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VGE, le fou chuintant

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vge

Chanonat, 1982. J’avais dû assez mal me comporter pour que ma rédaction me dépêche en Auvergne enquêter sur les bals des pompiers. D’Ambert à Issoire, de Riom à Thiers, le pompier auvergnat n’est pas ce que Dieu a posé de plus glamour sur la terre. On n’en fait pas des calendriers et si, par malheur, le feu vient à incendier la moindre grange, personne ne se précipite au dehors pour admirer le corps des sapeurs ardant à l’effort. C’est qu’en Auvergne les pompiers ne sont pas de solides et mâles gaillards, arborant leurs vingt ans et leurs muscles saillants. On les choisit bien vieux, un peu secs, le casque mal ajusté sur leur tête chenue. Si l’un d’entre eux tombe, il brûle comme le premier fétu venu et sa veuve se console à l’idée qu’elle ne se ruinera pas en coûteux enterrement.

Le pompier auvergnat ne présente qu’un seul intérêt : une fois l’an, il organise un bal. Un vieux chapiteau, une estrade improvisée et, par-dessus, une brigade toute entière de sapeurs qui essaient de tirer des sons d’instruments qui ne leur ont rien fait. Sur la piste, une population passablement avinée esquisse des pas de ce que l’on croit être une danse. Il ne faut pas tenter le rock quand on ne sait que la bourrée.

Je m’étais commencée à la Gentiane et je finissais ma deuxième bouteille de Saint-Pourçain, quand un grand escogriffe vint se planter devant moi. Son corps de squelette était couronné d’une tête assez ridicule. Un pantalon à pattes d’éléphant, une chemise à jabot surmonté d’un nœud papillon grotesque, une trop petite veste en tweed étaient censés l’habiller pour l’occasion. Le plus ahurissant est que cet être ridicule était doué de la parole et n’hésitait pas à le montrer.

– Bonchoir, Madame. Je chuis l’accordéonichte de la brigade des chapeurs-pompiers de Chanonat et che ne chèche (du verbe checher) de vous regarder depuis que vous êtes entrée. Puis-che m’acheoir à vos côtés ?
– Ah non, le chuintant ! Il ne s’assied pas à mes côtés. Ou alors il va me chercher une bouteille de Saint-Pourçain. Et fissa.

Il s’exécuta. Cinq minutes plus tard, il revenait, une bouteille de rouge à la main.

– Ch’ai remarqué votre petit acchent, me dit-il en remplissant mon verre. Vous n’êtes pas de Chanonat ?
– Non, non. Je suis allemande.

Il essuya une larme et me raconta, d’une voix émue, qu’il avait dix-sept ans quand les Allemands défilèrent sur les Champs-Elysées. Puis, il s’enfila un verre.

– C’est assez dommache qu’il ne cherve pas à mancher ichi. Vous chavez qu’avec le Chaint-Pourchain, il n’y a rien de mieux que les œufs brouillés. Aimez-vous les œufs brouillés ?

Il était bien gentil, le fou chuintant. Mais il commençait à me les brouiller, les œufs. Je fis alors ce que je fais en pareille occasion : je me réfugiai dans un éthylisme absolu, mais toujours digne. Quand il revint avec la huitième bouteille de Saint-Pourçain, je n’entendais même plus ce qu’il me disait. Le type me semblait avoir une fêlure au casque : il disait avoir été président de la République, bien aimer les grands Blacks et les diamants, rêver de faire le tour du monde en avion renifleur. Plus ça allait, plus il divaguait.

Le moment vint où il s’aventura à poser la main sur la mienne et à me regarder au fond des yeux. C’est précisément le moment que je choisis pour me lever, prétextant devoir me refaire une beauté. J’étais déjà dehors qu’il me rattrapa.

– Princhèche, princhèche ! hurlait-il. Puis-che vous appeler ma princhèche ?
– Vas-y, le bougnat, si ça te fait plaisir.
– Vous êtes ma princhèche ! Che vais le dire, le chanter à l’accordéon et peut-être même un jour l’écrirai-che.
– Oui, c’est ça, écris-le.

J’étais déjà loin que je l’entendais crier « Au revoir, Princhèche », dans la brume d’Auvergne.

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Clearstream, le choc des petits Titans

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godzilla

Western, duel, match, cour de récré, guerre nucléaire : mes honorables confrères ont tout dit et recouru à toute la palette des métaphores disponibles pour évoquer l’affrontement entre le Président de la République et un ancien Premier ministre. Rien ou pas grand-chose ne nous aura été épargné sur ce piteux spectacle et sur ce qu’il dit de notre démocratie malade. Il est vrai que chez nos voisins, la politique est un noble combat d’idées dans lequel de valeureux adversaires échangent des arguments avec hauteur et délicatesse et que nul scandale politique ne secoue jamais d’autre pays que la France. Ailleurs, c’est les bisounours, chez nous, les Borgia. (C’est plus romanesque, du reste, tous ceux qui nous expliquent que les passions humaines n’ont aucun intérêt tout en s’en délectant, feraient mieux d’arrêter la littérature. Passons).

Mais derrière ce choc au sommet, se joue un autre duel, peut-être pas vraiment du genre titanesque – ce serait plutôt du Molière, quelque chose comme Sganarelle contre Scapin. C’est que les deux héros de ce procès ont dans les médias, disons des porte-flingues car « valets » serait désobligeant. Et le plus amusant est qu’eux aussi ont été sinon amis, du moins alliés, puis qu’il s’agit d’Edwy Plenel et de Jean-Marie Colombani qui ont longtemps tenu les rênes du Monde, où ils ont d’ailleurs mis en œuvre avec succès les méthodes qu’ils dénoncent avec indignation aujourd’hui : intimidation, intox, coups tordus et autres douceurs démocratiques et transparentes. Les inoubliables valets de notre répertoire ne ressemblent-ils pas à leurs maîtres ?

Hélas, rien ne va plus entre les deux anciens maîtres du Monde qui se sont séparés en laissant du sang sur les murs. Il se murmure d’ailleurs que si Plenel a été débarqué, ce n’est pas seulement à cause des méchanteries qu’avaient écrites Philippe Cohen et Pierre Péan dans La face cachée du Monde, mais en raison de son anti-sarkozysme rabique ou de sa villepinomania délirante : Plenel est aussi fasciné par l’athlétique Dominique qu’un séfarade devant une Suédoise. Au point qu’il voit en lui le champion de la droite propre, ce qui, pour l’homme des basses œuvres du chiraquisme est assez marrant, et même le nouveau Bonaparte appelé à sauver la République en danger. Et devinez qui fera Fouché ?

Les deux hommes portent donc sur la Toile les couleurs de leurs champions respectifs. Avant même l’ouverture du procès, les hostilités ont commencé par une bataille de boules puantes. Slate, le site dirigé par Colombani, a déniché un sombre épisode bulgare dans la carrière de Villepin : histoire de s’occuper après l’élection de son rival, celui-ci a dirigé un groupe d’experts chargés d’aplanir les différends entre Sofia et l’Union européenne. Ledit groupe n’aurait pas, dans un premier temps, montré toute la fermeté requise à l’endroit du gouvernement. Bon. Comme scandale, c’est un peu maigre. Quant à Plenel, il publiait en fin de semaine sur Mediapart un témoignage « prouvant » que l’ex-ministre ne connaissait pas le faussaire présumé, Imad Lahoud, et qu’il ne pouvait donc être l’auteur de la machination. L’auteur de cette fracassante révélation était le beau-frère de Villepin. Un scoop comme ça, ça sent le grand journalisme. Il est fort ce Plenel.

Il faut reconnaître que dans le style baroque et rigolo des valets de comédie, le moustachu l’emporte haut la main. C’est que, malgré sa famille en or, Villepin en chevalier de la Vertu publique victime de basses machinations, ça ne le fait pas. Villepiniste et robespierriste, ça semble difficilement conciliable. La thèse de Plenel est simple, enfin presque : ce n’est pas Villepin qui a essayé d’exploiter les listings truqués pour empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à l’Elysée, mais Sarkozy qui a tenté de le faire croire pour se poser lui-même en victime. Et cette légende l’a grandement aidé à gagner l’élection (théorie assez grotesque car l’opinion ne comprend rien à cette histoire de fous).

Le phare du journalisme moral ne saurait conclure un texte sans tirade sur les principes. L’enjeu de ce procès, explique-t-il, n’est rien de moins que la démocratie elle-même (d’ailleurs, Plenel ne se déplace pas pour moins) : « La démocratie en ce sens qu’elle est une haute idée de la justice, en tant que pilier de la défense des libertés individuelles et collectives. » « Détournement privatif de la justice », « déni de droit et corruption de l’esprit public », on en tremble tellement c’est beau et grave. D’ailleurs, nous dit-il, le fait que Henri Leclerc, « figure de la gauche judiciaire », défende le valeureux Galouzeau est une preuve en soi. Ah, évidemment, s’il a un avocat de gauche, ça change tout. La preuve du gâteau, c’est qu’on le voit à la télé.

L’ancien patron de Plenel a, pour sa part, mis son talent et sa plume au service du président. De mauvais esprits attribuent ce zèle au fait qu’il continuerait à espérer la succession de Patrick de Carolis à la tête de France Télévisions. Soyons juste, il joue plus sobre : on n’imagine pas un homme aussi distingué que Jean-Marie Colombani traiter Villepin de Chippendale comme l’a fait sur RTL un personnage secondaire de cette comédie en eaux troubles, le communicant Pierre Charron, visiblement mandaté pour cogner. Au Monde, Colombani était à l’évidence le gentil flic. Il ne fait pas dans l’emphase lyrique, il énonce calmement ses hypothèses comme des vérités révélées. « Au départ, écrit-il, et cela ne semble être contesté par personne, il y a bel et bien une machination, un véritable montage destiné à compromettre un certain nombre de personnalités, et avant toute chose à barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy. » Ben si, cher Jean-Marie, ce « avant toute chose pour barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy » est contesté par pas mal de gens, notamment par votre ancien camarade de travail. Sans le dire clairement, Colombani laisse fortement supposer que Villepin n’a pas seulement profité d’une barbouzerie fomentée par d’autres mais qu’il pourrait être le chef d’orchestre de toute l’opération « Nagy Bocsa ». « Et doivent résonner encore dans quelques oreilles des incitations, injonctions, admonestations de toutes sortes reçues de Dominique de Villepin : « C’est du lourd, on le tient ! » Tel était en effet, en substance, le message dit et répété, avec l’insistance qu’on lui connaît, par Dominique de Villepin à suffisamment de journalistes pour que soit établie, sinon l’implication directe du Premier ministre comme donneur d’ordres, du moins sa totale adhésion à ladite machination. » Que Villepin ait balancé à la presse, ce qui est parfaitement exact, ne prouve nullement qu’il a tout inventé lui-même. On a plutôt l’impression que les deux hommes se sont rendus coupables de mauvaise camaraderie : l’un a secrètement espéré que son rival allait tomber pour une histoire crapuleuse inventée par d’autres et pour d’autres raisons ; l’autre, animé par une rancune tenace, a décidé de tuer le premier en tirant tous les partis possibles de son faux-pas. Sauf que la mauvaise camaraderie n’est pas un délit.

Colombani laisse la justice juger, bien sûr, mais au cas où les magistrats auraient besoin de quelques informations, il dresse un portrait au vitriol du ministre-poète, inventeur du CPE et de la dissolution. Il y a, nous dit-il, du Fouché chez cet homme-là qui incarnerait, s’il était condamné, la quintessence d’une mouvance chiraquienne où l’on retrouve « la tentation permanente du coup tordu. » Il conclut par le récit d’une scène hilarante où lui-même, convoqué par Villepin au bar du Bristol, a droit à un avertissement en règle sur le mode mafieux. Lui qui disait avec gourmandise que « Le Monde fait peur », ça a dû lui rappeler des souvenirs.

Le plus chouette, c’est que la pièce sera à l’affiche pendant un mois et qu’on peut compter sur nos duettistes et duellistes du net pour assurer les intermèdes. De l’investigation de haut vol, je ne sais pas mais du comique de boulevard, assurément.

Accidentés du travail : à vos rangs, fisc !

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Les indemnités versées aux accidentés du travail seront désormais imposées, a annoncé le ministre du budget, Eric Woerth. C’est à ce genre de mesures que l’on reconnaît les bons gestionnaires et les vrais humanistes. En effet, il estime que « ce n’est que justice », au motif qu’un revenu de remplacement doit être traité de la même manière qu’un revenu du travail. Cette fiscalisation des indemnités ne remettra évidemment pas en cause la défiscalisation des heures supplémentaires, heures pendant lesquelles, précisément, se multiplient pour des raisons évidentes les accidents du travail. En effet, l’ouvrier, cette créature étourdie, devient naturellement inattentif quand il dépasse ses horaires de fainéant, perdant une main, un œil, voire se brisant la colonne vertébrale. Il n’y a donc aucune raison qu’il n’en paie pas les conséquences et il est juste que l’on détruise cette scandaleuse niche fiscale. Néanmoins, dans un louable souci de compensation, et aussi pour prouver l’efficacité de la synergie gouvernementale, la ministre des Finances a annoncé une baisse probable des tarifs du gaz pour le 1er octobre. Les accidentés du travail pourront ainsi se suicider à moindre coût.

Sacré Giscard !

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Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !
Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !

Depuis le début de la semaine, on s’interroge sur le prochain roman de Giscard. Fiction ou roman à clef ? A qui donc s’adresse cette épigraphe « promesse tenue » ? A Lady Di ? A lui-même ? A sa femme[1. Non, là, je rigole.] ?

Il est plus amusant, pour le commun des mortels, de deviser sur l’éventuelle relation entre VGE et la princesse de Galles et de moquer son éventuel fantasme amoureux. Je n’y ai moi même pas échappé en paraphrasant Diana refusant de participer à une orgie à Chanonat : « Un Auvergnat, il en faut toujours un ; c’est quand il y en a beaucoup qu’il peut y avoir des problèmes. »

Mais quand on se fait le devoir de tenir un carnet politique, il faut revenir à la politique. Et, dans ce livre à paraître, dont Le Figaro nous a relaté l’histoire, le fantasme le plus fou, le plus dément, le plus hilarant n’est pas amoureux ni même sexuel. Il est bel et bien politique. Imaginez que Giscard fait du héros principal un Président de la République réélu en 1981. Difficile d’éluder le fait que le Président qui se représente au suffrage des Français à cette date se nomme Valéry Giscard d’Estaing.

Giscard n’est pas surnommé ironiquement l’Ex par hasard. Il est à ce jour le seul Président de la République en exercice à s’être ramassé lors d’une élection présidentielle. Le Général de Gaulle fut réélu en 1965, François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002. La mort a interrompu le premier mandat de Georges Pompidou et, pour le locataire actuel de l’Elysée, il faudra attendre encore trois ans. Bref, pour lui, c’est la honte. Même celui qu’il tient pour un grand con a été réélu triomphalement en Père de la Nation : Giscard ne parvient pas à cacher la souffrance et l’injustice qu’il vit et dont il pense être victime.

Alors, il se soigne. En écrivant un roman. Il n’est ni le premier ni le dernier à procéder de cette façon. Non seulement, cela coûte moins cher qu’un psy mais en plus, cela va lui rapporter un maximum. Franchement, il met le paquet, l’Ex ! Réélu avec 56 % des suffrages ! Et on s’interroge pour savoir si c’est une œuvre de fiction ? En partant sur cette base, il peut nous inventer n’importe quoi. Qu’il culbutait une princesse délaissée – c’est fait – mais aussi qu’il devint le premier homme à poser le pied sur Mars, qu’il réduisit spectaculairement inflation et chômage ou qu’il parvint à faire comprendre à la France que la Constitution européenne était un texte intelligible voire intelligent. La plus grande obsession, c’est tout de même bien que ce type puisse imaginer que son septennat ait pu donner envie aux Français de le réélire triomphalement. Parce que le fait que les hommes de pouvoir étaient dotés d’une libido largement au dessus de la moyenne et que leur position sociale pouvait avoir quelque effet sur leurs capacités de conclure, comme dirait Jean-Claude Dus, on savait déjà.

Reste à savoir si ce roman sera aussi mal écrit que Le Passage[2. Roman écrit par Giscard où le narrateur est un notaire, chasseur et fort bien cravaté, qui a une aventure avec une auto-stoppeuse. Les Guignols de l’Info imaginèrent une adaptation pornographique et invitèrent la marionnette de VGE à un faux journal du hard.] ou le traité constitutionnel européen[3. C’est mon obsession à moi.]. Peu importe. Il se vendra, et la fuite organisée ces jours-ci y sera pour quelque chose. Bien joué, l’éditeur. L’Ex peut ainsi faire la nique au grand con corrézien cité plus haut, lequel doit sortir ses mémoires au même moment. Quand j’écrivais qu’elle était là, son obsession !

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Le Kloug de M. Hosni

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La défaite de Farouk Hosni, candidat égyptien à la tête de l’Unesco, est un cas d’école pour tous ceux qui s’intéressent aux lobbies, ces puissances occultes qui sont, comme chacun le sait, les véritables maîtres de notre monde. La première leçon est simple : de toute évidence le lobby sioniste est en perte de vitesse. Que ce soit sous les coups de boutoir d’un Dieudonné ou grâce à la vigilance citoyenne de gens comme vous et moi, on ne peut que constater que le soutien de Netanyahou (chef ex-officio du dit lobby) et de Sarkozy (à la tête de l’antenne locale) ne vaut pas grand-chose. Comme l’a tout de suite compris Mohammed Salmaoui, le perspicace président de l’Union des écrivains égyptiens, les sionistes n’y sont pour rien, c’est « le lobby juif », beaucoup plus fort, qui « a exercé énormément de pressions, a pris certains commentaires du ministre et les a placés hors contexte ». Cependant, l’AFP ne précise pas si M. Salmaoui a appelé Netanyahou pour le remercier de son soutien au candidat malheureux. S’il ne l’a pas fait, il n’est pas trop tard ! Face au lobby juif, Jérusalem et le Caire ont, certes, perdu cette fois-ci, mais leur alliance peut encore servir face à ses futures et sombres menées. La deuxième leçon est plus importante encore : un nouveau lobby vient de faire une foudroyante démonstration de force. La victoire surprenante d’Irina Bokova, élue hier à la tête de l’Unesco, ne peut pas s’expliquer autrement. Certains pensent que c’est Julia Kristeva qui tire les ficelles du nouveau lobby, d’autres soupçonnent Sylvie Vartan d’en être l’éminence grise, mais tous s’accordent : l’opération « Perkovic » pour la conquête de l’Unesco est la preuve éclatante de l’efficacité du « lobby bulgare ».

Dément tellement

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Le ministre de l’Identité nationale, Eric Besson, comme une mauvaise femme de ménage qui cache la poussière sous le tapis, a supervisé ce matin mardi 22 septembre une héroïque opération de police. Près de Calais, le camp sauvage où des réfugiés afghans, pakistanais et irakiens vivaient dans une zone de sables et de bouleaux sous des toiles de tentes et des baraques en tôle, appelée plaisamment la « jungle », a été démantelé. Dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, les CRS ont encerclé le camp, procédant d’après la préfecture à 278 interpellations dont 132 mineurs. On annonçait une population de plus de huit cents personnes dans la « jungle », mais celle-ci s’est égaillée dans la nature comme elle en a l’habitude depuis la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte en 2002, qui se fit sans autre solution de remplacement. Mais qu’importe, le ministre Besson a virilement affirmé : « Il y aura d’autres démantèlements. » C’est bien, mais nous tenons à rappeler à Eric Besson que France Telecom, EDF-GDF, la SNCF et ces jours-ci La Poste ne sont pas, malgré les apparences, des camps de réfugiés mais des services publics.

Amours interdites à Mea Sharim

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tabakman

Avec Tu ne m’aimeras point de Haim Tabakman, le cinéma israélien continue à sortir des sentiers rebattus du conflit moyen-oriental pour explorer les chemins tortueux de la sexualité. Après Kadosh de Amos Gitai, une caricature du monde ultra-orthodoxe, après Les Secrets de Avi Nesher qui traitait de la sexualité entre femmes, après My Father, My Lord de David Volach, qui évoquait l’épineux problème de la laïcité en Israël – et dont les manifestations, cet été, des Haredim, « les hommes en noir » contre l’ouverture d’un parking le samedi à Jérusalem montrent à quel point il est d’actualité – jamais le cinéma israélien n’était allé aussi loin dans son approche de la religion et du sexe.

Eyes wide open, le titre original de ce film subtil, troublant, voire gênant, fait référence à Eyes Wide Shut de Kubrick. Quelques semaines après les attentats perpétrés contre des homosexuels à Tel Aviv, Tu ne m’aimeras point rappelle une fois de plus les difficultés pour ces hommes de vivre pleinement leur vie dans les carcans d’une société trop religieuse, trop hiérarchisée, trop oppressante.

On est loin des cow boys secrètement amoureux de Brokeback Mountains de Ang Lee. Cette fois-ci, l’homosexualité s’invite en territoire encore plus hostile : la communauté juive orthodoxe de Jérusalem. Au programme : intolérance et drames intimes amoureux, sur un scénario un peu attendu, traînant parfois en longueur. Aaron, marié et père de quatre enfants est boucher dans la communauté juive de Jérusalem. À la mort de son père, il reprend la boucherie familiale et embauche un jeune homme, Ezri, qui sera l’ange de la tentation. L’amour nait. La tragédie est en marche.

L’intérêt du film ne réside pas dans cette énième histoire d’un amour interdit, mais dans la façon dont ces deux hommes voient leur amour naître, grandir et dépérir, au cœur d’une communauté montrée sans cliché et dans toute sa complexité.

Comment concilier l’amour de Dieu et l’amour des hommes ? Vieille question dont Augustin avait compris toute la complexité. Faut-il renoncer à l’amour de Dieu pour une relation charnelle ? Comment faire cohabiter une religion qui se revendique humaine et aimante (« tu aimeras ton prochain comme toi-même ») avec son refus d’accepter l’amour du même sexe ?

Doit-on renoncer à l’être aimé et à son épanouissement ou doit-on vivre sa vie en conformité avec sa foi et son existence dans l’usurpation ? Pourquoi faut-il choisir ? Ces questions sans réponses constituent la trame cachée de Tu ne m’aimeras point.

Pour les juifs orthodoxes, l’homosexualité n’existe que comme une tentation une faute, un crime.Or, pour Aaron et Ezri, amour charnel et amour de Dieu restent indissolublement liés. À aucun moment les deux amants, malgré leur souffrance, ne pensent à quitter leur communauté. Mais si chacun est sincère dans son amour et dans sa foi, le film révèle la limite au-delà de laquelle ces deux logiques sont inconciliables. Reste une seule alternative : se soumettre ou disparaitre. L’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est donc vécue comme une épreuve censée les ramener vers davantage de spiritualité.

Dans ce contexte, le paradoxe des haredim se révèle pleinement. D’une part, la communauté est soudée par un sentiment de fraternité, de solidarité et de confiance – on n’est jamais seul, chacun s’occupe de chacun. Mais cette sollicitude bienveillante est aussi un redoutable instrument de contrôle social. Dans cette « communauté réduite aux aguets », surveiller et punir pourrait être érigé comme la 614e prescription du talmud. Dans un monde clos, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, il faut se méfier de celui qui trouble l’ordre.

Mais que faire, alors, de l’amour et surtout du désir ? Chez les orthodoxes, celui-ci est méprisé, ignoré. La seule chose prescription est de satisfaire les besoins de sa femme, selon un rituel bien codifié, dans le seul but de procréer.

Le boucher Fleishman (dont le nom, au sens étymologique signifie « l’homme de la chair ») qui doit rendre consommable la viande impure, est bien forcé de faire avec cette chair animale. Mais il ne sait pas faire avec la sienne et moins encore avec celle d’un autre homme.

Pour autant, Tabakman ne fait pas le procès à charge du judaïsme orthodoxe : l’amour de Rivka, l’épouse d’Aaron, empreint de pudeur et de tendresse, n’est-il pas au fond plus puissant dans sa dimension spirituelle ? Certes, la dimension érotique est totalement absente du mariage mais celui-ci reste un engagement profond et fondamental et c’est ce qui donne à cette épouse la force de surmonter sa souffrance.

On a évidemment envie de condamner sans appel cette religion qui répudie le désir et le sexe. Mais tout l’intérêt du film et qu’il ne juge pas et n’invite pas à juger mais à comprendre. Au final, en effet, l’homme y est dépeint comme fondamentalement libre : il choisit son mode vie, il choisit sa vie. Il choisit son amour. Il devient lui-même. Même la prison la plus farouchement garde ne peut résister lorsque le désir s’abat sur ses proies.

Alors, on se demande si le 11e commandement devrait être « Tu ne m’aimeras point » ou « Tu aimeras à perdre la raison ».

Le livret A se grippe

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La Caisse des dépôts et consignations vient d’indiquer que le livret A, qui est le moyen d’épargne préféré des classes populaires, a connu une « décollecte » de 1,33 milliard d’euros au mois de juillet et que le solde entre retraits et dépôts s’équilibrent à peine après la flambée qui suivit la généralisation de ce livret à tout le réseau bancaire. Il faut dire qu’entre temps, le taux de rémunération de ce placement a été ramené de 2,5 % à 1,75 % en mai, puis de 1,75 % à 1,25 % en août. Vous avez compris, les pauvres ? Vous n’êtes pas des traders, vous, pas question de faire de l’argent avec de l’argent. Mais consolez-vous, si le livret A ne vaut plus rien, le virus de la grippe du même nom semble, d’après une déclaration de l’OMS ne pas avoir muté et rester relativement anodin. Pauvres, mais pas malades, donc… De quoi vous plaignez-vous ?

Le PS joue Guignol à Lyon

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À Lyon, Guignol joue toujours à domicile.
A Lyon, Guignol joue toujours à domicile.

Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon a récupéré cette année l’organisation du « Forum Libération » que son camarade du PS et rival régional Michel Destot, député-maire de Grenoble, a laissé filer dans la capitale des Gaules pour des raisons budgétaires.

Ce grand raout intellectuel, politique et mondain ressemble à une grande foire aux discours et aux idées où le bon peuple est invité à venir admirer et consommer ce qui se fait de mieux dans le genre.

Ce n’est pas désagréable de flâner de débat en débat, quand le temps est beau, le cadre somptueux (l’Hôtel de ville et l’Opéra de Lyon). On est, de surcroît, assuré de trouver dans un rayon de moins de cinq cents mètres une tripotée de restaurants dont certains, dont je tairai le nom pour ne pas les signaler aux touristes, méritent vraiment l’appellation de bouchon lyonnais, souvent usurpée.

Bref, grâces soient rendues à Gégé Collomb de se faire l’amphitryon (le véritable, celui où l’on dîne) d’une manifestation dont il espère, sans doute, des retombées positives pour sa ville et la suite de sa carrière politique. En fait de foire, celle-ci serait plutôt du genre brocante et vide-grenier, où l’on peut chiner sa pâture intellectuelle parmi les stands présentant des thématiques ayant déjà dans un passé récent ou plus lointain fait l’objet de controverses intellectuelles et politiques. On pardonnera donc au quotidien de la rue Béranger de nous avoir fourgué comme une avant-première une projection du film Le neuvième jour de Volker Schlöndorff, tourné en 2004 et diffusé sur Arte en avril 2007… Dans toute brocante on peut trouver quelques arnaqueurs, mais cela n’enlève rien au plaisir du chineur. Si l’on ajoute les pipoles du moment, Fréderic Mitterrand, Nicolas Hulot, Dany Cohn-Bendit que les badauds sont ravis de voir en chair et en os, on a tous les ingrédients d’un week-end réussi.

Le thème choisi cette année, « l’Europe vingt ans après la chute du mur de Berlin », permettait toutes les variations et supportait fort bien que l’on sacrifiât à la marotte du patron de Libé, Laurent Joffrin – se faire l’entremetteur d’une alliance de la gauche, des Verts et du centre.

Tout l’éventail socialiste avait été convié, de Martine Aubry à Vincent Peillon, en passant par Valls et Hollande, pour faire avancer ce rassemblement en dialoguant avec Cohn-Bendit et Bayrou sous le regard bienveillant d’un Gérard Collomb bien revenu de son enthousiasme ségoléniste. Las, ce qui devait être le coup d’envoi d’une nouvelle alliance visant à bouter Sarko hors de l’Elysée, se résuma à une guignolade qui devrait réjouir les partisans du maintien à son poste de l’actuel président de la République. Normal, dira-t-on, dans une ville dont Guignol et ses partenaires du café du Soleil sont les icônes d’une lyonitude fièrement assumée et revendiquée. Mais cela serait faire injure à Laurent Mourguet, le créateur de Guignol, et à ceux qui, comme Emilie Valantin[1. Emilie Valantin dirige la compagnie du Théâtre du Furs, qui met en scène des spectacles de marionnettes, dont des reprises de saynettes écrites pour Guignol par Laurent Mourguet. Elle fut chargée, en 2008, de célébrer le 200e anniversaire de la naissance de Guignol avec un spectacle Les embiernes commencent, présenté au Théâtre des Célestins à Lyon. Pour les non-familiers du parler des gones, les embiernes sont la version lyonnaise des emmerdes.], s’efforcent de perpétuer la tradition frondeuse des marionnettes du Vieux Lyon, que de les comparer au spectacle offert en cette fin septembre par les camarades socialistes dans la cité rhodanienne.

Le premier acte prévoyait, dès le lever du rideau, de faire dialoguer Martine Aubry et Daniel Cohn-Bendit sur la scène de l’Opéra rénové par Jean Nouvel. Esthétiquement, c’était assez osé : Titine la rose et Dany le Vert sur le fond noir de jais de la grande salle. Mais la dramaturgie était là : on aurait vu un Dany magnanime offrir à Martine la présidence de la République à un socialiste, à condition que celui-ci lui convienne et qu’il accepte, dans la famille, un Bayrou auquel cette belle âme de Dany a pardonné les offenses de la campagne des européennes.

Martine Aubry, qui n’est pas la moitié d’une andouille, avait flairé le piège et s’est décommandée au dernier moment, envoyant à sa place le tonton-flingueur Claude Bartolone pour donner la réplique au rouquin. Pendant ce temps-là, Martine Aubry se faisait un restau entre filles avec Cécile Duflot, la cheffe des Verts français, pour tenter d’enfoncer un coin entre cette dernière et le remuant leader d’Europe-écologie.

Dépité, Cohn-Bendit eut beau vanner à mort ce pauvre Bartolone, celui-ci ne démordit pas une seule seconde de son os stratégique : d’abord l’union de la gauche à l’ancienne avec PC, radicaux, verts, chevènementistes et amis de Mélenchon, et après on verra ce qu’on fait avec le Modem et Bayrou. Bartolone se propose même de rassembler tout ce petit monde au sommet de l’Aiguille du Midi, un endroit symbolique pour prendre de la hauteur et échapper au marécage dans lequel pataugent actuellement la gauche et le PS. Et pas question de mettre Bayrou dans la benne du téléphérique qui portera l’illustre compagnie jusqu’à ce sommet tout aussi réel que métaphorique, même si Dany le prend sous son aile.

Le deuxième acte, en revanche, se déroula comme prévu. Sous un chapiteau planté sur la place des Terreaux, sous l’œil bienveillant du bon roi Henri IV, dont l’effigie en cavalier orne la façade de l’Hôtel de Ville, l’autre Béarnais, François Bayrou, disait son texte et François Hollande lui donnait la réplique. D’accord pour un « parlement de l’alternance », pour discuter des alliances pour les régionales et mise entre parenthèses de l’élection présidentielle, le duo Hollande-Bayrou était nettement plus harmonieux que la cacophonie Cohn-Bendit-Bartolone. Peut-être Hollande souffre-t-il du mal des montagnes, toujours est-il qu’il ne fit aucune allusion à l’excursion projetée à l’aiguille du Midi et se permit même de mettre en garde François Bayrou contre certains des « camarades » conviés à y participer : « Je suis beaucoup moins ouvert que François Bayrou, qui est prêt à aller jusqu’à M. Mélenchon ou M. Besancenot. Pas moi. Peut-être parce que je les connais mieux que lui ! », a ainsi lancé monsieur p’tites blagues, qui se voit tout à fait remplacer son ex-compagne dans le cœur des barons locaux style Collomb : ceux-ci préfèrent mille fois les cathos du Modem aux braillards gauchistes dans les exécutifs qu’ils dirigent.

On imagine la perplexité du peuple de gauche qui était accouru fort nombreux vers un spectacle où il espérait puiser un réconfort après les dernières péripéties crapoteuses de la guerre des chefs au PS…

Vincent Peillon s’étant également fait porter pâle et Ségolène Royal ayant choisi Frêche et Montpellier plutôt que Lyon et Collomb pour y célébrer la fraternitude, il ne restait plus que quelques second violons, comme Aurélie Filipetti, Manuel Valls ou Élisabeth Guigou pour sauver la pièce. Ce qui échoua, bien entendu, malgré leurs efforts méritoires. Qu’importe d’ailleurs, puisqu’il semble que les socialistes, dans les scrutins locaux, ne souffrent pas trop de leurs déboires théâtraux sur la scène nationale, ce qui convient tout à fait à Gégé et ses copains des autres provinces. Socialiste à l’Elysée, veste assurée : tel est le dicton caché de ces maires, présidents de régions et de conseils généraux PS qui œuvrent dans notre beau pays de France.

Lady Di, une ex de l’Ex ?

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Rarement une critique littéraire aura fait couler autant d’encre aussi vite. Il est vrai que le savoureux compte-rendu fait par Etienne de Montéty dans Le Figaro du roman à paraître de VGE « la Princesse et le président » ne se bornait pas à des considérations stylistiques : depuis ce matin, tout le monde conjecture sur la liaison supposée entre celui qui était alors chef de l’Etat et Lady Diana. Vrai ou faux ? Pure fiction ou réalité transposée ? Allez savoir. Une chose est sûre, le buzz est monumental et, du coup, on imagine que le public français fera meilleur accueil à cet ouvrage de VGE qu’au précédent, à savoir le Traité Constitutionnel Européen.

VGE, le fou chuintant

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vge

Chanonat, 1982. J’avais dû assez mal me comporter pour que ma rédaction me dépêche en Auvergne enquêter sur les bals des pompiers. D’Ambert à Issoire, de Riom à Thiers, le pompier auvergnat n’est pas ce que Dieu a posé de plus glamour sur la terre. On n’en fait pas des calendriers et si, par malheur, le feu vient à incendier la moindre grange, personne ne se précipite au dehors pour admirer le corps des sapeurs ardant à l’effort. C’est qu’en Auvergne les pompiers ne sont pas de solides et mâles gaillards, arborant leurs vingt ans et leurs muscles saillants. On les choisit bien vieux, un peu secs, le casque mal ajusté sur leur tête chenue. Si l’un d’entre eux tombe, il brûle comme le premier fétu venu et sa veuve se console à l’idée qu’elle ne se ruinera pas en coûteux enterrement.

Le pompier auvergnat ne présente qu’un seul intérêt : une fois l’an, il organise un bal. Un vieux chapiteau, une estrade improvisée et, par-dessus, une brigade toute entière de sapeurs qui essaient de tirer des sons d’instruments qui ne leur ont rien fait. Sur la piste, une population passablement avinée esquisse des pas de ce que l’on croit être une danse. Il ne faut pas tenter le rock quand on ne sait que la bourrée.

Je m’étais commencée à la Gentiane et je finissais ma deuxième bouteille de Saint-Pourçain, quand un grand escogriffe vint se planter devant moi. Son corps de squelette était couronné d’une tête assez ridicule. Un pantalon à pattes d’éléphant, une chemise à jabot surmonté d’un nœud papillon grotesque, une trop petite veste en tweed étaient censés l’habiller pour l’occasion. Le plus ahurissant est que cet être ridicule était doué de la parole et n’hésitait pas à le montrer.

– Bonchoir, Madame. Je chuis l’accordéonichte de la brigade des chapeurs-pompiers de Chanonat et che ne chèche (du verbe checher) de vous regarder depuis que vous êtes entrée. Puis-che m’acheoir à vos côtés ?
– Ah non, le chuintant ! Il ne s’assied pas à mes côtés. Ou alors il va me chercher une bouteille de Saint-Pourçain. Et fissa.

Il s’exécuta. Cinq minutes plus tard, il revenait, une bouteille de rouge à la main.

– Ch’ai remarqué votre petit acchent, me dit-il en remplissant mon verre. Vous n’êtes pas de Chanonat ?
– Non, non. Je suis allemande.

Il essuya une larme et me raconta, d’une voix émue, qu’il avait dix-sept ans quand les Allemands défilèrent sur les Champs-Elysées. Puis, il s’enfila un verre.

– C’est assez dommache qu’il ne cherve pas à mancher ichi. Vous chavez qu’avec le Chaint-Pourchain, il n’y a rien de mieux que les œufs brouillés. Aimez-vous les œufs brouillés ?

Il était bien gentil, le fou chuintant. Mais il commençait à me les brouiller, les œufs. Je fis alors ce que je fais en pareille occasion : je me réfugiai dans un éthylisme absolu, mais toujours digne. Quand il revint avec la huitième bouteille de Saint-Pourçain, je n’entendais même plus ce qu’il me disait. Le type me semblait avoir une fêlure au casque : il disait avoir été président de la République, bien aimer les grands Blacks et les diamants, rêver de faire le tour du monde en avion renifleur. Plus ça allait, plus il divaguait.

Le moment vint où il s’aventura à poser la main sur la mienne et à me regarder au fond des yeux. C’est précisément le moment que je choisis pour me lever, prétextant devoir me refaire une beauté. J’étais déjà dehors qu’il me rattrapa.

– Princhèche, princhèche ! hurlait-il. Puis-che vous appeler ma princhèche ?
– Vas-y, le bougnat, si ça te fait plaisir.
– Vous êtes ma princhèche ! Che vais le dire, le chanter à l’accordéon et peut-être même un jour l’écrirai-che.
– Oui, c’est ça, écris-le.

J’étais déjà loin que je l’entendais crier « Au revoir, Princhèche », dans la brume d’Auvergne.

La princesse et le Président

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Clearstream, le choc des petits Titans

82

godzilla

Western, duel, match, cour de récré, guerre nucléaire : mes honorables confrères ont tout dit et recouru à toute la palette des métaphores disponibles pour évoquer l’affrontement entre le Président de la République et un ancien Premier ministre. Rien ou pas grand-chose ne nous aura été épargné sur ce piteux spectacle et sur ce qu’il dit de notre démocratie malade. Il est vrai que chez nos voisins, la politique est un noble combat d’idées dans lequel de valeureux adversaires échangent des arguments avec hauteur et délicatesse et que nul scandale politique ne secoue jamais d’autre pays que la France. Ailleurs, c’est les bisounours, chez nous, les Borgia. (C’est plus romanesque, du reste, tous ceux qui nous expliquent que les passions humaines n’ont aucun intérêt tout en s’en délectant, feraient mieux d’arrêter la littérature. Passons).

Mais derrière ce choc au sommet, se joue un autre duel, peut-être pas vraiment du genre titanesque – ce serait plutôt du Molière, quelque chose comme Sganarelle contre Scapin. C’est que les deux héros de ce procès ont dans les médias, disons des porte-flingues car « valets » serait désobligeant. Et le plus amusant est qu’eux aussi ont été sinon amis, du moins alliés, puis qu’il s’agit d’Edwy Plenel et de Jean-Marie Colombani qui ont longtemps tenu les rênes du Monde, où ils ont d’ailleurs mis en œuvre avec succès les méthodes qu’ils dénoncent avec indignation aujourd’hui : intimidation, intox, coups tordus et autres douceurs démocratiques et transparentes. Les inoubliables valets de notre répertoire ne ressemblent-ils pas à leurs maîtres ?

Hélas, rien ne va plus entre les deux anciens maîtres du Monde qui se sont séparés en laissant du sang sur les murs. Il se murmure d’ailleurs que si Plenel a été débarqué, ce n’est pas seulement à cause des méchanteries qu’avaient écrites Philippe Cohen et Pierre Péan dans La face cachée du Monde, mais en raison de son anti-sarkozysme rabique ou de sa villepinomania délirante : Plenel est aussi fasciné par l’athlétique Dominique qu’un séfarade devant une Suédoise. Au point qu’il voit en lui le champion de la droite propre, ce qui, pour l’homme des basses œuvres du chiraquisme est assez marrant, et même le nouveau Bonaparte appelé à sauver la République en danger. Et devinez qui fera Fouché ?

Les deux hommes portent donc sur la Toile les couleurs de leurs champions respectifs. Avant même l’ouverture du procès, les hostilités ont commencé par une bataille de boules puantes. Slate, le site dirigé par Colombani, a déniché un sombre épisode bulgare dans la carrière de Villepin : histoire de s’occuper après l’élection de son rival, celui-ci a dirigé un groupe d’experts chargés d’aplanir les différends entre Sofia et l’Union européenne. Ledit groupe n’aurait pas, dans un premier temps, montré toute la fermeté requise à l’endroit du gouvernement. Bon. Comme scandale, c’est un peu maigre. Quant à Plenel, il publiait en fin de semaine sur Mediapart un témoignage « prouvant » que l’ex-ministre ne connaissait pas le faussaire présumé, Imad Lahoud, et qu’il ne pouvait donc être l’auteur de la machination. L’auteur de cette fracassante révélation était le beau-frère de Villepin. Un scoop comme ça, ça sent le grand journalisme. Il est fort ce Plenel.

Il faut reconnaître que dans le style baroque et rigolo des valets de comédie, le moustachu l’emporte haut la main. C’est que, malgré sa famille en or, Villepin en chevalier de la Vertu publique victime de basses machinations, ça ne le fait pas. Villepiniste et robespierriste, ça semble difficilement conciliable. La thèse de Plenel est simple, enfin presque : ce n’est pas Villepin qui a essayé d’exploiter les listings truqués pour empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à l’Elysée, mais Sarkozy qui a tenté de le faire croire pour se poser lui-même en victime. Et cette légende l’a grandement aidé à gagner l’élection (théorie assez grotesque car l’opinion ne comprend rien à cette histoire de fous).

Le phare du journalisme moral ne saurait conclure un texte sans tirade sur les principes. L’enjeu de ce procès, explique-t-il, n’est rien de moins que la démocratie elle-même (d’ailleurs, Plenel ne se déplace pas pour moins) : « La démocratie en ce sens qu’elle est une haute idée de la justice, en tant que pilier de la défense des libertés individuelles et collectives. » « Détournement privatif de la justice », « déni de droit et corruption de l’esprit public », on en tremble tellement c’est beau et grave. D’ailleurs, nous dit-il, le fait que Henri Leclerc, « figure de la gauche judiciaire », défende le valeureux Galouzeau est une preuve en soi. Ah, évidemment, s’il a un avocat de gauche, ça change tout. La preuve du gâteau, c’est qu’on le voit à la télé.

L’ancien patron de Plenel a, pour sa part, mis son talent et sa plume au service du président. De mauvais esprits attribuent ce zèle au fait qu’il continuerait à espérer la succession de Patrick de Carolis à la tête de France Télévisions. Soyons juste, il joue plus sobre : on n’imagine pas un homme aussi distingué que Jean-Marie Colombani traiter Villepin de Chippendale comme l’a fait sur RTL un personnage secondaire de cette comédie en eaux troubles, le communicant Pierre Charron, visiblement mandaté pour cogner. Au Monde, Colombani était à l’évidence le gentil flic. Il ne fait pas dans l’emphase lyrique, il énonce calmement ses hypothèses comme des vérités révélées. « Au départ, écrit-il, et cela ne semble être contesté par personne, il y a bel et bien une machination, un véritable montage destiné à compromettre un certain nombre de personnalités, et avant toute chose à barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy. » Ben si, cher Jean-Marie, ce « avant toute chose pour barrer la route de l’Elysée à Nicolas Sarkozy » est contesté par pas mal de gens, notamment par votre ancien camarade de travail. Sans le dire clairement, Colombani laisse fortement supposer que Villepin n’a pas seulement profité d’une barbouzerie fomentée par d’autres mais qu’il pourrait être le chef d’orchestre de toute l’opération « Nagy Bocsa ». « Et doivent résonner encore dans quelques oreilles des incitations, injonctions, admonestations de toutes sortes reçues de Dominique de Villepin : « C’est du lourd, on le tient ! » Tel était en effet, en substance, le message dit et répété, avec l’insistance qu’on lui connaît, par Dominique de Villepin à suffisamment de journalistes pour que soit établie, sinon l’implication directe du Premier ministre comme donneur d’ordres, du moins sa totale adhésion à ladite machination. » Que Villepin ait balancé à la presse, ce qui est parfaitement exact, ne prouve nullement qu’il a tout inventé lui-même. On a plutôt l’impression que les deux hommes se sont rendus coupables de mauvaise camaraderie : l’un a secrètement espéré que son rival allait tomber pour une histoire crapuleuse inventée par d’autres et pour d’autres raisons ; l’autre, animé par une rancune tenace, a décidé de tuer le premier en tirant tous les partis possibles de son faux-pas. Sauf que la mauvaise camaraderie n’est pas un délit.

Colombani laisse la justice juger, bien sûr, mais au cas où les magistrats auraient besoin de quelques informations, il dresse un portrait au vitriol du ministre-poète, inventeur du CPE et de la dissolution. Il y a, nous dit-il, du Fouché chez cet homme-là qui incarnerait, s’il était condamné, la quintessence d’une mouvance chiraquienne où l’on retrouve « la tentation permanente du coup tordu. » Il conclut par le récit d’une scène hilarante où lui-même, convoqué par Villepin au bar du Bristol, a droit à un avertissement en règle sur le mode mafieux. Lui qui disait avec gourmandise que « Le Monde fait peur », ça a dû lui rappeler des souvenirs.

Le plus chouette, c’est que la pièce sera à l’affiche pendant un mois et qu’on peut compter sur nos duettistes et duellistes du net pour assurer les intermèdes. De l’investigation de haut vol, je ne sais pas mais du comique de boulevard, assurément.

Accidentés du travail : à vos rangs, fisc !

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Les indemnités versées aux accidentés du travail seront désormais imposées, a annoncé le ministre du budget, Eric Woerth. C’est à ce genre de mesures que l’on reconnaît les bons gestionnaires et les vrais humanistes. En effet, il estime que « ce n’est que justice », au motif qu’un revenu de remplacement doit être traité de la même manière qu’un revenu du travail. Cette fiscalisation des indemnités ne remettra évidemment pas en cause la défiscalisation des heures supplémentaires, heures pendant lesquelles, précisément, se multiplient pour des raisons évidentes les accidents du travail. En effet, l’ouvrier, cette créature étourdie, devient naturellement inattentif quand il dépasse ses horaires de fainéant, perdant une main, un œil, voire se brisant la colonne vertébrale. Il n’y a donc aucune raison qu’il n’en paie pas les conséquences et il est juste que l’on détruise cette scandaleuse niche fiscale. Néanmoins, dans un louable souci de compensation, et aussi pour prouver l’efficacité de la synergie gouvernementale, la ministre des Finances a annoncé une baisse probable des tarifs du gaz pour le 1er octobre. Les accidentés du travail pourront ainsi se suicider à moindre coût.

Sacré Giscard !

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Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !
Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !
Valéry Giscard d'Estaing et Lady Di ? Même pas en rêve !

Depuis le début de la semaine, on s’interroge sur le prochain roman de Giscard. Fiction ou roman à clef ? A qui donc s’adresse cette épigraphe « promesse tenue » ? A Lady Di ? A lui-même ? A sa femme[1. Non, là, je rigole.] ?

Il est plus amusant, pour le commun des mortels, de deviser sur l’éventuelle relation entre VGE et la princesse de Galles et de moquer son éventuel fantasme amoureux. Je n’y ai moi même pas échappé en paraphrasant Diana refusant de participer à une orgie à Chanonat : « Un Auvergnat, il en faut toujours un ; c’est quand il y en a beaucoup qu’il peut y avoir des problèmes. »

Mais quand on se fait le devoir de tenir un carnet politique, il faut revenir à la politique. Et, dans ce livre à paraître, dont Le Figaro nous a relaté l’histoire, le fantasme le plus fou, le plus dément, le plus hilarant n’est pas amoureux ni même sexuel. Il est bel et bien politique. Imaginez que Giscard fait du héros principal un Président de la République réélu en 1981. Difficile d’éluder le fait que le Président qui se représente au suffrage des Français à cette date se nomme Valéry Giscard d’Estaing.

Giscard n’est pas surnommé ironiquement l’Ex par hasard. Il est à ce jour le seul Président de la République en exercice à s’être ramassé lors d’une élection présidentielle. Le Général de Gaulle fut réélu en 1965, François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002. La mort a interrompu le premier mandat de Georges Pompidou et, pour le locataire actuel de l’Elysée, il faudra attendre encore trois ans. Bref, pour lui, c’est la honte. Même celui qu’il tient pour un grand con a été réélu triomphalement en Père de la Nation : Giscard ne parvient pas à cacher la souffrance et l’injustice qu’il vit et dont il pense être victime.

Alors, il se soigne. En écrivant un roman. Il n’est ni le premier ni le dernier à procéder de cette façon. Non seulement, cela coûte moins cher qu’un psy mais en plus, cela va lui rapporter un maximum. Franchement, il met le paquet, l’Ex ! Réélu avec 56 % des suffrages ! Et on s’interroge pour savoir si c’est une œuvre de fiction ? En partant sur cette base, il peut nous inventer n’importe quoi. Qu’il culbutait une princesse délaissée – c’est fait – mais aussi qu’il devint le premier homme à poser le pied sur Mars, qu’il réduisit spectaculairement inflation et chômage ou qu’il parvint à faire comprendre à la France que la Constitution européenne était un texte intelligible voire intelligent. La plus grande obsession, c’est tout de même bien que ce type puisse imaginer que son septennat ait pu donner envie aux Français de le réélire triomphalement. Parce que le fait que les hommes de pouvoir étaient dotés d’une libido largement au dessus de la moyenne et que leur position sociale pouvait avoir quelque effet sur leurs capacités de conclure, comme dirait Jean-Claude Dus, on savait déjà.

Reste à savoir si ce roman sera aussi mal écrit que Le Passage[2. Roman écrit par Giscard où le narrateur est un notaire, chasseur et fort bien cravaté, qui a une aventure avec une auto-stoppeuse. Les Guignols de l’Info imaginèrent une adaptation pornographique et invitèrent la marionnette de VGE à un faux journal du hard.] ou le traité constitutionnel européen[3. C’est mon obsession à moi.]. Peu importe. Il se vendra, et la fuite organisée ces jours-ci y sera pour quelque chose. Bien joué, l’éditeur. L’Ex peut ainsi faire la nique au grand con corrézien cité plus haut, lequel doit sortir ses mémoires au même moment. Quand j’écrivais qu’elle était là, son obsession !

La princesse et le Président

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Le Kloug de M. Hosni

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La défaite de Farouk Hosni, candidat égyptien à la tête de l’Unesco, est un cas d’école pour tous ceux qui s’intéressent aux lobbies, ces puissances occultes qui sont, comme chacun le sait, les véritables maîtres de notre monde. La première leçon est simple : de toute évidence le lobby sioniste est en perte de vitesse. Que ce soit sous les coups de boutoir d’un Dieudonné ou grâce à la vigilance citoyenne de gens comme vous et moi, on ne peut que constater que le soutien de Netanyahou (chef ex-officio du dit lobby) et de Sarkozy (à la tête de l’antenne locale) ne vaut pas grand-chose. Comme l’a tout de suite compris Mohammed Salmaoui, le perspicace président de l’Union des écrivains égyptiens, les sionistes n’y sont pour rien, c’est « le lobby juif », beaucoup plus fort, qui « a exercé énormément de pressions, a pris certains commentaires du ministre et les a placés hors contexte ». Cependant, l’AFP ne précise pas si M. Salmaoui a appelé Netanyahou pour le remercier de son soutien au candidat malheureux. S’il ne l’a pas fait, il n’est pas trop tard ! Face au lobby juif, Jérusalem et le Caire ont, certes, perdu cette fois-ci, mais leur alliance peut encore servir face à ses futures et sombres menées. La deuxième leçon est plus importante encore : un nouveau lobby vient de faire une foudroyante démonstration de force. La victoire surprenante d’Irina Bokova, élue hier à la tête de l’Unesco, ne peut pas s’expliquer autrement. Certains pensent que c’est Julia Kristeva qui tire les ficelles du nouveau lobby, d’autres soupçonnent Sylvie Vartan d’en être l’éminence grise, mais tous s’accordent : l’opération « Perkovic » pour la conquête de l’Unesco est la preuve éclatante de l’efficacité du « lobby bulgare ».

Dément tellement

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Le ministre de l’Identité nationale, Eric Besson, comme une mauvaise femme de ménage qui cache la poussière sous le tapis, a supervisé ce matin mardi 22 septembre une héroïque opération de police. Près de Calais, le camp sauvage où des réfugiés afghans, pakistanais et irakiens vivaient dans une zone de sables et de bouleaux sous des toiles de tentes et des baraques en tôle, appelée plaisamment la « jungle », a été démantelé. Dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, les CRS ont encerclé le camp, procédant d’après la préfecture à 278 interpellations dont 132 mineurs. On annonçait une population de plus de huit cents personnes dans la « jungle », mais celle-ci s’est égaillée dans la nature comme elle en a l’habitude depuis la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte en 2002, qui se fit sans autre solution de remplacement. Mais qu’importe, le ministre Besson a virilement affirmé : « Il y aura d’autres démantèlements. » C’est bien, mais nous tenons à rappeler à Eric Besson que France Telecom, EDF-GDF, la SNCF et ces jours-ci La Poste ne sont pas, malgré les apparences, des camps de réfugiés mais des services publics.

Amours interdites à Mea Sharim

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tabakman

Avec Tu ne m’aimeras point de Haim Tabakman, le cinéma israélien continue à sortir des sentiers rebattus du conflit moyen-oriental pour explorer les chemins tortueux de la sexualité. Après Kadosh de Amos Gitai, une caricature du monde ultra-orthodoxe, après Les Secrets de Avi Nesher qui traitait de la sexualité entre femmes, après My Father, My Lord de David Volach, qui évoquait l’épineux problème de la laïcité en Israël – et dont les manifestations, cet été, des Haredim, « les hommes en noir » contre l’ouverture d’un parking le samedi à Jérusalem montrent à quel point il est d’actualité – jamais le cinéma israélien n’était allé aussi loin dans son approche de la religion et du sexe.

Eyes wide open, le titre original de ce film subtil, troublant, voire gênant, fait référence à Eyes Wide Shut de Kubrick. Quelques semaines après les attentats perpétrés contre des homosexuels à Tel Aviv, Tu ne m’aimeras point rappelle une fois de plus les difficultés pour ces hommes de vivre pleinement leur vie dans les carcans d’une société trop religieuse, trop hiérarchisée, trop oppressante.

On est loin des cow boys secrètement amoureux de Brokeback Mountains de Ang Lee. Cette fois-ci, l’homosexualité s’invite en territoire encore plus hostile : la communauté juive orthodoxe de Jérusalem. Au programme : intolérance et drames intimes amoureux, sur un scénario un peu attendu, traînant parfois en longueur. Aaron, marié et père de quatre enfants est boucher dans la communauté juive de Jérusalem. À la mort de son père, il reprend la boucherie familiale et embauche un jeune homme, Ezri, qui sera l’ange de la tentation. L’amour nait. La tragédie est en marche.

L’intérêt du film ne réside pas dans cette énième histoire d’un amour interdit, mais dans la façon dont ces deux hommes voient leur amour naître, grandir et dépérir, au cœur d’une communauté montrée sans cliché et dans toute sa complexité.

Comment concilier l’amour de Dieu et l’amour des hommes ? Vieille question dont Augustin avait compris toute la complexité. Faut-il renoncer à l’amour de Dieu pour une relation charnelle ? Comment faire cohabiter une religion qui se revendique humaine et aimante (« tu aimeras ton prochain comme toi-même ») avec son refus d’accepter l’amour du même sexe ?

Doit-on renoncer à l’être aimé et à son épanouissement ou doit-on vivre sa vie en conformité avec sa foi et son existence dans l’usurpation ? Pourquoi faut-il choisir ? Ces questions sans réponses constituent la trame cachée de Tu ne m’aimeras point.

Pour les juifs orthodoxes, l’homosexualité n’existe que comme une tentation une faute, un crime.Or, pour Aaron et Ezri, amour charnel et amour de Dieu restent indissolublement liés. À aucun moment les deux amants, malgré leur souffrance, ne pensent à quitter leur communauté. Mais si chacun est sincère dans son amour et dans sa foi, le film révèle la limite au-delà de laquelle ces deux logiques sont inconciliables. Reste une seule alternative : se soumettre ou disparaitre. L’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est donc vécue comme une épreuve censée les ramener vers davantage de spiritualité.

Dans ce contexte, le paradoxe des haredim se révèle pleinement. D’une part, la communauté est soudée par un sentiment de fraternité, de solidarité et de confiance – on n’est jamais seul, chacun s’occupe de chacun. Mais cette sollicitude bienveillante est aussi un redoutable instrument de contrôle social. Dans cette « communauté réduite aux aguets », surveiller et punir pourrait être érigé comme la 614e prescription du talmud. Dans un monde clos, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, il faut se méfier de celui qui trouble l’ordre.

Mais que faire, alors, de l’amour et surtout du désir ? Chez les orthodoxes, celui-ci est méprisé, ignoré. La seule chose prescription est de satisfaire les besoins de sa femme, selon un rituel bien codifié, dans le seul but de procréer.

Le boucher Fleishman (dont le nom, au sens étymologique signifie « l’homme de la chair ») qui doit rendre consommable la viande impure, est bien forcé de faire avec cette chair animale. Mais il ne sait pas faire avec la sienne et moins encore avec celle d’un autre homme.

Pour autant, Tabakman ne fait pas le procès à charge du judaïsme orthodoxe : l’amour de Rivka, l’épouse d’Aaron, empreint de pudeur et de tendresse, n’est-il pas au fond plus puissant dans sa dimension spirituelle ? Certes, la dimension érotique est totalement absente du mariage mais celui-ci reste un engagement profond et fondamental et c’est ce qui donne à cette épouse la force de surmonter sa souffrance.

On a évidemment envie de condamner sans appel cette religion qui répudie le désir et le sexe. Mais tout l’intérêt du film et qu’il ne juge pas et n’invite pas à juger mais à comprendre. Au final, en effet, l’homme y est dépeint comme fondamentalement libre : il choisit son mode vie, il choisit sa vie. Il choisit son amour. Il devient lui-même. Même la prison la plus farouchement garde ne peut résister lorsque le désir s’abat sur ses proies.

Alors, on se demande si le 11e commandement devrait être « Tu ne m’aimeras point » ou « Tu aimeras à perdre la raison ».

Le livret A se grippe

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La Caisse des dépôts et consignations vient d’indiquer que le livret A, qui est le moyen d’épargne préféré des classes populaires, a connu une « décollecte » de 1,33 milliard d’euros au mois de juillet et que le solde entre retraits et dépôts s’équilibrent à peine après la flambée qui suivit la généralisation de ce livret à tout le réseau bancaire. Il faut dire qu’entre temps, le taux de rémunération de ce placement a été ramené de 2,5 % à 1,75 % en mai, puis de 1,75 % à 1,25 % en août. Vous avez compris, les pauvres ? Vous n’êtes pas des traders, vous, pas question de faire de l’argent avec de l’argent. Mais consolez-vous, si le livret A ne vaut plus rien, le virus de la grippe du même nom semble, d’après une déclaration de l’OMS ne pas avoir muté et rester relativement anodin. Pauvres, mais pas malades, donc… De quoi vous plaignez-vous ?

Le PS joue Guignol à Lyon

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A Lyon, Guignol joue toujours à domicile.
À Lyon, Guignol joue toujours à domicile.
A Lyon, Guignol joue toujours à domicile.

Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon a récupéré cette année l’organisation du « Forum Libération » que son camarade du PS et rival régional Michel Destot, député-maire de Grenoble, a laissé filer dans la capitale des Gaules pour des raisons budgétaires.

Ce grand raout intellectuel, politique et mondain ressemble à une grande foire aux discours et aux idées où le bon peuple est invité à venir admirer et consommer ce qui se fait de mieux dans le genre.

Ce n’est pas désagréable de flâner de débat en débat, quand le temps est beau, le cadre somptueux (l’Hôtel de ville et l’Opéra de Lyon). On est, de surcroît, assuré de trouver dans un rayon de moins de cinq cents mètres une tripotée de restaurants dont certains, dont je tairai le nom pour ne pas les signaler aux touristes, méritent vraiment l’appellation de bouchon lyonnais, souvent usurpée.

Bref, grâces soient rendues à Gégé Collomb de se faire l’amphitryon (le véritable, celui où l’on dîne) d’une manifestation dont il espère, sans doute, des retombées positives pour sa ville et la suite de sa carrière politique. En fait de foire, celle-ci serait plutôt du genre brocante et vide-grenier, où l’on peut chiner sa pâture intellectuelle parmi les stands présentant des thématiques ayant déjà dans un passé récent ou plus lointain fait l’objet de controverses intellectuelles et politiques. On pardonnera donc au quotidien de la rue Béranger de nous avoir fourgué comme une avant-première une projection du film Le neuvième jour de Volker Schlöndorff, tourné en 2004 et diffusé sur Arte en avril 2007… Dans toute brocante on peut trouver quelques arnaqueurs, mais cela n’enlève rien au plaisir du chineur. Si l’on ajoute les pipoles du moment, Fréderic Mitterrand, Nicolas Hulot, Dany Cohn-Bendit que les badauds sont ravis de voir en chair et en os, on a tous les ingrédients d’un week-end réussi.

Le thème choisi cette année, « l’Europe vingt ans après la chute du mur de Berlin », permettait toutes les variations et supportait fort bien que l’on sacrifiât à la marotte du patron de Libé, Laurent Joffrin – se faire l’entremetteur d’une alliance de la gauche, des Verts et du centre.

Tout l’éventail socialiste avait été convié, de Martine Aubry à Vincent Peillon, en passant par Valls et Hollande, pour faire avancer ce rassemblement en dialoguant avec Cohn-Bendit et Bayrou sous le regard bienveillant d’un Gérard Collomb bien revenu de son enthousiasme ségoléniste. Las, ce qui devait être le coup d’envoi d’une nouvelle alliance visant à bouter Sarko hors de l’Elysée, se résuma à une guignolade qui devrait réjouir les partisans du maintien à son poste de l’actuel président de la République. Normal, dira-t-on, dans une ville dont Guignol et ses partenaires du café du Soleil sont les icônes d’une lyonitude fièrement assumée et revendiquée. Mais cela serait faire injure à Laurent Mourguet, le créateur de Guignol, et à ceux qui, comme Emilie Valantin[1. Emilie Valantin dirige la compagnie du Théâtre du Furs, qui met en scène des spectacles de marionnettes, dont des reprises de saynettes écrites pour Guignol par Laurent Mourguet. Elle fut chargée, en 2008, de célébrer le 200e anniversaire de la naissance de Guignol avec un spectacle Les embiernes commencent, présenté au Théâtre des Célestins à Lyon. Pour les non-familiers du parler des gones, les embiernes sont la version lyonnaise des emmerdes.], s’efforcent de perpétuer la tradition frondeuse des marionnettes du Vieux Lyon, que de les comparer au spectacle offert en cette fin septembre par les camarades socialistes dans la cité rhodanienne.

Le premier acte prévoyait, dès le lever du rideau, de faire dialoguer Martine Aubry et Daniel Cohn-Bendit sur la scène de l’Opéra rénové par Jean Nouvel. Esthétiquement, c’était assez osé : Titine la rose et Dany le Vert sur le fond noir de jais de la grande salle. Mais la dramaturgie était là : on aurait vu un Dany magnanime offrir à Martine la présidence de la République à un socialiste, à condition que celui-ci lui convienne et qu’il accepte, dans la famille, un Bayrou auquel cette belle âme de Dany a pardonné les offenses de la campagne des européennes.

Martine Aubry, qui n’est pas la moitié d’une andouille, avait flairé le piège et s’est décommandée au dernier moment, envoyant à sa place le tonton-flingueur Claude Bartolone pour donner la réplique au rouquin. Pendant ce temps-là, Martine Aubry se faisait un restau entre filles avec Cécile Duflot, la cheffe des Verts français, pour tenter d’enfoncer un coin entre cette dernière et le remuant leader d’Europe-écologie.

Dépité, Cohn-Bendit eut beau vanner à mort ce pauvre Bartolone, celui-ci ne démordit pas une seule seconde de son os stratégique : d’abord l’union de la gauche à l’ancienne avec PC, radicaux, verts, chevènementistes et amis de Mélenchon, et après on verra ce qu’on fait avec le Modem et Bayrou. Bartolone se propose même de rassembler tout ce petit monde au sommet de l’Aiguille du Midi, un endroit symbolique pour prendre de la hauteur et échapper au marécage dans lequel pataugent actuellement la gauche et le PS. Et pas question de mettre Bayrou dans la benne du téléphérique qui portera l’illustre compagnie jusqu’à ce sommet tout aussi réel que métaphorique, même si Dany le prend sous son aile.

Le deuxième acte, en revanche, se déroula comme prévu. Sous un chapiteau planté sur la place des Terreaux, sous l’œil bienveillant du bon roi Henri IV, dont l’effigie en cavalier orne la façade de l’Hôtel de Ville, l’autre Béarnais, François Bayrou, disait son texte et François Hollande lui donnait la réplique. D’accord pour un « parlement de l’alternance », pour discuter des alliances pour les régionales et mise entre parenthèses de l’élection présidentielle, le duo Hollande-Bayrou était nettement plus harmonieux que la cacophonie Cohn-Bendit-Bartolone. Peut-être Hollande souffre-t-il du mal des montagnes, toujours est-il qu’il ne fit aucune allusion à l’excursion projetée à l’aiguille du Midi et se permit même de mettre en garde François Bayrou contre certains des « camarades » conviés à y participer : « Je suis beaucoup moins ouvert que François Bayrou, qui est prêt à aller jusqu’à M. Mélenchon ou M. Besancenot. Pas moi. Peut-être parce que je les connais mieux que lui ! », a ainsi lancé monsieur p’tites blagues, qui se voit tout à fait remplacer son ex-compagne dans le cœur des barons locaux style Collomb : ceux-ci préfèrent mille fois les cathos du Modem aux braillards gauchistes dans les exécutifs qu’ils dirigent.

On imagine la perplexité du peuple de gauche qui était accouru fort nombreux vers un spectacle où il espérait puiser un réconfort après les dernières péripéties crapoteuses de la guerre des chefs au PS…

Vincent Peillon s’étant également fait porter pâle et Ségolène Royal ayant choisi Frêche et Montpellier plutôt que Lyon et Collomb pour y célébrer la fraternitude, il ne restait plus que quelques second violons, comme Aurélie Filipetti, Manuel Valls ou Élisabeth Guigou pour sauver la pièce. Ce qui échoua, bien entendu, malgré leurs efforts méritoires. Qu’importe d’ailleurs, puisqu’il semble que les socialistes, dans les scrutins locaux, ne souffrent pas trop de leurs déboires théâtraux sur la scène nationale, ce qui convient tout à fait à Gégé et ses copains des autres provinces. Socialiste à l’Elysée, veste assurée : tel est le dicton caché de ces maires, présidents de régions et de conseils généraux PS qui œuvrent dans notre beau pays de France.

Lady Di, une ex de l’Ex ?

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Rarement une critique littéraire aura fait couler autant d’encre aussi vite. Il est vrai que le savoureux compte-rendu fait par Etienne de Montéty dans Le Figaro du roman à paraître de VGE « la Princesse et le président » ne se bornait pas à des considérations stylistiques : depuis ce matin, tout le monde conjecture sur la liaison supposée entre celui qui était alors chef de l’Etat et Lady Diana. Vrai ou faux ? Pure fiction ou réalité transposée ? Allez savoir. Une chose est sûre, le buzz est monumental et, du coup, on imagine que le public français fera meilleur accueil à cet ouvrage de VGE qu’au précédent, à savoir le Traité Constitutionnel Européen.