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Billet vert, poudre blanche

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On ne remerciera jamais assez l’association des chimistes américains. Grâce à eux, la forte addiction à l’argent qui semble être l’une des caractéristiques les plus étonnamment mortifères du néo-capitalisme en phase terminale vient d’être enfin élucidée.

Pourquoi Madoff ? Pourquoi Kerviel ? Pourquoi les parachutes dorés ? Pourquoi les staukopcheunes ? Pourquoi les annonces simultanées de plans sociaux et de profits record ? Tout cela finalement était aussi mystérieux que l’Atlantide, la part des anges dans les caves de Cognac, le charme d’une contre-rime de Toulet.

Des hommes apparemment normaux ont en effet précipité le monde dans une crise sans précédent en adoptant le cri de ralliement des ouvriers autonomes des usines Fiat pendant les grandes grèves insurrectionnelles de 69 à Turin : « Nous voulons tout ! »

Au début, on croyait que c’était de l’indécence, de la provocation, l’idée d’une lutte des classes poussée à son point d’incandescence orgasmique par une clique de financiers autistes certains de leur impunité, jouissant de leur toute-puissance tels des enchanteurs qui varient les métamorphoses.

On se disait qu’il y avait quelque chose de complètement irrationnel, tellement loin des calculs raisonnables d’Adam Smith ou de Frédéric Bastiat.

On se trompait.

Inutile de lire, désormais, L’Avare de Molière, La maison Nucingen de Balzac, La Curée de Zola, La grosse galette de Dos Passos ou même L’argent de Péguy dont nous avions naguère parlé ici. Les clés ne sont pas dans la littérature.

Ni chez Freud, ni chez Marx d’ailleurs. Vous n’allez tout de même pas croire ces absurdités sur l’équivalence entre fric et pulsion de mort, entre thésaurisation et rétention des excréments ou sur on ne sait quelle accumulation primitive du capital, plus-value, valeur d’échange, caractère fétiche la marchandise et autres billevesées communisantes ou rouges coquecigrues.

Non, l’amour de l’artiche, du flouze, des picaillons, du blé, du pognon, de la thune a une cause bien plus prosaïque comme nous l’expliquent les chimistes américains et leur association qui ne sont pas des têtes folles mais des scientifiques sérieux, des gars qui préféraient potasser la table des éléments de Mendeleïev plutôt que de perdre hâtivement leur pucelage sur la banquette arrière d’une Studebaker Hawk Gran Turismo au bal de fin d’année de leur aillescoule de Boulder (Colorado).

Pendant que leurs copains de promo devenaient tueurs en série ou intellectuels néocons, les chimistes américains, eux, palliaient leur manque de fantaisie par une certaine rigueur et remplaçaient les délires idéologiques par des expériences en laboratoire. Des types rassurants, on vous dit, les chimistes américains.

Imaginons-les, un dimanche matin, quelque part dans la chaleur de l’été louisianais où ne chantera plus le regretté et irremplaçable Mink Deville mort dans l’indifférence médiatique d’un mois d’août 2009, mais c’est une autre histoire. Nos chimistes s’accordent un mint julep, feuillettent les deux kilos de leur journal du dimanche et l’un dit soudain à l’autre :

– Sam, c’est quand même délirant, non, cette frénésie pour les dollars. Les gens sont devenus fous ou quoi ?
– Sincèrement, je ne sais pas, Jack, à croire qu’il y a quelque chose sur les biftons, du beurre de cacahuète ou du sirop d’érable.

Et là, pour rigoler, Sam et Jack passent dans leur labo et commencent à tester des réactifs sur une coupure de cinq.

C’est comme cela, pas autrement, que la vérité apparaît, nue et simple, sortant du puits des interprétations fumeuses pour se révéler dans son évidence scientifique : si les dirigeants de BNP Paribas, pour prendre un exemple parmi d’autres, ont provisionné un milliard d’euros pour verser des bonis à leurs traders, ce n’est pas parce qu’ils sont d’un égoïsme monstrueux, d’une inconséquence blessante ou d’une arrogance stupide, non, c’est tout simplement parce qu’ils sont accros, défoncés, déchirés, explosés par une substance illicite.

On dit que l’argent n’a pas d’odeur. On a bien tort. Sam et Jack, et tous leurs copains de l’association des chimistes américains viennent de publier les résultats d’une enquête très sérieuse. Cela tient en quelques chiffres : 90% des billets américains contiennent des traces de cocaïne allant de 0,006 microgrammes à 1,24 microgrammes soit l’équivalent, comme nous le signalent obligeamment les gazettes, de plus de cinquante grains de sable. Vous croyez être un banquier honnête, qui compte son argent et vous voilà, sans le savoir, à sniffer ligne sur ligne comme un romancier français jet-setter à la mode.

Il faudra s’en souvenir quand le temps de rendre des comptes sera venu. Et penser pour tous ces gens-là qui sont devenus spéculateurs malgré eux à des produits de substitution, un peu comme la méthadone pour l’héroïne.

La nationalisation, par exemple. Avec obligation de soins. Sinon, évidemment, ce sera la taule.

On veut bien être gentil, mais la culture de l’excuse, avec les drogués, c’est un peu facile.

Flic et voyou

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C’est encore et toujours de la France qu’il sera question ici, de son peuple imprévisible, d’où sortirent le meilleur et le pire : les héros amusés qui sourient quand on les fusille, les délateurs tranquilles, les épiciers du raisonnement et leurs grossistes, les enfants perdus, les intellectuels engagés, les mondains contristés, les flics à pèlerine, les commissaires de police obstinés. Longtemps, notre nation aima se représenter en mauvais garçon, en fille aimable et en milord mélancolique. Elle appréciait que Jean Gabin posât une main vigoureuse sur sa chute de reins et l’entraînât au milieu de la piste de danse. Elle se lassa, se trouva même odieuse, et ne s’installa devant sa psyché que pour tourner en grimaces ses postures coquines d’autrefois.

Examinons d’abord le CV de l’auteur. Il sent le soufre ; l’Algérie française, l’extrême droite, les réprouvés, les insoumis. Lorsque j’étais étudiant, il figurait parmi nos détestations. Il se disait chanteur de l’Occident. Il n’était ni vieux ni de notre génération. Il était résolu, grave, il avait l’air impitoyable, alors que nous nous posions une seule question : « Y-a-t-il une vie après le rock’n’roll ? ». Si je n’ai pas oublié son nom, ce fut grâce à son… prénom. Jean-Pax, cela me plaisait. Or, cet homme de fidélité, journaliste compétent, enquêteur honnête, est un excellent écrivain. Il est d’Afrique par ses racines et ses rêves, il est de France par sa langue. Son dernier livre, dédié à son père, Noël-Ange, né et mort à Marseille, agent secret de l’OSS, X2 branch sous l’Occupation, manifeste une très grande maîtrise : il tient de la biographie, du polar, du récit de guerre et d’Histoire.

Un flic chez les voyous nous accompagne dans la longue dérive d’une personne de tempérament, Robert Blémant. Elle commence à son entrée dans la police nationale, en 1931, comme «inspecteur provisoire» à Reims, elle se poursuit avec ses actions d’éclat dans le service du contre-espionnage, à Paris, avant puis pendant la guerre, et s’achève dans le banditisme, en 1965, à Marseille. Sur une photographie, il a de beaux yeux ombrés, qui lui font un regard levantin (il est né à Lille, mais il a séjourné six mois en Syrie, avec son régiment de Spahi), une physionomie ardente, dénuée de toute bonhomie malgré des joues pleines, des épaules puissantes, un je-ne-sais-quoi de pressé, de brutal. C’est une «présence», avec une aura saturée d’hormones mâles : un mec à l’ancienne. On le sent gouverné par un principe impérieux : il doit combattre, maîtriser, dominer. Robert l’élégant voulait être affranchi ou n’être pas. De policier d’élite, il devint voyou supérieur – rien de commun avec la racaille, les psychopathes et les analphabètes à front de bœuf qui peuplent la pègre. Le musculeux Blémant, jeune policier « pratiquant la boxe et l’équitation, gradué en Droit de la faculté de Lille, [parlant] l’idiome nord-africain », incarne la séduction qu’exerce le monde interdit sur certains représentants de l’ordre républicain. Il prend, à la fréquentation des pégriots et autres rusés du Milieu, un vrai plaisir et des manières : la mise impeccable, le chapeau sur l’œil, les amitiés viriles.

Patriote sincère sous l’Occupation, à la DST, il débusque les agents double, et court tous les risques. Résistant de l’intérieur, condamné à mort par la Gestapo, il doit fuir.
L’auteur suit toutes les traces laissées par son « héros » fascinant à Lille, Paris, Marseille, en Afrique du nord. Il est à ses côtés dans ses traques et dans ses planques, il est avec lui lorsqu’il interroge sans ménagement les ennemis de la France. Il le voit glisser imperceptiblement vers la zone du risque, y pénétrer, revenir de ses premiers périples chez les «durs», s’imprégner des mœurs et des codes de ses futurs alliés. Il le sent prêt à basculer de l’autre côté du mur, où l’attend un second destin, celui-ci fondé sur ses contradictions, ses espoirs déçus et ses tentations. Blémant a fait depuis toujours le choix de la vie dangereuse, il goûte la rivalité, le péril. Il a vaincu les Allemands, il veut encore survivre aux truands, les humilier sur leur propre terrain. Il les défie, il continue à les combattre. Mais il est devenu l’un d’entre eux, le meilleur de tous.

Quel défilé d’employés du crépuscule que ce livre ! Stipendiés de l’Abwehr, faufilés des barrières, marlous, maquereaux en costume rayé et chaussures bicolores, blafards des ruelles sombres, silhouettes imprécises au service des uns et des autres, dans la grande confusion des genres et des personnels. Voici Henri Lafont, qui « roule dans Paris en Bentley blanche ». Il loge, avec sa bande, au 93, rue Lauriston : tous parfumés de crapulerie ! Et voici les séides de Robert Blémant, grâce auxquels le jeune commissaire espère infiltrer les « lauristoniens » : Alsfasser, par exemple, a cambriolé en compagnie de Charles Cazauba, dit Charlot le Fébrile ou le Manchot, recrutés par M. Henri. Ou encore Albert Pin « en relation d’affaires avec Robert Gourari et le recycleur de cadavres Jean Bartel, alias Jean le Chauve, premiers couteaux » de Lafont. Ou ce Raggio, qui fut si proche de Carbone, lié à Émile Buisson et à Albert Danos « flingueurs patentés, qui hésitent encore entre la Résistance et la collaboration ».
Blémant assume tout : les recrues douteuses, les bavures, les éliminations : on ne lutte pas contre les espions nazis avec des enfants de chœur !

On croise également des hommes honorables, tel Roger Wibot, patron de la DST très active dans les premiers moments de la Libération ; des politiciens ambitieux, comme Gaston Deferre, vigoureux conquérant de la mairie de Marseille, la ville où Robert Blémant, « commissaire de police de 1re classe, 1er échelon, est nommé chef de la Brigade de surveillance du territoire », le 13 décembre 1944. Gaston devient maire en 1953.

Marseille ! La ville, aux mains de la pègre, règle les comptes des années terribles. Au-dessus du lot de l’ordinaire voyoucratie, deux frêres : Antoine et Barhélémy, dit Mémé, Guérini. Ils ont toujours été proches du Parti socialiste. Pendant la guerre, Mémé s’est engagé auprès des résistants, alors qu’Antoine semblait plus effacé. Mais enfin, sur le Vieux Port, leur réputation n’a rien à craindre de l’épuration. Les Guérini sont d’habiles hommes d’affaires. Ils achètent des bars, des clubs, les rénovent, en font des lieux chics peuplés de jolies filles peu farouches.

Pour le commissaire Blémant, c’est le début du grand virage. Le 5 avril 1949, il remet sa démission des cadres de la Sûreté nationale. Patron du cabaret « Le drap d’or », à Paris, il y accueille des membres éminents de la grande truanderie à qui il fournit éventuellement des alibis. Il lui arrive aussi d’effectuer des missions pour le SDECE et la Sécurité militaire, comme à Tanger où l’appellent ses propres affaires. En 1956, il est enfin décoré de la Légion d’honneur au titre de la Résistance, à laquelle s’ajoutent trois croix de guerre. Roger Wibot, qui le retrouve après douze années, lui ouvre les bras : « J’aime, je l’avoue, ces montreurs d’ombre, ces âmes de clair-obscur. »

Mais Antoine Guérini veut éliminer ce rival insolent. Un contrat est lancé sur sa tête. Il n’en a cure : « Il sait […] que la mort d’un homme est inéluctable lorsqu’elle a été décidée par des gens sérieux. » En effet : deux rafales de pistolet-mitrailleur Mat 49 l’expédient ad patres le 5 mais 1965, alors qu’il conduit sa Mercedes toute neuve, près de Marseille. Mémé Guérini avait prédit une « catastrophe » à ceux qui tueraient « le commissaire ». Elle vint rapidement. Les tueurs de Blémant furent systématiquement éliminés, Antoine périt assassiné dans son automobile « bleu-nuit, ornée à ses initiale ». Peu après, Mémé était arrêté, condamné à vingt ans de prison pour la mort du petit malfrat qui avait eu l’impudence de cambrioler la maison de son frère le jour de ses obsèques…

Ainsi s’achève l’itinéraire d’un enfant de France, flic et voyou, un homme parmi les autres, qui exigea de la vie plus que sa part d’apparences, et finit par traverser le miroir où se reflétait un petit César républicain.

Little Caesar (1930), film de Mervyn LeRoy, avec Edward G. Robinson, Douglas Fairbanks, Glenda Farrell. L’ascension et la chute d’un homme qui veut régner sur les gangsters de Chicago.

Un flic chez les voyous: Le commissaire Blémant

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Mieux que Ségolène !

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Pour Hans–Rudolf  Merz, président de la Confédération helvétique, autrement dit le plus ancien dans le grade le plus élevé de la suisserie, Canossa s’appelle Tripoli. Il vient d’aller baiser la babouche de Mouammar Kadhafi en battant sa coulpe comme un malade à propos des désagréments subis il y quelque mois à Genève par Hannibal, un des fils du raïs libyen. Ce dernier fut mené au poste menotté par les pandores de la cité de Calvin, après une plainte d’un couple de domestiques pour mauvais traitements. Furieux, Kadhafi retire alors cinq milliards de dollars planqués dans les coffres helvétiques, et embastille deux ressortissants suisses par mesure de rétorsion. Sont pas fiers, les Suisses, et surtout définitivement radins : il préfèrent payer une « rançon morale » que de perdre un bon client de leurs banques.

Burqa : j’ai changé d’avis !

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Me serais-je emballé trop vite en proposant ici même qu’on légifère fissa contre la burqa ? Je m’interroge.

On me l’a répété tout l’été : pourquoi stigmatiser ces femmes qui, si on ne les montrait pas du doigt, passeraient totalement inaperçues? Cet argument, qu’il soit rabâché par Eric Besson ou par Marie-George Buffet, n’est pas dénué de logique formelle : après tout, rendre les femmes invisibles est bel et bien l’objet social de ladite burqa. Mais d’autres événements estivaux sont venus étayer mes velléités de virage de cuti sur la question.

Tout d’abord, alors que le pays redécouvre les dangers de la canicule, force est de constater que les porteuses de voile intégral sont moins exposées que leurs sœurs impies aux misères de l’insolation et donc des cancers cutanés afférents. Depuis des décennies, les multinationales cosmétiques s’escrimaient à inventer le véritable écran total : vous bilez plus, les mecs, on l’a trouvé ! Désormais, il ne restera plus qu’à régler quelques petits problèmes liés à l’hypersudation…

Toujours dans l’optique du principe de précaution, un autre argument plaide en faveur de l’autorisation du port de la burqa, voire de son caractère obligatoire : l’épidémie de grippe A. Non seulement la burqa fait office de masque antiviral, mais en outre, le code moral qui va avec, guère propice au frotti-frotta – même le plus prétendument innocent – est un rempart phénoménal contre la contamination par contact direct. Laver ses mains cinq fois par jour, c’est bien, ne jamais s’en servir, c’est mieux !

Enfin l’actualité nous sert un dernier argument en faveur d’une tolérance bien pensée. Car ce vêtement que j’ai moi-même fautivement qualifié d’archaïsme peut se révéler d’une totale modernité. Comme vous, j’ai été ému par ses images télévisées de femmes afghanes votant pour la première fois de leur vie, malgré les menaces des talibans. Mais auraient-elles pu le faire si on n’avait pas mis à leur disposition ces magnifiques isoloirs individuels et portatifs ?

Zemmour 2012

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Ce matin, j’ai eu le plaisir d’écouter Eric Zemmour dans mon poste. Il était l’invité d’Alexandre Ruiz dans une émission estivale sur l’humour. Et, au détour d’une phrase, Eric nous la joue « Caliméro » en témoignant de son découragement[1. Il a failli quitter « On n’est pas couché » et on doit à Eric Naulleau d’avoir échappé à cette catastrophe. Que ce dernier en soit remercié chaleureusement. Mon salut est sur lui, comme il aime l’écrire lui-même.]. Il a passé une année difficile et Internet, où il est insulté constamment, n’est pas pour rien dans son état d’esprit.

Et c’est là que je me suis décidé à prendre mon clavier. Pour le rassurer. Non, il n’y a pas que des gens qui le détestent sur le ouaibe ! Un blog, dont l’objet semble de lui vouer un culte, reprend toutes ses interventions télévisées et radiophoniques. Moi-même, je l’ai nommé à mes Antidotes d’Or (plus précisément, il s’agit de l’Antidote du courage politique) de décembre dernier et ai intitulé un autre trophée « Antidote zemmourien ». Je vais donc faire mieux que tout cela et appeler officiellement aujourd’hui à une candidature Zemmour aux prochaines élections présidentielles[2. D’ailleurs depuis quelque temps un groupe s’est constitué, pas à mon initiative, précisé-je, sur Faissebouque.].

On peut s’étonner d’un tel appel pour une personnalité de la presse et de la télé, lesquelles ne sont pas ménagées ici, mais il faut bien voir les choses en face. Zemmour, comme le disait un jour Paul-Marie Couteaux, nous amène à l’humilité, nous qui défendons un certain nombre de valeurs, et qui furent affublés par un célèbre quotidien véspéral du nom, qui se voulait peu aimable, de nationaux-républicains. Humilité, parce qu’en une émission du samedi soir, il est beaucoup plus efficace que nous autres avec nos tracts pendant une année pour faire passer certains messages. C’est pourquoi aujourd’hui, il se pourrait bien qu’il soit ce dénominateur commun qu’attendent souverainistes perdus et mendiant Xavier Bertrand, gaullistes authentiques dans un parti sans moyen, républicains che-vainement-tristes, et communistes auldescoules[3. Comme dirait Jérôme Leroy qui en est, justement.]. Ceux qui regrettent un temps où le Politique avait vraiment la volonté de décider, qu’il n’abandonnait pas ses responsabilités à des instances irresponsables et extra-nationales.

Eric Zemmour serait victime d’un tropisme trop droitier ? Rien n’est plus faux, même s’il cède lui-même parfois à la caricature sans doute dans un but louable de simplifier le message. Pourtant, je n’entends pas si souvent des journalistes reprendre à leur compte des analystes marxistes de l’économie comme il le fait fréquemment. Et si on l’écoute bien, on s’aperçoit qu’il pioche davantage chez Chevènement que chez Villiers. Sans doute, d’ailleurs, son admiration pour celui que certains villiéristes doivent encore surnommer l’Usurpateur, doit y être pour quelque chose.

Alors, faisons un peu – beaucoup ? – de politique-fiction. Imaginons qu’Eric Zemmour m’écoute et se porte candidat. Les parrainages ? Une formalité pour quelqu’un de cette notoriété. Les maires regardent la télé. Pas besoin de piquer Guaino à Sarko. Là, le candidat saurait écrire. Ecrire des discours républicains, bien sûr. Et écrire dans un bon français.

Allons plus loin dans la fiction. Il est élu. Chevènement, un vieux sage connaissant bien l’Etat, est appelé à Matignon par le nouveau président. Séguin est au Quai d’Orsay, André Gérin à l’Intérieur, Dupont-Aignan à Bercy. Mais on trouve aussi dans le gouvernement Maxime Gremetz et Philippe de Villiers, qui a fini par claquer la porte du comité Théodule Sarko au bout de trois réunions[4. Je vous ai dit que c’était de la fiction.]. Cela n’aurait pas de la gueule ? Allez, Zemmour ! Débarrassez-nous de Sarkozy ! Vos détracteurs n’ont pas compris que vous étiez l’anti-Sarko le plus intelligent de France. Il n’y a qu’ainsi que vous pouvez vraiment leur démontrer.

A La Mecque, y a pas un pèlerin !

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Ainsi les autorités sanitaires viennent-elles de déconseiller formellement aux aspirants hadjs le pèlerinage à La Mecque, pour cause de pandémie mondiale de grippe A (qu’on appellera surtout pas porcine en la circonstance). Choper la grippe dans le désert arabique en plein mois d’août, faut quand même le faire, mais le lieu est, paraît-il, propice aux miracles. Et puis, après tout, ce ne serait pas plus bizarroïde que les nombreux cas déjà avérés ces jours-ci d’insolation du côté du Tréport ou de Gérardmer.

Lettre à Fadela

Sincèrement, au départ, je n’avais aucune sympathie pour toi, Fadela. Je te tutoie parce que tu tutoies tout le monde, et pas par manque de respect pour tes fonctions ministérielles. Seulement, mes élèves de Roubaix qui te ressemblaient par leur mélange de niaque, d’arrogance, d’intelligence, d’énergie et au bout du compte, de tendresse, je les vouvoyais. Je n’étais pas agent de la BAC, tu comprends, j’étais prof.

Que l’anti autoritarisme simpliste de certains bien-pensants nous aient mis dans le même sac, flics et profs, c’était de bonne guerre. Si Sarkozy, ton idole, a vu trop de flics qui ressemblaient à des profs, j’ai vu, moi, trop de profs qui ressemblaient à des flics. Des flics du pédagogisme libéral-libertaire, mais des flics tout de même. Pires peut-être, dans leur genre.

Fadela, si je n’avais pas trop de sympathie pour toi, ce n’était pas simplement pour ton ralliement avec armes et bagages au sarkozysme. Et encore, te retrouver un temps, dans le même gouvernement et même dans le même ministère qu’une Christine Boutin, ce n’est pas ce que tu as fait de pire. Les médias ont voulu opposer la fille des banlieues à la défenderesse des valeurs catholiques. Sauf que Christine Boutin, tu vois, je me suis senti plus souvent proche d’elle que de toi. Oui, moi, l’athée marxiste, j’entendais davantage ce discours sur une culture de la vie, sur le refus de considérer les détenus comme des sous-hommes, sur l’économie au service de l’homme et non le contraire, sur ses sympathies pour Attac.

En revanche, tu vois, que tu aies accepté d’entrer dans un gouvernement où un ministre avait et a toujours, même si le titulaire a changé, dans l’intitulé de ses fonctions « L’identité nationale », ça, ça ne passe pas.

Fadela, toi tu arrivais avec l’aura de « Ni putes ni soumises ». Un combat indispensable sur le fond et désastreux sur la forme : un scoutisme sexuel qui renvoyait les hommes à une saloperie métaphysique de bousculeurs de gonzesse par essence, tandis que, comme tous les analphabètes en matière du marxisme, vous refusiez de poser problème en termes de classes, et dire tout simplement que si le prolo dominé a encore une prolette à dominer, c’est la beurette.

À mon avis, c’est cet analphabétisme marxiste (tu venais du PS, c’est normal…) qui a facilité ton entrée au gouvernement. Tu étais la sociétale idéale puis que tu ne parlais jamais de social. En plus, tu rassurais tout le monde. Ce que j’ai pu détester ton « parler banlieue », alors que mes quelques collègues encore républicains tentaient d’expliquer, précisément « qu’on ne parle pas comme ça », surtout si on veut s’approprier les codes des dominants, que « parler banlieue », c’est parler comme on attend que vous parliez pour rassurer le bourgeois sur l’ordre des choses. À se demander désormais, vieux problème de la poule et de l’œuf, si c’est le TF1 qui donne la parole au Zyva ou si c’est le Zyva qui imite TF1 parlant le zyva.

Bon, Fadela, tout ça pour te dire que je vais cesser de faire la fine bouche et soutenir tes déclarations sur la burqa : « La France, patrie d’un islam progressiste, se doit de combattre la gangrène, le cancer que représente l’islam radical qui déforme complètement le message de l’islam. La burqa ne représente pas simplement un morceau de tissu mais la manipulation politique d’une religion qui réduit les femmes à l’esclavage et va à l’encontre du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. »

Tu vois, parfois, ce n’est pas compliqué, le courage. D’une part, tu dis que l’islam n’est pas intrinsèquement pervers, enfin pas plus que toutes les autres religions qui sont un genre de publicité théologique, ou, pour reprendre les termes du Vieux, l’opium du peuple. Et de l’autre, tu réaffirmes clairement ce qu’il faut réaffirmer : la République ne transige pas avec l’égalité.

Et tu as remarqué ? Tu l’as fait en parlant français, pas zyva.

Tu commencerais à te rendre compte des pièges dans lesquels les communautarismes voudraient te faire tomber que ça ne m’étonnerait pas.

C’est le métier qui rentre.

Et sur ce coup-là, je te souhaite bonne chance.

En attendant, camarade ministre, de vous retrouver au Front de gauche.

Canicule, cornecul !

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Venant concurrencer la grippe A, avec des arguments imparables en termes de perceptibilité spontanée, la canicule (Take Two), s’est donc abattue sur la France. Manque de bol, on a souvent jeté à la poubelle les affichettes prophylactiques dès la fin juillet, après trois semaines de températures moyennes dignes d’Helsinki en novembre, voire de Saint-Valéry-sur-Somme en juin. D’où un effort redoublé des autorités pour expliquer aux populations qu’il faut impérativement s’hydrater, sous peine de voir les statistiques des décès exploser telles celles du chômage. Il faut boire, donc, mais attention, pas n’importe quoi. Si certains liquides sont salvateurs, figurez-vous que d’autres multiplient les risques de trépas. Heureusement, dans sa grande sagesse, le gouvernement a mis au point une méthode infaillible pour trier le bon grain de l’ivresse. Si la boisson que vous commandez au comptoir a bénéficié d’une TVA réduite (Coca light, Perrier-rondelle, thé à la menthe, etc.), vous pouvez y aller sans modération autre que la taille de votre vessie (cette même taille qui, selon Alfred Hitchcock, devrait déterminer scientifiquement la durée maximum d’un long-métrage). En revanche, si votre conso putative est toujours taxée à 19,6 % (Picon-bière, champagne rosé, mojito, etc.), alors là, méfiance : en pensant vous désaltérer, vous ne faites qu’aggraver la létalité potentielle de la canicule, sans parler des tracas collatéraux (retrait de permis, scènes de ménage, amendes pour miction sur la voie publique…)

Brad Pitt préfère les moutards aux pétards

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Après le monokini, une autre vache sacrée des années post-68 se retrouve sur la sellette : Brad Pitt vient d’annoncer qu’il ne kiffait plus la marijuana, dont il fut, comme la plupart de ses collègues de travail d’Hollywood, un consommateur assidu. Interviewé vendredi dernier dans l’émission de l’excellent Bill Maher sur HBO, qui lui rappelait qu’il l’avait vu, dans une fête, enquiller joint sur joint pendant toute la nuit, Brad a reconnu sans problème les faits, mais a juré qu’on ne l’y reprendrait plus : « Je suis papa maintenant. Je veux garder le contrôle, et j’étais un peu trop dans le brouillard lorsque je fumais. » Eh oui, quand on a six gosses à s’occuper, plus question de se les rouler…

Pataquès à Beyrouth

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Les dernières péripéties de la vie politique libanaise n’ont pas fait l’objet d’une attention, même minime, de médias français qui, pourtant, ramaient péniblement de marronnier en marronnier. On peut les comprendre, car la complexité du jeu politique au pays du Cèdre est de nature à décourager le mieux disposé des lecteurs, surtout lorsque les affrontements restent verbaux, donc non producteurs d’images sanglantes.

Néanmoins, l’incapacité du pays à se doter d’un gouvernement, plus de deux mois après les élections législatives du 7 juin dernier, est révélatrice d’une situation dégradée et préoccupante pour l’avenir immédiat.

Les Occidentaux s’étaient un peu trop vite réjouis de la victoire, lors de ces élections, du bloc du 14 mars, emmené par le leader sunnite Saad Hariri, sur celui du 8 mars, une alliance du Hezbollah chiite avec les maronites du Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun.

Le bloc majoritaire, alliant aux sunnites diverses factions chrétiennes et le Parti socialiste progressiste (PSP) du chef druze Walid Joumblatt avait comme ciment l’opposition à la mainmise de la Syrie sur le Liban. Il s’était constitué après l’assassinat, le 14 février 2005, de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, attribué par ses partisans aux services secrets syriens.

La guerre de juin-juillet 2006, déclenchée par Israël à la suite de provocations du Hezbollah le long de la frontière sud du Liban a eu pour conséquence le retrait, imposé par l’ONU, des forces syriennes stationnées au Liban. Damas acceptait également, pour la première fois dans l’histoire des relations syro-libanaises, d’établir des relations diplomatiques avec Beyrouth, une manière de reconnaître une souveraineté libanaise toujours contestée par son voisin.

Damas, cependant, gardait un pied politique et militaire au Liban par l’intermédiaire du Hezbollah et de sa puissante milice armée, dont l’approvisionnement en armement venu d’Iran transite, pour l’essentiel, par la Syrie.
Jusqu’au mois de mai 2008, celle-ci, par l’intermédiaire de ses alliés libanais, empêchait l’élection du président de la République, qui doit être un chrétien maronite selon la Constitution. L’opposition boycottait le scrutin, qui nécessite un quorum de deux tiers des députés présents. Cet obstacle fut surmonté à la suite des accords de Doha en juillet 2008 : l’opposition acceptait l’élection du général Michel Sleiman à la présidence, en échange d’une minorité de blocage dans le gouvernement d’union nationale qui devait être constitué après les élections législatives de juin 2009. Ces accords, cependant, faisaient l’impasse sur la question du désarmement de la milice du Hezbollah, pourtant exigée par l’ONU dans la résolution 1701 qui mettait fin à la guerre avec Israël.

Un mois avant les élections, le 7 mai, le Hezbollah passait à l’offensive armée contre les quartiers sunnites de Beyrouth et les Druzes de Walid Joumblatt, sous le futile prétexte du renvoi de ses « contrôleurs » de l’aéroport international de Beyrouth (en réalité des miliciens chargés de couvrir les trafics en tous genres du Hezbollah).
En fait, il s’agissait de faire comprendre aux alliés les plus fragiles de la coalition pro-occidentale où se situait la force réelle, quel que soit le résultat des élections.
L’apparente équanimité et le surprenant fair-play manifestés par les dirigeants du Hezbollah a la suite de leur défaite, le 7 juin, de l’alliance du 8 mars n’était pas, comme certains se sont plu à le croire, la manifestation d’adhésion du Parti de Dieu au code des bonnes mœurs démocratiques.
D’ores et déjà, les barbus étaient persuadés que cette coalition hétéroclite ne bénéficiait ni des moyens, ni des soutiens intérieurs et extérieurs susceptibles de mettre en œuvre le programme électoral souverainiste intransigeant sur lequel elle avait été élue.

Le retrait, le 4 août dernier, du PSP de Walid Joumblatt du bloc du 14 mars n’est pas une surprise pour ceux qui avaient eu connaissance des propos qu’il avait tenus, avant les élections, devant une assemblée de chefs de clans druzes, dans la montagne libanaise qui est le fief de cette minorité religieuse dissidente de l’Islam. En substance, il constatait que le « pays légal », tel qu’il ressortait des élections, était dangereusement éloigné du pays réel. Non seulement le découpage électoral permet à une coalition minoritaire en voix de se retrouver majoritaire au Parlement – ce qui s’est produit le 7 juin –, mais l’absence de recensement depuis 1960 distord encore plus ces résultats. En effet, la répartition des sièges dans les différentes circonscriptions est communautarisée en fonction de l’appartenance religieuse de la population. Chrétiens de diverses obédiences, musulmans sunnites et chiites, druzes se retrouvent ainsi représentés au parlement proportionnellement à leur importance démographique. Le « gel » de ce recensement est hautement politique : il vise à masquer le dramatique recul démographique des chrétiens, dû à un taux de natalité inférieur à celui des musulmans, et à une émigration massive vers l’étranger (France, Etats-Unis, Canada) pendant la guerre civile 1975-1990. A l’inverse, les chiites ont considérablement accru leur poids démographique dans la société libanaise.

Dans ce contexte, les Druzes, fidèles à leur tradition de soutenir les plus forts dans les Etats où ils se trouvent ( Liban, Syrie, Israël) en échange d’une large autonomie concédée à leurs clans, font le calcul qu’à moyen terme, le rapport de force devrait basculer du côté chiite, et qu’il convient, en conséquence de se rapprocher d’eux…

Walid Joumblatt n’en est pas à son coup d’essai en matière de renversement d’alliances : Son père, Kamal fondateur du PSP et lui même furent, dans les années 70-80 les soutiens de l’OLP de Yasser Arafat quand ce dernier défiait le pouvoir libanais et avait constitué un Etat dans l’Etat palestinien au pays du Cèdre.

Le rapprochement des Occidentaux avec la Syrie de Bachar el Assad n’incite pas non les Libanais à montrer leurs muscles face au grand voisin qui n’a pas renoncé à tirer les ficelles à Beyrouth. On attend toujours, d’ailleurs, l’arrivée d’un ambassadeur de Syrie dans la capitale libanaise. La commission internationale d’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri se fait très discrète depuis quelque temps, à l’inverse de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah qui prétend être en mesure de bombarder Tel Aviv.

À part ça, on se baigne toujours en bikini sur les plages de Beyrouth-est. Pour combien de temps ?

Billet vert, poudre blanche

78

On ne remerciera jamais assez l’association des chimistes américains. Grâce à eux, la forte addiction à l’argent qui semble être l’une des caractéristiques les plus étonnamment mortifères du néo-capitalisme en phase terminale vient d’être enfin élucidée.

Pourquoi Madoff ? Pourquoi Kerviel ? Pourquoi les parachutes dorés ? Pourquoi les staukopcheunes ? Pourquoi les annonces simultanées de plans sociaux et de profits record ? Tout cela finalement était aussi mystérieux que l’Atlantide, la part des anges dans les caves de Cognac, le charme d’une contre-rime de Toulet.

Des hommes apparemment normaux ont en effet précipité le monde dans une crise sans précédent en adoptant le cri de ralliement des ouvriers autonomes des usines Fiat pendant les grandes grèves insurrectionnelles de 69 à Turin : « Nous voulons tout ! »

Au début, on croyait que c’était de l’indécence, de la provocation, l’idée d’une lutte des classes poussée à son point d’incandescence orgasmique par une clique de financiers autistes certains de leur impunité, jouissant de leur toute-puissance tels des enchanteurs qui varient les métamorphoses.

On se disait qu’il y avait quelque chose de complètement irrationnel, tellement loin des calculs raisonnables d’Adam Smith ou de Frédéric Bastiat.

On se trompait.

Inutile de lire, désormais, L’Avare de Molière, La maison Nucingen de Balzac, La Curée de Zola, La grosse galette de Dos Passos ou même L’argent de Péguy dont nous avions naguère parlé ici. Les clés ne sont pas dans la littérature.

Ni chez Freud, ni chez Marx d’ailleurs. Vous n’allez tout de même pas croire ces absurdités sur l’équivalence entre fric et pulsion de mort, entre thésaurisation et rétention des excréments ou sur on ne sait quelle accumulation primitive du capital, plus-value, valeur d’échange, caractère fétiche la marchandise et autres billevesées communisantes ou rouges coquecigrues.

Non, l’amour de l’artiche, du flouze, des picaillons, du blé, du pognon, de la thune a une cause bien plus prosaïque comme nous l’expliquent les chimistes américains et leur association qui ne sont pas des têtes folles mais des scientifiques sérieux, des gars qui préféraient potasser la table des éléments de Mendeleïev plutôt que de perdre hâtivement leur pucelage sur la banquette arrière d’une Studebaker Hawk Gran Turismo au bal de fin d’année de leur aillescoule de Boulder (Colorado).

Pendant que leurs copains de promo devenaient tueurs en série ou intellectuels néocons, les chimistes américains, eux, palliaient leur manque de fantaisie par une certaine rigueur et remplaçaient les délires idéologiques par des expériences en laboratoire. Des types rassurants, on vous dit, les chimistes américains.

Imaginons-les, un dimanche matin, quelque part dans la chaleur de l’été louisianais où ne chantera plus le regretté et irremplaçable Mink Deville mort dans l’indifférence médiatique d’un mois d’août 2009, mais c’est une autre histoire. Nos chimistes s’accordent un mint julep, feuillettent les deux kilos de leur journal du dimanche et l’un dit soudain à l’autre :

– Sam, c’est quand même délirant, non, cette frénésie pour les dollars. Les gens sont devenus fous ou quoi ?
– Sincèrement, je ne sais pas, Jack, à croire qu’il y a quelque chose sur les biftons, du beurre de cacahuète ou du sirop d’érable.

Et là, pour rigoler, Sam et Jack passent dans leur labo et commencent à tester des réactifs sur une coupure de cinq.

C’est comme cela, pas autrement, que la vérité apparaît, nue et simple, sortant du puits des interprétations fumeuses pour se révéler dans son évidence scientifique : si les dirigeants de BNP Paribas, pour prendre un exemple parmi d’autres, ont provisionné un milliard d’euros pour verser des bonis à leurs traders, ce n’est pas parce qu’ils sont d’un égoïsme monstrueux, d’une inconséquence blessante ou d’une arrogance stupide, non, c’est tout simplement parce qu’ils sont accros, défoncés, déchirés, explosés par une substance illicite.

On dit que l’argent n’a pas d’odeur. On a bien tort. Sam et Jack, et tous leurs copains de l’association des chimistes américains viennent de publier les résultats d’une enquête très sérieuse. Cela tient en quelques chiffres : 90% des billets américains contiennent des traces de cocaïne allant de 0,006 microgrammes à 1,24 microgrammes soit l’équivalent, comme nous le signalent obligeamment les gazettes, de plus de cinquante grains de sable. Vous croyez être un banquier honnête, qui compte son argent et vous voilà, sans le savoir, à sniffer ligne sur ligne comme un romancier français jet-setter à la mode.

Il faudra s’en souvenir quand le temps de rendre des comptes sera venu. Et penser pour tous ces gens-là qui sont devenus spéculateurs malgré eux à des produits de substitution, un peu comme la méthadone pour l’héroïne.

La nationalisation, par exemple. Avec obligation de soins. Sinon, évidemment, ce sera la taule.

On veut bien être gentil, mais la culture de l’excuse, avec les drogués, c’est un peu facile.

Flic et voyou

125

C’est encore et toujours de la France qu’il sera question ici, de son peuple imprévisible, d’où sortirent le meilleur et le pire : les héros amusés qui sourient quand on les fusille, les délateurs tranquilles, les épiciers du raisonnement et leurs grossistes, les enfants perdus, les intellectuels engagés, les mondains contristés, les flics à pèlerine, les commissaires de police obstinés. Longtemps, notre nation aima se représenter en mauvais garçon, en fille aimable et en milord mélancolique. Elle appréciait que Jean Gabin posât une main vigoureuse sur sa chute de reins et l’entraînât au milieu de la piste de danse. Elle se lassa, se trouva même odieuse, et ne s’installa devant sa psyché que pour tourner en grimaces ses postures coquines d’autrefois.

Examinons d’abord le CV de l’auteur. Il sent le soufre ; l’Algérie française, l’extrême droite, les réprouvés, les insoumis. Lorsque j’étais étudiant, il figurait parmi nos détestations. Il se disait chanteur de l’Occident. Il n’était ni vieux ni de notre génération. Il était résolu, grave, il avait l’air impitoyable, alors que nous nous posions une seule question : « Y-a-t-il une vie après le rock’n’roll ? ». Si je n’ai pas oublié son nom, ce fut grâce à son… prénom. Jean-Pax, cela me plaisait. Or, cet homme de fidélité, journaliste compétent, enquêteur honnête, est un excellent écrivain. Il est d’Afrique par ses racines et ses rêves, il est de France par sa langue. Son dernier livre, dédié à son père, Noël-Ange, né et mort à Marseille, agent secret de l’OSS, X2 branch sous l’Occupation, manifeste une très grande maîtrise : il tient de la biographie, du polar, du récit de guerre et d’Histoire.

Un flic chez les voyous nous accompagne dans la longue dérive d’une personne de tempérament, Robert Blémant. Elle commence à son entrée dans la police nationale, en 1931, comme «inspecteur provisoire» à Reims, elle se poursuit avec ses actions d’éclat dans le service du contre-espionnage, à Paris, avant puis pendant la guerre, et s’achève dans le banditisme, en 1965, à Marseille. Sur une photographie, il a de beaux yeux ombrés, qui lui font un regard levantin (il est né à Lille, mais il a séjourné six mois en Syrie, avec son régiment de Spahi), une physionomie ardente, dénuée de toute bonhomie malgré des joues pleines, des épaules puissantes, un je-ne-sais-quoi de pressé, de brutal. C’est une «présence», avec une aura saturée d’hormones mâles : un mec à l’ancienne. On le sent gouverné par un principe impérieux : il doit combattre, maîtriser, dominer. Robert l’élégant voulait être affranchi ou n’être pas. De policier d’élite, il devint voyou supérieur – rien de commun avec la racaille, les psychopathes et les analphabètes à front de bœuf qui peuplent la pègre. Le musculeux Blémant, jeune policier « pratiquant la boxe et l’équitation, gradué en Droit de la faculté de Lille, [parlant] l’idiome nord-africain », incarne la séduction qu’exerce le monde interdit sur certains représentants de l’ordre républicain. Il prend, à la fréquentation des pégriots et autres rusés du Milieu, un vrai plaisir et des manières : la mise impeccable, le chapeau sur l’œil, les amitiés viriles.

Patriote sincère sous l’Occupation, à la DST, il débusque les agents double, et court tous les risques. Résistant de l’intérieur, condamné à mort par la Gestapo, il doit fuir.
L’auteur suit toutes les traces laissées par son « héros » fascinant à Lille, Paris, Marseille, en Afrique du nord. Il est à ses côtés dans ses traques et dans ses planques, il est avec lui lorsqu’il interroge sans ménagement les ennemis de la France. Il le voit glisser imperceptiblement vers la zone du risque, y pénétrer, revenir de ses premiers périples chez les «durs», s’imprégner des mœurs et des codes de ses futurs alliés. Il le sent prêt à basculer de l’autre côté du mur, où l’attend un second destin, celui-ci fondé sur ses contradictions, ses espoirs déçus et ses tentations. Blémant a fait depuis toujours le choix de la vie dangereuse, il goûte la rivalité, le péril. Il a vaincu les Allemands, il veut encore survivre aux truands, les humilier sur leur propre terrain. Il les défie, il continue à les combattre. Mais il est devenu l’un d’entre eux, le meilleur de tous.

Quel défilé d’employés du crépuscule que ce livre ! Stipendiés de l’Abwehr, faufilés des barrières, marlous, maquereaux en costume rayé et chaussures bicolores, blafards des ruelles sombres, silhouettes imprécises au service des uns et des autres, dans la grande confusion des genres et des personnels. Voici Henri Lafont, qui « roule dans Paris en Bentley blanche ». Il loge, avec sa bande, au 93, rue Lauriston : tous parfumés de crapulerie ! Et voici les séides de Robert Blémant, grâce auxquels le jeune commissaire espère infiltrer les « lauristoniens » : Alsfasser, par exemple, a cambriolé en compagnie de Charles Cazauba, dit Charlot le Fébrile ou le Manchot, recrutés par M. Henri. Ou encore Albert Pin « en relation d’affaires avec Robert Gourari et le recycleur de cadavres Jean Bartel, alias Jean le Chauve, premiers couteaux » de Lafont. Ou ce Raggio, qui fut si proche de Carbone, lié à Émile Buisson et à Albert Danos « flingueurs patentés, qui hésitent encore entre la Résistance et la collaboration ».
Blémant assume tout : les recrues douteuses, les bavures, les éliminations : on ne lutte pas contre les espions nazis avec des enfants de chœur !

On croise également des hommes honorables, tel Roger Wibot, patron de la DST très active dans les premiers moments de la Libération ; des politiciens ambitieux, comme Gaston Deferre, vigoureux conquérant de la mairie de Marseille, la ville où Robert Blémant, « commissaire de police de 1re classe, 1er échelon, est nommé chef de la Brigade de surveillance du territoire », le 13 décembre 1944. Gaston devient maire en 1953.

Marseille ! La ville, aux mains de la pègre, règle les comptes des années terribles. Au-dessus du lot de l’ordinaire voyoucratie, deux frêres : Antoine et Barhélémy, dit Mémé, Guérini. Ils ont toujours été proches du Parti socialiste. Pendant la guerre, Mémé s’est engagé auprès des résistants, alors qu’Antoine semblait plus effacé. Mais enfin, sur le Vieux Port, leur réputation n’a rien à craindre de l’épuration. Les Guérini sont d’habiles hommes d’affaires. Ils achètent des bars, des clubs, les rénovent, en font des lieux chics peuplés de jolies filles peu farouches.

Pour le commissaire Blémant, c’est le début du grand virage. Le 5 avril 1949, il remet sa démission des cadres de la Sûreté nationale. Patron du cabaret « Le drap d’or », à Paris, il y accueille des membres éminents de la grande truanderie à qui il fournit éventuellement des alibis. Il lui arrive aussi d’effectuer des missions pour le SDECE et la Sécurité militaire, comme à Tanger où l’appellent ses propres affaires. En 1956, il est enfin décoré de la Légion d’honneur au titre de la Résistance, à laquelle s’ajoutent trois croix de guerre. Roger Wibot, qui le retrouve après douze années, lui ouvre les bras : « J’aime, je l’avoue, ces montreurs d’ombre, ces âmes de clair-obscur. »

Mais Antoine Guérini veut éliminer ce rival insolent. Un contrat est lancé sur sa tête. Il n’en a cure : « Il sait […] que la mort d’un homme est inéluctable lorsqu’elle a été décidée par des gens sérieux. » En effet : deux rafales de pistolet-mitrailleur Mat 49 l’expédient ad patres le 5 mais 1965, alors qu’il conduit sa Mercedes toute neuve, près de Marseille. Mémé Guérini avait prédit une « catastrophe » à ceux qui tueraient « le commissaire ». Elle vint rapidement. Les tueurs de Blémant furent systématiquement éliminés, Antoine périt assassiné dans son automobile « bleu-nuit, ornée à ses initiale ». Peu après, Mémé était arrêté, condamné à vingt ans de prison pour la mort du petit malfrat qui avait eu l’impudence de cambrioler la maison de son frère le jour de ses obsèques…

Ainsi s’achève l’itinéraire d’un enfant de France, flic et voyou, un homme parmi les autres, qui exigea de la vie plus que sa part d’apparences, et finit par traverser le miroir où se reflétait un petit César républicain.

Little Caesar (1930), film de Mervyn LeRoy, avec Edward G. Robinson, Douglas Fairbanks, Glenda Farrell. L’ascension et la chute d’un homme qui veut régner sur les gangsters de Chicago.

Un flic chez les voyous: Le commissaire Blémant

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Mieux que Ségolène !

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Pour Hans–Rudolf  Merz, président de la Confédération helvétique, autrement dit le plus ancien dans le grade le plus élevé de la suisserie, Canossa s’appelle Tripoli. Il vient d’aller baiser la babouche de Mouammar Kadhafi en battant sa coulpe comme un malade à propos des désagréments subis il y quelque mois à Genève par Hannibal, un des fils du raïs libyen. Ce dernier fut mené au poste menotté par les pandores de la cité de Calvin, après une plainte d’un couple de domestiques pour mauvais traitements. Furieux, Kadhafi retire alors cinq milliards de dollars planqués dans les coffres helvétiques, et embastille deux ressortissants suisses par mesure de rétorsion. Sont pas fiers, les Suisses, et surtout définitivement radins : il préfèrent payer une « rançon morale » que de perdre un bon client de leurs banques.

Burqa : j’ai changé d’avis !

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Me serais-je emballé trop vite en proposant ici même qu’on légifère fissa contre la burqa ? Je m’interroge.

On me l’a répété tout l’été : pourquoi stigmatiser ces femmes qui, si on ne les montrait pas du doigt, passeraient totalement inaperçues? Cet argument, qu’il soit rabâché par Eric Besson ou par Marie-George Buffet, n’est pas dénué de logique formelle : après tout, rendre les femmes invisibles est bel et bien l’objet social de ladite burqa. Mais d’autres événements estivaux sont venus étayer mes velléités de virage de cuti sur la question.

Tout d’abord, alors que le pays redécouvre les dangers de la canicule, force est de constater que les porteuses de voile intégral sont moins exposées que leurs sœurs impies aux misères de l’insolation et donc des cancers cutanés afférents. Depuis des décennies, les multinationales cosmétiques s’escrimaient à inventer le véritable écran total : vous bilez plus, les mecs, on l’a trouvé ! Désormais, il ne restera plus qu’à régler quelques petits problèmes liés à l’hypersudation…

Toujours dans l’optique du principe de précaution, un autre argument plaide en faveur de l’autorisation du port de la burqa, voire de son caractère obligatoire : l’épidémie de grippe A. Non seulement la burqa fait office de masque antiviral, mais en outre, le code moral qui va avec, guère propice au frotti-frotta – même le plus prétendument innocent – est un rempart phénoménal contre la contamination par contact direct. Laver ses mains cinq fois par jour, c’est bien, ne jamais s’en servir, c’est mieux !

Enfin l’actualité nous sert un dernier argument en faveur d’une tolérance bien pensée. Car ce vêtement que j’ai moi-même fautivement qualifié d’archaïsme peut se révéler d’une totale modernité. Comme vous, j’ai été ému par ses images télévisées de femmes afghanes votant pour la première fois de leur vie, malgré les menaces des talibans. Mais auraient-elles pu le faire si on n’avait pas mis à leur disposition ces magnifiques isoloirs individuels et portatifs ?

Zemmour 2012

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Ce matin, j’ai eu le plaisir d’écouter Eric Zemmour dans mon poste. Il était l’invité d’Alexandre Ruiz dans une émission estivale sur l’humour. Et, au détour d’une phrase, Eric nous la joue « Caliméro » en témoignant de son découragement[1. Il a failli quitter « On n’est pas couché » et on doit à Eric Naulleau d’avoir échappé à cette catastrophe. Que ce dernier en soit remercié chaleureusement. Mon salut est sur lui, comme il aime l’écrire lui-même.]. Il a passé une année difficile et Internet, où il est insulté constamment, n’est pas pour rien dans son état d’esprit.

Et c’est là que je me suis décidé à prendre mon clavier. Pour le rassurer. Non, il n’y a pas que des gens qui le détestent sur le ouaibe ! Un blog, dont l’objet semble de lui vouer un culte, reprend toutes ses interventions télévisées et radiophoniques. Moi-même, je l’ai nommé à mes Antidotes d’Or (plus précisément, il s’agit de l’Antidote du courage politique) de décembre dernier et ai intitulé un autre trophée « Antidote zemmourien ». Je vais donc faire mieux que tout cela et appeler officiellement aujourd’hui à une candidature Zemmour aux prochaines élections présidentielles[2. D’ailleurs depuis quelque temps un groupe s’est constitué, pas à mon initiative, précisé-je, sur Faissebouque.].

On peut s’étonner d’un tel appel pour une personnalité de la presse et de la télé, lesquelles ne sont pas ménagées ici, mais il faut bien voir les choses en face. Zemmour, comme le disait un jour Paul-Marie Couteaux, nous amène à l’humilité, nous qui défendons un certain nombre de valeurs, et qui furent affublés par un célèbre quotidien véspéral du nom, qui se voulait peu aimable, de nationaux-républicains. Humilité, parce qu’en une émission du samedi soir, il est beaucoup plus efficace que nous autres avec nos tracts pendant une année pour faire passer certains messages. C’est pourquoi aujourd’hui, il se pourrait bien qu’il soit ce dénominateur commun qu’attendent souverainistes perdus et mendiant Xavier Bertrand, gaullistes authentiques dans un parti sans moyen, républicains che-vainement-tristes, et communistes auldescoules[3. Comme dirait Jérôme Leroy qui en est, justement.]. Ceux qui regrettent un temps où le Politique avait vraiment la volonté de décider, qu’il n’abandonnait pas ses responsabilités à des instances irresponsables et extra-nationales.

Eric Zemmour serait victime d’un tropisme trop droitier ? Rien n’est plus faux, même s’il cède lui-même parfois à la caricature sans doute dans un but louable de simplifier le message. Pourtant, je n’entends pas si souvent des journalistes reprendre à leur compte des analystes marxistes de l’économie comme il le fait fréquemment. Et si on l’écoute bien, on s’aperçoit qu’il pioche davantage chez Chevènement que chez Villiers. Sans doute, d’ailleurs, son admiration pour celui que certains villiéristes doivent encore surnommer l’Usurpateur, doit y être pour quelque chose.

Alors, faisons un peu – beaucoup ? – de politique-fiction. Imaginons qu’Eric Zemmour m’écoute et se porte candidat. Les parrainages ? Une formalité pour quelqu’un de cette notoriété. Les maires regardent la télé. Pas besoin de piquer Guaino à Sarko. Là, le candidat saurait écrire. Ecrire des discours républicains, bien sûr. Et écrire dans un bon français.

Allons plus loin dans la fiction. Il est élu. Chevènement, un vieux sage connaissant bien l’Etat, est appelé à Matignon par le nouveau président. Séguin est au Quai d’Orsay, André Gérin à l’Intérieur, Dupont-Aignan à Bercy. Mais on trouve aussi dans le gouvernement Maxime Gremetz et Philippe de Villiers, qui a fini par claquer la porte du comité Théodule Sarko au bout de trois réunions[4. Je vous ai dit que c’était de la fiction.]. Cela n’aurait pas de la gueule ? Allez, Zemmour ! Débarrassez-nous de Sarkozy ! Vos détracteurs n’ont pas compris que vous étiez l’anti-Sarko le plus intelligent de France. Il n’y a qu’ainsi que vous pouvez vraiment leur démontrer.

A La Mecque, y a pas un pèlerin !

13

Ainsi les autorités sanitaires viennent-elles de déconseiller formellement aux aspirants hadjs le pèlerinage à La Mecque, pour cause de pandémie mondiale de grippe A (qu’on appellera surtout pas porcine en la circonstance). Choper la grippe dans le désert arabique en plein mois d’août, faut quand même le faire, mais le lieu est, paraît-il, propice aux miracles. Et puis, après tout, ce ne serait pas plus bizarroïde que les nombreux cas déjà avérés ces jours-ci d’insolation du côté du Tréport ou de Gérardmer.

Lettre à Fadela

685

Sincèrement, au départ, je n’avais aucune sympathie pour toi, Fadela. Je te tutoie parce que tu tutoies tout le monde, et pas par manque de respect pour tes fonctions ministérielles. Seulement, mes élèves de Roubaix qui te ressemblaient par leur mélange de niaque, d’arrogance, d’intelligence, d’énergie et au bout du compte, de tendresse, je les vouvoyais. Je n’étais pas agent de la BAC, tu comprends, j’étais prof.

Que l’anti autoritarisme simpliste de certains bien-pensants nous aient mis dans le même sac, flics et profs, c’était de bonne guerre. Si Sarkozy, ton idole, a vu trop de flics qui ressemblaient à des profs, j’ai vu, moi, trop de profs qui ressemblaient à des flics. Des flics du pédagogisme libéral-libertaire, mais des flics tout de même. Pires peut-être, dans leur genre.

Fadela, si je n’avais pas trop de sympathie pour toi, ce n’était pas simplement pour ton ralliement avec armes et bagages au sarkozysme. Et encore, te retrouver un temps, dans le même gouvernement et même dans le même ministère qu’une Christine Boutin, ce n’est pas ce que tu as fait de pire. Les médias ont voulu opposer la fille des banlieues à la défenderesse des valeurs catholiques. Sauf que Christine Boutin, tu vois, je me suis senti plus souvent proche d’elle que de toi. Oui, moi, l’athée marxiste, j’entendais davantage ce discours sur une culture de la vie, sur le refus de considérer les détenus comme des sous-hommes, sur l’économie au service de l’homme et non le contraire, sur ses sympathies pour Attac.

En revanche, tu vois, que tu aies accepté d’entrer dans un gouvernement où un ministre avait et a toujours, même si le titulaire a changé, dans l’intitulé de ses fonctions « L’identité nationale », ça, ça ne passe pas.

Fadela, toi tu arrivais avec l’aura de « Ni putes ni soumises ». Un combat indispensable sur le fond et désastreux sur la forme : un scoutisme sexuel qui renvoyait les hommes à une saloperie métaphysique de bousculeurs de gonzesse par essence, tandis que, comme tous les analphabètes en matière du marxisme, vous refusiez de poser problème en termes de classes, et dire tout simplement que si le prolo dominé a encore une prolette à dominer, c’est la beurette.

À mon avis, c’est cet analphabétisme marxiste (tu venais du PS, c’est normal…) qui a facilité ton entrée au gouvernement. Tu étais la sociétale idéale puis que tu ne parlais jamais de social. En plus, tu rassurais tout le monde. Ce que j’ai pu détester ton « parler banlieue », alors que mes quelques collègues encore républicains tentaient d’expliquer, précisément « qu’on ne parle pas comme ça », surtout si on veut s’approprier les codes des dominants, que « parler banlieue », c’est parler comme on attend que vous parliez pour rassurer le bourgeois sur l’ordre des choses. À se demander désormais, vieux problème de la poule et de l’œuf, si c’est le TF1 qui donne la parole au Zyva ou si c’est le Zyva qui imite TF1 parlant le zyva.

Bon, Fadela, tout ça pour te dire que je vais cesser de faire la fine bouche et soutenir tes déclarations sur la burqa : « La France, patrie d’un islam progressiste, se doit de combattre la gangrène, le cancer que représente l’islam radical qui déforme complètement le message de l’islam. La burqa ne représente pas simplement un morceau de tissu mais la manipulation politique d’une religion qui réduit les femmes à l’esclavage et va à l’encontre du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. »

Tu vois, parfois, ce n’est pas compliqué, le courage. D’une part, tu dis que l’islam n’est pas intrinsèquement pervers, enfin pas plus que toutes les autres religions qui sont un genre de publicité théologique, ou, pour reprendre les termes du Vieux, l’opium du peuple. Et de l’autre, tu réaffirmes clairement ce qu’il faut réaffirmer : la République ne transige pas avec l’égalité.

Et tu as remarqué ? Tu l’as fait en parlant français, pas zyva.

Tu commencerais à te rendre compte des pièges dans lesquels les communautarismes voudraient te faire tomber que ça ne m’étonnerait pas.

C’est le métier qui rentre.

Et sur ce coup-là, je te souhaite bonne chance.

En attendant, camarade ministre, de vous retrouver au Front de gauche.

Canicule, cornecul !

22

Venant concurrencer la grippe A, avec des arguments imparables en termes de perceptibilité spontanée, la canicule (Take Two), s’est donc abattue sur la France. Manque de bol, on a souvent jeté à la poubelle les affichettes prophylactiques dès la fin juillet, après trois semaines de températures moyennes dignes d’Helsinki en novembre, voire de Saint-Valéry-sur-Somme en juin. D’où un effort redoublé des autorités pour expliquer aux populations qu’il faut impérativement s’hydrater, sous peine de voir les statistiques des décès exploser telles celles du chômage. Il faut boire, donc, mais attention, pas n’importe quoi. Si certains liquides sont salvateurs, figurez-vous que d’autres multiplient les risques de trépas. Heureusement, dans sa grande sagesse, le gouvernement a mis au point une méthode infaillible pour trier le bon grain de l’ivresse. Si la boisson que vous commandez au comptoir a bénéficié d’une TVA réduite (Coca light, Perrier-rondelle, thé à la menthe, etc.), vous pouvez y aller sans modération autre que la taille de votre vessie (cette même taille qui, selon Alfred Hitchcock, devrait déterminer scientifiquement la durée maximum d’un long-métrage). En revanche, si votre conso putative est toujours taxée à 19,6 % (Picon-bière, champagne rosé, mojito, etc.), alors là, méfiance : en pensant vous désaltérer, vous ne faites qu’aggraver la létalité potentielle de la canicule, sans parler des tracas collatéraux (retrait de permis, scènes de ménage, amendes pour miction sur la voie publique…)

Brad Pitt préfère les moutards aux pétards

7

Après le monokini, une autre vache sacrée des années post-68 se retrouve sur la sellette : Brad Pitt vient d’annoncer qu’il ne kiffait plus la marijuana, dont il fut, comme la plupart de ses collègues de travail d’Hollywood, un consommateur assidu. Interviewé vendredi dernier dans l’émission de l’excellent Bill Maher sur HBO, qui lui rappelait qu’il l’avait vu, dans une fête, enquiller joint sur joint pendant toute la nuit, Brad a reconnu sans problème les faits, mais a juré qu’on ne l’y reprendrait plus : « Je suis papa maintenant. Je veux garder le contrôle, et j’étais un peu trop dans le brouillard lorsque je fumais. » Eh oui, quand on a six gosses à s’occuper, plus question de se les rouler…

Pataquès à Beyrouth

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Les dernières péripéties de la vie politique libanaise n’ont pas fait l’objet d’une attention, même minime, de médias français qui, pourtant, ramaient péniblement de marronnier en marronnier. On peut les comprendre, car la complexité du jeu politique au pays du Cèdre est de nature à décourager le mieux disposé des lecteurs, surtout lorsque les affrontements restent verbaux, donc non producteurs d’images sanglantes.

Néanmoins, l’incapacité du pays à se doter d’un gouvernement, plus de deux mois après les élections législatives du 7 juin dernier, est révélatrice d’une situation dégradée et préoccupante pour l’avenir immédiat.

Les Occidentaux s’étaient un peu trop vite réjouis de la victoire, lors de ces élections, du bloc du 14 mars, emmené par le leader sunnite Saad Hariri, sur celui du 8 mars, une alliance du Hezbollah chiite avec les maronites du Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun.

Le bloc majoritaire, alliant aux sunnites diverses factions chrétiennes et le Parti socialiste progressiste (PSP) du chef druze Walid Joumblatt avait comme ciment l’opposition à la mainmise de la Syrie sur le Liban. Il s’était constitué après l’assassinat, le 14 février 2005, de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, attribué par ses partisans aux services secrets syriens.

La guerre de juin-juillet 2006, déclenchée par Israël à la suite de provocations du Hezbollah le long de la frontière sud du Liban a eu pour conséquence le retrait, imposé par l’ONU, des forces syriennes stationnées au Liban. Damas acceptait également, pour la première fois dans l’histoire des relations syro-libanaises, d’établir des relations diplomatiques avec Beyrouth, une manière de reconnaître une souveraineté libanaise toujours contestée par son voisin.

Damas, cependant, gardait un pied politique et militaire au Liban par l’intermédiaire du Hezbollah et de sa puissante milice armée, dont l’approvisionnement en armement venu d’Iran transite, pour l’essentiel, par la Syrie.
Jusqu’au mois de mai 2008, celle-ci, par l’intermédiaire de ses alliés libanais, empêchait l’élection du président de la République, qui doit être un chrétien maronite selon la Constitution. L’opposition boycottait le scrutin, qui nécessite un quorum de deux tiers des députés présents. Cet obstacle fut surmonté à la suite des accords de Doha en juillet 2008 : l’opposition acceptait l’élection du général Michel Sleiman à la présidence, en échange d’une minorité de blocage dans le gouvernement d’union nationale qui devait être constitué après les élections législatives de juin 2009. Ces accords, cependant, faisaient l’impasse sur la question du désarmement de la milice du Hezbollah, pourtant exigée par l’ONU dans la résolution 1701 qui mettait fin à la guerre avec Israël.

Un mois avant les élections, le 7 mai, le Hezbollah passait à l’offensive armée contre les quartiers sunnites de Beyrouth et les Druzes de Walid Joumblatt, sous le futile prétexte du renvoi de ses « contrôleurs » de l’aéroport international de Beyrouth (en réalité des miliciens chargés de couvrir les trafics en tous genres du Hezbollah).
En fait, il s’agissait de faire comprendre aux alliés les plus fragiles de la coalition pro-occidentale où se situait la force réelle, quel que soit le résultat des élections.
L’apparente équanimité et le surprenant fair-play manifestés par les dirigeants du Hezbollah a la suite de leur défaite, le 7 juin, de l’alliance du 8 mars n’était pas, comme certains se sont plu à le croire, la manifestation d’adhésion du Parti de Dieu au code des bonnes mœurs démocratiques.
D’ores et déjà, les barbus étaient persuadés que cette coalition hétéroclite ne bénéficiait ni des moyens, ni des soutiens intérieurs et extérieurs susceptibles de mettre en œuvre le programme électoral souverainiste intransigeant sur lequel elle avait été élue.

Le retrait, le 4 août dernier, du PSP de Walid Joumblatt du bloc du 14 mars n’est pas une surprise pour ceux qui avaient eu connaissance des propos qu’il avait tenus, avant les élections, devant une assemblée de chefs de clans druzes, dans la montagne libanaise qui est le fief de cette minorité religieuse dissidente de l’Islam. En substance, il constatait que le « pays légal », tel qu’il ressortait des élections, était dangereusement éloigné du pays réel. Non seulement le découpage électoral permet à une coalition minoritaire en voix de se retrouver majoritaire au Parlement – ce qui s’est produit le 7 juin –, mais l’absence de recensement depuis 1960 distord encore plus ces résultats. En effet, la répartition des sièges dans les différentes circonscriptions est communautarisée en fonction de l’appartenance religieuse de la population. Chrétiens de diverses obédiences, musulmans sunnites et chiites, druzes se retrouvent ainsi représentés au parlement proportionnellement à leur importance démographique. Le « gel » de ce recensement est hautement politique : il vise à masquer le dramatique recul démographique des chrétiens, dû à un taux de natalité inférieur à celui des musulmans, et à une émigration massive vers l’étranger (France, Etats-Unis, Canada) pendant la guerre civile 1975-1990. A l’inverse, les chiites ont considérablement accru leur poids démographique dans la société libanaise.

Dans ce contexte, les Druzes, fidèles à leur tradition de soutenir les plus forts dans les Etats où ils se trouvent ( Liban, Syrie, Israël) en échange d’une large autonomie concédée à leurs clans, font le calcul qu’à moyen terme, le rapport de force devrait basculer du côté chiite, et qu’il convient, en conséquence de se rapprocher d’eux…

Walid Joumblatt n’en est pas à son coup d’essai en matière de renversement d’alliances : Son père, Kamal fondateur du PSP et lui même furent, dans les années 70-80 les soutiens de l’OLP de Yasser Arafat quand ce dernier défiait le pouvoir libanais et avait constitué un Etat dans l’Etat palestinien au pays du Cèdre.

Le rapprochement des Occidentaux avec la Syrie de Bachar el Assad n’incite pas non les Libanais à montrer leurs muscles face au grand voisin qui n’a pas renoncé à tirer les ficelles à Beyrouth. On attend toujours, d’ailleurs, l’arrivée d’un ambassadeur de Syrie dans la capitale libanaise. La commission internationale d’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri se fait très discrète depuis quelque temps, à l’inverse de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah qui prétend être en mesure de bombarder Tel Aviv.

À part ça, on se baigne toujours en bikini sur les plages de Beyrouth-est. Pour combien de temps ?