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Il n’y aura pas de loi sur la burqa

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Les journalistes politiques sont-ils tous couchés après 10 heures ? Aucun d’eux ne reçoit les chaînes de la TNT ? Toujours est-il qu’aucun quotidien n’a jugé utile de répercuter l’interview donnée sur BFM à Karl Zéro par Eric Besson, mardi dernier à 22 h 30. Que nous a donc dit ce soir-là le ministre de l’Immigration, qui venait à peine d’être reconduit dans ses fonctions ? Qu’il était opposé à une loi sur le port de la burqa, parce qu’il jugeait un tel texte techniquement inapplicable et politiquement inopportun. Il n’y aurait pas de quoi réveiller un mort, ni même un rubricard de l’AFP, si ce baratin capitulard nous avait été servi par un quelconque islamologue expert agréé par les Frères Musulmans ou par le sociologue de service payé avec nos impôts pour légitimer en France cet immondice.

Mais non, c’est un ministre qui parle, un ministre-clé de l’équipe Fillon IV, et pas le plus idiot du lot – personnellement je le trouve même extrêmement doué, et pour tout dire, brillant – et, accessoirement, le ministre en charge du ministère que l’on sait. On me dira que le même Eric Besson était déjà monté au créneau à maintes reprises et sur le même registre depuis la proposition de commission d’enquête lancée par le député communiste André Gerin et ses 57 collègues – dont la presse de gauche ne cesse de nous rappeler tout en lourdeur qu’ils sont très majoritairement issus de l’UMP. Le 18 juin dernier, Besson déclarait déjà sur Europe 1 : « Il n’est pas opportun de relancer une polémique. La loi a déjà énoncé un certain nombre de règles du vivre ensemble, elle dit qu’on ne peut pas porter le voile dans un certain nombre d’administrations, de services publics ainsi qu’à l’école. Un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause. » Une attitude que mes confrères du Parisien jugent « similaire » à celle du président du CCFM, on ne saurait mieux dire. On notera aussi avec amusement que le « traître » en charge de l’identité nationale, habituellement marqué à la culotte par le lobby du Bien et criblé de balles dès qu’il ouvre la bouche a échappé cette fois à la traditionnelle séance de Besson-bashing, y compris dans les colonnes du Monde ou de Libé : j’ai comme une puce qui me gratte l’oreille, là.

Reprenons le film : le 18 juin, Eric Besson explique à tous les micros que la moucharabieh portable est soluble dans les valeurs de la République. Le 23, il redit la même chose à Karl Zéro. C’est logique ; sauf que.

Sauf qu’entre ces deux déclarations, il s’est passé des trucs à Versailles. Nicolas Sarkozy y a entre autres déclaré, sous les applaudissements : « Je veux le dire solennellement, elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. » Ce que d’aucuns, dont moi, ont perçu comme une prise de position en faveur d’une loi anti-burqa. Eh bien d’aucuns, dont moi, ont pris leur désirs pour des réalités. En fait, le président s’est dit favorable à ce que les parlementaires causent du sujet, alors qu’en vrai, ces grands garçons n’ont pas besoin de son feu vert pour le faire. Et, si le cri d’indignation sonne juste, il aurait, à la réflexion, gagné à être étayé par un truc simple, dans la meilleure tradition des blitzkrieg sarkozystes, du style : « Le gouvernement proposera un projet de loi dans les plus brefs délais, il en va de l’honneur du Parlement que vous le votiez tous. » Bref, un truc façon paquet fiscal ou Hadopi. Mais, non en vrai, Nicolas Sarkozy ne nous a pas dit qu’il irait chercher la Loi anti-burqa avec les dents. Il a juste dit que la burqa, c’était très mal, étourdissant au passage avec force moulinets d’aucuns dont moi.

Que dès le lendemain, le ministre de l’Immigration explique qu’il est défavorable non seulement à cette loi, mais à ce qu’on en parle, et ce dans un gouvernement où il n’est pas d’usage, et c’est peu de le dire, de prendre le contrepied des engagements présidentiels ne signifie qu’une seule chose : il n’y aura pas, et au moins du vivant de ce quinquennat, de loi sur la burqa. En vérité, le président n’en veut pas, pas plus que ses futurs opposants « de gauche » à la prochaine présidentielle. Cinq millions ou genre d’électeurs supposés musulmans, ça donne à réfléchir. Rideau !

Rendez-vous en 2017 !

Une séquence politique vient de s’achever avec le remaniement du gouvernement. Elle couvre la période qui s’étend des élections municipales de mars 2006 (médiocres pour la majorité) jusqu’aux élections européennes, catastrophiques pour les socialistes et encourageantes pour l’UMP sarkozienne.

Il faut donc lire ce remaniement à travers le prisme de l’élection présidentielle du printemps 2012 (c’est demain !). Le premier gouvernement Fillon, celui de l’ouverture aux Kouchner, Bockel, Amara, Yade, se situait dans le sillage d’un second tour d’élection présidentielle, où l’on cherche à séduire au-delà de sa famille politique. Cette ouverture ayant été actée dans la mémoire des Français, et la situation politique et sociale ne présentant pas de danger majeur de déstabilisation du pouvoir, il n’y avait aucune raison de la poursuivre. La marginalisation de François Bayrou est en bonne voie, sinon définitive, et la promotion de Michel Mercier, déjà fort éloigné du Béarnais, doit être considérée comme une bonne manière faite au Sénat, dont Sarkozy a besoin de l’appui dans la mise en œuvre de la réforme des collectivités territoriales. On me permettra – et même si on ne me permet pas, je persiste et signe – d’interpréter l’arrivée de Fred Mitterrand rue de Valois comme un signe en direction de la communauté gay, privée depuis deux ans d’un ministère qu’elle considérait comme son apanage depuis, au moins, deux décennies. Cette arrivée vient compenser le départ de Roger Karoutchi, qui n’a pas réussi, malgré son coming out, à faire oublier son fiasco dans l’affaire de la loi Hadopi.

Pour le reste, ce gouvernement est celui d’un classique rassemblement des droites, à l’exception de sa composante juppéo-villepiniste, que Sarkozy poursuit de sa vindicte impitoyable, sur le terrain politique comme sur le terrain judiciaire. La nomination de Pierre Lellouche, réputé atlantiste pur et dur et proche des néo-cons américains, au secrétariat d’Etat aux affaires européennes, est un de ces petits plaisirs pervers dont on aurait tort de se priver lorsque l’on est au pouvoir. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pensée européenne du président de la République: de l’euro-enthousiaste Jouyet à “ l’américain” Lellouche, il semble que l’OTAN prenne le pas sur l’UE dans la perception sarkozienne de la situation de la planète…

Ce gouvernement se situe donc dans la perspective du premier tour de la prochaine élection présidentielle : d’abord rassembler son camp, et semer le doute chez l’adversaire, pour aborder le second tour dans une position confortable.

Les meilleures stratégies, pourtant, peuvent se heurter aux impondérables de la vie, à ce que le regretté premier ministre conservateur britannique Harold McMillan redoutait par-dessus tout dans l’exercice du pouvoir : “events”, ces événements qui nous dépassent et nous réduisent à feindre d’en être les organisateurs.

Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy a montré une étonnante capacité de réaction face à un événement qui aurait pu déclencher une spirale de désaffection à son égard : la crise économique. Les licenciements, l’angoisse du lendemain de nombreux Français, tout cela aurait du, normalement, susciter une vague de contestation politique et sociale. Or celle-ci s’est manifestée dans un ordre si dispersé, en dépit de cette fiction pseudo-unificatrice de “L’Appel des appels” (que sont-ils devenus, d’ailleurs ?), qu’elle n’a pas pu masquer le contenu lourdement corporatiste de la plupart de ces mouvements. Bien sûr, la grogne universitaire peut reprendre à tout moment, comme celle des mandarins de la médecine ou des pilotes d’Air France, mais il y a peu de risques que ces mouvements se coagulent dans une révolte générale, manière française bien connue de procéder à des réformes politiques et sociales.

Avant le premier tour de la présidentielle, il y aura, en mars 2010, les élections régionales, que l’on estime généralement favorables à l’opposition, et qui peuvent donner à cette dernière une dynamique pour le scrutin-roi, l’élection du président de la République, elle-même déterminante pour celle des députés. Cette fois-ci, pourtant, les socialistes triomphants des régionales de 2004 seront sur la défensive et devront, très vraisemblement, céder à la droite quelques-unes des 22 régions conquises lors de ce scrutin.

Plus l’élection présidentielle approchera, moins on verra se manifester l’esprit frondeur des députés de la majorité, car leur retour en nombre au Palais-Bourbon dépendra de l’ampleur de la victoire de leur champion dans la course à l’Elysée. Ils avaleront la potion amère de la réforme des collectivités locales – qui implique une réductions notable du nombre des élus locaux – et par conséquent de celui des fromages à distribuer à sa clientèle dans les provinces…

A droite, donc, les couteaux s’affûtent pour la manche suivante, celle qui désignera le successeur d’un Sarkozy qui a eu la sagesse de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République, à la manière de ces joueurs compulsifs qui se font interdire de casino. La démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course, c’est un quarteron de quadras qui se tirent actuellement la bourre pour accéder à la pole-position autour de 2014, année charnière du prochain mandat présidentiel. Les premiers partis sont bien connus, ils se rasent tous les matins en y pensant et ne manquent pas de le faire savoir alentour : Jean-François Copé la joue “lui c’est lui, et moi c’est moi” (normal pour un Roumain face à un Hongrois !), Xavier Bertrand excelle dans le genre bon gros zélé, faux gentil et vrai tueur. Mais il ne sont pas seuls. On négligera Galouzeau, dont l’unique chance de retour aux affaires serait d’être ministre d’ouverture d’un gouvernement de gauche, à la grande joie de son ami Edwy Plenel. On fera également l’impasse sur Michel Barnier, qui ne conçoit son retour à Bruxelles que comme une étape vers ce destin plus glorieux, dont il n’a jamais douté qu’il était digne. Nous aurons la charité de ne pas lui ôter brutalement ses illusions. Mais on gardera un œil sur quelques purs-sangs de l’écurie sarkozienne, Luc Chatel, par exemple, ou Bruno Le Maire. Leur ascension discrète, mais régulière dans la hiérarchie gouvernementale, à des postes maintenant exposés (Education nationale et Agriculture) va leur donner l’occasion de se montrer à leur avantage ou, au contraire, de révéler leurs limites. Comme nous n’avons pas (pas encore ?) de Noir ou de métis en position de devenir le Obama français, la grande rupture politico-sociétale pourrait être portée, à droite, par une femme, peut-être Valérie Pécresse si elle parvient à ravir la région Ile-de-France à Jean-Paul Huchon…

Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! Un refus est impossible dans l’état actuel de nos mœurs politiques et une acceptation équivaut à un lourd handicap dans la course à la présidence. Dans leurs cauchemars, les personnalités évoquées plus haut se voient refiler le mistigri par un Nicolas Sarkozy à l’apparence méphistophélique.

A gauche, les plus lucides ont déjà fait leur deuil de la présidentielle de 2012. Les Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici se positionnent pour 2017, laissant les Aubry, Royal, Strauss-Kahn, Delanoë, Fabius et Hollande se déchirer dans leur bagarres de sérail pour être celui ou celle que Nicolas Sarkozy se fera une joie de terrasser. La lecture du projet de “primaires populaires” concoctée par Arnaud Montebourg est, à cet égard, révélatrice. S’il est adopté par l’ensemble du PS – ce qui, en l’état actuel des choses est peu probable –, il ne pourrait qu’aboutir à la nomination de Ségolène Royal, celle qui dispose d’un réseau militant important chez les sympathisants socialistes et d’une notoriété nationale indéniable. Mais ces primaires pourraient aussi faire émerger, au sein de la “jeune garde”, celui ou celle qui serait en mesure de récupérer la mise après un deuxième échec de Ségolène. Montebourg est un gros malin : il est celui d’entre eux dont, pour l’instant, la présence médiatique et la visibilité dans le champ politique sont les plus grandes…

Il reste cependant que les calamiteuses élections européennes ont introduit un personnage extérieur dans l’équation présidentielle socialiste : Dany Cohn-Bendit. Non-candidat déclaré et crédible, à moins qu’il ne se décide à se faire naturaliser français, il va peser de tout son poids pour que le candidat socialiste de 2012 soit celui auquel il aura accordé son onction, contre une alliance historique, à égalité de puissance, entre les Verts et le PS. Pour cela, il faut faire aussi bien lors des régionales, avec des listes autonomes, qu’aux européennes, ce qui n’est pas encore dans la poche, mais pas exclu si les socialistes persistent à faire tourner à plein régime la machine à perdre.

Dany Cohn-Bendit est peut-être le seul qui croit encore que 2012 n’est pas fichu, et qu’il peut répéter, à l’échelle de la gauche tout entière, le bon coup réalisé avec l’unification sous sa houlette de la mouvance écologique et altermondialiste. Il a donc besoin d’un candidat PS capable de porter une dynamique d’union et de victoire. Dany va donc faire l’objet, dans les mois qui viennent, de cajoleries insistantes de quelques éléphant(e)s. J’ai comme une petite idée que sa préférence à lui, ce sera François Hollande.

Crisse de remaniement

Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, le remaniement ministériel du 23 juin n’a pas été un simple jeu de chaises musicales organisé avant l’été par qui vous savez… Il marque un virage important dans la politique du gouvernement : à droite toute ! Est-ce vraiment bien raisonnable de jouer les libéraux par gros temps ? L’avenir le dira. Pour l’heure, une seule chose est acquise : fort des derniers succès électoraux de sa majorité, le Premier ministre a laissé parler son libéralisme grand teint… Et le signal le plus fort de ce nouveau cap est, évidemment, le changement de ministre de l’Economie, une décision qui n’a échappé à personne, sauf à ceux qui n’ont pas voulu prendre cette nouvelle réalité en compte. On souhaite d’ailleurs beaucoup de succès à Clément Gignac, que Jean Charest, Premier ministre du Québec, vient d’installer à la tête du ministère québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Remaniement en-deçà de l’Atlantique, remaniement au-delà.

Sarkozy, j’achète pas !

Comme l’avait souligné Donald Rumsfeld en son temps, nous sommes un « vieux pays ». C’était l’époque où nous refusions l’idée d’aller mourir pour les actionnaires de messieurs Bush et Cheney du côté de la capitale de Shéhérazade que ces amoureux de la démocratie voulaient raser à coup de missiles thermoguidés. Dominique de Villepin, (décidément la France avait encore une certaine allure) lui avait répondu que c’était justement le fait d’être un vieux pays qui nous rendait un rien circonspect quand on nous invitait à participer à un carnage. Nous en avions trop connu, de départs gare de l’Est la fleur au fusil. « Demain à Bagdad ! » graffité à la craie sur les fourgons militaires, cela avait déjà des airs de déjà-vu…

Être un vieux pays, cela signifie aussi, que nous attachons beaucoup d’importance à la forme, au paraître. Renaud Camus a écrit un Eloge du paraître, dans lequel il nous dit à quel point le « naturel » est haïssable, le « ce qui va de soi », le relâchement dans la tenue, le langage, le rapport à l’autre. Ce genre de choses a toujours paru à nos amis Américains au pire superficiel, au mieux folklorique. Cet attachement aux manières, dans les discours amoureux, politique, artistique, par exemple. Nous aimons, nous Français, la bathmologie, chère à Roland Barthes et, encore lui, à Renaud Camus. La bathmologie est une science plus ou moins amusée des degrés, du contexte dans lequel sont prononcées des paroles, émises des opinions et qui rend la vérité relative, invite à la nuance, la courtoisie, la tolérance, toutes choses qui font par ailleurs de Causeur un lieu français par excellence, comme chacun le sait.

Or, à notre grand étonnement, notre rédactrice en chef, sur le discours de Sarkozy, n’a voulu réagir que sur le fond, écartant dans un geste charmant de désinvolture la question formelle, comme si cette dernière était négligeable. Que le président de la République s’appuyant sur une nouvelle mouture de la Constitution, votée l’année dernière à une voix de majorité, celle du futur ministre d’ouverture Lang, se soit adressé directement aux représentants du peuple réunis en Congrès, et ce pour la première fois depuis 1875, ne l’a pas choquée plus que ça.

Elisabeth Lévy a été prise, oh très brièvement, comment dire, d’un accès de bovarysme politique : elle a voulu y croire, elle a pris ses désirs pour des réalités. Comme Emma à Yonville tombant amoureuse d’un clerc de notaire qui lit de la poésie, comme Emma qui voulait oublier la laideur de sa petite ville, la bêtise de Homais, la vulgarité un peu veule de son mari, elle a voulu oublier tout le reste, les députés et sénateurs au garde à vous, le gouvernement muet, le Premier ministre vidé de toute substance, comme victime d’un sortilège vaudou qui l’aurait transformé en mort-vivant sous nos yeux, pratiquement en direct. Elle a écouté de jolis mots et elle n’a pas eu tout de suite le très sain réflexe de Dalida, dans Paroles, paroles répondant à Alain Delon qui lui sussure des menteries à l’oreille : « Caramels, bonbons et chocolats ».

Heureusement, Elisabeth Lévy, comme dans n’importe quelle bonne série B, s’est réveillée juste à la fin de l’article et, à l’instar des héros de Body Snatchers, a arraché in extremis les plantes parasites qui voulaient prendre possession d’elle et la transformer en UMPiste convaincue.

On a eu chaud, vraiment chaud : quand on connaît un peu Elisabeth, qui n’est pas du genre à se laisser hypnotiser, on commence à trembler devant la force de persuasion du sarkozysme qui n’est pourtant jamais que celle d’un marketing enseigné dans une école de commerce de seconde division mais démultiplié par les ors de la République et la majesté de la fonction présidentielle. C’est là que l’on voit la force de la forme, encore une fois : cette fonction présidentielle, elle a résisté à l’insupportable pipolisation du régime, aux « casse-toi pauvre con », et même au fait que le roi n’ait plus deux corps, un privé, un public, ce qui, selon Kantorowicz, permet au pouvoir de se légitimer, voire de se sacraliser.

Nous, le fond, quand il s’agit de l’actuel président, nous pensons qu’il ne signifie rien. Ce que d’aucuns appellent son pragmatisme, c’est une navigation plus ou moins habile, dans l’intérêt du groupe qui a voulu le voir arriver au pouvoir et dont les historiens pourront retrouver les noms sur la liste des invités du Fouquet’s.

Là, il faut néanmoins reconnaître qu’il a franchi un pas. Nous savions que Sarko l’Américain adorait faire du jogging avec des tee-shirts du NYPD, nous ignorions que cette manie d’adolescent gavé de séries policières le pousserait à vouloir faire son Discours sur l’Etat de l’Union comme un Roosevelt ou un Obama. La prochaine étape, ce sera quoi ? Un architecte d’intérieur à l’Elysée pour transformer le bureau de De Gaulle en salon ovale ?

Finalement, Sarkozy ressemble à ceux qu’il veut transformer en classe dangereuse, son imaginaire est totalement colonisé par l’Amérique. Demandez à n’importe quel éducateur de la PJJ comment un jeune de banlieue passant en comparution directe va appeler le juge. Neuf fois sur dix, il dit « Votre Honneur » et il cherche des yeux une bible pour prêter serment quand bien même il serait musulman.

En parlant devant le Congrès, Nicolas Sarkozy n’a effectivement pas mis en danger la République, même si je suis assez heureux à titre personnel que les députés et sénateurs communistes n’aient pas cautionné la mascarade.

Non, ce qu’il a fait est beaucoup plus triste. Il s’est servi de la République pour satisfaire une obscure pulsion de mise en scène permanente de sa vie comme un film dont le réalisateur ne serait pas le Visconti du Guépard ou le Capra de Monsieur Smith au Sénat, mais plutôt, on a les goûts qui vont avec la gourmette, les tâcherons hollywoodiens qui pondent annuellement des daubes comme Independance Day ou Air Force One, quand le président sous les traits d’Harrison Ford, dézingue des terroristes qui ont pris son bel avion en otage parce que décidément, quand on est hyper-président, il faut vraiment tout faire soi-même.

À louer, villa en plein cœur de Rome

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Il n’y a pas qu’avec les soldes qu’on fait de bonnes affaires. Parfois, ça vaut la peine d’attendre les offres de dernière minute, notamment en matière de locations. Un peu plus d’un an après le feuilleton qui a accompagné la sélection de son futur ex-locataire et un peu moins de dix mois après que celui-ci s’y soit installé, la villa Médicis est de nouveau sur le marché. Mais ce jeu de chaises musicales à rythme accéléré ne présente pas que des inconvénients. Cela nous permet de vous renvoyer à nos conseils – qui ont gardé toute leur fraicheur – à la fois pour la question du bien immobilier directement concerné et pour celle, plus générale, de remaniement. À part ça, plus sérieusement, si je suis nommé à la Villa Médicis, j’inviterai tous les lecteurs à passer quelques jours de vacances en pension complète cet été, sur simple présentation de leur justificatif d’abonnement.

Tout ça pour ça ?

« C’est un remaniement ? – Non, Sire, un déménagement. » Depuis plusieurs semaines, Paris bruissait des rumeurs les plus folles. Certains nous annonçaient la nomination imminente d’Alain Juppé à Matignon, d’autres se réjouissaient de celle de Philippe Séguin place Vendôme. Les plus clairvoyants confiaient, à demi-mot, que la place Beauvau brûlait d’accueillir Manuel Valls et la rue de Valois Jack Lang. Claude Allègre se voyait bien à la tête d’un grand ministère de l’Industrie et de la Technologie – à défaut les Anciens combattants ou le Patinage artistique. Quant à Hubert Védrine, il occupait déjà le fauteuil de Bernard Kouchner que ce dernier y était encore assis.

Rien de tout cela ne s’est passé. Car rien ne s’est passé. Nicolas Sarkozy s’est contenté, pour tout remaniement, de sacrifier au jeu habituel des chaises musicales. Pourquoi aurait-il fait autrement ? Le résultat des élections européennes ne lui imposait pas d’en faire des tonnes. On prend donc les mêmes et on recommence. Certes, quelques nouvelles têtes font leur apparition. Mais, hormis Benoist Apparu (Logement et Urbanisme), Marie-Luce Penchard (Outre-Mer) et Nora Berra (aux Vieux, pardon aux Aînés), il faut revenir d’un long voyage aux Antipodes pour voir en Pierre Lellouche (Affaires européennes), Henri de Raincourt (relations avec le Parlement) et Christian Estrosi (Industrie) des perdreaux de l’année.

Evidemment, nul n’aura manqué de remarquer les deux trophées qui rejoignent, à la faveur de ce remaniement, les lambris élyséens : Michel Mercier et Frédéric Mitterrand.

Michel Mercier, c’est, dit-on, le coup de grâce porté à François Bayrou. Un ami de trente ans qui rejoint le gouvernement : le Béarnais est au plus mal. C’en est fini de lui. Pas sûr : le sénateur du Rhône a beau être trésorier du Modem, il ne siège plus dans les instances dirigeantes depuis plus d’un an et s’est positionné à de multiples reprises pour une alliance tactique avec l’UMP. Un rallié qui se rallie, belle prise de guerre !

L’arrivée de Frédéric Mitterrand rue de Valois est d’un tout autre genre. On en vient presque à regretter qu’Ava Gardner soit déjà morte : le nouveau ministre en aurait prononcé une nécrologie tout à fait convenable. C’est qu’il est doué, Frédéric Mitterrand, pour tenir les cordons du poêle, raconter l’histoire, le cinéma et les obsèques princières. Il a l’allure et la distinction pour aller à Cannes et à la Biennale de Venise, peut-être pas le métier suffisant pour porter le fer devant le Parlement. Qu’à cela ne tienne : ce n’est pas pour cela que Nicolas Sarkozy l’a choisi. Le président de la République a voulu se payer un menu plaisir : s’offrir un Mitterrand. Chacun a les fétichismes qu’il peut. Au Parti socialiste, on est visiblement gêné aux entournures pour dire quoi que ce soit de désobligeant de celui qui porte le nom de la statue du commandeur. On sait aussi que Frédéric a la rancune tenace et qu’il n’a toujours pas digéré le « droit d’inventaire » que Lionel Jospin invoquait le 9 avril 1995 pour déposer le bilan des années Mitterrand. Le premier socialiste qui l’ouvre est un homme mort : qu’on se le dise.

D’ailleurs, les socialistes n’ont pas vu passer le train. Benoît Hamon en tête, ils ont consacré leurs réactions à relativiser le remaniement : « Les ministres ne servent à rien. C’est le président de la République qui contrôle tout. » Au PS, on ne change pas une stratégie qui perd : les socialistes vont continuer à tirer sur Nicolas Sarkozy pendant les deux ans et demi qui viennent, sans toutefois jamais l’atteindre… Ils seront bien inspirés un jour de porter leurs critiques sur le gouvernement et ses membres, afin d’adopter une tactique éprouvée depuis longtemps : décrédibiliser les ministres et leur action, isoler le chef de l’Etat et l’affronter, le moment venu, d’homme à homme.

Rien de nouveau, donc, sous les ors de la République. Rien ? C’est vite dit. André Santini n’est plus ministre ! Le secrétaire d’Etat à la Fonction publique ne rempile pas. Est-il à la rue ? Non. L’heureux homme est sur le point de recouvrer son mandat de député de la dixième circonscription des Hauts-de-Seine. C’est son suppléant qui n’est pas jouasse. Il s’appelle Frédéric Lefebvre et il vient de se faire hacker son siège à l’Assemblée nationale. Maudits pirates !

Lâchez-leur la burqa

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Elisabeth ! Mon Elisabeth ! Comment peux-tu dire des choses pareilles ? On reprend à zéro. Réponds-moi simplement à cette question : la loi peut-elle dicter les modes vestimentaires ? Tous les Etats de droit au monde ont tranché sans même s’interroger : les gens ont le droit de s’habiller comme ils l’entendent. Est-il interdit de porter une cagoule dans la rue ? On en trouve dans les défilés de mode ! Cette semaine seulement, un décret ministériel vient de prohiber le port de la cagoule « aux abords immédiats des manifestations », c’est dire qu’il est permis ailleurs.

Une burqa en cache une autre. Si des bouddhistes dissimulaient leur visage, on trouverait ça pittoresque. Tu ne parles pas de burqa, tu parles de l’Islam, des musulmans, de cinq, dix pour cent de la population avec qui le reste du pays est en bisbilles. À ces musulmans (la fraction la plus misérable en France), tu dis : cessez d’être musulmans ou cassez-vous. On ne veut plus vous voir. Pas de musulmans dans mon pays. Tu leur envoies ce mollard à la gueule au moment même où ils sont absolument déterminés à devenir plus musulmans que jamais. Rien que pour te faire chier. Rien que pour ça. Ah, tu veux pas que je sois musulman, eh ben tu vas voir. La burqa, je vais te mettre. Et va me l’interdire, voyons un peu si tu tiens autant à ton Etat de droit que tu le prétends, sale occupante d’Irak et d’ailleurs.

Je t’entends hurler d’ici. Moi, contre les musulmans en France ? Sitbon ! Où as-tu été chercher ça ? Qu’ils prient nuit et jour, qu’ils jeûnent jusqu’à plus soif, qu’ils se laissent pousser la barbe jusqu’aux baskets, j’en n’ai rien à cirer, c’est leur affaire. S’ils sont cons, qu’ils le restent. D’ailleurs, j’en pense autant des autres religieux. Mais la burqa, non. Tout, oui. La burqa, non. Elisabeth, tu te racontes des histoires. C’est à l’Islam que tu en veux, pas à la cagoule. D’abord, on a eu les odeurs de Chirac et puis les moutons de l’Aïd, et puis les mosquées, l’excision, la polygamie, les écoles musulmanes, la délinquance, le terrorisme, les banlieues, le voile, maintenant la burqa. Demain, on va découvrir que chaque année au Ramadan, vingt-deux vieillards et enfants meurent d’inanition. Sais-tu qu’un chrétien sur dix et un juif sur trois fréquentent des écoles religieuses sans que ça n’intéresse personne ? Mais les deux cents gamins des trois écoles islamiques, ça, c’est grave.

Tu veux la vérité, Elisabeth ? On a peur des musulmans. On, je, tu, il ou elle a peur des musulmans. Pourquoi on a peur ? Si tu m’accordes un papier de six milliards de signes, je te l’expliquerai pour te faire comprendre ce que je ne comprends pas moi-même. La chrétienté, on dit aujourd’hui l’Occident, est brouillée avec l’Islam depuis toujours. Dès que les musulmans ont franchi les frontières de la péninsule arabique (vers 637), ils se sont heurtés aux chrétiens. Tu sais, quand ils sont arrivés chez toi et moi, au Maghreb (vers 650), ils ont butté sur nos ancêtres vivant dans des Etats chrétiens (saint Augustin). Conquista, Reconquista, chute de Byzance, Lépante, piraterie, toute l’Europe de l’Est musulmane jusqu’à hier (fin du XIXe siècle), colonisation, décolonisation, Israël, tours jumelles, treize siècles, ça n’a pas cessé un jour. L’ennemi pour la chrétienté, pour l’Occident, c’est le Maure, le Sarrazin, le barbaresque, l’Arabe, le Chleu. Le chrétien a colonisé leur pays, ça c’est mal passé. Maintenant, ils colonisent (au sens propre) l’Occident, ça se passe mal. Normal.

Pas si normal que ça. Treize siècles durant, ce fut querelle territoriale. Aujourd’hui, hormis trois colonies en Cisjordanie, personne ne veut étendre sa souveraineté chez le voisin. Entre l’Occident et l’Islam, il n’y a plus d’enjeu qui vaille une guerre. Sauf un. Il concerne les musulmans, pas les autres.

Tu te promènes au Caire, à Casa : sorti de deux vieux quartiers touristiques, le reste de la ville est occidental. Les villes arabes disparaissent. Ils ont tout adopté de l’Occident : l’avion, le parfum Chanel, le jean’s et même les élections. Ils n’ont gardé de leur civilisation matérielle que la baklawa et le couscous. Ils écrivent des romans et font des films comme nous. Ils n’ont presque plus rien en propre ou qu’ils aient créé. Ils sont en voie de se métamorphoser, de leur propre gré, en Occidentaux. Ils ont été avalés, dévorés par leur ennemi. Ils deviennent leur ennemi. Il ne leur reste plus qu’un refuge avant de se fondre totalement en nous et de s’anéantir : la religion, l’Islam. On peut tout christianiser, occidentaliser, jamais on ne christianisera l’Islam. C’est une question de vie ou de mort. Quel peuple a envie de disparaître ? Ou tu t’abrites dans l’Islam ou tu disparais. Alors bien sûr, la burqa. Rien que pour te faire un peu chier. Pour ne pas mourir ce matin.

Tu vois, Elisabeth, ils ne te veulent pas du mal les musulmans. Ils sont dans une mauvaise passe. Aide-les à la traverser. Ça ne durera pas longtemps, un siècle ou deux à tout casser. Après, tu verras, tout ira bien dans une France sans chrétiens, sans musulmans et, enfin, sans juifs.

Mc Cartney vs rosbif : ne suivez pas le veuf !

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Nous avons, comme tous les hommes de goût, toujours préféré la mélancolie virile des Stones à la niaiserie sucrée des Beatles. Et si par hasard nous avions eu un doute, il aurait été dissipé par la dernière déclaration de Paul Mc Cartney, qui a à peu près autant le sens des réalités sociales qu’un électeur d’Europe Ecologie. Paul, en effet, en végétarien milliardaire convaincu, affirme qu’il serait bon pour la santé et l’effet de serre de décider d’un jour sans viande dans la semaine, en l’occurrence le lundi. En effet, pour Paul, on ne dit pas assez l’effet dévastateur des flatulences bovines sur la couche d’ozone et du stèque sur le cholestérol. Le problème, Paul, c’est que dans le Royaume-Uni et la France de notre belle époque de licenciements massifs et de précarité galopante, l’urgence serait plutôt, pour une part grandissante de la population, de proclamer un jour avec viande dans la semaine.

Ce Sarkozy-là, j’ai envie d’y croire

C’est pas que ça m’inquiète, mais un peu tout de même. Je me demande si je ne suis pas devenue… sarkozyste. Non, ce serait trop affreux, c’est sans doute simplement un accès. Dès que je le verrai tripoter son téléphone portable devant le pape, vanter les mérites de son épouse comme s’il était chez Delarue ou proclamer son admiration pour les « écrivains qui vendent », le charme ou plutôt la maladie cessera.

La polémique assez convenue qui a précédé son discours au Congrès avait déjà attendri mes défenses immunitaires. Il est vrai que je n’ai pas de religion du régime et que peu me chaut que nous soyons encore dans la Ve République, dans la Ve bis ou dans la VIe moins le quart. Que les institutions, comme le droit d’ailleurs, s’adaptent aux changements des mœurs, je ne vois pas où est le problème. Que chaque président les tire là où le conduisent sa propre nature et les circonstances politiques, on se demande comment il pourrait en être autrement. Quant à la régression du Premier ministre au rang de Premier fonctionnaire du pays, ce qui n’est tout de même pas n’importe quel job, elle avait commencé depuis longtemps, à l’exception des périodes de cohabitation, et il n’y aura plus de cohabitation – à moins, évidemment, que nous devenions tous schizophrènes.

Il est indéniable, donc, que Nicolas Sarkozy change le régime. And so what ? En vrai, tout le monde s’en fout qu’on change de régime. La gauche, qui sait qu’elle ne va pas mobiliser les foules avec ça, a donc plus ou moins entonné l’air du bonapartisme, tout en jouant l’air habituel « chacun tire dans son coin ». Je ne sais pas si le terme « coup de force » a été prononcé mais je suis sûre que beaucoup l’avaient sur le bout de la langue. À l’aveugle, Edwy Plenel nous aurait parlé de « césarisme » que je n’en serais pas étonnée. C’est assez amusant. Pour une fois, au lieu d’aller à la télé, ce qu’il peut faire assez aisément et c’est normal, le président décide de s’adresser à la représentation nationale qui justement, se plaint depuis des années d’être déconsidérée et écartée du débat démocratique. On m’aurait demandé mon avis, j’aurais préféré qu’il restât écouter les réponses. Tant qu’à commettre une gravissime infraction à la séparation des pouvoirs (autre thème peu mobilisateur), autant être courtois. Mais enfin, que les Assemblées redeviennent l’un des théâtres de l’affrontement démocratique ne me déplairait pas. Encore faudrait-il que le pouvoir ait des adversaires en face de lui. Ceux qui nous répètent chaque jour que nos libertés sont menacées devraient peut-être s’interroger sur ce point.

Tout ça, dit-on enfin, exhale un petit fumet monarchique. Certes. La France a vécu mille ans en monarchie et un peu plus de deux siècles en république et on voudrait qu’elle n’ait rien conservé d’avant 1789 (pour ne pas parler des deux empires et des deux monarchies censitaires du XIXe siècle) ? Difficile de le nier, le château de Versailles évoque la monarchie. Serait-il prescrit quelque part que l’on doive oublier celle-ci ? Ce parfum de royauté ne me gêne pas, bien au contraire. Etait-ce l’effet de la fièvre ? Dans ce décor, j’ai trouvé que Nicolas Sarkozy habitait plutôt mieux la fonction qu’en bien d’autres occasions. Quelqu’un devrait le lui dire : un peu de solennité lui va pas mal au teint.

Là où j’ai vraiment commencé à m’inquiéter, c’est quand j’ai réalisé que son discours me plaisait. Manipulée par les communicants du président, avais-je perdu mon libre-arbitre ?

À peine sortis du château, les socialistes se sont rués sur les micros pour dire qu’il n’y avait rien de concret dedans. Je dois être vraiment atteinte parce que je n’ai pas trouvé. Je dirais plutôt que c’était du bon Guaino sur les principes, relu et corrigé par des praticiens de la chose économique et sociale. Il aurait été incongru, me semble-t-il, de déranger nos estimables représentants pour annoncer un catalogue de mesures. François Hollande a le droit de penser que les principes n’ont aucun intérêt. Je ne suis pas d’accord.

On me pardonnera d’étaler ainsi des symptômes gênants, mais j’ai choisi la transparence. Je me lance. À deux ou trois reprises, j’ai eu envie d’y croire. Ai-je entendu des voix ? Il m’a semblé que le président disait des choses que beaucoup de Français avaient besoin d’entendre. « Une France sans usines et sans ouvriers est une idée folle. » On aurait aimé entendre les responsables socialistes, lorsqu’ils étaient au pouvoir, défendre cette idée par le verbe et par les actes. Quant à l’idée d’un emprunt public pour financer les investissements, elle est au cœur du keynésianisme dont je croyais jusque-là qu’il était raccord avec la pensée économique du PS. J’ai dû me tromper. Et nos socialos de se désoler parce qu’un tel emprunt pèserait sur la dépense publique. S’ils ne comprennent pas que recourir à l’emprunt pour boucler ses fins de mois ou pour construire des infrastructures ne sont pas la même chose, qu’ils retournent à l’école.

Sur les détails, j’aurais bien deux ou trois objections à faire. D’abord, je ne suis pas sûre qu’il faille se priver de la possibilité d’augmenter les impôts, tout simplement parce qu’avec des dizaines de milliers de chômeurs et de précaires supplémentaires, il va bien falloir les boucler, les fins de mois. Et question redistribution, il faut bien admettre qu’il y a encore deux ou trois trucs qui coincent. D’autre part, je trouve un peu suspecte cette intention proclamée d’associer la France entière à l’élaboration des priorités. Je n’aime pas trop ce relent citoyen et participatif qui me rappelle quelqu’un mais je ne vois pas qui.

C’est quand Nicolas Sarkozy a abordé les questions qui fâchent que là, j’ai vraiment craqué. Il n’est pas si fréquent qu’un dirigeant revienne sur ses bourdes. Quand il a reconnu que la « discrimination positive » – qui était l’un de ses dadas – n’appartenait pas à la tradition française, j’étais collée au plafond. Et s’il avait récemment compris quelque chose à l’ADN de notre pays ? Quand il a ajouté que l’égalité des chances était un objectif avec lequel on ne peut pas transiger, je me suis mise à pleurer (non, j’exagère pour vous apitoyer sur mon état). Il a eu les mots qu’il fallait : oui, « il faut donner à ceux qui ont moins », mais rien sur des critères ethniques, tout sur des critères économiques et sociaux. À la française, quoi. Sauf moment d’inattention de ma part, il n’a pas prononcé le mot magique – « diversité ». Du coup, le CRAN qui a peut-être compris qu’il avait perdu une bataille a immédiatement réclamé la création d’un ministère de la Diversité.

Le plus fort de la crise (de la mienne, j’entends) a coïncidé avec le passage sur la burqa. C’est comme ça que je l’espérais, mon président. Sans faiblesse, sans ambiguïté : pas de ça, chez nous. « La burqa n’est pas un signe religieux mais une manifestation d’asservissement. » Voilà pour ceux qui nous expliquent qu’emprisonner sa femme ou s’auto-emprisonner relève du libre exercice de la foi.

Je crois bien qu’après toutes ces émotions, je me suis évanouie, peut-être au moment précis où le président disait « Vive la République ! » Je me demande maintenant si j’ai rêvé. J’ai comme une gueule de bois. Et s’il ne s’agissait que de paroles verbales ? Si ce discours de reconquête n’était que de la com’, comme l’expliqueront ceux de mes confrères qui n’auront pas trouvé horribles les intentions elles-mêmes? Et si pour les Français qui croient encore en la parole présidentielle, la déception était, une fois encore, au rendez-vous ?

Vous voyez, ça va beaucoup mieux.

Est-ce ainsi que les femmes vivent ?

Avec le débat qui s’engage sur le port de la burqa, on peut constater qu’au moins soixante députés ont cessé de se voiler la face et qu’ils entendent le faire savoir. Y aura-t-il une interdiction à la clé ? Peut-on espérer qu’on acceptera désormais, en France, de sacrifier un droit ou une liberté à la défense de notre culture, c’est-à-dire de notre liberté ? Je sais que ce n’est pas gagné : légiférer sur les vêtements qu’on porte dans la rue fera lever pas mal de boucliers.

Derrière ces niqabs (burqas sans grillage) qui prolifèrent, des fondamentalistes tentent d’imposer leur mode de vie en faisant de la politique avec leurs femmes et leurs filles.

Des ignorants baignant dans une culture machiste ont prohibé le port de la jupe en banlieue, des barbus tentent, au sens propre, de couper du monde leurs femmes, jusque dans les rues. Une très large majorité de Français de toutes origines assiste impuissante à l’apparition de ces fantômes dans les villes et y voit une régression de la vie publique.

La soumission à une religion qui exige cela, l’affichage de son appartenance à cet islam-là sont incompatibles avec le pacte d’intégration qui offre protection, notamment sociale, aux citoyens en échange d’une adhésion aux valeurs et usages français. Si nous renonçons à cette exigence, c’est l’islamisation de la France qui avancera et l’islamisme avec. Bien placée pour le savoir, Fadela Amara nous met en garde : mettez le holà. Protégez-nous et protégez-vous. Les islamistes vous testent.

Je crains que cet avis précieux ne soit pas entendu et qu’encore une fois on brandisse un principe, une loi, un droit, un avantage acquis pour interdire d’interdire. La burqa, cet attribut de totalitarisme domestique, pourrait se répandre à l’abri de la liberté de s’habiller comme on veut, du droit de vivre sa foi ou du principe selon lequel l’intégration ne doit être forcée. Le principe suprême de notre temps, qui tient en trois mots – c’est mon choix – sera invoqué. Mais tout céder à l’exigence individualiste pourrait nous empêcher de dessiner ensemble notre monde commun, de décider ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas.

Dans cette affaire, il ne s’agit pas d’élargir le champ du possible mais de le restreindre, pas de sauver la liberté de critique, de parole ou de caricature menacée, mais de limiter la liberté d’afficher son identité. C’est moins facile. Brimer des jeunes filles dévotes et pudiques, ce n’est pas le combat rêvé. Certains esprits indécrottablement libertaires auront du mal à s’y faire. Pourtant sans réaction, l’islamisation à petits pas de la société, tolérée au nom du droit à la différence, installera les pratiques les plus liberticides qui soient, au pays des droits de l’homme – et grâce à eux.

Trop souvent, des autorités dont le seul souci est d’éviter de faire des vagues, des jugements pavés de bonnes intentions, des juges terrifiés à l’idée de passer pour islamophobes et répressifs ont concédé le terrain républicain à l’obscurantisme vert.

Il faut imposer des limites au multiculturalisme. On interdit la polygamie ou l’excision : quand on veut on peut. Il faut donc savoir ce qu’on veut et à qui on a affaire. Accepter que des femmes, en France, soient emprisonnées sous nos yeux, c’est renoncer à l’exigence d’égalité entre hommes et femmes, le plus précieux fondement de notre qualité de vie. Ne pas être à la hauteur dans ce bras de fer que tentent les islamistes serait, en plus d’une indignité, un mauvais calcul. La défaite et le déshonneur !

D’autres injonctions sont lancées à la République. Le consensus laïque auquel tous les immigrants s’étaient jusque-là adaptés est menacé dans les hôpitaux, les piscines, les cantines scolaires. Ce harcèlement ne s’arrêtera pas tout seul. La dérive de tribunaux européens racontée par Pat Condell doit nous inviter à légiférer fermement.

Il faut préserver les rues, les villes, les filles de la République de toutes les emprises religieuses. En refusant de transiger sur ses valeurs, la France enverrait aux peuples d’Europe et du monde un message d’espoir. Nous avons la laïcité la plus avancée d’Europe. Défendons-la. Elle est ce que nous pouvons offrir de mieux à tous ceux que l’islamisation inquiète : Français de souche ou d’ailleurs, Hollandais, Belges, Suédois, Danois et tant d’autres applaudiraient une France fidèle à sa devise.

S’ils sentent, sur ce coup-là, une société unie dans un refus clair et net, nos représentants sauront faire front. Je me prends à rêver d’un Sarkozy portant haut et fort la voix d’une France laïque, capable de braver la Cour européenne des droits de l’homme et certaines remontrances internationales. Défiant le monde diplomatique pour faire valoir cette exception française non négociable qu’est notre laïcité, il saisirait une chance historique de reconquérir un peu de souveraineté nationale. Par ce geste, il rassemblerait pratiquement toutes les familles politiques, des gaullistes aux gauchistes, ravis qu’on résiste à l’impérialisme multiculturel donneur de leçons ; des droites nationales et souverainistes rassurées sur ce coup-là, aux femmes, et en première ligne, celles des cités, c’est presque tout le peuple qui lui en serait reconnaissant.

Si la lâcheté devait prévaloir et la « tolérance » et le respect de toutes les cultures l’emporter, nous pourrons toujours opposer une résistance individuelle, en usant de notre droit de parler aux femmes dans la rue, même étrangères et inconnues, pour ne pas perdre ce savoir-faire à la française que le monde entier nous envie : la galanterie.

Merci à Alain Finkielkraut et Louis Aragon pour le titre.

Il n’y aura pas de loi sur la burqa

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Les journalistes politiques sont-ils tous couchés après 10 heures ? Aucun d’eux ne reçoit les chaînes de la TNT ? Toujours est-il qu’aucun quotidien n’a jugé utile de répercuter l’interview donnée sur BFM à Karl Zéro par Eric Besson, mardi dernier à 22 h 30. Que nous a donc dit ce soir-là le ministre de l’Immigration, qui venait à peine d’être reconduit dans ses fonctions ? Qu’il était opposé à une loi sur le port de la burqa, parce qu’il jugeait un tel texte techniquement inapplicable et politiquement inopportun. Il n’y aurait pas de quoi réveiller un mort, ni même un rubricard de l’AFP, si ce baratin capitulard nous avait été servi par un quelconque islamologue expert agréé par les Frères Musulmans ou par le sociologue de service payé avec nos impôts pour légitimer en France cet immondice.

Mais non, c’est un ministre qui parle, un ministre-clé de l’équipe Fillon IV, et pas le plus idiot du lot – personnellement je le trouve même extrêmement doué, et pour tout dire, brillant – et, accessoirement, le ministre en charge du ministère que l’on sait. On me dira que le même Eric Besson était déjà monté au créneau à maintes reprises et sur le même registre depuis la proposition de commission d’enquête lancée par le député communiste André Gerin et ses 57 collègues – dont la presse de gauche ne cesse de nous rappeler tout en lourdeur qu’ils sont très majoritairement issus de l’UMP. Le 18 juin dernier, Besson déclarait déjà sur Europe 1 : « Il n’est pas opportun de relancer une polémique. La loi a déjà énoncé un certain nombre de règles du vivre ensemble, elle dit qu’on ne peut pas porter le voile dans un certain nombre d’administrations, de services publics ainsi qu’à l’école. Un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause. » Une attitude que mes confrères du Parisien jugent « similaire » à celle du président du CCFM, on ne saurait mieux dire. On notera aussi avec amusement que le « traître » en charge de l’identité nationale, habituellement marqué à la culotte par le lobby du Bien et criblé de balles dès qu’il ouvre la bouche a échappé cette fois à la traditionnelle séance de Besson-bashing, y compris dans les colonnes du Monde ou de Libé : j’ai comme une puce qui me gratte l’oreille, là.

Reprenons le film : le 18 juin, Eric Besson explique à tous les micros que la moucharabieh portable est soluble dans les valeurs de la République. Le 23, il redit la même chose à Karl Zéro. C’est logique ; sauf que.

Sauf qu’entre ces deux déclarations, il s’est passé des trucs à Versailles. Nicolas Sarkozy y a entre autres déclaré, sous les applaudissements : « Je veux le dire solennellement, elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. » Ce que d’aucuns, dont moi, ont perçu comme une prise de position en faveur d’une loi anti-burqa. Eh bien d’aucuns, dont moi, ont pris leur désirs pour des réalités. En fait, le président s’est dit favorable à ce que les parlementaires causent du sujet, alors qu’en vrai, ces grands garçons n’ont pas besoin de son feu vert pour le faire. Et, si le cri d’indignation sonne juste, il aurait, à la réflexion, gagné à être étayé par un truc simple, dans la meilleure tradition des blitzkrieg sarkozystes, du style : « Le gouvernement proposera un projet de loi dans les plus brefs délais, il en va de l’honneur du Parlement que vous le votiez tous. » Bref, un truc façon paquet fiscal ou Hadopi. Mais, non en vrai, Nicolas Sarkozy ne nous a pas dit qu’il irait chercher la Loi anti-burqa avec les dents. Il a juste dit que la burqa, c’était très mal, étourdissant au passage avec force moulinets d’aucuns dont moi.

Que dès le lendemain, le ministre de l’Immigration explique qu’il est défavorable non seulement à cette loi, mais à ce qu’on en parle, et ce dans un gouvernement où il n’est pas d’usage, et c’est peu de le dire, de prendre le contrepied des engagements présidentiels ne signifie qu’une seule chose : il n’y aura pas, et au moins du vivant de ce quinquennat, de loi sur la burqa. En vérité, le président n’en veut pas, pas plus que ses futurs opposants « de gauche » à la prochaine présidentielle. Cinq millions ou genre d’électeurs supposés musulmans, ça donne à réfléchir. Rideau !

Rendez-vous en 2017 !

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Une séquence politique vient de s’achever avec le remaniement du gouvernement. Elle couvre la période qui s’étend des élections municipales de mars 2006 (médiocres pour la majorité) jusqu’aux élections européennes, catastrophiques pour les socialistes et encourageantes pour l’UMP sarkozienne.

Il faut donc lire ce remaniement à travers le prisme de l’élection présidentielle du printemps 2012 (c’est demain !). Le premier gouvernement Fillon, celui de l’ouverture aux Kouchner, Bockel, Amara, Yade, se situait dans le sillage d’un second tour d’élection présidentielle, où l’on cherche à séduire au-delà de sa famille politique. Cette ouverture ayant été actée dans la mémoire des Français, et la situation politique et sociale ne présentant pas de danger majeur de déstabilisation du pouvoir, il n’y avait aucune raison de la poursuivre. La marginalisation de François Bayrou est en bonne voie, sinon définitive, et la promotion de Michel Mercier, déjà fort éloigné du Béarnais, doit être considérée comme une bonne manière faite au Sénat, dont Sarkozy a besoin de l’appui dans la mise en œuvre de la réforme des collectivités territoriales. On me permettra – et même si on ne me permet pas, je persiste et signe – d’interpréter l’arrivée de Fred Mitterrand rue de Valois comme un signe en direction de la communauté gay, privée depuis deux ans d’un ministère qu’elle considérait comme son apanage depuis, au moins, deux décennies. Cette arrivée vient compenser le départ de Roger Karoutchi, qui n’a pas réussi, malgré son coming out, à faire oublier son fiasco dans l’affaire de la loi Hadopi.

Pour le reste, ce gouvernement est celui d’un classique rassemblement des droites, à l’exception de sa composante juppéo-villepiniste, que Sarkozy poursuit de sa vindicte impitoyable, sur le terrain politique comme sur le terrain judiciaire. La nomination de Pierre Lellouche, réputé atlantiste pur et dur et proche des néo-cons américains, au secrétariat d’Etat aux affaires européennes, est un de ces petits plaisirs pervers dont on aurait tort de se priver lorsque l’on est au pouvoir. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pensée européenne du président de la République: de l’euro-enthousiaste Jouyet à “ l’américain” Lellouche, il semble que l’OTAN prenne le pas sur l’UE dans la perception sarkozienne de la situation de la planète…

Ce gouvernement se situe donc dans la perspective du premier tour de la prochaine élection présidentielle : d’abord rassembler son camp, et semer le doute chez l’adversaire, pour aborder le second tour dans une position confortable.

Les meilleures stratégies, pourtant, peuvent se heurter aux impondérables de la vie, à ce que le regretté premier ministre conservateur britannique Harold McMillan redoutait par-dessus tout dans l’exercice du pouvoir : “events”, ces événements qui nous dépassent et nous réduisent à feindre d’en être les organisateurs.

Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy a montré une étonnante capacité de réaction face à un événement qui aurait pu déclencher une spirale de désaffection à son égard : la crise économique. Les licenciements, l’angoisse du lendemain de nombreux Français, tout cela aurait du, normalement, susciter une vague de contestation politique et sociale. Or celle-ci s’est manifestée dans un ordre si dispersé, en dépit de cette fiction pseudo-unificatrice de “L’Appel des appels” (que sont-ils devenus, d’ailleurs ?), qu’elle n’a pas pu masquer le contenu lourdement corporatiste de la plupart de ces mouvements. Bien sûr, la grogne universitaire peut reprendre à tout moment, comme celle des mandarins de la médecine ou des pilotes d’Air France, mais il y a peu de risques que ces mouvements se coagulent dans une révolte générale, manière française bien connue de procéder à des réformes politiques et sociales.

Avant le premier tour de la présidentielle, il y aura, en mars 2010, les élections régionales, que l’on estime généralement favorables à l’opposition, et qui peuvent donner à cette dernière une dynamique pour le scrutin-roi, l’élection du président de la République, elle-même déterminante pour celle des députés. Cette fois-ci, pourtant, les socialistes triomphants des régionales de 2004 seront sur la défensive et devront, très vraisemblement, céder à la droite quelques-unes des 22 régions conquises lors de ce scrutin.

Plus l’élection présidentielle approchera, moins on verra se manifester l’esprit frondeur des députés de la majorité, car leur retour en nombre au Palais-Bourbon dépendra de l’ampleur de la victoire de leur champion dans la course à l’Elysée. Ils avaleront la potion amère de la réforme des collectivités locales – qui implique une réductions notable du nombre des élus locaux – et par conséquent de celui des fromages à distribuer à sa clientèle dans les provinces…

A droite, donc, les couteaux s’affûtent pour la manche suivante, celle qui désignera le successeur d’un Sarkozy qui a eu la sagesse de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République, à la manière de ces joueurs compulsifs qui se font interdire de casino. La démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course, c’est un quarteron de quadras qui se tirent actuellement la bourre pour accéder à la pole-position autour de 2014, année charnière du prochain mandat présidentiel. Les premiers partis sont bien connus, ils se rasent tous les matins en y pensant et ne manquent pas de le faire savoir alentour : Jean-François Copé la joue “lui c’est lui, et moi c’est moi” (normal pour un Roumain face à un Hongrois !), Xavier Bertrand excelle dans le genre bon gros zélé, faux gentil et vrai tueur. Mais il ne sont pas seuls. On négligera Galouzeau, dont l’unique chance de retour aux affaires serait d’être ministre d’ouverture d’un gouvernement de gauche, à la grande joie de son ami Edwy Plenel. On fera également l’impasse sur Michel Barnier, qui ne conçoit son retour à Bruxelles que comme une étape vers ce destin plus glorieux, dont il n’a jamais douté qu’il était digne. Nous aurons la charité de ne pas lui ôter brutalement ses illusions. Mais on gardera un œil sur quelques purs-sangs de l’écurie sarkozienne, Luc Chatel, par exemple, ou Bruno Le Maire. Leur ascension discrète, mais régulière dans la hiérarchie gouvernementale, à des postes maintenant exposés (Education nationale et Agriculture) va leur donner l’occasion de se montrer à leur avantage ou, au contraire, de révéler leurs limites. Comme nous n’avons pas (pas encore ?) de Noir ou de métis en position de devenir le Obama français, la grande rupture politico-sociétale pourrait être portée, à droite, par une femme, peut-être Valérie Pécresse si elle parvient à ravir la région Ile-de-France à Jean-Paul Huchon…

Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! Un refus est impossible dans l’état actuel de nos mœurs politiques et une acceptation équivaut à un lourd handicap dans la course à la présidence. Dans leurs cauchemars, les personnalités évoquées plus haut se voient refiler le mistigri par un Nicolas Sarkozy à l’apparence méphistophélique.

A gauche, les plus lucides ont déjà fait leur deuil de la présidentielle de 2012. Les Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici se positionnent pour 2017, laissant les Aubry, Royal, Strauss-Kahn, Delanoë, Fabius et Hollande se déchirer dans leur bagarres de sérail pour être celui ou celle que Nicolas Sarkozy se fera une joie de terrasser. La lecture du projet de “primaires populaires” concoctée par Arnaud Montebourg est, à cet égard, révélatrice. S’il est adopté par l’ensemble du PS – ce qui, en l’état actuel des choses est peu probable –, il ne pourrait qu’aboutir à la nomination de Ségolène Royal, celle qui dispose d’un réseau militant important chez les sympathisants socialistes et d’une notoriété nationale indéniable. Mais ces primaires pourraient aussi faire émerger, au sein de la “jeune garde”, celui ou celle qui serait en mesure de récupérer la mise après un deuxième échec de Ségolène. Montebourg est un gros malin : il est celui d’entre eux dont, pour l’instant, la présence médiatique et la visibilité dans le champ politique sont les plus grandes…

Il reste cependant que les calamiteuses élections européennes ont introduit un personnage extérieur dans l’équation présidentielle socialiste : Dany Cohn-Bendit. Non-candidat déclaré et crédible, à moins qu’il ne se décide à se faire naturaliser français, il va peser de tout son poids pour que le candidat socialiste de 2012 soit celui auquel il aura accordé son onction, contre une alliance historique, à égalité de puissance, entre les Verts et le PS. Pour cela, il faut faire aussi bien lors des régionales, avec des listes autonomes, qu’aux européennes, ce qui n’est pas encore dans la poche, mais pas exclu si les socialistes persistent à faire tourner à plein régime la machine à perdre.

Dany Cohn-Bendit est peut-être le seul qui croit encore que 2012 n’est pas fichu, et qu’il peut répéter, à l’échelle de la gauche tout entière, le bon coup réalisé avec l’unification sous sa houlette de la mouvance écologique et altermondialiste. Il a donc besoin d’un candidat PS capable de porter une dynamique d’union et de victoire. Dany va donc faire l’objet, dans les mois qui viennent, de cajoleries insistantes de quelques éléphant(e)s. J’ai comme une petite idée que sa préférence à lui, ce sera François Hollande.

Crisse de remaniement

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Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, le remaniement ministériel du 23 juin n’a pas été un simple jeu de chaises musicales organisé avant l’été par qui vous savez… Il marque un virage important dans la politique du gouvernement : à droite toute ! Est-ce vraiment bien raisonnable de jouer les libéraux par gros temps ? L’avenir le dira. Pour l’heure, une seule chose est acquise : fort des derniers succès électoraux de sa majorité, le Premier ministre a laissé parler son libéralisme grand teint… Et le signal le plus fort de ce nouveau cap est, évidemment, le changement de ministre de l’Economie, une décision qui n’a échappé à personne, sauf à ceux qui n’ont pas voulu prendre cette nouvelle réalité en compte. On souhaite d’ailleurs beaucoup de succès à Clément Gignac, que Jean Charest, Premier ministre du Québec, vient d’installer à la tête du ministère québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Remaniement en-deçà de l’Atlantique, remaniement au-delà.

Sarkozy, j’achète pas !

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Comme l’avait souligné Donald Rumsfeld en son temps, nous sommes un « vieux pays ». C’était l’époque où nous refusions l’idée d’aller mourir pour les actionnaires de messieurs Bush et Cheney du côté de la capitale de Shéhérazade que ces amoureux de la démocratie voulaient raser à coup de missiles thermoguidés. Dominique de Villepin, (décidément la France avait encore une certaine allure) lui avait répondu que c’était justement le fait d’être un vieux pays qui nous rendait un rien circonspect quand on nous invitait à participer à un carnage. Nous en avions trop connu, de départs gare de l’Est la fleur au fusil. « Demain à Bagdad ! » graffité à la craie sur les fourgons militaires, cela avait déjà des airs de déjà-vu…

Être un vieux pays, cela signifie aussi, que nous attachons beaucoup d’importance à la forme, au paraître. Renaud Camus a écrit un Eloge du paraître, dans lequel il nous dit à quel point le « naturel » est haïssable, le « ce qui va de soi », le relâchement dans la tenue, le langage, le rapport à l’autre. Ce genre de choses a toujours paru à nos amis Américains au pire superficiel, au mieux folklorique. Cet attachement aux manières, dans les discours amoureux, politique, artistique, par exemple. Nous aimons, nous Français, la bathmologie, chère à Roland Barthes et, encore lui, à Renaud Camus. La bathmologie est une science plus ou moins amusée des degrés, du contexte dans lequel sont prononcées des paroles, émises des opinions et qui rend la vérité relative, invite à la nuance, la courtoisie, la tolérance, toutes choses qui font par ailleurs de Causeur un lieu français par excellence, comme chacun le sait.

Or, à notre grand étonnement, notre rédactrice en chef, sur le discours de Sarkozy, n’a voulu réagir que sur le fond, écartant dans un geste charmant de désinvolture la question formelle, comme si cette dernière était négligeable. Que le président de la République s’appuyant sur une nouvelle mouture de la Constitution, votée l’année dernière à une voix de majorité, celle du futur ministre d’ouverture Lang, se soit adressé directement aux représentants du peuple réunis en Congrès, et ce pour la première fois depuis 1875, ne l’a pas choquée plus que ça.

Elisabeth Lévy a été prise, oh très brièvement, comment dire, d’un accès de bovarysme politique : elle a voulu y croire, elle a pris ses désirs pour des réalités. Comme Emma à Yonville tombant amoureuse d’un clerc de notaire qui lit de la poésie, comme Emma qui voulait oublier la laideur de sa petite ville, la bêtise de Homais, la vulgarité un peu veule de son mari, elle a voulu oublier tout le reste, les députés et sénateurs au garde à vous, le gouvernement muet, le Premier ministre vidé de toute substance, comme victime d’un sortilège vaudou qui l’aurait transformé en mort-vivant sous nos yeux, pratiquement en direct. Elle a écouté de jolis mots et elle n’a pas eu tout de suite le très sain réflexe de Dalida, dans Paroles, paroles répondant à Alain Delon qui lui sussure des menteries à l’oreille : « Caramels, bonbons et chocolats ».

Heureusement, Elisabeth Lévy, comme dans n’importe quelle bonne série B, s’est réveillée juste à la fin de l’article et, à l’instar des héros de Body Snatchers, a arraché in extremis les plantes parasites qui voulaient prendre possession d’elle et la transformer en UMPiste convaincue.

On a eu chaud, vraiment chaud : quand on connaît un peu Elisabeth, qui n’est pas du genre à se laisser hypnotiser, on commence à trembler devant la force de persuasion du sarkozysme qui n’est pourtant jamais que celle d’un marketing enseigné dans une école de commerce de seconde division mais démultiplié par les ors de la République et la majesté de la fonction présidentielle. C’est là que l’on voit la force de la forme, encore une fois : cette fonction présidentielle, elle a résisté à l’insupportable pipolisation du régime, aux « casse-toi pauvre con », et même au fait que le roi n’ait plus deux corps, un privé, un public, ce qui, selon Kantorowicz, permet au pouvoir de se légitimer, voire de se sacraliser.

Nous, le fond, quand il s’agit de l’actuel président, nous pensons qu’il ne signifie rien. Ce que d’aucuns appellent son pragmatisme, c’est une navigation plus ou moins habile, dans l’intérêt du groupe qui a voulu le voir arriver au pouvoir et dont les historiens pourront retrouver les noms sur la liste des invités du Fouquet’s.

Là, il faut néanmoins reconnaître qu’il a franchi un pas. Nous savions que Sarko l’Américain adorait faire du jogging avec des tee-shirts du NYPD, nous ignorions que cette manie d’adolescent gavé de séries policières le pousserait à vouloir faire son Discours sur l’Etat de l’Union comme un Roosevelt ou un Obama. La prochaine étape, ce sera quoi ? Un architecte d’intérieur à l’Elysée pour transformer le bureau de De Gaulle en salon ovale ?

Finalement, Sarkozy ressemble à ceux qu’il veut transformer en classe dangereuse, son imaginaire est totalement colonisé par l’Amérique. Demandez à n’importe quel éducateur de la PJJ comment un jeune de banlieue passant en comparution directe va appeler le juge. Neuf fois sur dix, il dit « Votre Honneur » et il cherche des yeux une bible pour prêter serment quand bien même il serait musulman.

En parlant devant le Congrès, Nicolas Sarkozy n’a effectivement pas mis en danger la République, même si je suis assez heureux à titre personnel que les députés et sénateurs communistes n’aient pas cautionné la mascarade.

Non, ce qu’il a fait est beaucoup plus triste. Il s’est servi de la République pour satisfaire une obscure pulsion de mise en scène permanente de sa vie comme un film dont le réalisateur ne serait pas le Visconti du Guépard ou le Capra de Monsieur Smith au Sénat, mais plutôt, on a les goûts qui vont avec la gourmette, les tâcherons hollywoodiens qui pondent annuellement des daubes comme Independance Day ou Air Force One, quand le président sous les traits d’Harrison Ford, dézingue des terroristes qui ont pris son bel avion en otage parce que décidément, quand on est hyper-président, il faut vraiment tout faire soi-même.

À louer, villa en plein cœur de Rome

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Il n’y a pas qu’avec les soldes qu’on fait de bonnes affaires. Parfois, ça vaut la peine d’attendre les offres de dernière minute, notamment en matière de locations. Un peu plus d’un an après le feuilleton qui a accompagné la sélection de son futur ex-locataire et un peu moins de dix mois après que celui-ci s’y soit installé, la villa Médicis est de nouveau sur le marché. Mais ce jeu de chaises musicales à rythme accéléré ne présente pas que des inconvénients. Cela nous permet de vous renvoyer à nos conseils – qui ont gardé toute leur fraicheur – à la fois pour la question du bien immobilier directement concerné et pour celle, plus générale, de remaniement. À part ça, plus sérieusement, si je suis nommé à la Villa Médicis, j’inviterai tous les lecteurs à passer quelques jours de vacances en pension complète cet été, sur simple présentation de leur justificatif d’abonnement.

Tout ça pour ça ?

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« C’est un remaniement ? – Non, Sire, un déménagement. » Depuis plusieurs semaines, Paris bruissait des rumeurs les plus folles. Certains nous annonçaient la nomination imminente d’Alain Juppé à Matignon, d’autres se réjouissaient de celle de Philippe Séguin place Vendôme. Les plus clairvoyants confiaient, à demi-mot, que la place Beauvau brûlait d’accueillir Manuel Valls et la rue de Valois Jack Lang. Claude Allègre se voyait bien à la tête d’un grand ministère de l’Industrie et de la Technologie – à défaut les Anciens combattants ou le Patinage artistique. Quant à Hubert Védrine, il occupait déjà le fauteuil de Bernard Kouchner que ce dernier y était encore assis.

Rien de tout cela ne s’est passé. Car rien ne s’est passé. Nicolas Sarkozy s’est contenté, pour tout remaniement, de sacrifier au jeu habituel des chaises musicales. Pourquoi aurait-il fait autrement ? Le résultat des élections européennes ne lui imposait pas d’en faire des tonnes. On prend donc les mêmes et on recommence. Certes, quelques nouvelles têtes font leur apparition. Mais, hormis Benoist Apparu (Logement et Urbanisme), Marie-Luce Penchard (Outre-Mer) et Nora Berra (aux Vieux, pardon aux Aînés), il faut revenir d’un long voyage aux Antipodes pour voir en Pierre Lellouche (Affaires européennes), Henri de Raincourt (relations avec le Parlement) et Christian Estrosi (Industrie) des perdreaux de l’année.

Evidemment, nul n’aura manqué de remarquer les deux trophées qui rejoignent, à la faveur de ce remaniement, les lambris élyséens : Michel Mercier et Frédéric Mitterrand.

Michel Mercier, c’est, dit-on, le coup de grâce porté à François Bayrou. Un ami de trente ans qui rejoint le gouvernement : le Béarnais est au plus mal. C’en est fini de lui. Pas sûr : le sénateur du Rhône a beau être trésorier du Modem, il ne siège plus dans les instances dirigeantes depuis plus d’un an et s’est positionné à de multiples reprises pour une alliance tactique avec l’UMP. Un rallié qui se rallie, belle prise de guerre !

L’arrivée de Frédéric Mitterrand rue de Valois est d’un tout autre genre. On en vient presque à regretter qu’Ava Gardner soit déjà morte : le nouveau ministre en aurait prononcé une nécrologie tout à fait convenable. C’est qu’il est doué, Frédéric Mitterrand, pour tenir les cordons du poêle, raconter l’histoire, le cinéma et les obsèques princières. Il a l’allure et la distinction pour aller à Cannes et à la Biennale de Venise, peut-être pas le métier suffisant pour porter le fer devant le Parlement. Qu’à cela ne tienne : ce n’est pas pour cela que Nicolas Sarkozy l’a choisi. Le président de la République a voulu se payer un menu plaisir : s’offrir un Mitterrand. Chacun a les fétichismes qu’il peut. Au Parti socialiste, on est visiblement gêné aux entournures pour dire quoi que ce soit de désobligeant de celui qui porte le nom de la statue du commandeur. On sait aussi que Frédéric a la rancune tenace et qu’il n’a toujours pas digéré le « droit d’inventaire » que Lionel Jospin invoquait le 9 avril 1995 pour déposer le bilan des années Mitterrand. Le premier socialiste qui l’ouvre est un homme mort : qu’on se le dise.

D’ailleurs, les socialistes n’ont pas vu passer le train. Benoît Hamon en tête, ils ont consacré leurs réactions à relativiser le remaniement : « Les ministres ne servent à rien. C’est le président de la République qui contrôle tout. » Au PS, on ne change pas une stratégie qui perd : les socialistes vont continuer à tirer sur Nicolas Sarkozy pendant les deux ans et demi qui viennent, sans toutefois jamais l’atteindre… Ils seront bien inspirés un jour de porter leurs critiques sur le gouvernement et ses membres, afin d’adopter une tactique éprouvée depuis longtemps : décrédibiliser les ministres et leur action, isoler le chef de l’Etat et l’affronter, le moment venu, d’homme à homme.

Rien de nouveau, donc, sous les ors de la République. Rien ? C’est vite dit. André Santini n’est plus ministre ! Le secrétaire d’Etat à la Fonction publique ne rempile pas. Est-il à la rue ? Non. L’heureux homme est sur le point de recouvrer son mandat de député de la dixième circonscription des Hauts-de-Seine. C’est son suppléant qui n’est pas jouasse. Il s’appelle Frédéric Lefebvre et il vient de se faire hacker son siège à l’Assemblée nationale. Maudits pirates !

Lâchez-leur la burqa

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Elisabeth ! Mon Elisabeth ! Comment peux-tu dire des choses pareilles ? On reprend à zéro. Réponds-moi simplement à cette question : la loi peut-elle dicter les modes vestimentaires ? Tous les Etats de droit au monde ont tranché sans même s’interroger : les gens ont le droit de s’habiller comme ils l’entendent. Est-il interdit de porter une cagoule dans la rue ? On en trouve dans les défilés de mode ! Cette semaine seulement, un décret ministériel vient de prohiber le port de la cagoule « aux abords immédiats des manifestations », c’est dire qu’il est permis ailleurs.

Une burqa en cache une autre. Si des bouddhistes dissimulaient leur visage, on trouverait ça pittoresque. Tu ne parles pas de burqa, tu parles de l’Islam, des musulmans, de cinq, dix pour cent de la population avec qui le reste du pays est en bisbilles. À ces musulmans (la fraction la plus misérable en France), tu dis : cessez d’être musulmans ou cassez-vous. On ne veut plus vous voir. Pas de musulmans dans mon pays. Tu leur envoies ce mollard à la gueule au moment même où ils sont absolument déterminés à devenir plus musulmans que jamais. Rien que pour te faire chier. Rien que pour ça. Ah, tu veux pas que je sois musulman, eh ben tu vas voir. La burqa, je vais te mettre. Et va me l’interdire, voyons un peu si tu tiens autant à ton Etat de droit que tu le prétends, sale occupante d’Irak et d’ailleurs.

Je t’entends hurler d’ici. Moi, contre les musulmans en France ? Sitbon ! Où as-tu été chercher ça ? Qu’ils prient nuit et jour, qu’ils jeûnent jusqu’à plus soif, qu’ils se laissent pousser la barbe jusqu’aux baskets, j’en n’ai rien à cirer, c’est leur affaire. S’ils sont cons, qu’ils le restent. D’ailleurs, j’en pense autant des autres religieux. Mais la burqa, non. Tout, oui. La burqa, non. Elisabeth, tu te racontes des histoires. C’est à l’Islam que tu en veux, pas à la cagoule. D’abord, on a eu les odeurs de Chirac et puis les moutons de l’Aïd, et puis les mosquées, l’excision, la polygamie, les écoles musulmanes, la délinquance, le terrorisme, les banlieues, le voile, maintenant la burqa. Demain, on va découvrir que chaque année au Ramadan, vingt-deux vieillards et enfants meurent d’inanition. Sais-tu qu’un chrétien sur dix et un juif sur trois fréquentent des écoles religieuses sans que ça n’intéresse personne ? Mais les deux cents gamins des trois écoles islamiques, ça, c’est grave.

Tu veux la vérité, Elisabeth ? On a peur des musulmans. On, je, tu, il ou elle a peur des musulmans. Pourquoi on a peur ? Si tu m’accordes un papier de six milliards de signes, je te l’expliquerai pour te faire comprendre ce que je ne comprends pas moi-même. La chrétienté, on dit aujourd’hui l’Occident, est brouillée avec l’Islam depuis toujours. Dès que les musulmans ont franchi les frontières de la péninsule arabique (vers 637), ils se sont heurtés aux chrétiens. Tu sais, quand ils sont arrivés chez toi et moi, au Maghreb (vers 650), ils ont butté sur nos ancêtres vivant dans des Etats chrétiens (saint Augustin). Conquista, Reconquista, chute de Byzance, Lépante, piraterie, toute l’Europe de l’Est musulmane jusqu’à hier (fin du XIXe siècle), colonisation, décolonisation, Israël, tours jumelles, treize siècles, ça n’a pas cessé un jour. L’ennemi pour la chrétienté, pour l’Occident, c’est le Maure, le Sarrazin, le barbaresque, l’Arabe, le Chleu. Le chrétien a colonisé leur pays, ça c’est mal passé. Maintenant, ils colonisent (au sens propre) l’Occident, ça se passe mal. Normal.

Pas si normal que ça. Treize siècles durant, ce fut querelle territoriale. Aujourd’hui, hormis trois colonies en Cisjordanie, personne ne veut étendre sa souveraineté chez le voisin. Entre l’Occident et l’Islam, il n’y a plus d’enjeu qui vaille une guerre. Sauf un. Il concerne les musulmans, pas les autres.

Tu te promènes au Caire, à Casa : sorti de deux vieux quartiers touristiques, le reste de la ville est occidental. Les villes arabes disparaissent. Ils ont tout adopté de l’Occident : l’avion, le parfum Chanel, le jean’s et même les élections. Ils n’ont gardé de leur civilisation matérielle que la baklawa et le couscous. Ils écrivent des romans et font des films comme nous. Ils n’ont presque plus rien en propre ou qu’ils aient créé. Ils sont en voie de se métamorphoser, de leur propre gré, en Occidentaux. Ils ont été avalés, dévorés par leur ennemi. Ils deviennent leur ennemi. Il ne leur reste plus qu’un refuge avant de se fondre totalement en nous et de s’anéantir : la religion, l’Islam. On peut tout christianiser, occidentaliser, jamais on ne christianisera l’Islam. C’est une question de vie ou de mort. Quel peuple a envie de disparaître ? Ou tu t’abrites dans l’Islam ou tu disparais. Alors bien sûr, la burqa. Rien que pour te faire un peu chier. Pour ne pas mourir ce matin.

Tu vois, Elisabeth, ils ne te veulent pas du mal les musulmans. Ils sont dans une mauvaise passe. Aide-les à la traverser. Ça ne durera pas longtemps, un siècle ou deux à tout casser. Après, tu verras, tout ira bien dans une France sans chrétiens, sans musulmans et, enfin, sans juifs.

Mc Cartney vs rosbif : ne suivez pas le veuf !

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Nous avons, comme tous les hommes de goût, toujours préféré la mélancolie virile des Stones à la niaiserie sucrée des Beatles. Et si par hasard nous avions eu un doute, il aurait été dissipé par la dernière déclaration de Paul Mc Cartney, qui a à peu près autant le sens des réalités sociales qu’un électeur d’Europe Ecologie. Paul, en effet, en végétarien milliardaire convaincu, affirme qu’il serait bon pour la santé et l’effet de serre de décider d’un jour sans viande dans la semaine, en l’occurrence le lundi. En effet, pour Paul, on ne dit pas assez l’effet dévastateur des flatulences bovines sur la couche d’ozone et du stèque sur le cholestérol. Le problème, Paul, c’est que dans le Royaume-Uni et la France de notre belle époque de licenciements massifs et de précarité galopante, l’urgence serait plutôt, pour une part grandissante de la population, de proclamer un jour avec viande dans la semaine.

Ce Sarkozy-là, j’ai envie d’y croire

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C’est pas que ça m’inquiète, mais un peu tout de même. Je me demande si je ne suis pas devenue… sarkozyste. Non, ce serait trop affreux, c’est sans doute simplement un accès. Dès que je le verrai tripoter son téléphone portable devant le pape, vanter les mérites de son épouse comme s’il était chez Delarue ou proclamer son admiration pour les « écrivains qui vendent », le charme ou plutôt la maladie cessera.

La polémique assez convenue qui a précédé son discours au Congrès avait déjà attendri mes défenses immunitaires. Il est vrai que je n’ai pas de religion du régime et que peu me chaut que nous soyons encore dans la Ve République, dans la Ve bis ou dans la VIe moins le quart. Que les institutions, comme le droit d’ailleurs, s’adaptent aux changements des mœurs, je ne vois pas où est le problème. Que chaque président les tire là où le conduisent sa propre nature et les circonstances politiques, on se demande comment il pourrait en être autrement. Quant à la régression du Premier ministre au rang de Premier fonctionnaire du pays, ce qui n’est tout de même pas n’importe quel job, elle avait commencé depuis longtemps, à l’exception des périodes de cohabitation, et il n’y aura plus de cohabitation – à moins, évidemment, que nous devenions tous schizophrènes.

Il est indéniable, donc, que Nicolas Sarkozy change le régime. And so what ? En vrai, tout le monde s’en fout qu’on change de régime. La gauche, qui sait qu’elle ne va pas mobiliser les foules avec ça, a donc plus ou moins entonné l’air du bonapartisme, tout en jouant l’air habituel « chacun tire dans son coin ». Je ne sais pas si le terme « coup de force » a été prononcé mais je suis sûre que beaucoup l’avaient sur le bout de la langue. À l’aveugle, Edwy Plenel nous aurait parlé de « césarisme » que je n’en serais pas étonnée. C’est assez amusant. Pour une fois, au lieu d’aller à la télé, ce qu’il peut faire assez aisément et c’est normal, le président décide de s’adresser à la représentation nationale qui justement, se plaint depuis des années d’être déconsidérée et écartée du débat démocratique. On m’aurait demandé mon avis, j’aurais préféré qu’il restât écouter les réponses. Tant qu’à commettre une gravissime infraction à la séparation des pouvoirs (autre thème peu mobilisateur), autant être courtois. Mais enfin, que les Assemblées redeviennent l’un des théâtres de l’affrontement démocratique ne me déplairait pas. Encore faudrait-il que le pouvoir ait des adversaires en face de lui. Ceux qui nous répètent chaque jour que nos libertés sont menacées devraient peut-être s’interroger sur ce point.

Tout ça, dit-on enfin, exhale un petit fumet monarchique. Certes. La France a vécu mille ans en monarchie et un peu plus de deux siècles en république et on voudrait qu’elle n’ait rien conservé d’avant 1789 (pour ne pas parler des deux empires et des deux monarchies censitaires du XIXe siècle) ? Difficile de le nier, le château de Versailles évoque la monarchie. Serait-il prescrit quelque part que l’on doive oublier celle-ci ? Ce parfum de royauté ne me gêne pas, bien au contraire. Etait-ce l’effet de la fièvre ? Dans ce décor, j’ai trouvé que Nicolas Sarkozy habitait plutôt mieux la fonction qu’en bien d’autres occasions. Quelqu’un devrait le lui dire : un peu de solennité lui va pas mal au teint.

Là où j’ai vraiment commencé à m’inquiéter, c’est quand j’ai réalisé que son discours me plaisait. Manipulée par les communicants du président, avais-je perdu mon libre-arbitre ?

À peine sortis du château, les socialistes se sont rués sur les micros pour dire qu’il n’y avait rien de concret dedans. Je dois être vraiment atteinte parce que je n’ai pas trouvé. Je dirais plutôt que c’était du bon Guaino sur les principes, relu et corrigé par des praticiens de la chose économique et sociale. Il aurait été incongru, me semble-t-il, de déranger nos estimables représentants pour annoncer un catalogue de mesures. François Hollande a le droit de penser que les principes n’ont aucun intérêt. Je ne suis pas d’accord.

On me pardonnera d’étaler ainsi des symptômes gênants, mais j’ai choisi la transparence. Je me lance. À deux ou trois reprises, j’ai eu envie d’y croire. Ai-je entendu des voix ? Il m’a semblé que le président disait des choses que beaucoup de Français avaient besoin d’entendre. « Une France sans usines et sans ouvriers est une idée folle. » On aurait aimé entendre les responsables socialistes, lorsqu’ils étaient au pouvoir, défendre cette idée par le verbe et par les actes. Quant à l’idée d’un emprunt public pour financer les investissements, elle est au cœur du keynésianisme dont je croyais jusque-là qu’il était raccord avec la pensée économique du PS. J’ai dû me tromper. Et nos socialos de se désoler parce qu’un tel emprunt pèserait sur la dépense publique. S’ils ne comprennent pas que recourir à l’emprunt pour boucler ses fins de mois ou pour construire des infrastructures ne sont pas la même chose, qu’ils retournent à l’école.

Sur les détails, j’aurais bien deux ou trois objections à faire. D’abord, je ne suis pas sûre qu’il faille se priver de la possibilité d’augmenter les impôts, tout simplement parce qu’avec des dizaines de milliers de chômeurs et de précaires supplémentaires, il va bien falloir les boucler, les fins de mois. Et question redistribution, il faut bien admettre qu’il y a encore deux ou trois trucs qui coincent. D’autre part, je trouve un peu suspecte cette intention proclamée d’associer la France entière à l’élaboration des priorités. Je n’aime pas trop ce relent citoyen et participatif qui me rappelle quelqu’un mais je ne vois pas qui.

C’est quand Nicolas Sarkozy a abordé les questions qui fâchent que là, j’ai vraiment craqué. Il n’est pas si fréquent qu’un dirigeant revienne sur ses bourdes. Quand il a reconnu que la « discrimination positive » – qui était l’un de ses dadas – n’appartenait pas à la tradition française, j’étais collée au plafond. Et s’il avait récemment compris quelque chose à l’ADN de notre pays ? Quand il a ajouté que l’égalité des chances était un objectif avec lequel on ne peut pas transiger, je me suis mise à pleurer (non, j’exagère pour vous apitoyer sur mon état). Il a eu les mots qu’il fallait : oui, « il faut donner à ceux qui ont moins », mais rien sur des critères ethniques, tout sur des critères économiques et sociaux. À la française, quoi. Sauf moment d’inattention de ma part, il n’a pas prononcé le mot magique – « diversité ». Du coup, le CRAN qui a peut-être compris qu’il avait perdu une bataille a immédiatement réclamé la création d’un ministère de la Diversité.

Le plus fort de la crise (de la mienne, j’entends) a coïncidé avec le passage sur la burqa. C’est comme ça que je l’espérais, mon président. Sans faiblesse, sans ambiguïté : pas de ça, chez nous. « La burqa n’est pas un signe religieux mais une manifestation d’asservissement. » Voilà pour ceux qui nous expliquent qu’emprisonner sa femme ou s’auto-emprisonner relève du libre exercice de la foi.

Je crois bien qu’après toutes ces émotions, je me suis évanouie, peut-être au moment précis où le président disait « Vive la République ! » Je me demande maintenant si j’ai rêvé. J’ai comme une gueule de bois. Et s’il ne s’agissait que de paroles verbales ? Si ce discours de reconquête n’était que de la com’, comme l’expliqueront ceux de mes confrères qui n’auront pas trouvé horribles les intentions elles-mêmes? Et si pour les Français qui croient encore en la parole présidentielle, la déception était, une fois encore, au rendez-vous ?

Vous voyez, ça va beaucoup mieux.

Est-ce ainsi que les femmes vivent ?

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Avec le débat qui s’engage sur le port de la burqa, on peut constater qu’au moins soixante députés ont cessé de se voiler la face et qu’ils entendent le faire savoir. Y aura-t-il une interdiction à la clé ? Peut-on espérer qu’on acceptera désormais, en France, de sacrifier un droit ou une liberté à la défense de notre culture, c’est-à-dire de notre liberté ? Je sais que ce n’est pas gagné : légiférer sur les vêtements qu’on porte dans la rue fera lever pas mal de boucliers.

Derrière ces niqabs (burqas sans grillage) qui prolifèrent, des fondamentalistes tentent d’imposer leur mode de vie en faisant de la politique avec leurs femmes et leurs filles.

Des ignorants baignant dans une culture machiste ont prohibé le port de la jupe en banlieue, des barbus tentent, au sens propre, de couper du monde leurs femmes, jusque dans les rues. Une très large majorité de Français de toutes origines assiste impuissante à l’apparition de ces fantômes dans les villes et y voit une régression de la vie publique.

La soumission à une religion qui exige cela, l’affichage de son appartenance à cet islam-là sont incompatibles avec le pacte d’intégration qui offre protection, notamment sociale, aux citoyens en échange d’une adhésion aux valeurs et usages français. Si nous renonçons à cette exigence, c’est l’islamisation de la France qui avancera et l’islamisme avec. Bien placée pour le savoir, Fadela Amara nous met en garde : mettez le holà. Protégez-nous et protégez-vous. Les islamistes vous testent.

Je crains que cet avis précieux ne soit pas entendu et qu’encore une fois on brandisse un principe, une loi, un droit, un avantage acquis pour interdire d’interdire. La burqa, cet attribut de totalitarisme domestique, pourrait se répandre à l’abri de la liberté de s’habiller comme on veut, du droit de vivre sa foi ou du principe selon lequel l’intégration ne doit être forcée. Le principe suprême de notre temps, qui tient en trois mots – c’est mon choix – sera invoqué. Mais tout céder à l’exigence individualiste pourrait nous empêcher de dessiner ensemble notre monde commun, de décider ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas.

Dans cette affaire, il ne s’agit pas d’élargir le champ du possible mais de le restreindre, pas de sauver la liberté de critique, de parole ou de caricature menacée, mais de limiter la liberté d’afficher son identité. C’est moins facile. Brimer des jeunes filles dévotes et pudiques, ce n’est pas le combat rêvé. Certains esprits indécrottablement libertaires auront du mal à s’y faire. Pourtant sans réaction, l’islamisation à petits pas de la société, tolérée au nom du droit à la différence, installera les pratiques les plus liberticides qui soient, au pays des droits de l’homme – et grâce à eux.

Trop souvent, des autorités dont le seul souci est d’éviter de faire des vagues, des jugements pavés de bonnes intentions, des juges terrifiés à l’idée de passer pour islamophobes et répressifs ont concédé le terrain républicain à l’obscurantisme vert.

Il faut imposer des limites au multiculturalisme. On interdit la polygamie ou l’excision : quand on veut on peut. Il faut donc savoir ce qu’on veut et à qui on a affaire. Accepter que des femmes, en France, soient emprisonnées sous nos yeux, c’est renoncer à l’exigence d’égalité entre hommes et femmes, le plus précieux fondement de notre qualité de vie. Ne pas être à la hauteur dans ce bras de fer que tentent les islamistes serait, en plus d’une indignité, un mauvais calcul. La défaite et le déshonneur !

D’autres injonctions sont lancées à la République. Le consensus laïque auquel tous les immigrants s’étaient jusque-là adaptés est menacé dans les hôpitaux, les piscines, les cantines scolaires. Ce harcèlement ne s’arrêtera pas tout seul. La dérive de tribunaux européens racontée par Pat Condell doit nous inviter à légiférer fermement.

Il faut préserver les rues, les villes, les filles de la République de toutes les emprises religieuses. En refusant de transiger sur ses valeurs, la France enverrait aux peuples d’Europe et du monde un message d’espoir. Nous avons la laïcité la plus avancée d’Europe. Défendons-la. Elle est ce que nous pouvons offrir de mieux à tous ceux que l’islamisation inquiète : Français de souche ou d’ailleurs, Hollandais, Belges, Suédois, Danois et tant d’autres applaudiraient une France fidèle à sa devise.

S’ils sentent, sur ce coup-là, une société unie dans un refus clair et net, nos représentants sauront faire front. Je me prends à rêver d’un Sarkozy portant haut et fort la voix d’une France laïque, capable de braver la Cour européenne des droits de l’homme et certaines remontrances internationales. Défiant le monde diplomatique pour faire valoir cette exception française non négociable qu’est notre laïcité, il saisirait une chance historique de reconquérir un peu de souveraineté nationale. Par ce geste, il rassemblerait pratiquement toutes les familles politiques, des gaullistes aux gauchistes, ravis qu’on résiste à l’impérialisme multiculturel donneur de leçons ; des droites nationales et souverainistes rassurées sur ce coup-là, aux femmes, et en première ligne, celles des cités, c’est presque tout le peuple qui lui en serait reconnaissant.

Si la lâcheté devait prévaloir et la « tolérance » et le respect de toutes les cultures l’emporter, nous pourrons toujours opposer une résistance individuelle, en usant de notre droit de parler aux femmes dans la rue, même étrangères et inconnues, pour ne pas perdre ce savoir-faire à la française que le monde entier nous envie : la galanterie.

Merci à Alain Finkielkraut et Louis Aragon pour le titre.