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Quand les bons payent pour les méchants

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Empreinte

Un journaliste français, Mustapha Kessous, a publié, dans Le Monde du 23 septembre, un témoignage sur son expérience du racisme. Toute sa vie, cet homme a encaissé des marques d’hostilité, de rejet, de méprises humiliantes parce qu’il a un visage et un nom « à consonance étrangère ». Son récit montre combien il peut être douloureux, en France, d’être d’origine arabe quand on se heurte à des gens qui ne prennent pas la peine d’apprécier un homme sur sa présentation, son respect, sa politesse ou son sérieux, quand on provoque la méfiance du fait de sa naissance.

Mustapha Kessous a rencontré des Français qui, refusant de pratiquer la discrimination nécessaire pour distinguer le voyou de l’honnête homme, en appliquent une autre sur des critères raciaux. Le journaliste ne tire de ces avanies aucune conclusion et ne juge personne. Mais on pourrait y voir la peinture d’une France raciste, ignorante et victime de préjugés. En entrant dans la réalité des choses, on comprend que certaines réactions, présumées racistes, sont le fruit de l’expérience vécue. Si certains voient en tout Arabe un « zyva » faiseur d’embrouilles, c’est peut-être parce ceux qu’ils voient sont souvent à la fois l’un et l’autre. Les bons payent pour les méchants.

[access capability= »lire_inedits »]Qui se scandalise quand la police de la RATP surveille des bandes de jeunes Roumains ou Roumaines dans le métro ? Est-ce par préjugé raciste ? Si on est honnête, on comprend que ça ne se passe pas comme ça.

Peut-on sérieusement accuser des policiers dont la mission est − entre autres − d’arrêter des immigrés clandestins, de pratiques racistes quand ils contrôlent des étrangers ou des Français qu’ils prennent pour des étrangers ? Les vigiles, dans les supermarchés, qui observent particulièrement les Arabes et les Noirs, font-ils preuve de préjugés racistes ou d’une connaissance empirique de leur prochain ? Les prisons, elles, sont pleines de Français post-jugés dont les deux tiers sont d’origine maghrébine ou subsaharienne. Les juges qui mettent tout ce monde-là derrière les barreaux ne semblent pas noyautés par le Ku Klux Klan.

Il n’est pas raisonnable de jeter l’opprobre sur les policiers ou les vigiles qui contrôlent au faciès. En langage de flic, ça s’appelle du profiling : on arrête moins les dames à caniche que les jeunes à capuche parce que, statistiquement, les dames à caniche sont moins délinquantes que les jeunes à capuche. Tous les artisans que je connais me disent : «  On ne fait pas d’affaires avec les Manouches. » Et cette résolution ne porte ni haine, ni préjugé mais une large palette de sentiments qui vont jusqu’à la tendresse, et tout sauf de l’ignorance.

Lorsque nous abordons des hommes et des femmes en tenant compte de leur origine dans la bienveillance, la méfiance voire la neutralité, sommes-nous racistes ? Il paraît qu’un Asiatique a plus de chance qu’un Arabe d’être employé comme salarié dans bien des entreprises, même si les deux présentent aussi bien. Les Chinois, en France, ne disent pas souffrir de racisme. Faut-il en conclure que les Blancs préfèrent le jaune à toutes les autres couleurs ?

En Autriche, une hôtelière a répondu à une demande de réservation : « Nous avons eu de mauvaises expériences, aussi nous n’acceptons plus de clients juifs. » Cette brave dame, qui n’avait peut-être jamais vu jusque-là de juifs dans ces contrées, a peut-être subi un défilé de familles séfarades qui l’ont empêchée de dormir toute une saison. Doit-on la considérer comme antisémite si elle préfère, depuis, accueillir des retraités anglais ?

Il faut se demander d’où vient la mauvaise réputation qui s’attache à certains groupes de Français, et qui pèse sur tous leurs membres sans discrimination. Pas seulement de la délinquance. Les comportements culturels sont souvent à l’origine de la prise de distance des uns par rapport aux autres. Les réactions qui naissent des frictions sont souvent décrétées racistes, mais la question de la race est dépassée par une autre qui a plus à voir avec la culture de chacun.

Racistes, les professionnels de l’immobilier qui, quand ils osent encore, expliquent que les différences de modes de vie dans la société multiculturelle rendent parfois la cohabitation difficile ? Le principe de précaution prévaut et on pénalise des familles parfaitement courtoises et civiles en leur refusant des logements. Il arrive aussi que le discernement d’un bailleur ou d’un propriétaire permette à des personnes de toutes origines de partager dans la cordialité des immeubles avec des Français plus blancs. Raciste, le chauffeur de taxi tunisien qui a confié à une amie qu’il ne prenait plus d’Arabes le soir ? Tous ceux qu’il avait pris n’avaient pas fait des problèmes mais, à chaque fois qu’il avait eu des problèmes, c’était avec des Arabes. Racisme ou prudence – forcément − mal placée ?

Les Français, quelles que soient leurs origines, bénéficient des mêmes droits. Si certains groupes sont, plus que d’autres, victimes de rejet, il faut peut-être en chercher la cause ailleurs que dans un racisme français. Les communautés de Hollandais qui font revivre des villages abandonnés dans des régions reculées, ouvrent des gîtes ou des restaurants, sont plutôt bien vues. Si demain, certains de leurs membres se faisaient remarquer pour leurs incivilités, leurs pratiques délinquantes ou criminelles, on verrait monter chez leurs voisins ce qu’on appellerait un peu vite un racisme anti-hollandais. Si les pratiques culturelles de ces protestants bataves traduisaient un rejet de la culture française, si leurs enfants affichaient fièrement leur haine de la France, la méfiance et la défiance monteraient sûrement dans la population autochtone.

L’image pour le moins contrastée qui colle aux populations musulmanes plane, qu’il le veuille ou non, au-dessus de Mustapha Kessous. C’est une injustice. Ils sont des millions à en souffrir. Faut-il éduquer la majorité des Français à l’antiracisme et leur inculquer l’abolition de la méfiance ? Certaines communautés doivent-elles s’attacher à redonner confiance ? Lequel de ces deux mouvements sera le plus susceptible de mener tous les groupes humains qui composent la nation vers un authentique vivre-ensemble ? Je vous laisse juges.[/access]

Oui au banquet, non au bunker

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14-Juillet, Claude Monet.
14-Juillet, Claude Monet.

Soyons bien clair, dans l’intitulé « ministère de l’Identité nationale », ce n’est pas « national » qui nous gêne. « National  » peut devenir désagréable avec un adjectif collatéral mais comme ça, il a tout de l’adjectif honnête. « Education nationale », par exemple, avec cette idée que c’est l’affaire de toute la nation, une question aussi importante. Que c’est peut-être là d’ailleurs, à l’école, que devrait se forger la conscience d’une identité, si vraiment il faut en passer par là. Et puis national, avec un préfixe cette fois-ci, ça nous fait arriver assez vite à l’Internationale, qui est le genre humain, comme chacun sait, ce qui est aussi une manière d’affirmer une identité, mais commune, celle-ci, et universelle. Qu’il nous soit ainsi permis de remarquer que l’internationalisme suppose l’existence des nations alors que le mondialisme ou la mondialisation les nie.

Finalement, le grand Jan Valtin, dans Sans patrie ni frontières[1. Actes Sud, Babel.], quand il raconte sa vie de révolutionnaire professionnel au service du Komintern, dans les années 1930, fait beaucoup plus pour l’existence des nations, leurs différences multicolores dans l’espérance communiste que, par exemple, un DSK à la tête du FMI qui désenchante la planète dans une uniformisation créée par quelques impératifs catégoriques néolibéraux, appliqués sans distinction à la Moldavie, au Burundi ou à la France.

[access capability= »lire_inedits »]Ce n’est pas non plus « identité » qui nous chagrine dans « identité nationale  ». Identité est un nom sympathique, qui indique une similitude, une ressemblance. La devise de la République aurait très bien pu être « Liberté, Egalité, Identité ». Remarquable en mathématique, l’identité est psychologiquement la certitude d’être soi au milieu des autres reconnus comme tels. Celui qui n’a pas d’identité est un autiste ou un solipsiste. Il est persuadé que l’Autre n’existe pas, ou est une projection intérieure. Schopenhauer définissait le solipsiste comme un fou enfermé dans un bunker. Impossible de le déloger, impossible de négocier, impossible de se faire accepter de lui comme un autre à part entière. Au bout du compte, cette aberration psychologique pourrait très bien, précisément, fournir le portrait du nationaliste. Le nationaliste, paradoxalement, est celui qui a perdu son identité. Il se bunkérise dans une nation plus ou moins fantasmée, plus ou moins mythifiée dans l’espoir de la retrouver. Et c’est là qu’il commence à faire n’importe quoi, par exemple définir la nation par la race, le sang, l’hérédité.

L’identité nationale devrait aller de soi, comme la bonne santé. Cioran notait quelque part que se sentir en bonne santé était signe que l’on commençait à être malade. Celui qui est en bonne santé ou qui respire n’éprouve pas besoin de dire « Je suis en train de respirer, je suis en bonne santé. » Avoir créé un ministère de l’Identité nationale est l’aveu de ce malaise, de ce début de maladie.

Mais qu’est-ce qui ne va plus, alors, dans la vision qu’une certaine droite a de la France ? La montée des communautarismes, l’immigration clandestine, les crispations identitaires ? Admettons. Mais d’où viennent ces phénomènes, qui les a créés ? Quand les inégalités se sont creusées en vingt ans à un point tel que les trentenaires sont la première génération à vivre moins bien que la précédente, quand il se met à exister de fait plusieurs France, à cause de différences de revenus telles que des populations ne se croiseront plus jamais, même symboliquement, autour de grands événements fédérateurs, on est bien obligé d’appeler à la rescousse une identité nationale devenue hypothétique. Surtout pour faire oublier que cette fragmentation de la société est essentiellement due à des politiques libérales dont les maîtres d’œuvre ont tout intérêt à affronter des groupes divisés par des critères ethniques ou religieux plutôt qu’une classe qui aurait conscience d’elle-même. Le libéral parle d’identité nationale alors qu’il préfère toujours, malgré ses dénégations, une mosquée salafiste qui fait elle-même sa police dans les quartiers à un syndicat qui réclamera son dû dans la répartition des richesses. Délicieuse schizophrénie.

Et puis l’identité nationale, ça dépend qui en parle. C’est comme pour ces mots d’amour un peu crus que peuvent employer les amants et qui deviennent, hors contexte, de banales obscénités.

Finalement, l’identité nationale sera retrouvée quand on n’aura plus besoin de l’invoquer. Elle devrait être comme Dieu dans sa création  : présente partout, visible nulle part.[/access]

Lloyd Barnes

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Wackie's Records
Wackie's Records.

Le 6 août 1962, la Jamaïque dit « Good Bye ! » à Londres et proclame son indépendance. L’ancienne colonie britannique vit des journées de fièvre et d’exaltation. En pleine guerre froide, l’enjeu est d’importance : pro-Cubains et pro-Américains se disputent le pouvoir sur l’île. A Trenchtown, quartier sud de Kingston, le People’s National Party et le Jamaica Labour Party s’affrontent par gangs interposés.

Trenchtown, c’est le quartier où Lloyd Barnes a grandi. Il y fréquente assidûment les sound systems, d’imposantes discothèques mobiles où les disc-jockeys cherchent à se distinguer de leurs concurrents en proposant de nouveaux morceaux.

En 1967, alors qu’il a tout juste 18 ans, Lloyd Barnes décide de quitter l’île et d’émigrer aux Etats-Unis : depuis l’indépendance, la Grande-Bretagne a limité ses quotas d’immigrants jamaïcains. Lloyd Barnes débarque dans le Bronx, à New York. Le jour, il court les chantiers de construction pour gagner sa croûte. Le soir, il court les sound systems du Queens et de Brooklyn, avant de monter le sien. Il n’est pas dépaysé : ici aussi, les gangs font la loi. Certains soirs, les balles sifflent au-dessus du mur de haut-parleurs. La guerre des gangs, spécialité de Trenchtown, a rattrapé les Jamaïcains de New York.

[access capability= »lire_inedits »]Pas téméraire, Barnes décide de diversifier ses activités. En 1972, avec ses économies, il achète du matériel qu’il bricole un peu pour avoir un son singulier. Il loue une cave, y monte son propre studio d’enregistrement et réunit une bande de musiciens pour assurer ses futures sessions. Un an plus tard, les premiers disques voient le jour, estampillées d’un lion et d’un drapeau, l’emblème de son label, Wackie’s. Au bout de quelques mois, Barnes ne peut plus assumer le loyer de son appartement et de son studio. Il décide de dormir dans le studio d’enregistrement. Les 45 tours du label sont pressés à 500 ou à 1 000 exemplaires selon l’état de son compte en banque.

Un soir de 1976, Barnes se fait détruire sa sono. La guerre des gangs a eu raison de son sound system. Il ouvre alors un magasin de disques pour écouler la production de son label. Barnes produit des artistes plus ou moins connus issus, pour la plupart, de l’émigration jamaïcaine : Junior Delahaye, Love Joys ou Wayne Jarrett. Résolument avant-gardiste, le studio new-yorkais passe maître dans l’art de l’expérimentation et de l’innovation. Progressivement, le studio attire l’attention des pointures de la Jamaïque : Sugar Minott ou Horace Andy. Les productions de Wackie’s se distinguent par un mixage raffiné et une sonorité caractéristique. L’aventure du studio d’enregistrement et du label dure dix-sept ans. En 1989, la hausse du loyer contraint Barnes à mettre la clé sous la porte.

Les productions de Barnes s’affranchissent des étiquettes et des frontières. Vers la fin des années 1990, un garçon avec un léger accent allemand appelle Lloyd Barnes. Il s’agit de Moritz von Oswald, collectionneur et musicien, responsable des « morceaux de dub les plus excitants de la décennie », comme le dit Don Letts, compagnon de route de Bob Marley et des Clash. Von Oswald propose à Lloyd Barnes de rééditer le catalogue de Wackie’s. Barnes accepte. Pour la première fois dans la vie du Jamaïcain, tout est clair, écrit, et surtout l’Allemand aime la musique. C’est ça le plus important. Dorénavant, Wackie’s a une nouvelle maison : Berlin. Quoi de plus normal, pour le label d’un homme qui aimait les murs.

Horace Andy meets Naggo Morris & Wayne jarrett-mini showcase

Price: 50,23 €

3 used & new available from 47,89 €

Horace Andy, Dance Hall Style (Wackie’s – W-1383). En 1983, Barnes produisait le meilleur album d’Horace Andy, vétéran du reggae, remis à la mode depuis ses collaborations avec Massive Attack.
Wackies, African Roots Act 1 (Wackie’s – W-001). Premier volume d’une longue série d’albums d’instrumentaux, véritable who’s who du dub.
Naggo Morris, Horace Andy & Wayne Jarrett, Mini Showcase (Wackie’s – W-1716/1722). Barnes, producteur et pygmalion. En quelques titres, Naggo Morris et Wayne Jarrett prouvent qu’ils n’ont rien à envier à Horace Andy.

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Autant en emporte Guillon

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Parc de la Courneuve
Parc de la Courneuve.

La France est-elle raciste ? En tout cas, ça n’a pas dû s’arranger depuis la diffusion, le 19 septembre sur France 5, du premier numéro du magazine « Teum-Teum », tourné à La Courneuve, avec Stéphane Guillon en invité vedette. Pourtant, tout avait bien commencé…

Au matin, l’artiste est dans une forme rayonnante, comme le soleil levant sur la cité des « 4000 ». En compagnie de son guide, il se promène, souriant, dans les rues de la cité interdite – non sans tester d’emblée sa posture d’humoriste engagé : « Je suis plus en sécurité ici qu’à Neuilly ! » Ben voyons ! On l’imagine, un instant, tabassé à coups de sac par des dames de Sainte-Croix, et on se prend à rêver…

Mais non ! Ce trait d’esprit, sans doute travaillé dans le RER, signifie simplement : j’ai pas peur de ces quatre mille Arabes parce que je suis pas raciste mais, en revanche, les bourges de Neuilly veulent ma peau parce que je suis un insoumis. Putassière pirouette d’un bouffon bien en cour qui n’a rien à craindre nulle part sauf devant sa conscience, c’est-à-dire vraiment nulle part.

[access capability= »lire_inedits »]Le malaise, pourtant, Guillon en prend conscience progressivement, juste un peu moins vite que le téléspectateur. C’est tout le charme de ce documentaire chronologique : entre le matin et le soir, l’âne change de ton ; ainsi finit la comédie…

Dans une boucherie halal, il croit pourtant « détendre l’atmosphère » en commandant haut et fort des côtes de porc. Rires polis, sans doute grâce à la caméra.

– On peut se moquer des religions ?, lui demande fort à propos son accompagnateur, Juan Massenya.
– En principe, il vaut mieux se moquer de la sienne, comme le catholicisme pour moi (sic). Mais quand c’est fait avec intelligence, ça passe ! (re-sic)

À cet instant, Stéphane, qui alterne consciencieusement humour et sérieux, rumine sans doute une phrase bien sentie sur « la déshumanisation programmée des cités par un urbanisme ghettoïsant », ou genre. Mais le voilà tout déconcerté par la surprise que lui réservait Juan : « Ce boucher, Stéphane, est aussi un artiste-peintre ! » Ah oui ? Mais c’est que ça n’entre pas du tout dans le cadre fixé par Guillon pour sa tournée des popotes… Au lieu de distribuer, comme il sait faire, bonnes paroles et bons mots, le voilà contraint d’accepter du boucher non pas deux côtes de porc, mais une toile abstraite digne de la FIAC !

Tandis que Guillon balbutie « Ha… heu… Merci beaucoup, on dirait, heu… du Poliakov… », son regard égaré semble dire : « Mais c’est quoi ça ? C’était pas dans le contrat ! Qu’est-ce que je dis, moi ? Et qu’est ce qu’ils veulent prouver, à la fin, dans ce reportage à la con ? »

Bonne question, Guillon ! Ce que « Teum-Teum » veut montrer, c’est une autre réalité. Pas seulement la violence, la délinquance et la drogue qui font l’ordinaire des JT, ni la misère organisée que racontent au coin du feu les intellectuels engagés. Plutôt, pour changer, des habitants de la cité qui ont décidé de s’en sortir malgré les difficultés, et qui y arrivent !

Entre autres, un jardinier autodidacte, fier de ses fleurs rares ; deux employés entreprenants qui ont créé leur propre boîte ; et même des architectes du cru qui en remontrent à Stéphane sur l’urbanisme social !

À force d’être ainsi contrarié, Guillon perd les pédales et finit en roue libre…

Pourquoi ce terrible malentendu ? diront les première année. Tout simplement parce que Stéphane, comique organique du système, est infoutu de se remettre en cause : si son numéro ne marche pas, c’est que le public est mauvais !

Lui se voyait, ce jour-là, en jeune Kouchner drôle et décoiffé, offrant sa bimbeloterie à une tribu lointaine et reconnaissante. Au lieu de quoi ces sauvages semblent bien lui dire : « Qui t’es toi, pour raconter notre vie à notre place ? »

Eh bien, une personne de qualité, de celles qui « savent tout sans avoir rien appris ». Avant même de débarquer sur ces terres improbables, l’explorateur comprenait mieux que les indigènes leurs problèmes, la solution, et même comment en blaguer entre-temps. Enfin quoi, foutrebleu, ce n’est pas aux lépreux de nous expliquer la lèpre !

Bref, il est déçu, le Guillon ; d’où ce soulagement inavouable, qu’on entrevoit à la nuit tombée, dans son œil épuisé et même pas content.

« Qu’est ce que tu retiendras de cette expérience ? », lui demande en conclusion Juan, décidément lourdingue. Et l’autre de ramer sur l’exclusion des pauvres, le cynisme des riches, la noirceur des Blancs, que sais-je, avant de se trahir dans les politesses d’usage : « J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de gaîté », lâche-t-il, comme en sortant d’un centre ce soins palliatifs… « Les gens étaient contents de me voir et, heum, j’espère qu’ils vont venir, euh… chez moi, quoi, bientôt. » (Sous-texte : pourvu que ces cons de la prod’ n’aillent pas donner en vrai mon adresse à tous ces glands !)

Avec tout ça, diront certains, on est quand même loin du sujet : la France est-elle raciste ? Au contraire, on est en plein dedans ! Avec son autisme hautain, son nordisme de carpetbagger et son paternalisme niais, Guillon aux « 4000 », c’est Tintin au Congo – l’esprit en moins.[/access]

Bac ? Chiche !

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Le bonnet d'âne pour ceux qui ne peuvent pas se payer le bac !
Le bonnet d'âne pour ceux qui ne peuvent pas se payer le bac !

La nouvelle pub d’Acadomia, le géant des « petits cours », « Bachelier ou remboursé !  », a provoqué les hauts cris dans les milieux de l’éducation et assimilés.

Pour un montant variant entre 2000 et 3000 euros par aspirant bachelier, le soutien scolaire proposé ambitionne de faire franchir la barre du bac à celles et ceux dont les chances de réussite sont réduites, pour ne pas dire nulles. Si le candidat se révèle par trop bourrin et se fait étaler en dépit du coaching acadomiesque, ses géniteurs se verront rembourser les frais engagés, déduction faite du crédit d’impôt accordé par l’Etat pour ce genre de dépenses.

[access capability= »lire_inedits »]
« Le bac n’est pas à vendre ! » s’est écrié noblement Luc Chatel, ministre de l’Éducation, qui a trouvé là une bonne occasion de se faire bien voir des profs sans bourse délier. Le patron d’Acadomia, M. Coléon (ne pas confondre avec Corleone), se défend en disant que, dans la rue, il y a des bus et des taxis qui cohabitent sans se cracher dessus…

Il a parfaitement raison, et on ne voit pas pourquoi il renoncerait à s’en mettre plein les fouilles en spéculant sur l’angoisse des familles relative à leur progéniture chérie. Le coup du « satisfait ou remboursé » est même assez génial quand on connaît le taux de réussite au bac, près de 80 % en 2009. Le risque de prendre un bouillon financier avec cette promo est infinitésimal, car le public visé par cette offre est celui des parents aisés et attentifs à la scolarité de leurs enfants, milieu où le taux de réussite est encore plus élevé.

Ceux qui, malgré tout, ne parviendraient pas à décrocher cette peau d’âne bien dévaluée pourront toujours s’inspirer des méthodes d’Acadomia pour monter des plans fric ne nécessitant pas des études Bac + x.[/access]

Présumée coupable

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Manifestation de sans-papiers, Paris, 2007.
Manifestation de sans-papiers, Paris, 2007.

Instruction à charge, presse enrégimentée, défense bâillonnée : un procès-fleuve se déroule sous nos yeux, dans des conditions dignes d’une République bananière, et ça n’intéresse personne. Il est vrai que le verdict est prononcé d’avance. Dans le box des accusés, la France n’a aucune chance de s’en sortir.

Les crimes multiples qui lui sont reprochés relèvent du même chef d’inculpation, le plus grave de tous  : racisme. Du sommet du pouvoir aux esprits lepénisés, la France n’aime pas l’Autre. En tout cas la France blanche : comme chacun sait, dans la France diverse, la tolérance et l’amour de la différence sont la règle.

[access capability= »lire_inedits »]Sans cesse, de nouvelles preuves du crime sont brandies devant l’opinion. La chasse au raciste ne fait jamais relâche. L’armée, la police, le gouvernement comparaissent à tour de rôle. La Halde ne sait plus où donner de la tête. L’infortuné Brice Hortefeux a fait la « une » pendant une bonne semaine et risque de durer dans le rôle du raciste de comédie que les humoristes grinçants et dérangeants lui ont assigné avec une belle unanimité. Eric Besson a pris le relais, aux manettes d’une « rafle d’Etat » : il a arrêté 250 immigrés illégaux (dont beaucoup ont été relâchés par les tribunaux) et fait détruire un campement sauvage dont on aurait aimé qu’il se trouvât dans le 6e arrondissement. On se rappelle la joie des riverains quand des sans-abri qui n’étaient même pas sans-papiers se sont installés sur les rives du canal Saint-Martin, au cœur du Boboland parisien.

Mais il y a le témoignage accablant de Mustapha Kessous, journaliste au Monde et bon citoyen, confronté tous les jours à ceux qui « n’aiment pas les Arabes ». À la lecture de son article, on se sent triste et coupable. Dans les rédactions, on triomphe : on la tient, cette France toujours moisie !

Tous des salauds ? Peut-être. Mais alors tous. Comme l’a rappelé Malika Sorel au micro de Finkielkraut[1. « Répliques », France Culture, 26 septembre.], ce qu’on appelle racisme est fort bien partagé. Toutefois, le reportage du Monde dans une cité de Cavaillon où la haine de la France et des Français s’affiche et se hurle quotidiennement n’a pas suscité le moindre intérêt. Là, ce n’est pas raciste, juste l’expression d’une légitime révolte.

Mustapha Kessous n’a rien inventé. Tandis que, sur les plateaux de télé, on s’aime les uns les autres, dans la vraie vie, la France « de souche » et la France « issue de » se font la gueule. Encore que, plus que la tension, c’est la séparation qui monte. S’agit-il de racisme ?

Pour une partie des Français, la France de la mixité siffle la Marseillaise dans les stades. Elle a le visage de bandes de gamins taillés XXL qui barrent l’accès au métro et occupent l’espace public comme s’ils y étaient seuls. Pour d’autres, elle prend la forme de quartiers où il est difficile de manger pendant le ramadan et où on croise des fantômes de femmes. Tous oublient leurs milliers de concitoyens arabes ou africains devenus des Français comme les autres – peut-être justement parce qu’on ne les voit pas. On peut le comprendre. Il faut aussi rappeler sans relâche, par le verbe et par la loi, qu’il n’y a pas de responsabilité collective.

Ce qui est « visible », dans nos minorités, ce n’est pas la « race », mais le comportement. Ce qu’on appelle racisme tient à la fois de la méfiance sociale et du jugement culturel. Est-il criminel de penser que certains modes de vie sont préférables à d’autres et de vouloir les préserver ?

Le prêchi-prêcha ambiant est aussi étouffant et impitoyable que le furent, hier, les religions du Ciel puis de la Terre. Poser des questions, faire preuve de tiédeur dans l’autocritique, c’est se désigner comme hérétique.

Et pourtant, la France serait-elle le Dutroux des nations, elle a le droit à un procès équitable.[/access]

Islam immodéré

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Depuis une semaine, un Institut américain au demeurant respectable, le Centre Pew Research, annonce que les musulmans sont 1,5 milliards sur terre, soit un quart de l’humanité, dont les deux-tiers en Asie. Une annonce assez étonnante pour qu’on en examine le détail. Ainsi donc, deux-tiers des musulmans vivraient en Asie, dont les trois principaux foyers sont l’Indonésie (160 millions), le Pakistan (170) et l’Inde (160), soit 490 millions. Mais où sont les autres « en Asie » (continent que l’Institut Pew Research fait commencer non pas au Bosphore mais au Pakistan, intégrant l’Iran au Proche-Orient, qui constitue une zone à part dans cette étude) ? Pas en Extrême-Orient : de la Corée et au Japon, ils sont inexistants, et entre la Chine et les Philippines, les Moluques ou la Malaisie, ne pèsent que quelques dizaines de millions, Bengladesh excepté). Il y a donc au grand maximum 600 millions de musulmans en Asie. S’ils représentent les 2/3 de la Oumma, cela signifie qu’il y a environ 900 millions de musulmans dans le monde… ce qui a toujours été le chiffre officiel (à comparer avec près de 2 milliards de chrétiens). Mais la tentation est sans doute assez grande, chez certains, de remettre au goût du jour le slogan du Japon des années 1930 : « 123 millions of Nippons can’t be wrong ! » Puisque des prix Nobel à l’économie, du foot à la culture, le monde musulman est relégué, l’argument du « poids démographique » est bien tentant. SVP, respectez le quart de la galaxie !

L’Empire du Bien contre Polanski

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polanski

Si besoin était, l’affaire Roman Polanski nous prouve que l’Empire du bien, tel que l’a défini Philippe Muray, a gagné, partout, totalement et semble-t-il, définitivement. Par exemple, il va vous obliger, comme si ça n’allait pas de soi, à préciser en guise d’introduction que vous trouvez évidemment répréhensible qu’une jeune fille de 13 ans ait été abusée par un cinéaste. Qu’il s’agit là d’un crime, quand bien même il remonterait à 1977.

À peine oserez-vous dire que sur une échelle de gravité, comme il y a une échelle de Richter, vous trouvez cela finalement moins grave que de tuer par procuration les salariés des entreprises privatisées, de bombarder des populations civiles en temps de paix, de laisser se produire des désastres écologiques au nom de la logique marchande, de manipuler l’opinion et de tester à grande échelle ses capacités de soumission en exagérant soigneusement les capacités morbides d’un virus, d’oublier que le président légitime du Honduras est toujours coincé dans l’ambassade du Brésil de son propre pays par des putschistes, j’en passe et des pires.

Tout ça, finalement, ce devait être la faute à Polanski. Puisque l’on a rien trouvé de plus urgent que de l’arrêter.

Polanski est un cinéaste qui a fait parmi les films les plus étonnamment déstabilisants de l’histoire du cinéma. Et le spectateur n’aime pas ça, au fond, être déstabilisé. Il n’aime pas qu’on lui fasse vivre la folie de l’intérieur comme dans Répulsion, l’éternelle histoire du bouc-émissaire comme dans Le Locataire, la possibilité du Mal comme dans Rosemary’s baby. C’est bien connu, les artistes sont des salauds. Ils apportent de mauvaises nouvelles, ils démoralisent, ils vous renvoient en pleine figure vos névroses, vos lâchetés, vos vices cachés derrière vos vertus publiques.

Et puis, c’est tellement plus facile à faire taire, les artistes, les penseurs, les poètes. Ca se défend mal, ça a toujours quelque chose à se reprocher, et quand on les élimine ça n’empêche pas l’appareil productif de continuer de tourner. Alors, en embastiller deux ou trois, en flinguer quatre ou cinq, ça vous refait une virginité pour pas cher. L’histoire est vieille comme le besoin de lyncher ou d’amener la victime expiatoire sous le couteau sacrificiel.

Imaginez une société qui ait beaucoup à se reprocher sur sa manière de traiter les pauvres, les étrangers, les femmes, les juifs, les noirs. Je sais, c’est difficile, mais il paraît que ça existe, parfois. Ce qu’il y a de plus rapide pour elle, finalement, c’est de s’en prendre à celui qui fait le travail du négatif qu’il soit poète ou philosophe. Et elle vous dit alors, cette société : « Vous verrez, faites nous confiance, une fois le sang répandu, les tripes exposées, le cadavre jeté aux chiens, le beau temps va revenir, les roses vont éclore, on va raser gratis et retrouver le plein emploi. »

Une liste, comme ça, au jugé ? Socrate, ce pervertisseur de la jeunesse, est forcé à s’empoisonner par le gouvernement d’Athènes ; Ovide, ce libertin obsédé sexuel est exilé sans raison et sans retour par Auguste ; François Villon, ce voleur de cours des Miracles est mis en prison et échappe de peu à la pendaison, Baudelaire et Flaubert, ces vieux garçons pervers dont un amateur de négresses et l’autre de bains turc avec jeune gens (tiens, tiens…) sont traînés la même année par le même procureur devant les tribunaux pour immoralité ou encore, cerise sur le gâteau de l’infamie, Céline, cet antisémite incurable, est condamné à mort et va pourrir plusieurs années dans une prison danoise.

Tiens, puisqu’on parle de l’Epuration : il suffit de lire n’importe quelle histoire de la période, Paxton ou Ory par exemple, pour s’apercevoir que proportionnellement les milieux intellectuels, artistiques et journalistiques collaborationnistes paient un prix beaucoup, mais alors beaucoup plus élevé que les industriels ou la haute fonction publique qui ont continué à faire fonctionner le pays sous occupation nazie.

Donc, ce qui arrive à Polanski doit à peine le surprendre. Ça ressemble tellement à l’un de ses films paranoïaques où le pire est toujours certain. En même temps, être arrêté dans un paradis fiscal qui a blanchi l’argent de toutes les saloperies planétaires sur l’ordre de la justice d’un pays qui par ailleurs ne signe quant à lui aucune convention sur les tribunaux internationaux tant il a une histoire chargée, et tout ça pour des faits vieux de trente ans, le petit juif polonais aurait peut-être reculé devant l’invraisemblance du scénario.

Il a simplement dû se dire quand la police est arrivée que décidément, les années en 9 ne lui portaient pas chance. En septembre 1939, il échappe de justesse aux SS dans le ghetto de Cracovie. En août 69, c’est Sharon Tate, son épouse enceinte qui est massacrée avec des amis par Charles Manson et sa bande de satanistes.
Le souffle de la Bête, toujours, qui ne lâche pas.
Et là, à l’automne 2009, la machine de l’Empire du Bien commence à le broyer. Il paraît, et c’est ce qu’on entend dans le chœur des vierges effarouchées dans un unaninisme suspect qui va de l’extrême droite à l’extrême gauche, que cette ordure infâme est un justiciable comme les autres.
On aimerait bien, pour le coup, que ce soit le cas.
Parce que là, on a plutôt l’impression qu’être riche, juif, cosmopolite, génial et avoir une femme splendide, ça lui servirait plutôt de circonstances aggravantes.

J’espère simplement qu’une fois son extradition accomplie, on aura le bon goût de ne pas le mettre dans la même cellule que Manson.
Et puis une dernière chose : nous sommes tous des juifs polonais cinéastes.
Même vous.

L'Empire du bien

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Cent ans de solitude et des semaines d’hystérie

Faut-il interdire Gabriel Garcia Marquez ?
Faut-il interdire Gabriel Garcia Marquez ?

L’époque est vraiment à la « vigilance » citoyenne contre toutes les déviances à l’ordre généralisé du Bien. Après l’ignoble mise en cachot de Roman Polanski, rattrapé par une obscure affaire de mœurs remontant aux années Giscard, et l’hystérie collective entourant l' »affaire Mitterrand », voilà que l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez est attaqué – nous apprend le site du Magazine Littéraire – par une ONG sud-américaine pour des passages jugés tendancieux de son livre Mémoire de mes putains tristes (2005) décrivant la passion « tarifée » d’un vieil homme pour une jeune adolescente.

La « Coalition Régionale des Femmes et des Fillettes en Amérique Latine » (laissez moi rire une seconde du nom de cette ONG !) tente de faire interdire l’adaptation de ce roman à l’écran, car ce dernier « banalise le phénomène (ndlr : de la prostitution) et place en situation de risque tous les enfants, filles ou garçons pauvres de notre Amérique latine et des Caraïbes ».

En bref, l’immense auteur de Cent ans de solitude, récipiendaire du Prix Nobel de littérature en 1982, pousserait le quidam à aller aux putes ! Comme si l’internationale des maquereaux avaient besoin de littérature pour développer son business…

En dehors du fait que les commentateurs ont toujours tendance à considérer les œuvres littéraires comme des témoignages autobiographiques ou des « manifestes », cette résurgence de la « vigilance » globalisée à l’instar de la sexualité, fait ressurgir le (mauvais) souvenir des accusations portées contre le film Mort à Venise de Visconti (1971) et la Lolita de Stanley Kubrick (1962)… Qui demandera bientôt des comptes à ce sodomite de Platon, pour avoir fait l’apologie de ce coquin de Socrate, qui matait les jeunes garçons athéniens durant leurs séances de fitness… ?

Mémoire de mes putains tristes

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Miles Davis : un carnage !

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Par la bedaine de Bird, il y a vraiment des anniversaires qui sont de trop ! Regardez un peu comment l’on fête, dans les marges, le cinquantenaire de Kind Of Blue. Cinq gaillards pratiquant la chiptune music (une sorte d’électro à base de sons extraits de consoles de jeu 8 bits) viennent de sortir Kind Of Bloop, un « hommage » au trompettiste. Ça n’a l’air de rien, mais punaise, je vous prie de croire qu’il y a de quoi gloser.

Une des preuves récurrentes du génie de Miles Davis était son obsession pour le rôle des pauses, dont Kind Of Blue et, à près de dix ans d’écart, In A Silent Way restent les exemples les plus frappants. Ainsi, lorsque sur Shh/Peaceful, McLaughlin égrenait les twangs ferrailleux-douceâtres de sa Jazzmaster, que l’étirement des arpèges couronnait le duo de claviers Hancock-Zawinul, que le charleston de Williams trissait une assise subtile, le marbre des entrelacs Adderley/Coltrane de Kind Of Blue passait à une nouvelle dimension de l’orchestral, électrifié et nuancé.

Je serais bien en peine, vous vous en doutez, de tartiner autant de mirifique poésie musicoïde sur ce Kind Of Bloop ! Cet album livre un traité de passage à la moulinette de la nuance. Nos cinq rénovateurs de l’extrême assassinent, pixellisent, hachent l’une des tentatives les plus incroyables de la musique populaire de se hisser vers l’éternité des grands compositeurs, sous le prétexte de la sublimer et de la repeindre pour l’époque qui commence. Les versions de So What, Freddie Freeloader prouvent que cette génération (les trentenaires et son public, les « miens », vingtenaires fluos décérébrés), celle du culte du kitsch et du renversement mauvais goût/bon goût, a très bien identifié son ennemi : le silence, cette saloperie mortifère si ardue à faire rentrer dans l’essoreuse gamer. Mais, malheureusement pour nos amis briseurs de barrières, il reste quelques sanctuaires, et nombre d’érudits ou de simples mélomanes amateurs ne sont pas prêts à échanger un disque-témoin de la grandeur d’un mort contre sa célébration dénaturée gerbant un ersatz de vie par tous les pores. La paix des cimetières du monde réel n’est pas encore le décalque de son équivalent vidéo. N’en déplaise aux bidouilleurs, il faudra probablement patienter pour que nos tertres deviennent des wagons de train-fantôme et que nous puissions tous nous faire inhumer au son des consoles de l’enfance de nos parents.

« La communautés jazz et celle des jeux-vidéos sont restés très séparées jusqu’à maintenant », écrit une journaliste de Time, presque effarée devant tant de cloisonnement, de consanguinité. Oui, ces deux mondes étaient encore il y a peu étrangers l’un à l’autre… Et le sol ne menaçait pourtant pas de se dérober sous nos pieds, il me semble ! Le jazz avait certes « une drôle d’odeur », selon le mot devenu célèbre de Zappa, mais si moisissure il y avait, on pouvait autant l’imputer aux expérimentations hasardeuses des fusion-boys privés de patron (Weather Report, Mahavishnu Orchestra en tête) qu’à un discutable esprit de préservation militant pour une audience de happy few experts.

Bon, tentons une approche de la chose par le bas-ventre : est-ce seulement du « bon son », comme dit l’autre ? Mouais… Comme si la question avait de l’importance, comme si 8 pauvres bits pouvaient saisir autre chose que la couche la plus apparente, la crête de la bruine de l’écume de la vague d’un Flamenco Sketches !

En tendant l’oreille, le constat saute aux tympans : c’est un carnage, mais le procédé sort vainqueur de l’écoute. Au sortir de cette thérapie Amigaga, que peuvent les longues constructions, le jeu permanent autour de la blue note originelle ? Les dernières notes de l’ancien monde périssent dans ce bruit fun qui se réclame, sans accroc dans la voix mais en mimant les trémolos transis des visionnaires, de « l’esprit libre du jazz ». Quand on sait la piètre opinion que Davis avait déjà d’Ornette Coleman et du free, le crasseux de la manœuvre s’en fait encore plus frappant. Bien entendu, cette réappropriation se drape dans le prétexte d’une nouvelle culture (comme on ne cesse d’en inventer depuis que l’art a clamsé, il y a bien longtemps), histoire de dresser bien haut la tête et d’envoyer paître la déférence à l’égard d’icônes que l’on déboulonnerait bien s’il ne restait plus qu’elles pour empêcher – tant bien que mal – les populaces de crever d’insuffisance transcendantale.

Ce n’est qu’une question de temps avant que ce bazar passe officiellement l’Atlantique en grande pompe et vienne tortiller du bloop devant nos chers réinventeurs de la vie culturelle hexagonale. Et là, mes amis, ce ne sera pas la même chanson. Tenez, Gainsbourg était déjà pillé, singé par Air, son œuvre réduite à sa dimension de vieux satyre pop ou de soûlard grommelant ? Que diriez-vous d’un mashup décalé, « iConoclaste » de Black Trombone avec les pizzicati de Pacman ? Je connais un paquet de gogos qui mouilleraient leurs fonds de culottes devant ces fonds de tiroirs, et dégaineraient leur larfeuille à l’idée d’une compilation « rassemblant les meilleurs artistes chiptunes du pays », rendant « hommage à l’homme à la tête de chou », et portant un titre débilissime du genre Initials Bip Bip[1. Grosse légume/huile du remix au hachoir, responsable entre autre du Grey Album, mix informe (et infâme ?) entre le White Album des Beatles et le Black Album de Jay-Z.] !

« Qui sait ce que le trompettiste faisait de son temps libre ? », demande la journaliste de Time, en utilisant un de ces procédés hideux de fausse suggestion, équivalent à un « clin d’œil complice » censé emporter le cœur du lecteur, à condition qu’il soit branché, bien entendu. Question rhétorique, habileté journaleuse qui n’appelle pas de discussion : il faut bien entendu imaginer, non, se pâmer à l’évocation de Davis en pyjama fluo se régalant comme un môme éternel ou un cadre hilare (deux synonymes) à une soirée Casimir, s’appliquant, comme tout le monde, à faire tournicoter Mario ou Sonic dans son petit écran. Que d’élégance, en effet, dans cette vision : un vieil homme émacié, presque squelettique, abandonnant cette suspicion carnassière, cette paranoïa du regard, bref cette putain d’humanité qui contribua à faire de lui un des plus grands musiciens et compositeurs du siècle passé pour se vautrer dans l’hébétude vidéoludique, la bave perlant au coin de ses lèvres tuméfiées ! Voilà ce qui prétend remplacer l’image d’Epinal du trompettiste tout en courbes, atomisant la 52nd Street, soufflant le public de Newport 1956 ou la foule hallucinée de l’île de Wight 1970.

Quel programme ! Tout déconstruire. Puis déconstruire ce qui a été déconstruit, dès que le procédé commence à sentir le renfermé, le « daté » (ce qui a l’avantage d’abolir, tout simplement, le temps). C’est la version poussée à son extrême des méfaits acclamés de ce crétin intersidéral de Danger Mouse. L’attaque de la naphtaline par le synthétique-lave-plus-blanc, avec enrobage alternatif et arrogance pseudo-révolutionnaire en sus. Miles Davis devient un Pokémon en puissance sous les traits de Kind Of Bloop, ce qui le place en concurrent sérieux de Kanye West, qui ferait bien de se bouger l’auto-tune avant qu’une peuplade de connards à Gameboy ne lui chip sa gloire.

Si les icônes du jazz ou de la pop music sont aujourd’hui les plus révérés de nos contemporains, elles le sont avant tout par l’a priori sociétal leur attribuant un « esprit aventureux » et une « irréductible modernité ». Une cage dorée pour l’artiste et un devoir de ridicule pour le « fan » qui ne peut que s’achever par un fanatisme tâcheron prenant le plus souvent deux formes : la vénération confinant au mimétisme, ou, comme dans le cas de Kind Of Bloop, une mission sacrée de relecture dont l’impératif frappe le plus souvent la partie du public la plus sévèrement écornée du ciboulot.

On pourra rétorquer à mes galéjades que j’extrapole, que les bidouilleurs incriminés ne sont pas ces postmodernes repus et sûrs de leur bon droit. Il est vrai qu’Andy Baio, le sympathique initiateur de ce projet[2. Frank Lepage a raison : c’est vraiment le mot le plus hideux que le XXIe siècle débutant ait glorifié.], souhaitait simplement « voir comment Miles Davis pouvait sonner en 8 bits ». Soit. Il s’est toujours trouvé des bricolos pour triturer la musique et le son sous toutes ces formes, et nous devons aux meilleurs d’entre eux des chefs d’œuvre d’inventivité. Sauf qu’applaudir la traduction bâclée en bips d’un concentré de beauté musicale au nom du « faut évoluer », pardon, c’est moche. Un minimum de sens esthétique l’aurait probablement fait s’abstenir.

J’aimerais bien qu’il s’agisse d’une initiative proprement individuelle d’une poignée de bozos sous perfusion Nintendo, mais c’est bien d’un forfait commis avec le blanc-seing de Sa Majesté le Web 2.0 dont nous parlons. Baio, co-fondateur du site de soutien financier participatif en ligne Kickstarter, a explosé en moins de deux heures son budget requis (2000 $), propulsé par les dons du tout-venant. Ce qui veut tout simplement dire que plus rien n’est à l’abri de ce genre de gravillons sonores, et qu’il y a de très bonnes raisons de voir des tentatives, plus bas-du-front[3. Ne jamais désespérer de la bêtise humaine. L’immonde Toi + Moi de Grégoire, c’était déjà du 100 % participatif.] encore, soutenues par une armée de twitteurs féroces.
Si vous croyez que cela ne peut pas arriver, vous êtes probablement trop vieux, ou très mal renseigné. Car, pour qui côtoie le djeunisme en congénère, ce sont des galaxies de potentialités approchant ou dépassant l’angélisme de Kind Of Bloop qui défilent quotidiennement.

« Il n’y aura pas de Bossuetland », se réjouissait il y a dix ans Philippe Muray[4. Après L’Histoire I, p. 203, éd. Tel Gallimard, 2007.] à propos de l’échec de la récupération de l’évêque de Meaux à des fins festives par une municipalité peu scrupuleuse. Hélas, comme il y a déjà un Neverland ou un Graceland, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un Miles Park apparaisse à St Louis. Et je vous parie mon billet que Kind Of Bloop tonitruera dans toutes ses attractions.

Kind of Blue

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Quand les bons payent pour les méchants

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Empreinte

Empreinte

Un journaliste français, Mustapha Kessous, a publié, dans Le Monde du 23 septembre, un témoignage sur son expérience du racisme. Toute sa vie, cet homme a encaissé des marques d’hostilité, de rejet, de méprises humiliantes parce qu’il a un visage et un nom « à consonance étrangère ». Son récit montre combien il peut être douloureux, en France, d’être d’origine arabe quand on se heurte à des gens qui ne prennent pas la peine d’apprécier un homme sur sa présentation, son respect, sa politesse ou son sérieux, quand on provoque la méfiance du fait de sa naissance.

Mustapha Kessous a rencontré des Français qui, refusant de pratiquer la discrimination nécessaire pour distinguer le voyou de l’honnête homme, en appliquent une autre sur des critères raciaux. Le journaliste ne tire de ces avanies aucune conclusion et ne juge personne. Mais on pourrait y voir la peinture d’une France raciste, ignorante et victime de préjugés. En entrant dans la réalité des choses, on comprend que certaines réactions, présumées racistes, sont le fruit de l’expérience vécue. Si certains voient en tout Arabe un « zyva » faiseur d’embrouilles, c’est peut-être parce ceux qu’ils voient sont souvent à la fois l’un et l’autre. Les bons payent pour les méchants.

[access capability= »lire_inedits »]Qui se scandalise quand la police de la RATP surveille des bandes de jeunes Roumains ou Roumaines dans le métro ? Est-ce par préjugé raciste ? Si on est honnête, on comprend que ça ne se passe pas comme ça.

Peut-on sérieusement accuser des policiers dont la mission est − entre autres − d’arrêter des immigrés clandestins, de pratiques racistes quand ils contrôlent des étrangers ou des Français qu’ils prennent pour des étrangers ? Les vigiles, dans les supermarchés, qui observent particulièrement les Arabes et les Noirs, font-ils preuve de préjugés racistes ou d’une connaissance empirique de leur prochain ? Les prisons, elles, sont pleines de Français post-jugés dont les deux tiers sont d’origine maghrébine ou subsaharienne. Les juges qui mettent tout ce monde-là derrière les barreaux ne semblent pas noyautés par le Ku Klux Klan.

Il n’est pas raisonnable de jeter l’opprobre sur les policiers ou les vigiles qui contrôlent au faciès. En langage de flic, ça s’appelle du profiling : on arrête moins les dames à caniche que les jeunes à capuche parce que, statistiquement, les dames à caniche sont moins délinquantes que les jeunes à capuche. Tous les artisans que je connais me disent : «  On ne fait pas d’affaires avec les Manouches. » Et cette résolution ne porte ni haine, ni préjugé mais une large palette de sentiments qui vont jusqu’à la tendresse, et tout sauf de l’ignorance.

Lorsque nous abordons des hommes et des femmes en tenant compte de leur origine dans la bienveillance, la méfiance voire la neutralité, sommes-nous racistes ? Il paraît qu’un Asiatique a plus de chance qu’un Arabe d’être employé comme salarié dans bien des entreprises, même si les deux présentent aussi bien. Les Chinois, en France, ne disent pas souffrir de racisme. Faut-il en conclure que les Blancs préfèrent le jaune à toutes les autres couleurs ?

En Autriche, une hôtelière a répondu à une demande de réservation : « Nous avons eu de mauvaises expériences, aussi nous n’acceptons plus de clients juifs. » Cette brave dame, qui n’avait peut-être jamais vu jusque-là de juifs dans ces contrées, a peut-être subi un défilé de familles séfarades qui l’ont empêchée de dormir toute une saison. Doit-on la considérer comme antisémite si elle préfère, depuis, accueillir des retraités anglais ?

Il faut se demander d’où vient la mauvaise réputation qui s’attache à certains groupes de Français, et qui pèse sur tous leurs membres sans discrimination. Pas seulement de la délinquance. Les comportements culturels sont souvent à l’origine de la prise de distance des uns par rapport aux autres. Les réactions qui naissent des frictions sont souvent décrétées racistes, mais la question de la race est dépassée par une autre qui a plus à voir avec la culture de chacun.

Racistes, les professionnels de l’immobilier qui, quand ils osent encore, expliquent que les différences de modes de vie dans la société multiculturelle rendent parfois la cohabitation difficile ? Le principe de précaution prévaut et on pénalise des familles parfaitement courtoises et civiles en leur refusant des logements. Il arrive aussi que le discernement d’un bailleur ou d’un propriétaire permette à des personnes de toutes origines de partager dans la cordialité des immeubles avec des Français plus blancs. Raciste, le chauffeur de taxi tunisien qui a confié à une amie qu’il ne prenait plus d’Arabes le soir ? Tous ceux qu’il avait pris n’avaient pas fait des problèmes mais, à chaque fois qu’il avait eu des problèmes, c’était avec des Arabes. Racisme ou prudence – forcément − mal placée ?

Les Français, quelles que soient leurs origines, bénéficient des mêmes droits. Si certains groupes sont, plus que d’autres, victimes de rejet, il faut peut-être en chercher la cause ailleurs que dans un racisme français. Les communautés de Hollandais qui font revivre des villages abandonnés dans des régions reculées, ouvrent des gîtes ou des restaurants, sont plutôt bien vues. Si demain, certains de leurs membres se faisaient remarquer pour leurs incivilités, leurs pratiques délinquantes ou criminelles, on verrait monter chez leurs voisins ce qu’on appellerait un peu vite un racisme anti-hollandais. Si les pratiques culturelles de ces protestants bataves traduisaient un rejet de la culture française, si leurs enfants affichaient fièrement leur haine de la France, la méfiance et la défiance monteraient sûrement dans la population autochtone.

L’image pour le moins contrastée qui colle aux populations musulmanes plane, qu’il le veuille ou non, au-dessus de Mustapha Kessous. C’est une injustice. Ils sont des millions à en souffrir. Faut-il éduquer la majorité des Français à l’antiracisme et leur inculquer l’abolition de la méfiance ? Certaines communautés doivent-elles s’attacher à redonner confiance ? Lequel de ces deux mouvements sera le plus susceptible de mener tous les groupes humains qui composent la nation vers un authentique vivre-ensemble ? Je vous laisse juges.[/access]

Oui au banquet, non au bunker

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14-Juillet, Claude Monet.
14-Juillet, Claude Monet.
14-Juillet, Claude Monet.
14-Juillet, Claude Monet.

Soyons bien clair, dans l’intitulé « ministère de l’Identité nationale », ce n’est pas « national » qui nous gêne. « National  » peut devenir désagréable avec un adjectif collatéral mais comme ça, il a tout de l’adjectif honnête. « Education nationale », par exemple, avec cette idée que c’est l’affaire de toute la nation, une question aussi importante. Que c’est peut-être là d’ailleurs, à l’école, que devrait se forger la conscience d’une identité, si vraiment il faut en passer par là. Et puis national, avec un préfixe cette fois-ci, ça nous fait arriver assez vite à l’Internationale, qui est le genre humain, comme chacun sait, ce qui est aussi une manière d’affirmer une identité, mais commune, celle-ci, et universelle. Qu’il nous soit ainsi permis de remarquer que l’internationalisme suppose l’existence des nations alors que le mondialisme ou la mondialisation les nie.

Finalement, le grand Jan Valtin, dans Sans patrie ni frontières[1. Actes Sud, Babel.], quand il raconte sa vie de révolutionnaire professionnel au service du Komintern, dans les années 1930, fait beaucoup plus pour l’existence des nations, leurs différences multicolores dans l’espérance communiste que, par exemple, un DSK à la tête du FMI qui désenchante la planète dans une uniformisation créée par quelques impératifs catégoriques néolibéraux, appliqués sans distinction à la Moldavie, au Burundi ou à la France.

[access capability= »lire_inedits »]Ce n’est pas non plus « identité » qui nous chagrine dans « identité nationale  ». Identité est un nom sympathique, qui indique une similitude, une ressemblance. La devise de la République aurait très bien pu être « Liberté, Egalité, Identité ». Remarquable en mathématique, l’identité est psychologiquement la certitude d’être soi au milieu des autres reconnus comme tels. Celui qui n’a pas d’identité est un autiste ou un solipsiste. Il est persuadé que l’Autre n’existe pas, ou est une projection intérieure. Schopenhauer définissait le solipsiste comme un fou enfermé dans un bunker. Impossible de le déloger, impossible de négocier, impossible de se faire accepter de lui comme un autre à part entière. Au bout du compte, cette aberration psychologique pourrait très bien, précisément, fournir le portrait du nationaliste. Le nationaliste, paradoxalement, est celui qui a perdu son identité. Il se bunkérise dans une nation plus ou moins fantasmée, plus ou moins mythifiée dans l’espoir de la retrouver. Et c’est là qu’il commence à faire n’importe quoi, par exemple définir la nation par la race, le sang, l’hérédité.

L’identité nationale devrait aller de soi, comme la bonne santé. Cioran notait quelque part que se sentir en bonne santé était signe que l’on commençait à être malade. Celui qui est en bonne santé ou qui respire n’éprouve pas besoin de dire « Je suis en train de respirer, je suis en bonne santé. » Avoir créé un ministère de l’Identité nationale est l’aveu de ce malaise, de ce début de maladie.

Mais qu’est-ce qui ne va plus, alors, dans la vision qu’une certaine droite a de la France ? La montée des communautarismes, l’immigration clandestine, les crispations identitaires ? Admettons. Mais d’où viennent ces phénomènes, qui les a créés ? Quand les inégalités se sont creusées en vingt ans à un point tel que les trentenaires sont la première génération à vivre moins bien que la précédente, quand il se met à exister de fait plusieurs France, à cause de différences de revenus telles que des populations ne se croiseront plus jamais, même symboliquement, autour de grands événements fédérateurs, on est bien obligé d’appeler à la rescousse une identité nationale devenue hypothétique. Surtout pour faire oublier que cette fragmentation de la société est essentiellement due à des politiques libérales dont les maîtres d’œuvre ont tout intérêt à affronter des groupes divisés par des critères ethniques ou religieux plutôt qu’une classe qui aurait conscience d’elle-même. Le libéral parle d’identité nationale alors qu’il préfère toujours, malgré ses dénégations, une mosquée salafiste qui fait elle-même sa police dans les quartiers à un syndicat qui réclamera son dû dans la répartition des richesses. Délicieuse schizophrénie.

Et puis l’identité nationale, ça dépend qui en parle. C’est comme pour ces mots d’amour un peu crus que peuvent employer les amants et qui deviennent, hors contexte, de banales obscénités.

Finalement, l’identité nationale sera retrouvée quand on n’aura plus besoin de l’invoquer. Elle devrait être comme Dieu dans sa création  : présente partout, visible nulle part.[/access]

Lloyd Barnes

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Wackie's Records
Wackie's Records.
Wackie's Records
Wackie's Records.

Le 6 août 1962, la Jamaïque dit « Good Bye ! » à Londres et proclame son indépendance. L’ancienne colonie britannique vit des journées de fièvre et d’exaltation. En pleine guerre froide, l’enjeu est d’importance : pro-Cubains et pro-Américains se disputent le pouvoir sur l’île. A Trenchtown, quartier sud de Kingston, le People’s National Party et le Jamaica Labour Party s’affrontent par gangs interposés.

Trenchtown, c’est le quartier où Lloyd Barnes a grandi. Il y fréquente assidûment les sound systems, d’imposantes discothèques mobiles où les disc-jockeys cherchent à se distinguer de leurs concurrents en proposant de nouveaux morceaux.

En 1967, alors qu’il a tout juste 18 ans, Lloyd Barnes décide de quitter l’île et d’émigrer aux Etats-Unis : depuis l’indépendance, la Grande-Bretagne a limité ses quotas d’immigrants jamaïcains. Lloyd Barnes débarque dans le Bronx, à New York. Le jour, il court les chantiers de construction pour gagner sa croûte. Le soir, il court les sound systems du Queens et de Brooklyn, avant de monter le sien. Il n’est pas dépaysé : ici aussi, les gangs font la loi. Certains soirs, les balles sifflent au-dessus du mur de haut-parleurs. La guerre des gangs, spécialité de Trenchtown, a rattrapé les Jamaïcains de New York.

[access capability= »lire_inedits »]Pas téméraire, Barnes décide de diversifier ses activités. En 1972, avec ses économies, il achète du matériel qu’il bricole un peu pour avoir un son singulier. Il loue une cave, y monte son propre studio d’enregistrement et réunit une bande de musiciens pour assurer ses futures sessions. Un an plus tard, les premiers disques voient le jour, estampillées d’un lion et d’un drapeau, l’emblème de son label, Wackie’s. Au bout de quelques mois, Barnes ne peut plus assumer le loyer de son appartement et de son studio. Il décide de dormir dans le studio d’enregistrement. Les 45 tours du label sont pressés à 500 ou à 1 000 exemplaires selon l’état de son compte en banque.

Un soir de 1976, Barnes se fait détruire sa sono. La guerre des gangs a eu raison de son sound system. Il ouvre alors un magasin de disques pour écouler la production de son label. Barnes produit des artistes plus ou moins connus issus, pour la plupart, de l’émigration jamaïcaine : Junior Delahaye, Love Joys ou Wayne Jarrett. Résolument avant-gardiste, le studio new-yorkais passe maître dans l’art de l’expérimentation et de l’innovation. Progressivement, le studio attire l’attention des pointures de la Jamaïque : Sugar Minott ou Horace Andy. Les productions de Wackie’s se distinguent par un mixage raffiné et une sonorité caractéristique. L’aventure du studio d’enregistrement et du label dure dix-sept ans. En 1989, la hausse du loyer contraint Barnes à mettre la clé sous la porte.

Les productions de Barnes s’affranchissent des étiquettes et des frontières. Vers la fin des années 1990, un garçon avec un léger accent allemand appelle Lloyd Barnes. Il s’agit de Moritz von Oswald, collectionneur et musicien, responsable des « morceaux de dub les plus excitants de la décennie », comme le dit Don Letts, compagnon de route de Bob Marley et des Clash. Von Oswald propose à Lloyd Barnes de rééditer le catalogue de Wackie’s. Barnes accepte. Pour la première fois dans la vie du Jamaïcain, tout est clair, écrit, et surtout l’Allemand aime la musique. C’est ça le plus important. Dorénavant, Wackie’s a une nouvelle maison : Berlin. Quoi de plus normal, pour le label d’un homme qui aimait les murs.

Horace Andy meets Naggo Morris & Wayne jarrett-mini showcase

Price: 50,23 €

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Horace Andy, Dance Hall Style (Wackie’s – W-1383). En 1983, Barnes produisait le meilleur album d’Horace Andy, vétéran du reggae, remis à la mode depuis ses collaborations avec Massive Attack.
Wackies, African Roots Act 1 (Wackie’s – W-001). Premier volume d’une longue série d’albums d’instrumentaux, véritable who’s who du dub.
Naggo Morris, Horace Andy & Wayne Jarrett, Mini Showcase (Wackie’s – W-1716/1722). Barnes, producteur et pygmalion. En quelques titres, Naggo Morris et Wayne Jarrett prouvent qu’ils n’ont rien à envier à Horace Andy.

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Autant en emporte Guillon

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Parc de la Courneuve
Parc de la Courneuve.
Parc de la Courneuve
Parc de la Courneuve.

La France est-elle raciste ? En tout cas, ça n’a pas dû s’arranger depuis la diffusion, le 19 septembre sur France 5, du premier numéro du magazine « Teum-Teum », tourné à La Courneuve, avec Stéphane Guillon en invité vedette. Pourtant, tout avait bien commencé…

Au matin, l’artiste est dans une forme rayonnante, comme le soleil levant sur la cité des « 4000 ». En compagnie de son guide, il se promène, souriant, dans les rues de la cité interdite – non sans tester d’emblée sa posture d’humoriste engagé : « Je suis plus en sécurité ici qu’à Neuilly ! » Ben voyons ! On l’imagine, un instant, tabassé à coups de sac par des dames de Sainte-Croix, et on se prend à rêver…

Mais non ! Ce trait d’esprit, sans doute travaillé dans le RER, signifie simplement : j’ai pas peur de ces quatre mille Arabes parce que je suis pas raciste mais, en revanche, les bourges de Neuilly veulent ma peau parce que je suis un insoumis. Putassière pirouette d’un bouffon bien en cour qui n’a rien à craindre nulle part sauf devant sa conscience, c’est-à-dire vraiment nulle part.

[access capability= »lire_inedits »]Le malaise, pourtant, Guillon en prend conscience progressivement, juste un peu moins vite que le téléspectateur. C’est tout le charme de ce documentaire chronologique : entre le matin et le soir, l’âne change de ton ; ainsi finit la comédie…

Dans une boucherie halal, il croit pourtant « détendre l’atmosphère » en commandant haut et fort des côtes de porc. Rires polis, sans doute grâce à la caméra.

– On peut se moquer des religions ?, lui demande fort à propos son accompagnateur, Juan Massenya.
– En principe, il vaut mieux se moquer de la sienne, comme le catholicisme pour moi (sic). Mais quand c’est fait avec intelligence, ça passe ! (re-sic)

À cet instant, Stéphane, qui alterne consciencieusement humour et sérieux, rumine sans doute une phrase bien sentie sur « la déshumanisation programmée des cités par un urbanisme ghettoïsant », ou genre. Mais le voilà tout déconcerté par la surprise que lui réservait Juan : « Ce boucher, Stéphane, est aussi un artiste-peintre ! » Ah oui ? Mais c’est que ça n’entre pas du tout dans le cadre fixé par Guillon pour sa tournée des popotes… Au lieu de distribuer, comme il sait faire, bonnes paroles et bons mots, le voilà contraint d’accepter du boucher non pas deux côtes de porc, mais une toile abstraite digne de la FIAC !

Tandis que Guillon balbutie « Ha… heu… Merci beaucoup, on dirait, heu… du Poliakov… », son regard égaré semble dire : « Mais c’est quoi ça ? C’était pas dans le contrat ! Qu’est-ce que je dis, moi ? Et qu’est ce qu’ils veulent prouver, à la fin, dans ce reportage à la con ? »

Bonne question, Guillon ! Ce que « Teum-Teum » veut montrer, c’est une autre réalité. Pas seulement la violence, la délinquance et la drogue qui font l’ordinaire des JT, ni la misère organisée que racontent au coin du feu les intellectuels engagés. Plutôt, pour changer, des habitants de la cité qui ont décidé de s’en sortir malgré les difficultés, et qui y arrivent !

Entre autres, un jardinier autodidacte, fier de ses fleurs rares ; deux employés entreprenants qui ont créé leur propre boîte ; et même des architectes du cru qui en remontrent à Stéphane sur l’urbanisme social !

À force d’être ainsi contrarié, Guillon perd les pédales et finit en roue libre…

Pourquoi ce terrible malentendu ? diront les première année. Tout simplement parce que Stéphane, comique organique du système, est infoutu de se remettre en cause : si son numéro ne marche pas, c’est que le public est mauvais !

Lui se voyait, ce jour-là, en jeune Kouchner drôle et décoiffé, offrant sa bimbeloterie à une tribu lointaine et reconnaissante. Au lieu de quoi ces sauvages semblent bien lui dire : « Qui t’es toi, pour raconter notre vie à notre place ? »

Eh bien, une personne de qualité, de celles qui « savent tout sans avoir rien appris ». Avant même de débarquer sur ces terres improbables, l’explorateur comprenait mieux que les indigènes leurs problèmes, la solution, et même comment en blaguer entre-temps. Enfin quoi, foutrebleu, ce n’est pas aux lépreux de nous expliquer la lèpre !

Bref, il est déçu, le Guillon ; d’où ce soulagement inavouable, qu’on entrevoit à la nuit tombée, dans son œil épuisé et même pas content.

« Qu’est ce que tu retiendras de cette expérience ? », lui demande en conclusion Juan, décidément lourdingue. Et l’autre de ramer sur l’exclusion des pauvres, le cynisme des riches, la noirceur des Blancs, que sais-je, avant de se trahir dans les politesses d’usage : « J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de gaîté », lâche-t-il, comme en sortant d’un centre ce soins palliatifs… « Les gens étaient contents de me voir et, heum, j’espère qu’ils vont venir, euh… chez moi, quoi, bientôt. » (Sous-texte : pourvu que ces cons de la prod’ n’aillent pas donner en vrai mon adresse à tous ces glands !)

Avec tout ça, diront certains, on est quand même loin du sujet : la France est-elle raciste ? Au contraire, on est en plein dedans ! Avec son autisme hautain, son nordisme de carpetbagger et son paternalisme niais, Guillon aux « 4000 », c’est Tintin au Congo – l’esprit en moins.[/access]

Bac ? Chiche !

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Le bonnet d'âne pour ceux qui ne peuvent pas se payer le bac !
Le bonnet d'âne pour ceux qui ne peuvent pas se payer le bac !
Le bonnet d'âne pour ceux qui ne peuvent pas se payer le bac !
Le bonnet d'âne pour ceux qui ne peuvent pas se payer le bac !

La nouvelle pub d’Acadomia, le géant des « petits cours », « Bachelier ou remboursé !  », a provoqué les hauts cris dans les milieux de l’éducation et assimilés.

Pour un montant variant entre 2000 et 3000 euros par aspirant bachelier, le soutien scolaire proposé ambitionne de faire franchir la barre du bac à celles et ceux dont les chances de réussite sont réduites, pour ne pas dire nulles. Si le candidat se révèle par trop bourrin et se fait étaler en dépit du coaching acadomiesque, ses géniteurs se verront rembourser les frais engagés, déduction faite du crédit d’impôt accordé par l’Etat pour ce genre de dépenses.

[access capability= »lire_inedits »]
« Le bac n’est pas à vendre ! » s’est écrié noblement Luc Chatel, ministre de l’Éducation, qui a trouvé là une bonne occasion de se faire bien voir des profs sans bourse délier. Le patron d’Acadomia, M. Coléon (ne pas confondre avec Corleone), se défend en disant que, dans la rue, il y a des bus et des taxis qui cohabitent sans se cracher dessus…

Il a parfaitement raison, et on ne voit pas pourquoi il renoncerait à s’en mettre plein les fouilles en spéculant sur l’angoisse des familles relative à leur progéniture chérie. Le coup du « satisfait ou remboursé » est même assez génial quand on connaît le taux de réussite au bac, près de 80 % en 2009. Le risque de prendre un bouillon financier avec cette promo est infinitésimal, car le public visé par cette offre est celui des parents aisés et attentifs à la scolarité de leurs enfants, milieu où le taux de réussite est encore plus élevé.

Ceux qui, malgré tout, ne parviendraient pas à décrocher cette peau d’âne bien dévaluée pourront toujours s’inspirer des méthodes d’Acadomia pour monter des plans fric ne nécessitant pas des études Bac + x.[/access]

Présumée coupable

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Manifestation de sans-papiers, Paris, 2007.
Manifestation de sans-papiers, Paris, 2007.
Manifestation de sans-papiers, Paris, 2007.
Manifestation de sans-papiers, Paris, 2007.

Instruction à charge, presse enrégimentée, défense bâillonnée : un procès-fleuve se déroule sous nos yeux, dans des conditions dignes d’une République bananière, et ça n’intéresse personne. Il est vrai que le verdict est prononcé d’avance. Dans le box des accusés, la France n’a aucune chance de s’en sortir.

Les crimes multiples qui lui sont reprochés relèvent du même chef d’inculpation, le plus grave de tous  : racisme. Du sommet du pouvoir aux esprits lepénisés, la France n’aime pas l’Autre. En tout cas la France blanche : comme chacun sait, dans la France diverse, la tolérance et l’amour de la différence sont la règle.

[access capability= »lire_inedits »]Sans cesse, de nouvelles preuves du crime sont brandies devant l’opinion. La chasse au raciste ne fait jamais relâche. L’armée, la police, le gouvernement comparaissent à tour de rôle. La Halde ne sait plus où donner de la tête. L’infortuné Brice Hortefeux a fait la « une » pendant une bonne semaine et risque de durer dans le rôle du raciste de comédie que les humoristes grinçants et dérangeants lui ont assigné avec une belle unanimité. Eric Besson a pris le relais, aux manettes d’une « rafle d’Etat » : il a arrêté 250 immigrés illégaux (dont beaucoup ont été relâchés par les tribunaux) et fait détruire un campement sauvage dont on aurait aimé qu’il se trouvât dans le 6e arrondissement. On se rappelle la joie des riverains quand des sans-abri qui n’étaient même pas sans-papiers se sont installés sur les rives du canal Saint-Martin, au cœur du Boboland parisien.

Mais il y a le témoignage accablant de Mustapha Kessous, journaliste au Monde et bon citoyen, confronté tous les jours à ceux qui « n’aiment pas les Arabes ». À la lecture de son article, on se sent triste et coupable. Dans les rédactions, on triomphe : on la tient, cette France toujours moisie !

Tous des salauds ? Peut-être. Mais alors tous. Comme l’a rappelé Malika Sorel au micro de Finkielkraut[1. « Répliques », France Culture, 26 septembre.], ce qu’on appelle racisme est fort bien partagé. Toutefois, le reportage du Monde dans une cité de Cavaillon où la haine de la France et des Français s’affiche et se hurle quotidiennement n’a pas suscité le moindre intérêt. Là, ce n’est pas raciste, juste l’expression d’une légitime révolte.

Mustapha Kessous n’a rien inventé. Tandis que, sur les plateaux de télé, on s’aime les uns les autres, dans la vraie vie, la France « de souche » et la France « issue de » se font la gueule. Encore que, plus que la tension, c’est la séparation qui monte. S’agit-il de racisme ?

Pour une partie des Français, la France de la mixité siffle la Marseillaise dans les stades. Elle a le visage de bandes de gamins taillés XXL qui barrent l’accès au métro et occupent l’espace public comme s’ils y étaient seuls. Pour d’autres, elle prend la forme de quartiers où il est difficile de manger pendant le ramadan et où on croise des fantômes de femmes. Tous oublient leurs milliers de concitoyens arabes ou africains devenus des Français comme les autres – peut-être justement parce qu’on ne les voit pas. On peut le comprendre. Il faut aussi rappeler sans relâche, par le verbe et par la loi, qu’il n’y a pas de responsabilité collective.

Ce qui est « visible », dans nos minorités, ce n’est pas la « race », mais le comportement. Ce qu’on appelle racisme tient à la fois de la méfiance sociale et du jugement culturel. Est-il criminel de penser que certains modes de vie sont préférables à d’autres et de vouloir les préserver ?

Le prêchi-prêcha ambiant est aussi étouffant et impitoyable que le furent, hier, les religions du Ciel puis de la Terre. Poser des questions, faire preuve de tiédeur dans l’autocritique, c’est se désigner comme hérétique.

Et pourtant, la France serait-elle le Dutroux des nations, elle a le droit à un procès équitable.[/access]

Islam immodéré

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Depuis une semaine, un Institut américain au demeurant respectable, le Centre Pew Research, annonce que les musulmans sont 1,5 milliards sur terre, soit un quart de l’humanité, dont les deux-tiers en Asie. Une annonce assez étonnante pour qu’on en examine le détail. Ainsi donc, deux-tiers des musulmans vivraient en Asie, dont les trois principaux foyers sont l’Indonésie (160 millions), le Pakistan (170) et l’Inde (160), soit 490 millions. Mais où sont les autres « en Asie » (continent que l’Institut Pew Research fait commencer non pas au Bosphore mais au Pakistan, intégrant l’Iran au Proche-Orient, qui constitue une zone à part dans cette étude) ? Pas en Extrême-Orient : de la Corée et au Japon, ils sont inexistants, et entre la Chine et les Philippines, les Moluques ou la Malaisie, ne pèsent que quelques dizaines de millions, Bengladesh excepté). Il y a donc au grand maximum 600 millions de musulmans en Asie. S’ils représentent les 2/3 de la Oumma, cela signifie qu’il y a environ 900 millions de musulmans dans le monde… ce qui a toujours été le chiffre officiel (à comparer avec près de 2 milliards de chrétiens). Mais la tentation est sans doute assez grande, chez certains, de remettre au goût du jour le slogan du Japon des années 1930 : « 123 millions of Nippons can’t be wrong ! » Puisque des prix Nobel à l’économie, du foot à la culture, le monde musulman est relégué, l’argument du « poids démographique » est bien tentant. SVP, respectez le quart de la galaxie !

L’Empire du Bien contre Polanski

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polanski

Si besoin était, l’affaire Roman Polanski nous prouve que l’Empire du bien, tel que l’a défini Philippe Muray, a gagné, partout, totalement et semble-t-il, définitivement. Par exemple, il va vous obliger, comme si ça n’allait pas de soi, à préciser en guise d’introduction que vous trouvez évidemment répréhensible qu’une jeune fille de 13 ans ait été abusée par un cinéaste. Qu’il s’agit là d’un crime, quand bien même il remonterait à 1977.

À peine oserez-vous dire que sur une échelle de gravité, comme il y a une échelle de Richter, vous trouvez cela finalement moins grave que de tuer par procuration les salariés des entreprises privatisées, de bombarder des populations civiles en temps de paix, de laisser se produire des désastres écologiques au nom de la logique marchande, de manipuler l’opinion et de tester à grande échelle ses capacités de soumission en exagérant soigneusement les capacités morbides d’un virus, d’oublier que le président légitime du Honduras est toujours coincé dans l’ambassade du Brésil de son propre pays par des putschistes, j’en passe et des pires.

Tout ça, finalement, ce devait être la faute à Polanski. Puisque l’on a rien trouvé de plus urgent que de l’arrêter.

Polanski est un cinéaste qui a fait parmi les films les plus étonnamment déstabilisants de l’histoire du cinéma. Et le spectateur n’aime pas ça, au fond, être déstabilisé. Il n’aime pas qu’on lui fasse vivre la folie de l’intérieur comme dans Répulsion, l’éternelle histoire du bouc-émissaire comme dans Le Locataire, la possibilité du Mal comme dans Rosemary’s baby. C’est bien connu, les artistes sont des salauds. Ils apportent de mauvaises nouvelles, ils démoralisent, ils vous renvoient en pleine figure vos névroses, vos lâchetés, vos vices cachés derrière vos vertus publiques.

Et puis, c’est tellement plus facile à faire taire, les artistes, les penseurs, les poètes. Ca se défend mal, ça a toujours quelque chose à se reprocher, et quand on les élimine ça n’empêche pas l’appareil productif de continuer de tourner. Alors, en embastiller deux ou trois, en flinguer quatre ou cinq, ça vous refait une virginité pour pas cher. L’histoire est vieille comme le besoin de lyncher ou d’amener la victime expiatoire sous le couteau sacrificiel.

Imaginez une société qui ait beaucoup à se reprocher sur sa manière de traiter les pauvres, les étrangers, les femmes, les juifs, les noirs. Je sais, c’est difficile, mais il paraît que ça existe, parfois. Ce qu’il y a de plus rapide pour elle, finalement, c’est de s’en prendre à celui qui fait le travail du négatif qu’il soit poète ou philosophe. Et elle vous dit alors, cette société : « Vous verrez, faites nous confiance, une fois le sang répandu, les tripes exposées, le cadavre jeté aux chiens, le beau temps va revenir, les roses vont éclore, on va raser gratis et retrouver le plein emploi. »

Une liste, comme ça, au jugé ? Socrate, ce pervertisseur de la jeunesse, est forcé à s’empoisonner par le gouvernement d’Athènes ; Ovide, ce libertin obsédé sexuel est exilé sans raison et sans retour par Auguste ; François Villon, ce voleur de cours des Miracles est mis en prison et échappe de peu à la pendaison, Baudelaire et Flaubert, ces vieux garçons pervers dont un amateur de négresses et l’autre de bains turc avec jeune gens (tiens, tiens…) sont traînés la même année par le même procureur devant les tribunaux pour immoralité ou encore, cerise sur le gâteau de l’infamie, Céline, cet antisémite incurable, est condamné à mort et va pourrir plusieurs années dans une prison danoise.

Tiens, puisqu’on parle de l’Epuration : il suffit de lire n’importe quelle histoire de la période, Paxton ou Ory par exemple, pour s’apercevoir que proportionnellement les milieux intellectuels, artistiques et journalistiques collaborationnistes paient un prix beaucoup, mais alors beaucoup plus élevé que les industriels ou la haute fonction publique qui ont continué à faire fonctionner le pays sous occupation nazie.

Donc, ce qui arrive à Polanski doit à peine le surprendre. Ça ressemble tellement à l’un de ses films paranoïaques où le pire est toujours certain. En même temps, être arrêté dans un paradis fiscal qui a blanchi l’argent de toutes les saloperies planétaires sur l’ordre de la justice d’un pays qui par ailleurs ne signe quant à lui aucune convention sur les tribunaux internationaux tant il a une histoire chargée, et tout ça pour des faits vieux de trente ans, le petit juif polonais aurait peut-être reculé devant l’invraisemblance du scénario.

Il a simplement dû se dire quand la police est arrivée que décidément, les années en 9 ne lui portaient pas chance. En septembre 1939, il échappe de justesse aux SS dans le ghetto de Cracovie. En août 69, c’est Sharon Tate, son épouse enceinte qui est massacrée avec des amis par Charles Manson et sa bande de satanistes.
Le souffle de la Bête, toujours, qui ne lâche pas.
Et là, à l’automne 2009, la machine de l’Empire du Bien commence à le broyer. Il paraît, et c’est ce qu’on entend dans le chœur des vierges effarouchées dans un unaninisme suspect qui va de l’extrême droite à l’extrême gauche, que cette ordure infâme est un justiciable comme les autres.
On aimerait bien, pour le coup, que ce soit le cas.
Parce que là, on a plutôt l’impression qu’être riche, juif, cosmopolite, génial et avoir une femme splendide, ça lui servirait plutôt de circonstances aggravantes.

J’espère simplement qu’une fois son extradition accomplie, on aura le bon goût de ne pas le mettre dans la même cellule que Manson.
Et puis une dernière chose : nous sommes tous des juifs polonais cinéastes.
Même vous.

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Cent ans de solitude et des semaines d’hystérie

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Faut-il interdire Gabriel Garcia Marquez ?
Faut-il interdire Gabriel Garcia Marquez ?
Faut-il interdire Gabriel Garcia Marquez ?

L’époque est vraiment à la « vigilance » citoyenne contre toutes les déviances à l’ordre généralisé du Bien. Après l’ignoble mise en cachot de Roman Polanski, rattrapé par une obscure affaire de mœurs remontant aux années Giscard, et l’hystérie collective entourant l' »affaire Mitterrand », voilà que l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez est attaqué – nous apprend le site du Magazine Littéraire – par une ONG sud-américaine pour des passages jugés tendancieux de son livre Mémoire de mes putains tristes (2005) décrivant la passion « tarifée » d’un vieil homme pour une jeune adolescente.

La « Coalition Régionale des Femmes et des Fillettes en Amérique Latine » (laissez moi rire une seconde du nom de cette ONG !) tente de faire interdire l’adaptation de ce roman à l’écran, car ce dernier « banalise le phénomène (ndlr : de la prostitution) et place en situation de risque tous les enfants, filles ou garçons pauvres de notre Amérique latine et des Caraïbes ».

En bref, l’immense auteur de Cent ans de solitude, récipiendaire du Prix Nobel de littérature en 1982, pousserait le quidam à aller aux putes ! Comme si l’internationale des maquereaux avaient besoin de littérature pour développer son business…

En dehors du fait que les commentateurs ont toujours tendance à considérer les œuvres littéraires comme des témoignages autobiographiques ou des « manifestes », cette résurgence de la « vigilance » globalisée à l’instar de la sexualité, fait ressurgir le (mauvais) souvenir des accusations portées contre le film Mort à Venise de Visconti (1971) et la Lolita de Stanley Kubrick (1962)… Qui demandera bientôt des comptes à ce sodomite de Platon, pour avoir fait l’apologie de ce coquin de Socrate, qui matait les jeunes garçons athéniens durant leurs séances de fitness… ?

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Miles Davis : un carnage !

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miles-davis

Par la bedaine de Bird, il y a vraiment des anniversaires qui sont de trop ! Regardez un peu comment l’on fête, dans les marges, le cinquantenaire de Kind Of Blue. Cinq gaillards pratiquant la chiptune music (une sorte d’électro à base de sons extraits de consoles de jeu 8 bits) viennent de sortir Kind Of Bloop, un « hommage » au trompettiste. Ça n’a l’air de rien, mais punaise, je vous prie de croire qu’il y a de quoi gloser.

Une des preuves récurrentes du génie de Miles Davis était son obsession pour le rôle des pauses, dont Kind Of Blue et, à près de dix ans d’écart, In A Silent Way restent les exemples les plus frappants. Ainsi, lorsque sur Shh/Peaceful, McLaughlin égrenait les twangs ferrailleux-douceâtres de sa Jazzmaster, que l’étirement des arpèges couronnait le duo de claviers Hancock-Zawinul, que le charleston de Williams trissait une assise subtile, le marbre des entrelacs Adderley/Coltrane de Kind Of Blue passait à une nouvelle dimension de l’orchestral, électrifié et nuancé.

Je serais bien en peine, vous vous en doutez, de tartiner autant de mirifique poésie musicoïde sur ce Kind Of Bloop ! Cet album livre un traité de passage à la moulinette de la nuance. Nos cinq rénovateurs de l’extrême assassinent, pixellisent, hachent l’une des tentatives les plus incroyables de la musique populaire de se hisser vers l’éternité des grands compositeurs, sous le prétexte de la sublimer et de la repeindre pour l’époque qui commence. Les versions de So What, Freddie Freeloader prouvent que cette génération (les trentenaires et son public, les « miens », vingtenaires fluos décérébrés), celle du culte du kitsch et du renversement mauvais goût/bon goût, a très bien identifié son ennemi : le silence, cette saloperie mortifère si ardue à faire rentrer dans l’essoreuse gamer. Mais, malheureusement pour nos amis briseurs de barrières, il reste quelques sanctuaires, et nombre d’érudits ou de simples mélomanes amateurs ne sont pas prêts à échanger un disque-témoin de la grandeur d’un mort contre sa célébration dénaturée gerbant un ersatz de vie par tous les pores. La paix des cimetières du monde réel n’est pas encore le décalque de son équivalent vidéo. N’en déplaise aux bidouilleurs, il faudra probablement patienter pour que nos tertres deviennent des wagons de train-fantôme et que nous puissions tous nous faire inhumer au son des consoles de l’enfance de nos parents.

« La communautés jazz et celle des jeux-vidéos sont restés très séparées jusqu’à maintenant », écrit une journaliste de Time, presque effarée devant tant de cloisonnement, de consanguinité. Oui, ces deux mondes étaient encore il y a peu étrangers l’un à l’autre… Et le sol ne menaçait pourtant pas de se dérober sous nos pieds, il me semble ! Le jazz avait certes « une drôle d’odeur », selon le mot devenu célèbre de Zappa, mais si moisissure il y avait, on pouvait autant l’imputer aux expérimentations hasardeuses des fusion-boys privés de patron (Weather Report, Mahavishnu Orchestra en tête) qu’à un discutable esprit de préservation militant pour une audience de happy few experts.

Bon, tentons une approche de la chose par le bas-ventre : est-ce seulement du « bon son », comme dit l’autre ? Mouais… Comme si la question avait de l’importance, comme si 8 pauvres bits pouvaient saisir autre chose que la couche la plus apparente, la crête de la bruine de l’écume de la vague d’un Flamenco Sketches !

En tendant l’oreille, le constat saute aux tympans : c’est un carnage, mais le procédé sort vainqueur de l’écoute. Au sortir de cette thérapie Amigaga, que peuvent les longues constructions, le jeu permanent autour de la blue note originelle ? Les dernières notes de l’ancien monde périssent dans ce bruit fun qui se réclame, sans accroc dans la voix mais en mimant les trémolos transis des visionnaires, de « l’esprit libre du jazz ». Quand on sait la piètre opinion que Davis avait déjà d’Ornette Coleman et du free, le crasseux de la manœuvre s’en fait encore plus frappant. Bien entendu, cette réappropriation se drape dans le prétexte d’une nouvelle culture (comme on ne cesse d’en inventer depuis que l’art a clamsé, il y a bien longtemps), histoire de dresser bien haut la tête et d’envoyer paître la déférence à l’égard d’icônes que l’on déboulonnerait bien s’il ne restait plus qu’elles pour empêcher – tant bien que mal – les populaces de crever d’insuffisance transcendantale.

Ce n’est qu’une question de temps avant que ce bazar passe officiellement l’Atlantique en grande pompe et vienne tortiller du bloop devant nos chers réinventeurs de la vie culturelle hexagonale. Et là, mes amis, ce ne sera pas la même chanson. Tenez, Gainsbourg était déjà pillé, singé par Air, son œuvre réduite à sa dimension de vieux satyre pop ou de soûlard grommelant ? Que diriez-vous d’un mashup décalé, « iConoclaste » de Black Trombone avec les pizzicati de Pacman ? Je connais un paquet de gogos qui mouilleraient leurs fonds de culottes devant ces fonds de tiroirs, et dégaineraient leur larfeuille à l’idée d’une compilation « rassemblant les meilleurs artistes chiptunes du pays », rendant « hommage à l’homme à la tête de chou », et portant un titre débilissime du genre Initials Bip Bip[1. Grosse légume/huile du remix au hachoir, responsable entre autre du Grey Album, mix informe (et infâme ?) entre le White Album des Beatles et le Black Album de Jay-Z.] !

« Qui sait ce que le trompettiste faisait de son temps libre ? », demande la journaliste de Time, en utilisant un de ces procédés hideux de fausse suggestion, équivalent à un « clin d’œil complice » censé emporter le cœur du lecteur, à condition qu’il soit branché, bien entendu. Question rhétorique, habileté journaleuse qui n’appelle pas de discussion : il faut bien entendu imaginer, non, se pâmer à l’évocation de Davis en pyjama fluo se régalant comme un môme éternel ou un cadre hilare (deux synonymes) à une soirée Casimir, s’appliquant, comme tout le monde, à faire tournicoter Mario ou Sonic dans son petit écran. Que d’élégance, en effet, dans cette vision : un vieil homme émacié, presque squelettique, abandonnant cette suspicion carnassière, cette paranoïa du regard, bref cette putain d’humanité qui contribua à faire de lui un des plus grands musiciens et compositeurs du siècle passé pour se vautrer dans l’hébétude vidéoludique, la bave perlant au coin de ses lèvres tuméfiées ! Voilà ce qui prétend remplacer l’image d’Epinal du trompettiste tout en courbes, atomisant la 52nd Street, soufflant le public de Newport 1956 ou la foule hallucinée de l’île de Wight 1970.

Quel programme ! Tout déconstruire. Puis déconstruire ce qui a été déconstruit, dès que le procédé commence à sentir le renfermé, le « daté » (ce qui a l’avantage d’abolir, tout simplement, le temps). C’est la version poussée à son extrême des méfaits acclamés de ce crétin intersidéral de Danger Mouse. L’attaque de la naphtaline par le synthétique-lave-plus-blanc, avec enrobage alternatif et arrogance pseudo-révolutionnaire en sus. Miles Davis devient un Pokémon en puissance sous les traits de Kind Of Bloop, ce qui le place en concurrent sérieux de Kanye West, qui ferait bien de se bouger l’auto-tune avant qu’une peuplade de connards à Gameboy ne lui chip sa gloire.

Si les icônes du jazz ou de la pop music sont aujourd’hui les plus révérés de nos contemporains, elles le sont avant tout par l’a priori sociétal leur attribuant un « esprit aventureux » et une « irréductible modernité ». Une cage dorée pour l’artiste et un devoir de ridicule pour le « fan » qui ne peut que s’achever par un fanatisme tâcheron prenant le plus souvent deux formes : la vénération confinant au mimétisme, ou, comme dans le cas de Kind Of Bloop, une mission sacrée de relecture dont l’impératif frappe le plus souvent la partie du public la plus sévèrement écornée du ciboulot.

On pourra rétorquer à mes galéjades que j’extrapole, que les bidouilleurs incriminés ne sont pas ces postmodernes repus et sûrs de leur bon droit. Il est vrai qu’Andy Baio, le sympathique initiateur de ce projet[2. Frank Lepage a raison : c’est vraiment le mot le plus hideux que le XXIe siècle débutant ait glorifié.], souhaitait simplement « voir comment Miles Davis pouvait sonner en 8 bits ». Soit. Il s’est toujours trouvé des bricolos pour triturer la musique et le son sous toutes ces formes, et nous devons aux meilleurs d’entre eux des chefs d’œuvre d’inventivité. Sauf qu’applaudir la traduction bâclée en bips d’un concentré de beauté musicale au nom du « faut évoluer », pardon, c’est moche. Un minimum de sens esthétique l’aurait probablement fait s’abstenir.

J’aimerais bien qu’il s’agisse d’une initiative proprement individuelle d’une poignée de bozos sous perfusion Nintendo, mais c’est bien d’un forfait commis avec le blanc-seing de Sa Majesté le Web 2.0 dont nous parlons. Baio, co-fondateur du site de soutien financier participatif en ligne Kickstarter, a explosé en moins de deux heures son budget requis (2000 $), propulsé par les dons du tout-venant. Ce qui veut tout simplement dire que plus rien n’est à l’abri de ce genre de gravillons sonores, et qu’il y a de très bonnes raisons de voir des tentatives, plus bas-du-front[3. Ne jamais désespérer de la bêtise humaine. L’immonde Toi + Moi de Grégoire, c’était déjà du 100 % participatif.] encore, soutenues par une armée de twitteurs féroces.
Si vous croyez que cela ne peut pas arriver, vous êtes probablement trop vieux, ou très mal renseigné. Car, pour qui côtoie le djeunisme en congénère, ce sont des galaxies de potentialités approchant ou dépassant l’angélisme de Kind Of Bloop qui défilent quotidiennement.

« Il n’y aura pas de Bossuetland », se réjouissait il y a dix ans Philippe Muray[4. Après L’Histoire I, p. 203, éd. Tel Gallimard, 2007.] à propos de l’échec de la récupération de l’évêque de Meaux à des fins festives par une municipalité peu scrupuleuse. Hélas, comme il y a déjà un Neverland ou un Graceland, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un Miles Park apparaisse à St Louis. Et je vous parie mon billet que Kind Of Bloop tonitruera dans toutes ses attractions.

Kind of Blue

Price: 18,54 €

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