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Pataquès à Beyrouth


Pataquès à Beyrouth

Les dernières péripéties de la vie politique libanaise n’ont pas fait l’objet d’une attention, même minime, de médias français qui, pourtant, ramaient péniblement de marronnier en marronnier. On peut les comprendre, car la complexité du jeu politique au pays du Cèdre est de nature à décourager le mieux disposé des lecteurs, surtout lorsque les affrontements restent verbaux, donc non producteurs d’images sanglantes.

Néanmoins, l’incapacité du pays à se doter d’un gouvernement, plus de deux mois après les élections législatives du 7 juin dernier, est révélatrice d’une situation dégradée et préoccupante pour l’avenir immédiat.

Les Occidentaux s’étaient un peu trop vite réjouis de la victoire, lors de ces élections, du bloc du 14 mars, emmené par le leader sunnite Saad Hariri, sur celui du 8 mars, une alliance du Hezbollah chiite avec les maronites du Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun.

Le bloc majoritaire, alliant aux sunnites diverses factions chrétiennes et le Parti socialiste progressiste (PSP) du chef druze Walid Joumblatt avait comme ciment l’opposition à la mainmise de la Syrie sur le Liban. Il s’était constitué après l’assassinat, le 14 février 2005, de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, attribué par ses partisans aux services secrets syriens.

La guerre de juin-juillet 2006, déclenchée par Israël à la suite de provocations du Hezbollah le long de la frontière sud du Liban a eu pour conséquence le retrait, imposé par l’ONU, des forces syriennes stationnées au Liban. Damas acceptait également, pour la première fois dans l’histoire des relations syro-libanaises, d’établir des relations diplomatiques avec Beyrouth, une manière de reconnaître une souveraineté libanaise toujours contestée par son voisin.

Damas, cependant, gardait un pied politique et militaire au Liban par l’intermédiaire du Hezbollah et de sa puissante milice armée, dont l’approvisionnement en armement venu d’Iran transite, pour l’essentiel, par la Syrie.
Jusqu’au mois de mai 2008, celle-ci, par l’intermédiaire de ses alliés libanais, empêchait l’élection du président de la République, qui doit être un chrétien maronite selon la Constitution. L’opposition boycottait le scrutin, qui nécessite un quorum de deux tiers des députés présents. Cet obstacle fut surmonté à la suite des accords de Doha en juillet 2008 : l’opposition acceptait l’élection du général Michel Sleiman à la présidence, en échange d’une minorité de blocage dans le gouvernement d’union nationale qui devait être constitué après les élections législatives de juin 2009. Ces accords, cependant, faisaient l’impasse sur la question du désarmement de la milice du Hezbollah, pourtant exigée par l’ONU dans la résolution 1701 qui mettait fin à la guerre avec Israël.

Un mois avant les élections, le 7 mai, le Hezbollah passait à l’offensive armée contre les quartiers sunnites de Beyrouth et les Druzes de Walid Joumblatt, sous le futile prétexte du renvoi de ses « contrôleurs » de l’aéroport international de Beyrouth (en réalité des miliciens chargés de couvrir les trafics en tous genres du Hezbollah).
En fait, il s’agissait de faire comprendre aux alliés les plus fragiles de la coalition pro-occidentale où se situait la force réelle, quel que soit le résultat des élections.
L’apparente équanimité et le surprenant fair-play manifestés par les dirigeants du Hezbollah a la suite de leur défaite, le 7 juin, de l’alliance du 8 mars n’était pas, comme certains se sont plu à le croire, la manifestation d’adhésion du Parti de Dieu au code des bonnes mœurs démocratiques.
D’ores et déjà, les barbus étaient persuadés que cette coalition hétéroclite ne bénéficiait ni des moyens, ni des soutiens intérieurs et extérieurs susceptibles de mettre en œuvre le programme électoral souverainiste intransigeant sur lequel elle avait été élue.

Le retrait, le 4 août dernier, du PSP de Walid Joumblatt du bloc du 14 mars n’est pas une surprise pour ceux qui avaient eu connaissance des propos qu’il avait tenus, avant les élections, devant une assemblée de chefs de clans druzes, dans la montagne libanaise qui est le fief de cette minorité religieuse dissidente de l’Islam. En substance, il constatait que le « pays légal », tel qu’il ressortait des élections, était dangereusement éloigné du pays réel. Non seulement le découpage électoral permet à une coalition minoritaire en voix de se retrouver majoritaire au Parlement – ce qui s’est produit le 7 juin –, mais l’absence de recensement depuis 1960 distord encore plus ces résultats. En effet, la répartition des sièges dans les différentes circonscriptions est communautarisée en fonction de l’appartenance religieuse de la population. Chrétiens de diverses obédiences, musulmans sunnites et chiites, druzes se retrouvent ainsi représentés au parlement proportionnellement à leur importance démographique. Le « gel » de ce recensement est hautement politique : il vise à masquer le dramatique recul démographique des chrétiens, dû à un taux de natalité inférieur à celui des musulmans, et à une émigration massive vers l’étranger (France, Etats-Unis, Canada) pendant la guerre civile 1975-1990. A l’inverse, les chiites ont considérablement accru leur poids démographique dans la société libanaise.

Dans ce contexte, les Druzes, fidèles à leur tradition de soutenir les plus forts dans les Etats où ils se trouvent ( Liban, Syrie, Israël) en échange d’une large autonomie concédée à leurs clans, font le calcul qu’à moyen terme, le rapport de force devrait basculer du côté chiite, et qu’il convient, en conséquence de se rapprocher d’eux…

Walid Joumblatt n’en est pas à son coup d’essai en matière de renversement d’alliances : Son père, Kamal fondateur du PSP et lui même furent, dans les années 70-80 les soutiens de l’OLP de Yasser Arafat quand ce dernier défiait le pouvoir libanais et avait constitué un Etat dans l’Etat palestinien au pays du Cèdre.

Le rapprochement des Occidentaux avec la Syrie de Bachar el Assad n’incite pas non les Libanais à montrer leurs muscles face au grand voisin qui n’a pas renoncé à tirer les ficelles à Beyrouth. On attend toujours, d’ailleurs, l’arrivée d’un ambassadeur de Syrie dans la capitale libanaise. La commission internationale d’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri se fait très discrète depuis quelque temps, à l’inverse de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah qui prétend être en mesure de bombarder Tel Aviv.

À part ça, on se baigne toujours en bikini sur les plages de Beyrouth-est. Pour combien de temps ?



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