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Kouchner sur le Quai, côté départ

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Tomber à gauche ou pantoufler à droite ? Tel est le dilemme auquel est aujourd’hui confronté notre flamboyant ministre des Affaires étrangères. Il vient d’apporter sa contribution à la pièce de théâtre microcosmique mise en scène par un Nicolas Sarkozy qui a fixé, avec une prématurité diaboliquement calculée, l’horizon du prochain remaniement gouvernemental.

Comment partir la tête haute, et éventuellement rebondir, pour ceux qui n’ont aucune illusion sur le sort qui leur est réservé dans quelques semaines ? La méthode Kouchner relève de la comédie légère : il laisse traîner négligemment une lettre de démission manuscrite sur son bureau en recevant un journaliste d’un hebdo où il compte beaucoup d’amis. Quelques bribes de la missive se retrouvent illico sur le site internet du Nouvel Obs, car c’est de lui qu’il s’agit, et le microcosme médiatique et politique se met à vibrionner. À l’Elysée, on feint la surprise : lettre de démission ? Quelle lettre de démission ? Jamais reçue ! N’empêche, le message est passé, et son contenu est limpide : moi, Bernard Kouchner, détenteur d’un capital de popularité inoxydable dans l’opinion publique ne saurais être licencié comme un vieux serviteur devenu inutile. Je peux encore mordre, et je le prouve en mettant en cause des conseillers du président qui m’auraient « humilié ». Mais, si on me réserve, à ma sortie du Quai d’Orsay, une fonction et un palais de la République à la hauteur de mes mérites éminents, on pourra revoir la question de mon attitude lors de l’élection présidentielle de 2012.

Une addiction médiatique que l’âge n’a pas affaiblie

Défenseur des droits ? Pourquoi pas ? Bien logé, convenablement rémunéré, utilisable pour rendre service à des amis, ce poste de médiateur de la République vient d’être renforcé par l’intégration du « Défenseur des enfants », au grand dam de son actuelle titulaire, Dominique Versini. Et surtout, mieux que Jean-Paul Delevoye, Bernard Kouchner saura utiliser cette fonction pour se porter régulièrement aux avant-postes médiatiques, une addiction que l’âge n’a pas affaiblie, bien au contraire.

La gauche n’épargne pas ses quolibets à celui qui fut, naguère, sa tête d’affiche morale avant de se laisser séduire par les sirènes du sarkozysme. Principale incarnation de la politique d’ouverture du Sarkozy de 2007, il a eu la faiblesse, ou la vanité, de croire qu’il allait vraiment exercer la fonction de ministre des Affaires étrangères. Pour cela, Nicolas Sarkozy avait déjà tout ce qu’il lui fallait à la maison, notamment le redoutable Jean-David Lévitte, dont la proverbiale discrétion se double d’une connaissance approfondie des rouages de la politique mondiale. L’usage de Bernard Kouchner dans le dispositif sarkozyste était purement récréatif : il fallait au président un compagnon qui le distraie lors de ses multiples et souvent assommants déplacements à l’étranger. Il est incontestable que l’ami Bernard excelle en la matière : on ne s’ennuie jamais avec lui, il a de l’humour, de la répartie et un convenable stock d’histoires drôles pour détendre l’atmosphère lors des arides sommets européens, ou réunions des G8, 20 ou plus si affinités.

Mais pour ce qui était des choses sérieuses, la hard policy, celle où le réalisme l’emporte toujours sur les bons et grands sentiments, on lui fit gentiment, puis plus fermement, savoir qu’il devait se tenir à sa place, et laisser faire les professionnels, officiels et officieux, dont le président avait pris grand soin de s’entourer. À Guaino le grand projet (aujourd’hui en quenouille) d’Union de la Méditerranée, à Lévitte la délicate relation avec Washington et les grandes négociations internationales, à Guéant les palabres avec la Syrie pendant que Kouchner croit pouvoir jouer sa carte personnelle au Liban. Quand les choses se gâtent en Afrique, c’est à un avocat libanais, Robert Bourgi, que l’on confie la mission d’arranger les bidons avec Laurent Gbagbo ou Ali Bongo. Quand le torchon brûle avec Pékin à cause des manifestations parisiennes contre le passage de la flamme olympique, Jean-Pierre Raffarin est dépêché dans l’Empire du milieu pour arrondir les angles.

Une bonne manière : Ockrent à France 24

Comme on n’est pas des brutes, tout de même, à l’Elysée on concède au ministre en titre le pouvoir de placer quelques un(e)s de ses ami(e)s à des postes diplomatiques aussi agréables à vivre que bien rémunérés. C’est bien le moins, et Nicolas Sarkozy, de surcroît, vole au secours de Kouchner lorsqu’il est mis en cause par Pierre Péan pour des « affaires africaines » qui ne relèvent pas seulement de l’altruisme mondialiste du french doctor. La nomination de sa compagne Christine Ockrent, en tandem avec Alain de Pouzilhac à la tête de l’audiovisuel extérieur français (RFI et France 24) était encore une bonne manière faite à Bernard, en dépit du fait que cette nomination altérait notablement la crédibilité de ces médias dans des pays où on se méfie de la connivence de la presse et du pouvoir[1. La reine Christine, bien connue pour semer la zizanie dans toutes les rédactions qu’on a la mauvaise idée de lui confier, a fini par tellement exaspérer Alain de Pouzilhac que ce dernier est venu récemment demander sa tête à Nicolas Sarkozy. Sans succès, pour le moment]

Tout cela, Bernard Kouchner fait mine de le découvrir alors qu’il semble plus près de la sortie que de l’augmentation. Foin de fausse modestie : dès juillet 2008, je constatais, pour le déplorer, le statut de potiche de luxe (au moins du Sèvres, il n’y a que ça au Quai) que l’on faisait jouer à Bernard Kouchner. Cela me valut un coup de téléphone furibard de son directeur de cabinet, à l’époque Philippe Etienne, qui me gratifia d’un certain nombre de noms d’oiseaux rarement utilisés par les diplomates de carrière.

Pour être un grand ministre des Affaires étrangères, ou plus modestement un bon ministre, il faut être une franche crapule comme Talleyrand ou Roland Dumas ou un technicien retors comme Hubert Védrine. Et surtout servir un président doté d’une intelligence du monde et des hommes lui permettant d’utiliser au mieux les quelques atouts dont notre pays dispose encore pour faire valoir ses intérêts sur cette planète. Bernard Kouchner ne relevant d’aucune des catégories précitées, le souvenir de son passage au Quai d’Orsay relèvera davantage de l’histoire de la vie mondaine à Paris au début du XXIème siècle que de celle de la diplomatie planétaire pendant la même période.

Y a-t-il un écrivain dans le salon ?

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Photo : Katey Nicosia

On sait bien que le langage d’une époque est un révélateur décisif de ce qu’elle a dans le crâne. Parfois, il suffit de picorer les termes utilisés par une société donnée pour avoir une bonne idée de son état mental. C’est le cas pour le milieu littéraire contemporain. Dans les salons littéraires qui essaiment un peu partout en France (suivant ainsi l’exemple des instituts d’études politiques), il n’est par exemple question que d’ « auteurs », de « livres » et de « lecture ». Termes que l’on retrouvera à peu près partout dans la presse aux pages ou aux émissions culturelles et qui ont remplacé respectivement « écrivains », « romans » et « littérature ».

Dézinguer tous les masques idéologiques

Là où il y a un « auteur », il ne peut plus y avoir d’écrivain. L’auteur est un être interchangeable, qui peut d’ailleurs écrire autre chose que des romans. C’est une catégorie juridique : quelqu’un à qui on paie des droits, d’ « auteur », donc. Et s’il y a une chose que l’époque vénère, ce sont les catégories juridiques, surtout quand elles permettent d’effacer la réalité. On imagine d’ailleurs très bien plusieurs auteurs travaillant sur une œuvre. Alors que plusieurs écrivains écrivant un même roman, ce serait contre-nature (je compte pour rien Boileau et Narcejac, les Tic et Tac du polar de train à couchettes).

Ce remplacement de l’écrivain par l’auteur est, en littérature, une très bonne nouvelle pour les maisons d’édition. Une maison d’édition a une vision institutionnelle des choses : elle veut, inconsciemment peut-être, contrôler le produit et, par là, contrôler le sous-traitant. En l’espèce, le sous-traitant, c’est l’écrivain. L’écrivain : ce type qui écrit des romans pour dézinguer tous les masques idéologiques qui permettent à ses contemporains de croire qu’ils sont des gens bien. Qui est donc parfaitement incontrôlable. Dont les réactions sont erratiques. Qui rendra, s’il est en plus un bon écrivain, un produit fini non seulement inattendu, mais forcément scandaleux, puisqu’il sera vrai.

Bien entendu, il y a encore, dans certaines de ces maisons d’édition, des individus (un individu : voilà un être rare) qui recherchent encore des voix elles-mêmes individuelles, c’est-à-dire des écrivains. Ça existe, mais ces francs-tireurs sont forcément dans une situation instable face aux exigences de leur bureaucratie. De même qu’il y a encore des salons du livre décents, organisés par des libraires (donc des gens qui n’ont pas forcément quitté la réalité). Mais, le plus souvent, ce sont des spécialistes de l’événementiel, c’est-à-dire des entreprises de communication dirigées par des aliénés, qui sont aux commandes. Ces salons sont faciles à reconnaître. Ils organisent des concours de slam et usent d’une prose pseudo-humaniste acidulée qui vous prend à la gorge dès la première page du site internet. D’autant que les premiers responsables de cette situation, ce sont probablement les écrivains eux-mêmes. Il faut voir avec quel enthousiasme ils se sont débarrassés de ce fardeau : « écrivain ». Un peu comme si on disait à un type sur le front russe que la relève vient d’arriver. C’est bien de cela qu’il s’agit. Un écrivain, parfois, ça finit un petit matin frais au fort de Montrouge. Imagine-t-on demain un changement brutal de régime s’accompagnant d’une épuration d’ « auteurs » ? Pas de risque : aucun ne pense mal.

Une bêtise contente d’elle-même

« Auteur » ! Ils sont tous « auteurs », ils écrivent des « livres » et promeuvent bien volontiers la « lecture » (pourquoi pas dans les écoles ?). « Auteur », voilà qui n’engage à rien. « Ecrivain », même en étant inculte, cela évoque quelques grands noms du passé, qui vous dissuadent d’écrire vous-mêmes vraiment n’importe quoi. Pas un en tout cas qui écrirait à son éditeur comme le faisait Georges Darien en son temps (ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, la littérature a commencé à décliner lorsque les écrivains ont arrêté d’insulter leur éditeurs, ou peut-être lorsque ces derniers sont devenus susceptibles). L’évolution, sur le strict plan technique, a déjà commencé aux Etats-Unis (qui nous ont pourtant, et encore récemment, gratifié d’incomparables chefs d’œuvre, ne serait-ce qu’American Psycho) : de nombreux auteurs composent un plan scénarisé archi-détaillé pour ensuite rédiger les textes qui rempliront les petites cases blanches. Même une dissertation d’hypokhâgne offre plus de place à l’imagination. On voit bien l’intérêt des petits bureaucrates des maisons d’édition : on peut avoir un rapport d’étape, suivre l’édification de l’œuvre pas à pas, y mettre son nez si ça ne correspond pas à la « ligne éditoriale » (en matière de viande bovine, cela s’appelle la « traçabilité »), éventuellement substituer un auteur à un autre au beau milieu: « Billy-Bob est doué pour le scenario mais écrit vraiment comme un pied. Je vais le remplacer par Jacky-Joe, c’est prévu au contrat de toute façon, ils auront 50/50. » C’est dommage, pourtant, car rarement une époque n’aura offert le spectacle d’une bêtise aussi contente d’elle-même, et cela dans à peu près tous les domaines de la vie. Ce qui devrait en principe donner naissance à de bons romans. Mais il semble que les écrivains ne tiennent plus la route : après un grand roman, ils se taisent à jamais ou écrivent des choses désincarnées et prudentes.

Parfois, même, ils préfèrent mourir.

Carnaval à Copiapo

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The Big Carnaval
Kirk Douglas incarne Charles Tatum, un journaliste au fond du gouffre.

La médiatisation de l’épisode de Copiapo, au Chili, où 33 mineurs sont bloqués depuis le 5 août par 700 mètres de fond et devraient le rester plusieurs semaines encore, avait en quelque sorte été anticipée par Billy Wilder dans Le Gouffre des chimères, un film sorti en 1951.

Kirk Douglas, journaliste abonné aux chiens écrasés, s’emparait d’un fait divers dont il devenait à la fois l’acteur et le témoin : découvrant un homme emprisonné dans un gouffre rocheux, il organisait les opérations de secours dont il assurait en même temps la couverture médiatique. Il mettait tout en œuvre pour retarder la délivrance de la victime et maintenir ainsi l’intérêt journalistique. Avec sa noirceur habituelle, le cinéaste dénonçait le sensationnalisme et ses conséquences dévastatrices.[access capability= »lire_inedits »]

Dans la mine de San José, la fiction est largement dépassée.

L’axiome selon lequel un drame est d’autant plus vendeur qu’il est judicieusement scénarisé y est parfaitement mis en pratique. Il est vrai que tout le monde y gagne : le pays, qui retrouve une fierté grâce à ses mineurs, l’héroïsme de quelques-uns rejaillissant sur tous, le Président Pinera, qui a inauguré son mandat avec un tremblement de terre et un tsunami et souhaite laisser une autre image, la reconstruction patinant un peu, les propriétaires de la mine qui espèrent que l’engouement pour le feuilleton fera oublier les vraies questions sur la sécurité, sans oublier les familles qui trompent leur attente et la presse qui tient son public en haleine. Une aubaine, vous dis-je.

Victor Segovia, l’écrivain de la mine

Du point de vue du storytelling, la palme revient à Victor Segovia, l’un des sinistrés, bombardé, grâce à son journal intime « écrivain de la mine », un titre qui fleure la fausse admiration et le vrai mépris, par exemple quand on parle de son écriture ronde et enfantine. Voilà ce qu’on appelle désormais « informer » : révéler la supposée personnalité profonde des êtres qui se déploie grâce à l’épreuve, broder sur le moment crucial où l’éboulement de la galerie principale va transformer la chrysalide noire de charbon en un papillon céleste dont les mots s’envolent vers l’air libre.

Mais, pour que le conte enchante, il faut qu’il soit vrai. La ressemblance avec des personnages existants ne saurait être fortuite. Aussi les médias passent-ils au crible la vie de cet homme nanti de neuf frères et sœurs, père de cinq filles, séparé de son épouse et connu jusque-là pour jouer de la musique, pas pour aligner des phrases. Pas une parcelle de sa vie privée ne doit échapper aux projecteurs. Nous devons tout savoir de Victor avec la complicité, inconsciente ou volontaire, de ses parents qui, à la surface, se livrent une lutte impitoyable pour la captation du geyser de gloire venu d’en bas. D’un côté, les fidèles, la fille aînée, la mère, ceux qui l’ont toujours supporté malgré son caractère autoritaire et son goût prononcé pour l’alcool (mais à Copiapo, quel mineur ne boit pas ?), et les opportunistes, à commencer par Soledad, son épouse qui, telle la Pomponnette de Pagnol, revient attendre celui qu’elle a quitté il y a cinq ans − attendre les millions ou le voyage en Grèce promis par le Président Pinera, susurrent les mauvaises langues. C’est qu’au-delà du quart d’heure de célébrité parti pour durer quelques semaines, il y a les dons, les cadeaux. Et je gage qu’il ne faudra pas longtemps pour qu’un éditeur lui propose de publier un livre-témoignage intitulé Solitude d’un mineur de fond.

Dans le film de Wilder, la femme de la victime déclare au journaliste, dont elle est devenue la maîtresse : « Vous bénissez autant que moi ces rochers qui nous écrasent. » Verra-t-on bientôt Soledad faire une déclaration similaire devant les caméras ?

J’allais oublier le défilé quasi quotidien de ministres qui n’ont, semble-t-il, pas de travail plus urgent, les 33 maillots dédicacés par l’équipe nationale de football et les 33 chapelets bénis par le pape.

Sans vouloir jouer les oiseaux de malheur, je rappelle que le fait divers réel qui avait inspiré Billy Wilder, la chute d’une fillette de trois ans dans un puits abandonné, s’est mal terminé. L’émoi national, les milliers de badauds accourus sur les lieux et les moyens colossaux mis en œuvre n’avaient pas changé le cours des choses : la fillette avait été découverte morte et la foule s’était dispersée comme elle était apparue. De même que l’émotion suscitée par le séisme du 27 février 2010 s’est dissoute dans la mine, il est à craindre que les mineurs, une fois à l’air libre, retombent dans un anonymat aussi brutal et destructeur que leur subite célébrité.

Au fait, le titre original du Gouffre des chimères était Big Carnaval. On ne saurait mieux dire.[/access]

Coulisses du rire contemporain

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Si pour vous un bon clown est un clown mort, alors vous apprécierez grandement Stand up, la dernière pièce de Gérald Sibleyras, jouée au Théâtre Tristan Bernard. Celle-ci repose sur trois très beaux personnages, magistralement incarnés par les comédiens. Le premier (Philippe Uchan) est un psychopathe désinhibé fan de stand up, un ancien tueur à gages, d’une enfantine bestialité. Il possède les deux qualités indispensables pour devenir ce que nos contemporains nomment « un comique » : une méchanceté viscérale et primitive et une absence radicale de tout sens de l’humour.

Le deuxième personnage (Gilles Gaston-Dreyfus) est un marchand de rire fatigué, organisateur et animateur du Festival du Rire de Morlaix. La tirade par laquelle il ouvre le Festival du Rire est un grand morceau de bravoure. Il s’agit d’un interminable éloge du rire, déclamé avec une énergie et une bonne humeur aussi stupéfiantes que factices. L’animateur nous annonce que nous allons rire sans relâche et accumule jusqu’à l’épuisement tous les clichés actuels sur le rire. Sa bonne volonté, son désir et son angoisse de bien faire sont en même temps d’une très touchante humanité. Mais il dévoile malgré lui ce qui se cache dans les coulisses du rire contemporain. Le rire devenu une injonction permanente, exténuante, du surmoi postmoderne (si l’on me pardonne l’oxymore).

La revanche de l’humour sur le rire

Pourtant, ce qui rend cette tirade encore plus hilarante, c’est la présence, aux côtés de l’animateur, du troisième personnage (Grégoire Bonnet). Celui-ci est un célèbre comique devenu radicalement dépressif. À mesure que progresse le discours de l’animateur, son corps et son visage expriment un désespoir, une prostration, un accablement qui ne cessent de s’aggraver. Par malheur, ce comique est l’invité d’honneur du festival. Le discours qu’il prononce lorsque vient son tour constitue le second sommet hilarant de la pièce. Suscitant l’horreur stupéfaite de l’animateur, il se lance dans des considérations désespérées et sans fin sur la mort et la maladie. Pourtant, il ne s’agit là que de l’un des tout premiers désastres qui s’abattront sur le Festival du Rire de Morlaix.

Par temps de terreur hyperfestive, rien n’est plus beau et drôle que des clowns en déroute et des boute-en-train qui déraillent. Grâce à Stand up de Gérald Sibleyras, l’humour prend enfin une éclatante revanche sur le rire.

Plus rude sera le «chut !»

On apprend que la municipalité de Toulouse vient de recruter en grande pompe six « chuteurs ». Qu’est-ce qu’un « chuteur » allez-vous demander ? Un cascadeur ? Que nenni ! Vous allez tomber de haut: en langage moderniste, un « chuteur » est un « médiateur » chargé de lutter contre le tapage nocturne, armé de cette arme fatale qu’est le « Chut! ». Le but de la municipalité –d’après l’AFP- est de préserver la bonne réputation d’une ville rose festive égayée en continu par les agapes, bacchanales, orgies et autres réjouissances bruyantes de plus de 100.000 étudiants, à qui il convient parfois de calmer les ardeurs.

Le maire socialiste de Toulouse Pierre Cohen déclare fièrement, dans la plus pure tradition nostalgique des emplois-jeunes aubrystes de sinistre mémoire : « Toulouse est une ville où on fait la fête et on a la volonté qu’elle soit à la fois festive et tranquille (…) Aujourd’hui, il y a de nouveaux métiers à inventer pour construire la tranquillité publique, on a lancé l’idée des médiateurs-chuteurs ». Ces six employés municipaux seront rattachés à l’Office de la tranquillité, qui est en place depuis un an et permet déjà de recueillir les plaintes des habitants. Les chuteurs-mercenaires pourront désormais intervenir à la vitesse de l’éclair sur les lieux du crime, tels des commandos modernes de la bienséance, afin de sauver la fête par leurs «Chut!» fermes et bienveillants, et leur art citoyen de la médiation anti-bruit.

La chute de l’histoire n’est pas encore écrite, mais il est fort probable que les Toulousains tombent de haut devant les actions de cette nouvelle « police de la fête »… dont les « chut » de proximité n’interrompront peut-être pas le boucan des festifs, mais viendront le rejoindre pour qu’il puisse se poursuivre !

Suède : le péril vieux

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Jimmie Åkesson
À 31 ans, Jimmie Åkesson a changé la donne politique en Suède grâce à un électorat vieillissant.

En braquant ses projecteurs sur la percée de l’extrême droite aux élections législatives du 19 septembre en Suède, la presse est passée à côté d’un phénomène beaucoup plus important. Au lieu de se payer une quinzaine antifasciste, il aurait été opportun de dévoiler le véritable enjeu de cette campagne : le poids prépondérant de l’électorat âgé. Ainsi, entre les deux grandes formations politiques suédoises, les sociaux-démocrates « verts-rouges » de Mona Sahlin et les modérés dirigés par le Premier ministre sortant, Fredrik Reinfeldt, ce fut à qui promettrait au « troisième âge » les plus gros avantages fiscaux. Finalement, Reinfeldt, dont la proposition était − logique − plus modérée, l’a emporté sur Sahlin qui avait pourtant présenté un « paquet fiscal » beaucoup plus généreux (33% de plus) que la concurrence. Sa bonne gestion de l’économie − et surtout de la crise − ont probablement fait la petite différence en faveur du chef de la majorité sortante.[access capability= »lire_inedits »]

L’immigration racontée à ma grand-mère

C’est sous cet angle-là que la campagne et le résultat des Démocrates de Suède (SD) de Jimmie Åkesson, une version locale de notre Front national, prennent tout leur sens. Prônant une limitation de l’immigration, une politique d’assimilation et une lutte plus vigoureuse contre la criminalité, le très jeune Åkesson (31 ans) a cependant choisi comme thème-phare de sa campagne l’amélioration du sort des personnes âgées − qui, il est vrai, n’est pas sans rapport avec les sujets cités précédemment. On peut même avancer que ce fut le socle de la campagne du leader des SD. Sur son clip de campagne, on voit une grand-mère, appuyée sur son déambulateur, se diriger péniblement vers l’argent public, quand un groupe de femmes en burqa la dépasse pour atteindre avant elle le fonds d’aide de l’Etat. De l’immigration et de l’islamisme radical racontés à ma grand-mère…

L’autre grand thème de la campagne des SD, l’insécurité et le durcissement de la lutte contre la criminalité, répond, lui aussi, à une préoccupation particulièrement répandue chez les personnes âgées. Là-bas comme ici, les vieux, majoritairement des femmes souvent seules et faibles, sont plus touchés que le reste de la population par la petite délinquance.

Si, dans ce pays imprégné de valeurs protestantes, la campagne électorale visait principalement ceux qui sont nés pendant la première moitié du siècle dernier, ce n’était pas seulement pour suivre le sixième commandement − « Tu honoreras ton père et ta mère » : sur les 7 millions de Suédois inscrits sur les listes électorales, 1,7 million, soit près d’un quart de l’électorat, sont des retraités. De plus, leur taux traditionnellement élevé de participation aux élections leur confère un poids politique encore plus important que celui que leur vaudrait leur force numérique. Bien qu’il existe depuis 1987 un parti de retraités (le Parti pour les intérêts des seniors, SPI), il reste marginal dans le paysage politique. Or, si les personnes âgées ne se considèrent pas comme une communauté ou une classe sociale – encore que cette réalité est peut-être appelée à évoluer −, elles représentent, en termes de marketing politique, un segment dont l’importance ne cesse de croître. L’offre politique finit nécessairement par suivre, comme c’est en train de devenir le cas chez nous.

Si la vieillesse est l’avenir des individus, elle ne saurait être l’horizon des sociétés

En France, la Constitution de la Ve République et la méfiance à l’égard des intérêts particuliers, bien ancrée dans la culture politique, n’encouragent pas le développement de partis sectoriels à la suédoise[2. Pays où il existe même un parti de Pirates du Web dont le programme politique réclame la quasi-suppression des droits d’auteur sur Internet.]. En revanche, les préoccupations du « troisième », voire du « quatrième âge », pèsent de plus en plus dans le débat politique. En 2007, la victoire de Nicolas Sarkozy sur Ségolène Royal a été acquise grâce au soutien massif des plus de 65 ans. Si on se fie à la jurisprudence suédoise, il y a gros à parier que les mêmes décideront de son sort en 2012. Cette logique est désastreuse, aussi bien en Suède qu’en France. Si, en France, une enquête récente révèle l’ampleur de l’angoisse des jeunes face à un avenir perçu comme menaçant plutôt que comme prometteur, les Suédois de moins de 25 ans, qui enregistrent un taux de chômage de 25%[4. Sans compter ceux qui prolongent leurs études faute de trouver de l’emploi.], ne devraient pas tarder à adopter une vision plus sombre du futur.

Face au piège démographique, il faut rappeler que, si la vieillesse est notre avenir en tant qu’individus, elle ne saurait être l’horizon de nos sociétés. Que le cadre soit le modèle français si malmené ou le modèle suédois tant vanté, toute politique de solidarité doit se fixer comme priorité et même comme une urgence absolue l’insertion des jeunes dans la vie active. Ce ne sont pas les femmes en burqa qui menacent l’équilibre des caisses de retraites – quels que soient les problèmes bien réels qu’elles incarnent par ailleurs − mais la diminution du nombre d’actifs appelés à alimenter ces fonds dans les décennies qui viennent.[/access]

Et que ça saute !

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Vous l’avez certainement déjà remarqué, nos amis les hommes aiment que ça aille vite et pendant que vous mijotez longuement dans votre bain mousseux parfumé aux essences santal-verveine offertes par belle-maman à Noël, Monsieur, lui, prend une douche. En vitesse.

De même, puisque la douceur de fin de saison est au rendez-vous, vous organisez une petite randonnée avec enfants, amis et chiens. Le meilleur moment ? Le pique-nique, bien sûr. Et tandis que vous étalez sur les jolies nappes vos salades sophistiquées, vos quiches savantes et vos pâtes aux truffes, l’homme, debout, a déjà englouti son sandwich mozzarella-jambon de Parme-tomates séchées. Vous le lui précisez car ses papilles gustatives n’ont pas eu le temps de capter l’info. Et alors que vous commencez à vous servir, dans ces adorables bols verts et bleus, incassables, de ce délicieux taboulé dont votre amie a le secret, l’homme de votre vie, toujours debout, lance un « Bon, on y va ? »

Toujours dans le registre alimentaire, il ne vous aura pas échappé que ces messieurs vous disent plus souvent « Qu’est-ce qu’on mange, ce soir ? » que « Je t’aime comme au premier jour », allez savoir pourquoi. Vous répondez que vous avez prévu un dos de saumon au romarin, asperges blanches, gratin dauphinois et sauce au Roquefort. Et pour l’entrée, vous envisagez une tatin de poivrons confits. C’est à ce moment que l’idole de vos jours déclare « Oh, non, pas d’entrée, pitié, ça prend trop de temps! » Et vous abrégez les souffrances du repas familial en renonçant à l’entrée, vous consolant à l’idée qu’en votre absence il mange directement dans le frigo, à même la barquette de lasagnes Picard qu’il n’a pas pris le temps de réchauffer, même le micro-onde étant d’une lenteur désespérante.

Bref, les hommes sont pressés. Pourquoi ? D’ici quelques décennies, des savants trouveront peut-être la réponse, mais d’ici là, il faut nous contenter du constat.

C’est ce qu’a fait Laetitia Schlumberger, créatrice de lingerie. Vous me direz que ça ne prend pas forcément trois heures d’ôter le string de sa partenaire. Mais tout de même, ça prend du temps, une jambe, puis l’autre, on n’a pas que ça à faire. Donc, pour optimiser le rendement si cher à nos chers, Madame Schlumberger a conçu la lingerie aimantée, commercialisée par Dement. Une légère pression et hop ! la fine dentelle s’ouvre à hauteur des hanches, plus besoin de traîner et de perdre un précieux temps en manœuvres inutilement stressantes. On peut boucler l’affaire en cinq minutes. Puis une douche express et un reste de saumon dans le frigo pendant que Madame se fait couler un bain.

Un petit conseil pratique, toutefois, Mesdames. Si vous optez pour cette lingerie tout à fait révolutionnaire, ne vous approchez pas trop de la porte du frigo. Vous risqueriez d’y rester scotchée par vos aimants, entre la liste de courses pour le prochain pique-nique et la facture de gaz !

Dessine-moi un beau pont

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La rentrée dite littéraire nous a réservé deux excellentes surprises : la confirmation d’un écrivain, l’absence d’un auteur. Grâce à la première, qui a les traits de Maylis de Kérangal, la fiction retrouve toute sa vigueur et congédie, durablement nous l’espérons, l’engeance calamiteuse que le commerce de l’édition qualifia d’autofiction, incarnée par la seconde, autrement dit Mme Angot…

Maylis et l’art des chamanes

Bref retour en arrière : cet été, France Culture offrit un beau voyage ferroviaire à quatre écrivains, sur les traces du Blaise Cendrars de La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Chacun d’eux disposait d’une demi-heure, cinq jours de suite, pour transmettre ses émotions, rapporter son expérience. L’affaire n’était pas simple : on s’ennuie vite entre les choses vues, les petites confidences, les épanchements… Deux récits de vive voix se détachèrent, ceux de Sylvie Germain et de Maylis de Kérangal. Le mode narratif choisi par cette dernière possédait une force d’attraction très singulière. C’était haletant, et l’on traversait l’immensité jusqu’au terminus, dans une voiture inconfortable, jamais las d’entendre la rumeur des steppes et d’apercevoir, comme déformés par la buée sur les vitres, des territoires immenses et gris.

Or, Maylis de Kérangal confirme, avec Naissance d’un pont, qu’elle possède l’art des chamanes ; par le style seul, elle fracasse notre résistance naturelle, qui nous retient sur le seuil de toute fiction. Elle nous saisit au col, nous entraîne après elle, et nous la suivons, bousculés, trimbalés, malmenés, curieux toujours des choses enfouies qu’elle révèle. En vérité, écrire est affaire de pratiques secrètes, d’invocations mystérieuses.

Il y a de la sorcellerie dans la manipulation des mots et des formules. C’est ainsi qu’avec le chantier d’un pont, elle nous envoûte, car seul, dans un livre comme en amour, la qualité du philtre compte, et assez peu le sujet. Voyez ce portrait d’un simple grutier dans la cabine de son engin, à cinquante mètres de hauteur : « […] il se sent chez lui dans cette thurne exiguë où se vérifie huit heures par jour l’exemplarité de la métrique anglo-saxonne qui étalonne l’espace à l’aune du corps humain, à l’aune du pouce et du pied, de son abdomen justement, de la proéminence de son nez en bec d’aigle, de ses longs pieds fins et de ses cils de girafon. De là-haut Sanche porte sur le chantier et les alentours un œil panoptique qui lui confère une puissance neuve assortie d’une distance idéale. Il est l’épicentre solitaire d’un paysage en mouvement, intouchable et retranché, il est le roi du monde. »

Le maître du béton

Voyez encore le rêve immobilier, proprement démesuré, d’un certain John Johnson dit Le Boa, élu maire de la ville de Coca, qui, de retour d’un voyage à Dubaï, vertigineuse citée futuriste, veut un pont immense et bien plus encore, une sorte de Disneyland climatisé, érigé comme une offense aux lois anciennes : « […] trop d’Europe ici, trop d’Europe, c’est ce qu’il répète à tout bout de champ, identité lourde, traditions qui collent : ça pue la mort ! Il s’emploie dès lors à éclater le centre-ville, à péter son noyau dur, son noyau historique, à en pulvériser le sens en périphérie. […] Il veut de la transparence, du plastique et du polypropylène, du caoutchouc et du mélaminé, du provisoire, du consommable, du jetable. »

Les personnages convergent de tous les horizons, de toutes les misères ; gouvernés par le principe de solitude absolue, ils opposent à la violence permanente des feintes d’évitement, où se mêlent la ruse de l’homme et l’effroi de l’animal. Que deviendra Summer Diamantis « […] fille euphorique […] agrée responsable de la production du béton pour la construction des piles » ? Et que dira Diderot, le maître du béton, l’homme puissant qui a toujours « […] l’air d’arriver du plus loin, des confins de l’espace avec dans son dos le souffle de la plaine […] » ? On pressent le pire pour Soren Cry, enfant de la « ruralité fantomatique », confident des démons, tendre avec sa maman « dont il a envisagé des centaines de fois le meurtre au poignard, au foulard […] »

Qu’est-ce donc, à la fin, qu’une écriture ? Parmi tant de réponses possibles, celles-ci : et si c’était un affront fait au malheur, un soupir lancé dans une chambre d’écho, une sorte de brouhaha qui domine un instant la terrible rumeur du monde, et encore un long malaise partagé, la rumeur lointaine de la grande tragédie des origines ?

Le livre de Maylis de Kérangal figure sur la liste du prix Goncourt. C’est une épreuve autant qu’un honneur redoutable. M. Houellebecq, qui postule depuis quelques années, le mérite amplement. Découvert par le très subtil Maurice Nadeau, reconnu par beaucoup comme le talentueux prosateur de l’ère du doute aggravé par la perte de l’appétit sexuel, figé par ses admirateurs dans la posture du grand écrivain de son temps, il semble nettement détaché du lot des prétendants. Son succès en librairie ne se dément pas, sa malicieuse physionomie de renard paraît dans toutes les vitrines.
Mais, quel que soit le résultat de la course, il apparaît dores et déjà que Naissance d’un pont est l’œuvre d’un écrivain.

Naissance d'un pont - PRIX MEDICIS 2010

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L’Europe, fille aînée de l’islam ?

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Panneau de marbre contenant la Shahada musulmane
Panneau de marbre contenant la Shahada musulmane (profession de foi), Egypte, XIIIe siècle : «Il n'est pas d'autre Dieu que Dieu ; et Mohammed est son prophète.»

« Un dossier sur l’islam ? Mais c’est une obsession ! » La discussion enflammée qu’a suscitée, dans la rédaction, l’idée de consacrer la « une » de Causeur à l’épineuse question de l’islam et de sa place dans nos sociétés m’a convaincue qu’il était temps de tirer au clair nos idées sur un sujet qui, sous diverses formes, ne cesse de nous solliciter et de nous interroger. Si nous n’avons pas de réponse, et surtout pas de réponse simple, il y a une question. Et on n’y verra pas plus clair en rejetant ceux qu’elle angoisse dans l’enfer du racisme ou en renvoyant ceux qu’elle agace dans les cordes de l’angélisme.

L’islam, une obsession européenne ?

Sommes-nous « obsédés » ? Jean-François Baum, qui a tiré le premier avec l’apostrophe suscitée, a mis dans le mille. Si nous sommes honnêtes − et nous le sommes −, n’évacuons pas cette interrogation d’un trait de plume ou d’un effet de manche. Il m’arrive de penser que cette affaire est en train de nous rendre dingues ou, au moins, de perturber notre jugement. À trop en parler, contribuons-nous à créer ou, au minimum, à surestimer un problème qui n’existe pas, comme le pense Jérôme Leroy ? Sommes-nous en train d’inventer le « djihad laïque », comme le craint Malakine ? À nous focaliser sur « l’islam des cités »[1. Bien entendu, il ne concerne pas tous les habitants des cités. Je parle ici d’une norme sociale diffuse qui devient dominante sur certains territoires.], oublions-nous l’islam de Papa, celui des milliers de musulmans qui sont, conformément au voeu d’Éric Besson, de bons petits Français ? Est-il intellectuellement légitime et politiquement opportun de poser une question générale à partir d’incidents nombreux mais isolés, de revendications agressives mais minoritaires, de comportements répandus mais individuels ?[access capability= »lire_inedits »]

Les peuples ont répondu pour nous. Les peuples ont la trouille. Qu’ils aient raison ou tort n’y change rien : cela signifie qu’il faut en parler. Et qu’on ne me chante pas l’air de la manipulation des bas instincts par de méchants politiciens. Les sentiments populaires ne sont pas toujours distingués, mais il leur arrive assez fréquemment d’avoir partie liée avec le réel.

De fait, de Rome à La Haye, de Bruxelles à Berlin, un spectre hante l’Europe : celui de l’islamisation. Qu’on ne se méprenne pas : la présence, dans nos pays, de fortes « communautés » musulmanes est un fait ancien et irréversible. Dans quelques décennies, les musulmans seront majoritaires dans nombre de grandes villes : ce n’est pas un fantasme lepéniste mais un constat démographique. Cyril Bennasar, seul d’entre nous à se déclarer « islamophobe », précise, et à raison, que ce n’est pas la présence des individus qui est en cause mais la diffusion des idées et des pratiques qui vont avec.

Choc des civilisations ?

Le Français moyen n’est pas plus un « beauf » raciste que le Hollandais moyen ou l’Italien moyen. Il se fiche de l’origine et de la couleur de peau de son voisin, autant que de ses croyances. Ça lui est égal que son médecin soit arabe et la prof de sa fille africaine. Il veut préserver ce quelque chose d’indéfinissable qui ne se trouve pas dans les lois mais dans les moeurs et qui, par conséquent, s’ancre nécessairement dans des traditions locales. Une façon de s’adresser aux autres, d’habiter un monde commun. Cet attachement dont il est si difficile de nommer l’objet n’est pas une petite affaire, puisque de lui dépend notre façon de « faire peuple ». Or, on dirait que ce monde commun tissé de vie concrète et de croyances partagées, de références reçues au berceau, à l’Ecole de la République, à l’usine ou au bureau, devient étranger à une partie de nos concitoyens et que, de surcroît, ils en ont un autre à proposer. Cette appartenance de substitution n’a peut-être rien à voir avec la religion elle-même, mais elle s’en réclame avec insistance. C’est la confrontation entre deux univers symboliques qui donne le sentiment que le « choc des civilisations » s’est invité dans nos banlieues et dans nos représentations.

La vérité des collectivités humaines

On me dira que nous ne sommes guère avancés. Comment apprécier l’importance réelle de phénomènes aussi évanescents et polysémiques – et donc, la réalité du problème ? Aucune statistique, aucune analyse sociologique, aucune expertise ne nous dira la vérité des collectivités humaines. Nous ne pouvons que tenter de voir ce qui se passe et de déchiffrer ce que nous voyons à l’aide de ce que nous savons.

À ce stade, je ne saurais livrer que mes propres observations, nécessairement impressionnistes et qui n’engagent que moi. On le verra, chacun, sur ces sujets, doit pouvoir utiliser ses propres mots. Je crois, pour ma part, que la progression d’un islam identitaire plus que religieux n’est pas une bonne nouvelle, non seulement parce qu’il va souvent de pair avec une hostilité affichée à la culture et au mode de vie dominants, mais aussi parce qu’il accroît le contrôle du groupe sur les hommes – et plus encore sur les femmes – qui le composent. Or, l’histoire de l’Occident, c’est celle de l’émancipation des individus par rapport à leur groupe social, religieux, ethnique. Aziz Bentaj raconte comment l’Université française lui a appris la pensée critique. Quand la norme sociale ne peut être discutée, que les comportements déviants – manger pendant le ramadan ou porter une mini-jupe – sont dénoncés voire réprimés par la force, il n’y a plus de place pour la pensée critique. Il n’y a plus de place pour la liberté de chacun de remettre en cause son appartenance ou plutôt les modalités de celle-ci. Or, cette liberté, nous la devons à tous ceux qui vivent sur notre sol. Si la majorité des musulmans aspire, comme je le souhaite, à intégrer le roman national sans demander qu’il soit réécrit pour eux, alors il faut les délivrer de la minorité qui prétend leur imposer ses façons de voir et de vivre. Quant aux apôtres du multiculturalisme – qui, il est vrai, sont un peu moins flamboyants ces derniers temps − ils risquent de découvrir demain qu’ils ont été les idiots utiles d’une entreprise de conquête des esprits et d’hégémonie culturelle.

Qui doit changer ?

En fin de compte, la seule question qui vaille est : qui doit changer ? Faut-il, dans un respectable souci d’égalité, faire place à d’autres façons de vivre ? Pour Abdelwahab Meddeb, la réponse est claire : « C’est aux musulmans de s’adapter. Pas à l’Europe. » Aziz Bentaj pense que nous ne ferons pas l’économie d’un affrontement républicain. Reste à espérer que nous serons capables de le mener sans trahir ce que nous sommes.[/access]

Le cauchemar d’Obama

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La campagne électorale des « midterm » américaines du 2 novembre prochain prend des allures de rodéo où le peuple en délire voit les notables installés, démocrates comme républicains, mordre la poussière et quitter l’arène politique sous les quolibets des spectateurs.
La phase des primaires, qui vient de s’achever, s’est traduite par la montée en puissance des candidats, et singulièrement des candidates, soutenus par le mouvement « Tea Party », un rassemblement de toutes les droites populaires animé avec une fougue et un sens politique hors du commun par Sarah Palin, ex-candidate républicaine à la vice-présidence en 2008.

Les noms de Christine O’Donnell, Sharron Angle, Nikki Halley ou Michelle Bachmann étaient jusqu’à ces dernières semaines inconnus du grand public américain. Aujourd’hui, elles sont à la « une » de Newsweek et elles font la tournée des talk-shows télévisés, et pas seulement ceux de Fox News, la chaîne bestialement conservatrice qui domine le marché des chaînes d’infos aux Etats-Unis. Elles se sont imposées à la surprise générale pour briguer des postes de député, de sénateur, ou de gouverneur d’Etat.

Dans un de ses coups de génie communicateur, Sarah Palin vient de rassembler ces dames sous la catégorie des « mamas grizzly ». Est ainsi désignée une nouvelle race de femmes politiques dont le comportement s’apparente à celui de l’ourse commune d’Alaska, qui ne fait qu’une bouchée de tout être vivant ayant l’imprudence de s’interposer entre elle et ses oursons. Même le grizzly mâle, pourtant plus gros et plus puissant que sa compagne, fait un large détour lorsqu’il aperçoit la petite famille en train de se goinfrer de saumons le long d’un torrent.

L’impopularité de « ceux de Washington »

Toutes les dames citées plus haut ont comme caractéristique commune d’être parvenues à se frayer un chemin dans la jungle politique des Etats-Unis sans l’onction ni le soutien financier de la machine politique républicaine. Pour vaincre leurs rivaux, souvent des politiciens blanchis sous le harnois, elles se sont appuyées sur le rejet de plus en plus violent par une frange de plus en plus large d’électeurs de « ceux de Washington ». Cette impopularité vise aussi bien le locataire de la Maison Blanche, Barack Obama et son entourage, que les membres du Congrès, démocrates comme républicains. On leur reproche de vivre dans une bulle et d’avoir perdu tout contact avec la vie et les préoccupations de la classe moyenne, celle qui est frappée le plus durement par la crise économique et la montée du chômage.

Ces femmes, dont beaucoup se sont longtemps consacrées à leur fonction de mère de famille, ne sont pas des desesperate housewives de série télé. Elles sont du genre à tout surveiller autour d’elles, à harceler les professeurs quand l’enseignement dispensé à leurs chers bambins leur semble insuffisant ou trop marqué par les idées gauchistes en vogue dans les universités les plus réputées. Elles se définissent politiquement comme des common sense conservatives, des réacs de base dotées d’un credo simple et compréhensible par tous : moins d’Etat, moins d’impôts, plus de religion et d’appel à la responsabilité individuelle. Elles sont contre l’avortement, le mariage gay, la sécurité sociale pour tous et les programmes scolaires imposés par le Département de l’éducation de Washington. En politique étrangère, domaine qui n’est pas leur souci premier, elles ne s’embarrassent pas des subtilités idéologiques du « wilsonisme botté » défendu à l’époque de George W. Bush par les intellectuels néo-conservateurs. L’Amérique doit défendre ses valeurs et son honneur partout où ils sont attaqués, sans se poser trop de questions éthiques et sans viser à faire ami-ami avec ceux qui vous crachent à la figure en attendant de vous égorger. C’est dire à quel point elles sont insensibles à une « obamania » en net reflux aux USA, mais toujours vivace dans les élites politiques et médiatiques européennes.

Leur empowerment, un terme en vogue dans les milieux féministes des sections de « gender studies » dans les universités, signifiant la prise en main de leur destin par les dominés, en l’occurrence les dominées, fera sans doute l’objet d’une multitude de mémoires et de thèses dans les années à venir. On pourra y retrouver en creux une version de droite de cette idéologie du « care » dont s’est entichée notre Martine Aubry nationale. S’occuper des gens, des enfants, des malades et des personnes âgées n’est pas, selon elles, du ressort de l’Etat accapareur et redistributeur, mais celui des organisations de proximité où chacun peut exercer le don de soi et la charité prônés chaque dimanche en chaire par le pasteur du coin.

N’imaginez surtout pas ces « mamas grizzly » comme des laiderons à l’allure revêche, comme on caricature les militantes des ligues de vertu. A l’image de leur patronne, Sarah Palin, elles cultivent un look sexy et arborent en permanence un sourire dents blanches à faire damner un moine. Selon les derniers sondages, certaines d’entre elles risquent de faire tomber de leur siège des poids lourds du Congrès, comme Harry Reid, le chef de la majorité démocrate au Sénat, sérieusement menacé par la mama grizzly Sharron Angle dans le Nevada. Cette espèce trouvera-t-elle un jour en Europe un territoire favorable à son acclimatation ? Si cela devait être le cas, les Verts devront revoir leur copie relative à la protection des ours dans nos montagnes.

Kouchner sur le Quai, côté départ

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Tomber à gauche ou pantoufler à droite ? Tel est le dilemme auquel est aujourd’hui confronté notre flamboyant ministre des Affaires étrangères. Il vient d’apporter sa contribution à la pièce de théâtre microcosmique mise en scène par un Nicolas Sarkozy qui a fixé, avec une prématurité diaboliquement calculée, l’horizon du prochain remaniement gouvernemental.

Comment partir la tête haute, et éventuellement rebondir, pour ceux qui n’ont aucune illusion sur le sort qui leur est réservé dans quelques semaines ? La méthode Kouchner relève de la comédie légère : il laisse traîner négligemment une lettre de démission manuscrite sur son bureau en recevant un journaliste d’un hebdo où il compte beaucoup d’amis. Quelques bribes de la missive se retrouvent illico sur le site internet du Nouvel Obs, car c’est de lui qu’il s’agit, et le microcosme médiatique et politique se met à vibrionner. À l’Elysée, on feint la surprise : lettre de démission ? Quelle lettre de démission ? Jamais reçue ! N’empêche, le message est passé, et son contenu est limpide : moi, Bernard Kouchner, détenteur d’un capital de popularité inoxydable dans l’opinion publique ne saurais être licencié comme un vieux serviteur devenu inutile. Je peux encore mordre, et je le prouve en mettant en cause des conseillers du président qui m’auraient « humilié ». Mais, si on me réserve, à ma sortie du Quai d’Orsay, une fonction et un palais de la République à la hauteur de mes mérites éminents, on pourra revoir la question de mon attitude lors de l’élection présidentielle de 2012.

Une addiction médiatique que l’âge n’a pas affaiblie

Défenseur des droits ? Pourquoi pas ? Bien logé, convenablement rémunéré, utilisable pour rendre service à des amis, ce poste de médiateur de la République vient d’être renforcé par l’intégration du « Défenseur des enfants », au grand dam de son actuelle titulaire, Dominique Versini. Et surtout, mieux que Jean-Paul Delevoye, Bernard Kouchner saura utiliser cette fonction pour se porter régulièrement aux avant-postes médiatiques, une addiction que l’âge n’a pas affaiblie, bien au contraire.

La gauche n’épargne pas ses quolibets à celui qui fut, naguère, sa tête d’affiche morale avant de se laisser séduire par les sirènes du sarkozysme. Principale incarnation de la politique d’ouverture du Sarkozy de 2007, il a eu la faiblesse, ou la vanité, de croire qu’il allait vraiment exercer la fonction de ministre des Affaires étrangères. Pour cela, Nicolas Sarkozy avait déjà tout ce qu’il lui fallait à la maison, notamment le redoutable Jean-David Lévitte, dont la proverbiale discrétion se double d’une connaissance approfondie des rouages de la politique mondiale. L’usage de Bernard Kouchner dans le dispositif sarkozyste était purement récréatif : il fallait au président un compagnon qui le distraie lors de ses multiples et souvent assommants déplacements à l’étranger. Il est incontestable que l’ami Bernard excelle en la matière : on ne s’ennuie jamais avec lui, il a de l’humour, de la répartie et un convenable stock d’histoires drôles pour détendre l’atmosphère lors des arides sommets européens, ou réunions des G8, 20 ou plus si affinités.

Mais pour ce qui était des choses sérieuses, la hard policy, celle où le réalisme l’emporte toujours sur les bons et grands sentiments, on lui fit gentiment, puis plus fermement, savoir qu’il devait se tenir à sa place, et laisser faire les professionnels, officiels et officieux, dont le président avait pris grand soin de s’entourer. À Guaino le grand projet (aujourd’hui en quenouille) d’Union de la Méditerranée, à Lévitte la délicate relation avec Washington et les grandes négociations internationales, à Guéant les palabres avec la Syrie pendant que Kouchner croit pouvoir jouer sa carte personnelle au Liban. Quand les choses se gâtent en Afrique, c’est à un avocat libanais, Robert Bourgi, que l’on confie la mission d’arranger les bidons avec Laurent Gbagbo ou Ali Bongo. Quand le torchon brûle avec Pékin à cause des manifestations parisiennes contre le passage de la flamme olympique, Jean-Pierre Raffarin est dépêché dans l’Empire du milieu pour arrondir les angles.

Une bonne manière : Ockrent à France 24

Comme on n’est pas des brutes, tout de même, à l’Elysée on concède au ministre en titre le pouvoir de placer quelques un(e)s de ses ami(e)s à des postes diplomatiques aussi agréables à vivre que bien rémunérés. C’est bien le moins, et Nicolas Sarkozy, de surcroît, vole au secours de Kouchner lorsqu’il est mis en cause par Pierre Péan pour des « affaires africaines » qui ne relèvent pas seulement de l’altruisme mondialiste du french doctor. La nomination de sa compagne Christine Ockrent, en tandem avec Alain de Pouzilhac à la tête de l’audiovisuel extérieur français (RFI et France 24) était encore une bonne manière faite à Bernard, en dépit du fait que cette nomination altérait notablement la crédibilité de ces médias dans des pays où on se méfie de la connivence de la presse et du pouvoir[1. La reine Christine, bien connue pour semer la zizanie dans toutes les rédactions qu’on a la mauvaise idée de lui confier, a fini par tellement exaspérer Alain de Pouzilhac que ce dernier est venu récemment demander sa tête à Nicolas Sarkozy. Sans succès, pour le moment]

Tout cela, Bernard Kouchner fait mine de le découvrir alors qu’il semble plus près de la sortie que de l’augmentation. Foin de fausse modestie : dès juillet 2008, je constatais, pour le déplorer, le statut de potiche de luxe (au moins du Sèvres, il n’y a que ça au Quai) que l’on faisait jouer à Bernard Kouchner. Cela me valut un coup de téléphone furibard de son directeur de cabinet, à l’époque Philippe Etienne, qui me gratifia d’un certain nombre de noms d’oiseaux rarement utilisés par les diplomates de carrière.

Pour être un grand ministre des Affaires étrangères, ou plus modestement un bon ministre, il faut être une franche crapule comme Talleyrand ou Roland Dumas ou un technicien retors comme Hubert Védrine. Et surtout servir un président doté d’une intelligence du monde et des hommes lui permettant d’utiliser au mieux les quelques atouts dont notre pays dispose encore pour faire valoir ses intérêts sur cette planète. Bernard Kouchner ne relevant d’aucune des catégories précitées, le souvenir de son passage au Quai d’Orsay relèvera davantage de l’histoire de la vie mondaine à Paris au début du XXIème siècle que de celle de la diplomatie planétaire pendant la même période.

Y a-t-il un écrivain dans le salon ?

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Photo : Katey Nicosia
Photo : Katey Nicosia

On sait bien que le langage d’une époque est un révélateur décisif de ce qu’elle a dans le crâne. Parfois, il suffit de picorer les termes utilisés par une société donnée pour avoir une bonne idée de son état mental. C’est le cas pour le milieu littéraire contemporain. Dans les salons littéraires qui essaiment un peu partout en France (suivant ainsi l’exemple des instituts d’études politiques), il n’est par exemple question que d’ « auteurs », de « livres » et de « lecture ». Termes que l’on retrouvera à peu près partout dans la presse aux pages ou aux émissions culturelles et qui ont remplacé respectivement « écrivains », « romans » et « littérature ».

Dézinguer tous les masques idéologiques

Là où il y a un « auteur », il ne peut plus y avoir d’écrivain. L’auteur est un être interchangeable, qui peut d’ailleurs écrire autre chose que des romans. C’est une catégorie juridique : quelqu’un à qui on paie des droits, d’ « auteur », donc. Et s’il y a une chose que l’époque vénère, ce sont les catégories juridiques, surtout quand elles permettent d’effacer la réalité. On imagine d’ailleurs très bien plusieurs auteurs travaillant sur une œuvre. Alors que plusieurs écrivains écrivant un même roman, ce serait contre-nature (je compte pour rien Boileau et Narcejac, les Tic et Tac du polar de train à couchettes).

Ce remplacement de l’écrivain par l’auteur est, en littérature, une très bonne nouvelle pour les maisons d’édition. Une maison d’édition a une vision institutionnelle des choses : elle veut, inconsciemment peut-être, contrôler le produit et, par là, contrôler le sous-traitant. En l’espèce, le sous-traitant, c’est l’écrivain. L’écrivain : ce type qui écrit des romans pour dézinguer tous les masques idéologiques qui permettent à ses contemporains de croire qu’ils sont des gens bien. Qui est donc parfaitement incontrôlable. Dont les réactions sont erratiques. Qui rendra, s’il est en plus un bon écrivain, un produit fini non seulement inattendu, mais forcément scandaleux, puisqu’il sera vrai.

Bien entendu, il y a encore, dans certaines de ces maisons d’édition, des individus (un individu : voilà un être rare) qui recherchent encore des voix elles-mêmes individuelles, c’est-à-dire des écrivains. Ça existe, mais ces francs-tireurs sont forcément dans une situation instable face aux exigences de leur bureaucratie. De même qu’il y a encore des salons du livre décents, organisés par des libraires (donc des gens qui n’ont pas forcément quitté la réalité). Mais, le plus souvent, ce sont des spécialistes de l’événementiel, c’est-à-dire des entreprises de communication dirigées par des aliénés, qui sont aux commandes. Ces salons sont faciles à reconnaître. Ils organisent des concours de slam et usent d’une prose pseudo-humaniste acidulée qui vous prend à la gorge dès la première page du site internet. D’autant que les premiers responsables de cette situation, ce sont probablement les écrivains eux-mêmes. Il faut voir avec quel enthousiasme ils se sont débarrassés de ce fardeau : « écrivain ». Un peu comme si on disait à un type sur le front russe que la relève vient d’arriver. C’est bien de cela qu’il s’agit. Un écrivain, parfois, ça finit un petit matin frais au fort de Montrouge. Imagine-t-on demain un changement brutal de régime s’accompagnant d’une épuration d’ « auteurs » ? Pas de risque : aucun ne pense mal.

Une bêtise contente d’elle-même

« Auteur » ! Ils sont tous « auteurs », ils écrivent des « livres » et promeuvent bien volontiers la « lecture » (pourquoi pas dans les écoles ?). « Auteur », voilà qui n’engage à rien. « Ecrivain », même en étant inculte, cela évoque quelques grands noms du passé, qui vous dissuadent d’écrire vous-mêmes vraiment n’importe quoi. Pas un en tout cas qui écrirait à son éditeur comme le faisait Georges Darien en son temps (ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, la littérature a commencé à décliner lorsque les écrivains ont arrêté d’insulter leur éditeurs, ou peut-être lorsque ces derniers sont devenus susceptibles). L’évolution, sur le strict plan technique, a déjà commencé aux Etats-Unis (qui nous ont pourtant, et encore récemment, gratifié d’incomparables chefs d’œuvre, ne serait-ce qu’American Psycho) : de nombreux auteurs composent un plan scénarisé archi-détaillé pour ensuite rédiger les textes qui rempliront les petites cases blanches. Même une dissertation d’hypokhâgne offre plus de place à l’imagination. On voit bien l’intérêt des petits bureaucrates des maisons d’édition : on peut avoir un rapport d’étape, suivre l’édification de l’œuvre pas à pas, y mettre son nez si ça ne correspond pas à la « ligne éditoriale » (en matière de viande bovine, cela s’appelle la « traçabilité »), éventuellement substituer un auteur à un autre au beau milieu: « Billy-Bob est doué pour le scenario mais écrit vraiment comme un pied. Je vais le remplacer par Jacky-Joe, c’est prévu au contrat de toute façon, ils auront 50/50. » C’est dommage, pourtant, car rarement une époque n’aura offert le spectacle d’une bêtise aussi contente d’elle-même, et cela dans à peu près tous les domaines de la vie. Ce qui devrait en principe donner naissance à de bons romans. Mais il semble que les écrivains ne tiennent plus la route : après un grand roman, ils se taisent à jamais ou écrivent des choses désincarnées et prudentes.

Parfois, même, ils préfèrent mourir.

Carnaval à Copiapo

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The Big Carnaval
Kirk Douglas incarne Charles Tatum, un journaliste au fond du gouffre.
The Big Carnaval
Kirk Douglas incarne Charles Tatum, un journaliste au fond du gouffre.

La médiatisation de l’épisode de Copiapo, au Chili, où 33 mineurs sont bloqués depuis le 5 août par 700 mètres de fond et devraient le rester plusieurs semaines encore, avait en quelque sorte été anticipée par Billy Wilder dans Le Gouffre des chimères, un film sorti en 1951.

Kirk Douglas, journaliste abonné aux chiens écrasés, s’emparait d’un fait divers dont il devenait à la fois l’acteur et le témoin : découvrant un homme emprisonné dans un gouffre rocheux, il organisait les opérations de secours dont il assurait en même temps la couverture médiatique. Il mettait tout en œuvre pour retarder la délivrance de la victime et maintenir ainsi l’intérêt journalistique. Avec sa noirceur habituelle, le cinéaste dénonçait le sensationnalisme et ses conséquences dévastatrices.[access capability= »lire_inedits »]

Dans la mine de San José, la fiction est largement dépassée.

L’axiome selon lequel un drame est d’autant plus vendeur qu’il est judicieusement scénarisé y est parfaitement mis en pratique. Il est vrai que tout le monde y gagne : le pays, qui retrouve une fierté grâce à ses mineurs, l’héroïsme de quelques-uns rejaillissant sur tous, le Président Pinera, qui a inauguré son mandat avec un tremblement de terre et un tsunami et souhaite laisser une autre image, la reconstruction patinant un peu, les propriétaires de la mine qui espèrent que l’engouement pour le feuilleton fera oublier les vraies questions sur la sécurité, sans oublier les familles qui trompent leur attente et la presse qui tient son public en haleine. Une aubaine, vous dis-je.

Victor Segovia, l’écrivain de la mine

Du point de vue du storytelling, la palme revient à Victor Segovia, l’un des sinistrés, bombardé, grâce à son journal intime « écrivain de la mine », un titre qui fleure la fausse admiration et le vrai mépris, par exemple quand on parle de son écriture ronde et enfantine. Voilà ce qu’on appelle désormais « informer » : révéler la supposée personnalité profonde des êtres qui se déploie grâce à l’épreuve, broder sur le moment crucial où l’éboulement de la galerie principale va transformer la chrysalide noire de charbon en un papillon céleste dont les mots s’envolent vers l’air libre.

Mais, pour que le conte enchante, il faut qu’il soit vrai. La ressemblance avec des personnages existants ne saurait être fortuite. Aussi les médias passent-ils au crible la vie de cet homme nanti de neuf frères et sœurs, père de cinq filles, séparé de son épouse et connu jusque-là pour jouer de la musique, pas pour aligner des phrases. Pas une parcelle de sa vie privée ne doit échapper aux projecteurs. Nous devons tout savoir de Victor avec la complicité, inconsciente ou volontaire, de ses parents qui, à la surface, se livrent une lutte impitoyable pour la captation du geyser de gloire venu d’en bas. D’un côté, les fidèles, la fille aînée, la mère, ceux qui l’ont toujours supporté malgré son caractère autoritaire et son goût prononcé pour l’alcool (mais à Copiapo, quel mineur ne boit pas ?), et les opportunistes, à commencer par Soledad, son épouse qui, telle la Pomponnette de Pagnol, revient attendre celui qu’elle a quitté il y a cinq ans − attendre les millions ou le voyage en Grèce promis par le Président Pinera, susurrent les mauvaises langues. C’est qu’au-delà du quart d’heure de célébrité parti pour durer quelques semaines, il y a les dons, les cadeaux. Et je gage qu’il ne faudra pas longtemps pour qu’un éditeur lui propose de publier un livre-témoignage intitulé Solitude d’un mineur de fond.

Dans le film de Wilder, la femme de la victime déclare au journaliste, dont elle est devenue la maîtresse : « Vous bénissez autant que moi ces rochers qui nous écrasent. » Verra-t-on bientôt Soledad faire une déclaration similaire devant les caméras ?

J’allais oublier le défilé quasi quotidien de ministres qui n’ont, semble-t-il, pas de travail plus urgent, les 33 maillots dédicacés par l’équipe nationale de football et les 33 chapelets bénis par le pape.

Sans vouloir jouer les oiseaux de malheur, je rappelle que le fait divers réel qui avait inspiré Billy Wilder, la chute d’une fillette de trois ans dans un puits abandonné, s’est mal terminé. L’émoi national, les milliers de badauds accourus sur les lieux et les moyens colossaux mis en œuvre n’avaient pas changé le cours des choses : la fillette avait été découverte morte et la foule s’était dispersée comme elle était apparue. De même que l’émotion suscitée par le séisme du 27 février 2010 s’est dissoute dans la mine, il est à craindre que les mineurs, une fois à l’air libre, retombent dans un anonymat aussi brutal et destructeur que leur subite célébrité.

Au fait, le titre original du Gouffre des chimères était Big Carnaval. On ne saurait mieux dire.[/access]

Coulisses du rire contemporain

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Si pour vous un bon clown est un clown mort, alors vous apprécierez grandement Stand up, la dernière pièce de Gérald Sibleyras, jouée au Théâtre Tristan Bernard. Celle-ci repose sur trois très beaux personnages, magistralement incarnés par les comédiens. Le premier (Philippe Uchan) est un psychopathe désinhibé fan de stand up, un ancien tueur à gages, d’une enfantine bestialité. Il possède les deux qualités indispensables pour devenir ce que nos contemporains nomment « un comique » : une méchanceté viscérale et primitive et une absence radicale de tout sens de l’humour.

Le deuxième personnage (Gilles Gaston-Dreyfus) est un marchand de rire fatigué, organisateur et animateur du Festival du Rire de Morlaix. La tirade par laquelle il ouvre le Festival du Rire est un grand morceau de bravoure. Il s’agit d’un interminable éloge du rire, déclamé avec une énergie et une bonne humeur aussi stupéfiantes que factices. L’animateur nous annonce que nous allons rire sans relâche et accumule jusqu’à l’épuisement tous les clichés actuels sur le rire. Sa bonne volonté, son désir et son angoisse de bien faire sont en même temps d’une très touchante humanité. Mais il dévoile malgré lui ce qui se cache dans les coulisses du rire contemporain. Le rire devenu une injonction permanente, exténuante, du surmoi postmoderne (si l’on me pardonne l’oxymore).

La revanche de l’humour sur le rire

Pourtant, ce qui rend cette tirade encore plus hilarante, c’est la présence, aux côtés de l’animateur, du troisième personnage (Grégoire Bonnet). Celui-ci est un célèbre comique devenu radicalement dépressif. À mesure que progresse le discours de l’animateur, son corps et son visage expriment un désespoir, une prostration, un accablement qui ne cessent de s’aggraver. Par malheur, ce comique est l’invité d’honneur du festival. Le discours qu’il prononce lorsque vient son tour constitue le second sommet hilarant de la pièce. Suscitant l’horreur stupéfaite de l’animateur, il se lance dans des considérations désespérées et sans fin sur la mort et la maladie. Pourtant, il ne s’agit là que de l’un des tout premiers désastres qui s’abattront sur le Festival du Rire de Morlaix.

Par temps de terreur hyperfestive, rien n’est plus beau et drôle que des clowns en déroute et des boute-en-train qui déraillent. Grâce à Stand up de Gérald Sibleyras, l’humour prend enfin une éclatante revanche sur le rire.

Plus rude sera le «chut !»

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On apprend que la municipalité de Toulouse vient de recruter en grande pompe six « chuteurs ». Qu’est-ce qu’un « chuteur » allez-vous demander ? Un cascadeur ? Que nenni ! Vous allez tomber de haut: en langage moderniste, un « chuteur » est un « médiateur » chargé de lutter contre le tapage nocturne, armé de cette arme fatale qu’est le « Chut! ». Le but de la municipalité –d’après l’AFP- est de préserver la bonne réputation d’une ville rose festive égayée en continu par les agapes, bacchanales, orgies et autres réjouissances bruyantes de plus de 100.000 étudiants, à qui il convient parfois de calmer les ardeurs.

Le maire socialiste de Toulouse Pierre Cohen déclare fièrement, dans la plus pure tradition nostalgique des emplois-jeunes aubrystes de sinistre mémoire : « Toulouse est une ville où on fait la fête et on a la volonté qu’elle soit à la fois festive et tranquille (…) Aujourd’hui, il y a de nouveaux métiers à inventer pour construire la tranquillité publique, on a lancé l’idée des médiateurs-chuteurs ». Ces six employés municipaux seront rattachés à l’Office de la tranquillité, qui est en place depuis un an et permet déjà de recueillir les plaintes des habitants. Les chuteurs-mercenaires pourront désormais intervenir à la vitesse de l’éclair sur les lieux du crime, tels des commandos modernes de la bienséance, afin de sauver la fête par leurs «Chut!» fermes et bienveillants, et leur art citoyen de la médiation anti-bruit.

La chute de l’histoire n’est pas encore écrite, mais il est fort probable que les Toulousains tombent de haut devant les actions de cette nouvelle « police de la fête »… dont les « chut » de proximité n’interrompront peut-être pas le boucan des festifs, mais viendront le rejoindre pour qu’il puisse se poursuivre !

Suède : le péril vieux

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Jimmie Åkesson
À 31 ans, Jimmie Åkesson a changé la donne politique en Suède grâce à un électorat vieillissant.
Jimmie Åkesson
À 31 ans, Jimmie Åkesson a changé la donne politique en Suède grâce à un électorat vieillissant.

En braquant ses projecteurs sur la percée de l’extrême droite aux élections législatives du 19 septembre en Suède, la presse est passée à côté d’un phénomène beaucoup plus important. Au lieu de se payer une quinzaine antifasciste, il aurait été opportun de dévoiler le véritable enjeu de cette campagne : le poids prépondérant de l’électorat âgé. Ainsi, entre les deux grandes formations politiques suédoises, les sociaux-démocrates « verts-rouges » de Mona Sahlin et les modérés dirigés par le Premier ministre sortant, Fredrik Reinfeldt, ce fut à qui promettrait au « troisième âge » les plus gros avantages fiscaux. Finalement, Reinfeldt, dont la proposition était − logique − plus modérée, l’a emporté sur Sahlin qui avait pourtant présenté un « paquet fiscal » beaucoup plus généreux (33% de plus) que la concurrence. Sa bonne gestion de l’économie − et surtout de la crise − ont probablement fait la petite différence en faveur du chef de la majorité sortante.[access capability= »lire_inedits »]

L’immigration racontée à ma grand-mère

C’est sous cet angle-là que la campagne et le résultat des Démocrates de Suède (SD) de Jimmie Åkesson, une version locale de notre Front national, prennent tout leur sens. Prônant une limitation de l’immigration, une politique d’assimilation et une lutte plus vigoureuse contre la criminalité, le très jeune Åkesson (31 ans) a cependant choisi comme thème-phare de sa campagne l’amélioration du sort des personnes âgées − qui, il est vrai, n’est pas sans rapport avec les sujets cités précédemment. On peut même avancer que ce fut le socle de la campagne du leader des SD. Sur son clip de campagne, on voit une grand-mère, appuyée sur son déambulateur, se diriger péniblement vers l’argent public, quand un groupe de femmes en burqa la dépasse pour atteindre avant elle le fonds d’aide de l’Etat. De l’immigration et de l’islamisme radical racontés à ma grand-mère…

L’autre grand thème de la campagne des SD, l’insécurité et le durcissement de la lutte contre la criminalité, répond, lui aussi, à une préoccupation particulièrement répandue chez les personnes âgées. Là-bas comme ici, les vieux, majoritairement des femmes souvent seules et faibles, sont plus touchés que le reste de la population par la petite délinquance.

Si, dans ce pays imprégné de valeurs protestantes, la campagne électorale visait principalement ceux qui sont nés pendant la première moitié du siècle dernier, ce n’était pas seulement pour suivre le sixième commandement − « Tu honoreras ton père et ta mère » : sur les 7 millions de Suédois inscrits sur les listes électorales, 1,7 million, soit près d’un quart de l’électorat, sont des retraités. De plus, leur taux traditionnellement élevé de participation aux élections leur confère un poids politique encore plus important que celui que leur vaudrait leur force numérique. Bien qu’il existe depuis 1987 un parti de retraités (le Parti pour les intérêts des seniors, SPI), il reste marginal dans le paysage politique. Or, si les personnes âgées ne se considèrent pas comme une communauté ou une classe sociale – encore que cette réalité est peut-être appelée à évoluer −, elles représentent, en termes de marketing politique, un segment dont l’importance ne cesse de croître. L’offre politique finit nécessairement par suivre, comme c’est en train de devenir le cas chez nous.

Si la vieillesse est l’avenir des individus, elle ne saurait être l’horizon des sociétés

En France, la Constitution de la Ve République et la méfiance à l’égard des intérêts particuliers, bien ancrée dans la culture politique, n’encouragent pas le développement de partis sectoriels à la suédoise[2. Pays où il existe même un parti de Pirates du Web dont le programme politique réclame la quasi-suppression des droits d’auteur sur Internet.]. En revanche, les préoccupations du « troisième », voire du « quatrième âge », pèsent de plus en plus dans le débat politique. En 2007, la victoire de Nicolas Sarkozy sur Ségolène Royal a été acquise grâce au soutien massif des plus de 65 ans. Si on se fie à la jurisprudence suédoise, il y a gros à parier que les mêmes décideront de son sort en 2012. Cette logique est désastreuse, aussi bien en Suède qu’en France. Si, en France, une enquête récente révèle l’ampleur de l’angoisse des jeunes face à un avenir perçu comme menaçant plutôt que comme prometteur, les Suédois de moins de 25 ans, qui enregistrent un taux de chômage de 25%[4. Sans compter ceux qui prolongent leurs études faute de trouver de l’emploi.], ne devraient pas tarder à adopter une vision plus sombre du futur.

Face au piège démographique, il faut rappeler que, si la vieillesse est notre avenir en tant qu’individus, elle ne saurait être l’horizon de nos sociétés. Que le cadre soit le modèle français si malmené ou le modèle suédois tant vanté, toute politique de solidarité doit se fixer comme priorité et même comme une urgence absolue l’insertion des jeunes dans la vie active. Ce ne sont pas les femmes en burqa qui menacent l’équilibre des caisses de retraites – quels que soient les problèmes bien réels qu’elles incarnent par ailleurs − mais la diminution du nombre d’actifs appelés à alimenter ces fonds dans les décennies qui viennent.[/access]

Et que ça saute !

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Vous l’avez certainement déjà remarqué, nos amis les hommes aiment que ça aille vite et pendant que vous mijotez longuement dans votre bain mousseux parfumé aux essences santal-verveine offertes par belle-maman à Noël, Monsieur, lui, prend une douche. En vitesse.

De même, puisque la douceur de fin de saison est au rendez-vous, vous organisez une petite randonnée avec enfants, amis et chiens. Le meilleur moment ? Le pique-nique, bien sûr. Et tandis que vous étalez sur les jolies nappes vos salades sophistiquées, vos quiches savantes et vos pâtes aux truffes, l’homme, debout, a déjà englouti son sandwich mozzarella-jambon de Parme-tomates séchées. Vous le lui précisez car ses papilles gustatives n’ont pas eu le temps de capter l’info. Et alors que vous commencez à vous servir, dans ces adorables bols verts et bleus, incassables, de ce délicieux taboulé dont votre amie a le secret, l’homme de votre vie, toujours debout, lance un « Bon, on y va ? »

Toujours dans le registre alimentaire, il ne vous aura pas échappé que ces messieurs vous disent plus souvent « Qu’est-ce qu’on mange, ce soir ? » que « Je t’aime comme au premier jour », allez savoir pourquoi. Vous répondez que vous avez prévu un dos de saumon au romarin, asperges blanches, gratin dauphinois et sauce au Roquefort. Et pour l’entrée, vous envisagez une tatin de poivrons confits. C’est à ce moment que l’idole de vos jours déclare « Oh, non, pas d’entrée, pitié, ça prend trop de temps! » Et vous abrégez les souffrances du repas familial en renonçant à l’entrée, vous consolant à l’idée qu’en votre absence il mange directement dans le frigo, à même la barquette de lasagnes Picard qu’il n’a pas pris le temps de réchauffer, même le micro-onde étant d’une lenteur désespérante.

Bref, les hommes sont pressés. Pourquoi ? D’ici quelques décennies, des savants trouveront peut-être la réponse, mais d’ici là, il faut nous contenter du constat.

C’est ce qu’a fait Laetitia Schlumberger, créatrice de lingerie. Vous me direz que ça ne prend pas forcément trois heures d’ôter le string de sa partenaire. Mais tout de même, ça prend du temps, une jambe, puis l’autre, on n’a pas que ça à faire. Donc, pour optimiser le rendement si cher à nos chers, Madame Schlumberger a conçu la lingerie aimantée, commercialisée par Dement. Une légère pression et hop ! la fine dentelle s’ouvre à hauteur des hanches, plus besoin de traîner et de perdre un précieux temps en manœuvres inutilement stressantes. On peut boucler l’affaire en cinq minutes. Puis une douche express et un reste de saumon dans le frigo pendant que Madame se fait couler un bain.

Un petit conseil pratique, toutefois, Mesdames. Si vous optez pour cette lingerie tout à fait révolutionnaire, ne vous approchez pas trop de la porte du frigo. Vous risqueriez d’y rester scotchée par vos aimants, entre la liste de courses pour le prochain pique-nique et la facture de gaz !

Dessine-moi un beau pont

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La rentrée dite littéraire nous a réservé deux excellentes surprises : la confirmation d’un écrivain, l’absence d’un auteur. Grâce à la première, qui a les traits de Maylis de Kérangal, la fiction retrouve toute sa vigueur et congédie, durablement nous l’espérons, l’engeance calamiteuse que le commerce de l’édition qualifia d’autofiction, incarnée par la seconde, autrement dit Mme Angot…

Maylis et l’art des chamanes

Bref retour en arrière : cet été, France Culture offrit un beau voyage ferroviaire à quatre écrivains, sur les traces du Blaise Cendrars de La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Chacun d’eux disposait d’une demi-heure, cinq jours de suite, pour transmettre ses émotions, rapporter son expérience. L’affaire n’était pas simple : on s’ennuie vite entre les choses vues, les petites confidences, les épanchements… Deux récits de vive voix se détachèrent, ceux de Sylvie Germain et de Maylis de Kérangal. Le mode narratif choisi par cette dernière possédait une force d’attraction très singulière. C’était haletant, et l’on traversait l’immensité jusqu’au terminus, dans une voiture inconfortable, jamais las d’entendre la rumeur des steppes et d’apercevoir, comme déformés par la buée sur les vitres, des territoires immenses et gris.

Or, Maylis de Kérangal confirme, avec Naissance d’un pont, qu’elle possède l’art des chamanes ; par le style seul, elle fracasse notre résistance naturelle, qui nous retient sur le seuil de toute fiction. Elle nous saisit au col, nous entraîne après elle, et nous la suivons, bousculés, trimbalés, malmenés, curieux toujours des choses enfouies qu’elle révèle. En vérité, écrire est affaire de pratiques secrètes, d’invocations mystérieuses.

Il y a de la sorcellerie dans la manipulation des mots et des formules. C’est ainsi qu’avec le chantier d’un pont, elle nous envoûte, car seul, dans un livre comme en amour, la qualité du philtre compte, et assez peu le sujet. Voyez ce portrait d’un simple grutier dans la cabine de son engin, à cinquante mètres de hauteur : « […] il se sent chez lui dans cette thurne exiguë où se vérifie huit heures par jour l’exemplarité de la métrique anglo-saxonne qui étalonne l’espace à l’aune du corps humain, à l’aune du pouce et du pied, de son abdomen justement, de la proéminence de son nez en bec d’aigle, de ses longs pieds fins et de ses cils de girafon. De là-haut Sanche porte sur le chantier et les alentours un œil panoptique qui lui confère une puissance neuve assortie d’une distance idéale. Il est l’épicentre solitaire d’un paysage en mouvement, intouchable et retranché, il est le roi du monde. »

Le maître du béton

Voyez encore le rêve immobilier, proprement démesuré, d’un certain John Johnson dit Le Boa, élu maire de la ville de Coca, qui, de retour d’un voyage à Dubaï, vertigineuse citée futuriste, veut un pont immense et bien plus encore, une sorte de Disneyland climatisé, érigé comme une offense aux lois anciennes : « […] trop d’Europe ici, trop d’Europe, c’est ce qu’il répète à tout bout de champ, identité lourde, traditions qui collent : ça pue la mort ! Il s’emploie dès lors à éclater le centre-ville, à péter son noyau dur, son noyau historique, à en pulvériser le sens en périphérie. […] Il veut de la transparence, du plastique et du polypropylène, du caoutchouc et du mélaminé, du provisoire, du consommable, du jetable. »

Les personnages convergent de tous les horizons, de toutes les misères ; gouvernés par le principe de solitude absolue, ils opposent à la violence permanente des feintes d’évitement, où se mêlent la ruse de l’homme et l’effroi de l’animal. Que deviendra Summer Diamantis « […] fille euphorique […] agrée responsable de la production du béton pour la construction des piles » ? Et que dira Diderot, le maître du béton, l’homme puissant qui a toujours « […] l’air d’arriver du plus loin, des confins de l’espace avec dans son dos le souffle de la plaine […] » ? On pressent le pire pour Soren Cry, enfant de la « ruralité fantomatique », confident des démons, tendre avec sa maman « dont il a envisagé des centaines de fois le meurtre au poignard, au foulard […] »

Qu’est-ce donc, à la fin, qu’une écriture ? Parmi tant de réponses possibles, celles-ci : et si c’était un affront fait au malheur, un soupir lancé dans une chambre d’écho, une sorte de brouhaha qui domine un instant la terrible rumeur du monde, et encore un long malaise partagé, la rumeur lointaine de la grande tragédie des origines ?

Le livre de Maylis de Kérangal figure sur la liste du prix Goncourt. C’est une épreuve autant qu’un honneur redoutable. M. Houellebecq, qui postule depuis quelques années, le mérite amplement. Découvert par le très subtil Maurice Nadeau, reconnu par beaucoup comme le talentueux prosateur de l’ère du doute aggravé par la perte de l’appétit sexuel, figé par ses admirateurs dans la posture du grand écrivain de son temps, il semble nettement détaché du lot des prétendants. Son succès en librairie ne se dément pas, sa malicieuse physionomie de renard paraît dans toutes les vitrines.
Mais, quel que soit le résultat de la course, il apparaît dores et déjà que Naissance d’un pont est l’œuvre d’un écrivain.

Naissance d'un pont - PRIX MEDICIS 2010

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L’Europe, fille aînée de l’islam ?

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Panneau de marbre contenant la Shahada musulmane
Panneau de marbre contenant la Shahada musulmane (profession de foi), Egypte, XIIIe siècle : "Il n'est pas d'autre Dieu que Dieu ; et Mohammed est son prophète."
Panneau de marbre contenant la Shahada musulmane
Panneau de marbre contenant la Shahada musulmane (profession de foi), Egypte, XIIIe siècle : «Il n'est pas d'autre Dieu que Dieu ; et Mohammed est son prophète.»

« Un dossier sur l’islam ? Mais c’est une obsession ! » La discussion enflammée qu’a suscitée, dans la rédaction, l’idée de consacrer la « une » de Causeur à l’épineuse question de l’islam et de sa place dans nos sociétés m’a convaincue qu’il était temps de tirer au clair nos idées sur un sujet qui, sous diverses formes, ne cesse de nous solliciter et de nous interroger. Si nous n’avons pas de réponse, et surtout pas de réponse simple, il y a une question. Et on n’y verra pas plus clair en rejetant ceux qu’elle angoisse dans l’enfer du racisme ou en renvoyant ceux qu’elle agace dans les cordes de l’angélisme.

L’islam, une obsession européenne ?

Sommes-nous « obsédés » ? Jean-François Baum, qui a tiré le premier avec l’apostrophe suscitée, a mis dans le mille. Si nous sommes honnêtes − et nous le sommes −, n’évacuons pas cette interrogation d’un trait de plume ou d’un effet de manche. Il m’arrive de penser que cette affaire est en train de nous rendre dingues ou, au moins, de perturber notre jugement. À trop en parler, contribuons-nous à créer ou, au minimum, à surestimer un problème qui n’existe pas, comme le pense Jérôme Leroy ? Sommes-nous en train d’inventer le « djihad laïque », comme le craint Malakine ? À nous focaliser sur « l’islam des cités »[1. Bien entendu, il ne concerne pas tous les habitants des cités. Je parle ici d’une norme sociale diffuse qui devient dominante sur certains territoires.], oublions-nous l’islam de Papa, celui des milliers de musulmans qui sont, conformément au voeu d’Éric Besson, de bons petits Français ? Est-il intellectuellement légitime et politiquement opportun de poser une question générale à partir d’incidents nombreux mais isolés, de revendications agressives mais minoritaires, de comportements répandus mais individuels ?[access capability= »lire_inedits »]

Les peuples ont répondu pour nous. Les peuples ont la trouille. Qu’ils aient raison ou tort n’y change rien : cela signifie qu’il faut en parler. Et qu’on ne me chante pas l’air de la manipulation des bas instincts par de méchants politiciens. Les sentiments populaires ne sont pas toujours distingués, mais il leur arrive assez fréquemment d’avoir partie liée avec le réel.

De fait, de Rome à La Haye, de Bruxelles à Berlin, un spectre hante l’Europe : celui de l’islamisation. Qu’on ne se méprenne pas : la présence, dans nos pays, de fortes « communautés » musulmanes est un fait ancien et irréversible. Dans quelques décennies, les musulmans seront majoritaires dans nombre de grandes villes : ce n’est pas un fantasme lepéniste mais un constat démographique. Cyril Bennasar, seul d’entre nous à se déclarer « islamophobe », précise, et à raison, que ce n’est pas la présence des individus qui est en cause mais la diffusion des idées et des pratiques qui vont avec.

Choc des civilisations ?

Le Français moyen n’est pas plus un « beauf » raciste que le Hollandais moyen ou l’Italien moyen. Il se fiche de l’origine et de la couleur de peau de son voisin, autant que de ses croyances. Ça lui est égal que son médecin soit arabe et la prof de sa fille africaine. Il veut préserver ce quelque chose d’indéfinissable qui ne se trouve pas dans les lois mais dans les moeurs et qui, par conséquent, s’ancre nécessairement dans des traditions locales. Une façon de s’adresser aux autres, d’habiter un monde commun. Cet attachement dont il est si difficile de nommer l’objet n’est pas une petite affaire, puisque de lui dépend notre façon de « faire peuple ». Or, on dirait que ce monde commun tissé de vie concrète et de croyances partagées, de références reçues au berceau, à l’Ecole de la République, à l’usine ou au bureau, devient étranger à une partie de nos concitoyens et que, de surcroît, ils en ont un autre à proposer. Cette appartenance de substitution n’a peut-être rien à voir avec la religion elle-même, mais elle s’en réclame avec insistance. C’est la confrontation entre deux univers symboliques qui donne le sentiment que le « choc des civilisations » s’est invité dans nos banlieues et dans nos représentations.

La vérité des collectivités humaines

On me dira que nous ne sommes guère avancés. Comment apprécier l’importance réelle de phénomènes aussi évanescents et polysémiques – et donc, la réalité du problème ? Aucune statistique, aucune analyse sociologique, aucune expertise ne nous dira la vérité des collectivités humaines. Nous ne pouvons que tenter de voir ce qui se passe et de déchiffrer ce que nous voyons à l’aide de ce que nous savons.

À ce stade, je ne saurais livrer que mes propres observations, nécessairement impressionnistes et qui n’engagent que moi. On le verra, chacun, sur ces sujets, doit pouvoir utiliser ses propres mots. Je crois, pour ma part, que la progression d’un islam identitaire plus que religieux n’est pas une bonne nouvelle, non seulement parce qu’il va souvent de pair avec une hostilité affichée à la culture et au mode de vie dominants, mais aussi parce qu’il accroît le contrôle du groupe sur les hommes – et plus encore sur les femmes – qui le composent. Or, l’histoire de l’Occident, c’est celle de l’émancipation des individus par rapport à leur groupe social, religieux, ethnique. Aziz Bentaj raconte comment l’Université française lui a appris la pensée critique. Quand la norme sociale ne peut être discutée, que les comportements déviants – manger pendant le ramadan ou porter une mini-jupe – sont dénoncés voire réprimés par la force, il n’y a plus de place pour la pensée critique. Il n’y a plus de place pour la liberté de chacun de remettre en cause son appartenance ou plutôt les modalités de celle-ci. Or, cette liberté, nous la devons à tous ceux qui vivent sur notre sol. Si la majorité des musulmans aspire, comme je le souhaite, à intégrer le roman national sans demander qu’il soit réécrit pour eux, alors il faut les délivrer de la minorité qui prétend leur imposer ses façons de voir et de vivre. Quant aux apôtres du multiculturalisme – qui, il est vrai, sont un peu moins flamboyants ces derniers temps − ils risquent de découvrir demain qu’ils ont été les idiots utiles d’une entreprise de conquête des esprits et d’hégémonie culturelle.

Qui doit changer ?

En fin de compte, la seule question qui vaille est : qui doit changer ? Faut-il, dans un respectable souci d’égalité, faire place à d’autres façons de vivre ? Pour Abdelwahab Meddeb, la réponse est claire : « C’est aux musulmans de s’adapter. Pas à l’Europe. » Aziz Bentaj pense que nous ne ferons pas l’économie d’un affrontement républicain. Reste à espérer que nous serons capables de le mener sans trahir ce que nous sommes.[/access]

Le cauchemar d’Obama

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La campagne électorale des « midterm » américaines du 2 novembre prochain prend des allures de rodéo où le peuple en délire voit les notables installés, démocrates comme républicains, mordre la poussière et quitter l’arène politique sous les quolibets des spectateurs.
La phase des primaires, qui vient de s’achever, s’est traduite par la montée en puissance des candidats, et singulièrement des candidates, soutenus par le mouvement « Tea Party », un rassemblement de toutes les droites populaires animé avec une fougue et un sens politique hors du commun par Sarah Palin, ex-candidate républicaine à la vice-présidence en 2008.

Les noms de Christine O’Donnell, Sharron Angle, Nikki Halley ou Michelle Bachmann étaient jusqu’à ces dernières semaines inconnus du grand public américain. Aujourd’hui, elles sont à la « une » de Newsweek et elles font la tournée des talk-shows télévisés, et pas seulement ceux de Fox News, la chaîne bestialement conservatrice qui domine le marché des chaînes d’infos aux Etats-Unis. Elles se sont imposées à la surprise générale pour briguer des postes de député, de sénateur, ou de gouverneur d’Etat.

Dans un de ses coups de génie communicateur, Sarah Palin vient de rassembler ces dames sous la catégorie des « mamas grizzly ». Est ainsi désignée une nouvelle race de femmes politiques dont le comportement s’apparente à celui de l’ourse commune d’Alaska, qui ne fait qu’une bouchée de tout être vivant ayant l’imprudence de s’interposer entre elle et ses oursons. Même le grizzly mâle, pourtant plus gros et plus puissant que sa compagne, fait un large détour lorsqu’il aperçoit la petite famille en train de se goinfrer de saumons le long d’un torrent.

L’impopularité de « ceux de Washington »

Toutes les dames citées plus haut ont comme caractéristique commune d’être parvenues à se frayer un chemin dans la jungle politique des Etats-Unis sans l’onction ni le soutien financier de la machine politique républicaine. Pour vaincre leurs rivaux, souvent des politiciens blanchis sous le harnois, elles se sont appuyées sur le rejet de plus en plus violent par une frange de plus en plus large d’électeurs de « ceux de Washington ». Cette impopularité vise aussi bien le locataire de la Maison Blanche, Barack Obama et son entourage, que les membres du Congrès, démocrates comme républicains. On leur reproche de vivre dans une bulle et d’avoir perdu tout contact avec la vie et les préoccupations de la classe moyenne, celle qui est frappée le plus durement par la crise économique et la montée du chômage.

Ces femmes, dont beaucoup se sont longtemps consacrées à leur fonction de mère de famille, ne sont pas des desesperate housewives de série télé. Elles sont du genre à tout surveiller autour d’elles, à harceler les professeurs quand l’enseignement dispensé à leurs chers bambins leur semble insuffisant ou trop marqué par les idées gauchistes en vogue dans les universités les plus réputées. Elles se définissent politiquement comme des common sense conservatives, des réacs de base dotées d’un credo simple et compréhensible par tous : moins d’Etat, moins d’impôts, plus de religion et d’appel à la responsabilité individuelle. Elles sont contre l’avortement, le mariage gay, la sécurité sociale pour tous et les programmes scolaires imposés par le Département de l’éducation de Washington. En politique étrangère, domaine qui n’est pas leur souci premier, elles ne s’embarrassent pas des subtilités idéologiques du « wilsonisme botté » défendu à l’époque de George W. Bush par les intellectuels néo-conservateurs. L’Amérique doit défendre ses valeurs et son honneur partout où ils sont attaqués, sans se poser trop de questions éthiques et sans viser à faire ami-ami avec ceux qui vous crachent à la figure en attendant de vous égorger. C’est dire à quel point elles sont insensibles à une « obamania » en net reflux aux USA, mais toujours vivace dans les élites politiques et médiatiques européennes.

Leur empowerment, un terme en vogue dans les milieux féministes des sections de « gender studies » dans les universités, signifiant la prise en main de leur destin par les dominés, en l’occurrence les dominées, fera sans doute l’objet d’une multitude de mémoires et de thèses dans les années à venir. On pourra y retrouver en creux une version de droite de cette idéologie du « care » dont s’est entichée notre Martine Aubry nationale. S’occuper des gens, des enfants, des malades et des personnes âgées n’est pas, selon elles, du ressort de l’Etat accapareur et redistributeur, mais celui des organisations de proximité où chacun peut exercer le don de soi et la charité prônés chaque dimanche en chaire par le pasteur du coin.

N’imaginez surtout pas ces « mamas grizzly » comme des laiderons à l’allure revêche, comme on caricature les militantes des ligues de vertu. A l’image de leur patronne, Sarah Palin, elles cultivent un look sexy et arborent en permanence un sourire dents blanches à faire damner un moine. Selon les derniers sondages, certaines d’entre elles risquent de faire tomber de leur siège des poids lourds du Congrès, comme Harry Reid, le chef de la majorité démocrate au Sénat, sérieusement menacé par la mama grizzly Sharron Angle dans le Nevada. Cette espèce trouvera-t-elle un jour en Europe un territoire favorable à son acclimatation ? Si cela devait être le cas, les Verts devront revoir leur copie relative à la protection des ours dans nos montagnes.