Une campagne publicitaire lancée par Maison de la France (l’organisme officiel de promotion touristique française) et le secrétariat d’État à l’Outre-Mer nous propose depuis quelques jours de partir aux « Caraïbes françaises ». Les cyclones, les rumeurs persistantes sur la qualité de l’accueil et les grèves sont passés par là et n’ont rien laissé de l’ancien attrait des îles. Et puis, le terme « Caraïbes » est innocent de tout passé colonial et renvoie plutôt à Johnny Depp qu’à Elie Domota. Changer le nom d’un produit pour utiliser le jargon d’usage signifie que l’image qu’il véhicule est à la fois mauvaise et incorrigible, à l’exemple des défuntes Côtes-du-Nord ou de feu le RPR ….
Le pape est ashkénaze
Nous avons un pape freestyle. Le vocabulaire du hip-hop ne convient peut-être pas parfaitement à ce mélomane plus familier de Mozart que de la Zulu Nation, mais le fait est que les figures imposées ne sont vraiment pas son fort. S’il est aussi retors en théologie qu’un vieux talmudiste en interprétation des Écritures, il est rétif à la communication et au marketing. Ce qu’il dit, on ne l’attend pas ; ce qu’on attend, il ne le dit pas. Cette attitude a de quoi décontenancer la plupart de ceux qui, même loin de Bethléem, tiennent le monde pour une crèche et les hommes pour des santons à jamais fixés dans un rôle connu d’avance.
Son pèlerinage en Terre Sainte l’a, une nouvelle fois, démontré : entre Benoît XVI et les médias, le divorce est irréparable. Alors que la moindre speakerine débutante sait se répandre en pleurnicheries convenues quand les caméras tournent, le pape aborde toute chose avec retenue et pudeur, comme s’il n’avait jamais cessé d’être un austère professeur de Tübingen. L’émotion sur commande et en direct live, ce n’est pas son truc.
La pudeur, c’est pourtant l’autre nom du vrai respect, là où commence toute civilisation. Certes, cette idée n’est pas très raccord avec notre époque qui exige de chacun la transparence et le déballage intime, comme si des sentiments ne devenaient pas immédiatement des simagrées lorsqu’on les exprime à la face du monde. Sénèque avait compris cela qui demandait à Polybe de contenir ses larmes face à la douleur des siens : « Tu dois être leur consolation et leur consolateur ; or, peux-tu soulager leurs plaintes quand tu laisses libre cours aux tiennes. » Cette dignité de caractère (gravitas) était exigée, dans la Rome ancienne, par le mos maiorum[1. Le mos majorum, littéralement la « coutume des anciens », était l’ensemble des vertus traditionnelles à Rome.], au même titre que la vertu (virtus), la piété (pietas) ou l’honnêteté (honestas). Héritier de cette civilisation-là, le pape s’est résolu à faire définitivement une croix sur un éventuel passage chez Mireille Dumas.
À Yad Vashem, pas d’émotion ni d’image saisissante à se mettre sous l’objectif. Pire : ni compassion ni repentance, mais un discours « froid et abstrait », selon les termes du directeur du Mémorial, Avner Schalev. Du Yediot Aharonot à Haaretz, c’est ce qui a, ces jours-ci, le plus fortement déçu l’opinion publique israélienne – déception que Shimon Peres balaie d’un revers de la main en confiant dans un entretien à la presse étrangère : « La visite du pape relève plus des livres d’histoire que des journaux. »
Le pape pouvait-il demander pardon, comme les éditorialistes du Haaretz s’y attendaient, au nom de l’Allemagne et de l’Eglise ?
Pour l’Allemagne, il aurait été assez difficile à Benoît XVI de prendre la place de Mme Merkel. Quant à la polémique, allumée il y a deux ans par les tabloïds britanniques, sur l’appartenance du futur pape aux Jeunesses hitlériennes, elle a fait long feu. Non seulement sa famille était hostile au régime nazi, mais c’est de force qu’il fut enrôlé comme auxiliaire dans la défense antiaérienne… Mes honorables confrères qui s’indignent encore contre le « pape nazi » sont ceux qui, dans la foulée, y vont de leur larmichette pour évoquer les enfants-soldats au Burundi, sans toutefois jamais établir de rapport ni chercher à comprendre ce que signifie l’incorporation de force dans un État totalitaire.
Le jour viendra pourtant où l’on se rendra compte que Josef Ratzinger a été l’un de ceux qui, avec d’autres intellectuels comme Rémi Brague ou Jean-Luc Marion, ont pensé de la manière la plus fine et la plus conséquente le rapport entre judaïsme et christianisme. Reprenant à son compte la métaphore paulinienne de l’olivier, ce sont ces liens que le pape a soulignés le 15 mai, à l’aéroport Ben Gourion, alors qu’il s’apprêtait à quitter Israël : « L’olivier, comme vous le savez, est une image utilisée par saint Paul pour décrire les très étroites relations entre les chrétiens et les juifs. Paul décrit dans sa lettre aux Romains comment l’Église des gentils est comme un rameau d’olivier sauvage greffé sur l’olivier cultivé qui est le Peuple de l’Alliance. Nous sommes nourris aux mêmes racines spirituelles. Nous nous sommes rejoints comme des frères, des frères qui, à un moment de notre histoire, ont eu une relation tendue, mais qui sont maintenant fermement engagés à bâtir les ponts d’une amitié durable. »
Pouvait-il, pour autant, faire repentance au nom de l’Eglise lors de sa visite à Yad Vashem ? Sans conteste, oui. S’il avait été chamane et s’il considérait que les mots n’ont aucune valeur tant qu’ils ne sont pas répétés encore et encore. Or, quand on est catholique – présumons qu’il ne soit pas interdit au pape de l’être –, le pardon est une chose sérieuse. On ne s’y livre pas à la petite semaine et le repentir de Jean-Paul II, accompli en mars 2000 au mur des Lamentations, oblige ses successeurs et l’Église à jamais.
En fait de discours « froid et abstrait », le pape a prononcé à Yad Vashem des propos d’une finesse et d’une rigueur remarquables, comme le soulignait, dans un entretien au Figaro, le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, à mille lieues du rabbin Israel Meir Lau, président du Mémorial, qui s’attendait, pour sa part, à « un discours plus émotionnel ». Le pape a médité, comme un rabbin rompu aux commentaires talmudiques, sur la signification de « mémorial » (yad) et de « nom » (shem), reprenant à son compte les grands thèmes du judaïsme médiéval qui donna naissance, dans le Saint-Empire, aux Memorbücher – ces recueils que l’on tenait afin que le nom des persécutés ne s’efface pas : « Puissent les noms de ces victimes ne jamais périr ! Puisse leur souffrance ne jamais être niée, minorée ou oubliée ! Et puissent toutes les personnes de bonne volonté demeurer vigilantes à déraciner du cœur de l’homme tout ce qui peut conduire à des tragédies comme celle-ci ! » Puis, comme il l’avait fait à Auschwitz en mai 2006, il s’est plongé dans un long silence, ce « silence effrayé, qui est un cri intérieur vers Dieu : Pourquoi, mon Dieu, es-tu resté silencieux ? »
Il y a des moments, face à l’indicible, où seul convient le silence. Ce n’est certes ni grandiloquent ni télévisuel, mais ce n’est visiblement pas pour faire de l’image que le pape avait tenu à venir prier à Yad Vashem.
S’il a honoré la mémoire des morts, c’est pourtant aux vivants que le pape a réservé durant son voyage toute sa compassion. Condamnation du terrorisme, affirmation du droit d’Israël à la sécurité, plaidoyer pour la reconnaissance réciproque de deux Etats et de leurs frontières : on pourrait prendre les déclarations papales pour des propos politiques. Elles le sont et confortent les modérés en Israël aussi bien qu’en Palestine. Mais elles sont bien plus encore que cela : une méditation continue sur le verset de Matthieu : « Laissez les morts enterrer leurs morts », que l’on retrouve dans le Talmud sous une autre forme : « Vivez bien, c’est la meilleure des vengeances » et que Golda Meir avait rendu à sa façon dans un entretien à The Observer en 1974 : « Le pessimisme est un luxe qu’un juif ne peut jamais se permettre. » Cet appel à la vie contre le ressassement de l’histoire et de la violence, c’est au fond le message le plus fort du pape en Terre Sainte. Mais peut-être aussi le plus inaudible.
Et si Benoît XVI n’a pas été atteint durant son voyage par le syndrome de Jérusalem, version mystique du syndrome de Stendhal qui fait perdre la tête aux pèlerins fréquentant les lieux saints, il nous a, en revanche, confirmé une chose, comme me le souffle Elisabeth Lévy[2. Elisabeth est comme l’Esprit. Elle souffle où elle veut.] : maîtrisant ses émotions au point d’avoir l’air de ne pas en avoir et accordant plus que de mesure sa confiance à l’intellect et à l’étude, le pape est ashkénaze. Définitivement ashkénaze.
En défense d’Orelsan
Les principes, c’est les principes, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Un exemple ? Quand j’avais, chez David Abiker, co-interviewé, en compagnie de quelques internautes citoyennes, l’avenante et irritante féministe historique Christiane Fauré, pionnière du MLF et à mes yeux dépositaires de maintes opinions désastreuses, j’avais eu une sorte d’éblouissement attendri vis-à-vis d’elle. Je raconte : après avoir éludé à plusieurs reprises les questions de mes camarades blogueuses (dont l’une s’est ensuite illustrée dans l’affaire Orelsan) afférentes à la maternité, elle avait craché le morceau sur le pourquoi de ses non-réponses en expliquant, je cite de mémoire : « On est là pour le 8 mars, c’est la journée de la femme, pas la fête des mères, je refuse donc de répondre, ce jour-là, à ce genre de questions. » J’avais adoré. J’aime le principiel, et de préférence le principiel scandaleux. J’étais servi. Le « c’est comme ça, et je vous emmerde », est le Smic cérébral de l’homme libre et partant, de la femme aussi, dont nous décréterons qu’elle est en général moins libre que l’homme, mais plus douée pour la liberté. Affirmation à l’emporte-pièce? Peut-être, chéri, peut-être… mais c’est comme ça et je t’emmerde!
Les principes, depuis le début de l’affaire Orelsan, je m’y étais tenu. En privé, comme en public, j’ai toujours refusé qu’on aborde la question du talent ou de l’absence de talent de ce rappeur, pour une raison simple : le combat du moment, c’est la défense au couteau du droit à la parole. Lequel, pour le coup, est menacé au nom du droit des femmes par une horde de harpies liberticides décidées à rétablir la censure au gré de leurs émotions et à progresser dans le classement Wikio d’un même mouvement de reins.
Je m’y serais tenu, à ces foutus principes, si les mêmes dames patronnesses n’avaient poussé le vice jusqu’à manifester mercredi dernier devant le Bataclan, pour qu’on interdise le concert du rappeur supposé gynophobe. Et là je dis stop ! Histoire de bien me faire comprendre, je peux même dire les choses à la manière de :
Mèmère quand tu aboies
pour l’empêcher d’chanter,
c’est quand même un peu moi
que t’essayes de fister.
Passablement énervé, donc, et poussé à cracher ma Valda par Elisabeth, qui estime, cette fofolle, qu’on a le devoir, au moins dans Causeur, de dire ce qu’on pense, je vais donc me lancer. Oui, je pense qu’Orelsan a du talent. Son approche de ce séisme para-nucléaire qu’est la rupture amoureuse est brutale mais subtile, c’est évident. Le mur de la haine d’Orelsan me parle beaucoup plus que le mur des lamentations d’un Brel qui chiale pour qu’on ne le quitte pas, celui que la blogueuse émue verrait bien être l’ombre de son chien. Orelsan, lui, n’est l’ombre de personne, mais l’héritier d’une longue tradition qui, d’Othello à Julien Sorel, dit que la séparation n’est pas un dîner de gala, et que la vraie vie ne ressemble pas toujours à Sex and the City. Sa parole est, en outre, sincère et inventive, et en tout cas poétique. Si, si, poétique : comment pourrait-on qualifier autrement dans le fameux Sale Pute son : « J’ te collerai contre un radiateur en chantant Tostaky. » Fallait y penser, chapeau l’artiste ! Et pour ceux qui n’auraient pas saisi la référence, on en retrouve l’écho dans une autre de ses chansons, Saint-Valentin : « Ferme ta gueule ou tu vas t’faire marie-trintigner. » Il paraît que ce néologisme en a irrité plus d’une, chez les chiennes de gardes, citoyennes et apparentées. Les mêmes qu’on n’a pas vues bouger un poil de cul quand l’assassin, le vrai, de Marie Trintignant a entamé il y a quelques mois, sous les applaudissements nourris de la critique degauche, son come-back de grande conscience universelle. Bref, pour nos blogueuses, vaut mieux buter sa femme à grands coups d’allers-retours dans la tronche qu’oser en faire un néologisme plaisant…
On trouve d’autres jolies pépites chez Orelsan, parfois noyées, il est vrai, dans une métrique scolaire et parfois mêlées de lieux communs, deux caractéristiques qui, outre les explicit lyrics, nous renvoient ostensiblement à Jean Genet, celui qui écrivait dans le Condamné à mort : « Égorge une rentière en amour pour ta frime. Apparaîtra sur terre un chevalier de fer, impassible et cruel, visible malgré l’heure, Dans le geste imprécis d’une vieille qui pleure. Ne tremble pas surtout, devant son regard clair. » Oui, dans sa jeunesse, Genêt avait un peu les mêmes défauts et endura, en tout cas, les mêmes misères. Sauf qu’à l’époque les vigilantes n’étaient pas des honteuses et s’assumaient sereinement comme ligues de vertu…
Autant dire que je me retrouve pleinement dans les quelques lignes publiées à ce propos par Viriginie Despentes il y a un mois dans les Inrocks : « Je trouve la chanson très bien, efficace, drôle et bien foutue. Dans d’autres communautés, on parlerait, je crois, d’un texte traitant avec une certaine efficacité le désarroi amoureux : je t’aime, tu ne m’aimes pas, je suis désespéré, je vais te niquer ta race. Sur le sujet, on doit pouvoir trouver quelques lignes autrement plus violentes chez Racine ou Shakespeare. Je veux dire : ça serait pas genre un thème classique de la littérature, la déception amoureuse ? Bon, mais on parle d’un gouvernement qui en avait déjà après Madame de La Fayette, donc on finit par se demander s’ils n’ont pas un problème, global, avec le dépit amoureux… »
Ce lien entre Orelsan et la Princesse de Clèves est absolument lumineux. Elle est vraiment assez classe, cette fille. On s’en était déjà un peu aperçu avec Baise moi, et beaucoup avec King Kong Theory. En tous les cas, elle a compris l’essentiel. C’est parce qu’Orelsan parle crûment d’un problème cru – la rupture – que les zélotes d’un monde sans complexité veulent le marie-trintigner.
Facebook ou les larmes de George Orwell
Le centre Simon Wiesenthal s’inquiète d’un phénomène nouveau : Facebook serait devenu un des vecteurs privilégiés de la haine raciale, notamment au travers des groupes de discussions. Le centre Simon Wiesenthal a tort. Facebook et tous les réseaux sociaux en général sont un formidable piège à cons qui aurait fait pleurer de désespoir George Orwell. En effet, les racistes, les abrutis extrémistes, mais aussi les nouveaux esclaves narcissiques de l’économie marchande donnent d’eux-mêmes toutes les informations imaginables sur leurs amis, leurs amours, leurs emmerdes. Les polices du monde entier qui s’embêtaient avec des STIC et des EDWIGE se frottent les mains. La population planétaire entre joyeusement dans la Matrice. Les derniers réfractaires, accusés de saboter des trains, eux, sont en prison.
J’ai deux Eric : mon Zemmour et Naulleau
Le tout-Paris audiovisuel ne bruisse que de cette rumeur : à la rentrée prochaine, le duo infernal Zemmour-Naulleau pourrait être débarqué de « On n’est pas couché ». Priver une émission de divertissement grand public de ce qui en fait tout le sel intellectuel ? La riche idée que voilà ! Parce que c’est quand même grâce à ce duo de surineurs sournois que l’émission mérite son label « service public ». Mine de rien, ils donnent à penser − au moins à ceux qui sont appareillés pour. Qu’ils disparaissent, et il ne restera plus qu’un « Tout le monde en parle » en négatif, si j’ose dire : naïf et bien intentionné – et tout le monde ira se coucher…
Mais qui veut la peau de ces deux animaux (l’hippocampe et le saint-bernard) ? D’après mes sources (Le Parisien, Télécâble-Satellite, Voici et peut-être même Le Monde… à moins que ce ne soit Marie-Claire), le problème d’ennui, c’est tout simplement que les people ne sont plus très chauds pour venir. Ils se le répètent entre eux : « Tu verras, y en a un qui t’épingle comme un papillon, l’autre qui te massacre comme un bébé-phoque, et puis le premier qui revient t’achever… » C’est vrai que ça donne pas envie, la perspective de se faire scanner froidement par Zemmour, puis sadiquement décortiquer par Naulleau – et tout ça en gardant le sourire…
Sous leurs feux croisés, pas de place pour les prisonniers : juste des cadavres et quelques survivants (de nos jours on dit « résilients »). Les invités qui passent à leur(s) question(s) s’y soumettent en tant qu’écrivains, hommes politiques ou artistes – et en ressortent le plus souvent scribouillards, politiciens ou chanteurs de karaoké. Mais c’est là, précisément, que se trouve le « mieux-disant culturel » de l’émission. Avec leur flegme de tueurs à la Tarantino, mine de rien ils animent le débat, au sens où ils lui donnent une âme – au-delà des « bravo » et des « hou » convenus d’une salle qui elle aussi joue son rôle…
Soyons juste ! Suave mari magno… : il est plaisant pour le téléspectateur d’assister, bien calé dans son fauteuil, au naufrage d’un invité qui ne comprend pas ce qui lui arrive ni – pire ! – pourquoi. Maintenant, imaginez que vous ayez mis deux ans à accoucher d’un roman auquel vous accordez une importance toute particulière et plus d’une heure à trouver un éditeur (ou l’inverse) : vous aimeriez, vous, vous faire désosser en deux phrases par le boucher Naulleau ?
Les intellos et autres artistes « en promo » ont plein d’autres écrans télévisuels où aller se faire voir, sans craindre plus que quelques petits coups de patte de chats dégriffés… Quand on a pris l’habitude du copinage artistique, comment ne pas être douloureusement surpris de tomber sur ces rustres, et même pas de Goldoni : carrément méchants !
La liste commence à être longue, des invités qui ont mal supporté la tenaille naullo-zemmourienne. On a vu Catherine Breillat au bord de la crise de nerfs, saint Augustin Legrand égrenant son chapelet de gros mots, Jacques Attali quittant brusquement le plateau et même Roger Karoutchi choqué ! (Il faut dire que Zemmour avait cru déceler des traces d’électoralisme dans son coming out !) Mais il y a pire encore, susurre-t-on dans les milieux bien sussurés… De plus en plus d’invités pressentis déclinent sous les prétextes les plus divers : « débordé », « enrhumé », « en Laponie »… Ainsi Olivia Ruiz et Ségolène Royal, Sophie Davant et Dominique de Villepin − qui apparemment craint plus la confrontation avec le Zemournolo dans les arènes de Ruquier qu’avec les Etats-Unis à la tribune de l’ONU.
Mais c’est, paraît-il, l’incident du 25 avril dernier qui a mis le feu aux poudres. Ce soir-là, Francis Lalanne était venu vendre son « pamphlet poétique », Mise en demeure à Monsieur le président de la République (J.-C. Gawsewitch) et, pour le même prix, si j’ose dire, son nouvel album, Ouvrir son cœur. À dire vrai, le choc était prévisible entre ce méchant Janus qu’on nomme Eric(s) et l’artiste-citoyen en peau de yaourt. Le génie de ce Lalanne-là tient tout entier dans ses cuissardes d’anarchiste dandy et son catogan de bobo-concerné. Pour le reste, manifestement, son ego de géant l’empêche de penser, et accessoirement les autres de parler.
Tout a (mal) commencé avec Zemmour. Sollicité pour donner son avis sur l’opus du barde à queue-de-cheval, il balance avec un bon sourire : « Ça me fait penser à une phrase qu’aimait bien Chirac : « Là, on est en train d’enculer une mouche qui ne nous a rien demandé ! » » Aussitôt Lalanne la prend, cette mouche, et dénonce la grossièreté de cette attaque ad drosophilem.
Mais ce n’est encore qu’une escarmouche entre eux, une mise en bouche pour nous. Le pire est à venir, tant il est vrai qu’en matière de littérature et produits assimilés, le Grand Inquisiteur c’est quand même Naulleau… Et son réquisitoire n’est pas des plus cléments : « délit culturel » et « délire intellectuel », « vers de mirliton » et « niaiseries en stock », assène-t-il avec un bon sourire sadique.
C’en est trop pour le poète engagé, qui dès lors ne cessera de marteler un seul argument : on peut ne pas aimer mon œuvre, mais pas proclamer urbi et orbi qu’elle ne vaut rien. En pratique, la nuance rappelle très nettement l’aphorisme chiraquien sur la mouche et son sort tragique : t’as pas le droit de dire « c’est nul », « c’est pitoyable » ou « c’est n’importe quoi », faut préciser avant : « À mon avis à moi, je pense que… » Zemmour propose bien de porter dorénavant sur la poitrine la pancarte idoine ; mais Lalanne ne rit pas.
Le spectateur, lui, s’amuse bien – y compris à la fin, quand Lalanne dit qu’il ne regrette rien − sauf peut-être de n’avoir pas mis un coup de boule à Naulleau… Avec tout ça, quel avenir donc pour nos Muppets du Ruquier show ? Virés ou pas virés ? En février dernier, Catherine Barma (productrice du programme dont auquel) proclamait à la face du Parisien et d’Aujourd’hui en France réunis : « Les brimer ? Jamais de la vie. » Mais février, en temps médiatique, c’était il y a un siècle ; sans compter que, dans ce monde cruel de l’audiovisuel, il ne faut jamais dire jamais !
On observera d’ailleurs que Mme Barma s’est engagée à « ne pas brimer » ses singes un peu trop savants ; pas à les garder ! Mais au fait, qui est inquiet pour Zemmour et Naulleau ? C’est l’émission qui serait tuée par leur départ.
Post-scriptum à Naulleau : je sors un bon livre en novembre.
Que va voter Ockrent ?
Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a mis fin au suspense insoutenable qu’il avait entretenu à propos de son vote lors des élections européennes. Il votera UMP. Ou peut-être pas, car il n’y a pas de caméras dans l’isoloir et on n’est jamais sûr de rien. D’ailleurs, en 1994, il clamait partout qu’il allait voter pour la liste Tapie alors qu’il figurait sur la liste Rocard ! Dans le VIe arrondissement de Paris, on se perd maintenant en conjecture sur le vote de sa compagne, Christine Ockrent, qui dispose d’un choix beaucoup plus large que son compagnon. De nationalité belge, née à Bruxelles, Mme Ockrent peut voter en France, si elle a pris soin de se faire inscrire sur une liste électorale complémentaire réservée aux ressortissants de l’UE. Sinon, elle peut voter belge, soit dans le collège flamand, soit dans le collège francophone. Notre conseil : donner son suffrage aux listes du Rassemblement Wallonie-France de notre ami Paul-Henry Gendebien, comme ça il n’y aura plus de problème !
Alli, un faux allié ?
D’accord, il est parfaitement immoral de vouloir continuer à s’empiffrer en toute impunité. Mais ce qui assure des ventes record aux magazines féminins d’après-fêtes et d’avant-maillot, n’est-ce pas précisément la perspective de pouvoir enfin pécher par gourmandise sans pneu abdominal ou double menton ? La pilule Alli, inventée précisément pour que les goinfres pathologiques rétifs à tous les traitements et tous les sermons puissent espérer retrouver une taille à peu près normale est exactement la réponse scientifique et la solution idéale à un « phénomène de société » qui n’en finit pas, lui aussi, d’enfler.
Le tollé anti-Alli dans la presse serait donc incompréhensible s’il ne mettait pas en péril l’emploi et la raison d’être de tous les nouveaux métiers qui ont éclos depuis quelques années : gourous minceur, salles d’aquagym, fabricants de substituts de repas, de thé vert et autres gélules de perlimpinpin… Sans oublier les associations qui ne sont pas les dernières à râler contre la pilule-miracle : Allegro Fortissimo, pour ne citer que la plus grosse, qui lutte « contre les discriminations dont sont victimes les personnes de forte corpulence », dont une représentante affirmait encore hier au JT de France 3 que « Alli, ça n’encourage pas à faire des efforts ». Bref, médecins nutritionnistes et militants de la cause obèse entonnent le même couplet : il faut souffrir pour être mince, sinon, c’est trop facile. Tout cela n’est pas sans rappeler qu’il y a moins de cinquante ans, on entendait la même antienne sur l’accouchement sans douleur. Entonnée par les mêmes : médecins, hygiénistes et moralisateurs de tout poil, qui savent mieux que nous ce qui est bon pour nous. Et surtout pour eux.
Sans oublier l’hypocrisie consternante du fabricant, GlaxoSmithKline, qui choisit de lancer son médicament à quelques jours de l’épreuve de l’achat du bikini, et proclame dans sa publicité placardée sur tous les abribus de Paris que son médicament ne s’adresse qu’aux personnes « dont la masse grasse excède 28 % ». J’en connais plus d’une titrant 22 % qui se verraient bien intégrer la catégorie des 18 %, surtout quand la solution est en vente libre… Et ce ne sont pas les mises en garde qui empêcheront les ventes de cartonner avant l’été, surtout, oserons-nous, celles de Roselyne Bachelot.
Qu’on se rassure : si c’est la menace de destruction de certains emplois qui gênent les Pères la Prudence, elle sera largement compensée par l’augmentation du chiffre d’affaires des boulangers, pâtissiers, fromagers, charcutiers et pharmaciens. J’ai failli oublier les restaurateurs et cafetiers, gravement affectés par l’interdiction de fumer, et que devrait réjouir, comme nous tous, cette dépénalisation de fait de acides gras saturés : on va enfin pouvoir concilier maillot et mayo !
Roger Planchon, un géant discret quitte la scène
Le dramaturge Roger Planchon est mort mardi 12 mai à Paris d’une crise cardiaque, alors qu’il travaillait à la mise en forme d’un spectacle sur Sade. Il était âgé de 77 ans. Dit comme cela, avec la sécheresse des notices nécrologiques des agences de presse, on a du mal à imaginer la tristesse produite par cette nouvelle dans le cœur de ceux à qui Planchon fit découvrir et aimer le théâtre, qui sont fort nombreux, notamment dans la génération à laquelle j’appartiens.
Je l’avoue : ces dernières années, je ne suis pas allé voir ses productions au TNP de Villeurbanne, pourtant assez proche des lieux où je réside habituellement. L’âge et le plaisir de dépenser des sommes folles pour mon seul plaisir esthétique m’attire irrésistiblement vers l’opéra et ses fastes somptuaires. Mais je garderai toujours une gratitude immense à Roger Planchon pour avoir produit un miracle sur le gamin de treize ans que j’étais au mois d’octobre 1956 : le persuader qu’une pièce de théâtre était aussi passionnante qu’un match de football.
Le théâtre de la Comédie, rue des Marroniers à Lyon (moins de cent places), et le stade de Gerland (40 000 places à l’époque) ont été les lieux sacrés des émotions adolescentes d’avant l’amour.
Ce miracle a été porté par sa mise en scène du Cercle de craie causcasien de Bertolt Brecht, conforté par celle des Coréens de Michel Vinaver et parachevé par Rocambole d’après Ponson du Terrail. Avec une conséquence fâcheuse : un ennui mortel transformé en participation au chahut collectif lors des « matinées classiques », que de malheureux acteurs étaient contraints de donner devant un public de potaches travaillés par la testostérone.
Planchon fut le passeur de Bertolt Brecht dans un public français qui ne connaissait alors que le style Comédie-Française ou le théâtre de boulevard, deux genres fort respectables au demeurant, mais qui ne peuvent à eux seul représenter l’immensité du mystère théâtral. On reviendra un jour, j’en suis certain, à Brecht et à ce théâtre du texte ennobli par le travail du metteur en scène dramaturge. Brecht est tombé en disgrâce avec la chute du mur de Berlin, car il était du mauvais côté de la muraille. Planchon ne l’a jamais abandonné, même s’il s’est tourné aussi vers d’autres styles, le théâtre de l’absurde, Beckett et Ionesco.
Planchon n’était ni Vilar, ni Mnouchkine, ces deux porte-étendards flamboyants du théâtre contemporain : il cultivait une discrétion toute provinciale, fidèle à cette région lyonnaise qu’il n’a jamais quittée, à l’Ardèche de ses ancêtres et à un théâtre vraiment populaire, celui qui n’inflige pas au spectateur la punition du non-texte performatif. Qu’il en soit remercié.
Patrons, remettez-nous ça !
La société new-yorkaise Cellufun, spécialisée dans les jeux vidéo sur téléphone portable, va commercialiser le 11 mai Made off (rafler, en anglais), un jeu inspiré par les exploits de l’escroc le plus célèbre de l’hypercapitalisme en phase terminale, Bernard Madoff. Comme lui, le joueur devra se mettre dans la peau d’un indélicat gestionnaire de fonds se goinfrant avec les portefeuilles de ses clients à hauteur de 50 milliards de dollars. Cellufun étudierait actuellement la possibilité, après Made off, de lancer sur le marché français Med eff, un jeu où il s’agira de fermer le maximum d’usines tout en touchant des indemnités de départ, des stock options et des retraites chapeaux les plus élevées possibles. Il faudra ruser avec des obstacles assez faciles, comme le code de déontologie de Laurence Parisot, ou plus compliqués, comme les séquestrations par des ouvriers en colère avec bourre-pifs afférents.
Dieudonné versus Lévy
On ne sait pas si Hitler a déshonoré l’antisémitisme, mais Dieudonné semble bien parti pour ridiculiser l’antisionisme. À la tête d’un conglomérat de colistiers venus de tous les extrêmes et bien décidés à se réconcilier sur le dos des sionistes, il a exposé son idéologie : une vision du monde qui attribue aux juifs, pardon aux sionistes, tous les malheurs passés, présents et futurs de la planète, de l’esclavage à la grippe porcine en passant par l’apartheid et les ravages du capitalisme. Hollywood a même osé profaner la mémoire de l’esclavage en Amérique avec Autant en emporte le vent.
Hélas, on ne choisit pas ses ennemis. Fidèle à l’esprit de son article, et après être allée au charbon une première fois contre Soral, Elisabeth qui préfère combattre qu’interdire acceptait, à l’invitation de Sébastien Bardos du site fluctuat.net, de débattre avec Dieudonné, le 9 mai au Théâtre de la Main d’Or.
Nous décidons de l’accompagner. Notre amie Michèle Sarfati se joint à nous. Dans le théâtre, se trouvent une dizaine d’amis de Dieudonné. L’accueil est poli, on nous offre à boire, on se serre la main. Pendant que nous fumons une cigarette, Dominique Ducoulombier, l’un des membres de la liste, vient dire son admiration à Elisabeth pour avoir accepté la rencontre. « Vous aurez des problèmes pour ça », pronostique-t-il. Entendez, des problèmes avec le lobby. Manifestement, pour lui nous n’en sommes pas, pas tous les juifs c’est déjà ça. Nous nous prenons même à espérer que la rencontre pourrait avoir lieu. Après tout, nous avons tous (Gil excepté) fréquenté les mêmes écoles – de banlieue. À défaut de parler le même langage, nous avons la même langue.
Elisabeth et Dieudonné prennent place. La discussion s’engage. Nous vous laissons la découvrir.
Nous qui espérions quelques scoops sur le mystérieux lobby sioniste qui a la perversité de faire croire qu’il n’existe pas, nous resterons sur notre faim. Peut-on parler d’un monde commun quand on n’est pas d’accord sur le récit ? Faurisson ou Pétré-Grenouilleau ? « Vous avez vos historiens, j’ai les miens. » Si Elisabeth Lévy défend le droit des « antisionistes » à s’exprimer et participer aux élections, il n’est pas clair que ceux-ci feraient preuve de la même tolérance si d’aventure ils étaient au pouvoir.
Visiblement embarrassé par une pluie de questions pour lesquelles il semble dépourvu de la moindre réponse, l’ancien comique au bord de la noyade envoie comme des bouées de sauvetage ses mimiques éculées, ses blagues faciles et ses grossièretés navrantes.
Avant notre départ, un ancien responsable du FNJ nous offre deux fascicules, le Manifeste pour l’éradication du sionisme et Le lobby pro-israélien et la tyrannie du néo-libéralisme. (Contenant, entre autres délires, la liste des personnalités sionistes médiatiques dans laquelle Alain Finkielkraut suit Alain Afflelou, eh oui, c’est classé par prénoms. Dans la brochure, la liste n’est pas exhaustive, vous êtes invités à la compléter sur ce site…) Ils ont été publiés, précise-t-il, par l’ex-Verte Ginette Skandrani qui justement nous salue. Quel ciment peut bien sceller la réconciliation de ces deux là ?
Plus tard, nous nous demanderons à quel moment de cet « échange » Dieudonné a compris que l’avantage du one man show, c’est qu’on y est tout seul.
Antilles pas gentilles
Une campagne publicitaire lancée par Maison de la France (l’organisme officiel de promotion touristique française) et le secrétariat d’État à l’Outre-Mer nous propose depuis quelques jours de partir aux « Caraïbes françaises ». Les cyclones, les rumeurs persistantes sur la qualité de l’accueil et les grèves sont passés par là et n’ont rien laissé de l’ancien attrait des îles. Et puis, le terme « Caraïbes » est innocent de tout passé colonial et renvoie plutôt à Johnny Depp qu’à Elie Domota. Changer le nom d’un produit pour utiliser le jargon d’usage signifie que l’image qu’il véhicule est à la fois mauvaise et incorrigible, à l’exemple des défuntes Côtes-du-Nord ou de feu le RPR ….
Le pape est ashkénaze
Nous avons un pape freestyle. Le vocabulaire du hip-hop ne convient peut-être pas parfaitement à ce mélomane plus familier de Mozart que de la Zulu Nation, mais le fait est que les figures imposées ne sont vraiment pas son fort. S’il est aussi retors en théologie qu’un vieux talmudiste en interprétation des Écritures, il est rétif à la communication et au marketing. Ce qu’il dit, on ne l’attend pas ; ce qu’on attend, il ne le dit pas. Cette attitude a de quoi décontenancer la plupart de ceux qui, même loin de Bethléem, tiennent le monde pour une crèche et les hommes pour des santons à jamais fixés dans un rôle connu d’avance.
Son pèlerinage en Terre Sainte l’a, une nouvelle fois, démontré : entre Benoît XVI et les médias, le divorce est irréparable. Alors que la moindre speakerine débutante sait se répandre en pleurnicheries convenues quand les caméras tournent, le pape aborde toute chose avec retenue et pudeur, comme s’il n’avait jamais cessé d’être un austère professeur de Tübingen. L’émotion sur commande et en direct live, ce n’est pas son truc.
La pudeur, c’est pourtant l’autre nom du vrai respect, là où commence toute civilisation. Certes, cette idée n’est pas très raccord avec notre époque qui exige de chacun la transparence et le déballage intime, comme si des sentiments ne devenaient pas immédiatement des simagrées lorsqu’on les exprime à la face du monde. Sénèque avait compris cela qui demandait à Polybe de contenir ses larmes face à la douleur des siens : « Tu dois être leur consolation et leur consolateur ; or, peux-tu soulager leurs plaintes quand tu laisses libre cours aux tiennes. » Cette dignité de caractère (gravitas) était exigée, dans la Rome ancienne, par le mos maiorum[1. Le mos majorum, littéralement la « coutume des anciens », était l’ensemble des vertus traditionnelles à Rome.], au même titre que la vertu (virtus), la piété (pietas) ou l’honnêteté (honestas). Héritier de cette civilisation-là, le pape s’est résolu à faire définitivement une croix sur un éventuel passage chez Mireille Dumas.
À Yad Vashem, pas d’émotion ni d’image saisissante à se mettre sous l’objectif. Pire : ni compassion ni repentance, mais un discours « froid et abstrait », selon les termes du directeur du Mémorial, Avner Schalev. Du Yediot Aharonot à Haaretz, c’est ce qui a, ces jours-ci, le plus fortement déçu l’opinion publique israélienne – déception que Shimon Peres balaie d’un revers de la main en confiant dans un entretien à la presse étrangère : « La visite du pape relève plus des livres d’histoire que des journaux. »
Le pape pouvait-il demander pardon, comme les éditorialistes du Haaretz s’y attendaient, au nom de l’Allemagne et de l’Eglise ?
Pour l’Allemagne, il aurait été assez difficile à Benoît XVI de prendre la place de Mme Merkel. Quant à la polémique, allumée il y a deux ans par les tabloïds britanniques, sur l’appartenance du futur pape aux Jeunesses hitlériennes, elle a fait long feu. Non seulement sa famille était hostile au régime nazi, mais c’est de force qu’il fut enrôlé comme auxiliaire dans la défense antiaérienne… Mes honorables confrères qui s’indignent encore contre le « pape nazi » sont ceux qui, dans la foulée, y vont de leur larmichette pour évoquer les enfants-soldats au Burundi, sans toutefois jamais établir de rapport ni chercher à comprendre ce que signifie l’incorporation de force dans un État totalitaire.
Le jour viendra pourtant où l’on se rendra compte que Josef Ratzinger a été l’un de ceux qui, avec d’autres intellectuels comme Rémi Brague ou Jean-Luc Marion, ont pensé de la manière la plus fine et la plus conséquente le rapport entre judaïsme et christianisme. Reprenant à son compte la métaphore paulinienne de l’olivier, ce sont ces liens que le pape a soulignés le 15 mai, à l’aéroport Ben Gourion, alors qu’il s’apprêtait à quitter Israël : « L’olivier, comme vous le savez, est une image utilisée par saint Paul pour décrire les très étroites relations entre les chrétiens et les juifs. Paul décrit dans sa lettre aux Romains comment l’Église des gentils est comme un rameau d’olivier sauvage greffé sur l’olivier cultivé qui est le Peuple de l’Alliance. Nous sommes nourris aux mêmes racines spirituelles. Nous nous sommes rejoints comme des frères, des frères qui, à un moment de notre histoire, ont eu une relation tendue, mais qui sont maintenant fermement engagés à bâtir les ponts d’une amitié durable. »
Pouvait-il, pour autant, faire repentance au nom de l’Eglise lors de sa visite à Yad Vashem ? Sans conteste, oui. S’il avait été chamane et s’il considérait que les mots n’ont aucune valeur tant qu’ils ne sont pas répétés encore et encore. Or, quand on est catholique – présumons qu’il ne soit pas interdit au pape de l’être –, le pardon est une chose sérieuse. On ne s’y livre pas à la petite semaine et le repentir de Jean-Paul II, accompli en mars 2000 au mur des Lamentations, oblige ses successeurs et l’Église à jamais.
En fait de discours « froid et abstrait », le pape a prononcé à Yad Vashem des propos d’une finesse et d’une rigueur remarquables, comme le soulignait, dans un entretien au Figaro, le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, à mille lieues du rabbin Israel Meir Lau, président du Mémorial, qui s’attendait, pour sa part, à « un discours plus émotionnel ». Le pape a médité, comme un rabbin rompu aux commentaires talmudiques, sur la signification de « mémorial » (yad) et de « nom » (shem), reprenant à son compte les grands thèmes du judaïsme médiéval qui donna naissance, dans le Saint-Empire, aux Memorbücher – ces recueils que l’on tenait afin que le nom des persécutés ne s’efface pas : « Puissent les noms de ces victimes ne jamais périr ! Puisse leur souffrance ne jamais être niée, minorée ou oubliée ! Et puissent toutes les personnes de bonne volonté demeurer vigilantes à déraciner du cœur de l’homme tout ce qui peut conduire à des tragédies comme celle-ci ! » Puis, comme il l’avait fait à Auschwitz en mai 2006, il s’est plongé dans un long silence, ce « silence effrayé, qui est un cri intérieur vers Dieu : Pourquoi, mon Dieu, es-tu resté silencieux ? »
Il y a des moments, face à l’indicible, où seul convient le silence. Ce n’est certes ni grandiloquent ni télévisuel, mais ce n’est visiblement pas pour faire de l’image que le pape avait tenu à venir prier à Yad Vashem.
S’il a honoré la mémoire des morts, c’est pourtant aux vivants que le pape a réservé durant son voyage toute sa compassion. Condamnation du terrorisme, affirmation du droit d’Israël à la sécurité, plaidoyer pour la reconnaissance réciproque de deux Etats et de leurs frontières : on pourrait prendre les déclarations papales pour des propos politiques. Elles le sont et confortent les modérés en Israël aussi bien qu’en Palestine. Mais elles sont bien plus encore que cela : une méditation continue sur le verset de Matthieu : « Laissez les morts enterrer leurs morts », que l’on retrouve dans le Talmud sous une autre forme : « Vivez bien, c’est la meilleure des vengeances » et que Golda Meir avait rendu à sa façon dans un entretien à The Observer en 1974 : « Le pessimisme est un luxe qu’un juif ne peut jamais se permettre. » Cet appel à la vie contre le ressassement de l’histoire et de la violence, c’est au fond le message le plus fort du pape en Terre Sainte. Mais peut-être aussi le plus inaudible.
Et si Benoît XVI n’a pas été atteint durant son voyage par le syndrome de Jérusalem, version mystique du syndrome de Stendhal qui fait perdre la tête aux pèlerins fréquentant les lieux saints, il nous a, en revanche, confirmé une chose, comme me le souffle Elisabeth Lévy[2. Elisabeth est comme l’Esprit. Elle souffle où elle veut.] : maîtrisant ses émotions au point d’avoir l’air de ne pas en avoir et accordant plus que de mesure sa confiance à l’intellect et à l’étude, le pape est ashkénaze. Définitivement ashkénaze.
En défense d’Orelsan
Les principes, c’est les principes, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Un exemple ? Quand j’avais, chez David Abiker, co-interviewé, en compagnie de quelques internautes citoyennes, l’avenante et irritante féministe historique Christiane Fauré, pionnière du MLF et à mes yeux dépositaires de maintes opinions désastreuses, j’avais eu une sorte d’éblouissement attendri vis-à-vis d’elle. Je raconte : après avoir éludé à plusieurs reprises les questions de mes camarades blogueuses (dont l’une s’est ensuite illustrée dans l’affaire Orelsan) afférentes à la maternité, elle avait craché le morceau sur le pourquoi de ses non-réponses en expliquant, je cite de mémoire : « On est là pour le 8 mars, c’est la journée de la femme, pas la fête des mères, je refuse donc de répondre, ce jour-là, à ce genre de questions. » J’avais adoré. J’aime le principiel, et de préférence le principiel scandaleux. J’étais servi. Le « c’est comme ça, et je vous emmerde », est le Smic cérébral de l’homme libre et partant, de la femme aussi, dont nous décréterons qu’elle est en général moins libre que l’homme, mais plus douée pour la liberté. Affirmation à l’emporte-pièce? Peut-être, chéri, peut-être… mais c’est comme ça et je t’emmerde!
Les principes, depuis le début de l’affaire Orelsan, je m’y étais tenu. En privé, comme en public, j’ai toujours refusé qu’on aborde la question du talent ou de l’absence de talent de ce rappeur, pour une raison simple : le combat du moment, c’est la défense au couteau du droit à la parole. Lequel, pour le coup, est menacé au nom du droit des femmes par une horde de harpies liberticides décidées à rétablir la censure au gré de leurs émotions et à progresser dans le classement Wikio d’un même mouvement de reins.
Je m’y serais tenu, à ces foutus principes, si les mêmes dames patronnesses n’avaient poussé le vice jusqu’à manifester mercredi dernier devant le Bataclan, pour qu’on interdise le concert du rappeur supposé gynophobe. Et là je dis stop ! Histoire de bien me faire comprendre, je peux même dire les choses à la manière de :
Mèmère quand tu aboies
pour l’empêcher d’chanter,
c’est quand même un peu moi
que t’essayes de fister.
Passablement énervé, donc, et poussé à cracher ma Valda par Elisabeth, qui estime, cette fofolle, qu’on a le devoir, au moins dans Causeur, de dire ce qu’on pense, je vais donc me lancer. Oui, je pense qu’Orelsan a du talent. Son approche de ce séisme para-nucléaire qu’est la rupture amoureuse est brutale mais subtile, c’est évident. Le mur de la haine d’Orelsan me parle beaucoup plus que le mur des lamentations d’un Brel qui chiale pour qu’on ne le quitte pas, celui que la blogueuse émue verrait bien être l’ombre de son chien. Orelsan, lui, n’est l’ombre de personne, mais l’héritier d’une longue tradition qui, d’Othello à Julien Sorel, dit que la séparation n’est pas un dîner de gala, et que la vraie vie ne ressemble pas toujours à Sex and the City. Sa parole est, en outre, sincère et inventive, et en tout cas poétique. Si, si, poétique : comment pourrait-on qualifier autrement dans le fameux Sale Pute son : « J’ te collerai contre un radiateur en chantant Tostaky. » Fallait y penser, chapeau l’artiste ! Et pour ceux qui n’auraient pas saisi la référence, on en retrouve l’écho dans une autre de ses chansons, Saint-Valentin : « Ferme ta gueule ou tu vas t’faire marie-trintigner. » Il paraît que ce néologisme en a irrité plus d’une, chez les chiennes de gardes, citoyennes et apparentées. Les mêmes qu’on n’a pas vues bouger un poil de cul quand l’assassin, le vrai, de Marie Trintignant a entamé il y a quelques mois, sous les applaudissements nourris de la critique degauche, son come-back de grande conscience universelle. Bref, pour nos blogueuses, vaut mieux buter sa femme à grands coups d’allers-retours dans la tronche qu’oser en faire un néologisme plaisant…
On trouve d’autres jolies pépites chez Orelsan, parfois noyées, il est vrai, dans une métrique scolaire et parfois mêlées de lieux communs, deux caractéristiques qui, outre les explicit lyrics, nous renvoient ostensiblement à Jean Genet, celui qui écrivait dans le Condamné à mort : « Égorge une rentière en amour pour ta frime. Apparaîtra sur terre un chevalier de fer, impassible et cruel, visible malgré l’heure, Dans le geste imprécis d’une vieille qui pleure. Ne tremble pas surtout, devant son regard clair. » Oui, dans sa jeunesse, Genêt avait un peu les mêmes défauts et endura, en tout cas, les mêmes misères. Sauf qu’à l’époque les vigilantes n’étaient pas des honteuses et s’assumaient sereinement comme ligues de vertu…
Autant dire que je me retrouve pleinement dans les quelques lignes publiées à ce propos par Viriginie Despentes il y a un mois dans les Inrocks : « Je trouve la chanson très bien, efficace, drôle et bien foutue. Dans d’autres communautés, on parlerait, je crois, d’un texte traitant avec une certaine efficacité le désarroi amoureux : je t’aime, tu ne m’aimes pas, je suis désespéré, je vais te niquer ta race. Sur le sujet, on doit pouvoir trouver quelques lignes autrement plus violentes chez Racine ou Shakespeare. Je veux dire : ça serait pas genre un thème classique de la littérature, la déception amoureuse ? Bon, mais on parle d’un gouvernement qui en avait déjà après Madame de La Fayette, donc on finit par se demander s’ils n’ont pas un problème, global, avec le dépit amoureux… »
Ce lien entre Orelsan et la Princesse de Clèves est absolument lumineux. Elle est vraiment assez classe, cette fille. On s’en était déjà un peu aperçu avec Baise moi, et beaucoup avec King Kong Theory. En tous les cas, elle a compris l’essentiel. C’est parce qu’Orelsan parle crûment d’un problème cru – la rupture – que les zélotes d’un monde sans complexité veulent le marie-trintigner.
Facebook ou les larmes de George Orwell
Le centre Simon Wiesenthal s’inquiète d’un phénomène nouveau : Facebook serait devenu un des vecteurs privilégiés de la haine raciale, notamment au travers des groupes de discussions. Le centre Simon Wiesenthal a tort. Facebook et tous les réseaux sociaux en général sont un formidable piège à cons qui aurait fait pleurer de désespoir George Orwell. En effet, les racistes, les abrutis extrémistes, mais aussi les nouveaux esclaves narcissiques de l’économie marchande donnent d’eux-mêmes toutes les informations imaginables sur leurs amis, leurs amours, leurs emmerdes. Les polices du monde entier qui s’embêtaient avec des STIC et des EDWIGE se frottent les mains. La population planétaire entre joyeusement dans la Matrice. Les derniers réfractaires, accusés de saboter des trains, eux, sont en prison.
J’ai deux Eric : mon Zemmour et Naulleau
Le tout-Paris audiovisuel ne bruisse que de cette rumeur : à la rentrée prochaine, le duo infernal Zemmour-Naulleau pourrait être débarqué de « On n’est pas couché ». Priver une émission de divertissement grand public de ce qui en fait tout le sel intellectuel ? La riche idée que voilà ! Parce que c’est quand même grâce à ce duo de surineurs sournois que l’émission mérite son label « service public ». Mine de rien, ils donnent à penser − au moins à ceux qui sont appareillés pour. Qu’ils disparaissent, et il ne restera plus qu’un « Tout le monde en parle » en négatif, si j’ose dire : naïf et bien intentionné – et tout le monde ira se coucher…
Mais qui veut la peau de ces deux animaux (l’hippocampe et le saint-bernard) ? D’après mes sources (Le Parisien, Télécâble-Satellite, Voici et peut-être même Le Monde… à moins que ce ne soit Marie-Claire), le problème d’ennui, c’est tout simplement que les people ne sont plus très chauds pour venir. Ils se le répètent entre eux : « Tu verras, y en a un qui t’épingle comme un papillon, l’autre qui te massacre comme un bébé-phoque, et puis le premier qui revient t’achever… » C’est vrai que ça donne pas envie, la perspective de se faire scanner froidement par Zemmour, puis sadiquement décortiquer par Naulleau – et tout ça en gardant le sourire…
Sous leurs feux croisés, pas de place pour les prisonniers : juste des cadavres et quelques survivants (de nos jours on dit « résilients »). Les invités qui passent à leur(s) question(s) s’y soumettent en tant qu’écrivains, hommes politiques ou artistes – et en ressortent le plus souvent scribouillards, politiciens ou chanteurs de karaoké. Mais c’est là, précisément, que se trouve le « mieux-disant culturel » de l’émission. Avec leur flegme de tueurs à la Tarantino, mine de rien ils animent le débat, au sens où ils lui donnent une âme – au-delà des « bravo » et des « hou » convenus d’une salle qui elle aussi joue son rôle…
Soyons juste ! Suave mari magno… : il est plaisant pour le téléspectateur d’assister, bien calé dans son fauteuil, au naufrage d’un invité qui ne comprend pas ce qui lui arrive ni – pire ! – pourquoi. Maintenant, imaginez que vous ayez mis deux ans à accoucher d’un roman auquel vous accordez une importance toute particulière et plus d’une heure à trouver un éditeur (ou l’inverse) : vous aimeriez, vous, vous faire désosser en deux phrases par le boucher Naulleau ?
Les intellos et autres artistes « en promo » ont plein d’autres écrans télévisuels où aller se faire voir, sans craindre plus que quelques petits coups de patte de chats dégriffés… Quand on a pris l’habitude du copinage artistique, comment ne pas être douloureusement surpris de tomber sur ces rustres, et même pas de Goldoni : carrément méchants !
La liste commence à être longue, des invités qui ont mal supporté la tenaille naullo-zemmourienne. On a vu Catherine Breillat au bord de la crise de nerfs, saint Augustin Legrand égrenant son chapelet de gros mots, Jacques Attali quittant brusquement le plateau et même Roger Karoutchi choqué ! (Il faut dire que Zemmour avait cru déceler des traces d’électoralisme dans son coming out !) Mais il y a pire encore, susurre-t-on dans les milieux bien sussurés… De plus en plus d’invités pressentis déclinent sous les prétextes les plus divers : « débordé », « enrhumé », « en Laponie »… Ainsi Olivia Ruiz et Ségolène Royal, Sophie Davant et Dominique de Villepin − qui apparemment craint plus la confrontation avec le Zemournolo dans les arènes de Ruquier qu’avec les Etats-Unis à la tribune de l’ONU.
Mais c’est, paraît-il, l’incident du 25 avril dernier qui a mis le feu aux poudres. Ce soir-là, Francis Lalanne était venu vendre son « pamphlet poétique », Mise en demeure à Monsieur le président de la République (J.-C. Gawsewitch) et, pour le même prix, si j’ose dire, son nouvel album, Ouvrir son cœur. À dire vrai, le choc était prévisible entre ce méchant Janus qu’on nomme Eric(s) et l’artiste-citoyen en peau de yaourt. Le génie de ce Lalanne-là tient tout entier dans ses cuissardes d’anarchiste dandy et son catogan de bobo-concerné. Pour le reste, manifestement, son ego de géant l’empêche de penser, et accessoirement les autres de parler.
Tout a (mal) commencé avec Zemmour. Sollicité pour donner son avis sur l’opus du barde à queue-de-cheval, il balance avec un bon sourire : « Ça me fait penser à une phrase qu’aimait bien Chirac : « Là, on est en train d’enculer une mouche qui ne nous a rien demandé ! » » Aussitôt Lalanne la prend, cette mouche, et dénonce la grossièreté de cette attaque ad drosophilem.
Mais ce n’est encore qu’une escarmouche entre eux, une mise en bouche pour nous. Le pire est à venir, tant il est vrai qu’en matière de littérature et produits assimilés, le Grand Inquisiteur c’est quand même Naulleau… Et son réquisitoire n’est pas des plus cléments : « délit culturel » et « délire intellectuel », « vers de mirliton » et « niaiseries en stock », assène-t-il avec un bon sourire sadique.
C’en est trop pour le poète engagé, qui dès lors ne cessera de marteler un seul argument : on peut ne pas aimer mon œuvre, mais pas proclamer urbi et orbi qu’elle ne vaut rien. En pratique, la nuance rappelle très nettement l’aphorisme chiraquien sur la mouche et son sort tragique : t’as pas le droit de dire « c’est nul », « c’est pitoyable » ou « c’est n’importe quoi », faut préciser avant : « À mon avis à moi, je pense que… » Zemmour propose bien de porter dorénavant sur la poitrine la pancarte idoine ; mais Lalanne ne rit pas.
Le spectateur, lui, s’amuse bien – y compris à la fin, quand Lalanne dit qu’il ne regrette rien − sauf peut-être de n’avoir pas mis un coup de boule à Naulleau… Avec tout ça, quel avenir donc pour nos Muppets du Ruquier show ? Virés ou pas virés ? En février dernier, Catherine Barma (productrice du programme dont auquel) proclamait à la face du Parisien et d’Aujourd’hui en France réunis : « Les brimer ? Jamais de la vie. » Mais février, en temps médiatique, c’était il y a un siècle ; sans compter que, dans ce monde cruel de l’audiovisuel, il ne faut jamais dire jamais !
On observera d’ailleurs que Mme Barma s’est engagée à « ne pas brimer » ses singes un peu trop savants ; pas à les garder ! Mais au fait, qui est inquiet pour Zemmour et Naulleau ? C’est l’émission qui serait tuée par leur départ.
Post-scriptum à Naulleau : je sors un bon livre en novembre.
Que va voter Ockrent ?
Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a mis fin au suspense insoutenable qu’il avait entretenu à propos de son vote lors des élections européennes. Il votera UMP. Ou peut-être pas, car il n’y a pas de caméras dans l’isoloir et on n’est jamais sûr de rien. D’ailleurs, en 1994, il clamait partout qu’il allait voter pour la liste Tapie alors qu’il figurait sur la liste Rocard ! Dans le VIe arrondissement de Paris, on se perd maintenant en conjecture sur le vote de sa compagne, Christine Ockrent, qui dispose d’un choix beaucoup plus large que son compagnon. De nationalité belge, née à Bruxelles, Mme Ockrent peut voter en France, si elle a pris soin de se faire inscrire sur une liste électorale complémentaire réservée aux ressortissants de l’UE. Sinon, elle peut voter belge, soit dans le collège flamand, soit dans le collège francophone. Notre conseil : donner son suffrage aux listes du Rassemblement Wallonie-France de notre ami Paul-Henry Gendebien, comme ça il n’y aura plus de problème !
Alli, un faux allié ?
D’accord, il est parfaitement immoral de vouloir continuer à s’empiffrer en toute impunité. Mais ce qui assure des ventes record aux magazines féminins d’après-fêtes et d’avant-maillot, n’est-ce pas précisément la perspective de pouvoir enfin pécher par gourmandise sans pneu abdominal ou double menton ? La pilule Alli, inventée précisément pour que les goinfres pathologiques rétifs à tous les traitements et tous les sermons puissent espérer retrouver une taille à peu près normale est exactement la réponse scientifique et la solution idéale à un « phénomène de société » qui n’en finit pas, lui aussi, d’enfler.
Le tollé anti-Alli dans la presse serait donc incompréhensible s’il ne mettait pas en péril l’emploi et la raison d’être de tous les nouveaux métiers qui ont éclos depuis quelques années : gourous minceur, salles d’aquagym, fabricants de substituts de repas, de thé vert et autres gélules de perlimpinpin… Sans oublier les associations qui ne sont pas les dernières à râler contre la pilule-miracle : Allegro Fortissimo, pour ne citer que la plus grosse, qui lutte « contre les discriminations dont sont victimes les personnes de forte corpulence », dont une représentante affirmait encore hier au JT de France 3 que « Alli, ça n’encourage pas à faire des efforts ». Bref, médecins nutritionnistes et militants de la cause obèse entonnent le même couplet : il faut souffrir pour être mince, sinon, c’est trop facile. Tout cela n’est pas sans rappeler qu’il y a moins de cinquante ans, on entendait la même antienne sur l’accouchement sans douleur. Entonnée par les mêmes : médecins, hygiénistes et moralisateurs de tout poil, qui savent mieux que nous ce qui est bon pour nous. Et surtout pour eux.
Sans oublier l’hypocrisie consternante du fabricant, GlaxoSmithKline, qui choisit de lancer son médicament à quelques jours de l’épreuve de l’achat du bikini, et proclame dans sa publicité placardée sur tous les abribus de Paris que son médicament ne s’adresse qu’aux personnes « dont la masse grasse excède 28 % ». J’en connais plus d’une titrant 22 % qui se verraient bien intégrer la catégorie des 18 %, surtout quand la solution est en vente libre… Et ce ne sont pas les mises en garde qui empêcheront les ventes de cartonner avant l’été, surtout, oserons-nous, celles de Roselyne Bachelot.
Qu’on se rassure : si c’est la menace de destruction de certains emplois qui gênent les Pères la Prudence, elle sera largement compensée par l’augmentation du chiffre d’affaires des boulangers, pâtissiers, fromagers, charcutiers et pharmaciens. J’ai failli oublier les restaurateurs et cafetiers, gravement affectés par l’interdiction de fumer, et que devrait réjouir, comme nous tous, cette dépénalisation de fait de acides gras saturés : on va enfin pouvoir concilier maillot et mayo !
Roger Planchon, un géant discret quitte la scène
Le dramaturge Roger Planchon est mort mardi 12 mai à Paris d’une crise cardiaque, alors qu’il travaillait à la mise en forme d’un spectacle sur Sade. Il était âgé de 77 ans. Dit comme cela, avec la sécheresse des notices nécrologiques des agences de presse, on a du mal à imaginer la tristesse produite par cette nouvelle dans le cœur de ceux à qui Planchon fit découvrir et aimer le théâtre, qui sont fort nombreux, notamment dans la génération à laquelle j’appartiens.
Je l’avoue : ces dernières années, je ne suis pas allé voir ses productions au TNP de Villeurbanne, pourtant assez proche des lieux où je réside habituellement. L’âge et le plaisir de dépenser des sommes folles pour mon seul plaisir esthétique m’attire irrésistiblement vers l’opéra et ses fastes somptuaires. Mais je garderai toujours une gratitude immense à Roger Planchon pour avoir produit un miracle sur le gamin de treize ans que j’étais au mois d’octobre 1956 : le persuader qu’une pièce de théâtre était aussi passionnante qu’un match de football.
Le théâtre de la Comédie, rue des Marroniers à Lyon (moins de cent places), et le stade de Gerland (40 000 places à l’époque) ont été les lieux sacrés des émotions adolescentes d’avant l’amour.
Ce miracle a été porté par sa mise en scène du Cercle de craie causcasien de Bertolt Brecht, conforté par celle des Coréens de Michel Vinaver et parachevé par Rocambole d’après Ponson du Terrail. Avec une conséquence fâcheuse : un ennui mortel transformé en participation au chahut collectif lors des « matinées classiques », que de malheureux acteurs étaient contraints de donner devant un public de potaches travaillés par la testostérone.
Planchon fut le passeur de Bertolt Brecht dans un public français qui ne connaissait alors que le style Comédie-Française ou le théâtre de boulevard, deux genres fort respectables au demeurant, mais qui ne peuvent à eux seul représenter l’immensité du mystère théâtral. On reviendra un jour, j’en suis certain, à Brecht et à ce théâtre du texte ennobli par le travail du metteur en scène dramaturge. Brecht est tombé en disgrâce avec la chute du mur de Berlin, car il était du mauvais côté de la muraille. Planchon ne l’a jamais abandonné, même s’il s’est tourné aussi vers d’autres styles, le théâtre de l’absurde, Beckett et Ionesco.
Planchon n’était ni Vilar, ni Mnouchkine, ces deux porte-étendards flamboyants du théâtre contemporain : il cultivait une discrétion toute provinciale, fidèle à cette région lyonnaise qu’il n’a jamais quittée, à l’Ardèche de ses ancêtres et à un théâtre vraiment populaire, celui qui n’inflige pas au spectateur la punition du non-texte performatif. Qu’il en soit remercié.
Patrons, remettez-nous ça !
La société new-yorkaise Cellufun, spécialisée dans les jeux vidéo sur téléphone portable, va commercialiser le 11 mai Made off (rafler, en anglais), un jeu inspiré par les exploits de l’escroc le plus célèbre de l’hypercapitalisme en phase terminale, Bernard Madoff. Comme lui, le joueur devra se mettre dans la peau d’un indélicat gestionnaire de fonds se goinfrant avec les portefeuilles de ses clients à hauteur de 50 milliards de dollars. Cellufun étudierait actuellement la possibilité, après Made off, de lancer sur le marché français Med eff, un jeu où il s’agira de fermer le maximum d’usines tout en touchant des indemnités de départ, des stock options et des retraites chapeaux les plus élevées possibles. Il faudra ruser avec des obstacles assez faciles, comme le code de déontologie de Laurence Parisot, ou plus compliqués, comme les séquestrations par des ouvriers en colère avec bourre-pifs afférents.
Dieudonné versus Lévy
On ne sait pas si Hitler a déshonoré l’antisémitisme, mais Dieudonné semble bien parti pour ridiculiser l’antisionisme. À la tête d’un conglomérat de colistiers venus de tous les extrêmes et bien décidés à se réconcilier sur le dos des sionistes, il a exposé son idéologie : une vision du monde qui attribue aux juifs, pardon aux sionistes, tous les malheurs passés, présents et futurs de la planète, de l’esclavage à la grippe porcine en passant par l’apartheid et les ravages du capitalisme. Hollywood a même osé profaner la mémoire de l’esclavage en Amérique avec Autant en emporte le vent.
Hélas, on ne choisit pas ses ennemis. Fidèle à l’esprit de son article, et après être allée au charbon une première fois contre Soral, Elisabeth qui préfère combattre qu’interdire acceptait, à l’invitation de Sébastien Bardos du site fluctuat.net, de débattre avec Dieudonné, le 9 mai au Théâtre de la Main d’Or.
Nous décidons de l’accompagner. Notre amie Michèle Sarfati se joint à nous. Dans le théâtre, se trouvent une dizaine d’amis de Dieudonné. L’accueil est poli, on nous offre à boire, on se serre la main. Pendant que nous fumons une cigarette, Dominique Ducoulombier, l’un des membres de la liste, vient dire son admiration à Elisabeth pour avoir accepté la rencontre. « Vous aurez des problèmes pour ça », pronostique-t-il. Entendez, des problèmes avec le lobby. Manifestement, pour lui nous n’en sommes pas, pas tous les juifs c’est déjà ça. Nous nous prenons même à espérer que la rencontre pourrait avoir lieu. Après tout, nous avons tous (Gil excepté) fréquenté les mêmes écoles – de banlieue. À défaut de parler le même langage, nous avons la même langue.
Elisabeth et Dieudonné prennent place. La discussion s’engage. Nous vous laissons la découvrir.
Nous qui espérions quelques scoops sur le mystérieux lobby sioniste qui a la perversité de faire croire qu’il n’existe pas, nous resterons sur notre faim. Peut-on parler d’un monde commun quand on n’est pas d’accord sur le récit ? Faurisson ou Pétré-Grenouilleau ? « Vous avez vos historiens, j’ai les miens. » Si Elisabeth Lévy défend le droit des « antisionistes » à s’exprimer et participer aux élections, il n’est pas clair que ceux-ci feraient preuve de la même tolérance si d’aventure ils étaient au pouvoir.
Visiblement embarrassé par une pluie de questions pour lesquelles il semble dépourvu de la moindre réponse, l’ancien comique au bord de la noyade envoie comme des bouées de sauvetage ses mimiques éculées, ses blagues faciles et ses grossièretés navrantes.
Avant notre départ, un ancien responsable du FNJ nous offre deux fascicules, le Manifeste pour l’éradication du sionisme et Le lobby pro-israélien et la tyrannie du néo-libéralisme. (Contenant, entre autres délires, la liste des personnalités sionistes médiatiques dans laquelle Alain Finkielkraut suit Alain Afflelou, eh oui, c’est classé par prénoms. Dans la brochure, la liste n’est pas exhaustive, vous êtes invités à la compléter sur ce site…) Ils ont été publiés, précise-t-il, par l’ex-Verte Ginette Skandrani qui justement nous salue. Quel ciment peut bien sceller la réconciliation de ces deux là ?
Plus tard, nous nous demanderons à quel moment de cet « échange » Dieudonné a compris que l’avantage du one man show, c’est qu’on y est tout seul.

