Diego Velasquez, Bacchus couronnant les ivrognes, 1628.
Les jeunes sont des cons, et ce depuis la plus haute Antiquité. Patrocle, l’ami d’Achille, à peine sorti de l’adolescence, dut s’exiler pour avoir tué un homme après une querelle de jeu avant de devenir pédéraste et d’enfiler l’armure de son amant pour prendre sa place alors que l’autre ne lui avait rien demandé.
Les jeunes croient avoir tout inventé alors qu’ils ne font que répéter, en moins bien, ce que firent admirablement leurs aînés. Les jeunes sont ainsi persuadés d’avoir, avec les « apéros géants » convoqués par Facebook, trouvé un mode original de convivialité et, surtout, une façon de se la jouer « classe dangereuse » pour faire peur aux bourgeois.
Il faudrait leur expliquer, mais je n’ai plus la patience, que la notion même d’apéro géant est un oxymore. L’apéro est le moment du temps suspendu dans la société choisie d’un bistrot de quartier ou d’une maison de campagne. Au-delà d’une dizaine de personnes, l’apéro devient au choix un vin d’honneur, un cocktail mondain ou un pot de départ en retraite (cas qui ne concernera bientôt plus grand-monde, d’ailleurs).
[access capability= »lire_inedits »]Facebook, le réseau asocial
L’apéro, si exquisément français, avait déjà subi un outrage en devenant « dînatoire ». Mal assis dans des fauteuils trop profonds, on mange, dans le plus grand désordre syntagmatique par rapport à la grammaire d’un repas normal, des nourritures industrielles et régressives, et c’est ainsi que le jeune est sincèrement persuadé que l’apéricube est un fromage. Or, une société qui ne sait plus se mettre à table, c’est une société qui ne sait plus parler.
Les jeunes aiment bien les apéros dînatoires parce qu’ils sont à l’apéritif honnête, old school, ce que la rave party est à la surprise du même nom : un moyen d’être tout seul ensemble, d’empiler les solitudes comme un millefeuille. C’est pour cela que Facebook leur convient. Facebook, c’est le réseau asocial par excellence. La preuve, c’est que lorsque les jeunes se retrouvent ensemble grâce à lui dans la vie réelle, les jeunes boivent comme des trous, se battent, dégradent de jolis centres-villes et, finalement, meurent d’un coma éthylique ou d’une chute. Et ils n’ont même plus l’excuse, dans de tels débordements, de vouloir faire une révolution ou une guerre. Non, ils cherchent simplement à se compter en se vomissant les uns sur les autres pour éprouver un bref instant une présence incarnée qui les fasse sortir du bunker de leur solipsisme avec des « profils », des « murs » et des « infos », toute chose quand même très connotée univers carcéral.
La seule chose qui pourrait rappeler la notion d’apéro géant, c’est-à-dire de gens buvant ensemble dans l’espoir d’ouvrir sur quelque chose (c’est l’étymologie d' »apéritif »), que ce soit une guerre, un sacrifice humain ou un festin avec des dieux, ce sont les libations homériques. Et nous voilà revenus à Patrocle. Les libations dans l’Iliade et l’Odyssée, ce sont les apéros géants des Anciens, mais, comment dire, avec quand même quelque chose en plus, quelque chose qui manque aux dyspeptiques adulescents d’aujourd’hui : « Quand vous aurez, comme il est juste, fait les libations et que vous aurez prié, remettez à ce jeune héros la coupe remplie de vin, pour qu’à son tour il fasse des libations ; car je pense qu’il veut aussi prier les immortels : tous les hommes ont besoin de l’assistance des dieux. »
Autant commencer par là, Régis Debray est un ami. Ce n’est pas à moi qu’il écrit par le truchement des éditions Flammarion mais À un ami israélien − notre ami commun Elie Barnavi. Mais c’est un peu à moi tout de même. D’abord, son texte s’adresse au moins autant à ses compatriotes juifs qu’aux Israéliens – qui ignoreront sans doute ses précieux conseils. De plus, voilà des années que nous évitons soigneusement le sujet qui fâche, précisément pour ne pas nous fâcher. Je saisis donc la perche qu’il me tend, finalement convaincue, comme lui, qu’on doit dire à ses amis les vérités qu’ils ne veulent pas entendre.
Régis, donc, parle en ami. « Tu te doutes bien qu’ami de la prudence et du confort intellectuel, je n’irais pas me mettre à dos une phalange de bras vengeurs sans une profonde empathie. » Cette phrase, comme le reste du livre, respire tout sauf l’empathie. Debray n’envisage pas que ses propos puissent être contestés, critiqués, discutés par des gens raisonnables : il sera forcément victime d’une « phalange de bras vengeurs ». Qu’il se rassure : il aura peut-être droit à l’accusation d’antisémitisme, proférée hier contre Edgar Morin. Le premier qui osera lui accrocher cet infâmant grelot me trouvera sur son chemin.
Traîner Edgar Morin en justice était idiot et aussi indigne que le texte qu’il a signé. Mais pourquoi oublier que Morin a été massivement soutenu, y compris par ceux que ce texte avait glacés ? Se focaliser sur la minorité la plus extrémiste de la « communauté » (qui est déjà elle-même une minorité à l’intérieur des juifs de France), n’est-ce pas, cher Régis, pour te retourner ta formule au sujet de l’antisémitisme de nos banlieues, « prendre l’écume pour la vague, le 1% pathologique incompressible de toute collectivité humaine pour un frémissement des profondeurs » ?
L’absence d’empathie n’est pas un crime. Elle peut même être un atout.
L’empathie, c’est la capacité de se mettre à la place de l’autre. Empathique, la désignation des soldats israéliens par l’aimable terme de « robocop » ? Régis, as-tu eu une pensée pour ceux qui furent lynchés à Ramallah devant une foule en liesse ? Pour autant, tous les Palestiniens ne sont pas des lyncheurs. Tous les soldats d’Israël seraient-ils des robots sans âme ?
Empathique, l’idée qu’en France on fait beaucoup pour les juifs et rien pour les Arabes ? Te rappelles-tu que des enfants ont dû quitter l’école de la République où on ne pouvait garantir leur sécurité car ils étaient les seuls juifs de leur établissement ?
L’absence d’empathie n’est pas un crime. Elle peut même être un atout pour l’intellectuel. Ce qui manque ici à Debray, c’est le sens de la complexité qui rend habituellement son œuvre si riche. Choisissant, par principe et par fidélité à sa jeunesse, le camp des opprimés, il voit des bons et des méchants : enivrées par leur force, les anciennes victimes se sont transformées en bourreaux et quand les victimes d’aujourd’hui − les Palestiniens − sont criminelles, c’est précisément parce qu’elles sont victimes.
Il serait absurde de récuser en bloc ce qu’écrit Debray. Beaucoup de gens partagent ses inquiétudes sur le blocage actuel et son antipathie pour l’actuel gouvernement d’Israël. Qu’il se casse le nez sur l’Etat « juif et démocratique », on ne saurait le lui reprocher : qui prétendra que cette affaire de religion définissant également un peuple dont la plupart des membres ne mettent jamais les pieds dans une synagogue est claire ? Qu’il simplifie à outrance l’histoire en évoquant « huit cent mille autochtones chassés de leur terre manu militari, d’après un plan concerté par un chef charismatique agissant avec la rudesse d’un « bolchevik sans le communisme » », on ne lui en fera pas (trop) grief : il y a du vrai et du faux dans ce résumé sommaire même si, comme l’a souligné Claude Lanzmann dans Le Point, le contexte en est totalement évacué.
Le problème, en particulier sur la France, c’est que Régis a vingt ans de retard. Il vit dans les années 1980, quand la nation entière était sans cesse sommée de faire repentance pour Vichy et d’accomplir son devoir de mémoire. Peut-être la figure symbolique du juif français était-elle alors le « chouchou de la République ».« À Paris, quand il y a un million de personnes dans la rue, comme en 1992, c’est pour vilipender les croix gammées dans le cimetière de Carpentras, non pour en peindre sur les devantures de magasins », écrit-il. En 1992 ! Où étais-tu, Régis, en 2003, quand des centaines de milliers de personnes, sous prétexte de s’opposer à la guerre en Irak, traçaient le signe d’égalité entre la croix gammée et l’étoile de David, Sharon et Hitler ? Durant la guerre de Gaza, des rabbins ont participé aux manifestations de soutien à Israël, accréditant, selon toi, la confusion entre « juif » et « Israélien » : as-tu remarqué que quelques jours avant, une prière publique, place de la République, avait inauguré un défilé anti-israélien ?
Oui, il existe une paranoïa juive qui voit de l’antisémitisme quand il n’y en a pas. Est-ce une raison pour juger que celui qui existe n’est qu’un épiphénomène ? Question d’empathie, peut-être.
Debray en phase avec l’air du temps : désolant !
De la légèreté à l’irresponsabilité, Debray franchit allègrement la frontière quand il ajoute que, si on en fait trop pour les juifs, on n’en fait pas assez pour les Arabes. Y aurait-il un lien de cause à effet ? « La seule phobie aujourd’hui enracinée en France, tolérée, sinon encouragée (…) stigmatise les minarets, non les synagogues ». Comment un penseur de ce calibre peut-il reprendre cet argumentaire bas de gamme qui ne fait qu’attiser la mortifère concurrence des mémoires ? Mystère. Peut-il ignorer que l’obsession pénitentielle française s’est déplacée sur le terrain de la colonisation – pour des raisons compréhensibles au demeurant ? Est-il reclus au point d’ignorer que le discours dominant célèbre la diversité et le métissage, que la lutte contre les discriminations est devenue l’alpha et l’oméga de la République ? Pour lui, l’islamo-fascisme (terme d’ailleurs contestable) est une pure invention. Comme chacun sait, nos banlieues sont des havres de tolérance et de fraternité. Barnavi, qui dénonçait il y a quelques années les « religions meurtrières », ne lui répond pas sur ce point. Dommage.
Le plus étonnant n’est pas que Debray se place du côté des opprimés ou de ceux qu’il considère comme tels, mais qu’il adopte le prêt-à-penser d’une époque convaincue que la victime a toujours raison, qu’il fasse siens les poncifs qu’on entend en boucle sur France Inter en croyant déployer des idées dérangeantes. Désolée, compañero, mais ton texte enchantera nos directeurs de conscience, de Médiapart à Télérama en passant par Canal+. Te voilà en phase avec l’air du temps. C’est le plus désolant.
Je ne voudrais pas avoir de formule malheureuse et déclarer comme le fit, pour un autre pays et en d’autres époques un président du conseil au nom palindrome mais, je dois bien l’avouer, en ce qui concerne le match inaugural de l’équipe de France en Coupe du Monde le 11 juin, je souhaite la victoire de l’Uruguay. En effet, dans ce pays cher à la poésie française (Montevideo vit naître Laforgue, Lautréamont et Supervielle), le nouveau président qui a pris ses fonctions en mars, vient de rendre publique sa déclaration de patrimoine.
José Mujica, 75 ans dont 14 en prison pour avoir été un courageux guérillero Tupamaro dans les années 60, possède en tout et pour tout une Volkswagen Coccinelle de 1987 qui a été évaluée à 1600 euros. Comme il semble décidé à tuer le métier, il a en plus annoncé qu’il reversait son salaire à son parti et à un programme immobilier pour les défavorisés. Monsieur Mujica, vous vous rendez compte si ça venait à se savoir, un comportement aussi irresponsable ? Et un, et deux, et trois euros !
On reproche souvent aux journaux de n’annoncer que des mauvaises nouvelles, réjouissons nous quand de bonnes font la une. Le Parisien revient sur l’affaire nantaise de l’automobiliste en burqa, de l’amende de vingt-deux euros, de la conférence de presse, du mari islamiste, polygame et arrogant, de cette famille multi-parentale et multi-bénéficiaire d’aides sociales.
Si le début de l’histoire était plutôt énervant, la suite n’est pas pour me déplaire car monsieur Lies Hebbadj et celle de ses épouses qui nous intéresse en l’occurrence ont été arrêtés et placés en garde à vue parce que soupçonnés d’escroquerie, de fraudes aux aides sociales et de travail dissimulé selon une source proche de l’enquête. La photo qui illustre l’article le représente entre deux gendarmes, la tête couverte comme une vraie gonzesse. Drôle d’idée de ne pas vouloir être reconnu après tant de fanfaronnades ! Enfin, qu’il se cache, c’est un bon début !
Si en bons croyants, même fondamentalistes, ces deux là avaient su recevoir avec humilité et en toute discrétion l’épreuve que le bon Dieu et la République leur envoyaient, en payant l’amende avec le centième ou le millième des sommes indûment perçues et en se faisant tout petits, nous n’en aurions jamais entendu parler. Au lieu de faire preuve de décence, mais je doute que cette notion leur soit familière, ou en tout cas de prudence, ils ont choisis de convoquer la presse pour dénoncer une intolérable et intolérante discrimination.
Apprendre la décence par la loi
Voici pourquoi, informé des suites judiciaires données à l’affaire, je me suis endormi sur mes deux oreilles, confiant dans la justice de mon pays, et réveillé le lendemain matin en grande forme pour ma journée de travail, prêt à mettre du cœur à l’ouvrage pour gagner mon pain quotidien et le supplément nécessaire aux cotisations URSSAF qui financent les allocations familiales. Je n’ai pas l’habitude de me réjouir du malheur d’autrui mais j’avoue avoir imaginé avec une joie mauvaise que la fouille au corps avait été totale et qu’il ne restait plus dans le garde-manger de la gendarmerie que deux casse-croutes au jambon.
Qu’on me vole, c’est déjà beaucoup, mais qu’on vienne me narguer jusque sur mon écran de télé, c’est pousser un peu loin le bouchon. C’est avoir vécu jusqu’ici en France sans avoir rencontré la moindre résistance à la crapulerie et à la grossièreté, ou peut-être penser qu’il suffit de prononcer les mots « racisme », « islamophobie » ou « discrimination » pour faire cesser toute critique et être dispensé d’avoir à rendre des comptes.
J’ignore qui, du juge ou du politique, je dois féliciter pour cet heureux rebondissement mais je le remercie chaudement. Pour l’avocat du beur nantais, ça ne fait aucun doute. « On n’en est plus au stade de la procédure judiciaire, c’est un acharnement politique sans précédent », juge-t-il. La justice qui aurait condamné Hortefeux en toute indépendance serait ici aux ordres ? J’aimerais presque le croire. Cela signifierait que le pouvoir exécutif est à l’initiative des poursuites et indirectement les électeurs qui l’ont élu et encouragé dans ce sens. J’accepte avec joie l’idée que j’aurais contribué, même de façon infime et très indirecte, à actionner le bâton qui va apprendre à monsieur Hebbadj la loi, la décence et le respect. Que les politiques fassent de la politique et que la justice nous rende justice, c’est tout ce que je demande. Par ailleurs, je déplore avec le défenseur de Lies Hebbadj que l’événement soit sans précédent. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
L’avocat du mari en rajoute et parle d’une « garde à vue disproportionnée ». Celui de sa femme regrette que les autres épouses de monsieur Hebbadj qui n’est nullement polygame naient pas été auditionnées. Ces déclarations me donnent l’envie et l’espoir fou que le boucher hallal et toute sa smala s’engagent dans la prochaine flottille pour Gaza. Habitué qu’il est aux joies de la polygamie et de l’assistanat, pour peu qu’il s’abstienne de défier le pouvoir en place, il y vivrait comme un Pacha. Et pour ce qui est de la rhétorique victimaire, il maitrise le peu de vocabulaire qu’il faut pour les médias internationaux. La différence, c’est que là-bas, il comprendrait vite ce que cela veut dire d’être une victime. Pour de vrai.
Rêvons un peu. Soyons positif pour une fois. Imaginons un monde, d’ici quelques années – enfin, injectons un peu de réalisme dans ces propos euphoriques, et disons d’ici quelques décennies- dans lequel l’antiracisme pavlovien qui nous sert de conscience morale en ce début de millénaire sera devenu en France un objet d’études pour des facultés de sciences humaines rénovées et efficaces sous la férule du vénérable et presque centenaire[1. Rien à voir avec la réforme des retraites. Enfin, j’espère.] ministre d’Etat en charge de l’Education nationale et des Humanités, Alain Finkielkraut. Les réactions médiatiques en Europe au meurtre du vicaire apostolique Mgr Luigi Padovese au début du mois de juin 2010 y seront peut-être étudiées comme un cas d’école de l’aveuglement idéologique occasionné par les surdoses de moraline à laquelle sont aujourd’hui accros la plupart de ceux qui font l’opinion dans notre pays.
L’exigence d’apaisement contre l’exigence de vérité
Elles seront analysées comme parfaitement symptomatiques de cette exigence d’apaisement, qui s’est substituée à l’exigence de vérité dans le travail des journalistes. On y constatera aussi l’immensité de l’absence de curiosité et d’esprit critique qui caractérise le travail de la presse lorsqu’il ne s’agit pas de dénoncer le néo-colonialisme occidental, la profondeur des préjugés sexistes et racistes français ou l’ampleur des discriminations inhérentes à la structuration hétéro-fasciste des sociétés judéo-chrétiennes.
Lorsqu’en France des tombes musulmanes sont dégradées, il s’agit nécessairement d’un acte d’une haute signification politique, le fait d’une montée de l’islamophobie et du rejet de l’autre qui frappe la France moisie contre laquelle nous devons tous nous mobiliser à coup de prise de conscience citoyenne et de lutte subventionnée contre les préjugés. Lorsqu’en Turquie un Turc, déclarant agir sous l’emprise d’une inspiration divine, égorge un évêque catholique, au moment même où le Pape se rend à Chypre, notamment pour évoquer le sort tragique des chrétiens d’Orient, et alors que la victime devait elle-même rejoindre le Souverain pontife à Nicosie, il ne peut s’agir que d’un fait divers, l’acte d’un déséquilibré sans aucune portée politique ou religieuse.
Le meilleur des mondes postchrétien
Peu importe que depuis des années la folie soit la cause sans cesse invoquée par les autorités turques dans les cas d’attaques de chrétiens par des extrémistes islamistes, peu importe le fait que Mgr Padovese ait été l’un des principaux conseillers de Benoît XVI pour les questions des relations de l’Eglise avec l’islam, peu importe le contexte général de la montée de l’islamisme en Turquie et des persécutions des minorités religieuses. Non, tout cela est insignifiant. Ce qu’il importe de souligner lorsqu’on parle de la Turquie, c’est le magnifique dynamisme de cette société turque dont l’entrée dans l’UE serait une chance pour notre vieille Europe recroquevillée et xénophobe. Ce qu’il faut dire et répéter lorsqu’on lutte tous ensemble contre l’islamophobie consubstantielle à la chrétienté, c’est que l’islam est une chance pour la France. Au nom de l’ouverture à l’autre et de l’abandon de nos réflexes xénophobes, consacrons l’islam religion de paix et d’amour, une religion dans laquelle on intime sans relâche aux persécutés de tendre la joue gauche lorsqu’on les frappe sur la joue droite, et où l’on exige sévèrement du croyant qu’il aime non seulement son prochain, mais aussi ses ennemis. Peu importent l’islam et la Turquie réels, tout doit aller pour le mieux dans le meilleur des mondes postchrétiens.
Voici donc les limites au devoir d’investigation et de recherche de la vérité qui motive, paraît-il, l’action des journalistes dans notre pays : la vérité ne saurait nuire à la bonne entente des citoyens, à la méchanceté des méchants et la gentillesse des gentils, et au dogme selon lequel tout est dans tout et rien dans rien.
Ainsi, et malgré cette équivalence proclamée de toutes les croyances, les grands gourous des forces de progrès, d’Ankara à Saint-Germain-des-Prés, n’hésiteront pas à baptiser sans son consentement un tueur d’évêque pour en faire un bon catholique, et à faire de ce meurtre le produit d’une histoire personnelle et compliquée, sans aucun rapport avec la montée des attaques antichrétiennes dans les pays musulmans. La paix sociale vaut bien une néo-messe.
Castagne chez les écolos. Vert de rage, Dany-Cohn Bendit fustige violemment Jean-Vincent Placé, le second de Cécile Duflot à la tête des Verts. Placé a traité de « vieille éthique » l’ex-juge Eva Joly, proposée par Dany comme candidate Europe-Ecologie à l’élection présidentielle de 2012. En réponse, Placé fut gratifié d’un tonitruant » crétin! » par Cohn-Bendit à la tribune de la convention inter-régionale du mouvement écologiste réunie samedi 5 juin à Paris. La joute étant restée exclusivement verbale, et n’ayant été transcrite que par les journalistes présents, il convient de s’interroger sur ce qu’a voulu réellement dire Jean-Vincent Placé.
Comparer une personne à un ensemble de règles morales, même surannées est pour le moins bizarre dans le registre des invectives: « espèce ce vieille éthique! » ne s’entend pas très souvent dans les querelles ordinaires, même dialoguées par Michel Audiard. Placé n’aurait-il pas plutôt chercher à titiller la magistrate franco-norvégienne en suggérant qu’elle n’aurait pas la plénitude physique de la jeunesse dont jouit sa championne à lui, Cécile Duflot? Auquel cas, c’est « vieille étique » que nos journalistes incultes auraient dû noter sur leur carnet. De toute façon, à la présidentielle les écolos jouent placés, pas gagnant, n’est-ce pas Jean-Vincent ?
Les adorateurs de l’euro continuent à bêler qu’il nous protège − on se demande bien de quoi. Il devient pourtant urgent de mettre fin à cette hasardeuse expérimentation.
Pour être honnête, il faut d’abord reconnaître que la monnaie unique a eu quelques effets bénéfiques. Tout d’abord, elle facilite les échanges (frontaliers, touristiques, commerciaux) au sein de la zone, même si elle n’a pas fondamentalement accéléré un mouvement qui lui préexistait largement. Ensuite, dans un premier temps, la convergence des taux longs a permis aux pays qui souffraient d’une forte prime de risque de réduire considérablement le coût de leur dette.
Mais cette convergence s’est interrompue en 2008 et nous sommes revenus à la situation d’avant l’euro. La zone euro est entrée en récession dès le deuxième trimestre de 2008, soit un trimestre avant les Etats-Unis. En 2009, le PIB états-unien a baissé de 2,5%, contre 4% en Europe et, en 2010, la croissance sera de 1% de ce côté-ci de l’Atlantique contre 3% de l’autre. Pourtant, la récession venait des Etats-Unis, où la baisse de 30% de la valeur de l’immobilier a durement frappé des millions de ménages. Mais la politique européenne n’a fait qu’aggraver les choses. Et l’euro ne nous a pas non plus protégés contre la spéculation qui s’est déplacée sur les taux des dettes souveraines.
La plaie du « one size fits all »
La réalité, c’est que l’euro est un boulet accroché aux économies européennes. Pour une raison simple : à l’exception de la brève période où il est descendu jusqu’à 0,82 dollar, il est structurellement surévalué. Les économistes estiment que son cours normal devrait être de 1 à 1,15 dollar – ce qui signifie qu’il est encore surévalué de 10 % et qu’il l’était de plus de 50% quand il s’échangeait contre 1,6 dollar. Or, cette situation a une seule cause : la politique monétaire de la BCE, exagérément restrictive par rapport à celle de la Fed. En juin 2008, Jean-Claude Trichet trouvait le moyen d’augmenter les taux d’intérêt alors qu’aux Etats-Unis, ils avaient baissé de 3 points ! Résultat : en dix ans, l’excédent des échanges franco-américain est devenu un déficit de 5 milliards. Résultat : les délocalisations de nos entreprises, jusqu’à Airbus qui a décidé d’augmenter la part de ses composants produits en zone dollar. Les constructeurs automobiles français ont suivi le même raisonnement : ils produisaient 3 millions de voitures en France en 2004. Ce chiffre est tombé à un peu plus de 1,5 million en 2009.
En prime, les pays de la zone souffrent de la politique de désinflation compétitive allemande, conséquence logique de l’unification monétaire. En effet, dans un système de parité fixe, le coût du travail devient décisif dans la bataille commerciale. C’est ce que l’Allemagne a compris depuis le milieu des années 1990 et applique avec toute sa rigueur. Ce blocage des salaires a permis à notre voisin d’outre-Rhin de gagner en compétitivité et d’accumuler des excédents commerciaux vis-à-vis de l’ensemble de ses « partenaires » de la zone euro. Le problème est que cette politique a un effet dépressif important et, effectivement, avec 0,8% par an, l’Allemagne – avec l’Italie – a été, durant la dernière décennie, le pays à la plus faible croissance de la zone. Vu son poids économique, cette faiblesse s’est transmise à tous les autres.
Pire, ce comportement bien peu collectif pousse tous les autres pays à se lancer dans une course à la rigueur qui pourrait se révéler désastreuse. Un blocage généralisé de salaires réduirait encore le potentiel de croissance d’une zone qui n’a déjà pas brillé dans ce domaine depuis dix ans.
Mais le défaut majeur de l’euro est d’imposer une même politique monétaire à un ensemble de pays aussi hétérogènes. Les pays avec des excédents commerciaux et ceux qui accusent des déficits ont besoin de politiques monétaires diamétralement opposées. Pour arriver à l’équilibre, les premiers ont besoin que leur monnaie s’apprécie tandis que la solution, pour les autres, est plutôt une dépréciation de la monnaie. Autrement dit, l’euro interdit les ajustements de la balance commerciale.
Logiquement, il en va de même pour les taux d’intérêt. Autant les taux sont généralement trop élevés pour des pays comme la France et l’Allemagne, autant ils ont longtemps été trop faibles pour des pays à croissance et inflation plus fortes, comme l’Irlande (où les taux étaient de 4 % quand la croissance nominale du PIB fleurait les 8%), l’Espagne ou la Grèce.
En Espagne, pays qui disposait d’un excédent budgétaire au milieu des années 2000, l’euro et les faibles taux d’intérêt à court terme qui allaient avec ont engendré la bulle immobilière et le krach qui a suivi. Si le pays avait pu mener une politique monétaire indépendante, nul doute que sa banque centrale aurait augmenté le loyer de l’argent.
L’alternative : la monnaie commune
La zone euro ne satisfait donc nullement aux critères de ce que les économistes appellent une « zone monétaire optimale » : convergence macro-économique, mobilité des travailleurs et budget central. C’est que l’euro n’était qu’une aventure politique destinée à contraindre les Etats à construire l’Europe sur un modèle fédéral. En réalité, même l’avancée vers le fédéralisme que serait l’adoption d’un unique budget de la zone ne serait pas une solution car les deux premiers critères ne seraient toujours pas remplis, ce qui laisserait trop de mécanismes pervers en œuvre, notamment la prime à une désinflation compétitive. On n’en sortira pas : les pays de la zone euro sont trop dissemblables pour partager une même monnaie.
Il existe cependant une solution médiane qui permettrait de conserver l’euro tout en en corrigeant ses faiblesses. Elle consiste à transformer la monnaie unique en monnaie commune coexistant avec les monnaies nationales, sur le modèle du défunt Système monétaire européen. Un tel mécanisme aurait permis aux banques centrales espagnole et irlandaise d’augmenter leurs taux pour éviter la formation d’une bulle immobilière dans les années 2000. Elle rendrait caduques les politiques excessives de désinflation compétitive et pousserait l’Allemagne à adopter une politique tournée vers la croissance plus que vers le contrôle des salaires. Mieux, cet euro repensé pourrait devenir un véritable rival du dollar, ce que la monnaie unique a échoué à être.
Certains agitent le spectre de taux d’intérêt à 10% que les marchés exigeraient pour prêter à la France. C’est oublier que, malgré le déficit le plus élevé du G7, la Grande-Bretagne arrive toujours à se financer à des taux raisonnables. D’autres avancent que la dette deviendrait ingérable en cas de dévaluation. C’est un danger réel mais que les gouvernements peuvent contrer en imposant une conversion en monnaie nationale avant la dévaluation : ce sera toujours préférable à un défaut généralisé.
Surévaluation, compression des salaires et de la croissance, encouragement aux bulles : l’euro a aggravé les problèmes des pays de la zone tout en les privant de leurs moyens d’agir. La monnaie unique est une catastrophe économique. Il faut en sortir, vite !
Tout en étant favorable à l’opération montée par Free Gaza, vous admettez qu’on peut difficilement la qualifier d' »humanitaire »…
Le terme « humanitaire » n’est effectivement pas très adapté, même si
un grand nombre des passagers des bateaux se situaient exclusivement dans le registre de la compassion. Mais les journalistes, les observateurs et même les organisateurs de cette opération ont été piégés par cet usage intempestif et distrait du mot « humanitaire ». La flottille de Free Gaza a été conçue comme une action militante qui a certes tourné à l’affrontement mais qui s’inscrit dans un registre symbolique, donc politique. Par conséquent, la question n’est pas de savoir si cette opération était ou non politique mais de se demander quelle politique elle défend.
La réponse est claire : l’objectif explicite, affiché par Free Gaza sur son site, n’était pas de fournir des marchandises à Gaza mais de dénoncer le blocus et d’obtenir sa levée. Et cet objectif est parfaitement défendable, car le blocus est indéfendable. Et qui plus est, parfaitement inefficace au regard de son objectif qui était de créer un fossé entre le Hamas et la population.
Au-delà de la levée du blocus, vous savez que la Turquie a son propre agenda…
Dès qu’un État est impliqué dans une opération de secours, ne serait-ce qu’en envoyant ses soldats lors d’un tremblement de terre, c’est qu’il a un « agenda ». À l’évidence, la Turquie, bloquée aux portes de l’Europe, entend s’affirmer comme une puissance régionale : d’où son rôle dans les négociations triangulaires avec l’Iran ou sa proposition de bons offices avec la Syrie. Mais pour y parvenir, elle doit se démarquer d’une alliance encombrante. Cela dit, qu’un État souverain joue sa carte n’a rien de choquant. Cela fait partie du jeu ordinaire des relations internationales.
[access capability= »lire_inedits »]Vous m’accorderez que les passagers des bateaux n’étaient pas exagérément pacifistes…
Mon sentiment − à défaut d’informations précises − est qu’il y avait sur ces bateaux des gens animés par des considérations politiques très différentes. Un ancien conseiller de Reagan, un prix Nobel de la paix irlandais, des députés européens, des militants propalestiniens de base et des islamistes peuvent se retrouver pour dénoncer le scandale de ce blocus. Parmi eux, certains n’étaient pas pacifiques et étaient au contraire décidés à en découdre, notamment un noyau qui était là pour faire son djihad, prêt au sacrifice. Mais il me semble évident que le passager lambda était là dans un esprit à la fois militant et pacifique.
Les manifestants européens ne le sont pas toujours et ils ont une petite tendance à confondre « juif » et « israélien »…
Je ne peux qu’observer cette confusion angoissante. Je ne crois pas, ou je n’ai pas envie de croire qu’elle est générale, mais il faudrait être aveugle pour ne pas la voir. J’ajoute qu’il faut être aveugle également pour ne pas voir qu’elle est entretenue par le comportement de dirigeants communautaires. Rappelez vous, entre autres, le grand rabbin Bernheim manifestant devant l’ambassade d’Israël pour soutenir l’attaque de Gaza en janvier 2009.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël est ainsi montré du doigt. Y a-t-il quelque chose de nouveau ?
Quelque chose est en train de se fissurer profondément et j’en tiens pour preuve le fait que d’éminents intellectuels, habituellement rangés aux côtés d’Israël même dans des moments très durs, font état de leur malaise. Alexandre Adler, qui a plutôt tendance à être sobre dans le choix de ses mots, se déclare « épouvanté », un terme plus finkielkrautien qu’adlérien. Quand nous avons publié La Discorde, avec Alain Finkielkraut, l’isolement d’Israël était déjà inquiétant. Aujourd’hui, il est presque total.
Des situations de guerre et des horreurs, vous en connaissez beaucoup. On dirait que les morts causées par Israël révoltent plus que toutes les autres…
On peut s’en indigner mais c’est un fait : un mort n’est pas égal à un mort. Je suis bien placé pour constater à quel point l’indignation est à géométrie variable et je considère qu’avant d’être une faute morale, c’est un phénomène anthropologique : on ne peut pas éprouver avec la même intensité toutes les souffrances du monde. C’est un fait que, quand j’apprends que l’armée turque a tué des militants kurdes, je ne ressens pas la sidération qui a été la mienne le matin de l’assaut israélien. L’état d’incandescence des réactions observées en l’occurrence a plusieurs explications. Tout d’abord, nous parlons d’un conflit universalisé, mondialisé dont les répercussions vont au-delà de la région. Le général Petraeus a tout de même déclaré publiquement que la politique israélienne mettait la vie des soldats américains en danger. Nous parlons de l’occupation la plus longue de l’histoire récente, menée par un État issu de l’Europe, soutenu par elle et les États-Unis, dans la région dont sont issues les religions monothéistes dominantes. Avec des ingrédients pareils, ne nous étonnons pas d’avoir un cocktail très singulier et particulièrement explosif !
Enfin, Free Gaza a su admirablement jouer des symboles – la mer, la référence à l’Exodus, la population assiégée. J’ajouterai que, comme le disait Vidal-Naquet, on juge un État à l’aune des critères dont il se réclame lui-même. Quand Assad a massacré des milliers d’islamistes, cela n’a pas suscité de tollé : les Syriens tuant des manifestants, c’est dans l’ordre des choses. L’unanimité et l’intensité de la réprobation s’expliquent donc aussi par la prétention d’Israël à être la seule démocratie de la région. Or, cette revendication, discutable au sens réel du terme, est contredite par la violence de l’option choisie. Les Israéliens pouvaient contrôler ce convoi et le laisser passer, comme ils l’ont déjà fait dans le passé.
Pourquoi, selon vous, ont-ils choisi de donner l’assaut ? Diriez-vous, comme certains journalistes israéliens, que Nétanyahou est entouré par une « bande d’idiots » ?
Sans doute, mais c’est plus grave que ça. Face à un problème politique, Israël réagit avec ses commandos. Du reste, les militants radicaux qui se trouvaient à bord de la flottille ont très intelligemment anticipé ce qui allait se passer. Cette façon de tout traiter par la force est incompréhensible pour le reste du monde et entraîne Israël vers la catastrophe. Il est vrai de surcroît que, quand on entend les propos d’un Lieberman menaçant Gaza d’une attaque nucléaire, on a l’impression que les fous furieux sont au pouvoir. Et il n’est pas sous-secrétaire d’État au logement des défavorisés, mais ministre des Affaires étrangères ! En réalité, depuis Rabin, aucun gouvernement n’a osé proposer une autre voie que celle de l’affrontement. Faute de courage politique, tout repose sur le courage physique des soldats. Mais à l’âge des missiles, le blocus, comme le mur de séparation, s’apparentent à des lignes Maginot.
Tout de même, Israël s’est retiré de Gaza, sans en percevoir le moindre dividende !
C’est une entourloupe ! Ce retrait n’est qu’une autre forme de bouclage. On a posté les matons à l’extérieur, point barre. Si ce retrait avait été négocié avec un minimum de respect pour les positions de l’adversaire, on pourrait considérer que les Palestiniens, en tirant sur Israël, sont les seuls fautifs du blocage actuel. Cela dit, je pense qu’ils se trompent lourdement en recourant à la violence et pas seulement par compassion pour les Israéliens, compassion que j’éprouve autant que n’importe qui, mais par conviction politique. Cela ne les mènera nulle part.
Acceptez-vous de dire qu’Israël est en guerre avec le Hamas ?
Non. La disproportion est telle que parler de guerre n’a tout simplement pas de sens. Certes, officiellement, le Hamas a une position intransigeante à l’égard de l’« entité sioniste » mais en politique, on a souvent plusieurs fers au feu et plusieurs de ses dirigeants ont fait des ouvertures, évoquant la possibilité de se contenter d’une partie de la Palestine historique. Personne n’a voulu les entendre. En dehors de la brève embellie qu’a été le gouvernement Rabin, Israël n’a jamais considéré sérieusement l’option qui consiste à discuter avec ses ennemis. Dès lors, les relations avec le Hamas ne sont envisagées que sous l’angle militaire. Quand on pense que le monde est un ensemble de clous, on se comporte comme un marteau. Cette politique est suicidaire.
Peut-être. Il est cependant étrange que personne ne s’interroge sur la nature du Hamas. Il y a quelques années, l’un de ses dirigeants, que je questionnais sur la mort de civils innocents, m’a fait cette réponse : « No jew is innocent ! »
Si personne ne s’interroge, c’est parce que la question n’a politiquement aucun sens. À l’exception d’une poignée de stratèges qui, malheureusement, sont au pouvoir en Israël, personne ne pense qu’on va éradiquer le Hamas. Dans ces conditions, s’en tenir au constat qu’ils nous déplaisent, c’est accepter un conflit sans fin, un blocus pour l’éternité et l’engloutissement d’Israël dans une haine qui ne restera pas toujours symbolique. Sans doute les dirigeants du Hamas ou certains d’entre eux sont-ils antisémites. Reste qu’ils sont là et que c’est avec eux qu’il faut parler. Il n’y a pas d’alternative.
On nous parle de gens ivres de leur puissance. Mais vous connaissez Israël, vous savez à quel point la peur y est profonde…
Je connais cette peur et je la comprends d’autant mieux que j’en ai des échos dans ma famille. On observe, en Israël, la combinaison unique de sentiments de toute-puissance et d’extrême vulnérabilité. Ce mélange de l’eau et du feu est la formule de la plupart des gouvernements. Le seul à avoir tenté l’option de la négociation et de la sécurité collective a été Rabin. Et je ne crois pas qu’il comptait dissoudre l’armée et planter des gardénias à Dimona.
Vous ne croyez pas au risque de voir l’Iran surarmer Gaza en cas de levée − probable − du blocus ?
Quand Nétanyahou affirme que laisser passer un bateau revient à laisser un port iranien s’installer aux frontières d’Israël, personne ne peut avaler ça. Je ne vois pas le Hamas prenant la responsabilité d’envoyer une salve de missiles sur Tel-Aviv compte tenu du risque de dévastation en retour. En conséquence, la probabilité d’une montée aux extrêmes est limitée, même si on ne peut la réduire à une abstraction de propagandiste. Mais je le répète : le blocus n’empêchera rien.
Au-delà du Proche-Orient, que vous inspire la montée de l’islamisme ? Vous qui avez cru à l’émancipation des peuples, n’espériez- vous pas un avenir un peu différent ?
Il est certain que, dans les années 1970, nous imaginions un autre futur. La montée de l’islamisme sur les décombres du nationalisme arabe n’a rien de réjouissant. Pour autant, je pense que la répression est contre-productive, comme elle l’a été en Algérie où elle a permis aux islamistes de se parer de l’héroïsme des résistants. Mieux vaut les laisser se prendre les pieds dans le tapis du pouvoir que de leur offrir la possibilité d’annexer à leur profit la démocratie et la vérité.
L’affaire de la flottille humanitaro-provocatrice nous a rendus meilleurs. D’abord, nous voilà tous experts en droit international maritime. Forts de leur expérience acquise pendant leurs dernières vacances à La Baule, les internautes défendent becs et ongles leurs avis sur la légalité de l’action israélienne, contre d’autres lecteurs qui, eux, ont eu comme expérience pertinente une matinée en pédalo sur le lac Léman.
Mais ce débat passionné et enrichissant n’a été qu’un amuse-gueule. Depuis hier, les spécialistes en droit maritime se sont convertis en experts médicolégaux et, avec la même assurance inébranlable, décortiquent les informations publiées par les Turcs sur l’autopsie des victimes du raid israélien. Celles-ci, nous dit-on, ont été « criblées de balles » : pas moins de 30 impacts sur les neufs corps. Le problème est qu’on ne peut pas exiger d’un spécialiste en droit maritime et en médecine légale, de connaître en même temps les maths. 30 balles divisées par 9 corps, cela fait en moyenne 3 impacts par victime (et puisqu’il s’agit d’une moyenne, il y a peut-être parfois 5 impacts et d’autres fois 2 impacts).
Je ne sais pas quel est votre avis, mais moi, quand on me dit « criblé » je pense à quelque chose qui ressemble à une passoire avec un peu plus de deux ou trois trous. Demandez à votre cousin du GIGN et il vous le dira : un pro avec un pistolet lâche des petite salve de 2 ou 3 balles chaque fois qu’il appuie sur la détente. Mais il faut que je vous laisse. Pour m’éclairer, je vais regarder quelques épisodes des Experts : Las Vegas.
Je ne peux pas dire que je n’aime pas le sport. Les années olympiques, vaut mieux pas essayer de me joindre pendant les directs, idem pour les championnats du monde d’athlétisme.
Pourtant, quand Luc Chatel annonce que nos rythmes scolaires devraient ressembler à ceux de nos voisins d’outre-Rhin, je tique. En vrai, je tique à chaque fois que j’entends parler Luc Chatel ; à chaque fois que je le vois débiter ses lieux communs entrepreneuriaux issus tout droit d’une cafétéria d’école de commerce – sans oublier la myriade de barbarismes et d’agressions contre la syntaxe qui va avec. Je ne sais quelle combinaison intra-UMPesque l’a amené au 110 rue de Grenelle, mais, excepté le hors-concours Estrosi à l’Industrie, j’ai du mal à imaginer contre-emploi plus avéré.
Voilà donc que le ministre de l’Education, sans doute écœuré de nous servir en vain son brouet corporate comme remède magique aux mille maux de l’Ecole, vient de trouver un nouvel élixir miraculeux : le sport. Un nouveau rythme scolaire, avec cours le matin et sport l’après-midi, sera donc testé, a-t-il annoncé, à partir de la rentrée, dans une centaine de collèges et lycées.
Le pire, c’est que, pour une fois, tout le monde a l’air d’accord avec ce pauvre Chatel. Je m’explique. Certes, la gauche, les syndicats, les parentsdélèves et pas mal de médias lui sont immédiatement rentrés dans le lard. Mais pour arguer en chœur que c’était une énième annonce démago et que, faute de crédits, on ne verrait jamais le bout du petit doigt de la journée teutonne. En clair, tous les concernés lui reprochent seulement de ne pas avoir les moyens de sa politique mais sont d’accord sur le principe de l’école mi-cours/mi-sport, donc avec la philosophie ministérielle.
Pas une voix dissidente pour dire que l’urgence n’est pas de réduire les horaires de cours old school quand l’Ecole est incapable d’honorer à 100 % ses engagements minimaux : apprendre à lire, écrire, compter, mais aussi à savoir situer la Finlande sur une mappemonde, à ne pas confondre Michel et Jean-Pierre Foucault, à pouvoir réciter quelques vers de Nerval et même, éventuellement, à les aimer…
Personne pour rappeler que, structurellement, le sport est en contradiction totale avec les valeurs égalitaires dont on nous gave. Bon dernier de ma classe en gym, sans jamais déroger, entre le CP et le bac (et aussi, tant qu’à faire, en dessin, en musique et en travaux manuels), je sais de quoi je parle. À 7 ans, j’avais déjà compris que je pouvais me défoncer, je finirais toujours dix plombes après l’avant-dernier coureur au 100 mètres. Certes, on peut affiner sa technique, mais, en dernier ressort, le sport, c’est toujours la loi du plus fort : l’éducation physique est un oxymore.
Faut-il préférer le quadriceps au cortex ?
Fort heureusement pour moi, en ce temps-là, on n’en faisait pas tout un fromage. Mais j’ai du mal à imaginer que, le jour où il y aura autant de temps dévolu aux quadriceps qu’au cortex, les critères de notation ne suivront pas en fonction et qu’une nullité crasse en maths ou en histoire ne sera pas aisément compensée par un vrai talent de dribbleur ou une jolie pointe de vitesse. Sur ce coup-là, les râleurs ont tout faux : cette réforme se fera. Parce qu’elle est radicalement dans l’air du temps.
La place sidérante désormais prise par le sport, et plus largement par le corps, montre ce qui nous attend. Comme l’Ecole doit, n’est-ce pas, s’adapter au monde où nous vivons, le sport à haute dose ouvrira la porte au reste de la novculture : ce sera même la voie royale pour atteindre un jour l’objectif mythique des 80 % de bacheliers. Cours de breakdance pour les garçons, cours de diététique pour les filles, surtout à l’approche des vacances.
– Hey, les mecs, y paraît que Kévina flippe grave pour son bac : à l’exam’, elle arrivait pas à rentrer dans un slim taille 34 !
– Rhô, la teuhon ! Mais elle a intérêt à rester zen si elle veut pas en plus foirer l’épreuve de yoga !
– Heureusement pour elle qu’elle a assuré un max à l’oral d’éducation sexuelle !
Diego Velasquez, Bacchus couronnant les ivrognes, 1628.
Diego Velasquez, Bacchus couronnant les ivrognes, 1628.
Les jeunes sont des cons, et ce depuis la plus haute Antiquité. Patrocle, l’ami d’Achille, à peine sorti de l’adolescence, dut s’exiler pour avoir tué un homme après une querelle de jeu avant de devenir pédéraste et d’enfiler l’armure de son amant pour prendre sa place alors que l’autre ne lui avait rien demandé.
Les jeunes croient avoir tout inventé alors qu’ils ne font que répéter, en moins bien, ce que firent admirablement leurs aînés. Les jeunes sont ainsi persuadés d’avoir, avec les « apéros géants » convoqués par Facebook, trouvé un mode original de convivialité et, surtout, une façon de se la jouer « classe dangereuse » pour faire peur aux bourgeois.
Il faudrait leur expliquer, mais je n’ai plus la patience, que la notion même d’apéro géant est un oxymore. L’apéro est le moment du temps suspendu dans la société choisie d’un bistrot de quartier ou d’une maison de campagne. Au-delà d’une dizaine de personnes, l’apéro devient au choix un vin d’honneur, un cocktail mondain ou un pot de départ en retraite (cas qui ne concernera bientôt plus grand-monde, d’ailleurs).
[access capability= »lire_inedits »]Facebook, le réseau asocial
L’apéro, si exquisément français, avait déjà subi un outrage en devenant « dînatoire ». Mal assis dans des fauteuils trop profonds, on mange, dans le plus grand désordre syntagmatique par rapport à la grammaire d’un repas normal, des nourritures industrielles et régressives, et c’est ainsi que le jeune est sincèrement persuadé que l’apéricube est un fromage. Or, une société qui ne sait plus se mettre à table, c’est une société qui ne sait plus parler.
Les jeunes aiment bien les apéros dînatoires parce qu’ils sont à l’apéritif honnête, old school, ce que la rave party est à la surprise du même nom : un moyen d’être tout seul ensemble, d’empiler les solitudes comme un millefeuille. C’est pour cela que Facebook leur convient. Facebook, c’est le réseau asocial par excellence. La preuve, c’est que lorsque les jeunes se retrouvent ensemble grâce à lui dans la vie réelle, les jeunes boivent comme des trous, se battent, dégradent de jolis centres-villes et, finalement, meurent d’un coma éthylique ou d’une chute. Et ils n’ont même plus l’excuse, dans de tels débordements, de vouloir faire une révolution ou une guerre. Non, ils cherchent simplement à se compter en se vomissant les uns sur les autres pour éprouver un bref instant une présence incarnée qui les fasse sortir du bunker de leur solipsisme avec des « profils », des « murs » et des « infos », toute chose quand même très connotée univers carcéral.
La seule chose qui pourrait rappeler la notion d’apéro géant, c’est-à-dire de gens buvant ensemble dans l’espoir d’ouvrir sur quelque chose (c’est l’étymologie d' »apéritif »), que ce soit une guerre, un sacrifice humain ou un festin avec des dieux, ce sont les libations homériques. Et nous voilà revenus à Patrocle. Les libations dans l’Iliade et l’Odyssée, ce sont les apéros géants des Anciens, mais, comment dire, avec quand même quelque chose en plus, quelque chose qui manque aux dyspeptiques adulescents d’aujourd’hui : « Quand vous aurez, comme il est juste, fait les libations et que vous aurez prié, remettez à ce jeune héros la coupe remplie de vin, pour qu’à son tour il fasse des libations ; car je pense qu’il veut aussi prier les immortels : tous les hommes ont besoin de l’assistance des dieux. »
Autant commencer par là, Régis Debray est un ami. Ce n’est pas à moi qu’il écrit par le truchement des éditions Flammarion mais À un ami israélien − notre ami commun Elie Barnavi. Mais c’est un peu à moi tout de même. D’abord, son texte s’adresse au moins autant à ses compatriotes juifs qu’aux Israéliens – qui ignoreront sans doute ses précieux conseils. De plus, voilà des années que nous évitons soigneusement le sujet qui fâche, précisément pour ne pas nous fâcher. Je saisis donc la perche qu’il me tend, finalement convaincue, comme lui, qu’on doit dire à ses amis les vérités qu’ils ne veulent pas entendre.
Régis, donc, parle en ami. « Tu te doutes bien qu’ami de la prudence et du confort intellectuel, je n’irais pas me mettre à dos une phalange de bras vengeurs sans une profonde empathie. » Cette phrase, comme le reste du livre, respire tout sauf l’empathie. Debray n’envisage pas que ses propos puissent être contestés, critiqués, discutés par des gens raisonnables : il sera forcément victime d’une « phalange de bras vengeurs ». Qu’il se rassure : il aura peut-être droit à l’accusation d’antisémitisme, proférée hier contre Edgar Morin. Le premier qui osera lui accrocher cet infâmant grelot me trouvera sur son chemin.
Traîner Edgar Morin en justice était idiot et aussi indigne que le texte qu’il a signé. Mais pourquoi oublier que Morin a été massivement soutenu, y compris par ceux que ce texte avait glacés ? Se focaliser sur la minorité la plus extrémiste de la « communauté » (qui est déjà elle-même une minorité à l’intérieur des juifs de France), n’est-ce pas, cher Régis, pour te retourner ta formule au sujet de l’antisémitisme de nos banlieues, « prendre l’écume pour la vague, le 1% pathologique incompressible de toute collectivité humaine pour un frémissement des profondeurs » ?
L’absence d’empathie n’est pas un crime. Elle peut même être un atout.
L’empathie, c’est la capacité de se mettre à la place de l’autre. Empathique, la désignation des soldats israéliens par l’aimable terme de « robocop » ? Régis, as-tu eu une pensée pour ceux qui furent lynchés à Ramallah devant une foule en liesse ? Pour autant, tous les Palestiniens ne sont pas des lyncheurs. Tous les soldats d’Israël seraient-ils des robots sans âme ?
Empathique, l’idée qu’en France on fait beaucoup pour les juifs et rien pour les Arabes ? Te rappelles-tu que des enfants ont dû quitter l’école de la République où on ne pouvait garantir leur sécurité car ils étaient les seuls juifs de leur établissement ?
L’absence d’empathie n’est pas un crime. Elle peut même être un atout pour l’intellectuel. Ce qui manque ici à Debray, c’est le sens de la complexité qui rend habituellement son œuvre si riche. Choisissant, par principe et par fidélité à sa jeunesse, le camp des opprimés, il voit des bons et des méchants : enivrées par leur force, les anciennes victimes se sont transformées en bourreaux et quand les victimes d’aujourd’hui − les Palestiniens − sont criminelles, c’est précisément parce qu’elles sont victimes.
Il serait absurde de récuser en bloc ce qu’écrit Debray. Beaucoup de gens partagent ses inquiétudes sur le blocage actuel et son antipathie pour l’actuel gouvernement d’Israël. Qu’il se casse le nez sur l’Etat « juif et démocratique », on ne saurait le lui reprocher : qui prétendra que cette affaire de religion définissant également un peuple dont la plupart des membres ne mettent jamais les pieds dans une synagogue est claire ? Qu’il simplifie à outrance l’histoire en évoquant « huit cent mille autochtones chassés de leur terre manu militari, d’après un plan concerté par un chef charismatique agissant avec la rudesse d’un « bolchevik sans le communisme » », on ne lui en fera pas (trop) grief : il y a du vrai et du faux dans ce résumé sommaire même si, comme l’a souligné Claude Lanzmann dans Le Point, le contexte en est totalement évacué.
Le problème, en particulier sur la France, c’est que Régis a vingt ans de retard. Il vit dans les années 1980, quand la nation entière était sans cesse sommée de faire repentance pour Vichy et d’accomplir son devoir de mémoire. Peut-être la figure symbolique du juif français était-elle alors le « chouchou de la République ».« À Paris, quand il y a un million de personnes dans la rue, comme en 1992, c’est pour vilipender les croix gammées dans le cimetière de Carpentras, non pour en peindre sur les devantures de magasins », écrit-il. En 1992 ! Où étais-tu, Régis, en 2003, quand des centaines de milliers de personnes, sous prétexte de s’opposer à la guerre en Irak, traçaient le signe d’égalité entre la croix gammée et l’étoile de David, Sharon et Hitler ? Durant la guerre de Gaza, des rabbins ont participé aux manifestations de soutien à Israël, accréditant, selon toi, la confusion entre « juif » et « Israélien » : as-tu remarqué que quelques jours avant, une prière publique, place de la République, avait inauguré un défilé anti-israélien ?
Oui, il existe une paranoïa juive qui voit de l’antisémitisme quand il n’y en a pas. Est-ce une raison pour juger que celui qui existe n’est qu’un épiphénomène ? Question d’empathie, peut-être.
Debray en phase avec l’air du temps : désolant !
De la légèreté à l’irresponsabilité, Debray franchit allègrement la frontière quand il ajoute que, si on en fait trop pour les juifs, on n’en fait pas assez pour les Arabes. Y aurait-il un lien de cause à effet ? « La seule phobie aujourd’hui enracinée en France, tolérée, sinon encouragée (…) stigmatise les minarets, non les synagogues ». Comment un penseur de ce calibre peut-il reprendre cet argumentaire bas de gamme qui ne fait qu’attiser la mortifère concurrence des mémoires ? Mystère. Peut-il ignorer que l’obsession pénitentielle française s’est déplacée sur le terrain de la colonisation – pour des raisons compréhensibles au demeurant ? Est-il reclus au point d’ignorer que le discours dominant célèbre la diversité et le métissage, que la lutte contre les discriminations est devenue l’alpha et l’oméga de la République ? Pour lui, l’islamo-fascisme (terme d’ailleurs contestable) est une pure invention. Comme chacun sait, nos banlieues sont des havres de tolérance et de fraternité. Barnavi, qui dénonçait il y a quelques années les « religions meurtrières », ne lui répond pas sur ce point. Dommage.
Le plus étonnant n’est pas que Debray se place du côté des opprimés ou de ceux qu’il considère comme tels, mais qu’il adopte le prêt-à-penser d’une époque convaincue que la victime a toujours raison, qu’il fasse siens les poncifs qu’on entend en boucle sur France Inter en croyant déployer des idées dérangeantes. Désolée, compañero, mais ton texte enchantera nos directeurs de conscience, de Médiapart à Télérama en passant par Canal+. Te voilà en phase avec l’air du temps. C’est le plus désolant.
Je ne voudrais pas avoir de formule malheureuse et déclarer comme le fit, pour un autre pays et en d’autres époques un président du conseil au nom palindrome mais, je dois bien l’avouer, en ce qui concerne le match inaugural de l’équipe de France en Coupe du Monde le 11 juin, je souhaite la victoire de l’Uruguay. En effet, dans ce pays cher à la poésie française (Montevideo vit naître Laforgue, Lautréamont et Supervielle), le nouveau président qui a pris ses fonctions en mars, vient de rendre publique sa déclaration de patrimoine.
José Mujica, 75 ans dont 14 en prison pour avoir été un courageux guérillero Tupamaro dans les années 60, possède en tout et pour tout une Volkswagen Coccinelle de 1987 qui a été évaluée à 1600 euros. Comme il semble décidé à tuer le métier, il a en plus annoncé qu’il reversait son salaire à son parti et à un programme immobilier pour les défavorisés. Monsieur Mujica, vous vous rendez compte si ça venait à se savoir, un comportement aussi irresponsable ? Et un, et deux, et trois euros !
On reproche souvent aux journaux de n’annoncer que des mauvaises nouvelles, réjouissons nous quand de bonnes font la une. Le Parisien revient sur l’affaire nantaise de l’automobiliste en burqa, de l’amende de vingt-deux euros, de la conférence de presse, du mari islamiste, polygame et arrogant, de cette famille multi-parentale et multi-bénéficiaire d’aides sociales.
Si le début de l’histoire était plutôt énervant, la suite n’est pas pour me déplaire car monsieur Lies Hebbadj et celle de ses épouses qui nous intéresse en l’occurrence ont été arrêtés et placés en garde à vue parce que soupçonnés d’escroquerie, de fraudes aux aides sociales et de travail dissimulé selon une source proche de l’enquête. La photo qui illustre l’article le représente entre deux gendarmes, la tête couverte comme une vraie gonzesse. Drôle d’idée de ne pas vouloir être reconnu après tant de fanfaronnades ! Enfin, qu’il se cache, c’est un bon début !
Si en bons croyants, même fondamentalistes, ces deux là avaient su recevoir avec humilité et en toute discrétion l’épreuve que le bon Dieu et la République leur envoyaient, en payant l’amende avec le centième ou le millième des sommes indûment perçues et en se faisant tout petits, nous n’en aurions jamais entendu parler. Au lieu de faire preuve de décence, mais je doute que cette notion leur soit familière, ou en tout cas de prudence, ils ont choisis de convoquer la presse pour dénoncer une intolérable et intolérante discrimination.
Apprendre la décence par la loi
Voici pourquoi, informé des suites judiciaires données à l’affaire, je me suis endormi sur mes deux oreilles, confiant dans la justice de mon pays, et réveillé le lendemain matin en grande forme pour ma journée de travail, prêt à mettre du cœur à l’ouvrage pour gagner mon pain quotidien et le supplément nécessaire aux cotisations URSSAF qui financent les allocations familiales. Je n’ai pas l’habitude de me réjouir du malheur d’autrui mais j’avoue avoir imaginé avec une joie mauvaise que la fouille au corps avait été totale et qu’il ne restait plus dans le garde-manger de la gendarmerie que deux casse-croutes au jambon.
Qu’on me vole, c’est déjà beaucoup, mais qu’on vienne me narguer jusque sur mon écran de télé, c’est pousser un peu loin le bouchon. C’est avoir vécu jusqu’ici en France sans avoir rencontré la moindre résistance à la crapulerie et à la grossièreté, ou peut-être penser qu’il suffit de prononcer les mots « racisme », « islamophobie » ou « discrimination » pour faire cesser toute critique et être dispensé d’avoir à rendre des comptes.
J’ignore qui, du juge ou du politique, je dois féliciter pour cet heureux rebondissement mais je le remercie chaudement. Pour l’avocat du beur nantais, ça ne fait aucun doute. « On n’en est plus au stade de la procédure judiciaire, c’est un acharnement politique sans précédent », juge-t-il. La justice qui aurait condamné Hortefeux en toute indépendance serait ici aux ordres ? J’aimerais presque le croire. Cela signifierait que le pouvoir exécutif est à l’initiative des poursuites et indirectement les électeurs qui l’ont élu et encouragé dans ce sens. J’accepte avec joie l’idée que j’aurais contribué, même de façon infime et très indirecte, à actionner le bâton qui va apprendre à monsieur Hebbadj la loi, la décence et le respect. Que les politiques fassent de la politique et que la justice nous rende justice, c’est tout ce que je demande. Par ailleurs, je déplore avec le défenseur de Lies Hebbadj que l’événement soit sans précédent. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
L’avocat du mari en rajoute et parle d’une « garde à vue disproportionnée ». Celui de sa femme regrette que les autres épouses de monsieur Hebbadj qui n’est nullement polygame naient pas été auditionnées. Ces déclarations me donnent l’envie et l’espoir fou que le boucher hallal et toute sa smala s’engagent dans la prochaine flottille pour Gaza. Habitué qu’il est aux joies de la polygamie et de l’assistanat, pour peu qu’il s’abstienne de défier le pouvoir en place, il y vivrait comme un Pacha. Et pour ce qui est de la rhétorique victimaire, il maitrise le peu de vocabulaire qu’il faut pour les médias internationaux. La différence, c’est que là-bas, il comprendrait vite ce que cela veut dire d’être une victime. Pour de vrai.
Rêvons un peu. Soyons positif pour une fois. Imaginons un monde, d’ici quelques années – enfin, injectons un peu de réalisme dans ces propos euphoriques, et disons d’ici quelques décennies- dans lequel l’antiracisme pavlovien qui nous sert de conscience morale en ce début de millénaire sera devenu en France un objet d’études pour des facultés de sciences humaines rénovées et efficaces sous la férule du vénérable et presque centenaire[1. Rien à voir avec la réforme des retraites. Enfin, j’espère.] ministre d’Etat en charge de l’Education nationale et des Humanités, Alain Finkielkraut. Les réactions médiatiques en Europe au meurtre du vicaire apostolique Mgr Luigi Padovese au début du mois de juin 2010 y seront peut-être étudiées comme un cas d’école de l’aveuglement idéologique occasionné par les surdoses de moraline à laquelle sont aujourd’hui accros la plupart de ceux qui font l’opinion dans notre pays.
L’exigence d’apaisement contre l’exigence de vérité
Elles seront analysées comme parfaitement symptomatiques de cette exigence d’apaisement, qui s’est substituée à l’exigence de vérité dans le travail des journalistes. On y constatera aussi l’immensité de l’absence de curiosité et d’esprit critique qui caractérise le travail de la presse lorsqu’il ne s’agit pas de dénoncer le néo-colonialisme occidental, la profondeur des préjugés sexistes et racistes français ou l’ampleur des discriminations inhérentes à la structuration hétéro-fasciste des sociétés judéo-chrétiennes.
Lorsqu’en France des tombes musulmanes sont dégradées, il s’agit nécessairement d’un acte d’une haute signification politique, le fait d’une montée de l’islamophobie et du rejet de l’autre qui frappe la France moisie contre laquelle nous devons tous nous mobiliser à coup de prise de conscience citoyenne et de lutte subventionnée contre les préjugés. Lorsqu’en Turquie un Turc, déclarant agir sous l’emprise d’une inspiration divine, égorge un évêque catholique, au moment même où le Pape se rend à Chypre, notamment pour évoquer le sort tragique des chrétiens d’Orient, et alors que la victime devait elle-même rejoindre le Souverain pontife à Nicosie, il ne peut s’agir que d’un fait divers, l’acte d’un déséquilibré sans aucune portée politique ou religieuse.
Le meilleur des mondes postchrétien
Peu importe que depuis des années la folie soit la cause sans cesse invoquée par les autorités turques dans les cas d’attaques de chrétiens par des extrémistes islamistes, peu importe le fait que Mgr Padovese ait été l’un des principaux conseillers de Benoît XVI pour les questions des relations de l’Eglise avec l’islam, peu importe le contexte général de la montée de l’islamisme en Turquie et des persécutions des minorités religieuses. Non, tout cela est insignifiant. Ce qu’il importe de souligner lorsqu’on parle de la Turquie, c’est le magnifique dynamisme de cette société turque dont l’entrée dans l’UE serait une chance pour notre vieille Europe recroquevillée et xénophobe. Ce qu’il faut dire et répéter lorsqu’on lutte tous ensemble contre l’islamophobie consubstantielle à la chrétienté, c’est que l’islam est une chance pour la France. Au nom de l’ouverture à l’autre et de l’abandon de nos réflexes xénophobes, consacrons l’islam religion de paix et d’amour, une religion dans laquelle on intime sans relâche aux persécutés de tendre la joue gauche lorsqu’on les frappe sur la joue droite, et où l’on exige sévèrement du croyant qu’il aime non seulement son prochain, mais aussi ses ennemis. Peu importent l’islam et la Turquie réels, tout doit aller pour le mieux dans le meilleur des mondes postchrétiens.
Voici donc les limites au devoir d’investigation et de recherche de la vérité qui motive, paraît-il, l’action des journalistes dans notre pays : la vérité ne saurait nuire à la bonne entente des citoyens, à la méchanceté des méchants et la gentillesse des gentils, et au dogme selon lequel tout est dans tout et rien dans rien.
Ainsi, et malgré cette équivalence proclamée de toutes les croyances, les grands gourous des forces de progrès, d’Ankara à Saint-Germain-des-Prés, n’hésiteront pas à baptiser sans son consentement un tueur d’évêque pour en faire un bon catholique, et à faire de ce meurtre le produit d’une histoire personnelle et compliquée, sans aucun rapport avec la montée des attaques antichrétiennes dans les pays musulmans. La paix sociale vaut bien une néo-messe.
Castagne chez les écolos. Vert de rage, Dany-Cohn Bendit fustige violemment Jean-Vincent Placé, le second de Cécile Duflot à la tête des Verts. Placé a traité de « vieille éthique » l’ex-juge Eva Joly, proposée par Dany comme candidate Europe-Ecologie à l’élection présidentielle de 2012. En réponse, Placé fut gratifié d’un tonitruant » crétin! » par Cohn-Bendit à la tribune de la convention inter-régionale du mouvement écologiste réunie samedi 5 juin à Paris. La joute étant restée exclusivement verbale, et n’ayant été transcrite que par les journalistes présents, il convient de s’interroger sur ce qu’a voulu réellement dire Jean-Vincent Placé.
Comparer une personne à un ensemble de règles morales, même surannées est pour le moins bizarre dans le registre des invectives: « espèce ce vieille éthique! » ne s’entend pas très souvent dans les querelles ordinaires, même dialoguées par Michel Audiard. Placé n’aurait-il pas plutôt chercher à titiller la magistrate franco-norvégienne en suggérant qu’elle n’aurait pas la plénitude physique de la jeunesse dont jouit sa championne à lui, Cécile Duflot? Auquel cas, c’est « vieille étique » que nos journalistes incultes auraient dû noter sur leur carnet. De toute façon, à la présidentielle les écolos jouent placés, pas gagnant, n’est-ce pas Jean-Vincent ?
Les adorateurs de l’euro continuent à bêler qu’il nous protège − on se demande bien de quoi. Il devient pourtant urgent de mettre fin à cette hasardeuse expérimentation.
Pour être honnête, il faut d’abord reconnaître que la monnaie unique a eu quelques effets bénéfiques. Tout d’abord, elle facilite les échanges (frontaliers, touristiques, commerciaux) au sein de la zone, même si elle n’a pas fondamentalement accéléré un mouvement qui lui préexistait largement. Ensuite, dans un premier temps, la convergence des taux longs a permis aux pays qui souffraient d’une forte prime de risque de réduire considérablement le coût de leur dette.
Mais cette convergence s’est interrompue en 2008 et nous sommes revenus à la situation d’avant l’euro. La zone euro est entrée en récession dès le deuxième trimestre de 2008, soit un trimestre avant les Etats-Unis. En 2009, le PIB états-unien a baissé de 2,5%, contre 4% en Europe et, en 2010, la croissance sera de 1% de ce côté-ci de l’Atlantique contre 3% de l’autre. Pourtant, la récession venait des Etats-Unis, où la baisse de 30% de la valeur de l’immobilier a durement frappé des millions de ménages. Mais la politique européenne n’a fait qu’aggraver les choses. Et l’euro ne nous a pas non plus protégés contre la spéculation qui s’est déplacée sur les taux des dettes souveraines.
La plaie du « one size fits all »
La réalité, c’est que l’euro est un boulet accroché aux économies européennes. Pour une raison simple : à l’exception de la brève période où il est descendu jusqu’à 0,82 dollar, il est structurellement surévalué. Les économistes estiment que son cours normal devrait être de 1 à 1,15 dollar – ce qui signifie qu’il est encore surévalué de 10 % et qu’il l’était de plus de 50% quand il s’échangeait contre 1,6 dollar. Or, cette situation a une seule cause : la politique monétaire de la BCE, exagérément restrictive par rapport à celle de la Fed. En juin 2008, Jean-Claude Trichet trouvait le moyen d’augmenter les taux d’intérêt alors qu’aux Etats-Unis, ils avaient baissé de 3 points ! Résultat : en dix ans, l’excédent des échanges franco-américain est devenu un déficit de 5 milliards. Résultat : les délocalisations de nos entreprises, jusqu’à Airbus qui a décidé d’augmenter la part de ses composants produits en zone dollar. Les constructeurs automobiles français ont suivi le même raisonnement : ils produisaient 3 millions de voitures en France en 2004. Ce chiffre est tombé à un peu plus de 1,5 million en 2009.
En prime, les pays de la zone souffrent de la politique de désinflation compétitive allemande, conséquence logique de l’unification monétaire. En effet, dans un système de parité fixe, le coût du travail devient décisif dans la bataille commerciale. C’est ce que l’Allemagne a compris depuis le milieu des années 1990 et applique avec toute sa rigueur. Ce blocage des salaires a permis à notre voisin d’outre-Rhin de gagner en compétitivité et d’accumuler des excédents commerciaux vis-à-vis de l’ensemble de ses « partenaires » de la zone euro. Le problème est que cette politique a un effet dépressif important et, effectivement, avec 0,8% par an, l’Allemagne – avec l’Italie – a été, durant la dernière décennie, le pays à la plus faible croissance de la zone. Vu son poids économique, cette faiblesse s’est transmise à tous les autres.
Pire, ce comportement bien peu collectif pousse tous les autres pays à se lancer dans une course à la rigueur qui pourrait se révéler désastreuse. Un blocage généralisé de salaires réduirait encore le potentiel de croissance d’une zone qui n’a déjà pas brillé dans ce domaine depuis dix ans.
Mais le défaut majeur de l’euro est d’imposer une même politique monétaire à un ensemble de pays aussi hétérogènes. Les pays avec des excédents commerciaux et ceux qui accusent des déficits ont besoin de politiques monétaires diamétralement opposées. Pour arriver à l’équilibre, les premiers ont besoin que leur monnaie s’apprécie tandis que la solution, pour les autres, est plutôt une dépréciation de la monnaie. Autrement dit, l’euro interdit les ajustements de la balance commerciale.
Logiquement, il en va de même pour les taux d’intérêt. Autant les taux sont généralement trop élevés pour des pays comme la France et l’Allemagne, autant ils ont longtemps été trop faibles pour des pays à croissance et inflation plus fortes, comme l’Irlande (où les taux étaient de 4 % quand la croissance nominale du PIB fleurait les 8%), l’Espagne ou la Grèce.
En Espagne, pays qui disposait d’un excédent budgétaire au milieu des années 2000, l’euro et les faibles taux d’intérêt à court terme qui allaient avec ont engendré la bulle immobilière et le krach qui a suivi. Si le pays avait pu mener une politique monétaire indépendante, nul doute que sa banque centrale aurait augmenté le loyer de l’argent.
L’alternative : la monnaie commune
La zone euro ne satisfait donc nullement aux critères de ce que les économistes appellent une « zone monétaire optimale » : convergence macro-économique, mobilité des travailleurs et budget central. C’est que l’euro n’était qu’une aventure politique destinée à contraindre les Etats à construire l’Europe sur un modèle fédéral. En réalité, même l’avancée vers le fédéralisme que serait l’adoption d’un unique budget de la zone ne serait pas une solution car les deux premiers critères ne seraient toujours pas remplis, ce qui laisserait trop de mécanismes pervers en œuvre, notamment la prime à une désinflation compétitive. On n’en sortira pas : les pays de la zone euro sont trop dissemblables pour partager une même monnaie.
Il existe cependant une solution médiane qui permettrait de conserver l’euro tout en en corrigeant ses faiblesses. Elle consiste à transformer la monnaie unique en monnaie commune coexistant avec les monnaies nationales, sur le modèle du défunt Système monétaire européen. Un tel mécanisme aurait permis aux banques centrales espagnole et irlandaise d’augmenter leurs taux pour éviter la formation d’une bulle immobilière dans les années 2000. Elle rendrait caduques les politiques excessives de désinflation compétitive et pousserait l’Allemagne à adopter une politique tournée vers la croissance plus que vers le contrôle des salaires. Mieux, cet euro repensé pourrait devenir un véritable rival du dollar, ce que la monnaie unique a échoué à être.
Certains agitent le spectre de taux d’intérêt à 10% que les marchés exigeraient pour prêter à la France. C’est oublier que, malgré le déficit le plus élevé du G7, la Grande-Bretagne arrive toujours à se financer à des taux raisonnables. D’autres avancent que la dette deviendrait ingérable en cas de dévaluation. C’est un danger réel mais que les gouvernements peuvent contrer en imposant une conversion en monnaie nationale avant la dévaluation : ce sera toujours préférable à un défaut généralisé.
Surévaluation, compression des salaires et de la croissance, encouragement aux bulles : l’euro a aggravé les problèmes des pays de la zone tout en les privant de leurs moyens d’agir. La monnaie unique est une catastrophe économique. Il faut en sortir, vite !
Tout en étant favorable à l’opération montée par Free Gaza, vous admettez qu’on peut difficilement la qualifier d' »humanitaire »…
Le terme « humanitaire » n’est effectivement pas très adapté, même si
un grand nombre des passagers des bateaux se situaient exclusivement dans le registre de la compassion. Mais les journalistes, les observateurs et même les organisateurs de cette opération ont été piégés par cet usage intempestif et distrait du mot « humanitaire ». La flottille de Free Gaza a été conçue comme une action militante qui a certes tourné à l’affrontement mais qui s’inscrit dans un registre symbolique, donc politique. Par conséquent, la question n’est pas de savoir si cette opération était ou non politique mais de se demander quelle politique elle défend.
La réponse est claire : l’objectif explicite, affiché par Free Gaza sur son site, n’était pas de fournir des marchandises à Gaza mais de dénoncer le blocus et d’obtenir sa levée. Et cet objectif est parfaitement défendable, car le blocus est indéfendable. Et qui plus est, parfaitement inefficace au regard de son objectif qui était de créer un fossé entre le Hamas et la population.
Au-delà de la levée du blocus, vous savez que la Turquie a son propre agenda…
Dès qu’un État est impliqué dans une opération de secours, ne serait-ce qu’en envoyant ses soldats lors d’un tremblement de terre, c’est qu’il a un « agenda ». À l’évidence, la Turquie, bloquée aux portes de l’Europe, entend s’affirmer comme une puissance régionale : d’où son rôle dans les négociations triangulaires avec l’Iran ou sa proposition de bons offices avec la Syrie. Mais pour y parvenir, elle doit se démarquer d’une alliance encombrante. Cela dit, qu’un État souverain joue sa carte n’a rien de choquant. Cela fait partie du jeu ordinaire des relations internationales.
[access capability= »lire_inedits »]Vous m’accorderez que les passagers des bateaux n’étaient pas exagérément pacifistes…
Mon sentiment − à défaut d’informations précises − est qu’il y avait sur ces bateaux des gens animés par des considérations politiques très différentes. Un ancien conseiller de Reagan, un prix Nobel de la paix irlandais, des députés européens, des militants propalestiniens de base et des islamistes peuvent se retrouver pour dénoncer le scandale de ce blocus. Parmi eux, certains n’étaient pas pacifiques et étaient au contraire décidés à en découdre, notamment un noyau qui était là pour faire son djihad, prêt au sacrifice. Mais il me semble évident que le passager lambda était là dans un esprit à la fois militant et pacifique.
Les manifestants européens ne le sont pas toujours et ils ont une petite tendance à confondre « juif » et « israélien »…
Je ne peux qu’observer cette confusion angoissante. Je ne crois pas, ou je n’ai pas envie de croire qu’elle est générale, mais il faudrait être aveugle pour ne pas la voir. J’ajoute qu’il faut être aveugle également pour ne pas voir qu’elle est entretenue par le comportement de dirigeants communautaires. Rappelez vous, entre autres, le grand rabbin Bernheim manifestant devant l’ambassade d’Israël pour soutenir l’attaque de Gaza en janvier 2009.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël est ainsi montré du doigt. Y a-t-il quelque chose de nouveau ?
Quelque chose est en train de se fissurer profondément et j’en tiens pour preuve le fait que d’éminents intellectuels, habituellement rangés aux côtés d’Israël même dans des moments très durs, font état de leur malaise. Alexandre Adler, qui a plutôt tendance à être sobre dans le choix de ses mots, se déclare « épouvanté », un terme plus finkielkrautien qu’adlérien. Quand nous avons publié La Discorde, avec Alain Finkielkraut, l’isolement d’Israël était déjà inquiétant. Aujourd’hui, il est presque total.
Des situations de guerre et des horreurs, vous en connaissez beaucoup. On dirait que les morts causées par Israël révoltent plus que toutes les autres…
On peut s’en indigner mais c’est un fait : un mort n’est pas égal à un mort. Je suis bien placé pour constater à quel point l’indignation est à géométrie variable et je considère qu’avant d’être une faute morale, c’est un phénomène anthropologique : on ne peut pas éprouver avec la même intensité toutes les souffrances du monde. C’est un fait que, quand j’apprends que l’armée turque a tué des militants kurdes, je ne ressens pas la sidération qui a été la mienne le matin de l’assaut israélien. L’état d’incandescence des réactions observées en l’occurrence a plusieurs explications. Tout d’abord, nous parlons d’un conflit universalisé, mondialisé dont les répercussions vont au-delà de la région. Le général Petraeus a tout de même déclaré publiquement que la politique israélienne mettait la vie des soldats américains en danger. Nous parlons de l’occupation la plus longue de l’histoire récente, menée par un État issu de l’Europe, soutenu par elle et les États-Unis, dans la région dont sont issues les religions monothéistes dominantes. Avec des ingrédients pareils, ne nous étonnons pas d’avoir un cocktail très singulier et particulièrement explosif !
Enfin, Free Gaza a su admirablement jouer des symboles – la mer, la référence à l’Exodus, la population assiégée. J’ajouterai que, comme le disait Vidal-Naquet, on juge un État à l’aune des critères dont il se réclame lui-même. Quand Assad a massacré des milliers d’islamistes, cela n’a pas suscité de tollé : les Syriens tuant des manifestants, c’est dans l’ordre des choses. L’unanimité et l’intensité de la réprobation s’expliquent donc aussi par la prétention d’Israël à être la seule démocratie de la région. Or, cette revendication, discutable au sens réel du terme, est contredite par la violence de l’option choisie. Les Israéliens pouvaient contrôler ce convoi et le laisser passer, comme ils l’ont déjà fait dans le passé.
Pourquoi, selon vous, ont-ils choisi de donner l’assaut ? Diriez-vous, comme certains journalistes israéliens, que Nétanyahou est entouré par une « bande d’idiots » ?
Sans doute, mais c’est plus grave que ça. Face à un problème politique, Israël réagit avec ses commandos. Du reste, les militants radicaux qui se trouvaient à bord de la flottille ont très intelligemment anticipé ce qui allait se passer. Cette façon de tout traiter par la force est incompréhensible pour le reste du monde et entraîne Israël vers la catastrophe. Il est vrai de surcroît que, quand on entend les propos d’un Lieberman menaçant Gaza d’une attaque nucléaire, on a l’impression que les fous furieux sont au pouvoir. Et il n’est pas sous-secrétaire d’État au logement des défavorisés, mais ministre des Affaires étrangères ! En réalité, depuis Rabin, aucun gouvernement n’a osé proposer une autre voie que celle de l’affrontement. Faute de courage politique, tout repose sur le courage physique des soldats. Mais à l’âge des missiles, le blocus, comme le mur de séparation, s’apparentent à des lignes Maginot.
Tout de même, Israël s’est retiré de Gaza, sans en percevoir le moindre dividende !
C’est une entourloupe ! Ce retrait n’est qu’une autre forme de bouclage. On a posté les matons à l’extérieur, point barre. Si ce retrait avait été négocié avec un minimum de respect pour les positions de l’adversaire, on pourrait considérer que les Palestiniens, en tirant sur Israël, sont les seuls fautifs du blocage actuel. Cela dit, je pense qu’ils se trompent lourdement en recourant à la violence et pas seulement par compassion pour les Israéliens, compassion que j’éprouve autant que n’importe qui, mais par conviction politique. Cela ne les mènera nulle part.
Acceptez-vous de dire qu’Israël est en guerre avec le Hamas ?
Non. La disproportion est telle que parler de guerre n’a tout simplement pas de sens. Certes, officiellement, le Hamas a une position intransigeante à l’égard de l’« entité sioniste » mais en politique, on a souvent plusieurs fers au feu et plusieurs de ses dirigeants ont fait des ouvertures, évoquant la possibilité de se contenter d’une partie de la Palestine historique. Personne n’a voulu les entendre. En dehors de la brève embellie qu’a été le gouvernement Rabin, Israël n’a jamais considéré sérieusement l’option qui consiste à discuter avec ses ennemis. Dès lors, les relations avec le Hamas ne sont envisagées que sous l’angle militaire. Quand on pense que le monde est un ensemble de clous, on se comporte comme un marteau. Cette politique est suicidaire.
Peut-être. Il est cependant étrange que personne ne s’interroge sur la nature du Hamas. Il y a quelques années, l’un de ses dirigeants, que je questionnais sur la mort de civils innocents, m’a fait cette réponse : « No jew is innocent ! »
Si personne ne s’interroge, c’est parce que la question n’a politiquement aucun sens. À l’exception d’une poignée de stratèges qui, malheureusement, sont au pouvoir en Israël, personne ne pense qu’on va éradiquer le Hamas. Dans ces conditions, s’en tenir au constat qu’ils nous déplaisent, c’est accepter un conflit sans fin, un blocus pour l’éternité et l’engloutissement d’Israël dans une haine qui ne restera pas toujours symbolique. Sans doute les dirigeants du Hamas ou certains d’entre eux sont-ils antisémites. Reste qu’ils sont là et que c’est avec eux qu’il faut parler. Il n’y a pas d’alternative.
On nous parle de gens ivres de leur puissance. Mais vous connaissez Israël, vous savez à quel point la peur y est profonde…
Je connais cette peur et je la comprends d’autant mieux que j’en ai des échos dans ma famille. On observe, en Israël, la combinaison unique de sentiments de toute-puissance et d’extrême vulnérabilité. Ce mélange de l’eau et du feu est la formule de la plupart des gouvernements. Le seul à avoir tenté l’option de la négociation et de la sécurité collective a été Rabin. Et je ne crois pas qu’il comptait dissoudre l’armée et planter des gardénias à Dimona.
Vous ne croyez pas au risque de voir l’Iran surarmer Gaza en cas de levée − probable − du blocus ?
Quand Nétanyahou affirme que laisser passer un bateau revient à laisser un port iranien s’installer aux frontières d’Israël, personne ne peut avaler ça. Je ne vois pas le Hamas prenant la responsabilité d’envoyer une salve de missiles sur Tel-Aviv compte tenu du risque de dévastation en retour. En conséquence, la probabilité d’une montée aux extrêmes est limitée, même si on ne peut la réduire à une abstraction de propagandiste. Mais je le répète : le blocus n’empêchera rien.
Au-delà du Proche-Orient, que vous inspire la montée de l’islamisme ? Vous qui avez cru à l’émancipation des peuples, n’espériez- vous pas un avenir un peu différent ?
Il est certain que, dans les années 1970, nous imaginions un autre futur. La montée de l’islamisme sur les décombres du nationalisme arabe n’a rien de réjouissant. Pour autant, je pense que la répression est contre-productive, comme elle l’a été en Algérie où elle a permis aux islamistes de se parer de l’héroïsme des résistants. Mieux vaut les laisser se prendre les pieds dans le tapis du pouvoir que de leur offrir la possibilité d’annexer à leur profit la démocratie et la vérité.
L’affaire de la flottille humanitaro-provocatrice nous a rendus meilleurs. D’abord, nous voilà tous experts en droit international maritime. Forts de leur expérience acquise pendant leurs dernières vacances à La Baule, les internautes défendent becs et ongles leurs avis sur la légalité de l’action israélienne, contre d’autres lecteurs qui, eux, ont eu comme expérience pertinente une matinée en pédalo sur le lac Léman.
Mais ce débat passionné et enrichissant n’a été qu’un amuse-gueule. Depuis hier, les spécialistes en droit maritime se sont convertis en experts médicolégaux et, avec la même assurance inébranlable, décortiquent les informations publiées par les Turcs sur l’autopsie des victimes du raid israélien. Celles-ci, nous dit-on, ont été « criblées de balles » : pas moins de 30 impacts sur les neufs corps. Le problème est qu’on ne peut pas exiger d’un spécialiste en droit maritime et en médecine légale, de connaître en même temps les maths. 30 balles divisées par 9 corps, cela fait en moyenne 3 impacts par victime (et puisqu’il s’agit d’une moyenne, il y a peut-être parfois 5 impacts et d’autres fois 2 impacts).
Je ne sais pas quel est votre avis, mais moi, quand on me dit « criblé » je pense à quelque chose qui ressemble à une passoire avec un peu plus de deux ou trois trous. Demandez à votre cousin du GIGN et il vous le dira : un pro avec un pistolet lâche des petite salve de 2 ou 3 balles chaque fois qu’il appuie sur la détente. Mais il faut que je vous laisse. Pour m’éclairer, je vais regarder quelques épisodes des Experts : Las Vegas.
Je ne peux pas dire que je n’aime pas le sport. Les années olympiques, vaut mieux pas essayer de me joindre pendant les directs, idem pour les championnats du monde d’athlétisme.
Pourtant, quand Luc Chatel annonce que nos rythmes scolaires devraient ressembler à ceux de nos voisins d’outre-Rhin, je tique. En vrai, je tique à chaque fois que j’entends parler Luc Chatel ; à chaque fois que je le vois débiter ses lieux communs entrepreneuriaux issus tout droit d’une cafétéria d’école de commerce – sans oublier la myriade de barbarismes et d’agressions contre la syntaxe qui va avec. Je ne sais quelle combinaison intra-UMPesque l’a amené au 110 rue de Grenelle, mais, excepté le hors-concours Estrosi à l’Industrie, j’ai du mal à imaginer contre-emploi plus avéré.
Voilà donc que le ministre de l’Education, sans doute écœuré de nous servir en vain son brouet corporate comme remède magique aux mille maux de l’Ecole, vient de trouver un nouvel élixir miraculeux : le sport. Un nouveau rythme scolaire, avec cours le matin et sport l’après-midi, sera donc testé, a-t-il annoncé, à partir de la rentrée, dans une centaine de collèges et lycées.
Le pire, c’est que, pour une fois, tout le monde a l’air d’accord avec ce pauvre Chatel. Je m’explique. Certes, la gauche, les syndicats, les parentsdélèves et pas mal de médias lui sont immédiatement rentrés dans le lard. Mais pour arguer en chœur que c’était une énième annonce démago et que, faute de crédits, on ne verrait jamais le bout du petit doigt de la journée teutonne. En clair, tous les concernés lui reprochent seulement de ne pas avoir les moyens de sa politique mais sont d’accord sur le principe de l’école mi-cours/mi-sport, donc avec la philosophie ministérielle.
Pas une voix dissidente pour dire que l’urgence n’est pas de réduire les horaires de cours old school quand l’Ecole est incapable d’honorer à 100 % ses engagements minimaux : apprendre à lire, écrire, compter, mais aussi à savoir situer la Finlande sur une mappemonde, à ne pas confondre Michel et Jean-Pierre Foucault, à pouvoir réciter quelques vers de Nerval et même, éventuellement, à les aimer…
Personne pour rappeler que, structurellement, le sport est en contradiction totale avec les valeurs égalitaires dont on nous gave. Bon dernier de ma classe en gym, sans jamais déroger, entre le CP et le bac (et aussi, tant qu’à faire, en dessin, en musique et en travaux manuels), je sais de quoi je parle. À 7 ans, j’avais déjà compris que je pouvais me défoncer, je finirais toujours dix plombes après l’avant-dernier coureur au 100 mètres. Certes, on peut affiner sa technique, mais, en dernier ressort, le sport, c’est toujours la loi du plus fort : l’éducation physique est un oxymore.
Faut-il préférer le quadriceps au cortex ?
Fort heureusement pour moi, en ce temps-là, on n’en faisait pas tout un fromage. Mais j’ai du mal à imaginer que, le jour où il y aura autant de temps dévolu aux quadriceps qu’au cortex, les critères de notation ne suivront pas en fonction et qu’une nullité crasse en maths ou en histoire ne sera pas aisément compensée par un vrai talent de dribbleur ou une jolie pointe de vitesse. Sur ce coup-là, les râleurs ont tout faux : cette réforme se fera. Parce qu’elle est radicalement dans l’air du temps.
La place sidérante désormais prise par le sport, et plus largement par le corps, montre ce qui nous attend. Comme l’Ecole doit, n’est-ce pas, s’adapter au monde où nous vivons, le sport à haute dose ouvrira la porte au reste de la novculture : ce sera même la voie royale pour atteindre un jour l’objectif mythique des 80 % de bacheliers. Cours de breakdance pour les garçons, cours de diététique pour les filles, surtout à l’approche des vacances.
– Hey, les mecs, y paraît que Kévina flippe grave pour son bac : à l’exam’, elle arrivait pas à rentrer dans un slim taille 34 !
– Rhô, la teuhon ! Mais elle a intérêt à rester zen si elle veut pas en plus foirer l’épreuve de yoga !
– Heureusement pour elle qu’elle a assuré un max à l’oral d’éducation sexuelle !