant quand Le Monde ne comprend plus le monde, finalement.



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