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Faut-il autoriser le non-port du burkini ?

Depuis une semaine, « Carole », une Française « de souche » de 35 ans convertie à l’Islam, mène un combat courageux pour l’émancipation des femmes musulmanes et autres. Cette audacieuse jeune femme, qui n’a pas froid aux yeux – même si c’est souvent la seule chose chez elle qui n’est pas couverte – a en effet été vue dans les rues d’Emerainville (Seine-et-Marne) en train de donner des interviews en maillot de bain à des médias mécréants. On l’a ensuite aperçue se faire prendre (en photo) sous toutes les coutures, dans son audacieuse tenue. Merci Carole, à l’heure où de plus en plus de maires prennent des arrêtés réactionnaires pour empêcher les gens de se promener librement torse nu et en maillots de bain dans les rues de centre-ville, pour ta lutte acharnée contre le retour de toutes les pudibonderies et toutes les tartufferies françaises.

Souvenirs de chantier

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Je n’ai pas oublié l’été 1980, celui de mes 16 ans, celui de mon premier boulot. Contraint de rembourser les dommages causés par des conneries d’adolescent, j’ai découvert au mois d’août le monde du travail. À l’époque, plutôt crever que demander un coup de piston pour me retrouver dans un bureau à faire un job de gonzesse, j’achetais France Soir tôt le matin ; pour les petites annonces.

Une offre d’emploi m’avait mené jusqu’à une agence d’intérim qui m’avait envoyé sur un chantier à La Défense. La mission : étaler du goudron dans des parkings souterrains. J’y rejoignais une équipe d’une dizaine d’hommes, le patron et son fils aux volants des machines et les autres avec à la main des outils pour l’étalage.

Je pris une pelle et appris en 10 secondes le geste qui allait m’occuper huit heures par jours, cinq jours par semaine. Avec les patrons, j’étais le troisième Français de l’équipe, les autres ouvriers étaient algériens ou africains.

La communication n’était pas mon point fort, mais j’ai tout gardé du peu de nos échanges. Une poignée de main matin et soir, la tendresse de leurs regards pour le petit Français, l’humilité de leurs attitudes. Le bruit des machines et l’ardeur de la tâche interdisait toute conversation et mon sandwich du midi, je le prenais seul.

Cet été-là, c’était ramadan. A l’heure du déjeuner, je les voyais s’allonger sur les sacs de ciment, un bras replié sur le visage, prenant un peu de repos quand je reprenais des forces. Toute la journée, malgré la chaleur d’août et du goudron liquide, je ne les voyais pas boire. Sans dire un mot, jour après jour, ils travaillaient dans ces immeubles de bureaux à la construction de parkings où ils ne gareraient jamais leurs voitures.

J’ai terminé ce chantier sans rien savoir de ces hommes. Leurs vies, je les ai imaginées. Des logements modestes et des familles à nourrir devaient engloutir leurs salaires, ne leur laissant que des vêtements humbles.

J’ai appris par ces ouvriers ce qu’était le courage, celui d’une routine harassante qui ne vous laisse que le sentiment du devoir accompli et le corps exténué. J’ai compris par ces travailleurs immigrés la dignité de la classe ouvrière.

Par leur travail et pour leur peine, leurs enfants sont devenus français, certains sont devenus médecins, avocats, enseignants ou bibliothécaires. Je suis sûr que ceux qui, en costume, empruntent les ascenseurs des tours sous lesquelles leurs pères ont travaillé, doivent emplir ceux-ci de fierté.

J’ignore en revanche ce qu’ils ressentent en voyant dans les rues des villes de France, certains de leurs enfants ou petits-enfants, hommes barbus en djellaba ou femmes dissimulées sous des niqabs.

Je l’ignore, mais je me souviens d’autre chose.

Ma grand-mère, Lucienne Mesguich, avait fui sa petite ville natale de Miliana en Algérie et la pesanteur des traditions familiales chez les juifs religieux pour devenir à Alger une jeune femme libre et apprendre le métier de couturière qui lui donnerait l’indépendance. Trente ans plus tard, en 1962, elle quittait Alger pour Paris et son éblouissement pour la culture française ne la quitta jamais.

Je garde le souvenir de ces musées dans lesquels elle me trainait à un âge où le tombeau de l’Empereur et les toiles du Louvre me passaient au-dessus de la tête. Enfin, je le croyais. Je garde également le souvenir de ses réactions quand elle croisait ces juifs orthodoxes, ces hommes qui fuyaient son regard, ces femmes aux chevelures cachées, issus d’un peuple qui avait mis des millénaires pour sortir des ghettos et qui semblaient vouloir y retourner avec ferveur et empressement : je me souviens de son sentiment d’incompréhension, de sa colère.

Il m’arrive de penser que mes compagnons de travail d’un été partagent ce sentiment.

Sans modération

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Chers amis causeurs et pas encore abonnés, je suis d’autant plus à l’aise pour vous adresser cette requête que je n’ai aucun intérêt personnel à en attendre. L’écriture m’aide à vivre mais la menuiserie suffit à subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. Aussi, devant les faibles revenus de cette aventure, ai-je tenu à rester le bénévole de la bande. Je ne désespère pas un jour de troquer mes articles contre des avantages, par un odieux chantage livré à la direction, que je ne peux décrire ici sans risquer d’être inquiété pour harcèlement sexuel. Mais tout le monde ne mange pas de ce pain-là et les imprimeurs comme les auteurs homosexuels entendent être rétribués en monnaie sonnante et trébuchante. Vous l’aurez compris, la vertu du personnel encadrant exige plus d’abonnements. A votre bon cœur m’sieur dames !

Pas de miracles à Bethléem

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« Mahmoud Abbas rajeunit les cadres du Fatah » – voilà le résumé donné par la presse du Congrès du Fatah, principale force politique palestinienne, qui vient de s’achever à Bethléem. En réalité, ce scénario est à côté de la plaque : les « jeunes cadres » ont liquidé la « vieille garde ». Car si Abou-Mazen – le nom de guerre d’Abbas – est maintenu à la tête du mouvement, il le doit au fait que les « jeunes Turcs », divisés, préfèrent pour le moment cette solution intérimaire. Marwan Barghouti, Mohammed Dahlan et Jibril Rajoub, trois figures de proue du mouvement, l’ont donc laissé à la tête de l’Autorité palestinienne le temps de régler la lutte qu’ils mènent pour l’héritage de Yasser Arafat.

Pour le moment, le plus en vue des trois est Marwan Barghouti, 51 ans, étoile montante de la politique palestinienne. Cet ancien leader étudiant de Bir Zeit s’est distingué pendant la première Intifada comme agitateur et organisateur talentueux, l’un de ceux qui ont volé la vedette aux « Tunisiens » qui avaient suivi Yasser Arafat dans son périple révolutionnaire depuis les années 1950-1960 jusqu’à l’exil maghrébin de 1982-1994. Cette première initiative stratégique de « l’intérieur » (les Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza nés après 1948) a obligé Arafat et « l’OLP Tunis » à suivre.

Expulsé par Israël en 1987, Barghouti rentre à la suite des accords d’Oslo et devient secrétaire général du Fatah en Cisjordanie. Parallèlement, il a été chargé par le « raïs » de veiller au développement d’une branche armée, les Brigades des martyrs d’al Aqsa. Toujours soucieux d’avoir plusieurs fers au feu, le Vieux entendait ainsi empêcher ses jeunes d’aller chez la concurrence islamiste – mais surtout armée – du Hamas. Pendant la deuxième Intifada, l’activité de cette milice a pris de l’ampleur (une vingtaine d’attentats entre octobre 2000 et mars 2002, tuant 25 personnes majoritairement civiles), ce qui a abouti en mars 2002 à l’arrestation de Barghouti par Israël. Condamné pour cinq meurtres, il purge une peine de cinq réclusions à perpétuité.

Pour Mohammed Dahlan et Jibril Rajoub, ses deux principaux rivaux, l’incarcération de Barghouti permet de gagner du temps. Libre, il les aurait sans doute pulvérisés politiquement. Celui que les amateurs de lieux communs faciles appellent « le Mandela palestinien » est l’un des seuls à être considéré comme « propre » par l’opinion publique palestinienne. En revanche, pendant les années Oslo Dahlan et Rajoub, chacun à la tête d’un organisme de sécurité – conformément à la stratégie d’Arafat d’éparpillement du pouvoir – créent de véritables baronnies. Né à Khan Younès, Dahlan devient l’homme fort de la bande de Gaza, chouchou des Américains et des Israéliens. Son goût prononcé pour le luxe lui aurait sans doute été pardonné s’il était parvenu à tenir son principal engagement tout autant vis-à-vis de Ramallah que de Jérusalem et Washington : tenir Gaza et empêcher la montée du Hamas.

Rajoub, pour sa part, a joué un rôle important en Cisjordanie où le problème est moins de contenir les islamistes – encore relativement faibles sauf à Hébron – que d’assurer la sécurité d’Israël. Rajoub, qui se faisait fort d’arrêter la lutte armée a bénéficié de la confiance des Etats-Unis et de l’aide matérielle qui allait avec. Sa chute, comme celle de Dahlan, s’explique par deux raisons : le petit empire qu’il a créé en a irrité plus d’un et sa critique de la deuxième intifada (selon lui stratégie suicidaire sans logique politique) l’a fait passer pour « collabo » aux yeux de l’opinion publique palestinienne.

Au sein de la « jeune génération », Barghouti, le moins impliqué dans la corruption des années 1990, semble donc le mieux placé pour prétendre, l’heure venue, à la succession. Héros (probablement malgré lui) de la deuxième intifada, il est aussi, aux yeux de l’opinion, le moins compromis de la « génération réformiste ». À quoi il faut ajouter l’aura que lui confère son statut de prisonnier.

Le congrès de Bethléem ne fait donc que prolonger la parenthèse ouverte en 2004 avec la mort d’Arafat et confirmée avec la défaite du Fatah aux législatives de 2006. Concernant le leadership autant que la stratégie, le mouvement national palestinien est politiquement au point mort.

Face au Hamas, on ne voit guère ce que Mahmoud Abbas pourrait tenter qu’il n’ait pas déjà tenté. La même question est valable aussi vis-à-vis d’Israël. Même s’il se trouvait aujourd’hui face à un gouvernement israélien colombe pur sang, l’actuel président de l’Autorité palestinienne, politiquement faible depuis la victoire du Hamas et constitutionnellement illégitime depuis le 9 janvier dernier[1. Elu président de l’autorité palestinienne le 9 janvier 2005, son mandat est arrivé à son terme au soir du 8 janvier 2009. Le schisme entre la Cisjordanie et la bande de Gaza empêchant des nouvelles élections, la légitimité de l’actuel gouvernement est constitutionnellement douteuse.], n’a pas l’autorité politique et morale pour accepter – c’est-à-dire faire respecter – un compromis avec Israël qui incluera au minimum une partage de la souveraineté des lieux saints et un renoncement au moins partiel au droit au retour. La « génération du désert » incarnée par Abbas s’éclipse après avoir, il est vrai, accompli un exploit : créer un Etat palestinien embryonnaire en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Aux trois mousquetaires du Fatah de la génération de l’intérieur – sans doute avec un d’Artagnan issu du Hamas – échoue la tâche d’unifier les Palestiniens, de construire un Etat digne de ce nom et de parvenir à un accord avec Israël. Mais pour cela, ils devront commencer par s’entendre et par mettre leurs rivalités en sourdine. Ce n’est pas gagné.

Scoop

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Des veaux triplés du même sexe ont vu le jour le 11 août sur l’alpage des Frachets, situé sur la commune de Mont Saxonnex, en Haute-Savoie. Pour celles et ceux qui auraient tendance à ne pas accorder à cette nouvelle l’importance qu’elle mérite, précisons que ce type de naissance multiple chez les bovins n’intervient qu’une fois sur 700 000. Les derniers triplés signalés avant ceux de Haute-Savoie sont nés le 17 mars 2009 à l’école vétérinaire Pullmann, dans l’Etat de Washington, aux Etats-Unis. Leur venue au monde avait nécessité l’intervention de trois vétérinaires et de cinq étudiants. Guy et Benjamin Missillier, les heureux éleveurs savoyards, ne se sont fait aider que par leur neveu Alexandre, âgé de 12 ans, pour ce vêlage à haut risque. Cet exploit bien français n’a, pour l’instant, fait l’objet d’aucun écho médiatique à la mesure de son importance. Voilà qui est réparé.

triples

Pour le catastrophisme écolo

À en croire le libre et joyeux penseur Luc Rosenzweig, l’écologie politique, dont les tenants sont qualifiés par lui de « flics verts » « réchauffistes », toujours prompts à recourir à la « jérémiade » et à « l’injonction comminatoire » pour empêcher les braves gens de jouir et de penser sans entraves, constituerait un nouveau moyen de contrôle des foules, mais aussi un nouvel avatar d’une pensée eschatologique nécessairement un peu ridicule dans sa prétention grotesque à « sauver le monde ». Ce serait encore un étouffoir de débats citoyens (c’est vrai qu’on manque de débats de nos jours, en particulier ici sur Internet), et même une école de mépris des générations futures, pauvres petits n’enfants encore à naitre qu’on n’écoute même pas. Rien que ça. Avant même le déluge, Luc Rosenzweig n’a pas hésité à charger la barque de l’écologie politique, qualifiée de « pensée apocalyptique » et dotée au passage du statut peu enviable de pensée dominante[1. Proposition pour une nouvelle entrée dans un dictionnaire des idées reçues contemporaines. Dominant : pensée dominante. Tonner contre.], s’attirant ainsi les vivats, les hourras et les bravos d’une bonne partie de la foule causeurienne pour s’en être pris si courageusement aux « instances morales et politiques » tout entières sous influence de la pieuvre réchauffiste. Dans cet article, je le dis comme je le pense, Luc Rosenzweig, malgré tout le talent de polémiste que je lui reconnais volontiers, a tout faux.

Commençons par les accusations de manipulation du bon peuple par les écolos. Qui connaît ne serait-ce que de loin la façon de fonctionner du parti écologiste aujourd’hui en France ne peut qu’être éberlué par l’affirmation selon laquelle les écolos auraient trouvé dans un discours culpabilisateur « un moyen commode de gestion de la foule ». En somme, en culpabilisant les gens, les écologistes travailleraient au profit du pouvoir sarkozyste pour éviter que les braves gens ne s’en prennent au gouvernement. Je ne sais pas pour vous mais pour moi, Cochet et Baupin en machiavels jésuitiques au service du Pouvoir avec un grand P, ça le fait pas trop. On est là en pleine théorie du complot, variante droite libérale. Et il s’agit en outre d’un parfait contresens. Car les Verts aujourd’hui font tout pour faire oublier la dimension morale du projet de société qu’ils défendent. L’écologie c’est bien, nous dit-on, parce que c’est juste et social. « Du bio pour tout le monde », voilà la seule façon de faire passer l’indigeste pilule verte : le discours des droits. L’écologie est un droit de l’homme comme les autres ! On est loin, très loin du discours éthique, culpabilisateur peut-être, des pères fondateurs de l’écologie politique, René Dumont, Jacques Ellul ou Hans Jonas, aujourd’hui parfaitement inaudible dans un contexte politique d’extension infinie du domaine des droits.

Contrairement à Luc Rosenzweig, les adversaires de l’écologie politique ne s’y trompent d’ailleurs pas puisque c’est sur ce point douloureux qu’ils insistent. L’écologie, c’est pas cool parce que ça impose des contraintes à de pauvres gens qui souffrent déjà bien assez comme ça par ailleurs. Elitiste, réactionnaire, ringard, ce sont les épithètes que la gauche sociale et moderne balance sans discontinuer depuis des années sur le parti écologiste pour le discréditer. Terrifiés à l’idée d’être considérés comme antimodernes ou pas assez sociophiles, les écologistes tentent d’ailleurs souvent pathétiquement de faire de la surenchère dans ces deux domaines. Un bon exemple avec cette tribune de Denis Baupin parue dans Libération du 5 août. Pas une trace de culpabilisation des braves gens là-dedans, mais tout plein de modernité, d’optimisme, de justice sociale et d’émancipation.

À droite, même si on ne se prive pas de ringardiser les écologistes en même temps que le reste de la gauche de plus en plus souvent qualifiée de « conservatrice » (un compliment si vous voulez mon avis), on procède autrement pour désamorcer la charge morale du discours écolo : on le récupère à des fins publicitaires. N’importe quel geste aujourd’hui est devenu éthique, écologiste. La sacro-sainte croissance elle-même sera écologique ou ne sera pas. Aujourd’hui, un label « éco plus » quelconque est apposé sur la carlingue des bagnoles et le tour est joué. Le pollueur devient un vertueux « écocitoyen ». Le geste le plus anodin, jeter ses ordures, conduire sa voiture, assaisonner sa salade devient grâce à la diffusion publicitaire d’un certain discours « écologique » un geste moral, c’est-à-dire un geste « citoyen » et « militant ». Je ne sais plus qui écrivait au moment de la détention de Florence Aubenas que la France avait trouvé à cette occasion le moyen « de se célébrer elle-même, de renforcer et même de sanctifier les pires de ses activités ordinaires ». Il en va de même aujourd’hui avec le développement du bio et (par exemple) la célébration de toutes les formes de « circulation douces », telles que la marche ou le vélo, pourtant pratiquées par l’humanité depuis des lustres sans qu’elle en fasse tout un plat. Loin de culpabiliser les foules, le discours écolo, en contradiction avec celui de ses pères fondateurs répétons-le, donne l’occasion à tout un chacun de sanctifier les plus ordinaires de ses activités ordinaires. L’écologie est devenue le supplément d’âme du consommateur éclairé.

Deuxièmement, faire des écologistes des disciples modernes de Prométhée, grâce à qui tout est devenu possible ici bas, un apôtre vert de la « sobriété » décroissante pourrait trouver ça un peu gonflé. Les meilleurs théoriciens de l’écologie politique ont passé leur temps à stigmatiser l’hybris moderne selon lequel, grâce au développement démentiel des possibilités ouvertes par la technique, tout deviendrait possible justement (et « tout devient possible », ce n’était pas franchement le slogan de campagne de Dominique Voynet, si je me souviens bien). Cette mentalité est parfaitement caractéristique de la modernité libérale déchainée à quoi s’oppose l’écologie politique dans ce qu’elle a de meilleur, notamment lorsqu’elle ne sombre pas dans un volontarisme débridé emprunté à ses adversaires idéologiques. S’il est un modèle de cet « autre monde » que chantent sur tous les tons les altermondialistes, c’est bien ce monde édénique de l’opulence généralisée que les visionnaires de l’économie politique ont entrevu il y a déjà plus de deux siècles pour reléguer aux oubliettes cet ancien régime maudit, qui dans l’imaginaire moderne gravait dans le marbre les différences de conditions. Mettre sur le dos de l’écologie le processus moderne de déification de l’humanité par elle-même, voici un deuxième contresens majeur.

Troisièmement, accuser les écologistes d’étouffer le débat sur les mesures à prendre pour faire face aux conséquences du changement climatique est un peu fort de café, aussi bio et équitable soit-il. Où en seraient les débats sur les mesures à prendre face aux changements climatiques, si l’on ne reconnaissait même pas le problème ?

Quant au fait de savoir si l’humanité s’adaptera aux changements climatiques et autres provoqués par sa propre action sur la planète, il est fort probable que Luc Rosenzweig a raison et que l’homme s’adaptera. Mais à quel prix ? Car comme l’écrit Hans Jonas, « la question n’est pas, cela [l’adaptation] marchera-t-il ? (on doit craindre que si), mais : à quoi l’homme doit-il s’habituer ? À quoi a-t-on le droit de le forcer ou de l’autoriser à s’habituer ? Par conséquent : quelles conditions de son adaptation a-t-on le droit de laisser naître ? ».

Personnellement les écolos, je les veux encore plus pleureurs et alarmistes, encore plus conservateurs, encore plus vieux cons, encore plus cassandres, (et un peu moins papophobes, même si à l’impossible, on le sait tous maintenant, nul n’est tenu). Je les voudrais tout aussi conservateurs culturellement qu’ils le sont quand il s’agit de la nature. C’est un vœu pieu bien sûr car ce programme ne leur attirerait guère de suffrages – sinon le mien et celui de quelques amis, mais j’ai peur que cela ne suffise pas – et contredirait les convictions profondes et la rebellitude routinière d’une bonne partie de leur électorat traditionnel. Cela les rapprocherait pourtant de leur substrat idéologique le plus cohérent et leur permettrait peut-être à long terme d’être plus audibles dans un monde déjà saturé par ailleurs de modernolâtrie et de « pensée positive et joyeuse ».

Je sais, il n’y a guère de risques que Cécile Duflot m’appelle demain pour me proposer un poste de spin doctor.

Sans papier

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C’est une grande première pour le cyberlivre : la version électronique du prochain roman de Dan Brown, The Lost Symbol, où il est beaucoup question de francs-maçons, paraîtra le même jour que le livre tradi en papier. La maison d’édition Doubleday avait annoncé en avril dernier que le premier roman de Brown depuis le Da Vinci Code paraîtrait le 15 septembre, mais sans préciser la date de parution du livre électronique. La porte-parole de Doubleday, Suzanne Herz, a finalement annoncé que le livre dématérialisé paraîtrait le même jour. A moins que, comme cela se passe désormais couramment pour les films, on trouve sur le net la version numérique avant même la date officielle de sortie…

La France à côté de la plaque

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Cette fois-ci, elles sont bien là. Sur nos bagnoles et même sur la mienne. Ces nouvelles plaques d’immatriculation me font sentir étranger dans mon propre pays. Terminées, les séances d’apprentissage des départements et leurs chefs-lieux[1. De toute manière, il paraît que les départements, symboles du jacobinisme français, doivent aussi disparaître sur l’autel de l’adaptation à la mondialisation.] à l’arrière de la voiture dans les bouchons de l’A7[2. Déjà que la mode anti-poil a fait disparaître le vieux jeu de comptage des barbus ! Pour ma part, j’avais un indice assez efficace : l’autocollant MAIF sur la vitre arrière. Aujourd’hui, même l’Education Nationale a cédé devant Gillette.].

Pour défendre l’idée de leurs nouvelles plaques, les technocrates du ministère de l’Intérieur, ainsi que les deux ministres successifs qui ont porté le funeste projet, Michèle Alliot-Marie et Nicolas Sarkozy[3. Il semble bien que ce soit lui qui ait accéléré le processus entre 2005 et 2007.], avancent plusieurs arguments tous fallacieux.

L’ancienne numérotation arriverait très rapidement au bout, notamment dans les départements qui fonctionnaient déjà avec trois lettres précédant le numéro de département. Escroquerie. Dans ces départements peuplés, on changeait de lettres au bout de 999 véhicules immatriculés alors que dans les moins peuplés, c’était tout les 9999. Il aurait suffit qu’on ajoute donc un chiffre des milliers au numéro le plus à gauche de la plaque pour que le système perdure quelques décennies. Pas la place, me direz-vous ? Bien sûr que si. Il suffisait de retirer la partie à l’extrême gauche de la plaque, bleue avec de ridicules étoiles jaunes, pour ajouter ce chiffre salvateur. Charge ensuite à l’automobiliste de coller un autocollant F s’il souhaite changer de pays en auto, ou même, je fais un effort, d’en ajouter un avec le drapeau européen s’il souhaite changer de continent.

L’Europe, justement ! C’est elle qui nous obligerait à passer à ces plaques uniformisées dans un but d’harmonisation. En fait, elle ne nous oblige à rien du tout. Aucun réglement ni directive ne l’impose. Ou alors, on se demande bien pourquoi certains pays s’y mettent (Italie, Pays-Bas) alors que d’autres, comme l’Allemagne, conservent leur système national.

Ensuite, le nouveau système permettrait une meilleure prévention contre le vol des véhicules, ces derniers conservant la même immatriculation, de la sortie des chaînes de montage à la casse. Possible. Mais, ce léger avantage est largement contrebalancé par un inconvénient majeur que des gendarmes, plus au fait du terrain que les énarques de la Place Beauveau, m’ont confirmé : dans une enquête, l’ancienne numérotation départementale permettait de recueillir des témoignages sûrs. Une voiture immatriculée 93 ou 92, par exemple, ne passe pas inaperçue dans la Creuse ou la Lozère. Trouver un véhicule Peugeot 306 de couleur grise avec un phare cassé et immatriculé dans l’Indre, c’est beaucoup plus facile que de trouver le même véhicule immatriculé dans un système étendu sur le territoire national.

Enfin, le nouveau système permettrait d’économiser des postes en supprimant les services « cartes grises » de toutes nos préfectures. A la louche, c’est combien de fonctionnaires en moins sur toute la France ? Quelques centaines… Tout ça pour ça ? Bigre !

En fait, cette décision ne répond qu’à un seul objectif. Il est idéologique. Il s’agit de bien montrer que là encore, il faut s’a-dap-ter. Il faut quitter nos lubies françaises et faire comme les autres. En finir avec le modèle français, qu’il soit social, républicain ou administratif. Et complaire à tous les rapports Attali de la Terre. Ce n’est donc pas un hasard si c’est sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy qu’a été initiée cette réforme et sous son mandat qu’elle a été mise en place. Quand Nicolas Sarkozy se plaint du fait que les magasins ne soient pas ouverts le dimanche pour Madame Obama et ses fillettes, cela participe de la même réflexion.

Pour ma part, je vois tout de même un avantage à ces plaques de la mondialisation. Dans vingt ans, dans trente ans, dans cinquante même, elles rappelleront à notre peuple qu’il a un jour permis à Nicolas Sarkozy d’accéder à la présidence de la République. Un châtiment pour les yeux. Mais mérité.

C’est du propre !

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On a bien rigolé sur Facebook hier : pendant toute la journée sur la colonne de droite réservée à la pub, on a pu lire une réclame intitulée : « Ralph Lauren Polo Sale ». Se pourrait-il qu’après la mode des vêtements vendus prématurément usés, l’usage se répande de les proposer aux consommateurs des polos déjà crades ? N’en rajoutons pas, le « sale » en question signifiait soldes, et on avait laissé en anglais le titre de l’annonce (rédigée, elle, en bon français) sans doute pour faire chic. Finalement quelqu’un a dû se rendre compte de la boulette, puisque l’annonce est désormais titrée « Ralph Lauren Polo », ce qui fait moins tache.

Thierry Jonquet rattrapé par le Moloch

Il semblerait que les auteurs de romans noirs meurent jeunes, ces temps-ci et notamment ceux pratiquant la littérature de combat. Après ADG, après Fajardie, c’est au tour de Thierry Jonquet, à 55 ans, de se faire rattraper par le Moloch, cette monstrueuse figure qui avait donné son titre à l’un de ses plus grands romans.
Moloch, comme le dieu cruel qui réclame des sacrifices humains à l’image de nos sociétés de marché que Jonquet, militant pendant de longues années à « Lutte ouvrière » puis à la « Ligue », avant qu’elle ne devienne le NPA, cette annexe médiatique de la contestation boboïsée, avait décidé d’explorer avec cette froideur méthodique et discrètement désespérée qui fait les grands écrivains réalistes.

Pour en savoir plus sur l’engagement politique tel que le concevait Jonquet, on pourra lire le beau roman d’apprentissage, Rouge, c’est la vie qu’il a consacré à cette période où la fraternité révolutionnaire était une fête qui sentait bon la clandestinité, l’amitié et l’espoir. Son antistalinisme un rien rabique[1. Nobody is perfect.] de trotskyste l’amena aussi, au début de sa carrière de romancier, sous le pseudonyme de Ramon Mercader, à écrire Du passé faisons table rase, un roman à clef sur la résistible ascension d’un secrétaire général du PCF et qui se révèle un passionnant whodunit dans les travées du comité central.

Mais l’essentiel de l’œuvre de Jonquet est ailleurs. Ayant travaillé pendant des années comme ergothérapeute en gériatrie et en psychiatrie avant de devenir instituteur spécialisé, il a exploré in vivo les détresses, les folies et les pathologies meurtrières et apporté des thèmes tout à fait nouveaux au roman noir, par exemple avec Mygale où un père venge sa fille violée en séquestrant le coupable et en le transformant en femme par des injections d’hormones, ou encore dans La belle et la bête, réécriture achélémienne du conte de Perrault avec un inoubliable personnage de vieux conservant ses ordures dans son appartement[2. Pour l’anecdote, ce roman eut en son temps l’honneur de porter le numéro 2000 de la Série Noire.].

Cette manière de jouer avec le réalisme fantastique trouvera son sommet dans Ad vitam aeternam, un de ses premiers gros succès de librairie. Thierry Jonquet savait néanmoins parfaitement maîtriser les codes du genre et son diptyque, Les Orpailleurs suivi de Moloch, où l’on retrouve les mêmes personnages de flics et de juges, forme une saga unanimiste, à la Mc Bain, qui restera une référence quand on voudra se documenter sur la France des années 1990. De même, Thierry Jonquet est-il, à notre connaissance, le seul écrivain dans Mon vieux à avoir abordé la canicule de 2003 pour ce qu’elle était réellement : le fiasco d’un Etat-providence mis à genoux doublé d’un phénomène pré-apocalyptique.

Thierry Jonquet savait que le métier d’auteur noir comporte des risques, notamment celui de choquer les bonnes consciences en apportant de mauvaises nouvelles, simplement parce qu’on décrit ce qui se passe, ce qui se passe vraiment. Ainsi, n’ayant jamais sombré dans le polar de divertissement anxiolytique ou le catéchisme de la gauche tendance angélique, il avait publié un roman dont le titre emprunté à un vers de Victor Hugo, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte[3. Qui lui valut en 2007 la médaille d’honneur de la LICRA.] décrivait le quotidien d’une enseignante débutante dans une zone sensible en proie aux pulsions communautaristes.

Ecrire que les opprimés pouvaient se conduire comme des salauds, voilà qui n’a évidemment pas plu à tout le monde. Pour certains, Karl Marx n’est qu’un barbu altermondialiste sympa grâce auquel on fait des beaux T-shirts, pour d’autres, comme Jonquet – et nous-mêmes –, la leçon de « La lutte des classes en France » n’est pas de celles qu’on n’oublie : oui, c’est bien le lumpenprolétarariat marionnettisé par les dominants qui a noyé dans le sang la tentative de révolution ouvrière en juin 1848.

Jonquet a su faire preuve du même refus du simplisme sur un autre dossier plus que chaud (mais est-ce vraiment un autre dossier…), le conflit israélo-arabe. Là encore, il a désespéré nombre de ses anciens camarades, ceux pour qui l’ostension d’un keffieh tient lieu d’analyse globale. Et quand, notamment aux côtés de « La Paix Maintenant », il militait pour une paix juste au Proche Orient, c’est bel est bien d’une vraie paix, donc vraiment juste pour les deux camps qu’il parlait. Sa première prise de conscience politique lui est venue en découvrant la Shoah : il en parlera très explicitement dans les Orpailleurs mais de fait il en parlera toujours.

Ce devoir de déplaire, voire de tirer contre son propre camp dans une tradition toute bernanosienne, Jonquet l’avait assumé jusqu’au bout. C’est pour cela qu’il lui arrivera ce qui arrive assez peu souvent aux écrivains «de genre» ou aux écrivains tout court, d’ailleurs : être relus.

Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

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Faut-il autoriser le non-port du burkini ?

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Depuis une semaine, « Carole », une Française « de souche » de 35 ans convertie à l’Islam, mène un combat courageux pour l’émancipation des femmes musulmanes et autres. Cette audacieuse jeune femme, qui n’a pas froid aux yeux – même si c’est souvent la seule chose chez elle qui n’est pas couverte – a en effet été vue dans les rues d’Emerainville (Seine-et-Marne) en train de donner des interviews en maillot de bain à des médias mécréants. On l’a ensuite aperçue se faire prendre (en photo) sous toutes les coutures, dans son audacieuse tenue. Merci Carole, à l’heure où de plus en plus de maires prennent des arrêtés réactionnaires pour empêcher les gens de se promener librement torse nu et en maillots de bain dans les rues de centre-ville, pour ta lutte acharnée contre le retour de toutes les pudibonderies et toutes les tartufferies françaises.

Souvenirs de chantier

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Je n’ai pas oublié l’été 1980, celui de mes 16 ans, celui de mon premier boulot. Contraint de rembourser les dommages causés par des conneries d’adolescent, j’ai découvert au mois d’août le monde du travail. À l’époque, plutôt crever que demander un coup de piston pour me retrouver dans un bureau à faire un job de gonzesse, j’achetais France Soir tôt le matin ; pour les petites annonces.

Une offre d’emploi m’avait mené jusqu’à une agence d’intérim qui m’avait envoyé sur un chantier à La Défense. La mission : étaler du goudron dans des parkings souterrains. J’y rejoignais une équipe d’une dizaine d’hommes, le patron et son fils aux volants des machines et les autres avec à la main des outils pour l’étalage.

Je pris une pelle et appris en 10 secondes le geste qui allait m’occuper huit heures par jours, cinq jours par semaine. Avec les patrons, j’étais le troisième Français de l’équipe, les autres ouvriers étaient algériens ou africains.

La communication n’était pas mon point fort, mais j’ai tout gardé du peu de nos échanges. Une poignée de main matin et soir, la tendresse de leurs regards pour le petit Français, l’humilité de leurs attitudes. Le bruit des machines et l’ardeur de la tâche interdisait toute conversation et mon sandwich du midi, je le prenais seul.

Cet été-là, c’était ramadan. A l’heure du déjeuner, je les voyais s’allonger sur les sacs de ciment, un bras replié sur le visage, prenant un peu de repos quand je reprenais des forces. Toute la journée, malgré la chaleur d’août et du goudron liquide, je ne les voyais pas boire. Sans dire un mot, jour après jour, ils travaillaient dans ces immeubles de bureaux à la construction de parkings où ils ne gareraient jamais leurs voitures.

J’ai terminé ce chantier sans rien savoir de ces hommes. Leurs vies, je les ai imaginées. Des logements modestes et des familles à nourrir devaient engloutir leurs salaires, ne leur laissant que des vêtements humbles.

J’ai appris par ces ouvriers ce qu’était le courage, celui d’une routine harassante qui ne vous laisse que le sentiment du devoir accompli et le corps exténué. J’ai compris par ces travailleurs immigrés la dignité de la classe ouvrière.

Par leur travail et pour leur peine, leurs enfants sont devenus français, certains sont devenus médecins, avocats, enseignants ou bibliothécaires. Je suis sûr que ceux qui, en costume, empruntent les ascenseurs des tours sous lesquelles leurs pères ont travaillé, doivent emplir ceux-ci de fierté.

J’ignore en revanche ce qu’ils ressentent en voyant dans les rues des villes de France, certains de leurs enfants ou petits-enfants, hommes barbus en djellaba ou femmes dissimulées sous des niqabs.

Je l’ignore, mais je me souviens d’autre chose.

Ma grand-mère, Lucienne Mesguich, avait fui sa petite ville natale de Miliana en Algérie et la pesanteur des traditions familiales chez les juifs religieux pour devenir à Alger une jeune femme libre et apprendre le métier de couturière qui lui donnerait l’indépendance. Trente ans plus tard, en 1962, elle quittait Alger pour Paris et son éblouissement pour la culture française ne la quitta jamais.

Je garde le souvenir de ces musées dans lesquels elle me trainait à un âge où le tombeau de l’Empereur et les toiles du Louvre me passaient au-dessus de la tête. Enfin, je le croyais. Je garde également le souvenir de ses réactions quand elle croisait ces juifs orthodoxes, ces hommes qui fuyaient son regard, ces femmes aux chevelures cachées, issus d’un peuple qui avait mis des millénaires pour sortir des ghettos et qui semblaient vouloir y retourner avec ferveur et empressement : je me souviens de son sentiment d’incompréhension, de sa colère.

Il m’arrive de penser que mes compagnons de travail d’un été partagent ce sentiment.

Sans modération

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Chers amis causeurs et pas encore abonnés, je suis d’autant plus à l’aise pour vous adresser cette requête que je n’ai aucun intérêt personnel à en attendre. L’écriture m’aide à vivre mais la menuiserie suffit à subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. Aussi, devant les faibles revenus de cette aventure, ai-je tenu à rester le bénévole de la bande. Je ne désespère pas un jour de troquer mes articles contre des avantages, par un odieux chantage livré à la direction, que je ne peux décrire ici sans risquer d’être inquiété pour harcèlement sexuel. Mais tout le monde ne mange pas de ce pain-là et les imprimeurs comme les auteurs homosexuels entendent être rétribués en monnaie sonnante et trébuchante. Vous l’aurez compris, la vertu du personnel encadrant exige plus d’abonnements. A votre bon cœur m’sieur dames !

Pas de miracles à Bethléem

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« Mahmoud Abbas rajeunit les cadres du Fatah » – voilà le résumé donné par la presse du Congrès du Fatah, principale force politique palestinienne, qui vient de s’achever à Bethléem. En réalité, ce scénario est à côté de la plaque : les « jeunes cadres » ont liquidé la « vieille garde ». Car si Abou-Mazen – le nom de guerre d’Abbas – est maintenu à la tête du mouvement, il le doit au fait que les « jeunes Turcs », divisés, préfèrent pour le moment cette solution intérimaire. Marwan Barghouti, Mohammed Dahlan et Jibril Rajoub, trois figures de proue du mouvement, l’ont donc laissé à la tête de l’Autorité palestinienne le temps de régler la lutte qu’ils mènent pour l’héritage de Yasser Arafat.

Pour le moment, le plus en vue des trois est Marwan Barghouti, 51 ans, étoile montante de la politique palestinienne. Cet ancien leader étudiant de Bir Zeit s’est distingué pendant la première Intifada comme agitateur et organisateur talentueux, l’un de ceux qui ont volé la vedette aux « Tunisiens » qui avaient suivi Yasser Arafat dans son périple révolutionnaire depuis les années 1950-1960 jusqu’à l’exil maghrébin de 1982-1994. Cette première initiative stratégique de « l’intérieur » (les Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza nés après 1948) a obligé Arafat et « l’OLP Tunis » à suivre.

Expulsé par Israël en 1987, Barghouti rentre à la suite des accords d’Oslo et devient secrétaire général du Fatah en Cisjordanie. Parallèlement, il a été chargé par le « raïs » de veiller au développement d’une branche armée, les Brigades des martyrs d’al Aqsa. Toujours soucieux d’avoir plusieurs fers au feu, le Vieux entendait ainsi empêcher ses jeunes d’aller chez la concurrence islamiste – mais surtout armée – du Hamas. Pendant la deuxième Intifada, l’activité de cette milice a pris de l’ampleur (une vingtaine d’attentats entre octobre 2000 et mars 2002, tuant 25 personnes majoritairement civiles), ce qui a abouti en mars 2002 à l’arrestation de Barghouti par Israël. Condamné pour cinq meurtres, il purge une peine de cinq réclusions à perpétuité.

Pour Mohammed Dahlan et Jibril Rajoub, ses deux principaux rivaux, l’incarcération de Barghouti permet de gagner du temps. Libre, il les aurait sans doute pulvérisés politiquement. Celui que les amateurs de lieux communs faciles appellent « le Mandela palestinien » est l’un des seuls à être considéré comme « propre » par l’opinion publique palestinienne. En revanche, pendant les années Oslo Dahlan et Rajoub, chacun à la tête d’un organisme de sécurité – conformément à la stratégie d’Arafat d’éparpillement du pouvoir – créent de véritables baronnies. Né à Khan Younès, Dahlan devient l’homme fort de la bande de Gaza, chouchou des Américains et des Israéliens. Son goût prononcé pour le luxe lui aurait sans doute été pardonné s’il était parvenu à tenir son principal engagement tout autant vis-à-vis de Ramallah que de Jérusalem et Washington : tenir Gaza et empêcher la montée du Hamas.

Rajoub, pour sa part, a joué un rôle important en Cisjordanie où le problème est moins de contenir les islamistes – encore relativement faibles sauf à Hébron – que d’assurer la sécurité d’Israël. Rajoub, qui se faisait fort d’arrêter la lutte armée a bénéficié de la confiance des Etats-Unis et de l’aide matérielle qui allait avec. Sa chute, comme celle de Dahlan, s’explique par deux raisons : le petit empire qu’il a créé en a irrité plus d’un et sa critique de la deuxième intifada (selon lui stratégie suicidaire sans logique politique) l’a fait passer pour « collabo » aux yeux de l’opinion publique palestinienne.

Au sein de la « jeune génération », Barghouti, le moins impliqué dans la corruption des années 1990, semble donc le mieux placé pour prétendre, l’heure venue, à la succession. Héros (probablement malgré lui) de la deuxième intifada, il est aussi, aux yeux de l’opinion, le moins compromis de la « génération réformiste ». À quoi il faut ajouter l’aura que lui confère son statut de prisonnier.

Le congrès de Bethléem ne fait donc que prolonger la parenthèse ouverte en 2004 avec la mort d’Arafat et confirmée avec la défaite du Fatah aux législatives de 2006. Concernant le leadership autant que la stratégie, le mouvement national palestinien est politiquement au point mort.

Face au Hamas, on ne voit guère ce que Mahmoud Abbas pourrait tenter qu’il n’ait pas déjà tenté. La même question est valable aussi vis-à-vis d’Israël. Même s’il se trouvait aujourd’hui face à un gouvernement israélien colombe pur sang, l’actuel président de l’Autorité palestinienne, politiquement faible depuis la victoire du Hamas et constitutionnellement illégitime depuis le 9 janvier dernier[1. Elu président de l’autorité palestinienne le 9 janvier 2005, son mandat est arrivé à son terme au soir du 8 janvier 2009. Le schisme entre la Cisjordanie et la bande de Gaza empêchant des nouvelles élections, la légitimité de l’actuel gouvernement est constitutionnellement douteuse.], n’a pas l’autorité politique et morale pour accepter – c’est-à-dire faire respecter – un compromis avec Israël qui incluera au minimum une partage de la souveraineté des lieux saints et un renoncement au moins partiel au droit au retour. La « génération du désert » incarnée par Abbas s’éclipse après avoir, il est vrai, accompli un exploit : créer un Etat palestinien embryonnaire en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Aux trois mousquetaires du Fatah de la génération de l’intérieur – sans doute avec un d’Artagnan issu du Hamas – échoue la tâche d’unifier les Palestiniens, de construire un Etat digne de ce nom et de parvenir à un accord avec Israël. Mais pour cela, ils devront commencer par s’entendre et par mettre leurs rivalités en sourdine. Ce n’est pas gagné.

Scoop

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Des veaux triplés du même sexe ont vu le jour le 11 août sur l’alpage des Frachets, situé sur la commune de Mont Saxonnex, en Haute-Savoie. Pour celles et ceux qui auraient tendance à ne pas accorder à cette nouvelle l’importance qu’elle mérite, précisons que ce type de naissance multiple chez les bovins n’intervient qu’une fois sur 700 000. Les derniers triplés signalés avant ceux de Haute-Savoie sont nés le 17 mars 2009 à l’école vétérinaire Pullmann, dans l’Etat de Washington, aux Etats-Unis. Leur venue au monde avait nécessité l’intervention de trois vétérinaires et de cinq étudiants. Guy et Benjamin Missillier, les heureux éleveurs savoyards, ne se sont fait aider que par leur neveu Alexandre, âgé de 12 ans, pour ce vêlage à haut risque. Cet exploit bien français n’a, pour l’instant, fait l’objet d’aucun écho médiatique à la mesure de son importance. Voilà qui est réparé.

triples

Pour le catastrophisme écolo

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À en croire le libre et joyeux penseur Luc Rosenzweig, l’écologie politique, dont les tenants sont qualifiés par lui de « flics verts » « réchauffistes », toujours prompts à recourir à la « jérémiade » et à « l’injonction comminatoire » pour empêcher les braves gens de jouir et de penser sans entraves, constituerait un nouveau moyen de contrôle des foules, mais aussi un nouvel avatar d’une pensée eschatologique nécessairement un peu ridicule dans sa prétention grotesque à « sauver le monde ». Ce serait encore un étouffoir de débats citoyens (c’est vrai qu’on manque de débats de nos jours, en particulier ici sur Internet), et même une école de mépris des générations futures, pauvres petits n’enfants encore à naitre qu’on n’écoute même pas. Rien que ça. Avant même le déluge, Luc Rosenzweig n’a pas hésité à charger la barque de l’écologie politique, qualifiée de « pensée apocalyptique » et dotée au passage du statut peu enviable de pensée dominante[1. Proposition pour une nouvelle entrée dans un dictionnaire des idées reçues contemporaines. Dominant : pensée dominante. Tonner contre.], s’attirant ainsi les vivats, les hourras et les bravos d’une bonne partie de la foule causeurienne pour s’en être pris si courageusement aux « instances morales et politiques » tout entières sous influence de la pieuvre réchauffiste. Dans cet article, je le dis comme je le pense, Luc Rosenzweig, malgré tout le talent de polémiste que je lui reconnais volontiers, a tout faux.

Commençons par les accusations de manipulation du bon peuple par les écolos. Qui connaît ne serait-ce que de loin la façon de fonctionner du parti écologiste aujourd’hui en France ne peut qu’être éberlué par l’affirmation selon laquelle les écolos auraient trouvé dans un discours culpabilisateur « un moyen commode de gestion de la foule ». En somme, en culpabilisant les gens, les écologistes travailleraient au profit du pouvoir sarkozyste pour éviter que les braves gens ne s’en prennent au gouvernement. Je ne sais pas pour vous mais pour moi, Cochet et Baupin en machiavels jésuitiques au service du Pouvoir avec un grand P, ça le fait pas trop. On est là en pleine théorie du complot, variante droite libérale. Et il s’agit en outre d’un parfait contresens. Car les Verts aujourd’hui font tout pour faire oublier la dimension morale du projet de société qu’ils défendent. L’écologie c’est bien, nous dit-on, parce que c’est juste et social. « Du bio pour tout le monde », voilà la seule façon de faire passer l’indigeste pilule verte : le discours des droits. L’écologie est un droit de l’homme comme les autres ! On est loin, très loin du discours éthique, culpabilisateur peut-être, des pères fondateurs de l’écologie politique, René Dumont, Jacques Ellul ou Hans Jonas, aujourd’hui parfaitement inaudible dans un contexte politique d’extension infinie du domaine des droits.

Contrairement à Luc Rosenzweig, les adversaires de l’écologie politique ne s’y trompent d’ailleurs pas puisque c’est sur ce point douloureux qu’ils insistent. L’écologie, c’est pas cool parce que ça impose des contraintes à de pauvres gens qui souffrent déjà bien assez comme ça par ailleurs. Elitiste, réactionnaire, ringard, ce sont les épithètes que la gauche sociale et moderne balance sans discontinuer depuis des années sur le parti écologiste pour le discréditer. Terrifiés à l’idée d’être considérés comme antimodernes ou pas assez sociophiles, les écologistes tentent d’ailleurs souvent pathétiquement de faire de la surenchère dans ces deux domaines. Un bon exemple avec cette tribune de Denis Baupin parue dans Libération du 5 août. Pas une trace de culpabilisation des braves gens là-dedans, mais tout plein de modernité, d’optimisme, de justice sociale et d’émancipation.

À droite, même si on ne se prive pas de ringardiser les écologistes en même temps que le reste de la gauche de plus en plus souvent qualifiée de « conservatrice » (un compliment si vous voulez mon avis), on procède autrement pour désamorcer la charge morale du discours écolo : on le récupère à des fins publicitaires. N’importe quel geste aujourd’hui est devenu éthique, écologiste. La sacro-sainte croissance elle-même sera écologique ou ne sera pas. Aujourd’hui, un label « éco plus » quelconque est apposé sur la carlingue des bagnoles et le tour est joué. Le pollueur devient un vertueux « écocitoyen ». Le geste le plus anodin, jeter ses ordures, conduire sa voiture, assaisonner sa salade devient grâce à la diffusion publicitaire d’un certain discours « écologique » un geste moral, c’est-à-dire un geste « citoyen » et « militant ». Je ne sais plus qui écrivait au moment de la détention de Florence Aubenas que la France avait trouvé à cette occasion le moyen « de se célébrer elle-même, de renforcer et même de sanctifier les pires de ses activités ordinaires ». Il en va de même aujourd’hui avec le développement du bio et (par exemple) la célébration de toutes les formes de « circulation douces », telles que la marche ou le vélo, pourtant pratiquées par l’humanité depuis des lustres sans qu’elle en fasse tout un plat. Loin de culpabiliser les foules, le discours écolo, en contradiction avec celui de ses pères fondateurs répétons-le, donne l’occasion à tout un chacun de sanctifier les plus ordinaires de ses activités ordinaires. L’écologie est devenue le supplément d’âme du consommateur éclairé.

Deuxièmement, faire des écologistes des disciples modernes de Prométhée, grâce à qui tout est devenu possible ici bas, un apôtre vert de la « sobriété » décroissante pourrait trouver ça un peu gonflé. Les meilleurs théoriciens de l’écologie politique ont passé leur temps à stigmatiser l’hybris moderne selon lequel, grâce au développement démentiel des possibilités ouvertes par la technique, tout deviendrait possible justement (et « tout devient possible », ce n’était pas franchement le slogan de campagne de Dominique Voynet, si je me souviens bien). Cette mentalité est parfaitement caractéristique de la modernité libérale déchainée à quoi s’oppose l’écologie politique dans ce qu’elle a de meilleur, notamment lorsqu’elle ne sombre pas dans un volontarisme débridé emprunté à ses adversaires idéologiques. S’il est un modèle de cet « autre monde » que chantent sur tous les tons les altermondialistes, c’est bien ce monde édénique de l’opulence généralisée que les visionnaires de l’économie politique ont entrevu il y a déjà plus de deux siècles pour reléguer aux oubliettes cet ancien régime maudit, qui dans l’imaginaire moderne gravait dans le marbre les différences de conditions. Mettre sur le dos de l’écologie le processus moderne de déification de l’humanité par elle-même, voici un deuxième contresens majeur.

Troisièmement, accuser les écologistes d’étouffer le débat sur les mesures à prendre pour faire face aux conséquences du changement climatique est un peu fort de café, aussi bio et équitable soit-il. Où en seraient les débats sur les mesures à prendre face aux changements climatiques, si l’on ne reconnaissait même pas le problème ?

Quant au fait de savoir si l’humanité s’adaptera aux changements climatiques et autres provoqués par sa propre action sur la planète, il est fort probable que Luc Rosenzweig a raison et que l’homme s’adaptera. Mais à quel prix ? Car comme l’écrit Hans Jonas, « la question n’est pas, cela [l’adaptation] marchera-t-il ? (on doit craindre que si), mais : à quoi l’homme doit-il s’habituer ? À quoi a-t-on le droit de le forcer ou de l’autoriser à s’habituer ? Par conséquent : quelles conditions de son adaptation a-t-on le droit de laisser naître ? ».

Personnellement les écolos, je les veux encore plus pleureurs et alarmistes, encore plus conservateurs, encore plus vieux cons, encore plus cassandres, (et un peu moins papophobes, même si à l’impossible, on le sait tous maintenant, nul n’est tenu). Je les voudrais tout aussi conservateurs culturellement qu’ils le sont quand il s’agit de la nature. C’est un vœu pieu bien sûr car ce programme ne leur attirerait guère de suffrages – sinon le mien et celui de quelques amis, mais j’ai peur que cela ne suffise pas – et contredirait les convictions profondes et la rebellitude routinière d’une bonne partie de leur électorat traditionnel. Cela les rapprocherait pourtant de leur substrat idéologique le plus cohérent et leur permettrait peut-être à long terme d’être plus audibles dans un monde déjà saturé par ailleurs de modernolâtrie et de « pensée positive et joyeuse ».

Je sais, il n’y a guère de risques que Cécile Duflot m’appelle demain pour me proposer un poste de spin doctor.

Sans papier

9

C’est une grande première pour le cyberlivre : la version électronique du prochain roman de Dan Brown, The Lost Symbol, où il est beaucoup question de francs-maçons, paraîtra le même jour que le livre tradi en papier. La maison d’édition Doubleday avait annoncé en avril dernier que le premier roman de Brown depuis le Da Vinci Code paraîtrait le 15 septembre, mais sans préciser la date de parution du livre électronique. La porte-parole de Doubleday, Suzanne Herz, a finalement annoncé que le livre dématérialisé paraîtrait le même jour. A moins que, comme cela se passe désormais couramment pour les films, on trouve sur le net la version numérique avant même la date officielle de sortie…

La France à côté de la plaque

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Cette fois-ci, elles sont bien là. Sur nos bagnoles et même sur la mienne. Ces nouvelles plaques d’immatriculation me font sentir étranger dans mon propre pays. Terminées, les séances d’apprentissage des départements et leurs chefs-lieux[1. De toute manière, il paraît que les départements, symboles du jacobinisme français, doivent aussi disparaître sur l’autel de l’adaptation à la mondialisation.] à l’arrière de la voiture dans les bouchons de l’A7[2. Déjà que la mode anti-poil a fait disparaître le vieux jeu de comptage des barbus ! Pour ma part, j’avais un indice assez efficace : l’autocollant MAIF sur la vitre arrière. Aujourd’hui, même l’Education Nationale a cédé devant Gillette.].

Pour défendre l’idée de leurs nouvelles plaques, les technocrates du ministère de l’Intérieur, ainsi que les deux ministres successifs qui ont porté le funeste projet, Michèle Alliot-Marie et Nicolas Sarkozy[3. Il semble bien que ce soit lui qui ait accéléré le processus entre 2005 et 2007.], avancent plusieurs arguments tous fallacieux.

L’ancienne numérotation arriverait très rapidement au bout, notamment dans les départements qui fonctionnaient déjà avec trois lettres précédant le numéro de département. Escroquerie. Dans ces départements peuplés, on changeait de lettres au bout de 999 véhicules immatriculés alors que dans les moins peuplés, c’était tout les 9999. Il aurait suffit qu’on ajoute donc un chiffre des milliers au numéro le plus à gauche de la plaque pour que le système perdure quelques décennies. Pas la place, me direz-vous ? Bien sûr que si. Il suffisait de retirer la partie à l’extrême gauche de la plaque, bleue avec de ridicules étoiles jaunes, pour ajouter ce chiffre salvateur. Charge ensuite à l’automobiliste de coller un autocollant F s’il souhaite changer de pays en auto, ou même, je fais un effort, d’en ajouter un avec le drapeau européen s’il souhaite changer de continent.

L’Europe, justement ! C’est elle qui nous obligerait à passer à ces plaques uniformisées dans un but d’harmonisation. En fait, elle ne nous oblige à rien du tout. Aucun réglement ni directive ne l’impose. Ou alors, on se demande bien pourquoi certains pays s’y mettent (Italie, Pays-Bas) alors que d’autres, comme l’Allemagne, conservent leur système national.

Ensuite, le nouveau système permettrait une meilleure prévention contre le vol des véhicules, ces derniers conservant la même immatriculation, de la sortie des chaînes de montage à la casse. Possible. Mais, ce léger avantage est largement contrebalancé par un inconvénient majeur que des gendarmes, plus au fait du terrain que les énarques de la Place Beauveau, m’ont confirmé : dans une enquête, l’ancienne numérotation départementale permettait de recueillir des témoignages sûrs. Une voiture immatriculée 93 ou 92, par exemple, ne passe pas inaperçue dans la Creuse ou la Lozère. Trouver un véhicule Peugeot 306 de couleur grise avec un phare cassé et immatriculé dans l’Indre, c’est beaucoup plus facile que de trouver le même véhicule immatriculé dans un système étendu sur le territoire national.

Enfin, le nouveau système permettrait d’économiser des postes en supprimant les services « cartes grises » de toutes nos préfectures. A la louche, c’est combien de fonctionnaires en moins sur toute la France ? Quelques centaines… Tout ça pour ça ? Bigre !

En fait, cette décision ne répond qu’à un seul objectif. Il est idéologique. Il s’agit de bien montrer que là encore, il faut s’a-dap-ter. Il faut quitter nos lubies françaises et faire comme les autres. En finir avec le modèle français, qu’il soit social, républicain ou administratif. Et complaire à tous les rapports Attali de la Terre. Ce n’est donc pas un hasard si c’est sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy qu’a été initiée cette réforme et sous son mandat qu’elle a été mise en place. Quand Nicolas Sarkozy se plaint du fait que les magasins ne soient pas ouverts le dimanche pour Madame Obama et ses fillettes, cela participe de la même réflexion.

Pour ma part, je vois tout de même un avantage à ces plaques de la mondialisation. Dans vingt ans, dans trente ans, dans cinquante même, elles rappelleront à notre peuple qu’il a un jour permis à Nicolas Sarkozy d’accéder à la présidence de la République. Un châtiment pour les yeux. Mais mérité.

C’est du propre !

5

On a bien rigolé sur Facebook hier : pendant toute la journée sur la colonne de droite réservée à la pub, on a pu lire une réclame intitulée : « Ralph Lauren Polo Sale ». Se pourrait-il qu’après la mode des vêtements vendus prématurément usés, l’usage se répande de les proposer aux consommateurs des polos déjà crades ? N’en rajoutons pas, le « sale » en question signifiait soldes, et on avait laissé en anglais le titre de l’annonce (rédigée, elle, en bon français) sans doute pour faire chic. Finalement quelqu’un a dû se rendre compte de la boulette, puisque l’annonce est désormais titrée « Ralph Lauren Polo », ce qui fait moins tache.

Thierry Jonquet rattrapé par le Moloch

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Il semblerait que les auteurs de romans noirs meurent jeunes, ces temps-ci et notamment ceux pratiquant la littérature de combat. Après ADG, après Fajardie, c’est au tour de Thierry Jonquet, à 55 ans, de se faire rattraper par le Moloch, cette monstrueuse figure qui avait donné son titre à l’un de ses plus grands romans.
Moloch, comme le dieu cruel qui réclame des sacrifices humains à l’image de nos sociétés de marché que Jonquet, militant pendant de longues années à « Lutte ouvrière » puis à la « Ligue », avant qu’elle ne devienne le NPA, cette annexe médiatique de la contestation boboïsée, avait décidé d’explorer avec cette froideur méthodique et discrètement désespérée qui fait les grands écrivains réalistes.

Pour en savoir plus sur l’engagement politique tel que le concevait Jonquet, on pourra lire le beau roman d’apprentissage, Rouge, c’est la vie qu’il a consacré à cette période où la fraternité révolutionnaire était une fête qui sentait bon la clandestinité, l’amitié et l’espoir. Son antistalinisme un rien rabique[1. Nobody is perfect.] de trotskyste l’amena aussi, au début de sa carrière de romancier, sous le pseudonyme de Ramon Mercader, à écrire Du passé faisons table rase, un roman à clef sur la résistible ascension d’un secrétaire général du PCF et qui se révèle un passionnant whodunit dans les travées du comité central.

Mais l’essentiel de l’œuvre de Jonquet est ailleurs. Ayant travaillé pendant des années comme ergothérapeute en gériatrie et en psychiatrie avant de devenir instituteur spécialisé, il a exploré in vivo les détresses, les folies et les pathologies meurtrières et apporté des thèmes tout à fait nouveaux au roman noir, par exemple avec Mygale où un père venge sa fille violée en séquestrant le coupable et en le transformant en femme par des injections d’hormones, ou encore dans La belle et la bête, réécriture achélémienne du conte de Perrault avec un inoubliable personnage de vieux conservant ses ordures dans son appartement[2. Pour l’anecdote, ce roman eut en son temps l’honneur de porter le numéro 2000 de la Série Noire.].

Cette manière de jouer avec le réalisme fantastique trouvera son sommet dans Ad vitam aeternam, un de ses premiers gros succès de librairie. Thierry Jonquet savait néanmoins parfaitement maîtriser les codes du genre et son diptyque, Les Orpailleurs suivi de Moloch, où l’on retrouve les mêmes personnages de flics et de juges, forme une saga unanimiste, à la Mc Bain, qui restera une référence quand on voudra se documenter sur la France des années 1990. De même, Thierry Jonquet est-il, à notre connaissance, le seul écrivain dans Mon vieux à avoir abordé la canicule de 2003 pour ce qu’elle était réellement : le fiasco d’un Etat-providence mis à genoux doublé d’un phénomène pré-apocalyptique.

Thierry Jonquet savait que le métier d’auteur noir comporte des risques, notamment celui de choquer les bonnes consciences en apportant de mauvaises nouvelles, simplement parce qu’on décrit ce qui se passe, ce qui se passe vraiment. Ainsi, n’ayant jamais sombré dans le polar de divertissement anxiolytique ou le catéchisme de la gauche tendance angélique, il avait publié un roman dont le titre emprunté à un vers de Victor Hugo, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte[3. Qui lui valut en 2007 la médaille d’honneur de la LICRA.] décrivait le quotidien d’une enseignante débutante dans une zone sensible en proie aux pulsions communautaristes.

Ecrire que les opprimés pouvaient se conduire comme des salauds, voilà qui n’a évidemment pas plu à tout le monde. Pour certains, Karl Marx n’est qu’un barbu altermondialiste sympa grâce auquel on fait des beaux T-shirts, pour d’autres, comme Jonquet – et nous-mêmes –, la leçon de « La lutte des classes en France » n’est pas de celles qu’on n’oublie : oui, c’est bien le lumpenprolétarariat marionnettisé par les dominants qui a noyé dans le sang la tentative de révolution ouvrière en juin 1848.

Jonquet a su faire preuve du même refus du simplisme sur un autre dossier plus que chaud (mais est-ce vraiment un autre dossier…), le conflit israélo-arabe. Là encore, il a désespéré nombre de ses anciens camarades, ceux pour qui l’ostension d’un keffieh tient lieu d’analyse globale. Et quand, notamment aux côtés de « La Paix Maintenant », il militait pour une paix juste au Proche Orient, c’est bel est bien d’une vraie paix, donc vraiment juste pour les deux camps qu’il parlait. Sa première prise de conscience politique lui est venue en découvrant la Shoah : il en parlera très explicitement dans les Orpailleurs mais de fait il en parlera toujours.

Ce devoir de déplaire, voire de tirer contre son propre camp dans une tradition toute bernanosienne, Jonquet l’avait assumé jusqu’au bout. C’est pour cela qu’il lui arrivera ce qui arrive assez peu souvent aux écrivains «de genre» ou aux écrivains tout court, d’ailleurs : être relus.

Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

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