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Pour le catastrophisme écolo


Pour le catastrophisme écolo

À en croire le libre et joyeux penseur Luc Rosenzweig, l’écologie politique, dont les tenants sont qualifiés par lui de « flics verts » « réchauffistes », toujours prompts à recourir à la « jérémiade » et à « l’injonction comminatoire » pour empêcher les braves gens de jouir et de penser sans entraves, constituerait un nouveau moyen de contrôle des foules, mais aussi un nouvel avatar d’une pensée eschatologique nécessairement un peu ridicule dans sa prétention grotesque à « sauver le monde ». Ce serait encore un étouffoir de débats citoyens (c’est vrai qu’on manque de débats de nos jours, en particulier ici sur Internet), et même une école de mépris des générations futures, pauvres petits n’enfants encore à naitre qu’on n’écoute même pas. Rien que ça. Avant même le déluge, Luc Rosenzweig n’a pas hésité à charger la barque de l’écologie politique, qualifiée de « pensée apocalyptique » et dotée au passage du statut peu enviable de pensée dominante[1. Proposition pour une nouvelle entrée dans un dictionnaire des idées reçues contemporaines. Dominant : pensée dominante. Tonner contre.], s’attirant ainsi les vivats, les hourras et les bravos d’une bonne partie de la foule causeurienne pour s’en être pris si courageusement aux « instances morales et politiques » tout entières sous influence de la pieuvre réchauffiste. Dans cet article, je le dis comme je le pense, Luc Rosenzweig, malgré tout le talent de polémiste que je lui reconnais volontiers, a tout faux.

Commençons par les accusations de manipulation du bon peuple par les écolos. Qui connaît ne serait-ce que de loin la façon de fonctionner du parti écologiste aujourd’hui en France ne peut qu’être éberlué par l’affirmation selon laquelle les écolos auraient trouvé dans un discours culpabilisateur « un moyen commode de gestion de la foule ». En somme, en culpabilisant les gens, les écologistes travailleraient au profit du pouvoir sarkozyste pour éviter que les braves gens ne s’en prennent au gouvernement. Je ne sais pas pour vous mais pour moi, Cochet et Baupin en machiavels jésuitiques au service du Pouvoir avec un grand P, ça le fait pas trop. On est là en pleine théorie du complot, variante droite libérale. Et il s’agit en outre d’un parfait contresens. Car les Verts aujourd’hui font tout pour faire oublier la dimension morale du projet de société qu’ils défendent. L’écologie c’est bien, nous dit-on, parce que c’est juste et social. « Du bio pour tout le monde », voilà la seule façon de faire passer l’indigeste pilule verte : le discours des droits. L’écologie est un droit de l’homme comme les autres ! On est loin, très loin du discours éthique, culpabilisateur peut-être, des pères fondateurs de l’écologie politique, René Dumont, Jacques Ellul ou Hans Jonas, aujourd’hui parfaitement inaudible dans un contexte politique d’extension infinie du domaine des droits.

Contrairement à Luc Rosenzweig, les adversaires de l’écologie politique ne s’y trompent d’ailleurs pas puisque c’est sur ce point douloureux qu’ils insistent. L’écologie, c’est pas cool parce que ça impose des contraintes à de pauvres gens qui souffrent déjà bien assez comme ça par ailleurs. Elitiste, réactionnaire, ringard, ce sont les épithètes que la gauche sociale et moderne balance sans discontinuer depuis des années sur le parti écologiste pour le discréditer. Terrifiés à l’idée d’être considérés comme antimodernes ou pas assez sociophiles, les écologistes tentent d’ailleurs souvent pathétiquement de faire de la surenchère dans ces deux domaines. Un bon exemple avec cette tribune de Denis Baupin parue dans Libération du 5 août. Pas une trace de culpabilisation des braves gens là-dedans, mais tout plein de modernité, d’optimisme, de justice sociale et d’émancipation.

À droite, même si on ne se prive pas de ringardiser les écologistes en même temps que le reste de la gauche de plus en plus souvent qualifiée de « conservatrice » (un compliment si vous voulez mon avis), on procède autrement pour désamorcer la charge morale du discours écolo : on le récupère à des fins publicitaires. N’importe quel geste aujourd’hui est devenu éthique, écologiste. La sacro-sainte croissance elle-même sera écologique ou ne sera pas. Aujourd’hui, un label « éco plus » quelconque est apposé sur la carlingue des bagnoles et le tour est joué. Le pollueur devient un vertueux « écocitoyen ». Le geste le plus anodin, jeter ses ordures, conduire sa voiture, assaisonner sa salade devient grâce à la diffusion publicitaire d’un certain discours « écologique » un geste moral, c’est-à-dire un geste « citoyen » et « militant ». Je ne sais plus qui écrivait au moment de la détention de Florence Aubenas que la France avait trouvé à cette occasion le moyen « de se célébrer elle-même, de renforcer et même de sanctifier les pires de ses activités ordinaires ». Il en va de même aujourd’hui avec le développement du bio et (par exemple) la célébration de toutes les formes de « circulation douces », telles que la marche ou le vélo, pourtant pratiquées par l’humanité depuis des lustres sans qu’elle en fasse tout un plat. Loin de culpabiliser les foules, le discours écolo, en contradiction avec celui de ses pères fondateurs répétons-le, donne l’occasion à tout un chacun de sanctifier les plus ordinaires de ses activités ordinaires. L’écologie est devenue le supplément d’âme du consommateur éclairé.

Deuxièmement, faire des écologistes des disciples modernes de Prométhée, grâce à qui tout est devenu possible ici bas, un apôtre vert de la « sobriété » décroissante pourrait trouver ça un peu gonflé. Les meilleurs théoriciens de l’écologie politique ont passé leur temps à stigmatiser l’hybris moderne selon lequel, grâce au développement démentiel des possibilités ouvertes par la technique, tout deviendrait possible justement (et « tout devient possible », ce n’était pas franchement le slogan de campagne de Dominique Voynet, si je me souviens bien). Cette mentalité est parfaitement caractéristique de la modernité libérale déchainée à quoi s’oppose l’écologie politique dans ce qu’elle a de meilleur, notamment lorsqu’elle ne sombre pas dans un volontarisme débridé emprunté à ses adversaires idéologiques. S’il est un modèle de cet « autre monde » que chantent sur tous les tons les altermondialistes, c’est bien ce monde édénique de l’opulence généralisée que les visionnaires de l’économie politique ont entrevu il y a déjà plus de deux siècles pour reléguer aux oubliettes cet ancien régime maudit, qui dans l’imaginaire moderne gravait dans le marbre les différences de conditions. Mettre sur le dos de l’écologie le processus moderne de déification de l’humanité par elle-même, voici un deuxième contresens majeur.

Troisièmement, accuser les écologistes d’étouffer le débat sur les mesures à prendre pour faire face aux conséquences du changement climatique est un peu fort de café, aussi bio et équitable soit-il. Où en seraient les débats sur les mesures à prendre face aux changements climatiques, si l’on ne reconnaissait même pas le problème ?

Quant au fait de savoir si l’humanité s’adaptera aux changements climatiques et autres provoqués par sa propre action sur la planète, il est fort probable que Luc Rosenzweig a raison et que l’homme s’adaptera. Mais à quel prix ? Car comme l’écrit Hans Jonas, « la question n’est pas, cela [l’adaptation] marchera-t-il ? (on doit craindre que si), mais : à quoi l’homme doit-il s’habituer ? À quoi a-t-on le droit de le forcer ou de l’autoriser à s’habituer ? Par conséquent : quelles conditions de son adaptation a-t-on le droit de laisser naître ? ».

Personnellement les écolos, je les veux encore plus pleureurs et alarmistes, encore plus conservateurs, encore plus vieux cons, encore plus cassandres, (et un peu moins papophobes, même si à l’impossible, on le sait tous maintenant, nul n’est tenu). Je les voudrais tout aussi conservateurs culturellement qu’ils le sont quand il s’agit de la nature. C’est un vœu pieu bien sûr car ce programme ne leur attirerait guère de suffrages – sinon le mien et celui de quelques amis, mais j’ai peur que cela ne suffise pas – et contredirait les convictions profondes et la rebellitude routinière d’une bonne partie de leur électorat traditionnel. Cela les rapprocherait pourtant de leur substrat idéologique le plus cohérent et leur permettrait peut-être à long terme d’être plus audibles dans un monde déjà saturé par ailleurs de modernolâtrie et de « pensée positive et joyeuse ».

Je sais, il n’y a guère de risques que Cécile Duflot m’appelle demain pour me proposer un poste de spin doctor.

Septembre 2009 · N°15

Article extrait du Magazine Causeur



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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