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On achève bien les homos

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Au sein de l’ONU, l’Assemblée générale se subdivise en commissions. La troisième, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, se déclarant « consciente de l’importance de prévenir, de combattre et d’éliminer les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » serait selon un communiqué des Nations Unies du 14 novembre « demeurée néanmoins profondément divisée par une référence à l’orientation sexuelle dans un projet de résolution ». Ladite résolution, répondant au doux nom de L.29/Rev.1, mentionnait depuis 2000 à l’alinéa b de son article 6 la « discrimination notamment fondée sur les préférences sexuelles ». Elle est revotée sans broncher tous les deux ans -ou plutôt, elle l’était jusque là.

En effet, sur proposition insistante du Groupe des Etats d’Afrique et de l’OCI, un amendement a été adopté à une majorité écrasante pour supprimer cette référence impie et la remplacer par « discriminations, quel qu’en soit le fondement ». Les rédacteurs ne manquent pas d’humour.

Gays, lesbiens, trans… et aveugles

Bizarrement, les confrères ayant évoqué la question, et surtout les principaux intéressés, font une curieuse lecture de l’épisode.
Ainsi Christine Le Doaré, présidente du Centre Gay, Lesbien, Bi et Trans de Paris, impute-t-elle la responsabilité de la décision… aux évangéliques américains, dont on se demande quand ils auraient rejoint l’OCI et depuis quand ils imposeraient leur loi au Maroc et au Mali, qui ont présenté l’amendement. Voilà en en effet le compte-rendu des débats tel qu’il est presenté sur le site de l’ONU :
« La représentante du Maroc, au nom de l’Organisation de la Conférence islamique (…) s’est dite troublée par les tentatives visant à se concentrer sur des droits individuels spécifiques et a réaffirmé que la notion d’orientation sexuelle ne devrait pas figurer dans ce texte. La communauté internationale devrait, selon elle, éviter une interprétation sélective de certains droits de l’homme. Cette situation pourrait entraîner un précédent dangereux. L’OCI continuera de protéger la notion de famille en tant que noyau fondamental de la société. »

Ses défenseurs avaient un argument de poids, compréhensible du point de vue de la richesse de la variété culturelle : il n’existe pas d’accord international sur cette « notion » ! Ils ont donc suggéré d’en traiter à l’occasion d’une réunion intergouvernementale. Promis, en 2012 le monde entier reconnaîtra dans les fondements un lieu commun à diverses sexualités. Et cette notion étant admise comme internationale et transculturelle, les homosexuels ne seront plus l’objet de persécutions, exécutions et assassinats en Iran (où, selon les déclarations de Mahmoud Ahmadinejad, ils n’existent tout simplement pas et ne sont donc pas pendus), au Sénégal, au Cameroun, en Irak, en Egypte, en Arabie Saoudite, en Ouganda…

Les délégations occidentales et notamment la Finlande, la France et la Suisse auraient exprimé leurs regrets. C’est très gentil. Surtout après avoir voté oui.

Montebourg : j’y vais ou j’y vais pas?

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Je crois qu’Arnaud souhaite que je le rejoigne. Peut-être souhaite t-il faire de moi son futur Premier ministre… Ou que, plus modestement, j’entre à son service comme nègre (pour faire plaisir à M. Guerlain) ou plume (pour exciter DSK). Ou, encore plus humblement, que j’accepte de devenir rédacteur en chef du bulletin d’information du conseil général de Saone-et-Loire.

Mais, c’est sûr, il essaie d’attirer mon attention. Vous ne me croyez pas ? Mais c’est que j’ai plusieurs indices ! Arnaud a fait acte de candidature à Frangy-en-Bresse dans le 71 ! Or, je suis né en 71. Et je suis souvent passé en voiture à Frangy-en-Bresse, village très calme en dehors des jours comme ce samedi, où le nombre de caméras dépasse de peu celui de poulets et de beaucoup celui des habitants. Je reconnais toutefois que si j’y suis passé, jamais l’idée saugrenue de m’y arrêter n’a traversé mon esprit. Léger comme indice ? Mais ce n’est pas tout ! Je suis né en 71 mais plus exactement le 20 novembre, un samedi. Or c’est bien hier, samedi 20 novembre qu’Arnaud a avoué à la France son envie d’elle.

Coïncidences ? Mais que vous faut-il donc ? Arnaud m’envoie des signes idéologiques. Qu’écrivé-je ? Des signes doctrinaires ! Il souhaite baser sa candidature sur le thème de la « démondialisation ». Il explique que « économiquement et écologiquement, la mondialisation est un désastre car elle survalorise l’exportation. Il faut donc assumer un certain protectionnisme comme un outil pour le développement, au nord comme au sud. » C’est ce que je me tue à écrire depuis des années. C’est bien simple, on dirait un extrait du tract de campagne de Debout la République aux dernières élections européennes. Arnaud, qui a rejoint Martine, la fille de Delors et la copine de Pascal Lamy, ne peut pas parler mondialisation en de si mauvais termes par hasard.
Bon, maintenant, c’est sûr. Arnaud a entendu parler de moi. Ce que j’écris lui plaît. Et il souhaite m’attirer dans ses filets politiques. J’en suis tout chose. Face à cet entrain, je ne peux me dérober. Je me dois d’apporter, publiquement, une réponse à de telles avances.

Arnaud, tu es sur le bon chemin. Mais il te reste à parcourir de la distance :
1 – Abandonne tes obsessions de VIe République, on y est déjà ! La Ve du Général est morte depuis longtemps. Cohabitations, quinquennat et Nicolas Sarkozy ont déjà eu sa peau.
2- Le protectionnisme, c’est bien. Redonner à ton pays le pouvoir de battre monnaie, c’est mieux.
3 – Enfin, si tu es vraiment le jeune lion que tu dis, oublie cette pantalonnade de primaires, présente-toi directement aux suffrages du peuple tout entier.
Là, on pourra éventuellement commencer à boire un verre. Du Jura, sur un poulet de Bresse.

Amitiés.

PS (ça ne s’invente pas) : Si ça se trouve, Arnaud n’a aucune idée de mon existence et je vais avoir l’air d’un con. Tant pis. C’est dit.

Contre de Gaulle

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Il semblerait que la gaullomanie – cette idéologie reposant sur l’idée que de Gaulle est un demi-Dieu, non seulement un grand homme d’Etat, mais aussi un grand moraliste, un grand écrivain et même un type rigolo comme tout – ne puisse désormais que refluer, écrasée sous le poids de ses affabulations. Ses partisans se contentent de brandir des idées générales ou des slogans propres à flatter ce goût pour l’exaltation sous l’empire duquel chacun d’entre nous est prêt, à différentes périodes de sa vie, à faire n’importe quoi. Les opposants du Général, eux, ont toujours invoqué des faits, sanglants pour la plupart. Le plus brillant de ces opposants fut Jacques Laurent, dont le Mauriac sous de Gaulle est un bijou de vérité, d’ironie et de courage.

Mythomanie sanglante

La postérité du gaullisme risque ainsi d’être contrariée par le souvenir des victimes qui jonchent sa route. Et c’est par le roman – quoi de mieux qu’un roman pour rendre compte de la réalité ? – que cette mythomanie sanglante est écornée aujourd’hui.

Les écrivains parfois écrivent de manière parallèle sans s’en rendre compte, évidemment : ce n’est qu’à la publication qu’on s’aperçoit par exemple que deux romans sortis en même temps ont pour cadre principal le mois d’août 1962, et un sujet commun : la trahison.

Dans Je ne vous oublie pas, (Cherche-Midi), Emmanuel Sabatié fait resurgir du néant les supplétifs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Son roman commence dans l’atmosphère propre aux périodes dites de « libération », que l’auteur restitue à merveille et qui donne d’emblée au récit une dimension universelle. Un harki cherche à gagner la France avec sa femme et ses deux enfants. Il n’est pas possible d’en écrire plus, car ce roman, que l’on lit d’une traite avec la sensation d’une douleur physique au ventre, n’est pas de ceux que l’on chronique distraitement avec des mots choisis et élégants. Il rappelle simplement la sauvagerie des hommes dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes, et surtout lorsqu’ils sont encouragés par le pouvoir en place.

Vieil homme cruel

C’est justement le sort de ces supplétifs qui constituent les plus belles pages du roman d’Alice Ferney Passé sous silence (Actes Sud) et qui, parmi d’autres motifs, ont conduit Bastien-Thiry à commettre son geste désespéré au Petit Clamart. Alice Ferney convoque ainsi cette belle figure (sous le nom de « Donadieu »), qu’elle oppose au fameux général au menton mou (« Grandberger », dont la description physique page 60 vaut le détour). Elle n’en rajoute pas : son récit est précis, d’une objectivité que ne renierait pas un historien pointilleux. De Gaulle n’est pas dénué de qualités : indifférent au danger physique, par exemple.

Mais cette confrontation à distance entre Grandberger « vieil homme cruel » et Donadieu « l’homme d’exception » n’est pas à l’avantage du premier et éclaire toute la période, bien mieux que cinquante ouvrages universitaires sur la guerre d’Algérie. Elle nous rappelle par exemple que l’armée avait vaincu la sédition, rendant ainsi possible toutes sortes de solutions, y compris éventuellement l’indépendance sans les massacres.

Il présente l’intérêt, aussi, de nous restituer le vrai Bastien-Thiry : ce n’était pas un « activiste » (terme bien commode pour fusiller les gens en insultant vaguement leur mémoire), il n’a jamais été membre de l’OAS, on ne lui connaît aucune opinion politique (sauf peut-être gaulliste, justement). C’était un des plus brillants scientifiques français, haut gradé, promis à une belle carrière, père de trois filles. Pas vraiment le profil du tueur fascisant que la légende gaulliste (comme ces deux termes, « légende gaulliste », vont bien ensemble !) a colporté.

Ces deux écrivains prouvent ainsi la supériorité, parfois, du roman sur d’autres formes d’écritures : les historiens se perdent en nuances ou même, dans le cas des harkis, ont carrément déclaré forfait.

Peut-être est-il enfin temps de laisser le Général à ses procès truqués, à sa justice aux ordres, à sa cruauté d’avoir livré aux bourreaux des Algériens qui avaient cru à ses promesses, à ses petits matins blêmes où l’on fusille à la sauvette, à son Paris outragé et à son Québec libre.

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Les infortunes d’un mot

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Hotel du Nord

Tout cela n’est pas très sérieux. Voilà un mot, « populisme », dont les médias dominants se servent pour qualifier aussi bien Sarah Palin qu’Hugo Chavez alors que, si la première devenait présidente des Etats-Unis, il est probable qu’elle enverrait illico presto la CIA organiser un putsch, assassiner le leader bolivarien et plus si affinités. On pourra toujours parler de rivalité mimétique entre populistes, qu’on me permette, pour une fois, de douter de la pertinence de la grille de lecture girardienne.

En France, les mêmes médias emploient désormais cet adjectif − qu’ils connotent forcément de manière péjorative − pour Le Pen père et fille d’une part et pour Mélenchon de l’autre. Or, à moins de faire de « populiste » le synonyme de « bon orateur », trouver quelque chose de commun entre le Front national et le Front de gauche relève de la mauvaise foi, ou plus exactement de cette foi très post-moderne (Furet est passé par ici) que tout désir de changement de société s’appuyant sur le peuple finit nécessairement en totalitarisme, ce qui disqualifie tout discours de transformation.

Le mot « populisme », comme « patrie » et, ces temps-ci, « laïcité », est la victime d’un grand hold-up sémantique effectué par une droite dure, conservatrice et parfois ethniciste sur des notions qui appartenaient auparavant à la gauche et constituaient même l’ADN de la République et des mouvements d’émancipation. [access capability= »lire_inedits »]

Le populisme, en tant que courant politique, apparaît aux Etats-Unis. On se rapportera à la somme d’Howard Zinn sur la question, Une Histoire populaire des Etats-Unis, où il rappelle qu’il y eut toujours une résistance au big business dans le pays de la libre-entreprise. Il cite notamment la plateforme électorale du People’s Party en 1892 : « La corruption domine l’élection, les législatures, le Congrès, et effleure l’hermine des magistrats. Les journaux sont subventionnés ou étouffés. Notre travail perd sa valeur, la terre se concentre dans les mains des capitalistes. Les ouvriers ne peuvent pas se syndiquer, des travailleurs importés font pression sur les salaires, le produit du labeur de millions est volé pour édifier de colossales fortunes. » Quant on sait, en plus, que le People’s party, notamment dans le Sud, était un parti interracial, il devient un peu compliqué de le classer dans la droite de l’époque. On voit en même temps d’où a pu venir le malentendu : la dénonciation des petits contres les gros, le thème de la corruption, l’antiparlementarisme vont aussi devenir les thèmes d’une certaine extrême droite et notamment, pratiquement à la même époque en France, du boulangisme.

Le populisme littéraire est un humanisme

Pourtant, le terme « populisme » est encore, chez nous, au moins dans le domaine de la littérature, dénué de tout sous-entendu suspect. Savez-vous que l’on remet chaque année en France, depuis 1929, un Prix du roman populiste ? Et il n’a pas été remis à Marine Le Pen pour une autofiction ou à Jorg Haider pour son journal posthume dans les backrooms de Carinthie. Non, si l’on regarde le palmarès, on voit qu’il est resté fidèle à sa vocation première telle qu’elle est définie dans les statuts : récompenser « un roman qui met les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ».

Le populisme littéraire est, pour paraphraser Sartre, qui a reçu ce prix en 1946 pour son recueil de nouvelles Le Mur, un humanisme. Il rejoint en cela le populisme des narodniki russes, ces étudiants du XIXe siècle qui, lassés des conventions bourgeoises, de la bulle artificielle dans laquelle ils vivaient, allèrent à la rencontre du monde paysan et tentèrent de fonder, sans trop de succès, un socialisme agraire. Il s’agit pour le roman populiste d’en finir soit avec l’ignorance pure et simple du peuple dans la fiction littéraire, soit avec la confusion plus ou moins consciente entretenue par les romanciers « réactionnaires » entre classes laborieuses et classes dangereuses. Pour un Victor Hugo ou un Zola, au XIXe siècle, qui font du peuple un objet d’étude et expriment le désir de le voir s’émanciper, combien de Paul Bourget  et d’autres noms heureusement oubliés qui furent d’efficaces chiens de garde ne s’intéressant qu’aux émois chlorotiques des jeunes filles en dentelles ?

Le roman populiste n’a jamais eu les faveurs, non plus, du Parti communiste, contrairement à ce que l’on aurait pu croire. Cette littérature se refuse en effet à envisager le peuple comme une classe sociale mais davantage comme un personnage, ou même une personne. Pas d’idéalisation, seulement le désir de connaître, de comprendre, de donner une égale dignité au chagrin d’une ouvrière et à celui d’un jeune dandy, non pas parce qu’elle est ouvrière mais parce qu’elle participe d’une égale humanité et a aussi droit de cité dans l’imaginaire d’une nation.

La liste des auteurs lauréats du Prix du roman populiste se joue d’ailleurs des clivages politiques. Le premier à être couronné est Marcel Aymé. On sait à quel point celui-là fut rétif à tous les embrigadements et fut même classé dans la droite littéraire de l’après-guerre parce qu’il marqua un certain écœurement devant une épuration qui avait tendance à s’acharner sur ses confrères plutôt que sur les responsables de la collaboration économique.

D’autres, en revanche, furent plus clairement de gauche, comme Eugène Dabit et son Hôtel du Nord (« Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » ou le scandaleusement oublié Louis Guilloux, l’auteur du Sang noir, qui resta un « nietzschéen de gauche » jamais tenté par le communisme, sans doute parce qu’il avait accompagné Gide lors de son fameux voyage en URSS. Plus récemment, le Prix populiste fut capable aussi de décorer Bernard Clavel, compagnon de route du PCF récemment décédé, et Denis Tillinac, gaulliste old school qui, précisément, comme tout vrai gaulliste, a, au fond, la « fibre popu ».

Ce détour par la littérature semble décidément indispensable en cette période où le mot « populisme » est devenu synonyme d’une instrumentalisation du peuple et de ses pulsions alors qu’il fut, avant tout, l’expression d’un beau souci, (beau parce que non dogmatique) pour tous ces abonnés absents d’une histoire et d’une actualité officielles, calibrées par les classes moyennes et pour les classes moyennes.[/access]

Villepin, fenêtre sur cour

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Dominique de Villepin se présente comme le chevalier blanc de la politique, au cœur purifié de toutes les scories courtisanes, entièrement dévoué à servir la France avec honneur, loyauté et panache gaulliste. Il ne s’est pourtant pas privé, ces jours-ci, d’agir en parfait « homme de l’occasion » pour reprendre les termes de Balthazar Gracian. La parution de son dernier livre, De l’esprit de cour, la malédiction française, combinée par ses piques oratoires à l’encontre du Président, lancées le dimanche 7 novembre sur l’antenne d’Europe 1, tombaient à pic.
En soutenant que l’esprit de cour est à l’origine du blocage de la société, de l’essoufflement général du pays et de la corruption du régime politique, puis en accusant Nicolas Sarkozy d’être aujourd’hui « un des problèmes de la France », Dominique de Villepin a retiré au pouvoir une crédibilité qu’il veut gagner en le critiquant. À la veille du remaniement ministériel, voilà qui n’était pas mal joué. Sa thèse prenait tout son éclat à mesure que le ballet des prétendants agitait fébrilement l’Elysée.

Virus curial[1. Les termes sont de Dominique de Villepin lui-même : précieux un jour, précieux toujours]

Or, l’habileté et l’opportunisme dont fait preuve Dominique de Villepin ne sont-ils pas des qualités qui caractérisent le courtisan avisé ? En disant ce qu’il faut au moment où il faut, ne s’est-il pas tenu « au centre de l’occasion », comme ferait un parfait homme de cour, qui saurait profiter de l’inconstance, des humeurs et de la contingence du sort pour être certain de plaire et de s’attirer la faveur populaire ? En effet, à défaut de flatter notre Prince, son ennemi juré, c’est le peuple que Dominique de Villepin tente de courtiser en prenant bien soin de dissimuler son intention sous le paravent de la satire.
Et pour couronner cette stratégie, tout s’est passé à quelques jours de la commémoration du quarantième anniversaire de la mort du Général De Gaulle, envisagé par l’intéressé comme contre modèle idéal du sarkozysme. Voilà qui lui donne des gages d’assurance pour se présenter comme l’homme providentiel qui vivifierait à nouveau l’esprit républicain étouffé actuellement par l’esprit de cour.
Mais penchons-nous sur ce « virus curial », jugé par Dominique de Villepin comme « une spécificité française constamment à l’œuvre au cœur du pouvoir ». L’auteur prend la cour comme « fil d’Ariane » pour voyager dans un passé, comparé, si on file la métaphore jusqu’au bout, à un labyrinthe. Et là, la perplexité gagne. N’est-ce pas surprenant pour se diriger dans le labyrinthe du passé d’utiliser la cour, qui est elle-même un véritable labyrinthe où chacun simule pour mieux dissimuler et guide pour mieux égarer ?

Comme le courtisan, la cour présente deux faces. L’une artificielle et apparente cache l’autre, nuisible et invisible.
Dominique de Villepin montre comment, grâce à cette duplicité, la cour fait croire qu’elle renforce le pouvoir alors qu’elle conspire contre lui. Vue du dehors, la cour apparaît comme l’instrument du pouvoir. Mais en réalité, la cour verrouille tout de l’intérieur tandis que du dedans, elle exerce sa capacité de nuisance et devient moins le lieu où l’on paraît qu’un foyer où l’on manigance contre le pouvoir en place, le mécanisme des passions aidant à alimenter la sédition des courtisans humiliés.
Cour monarchique, cour impériale, pour Villepin, la cour se métamorphose selon la nature des régimes, mais son fonctionnement oligarchique reste foncièrement le même.

Un diseur de vérité

Se drapant dans les habits de Ruy Blas, Dominique de Villepin prend plaisir à décrire le climat perpétuel de guerre froide, où les courtisans donneraient les apparences de servir l’intérêt général pour mieux se servir eux-mêmes et évincer leurs rivaux potentiels en se fourvoyant dans un cortège de coups bas, d’intrigues et de complots. Avec la démocratie parlementaire, la cour se désincarnerait mais ne perdrait pas en influence. Bien au contraire, en se masquant, en devenant une sorte de société secrète, qui prospèrerait entre le monde des affaires et le monde du pouvoir, son influence se répandrait plus facilement. Ainsi, comme le phoenix, la cour ne meurt jamais, elle renaît de ses cendres et se survit dans l’esprit qui l’anime.
En apparence, Dominique de Villepin se présente comme un diseur de vérité qui ose nommer le mal qui ronge la France et que les élites s’évertuent à dissimuler.
En réalité, dans les plis et les replis de sa critique et de l’éloge adressé aux hommes illustres, se glisse son propre sacre. En filigrane de son analyse historique, il ne cesse d’affirmer sa différence avec l’actuel Président et établit in fine sa propre légitimité présidentielle.
Dominique de Villepin ne manque à aucun moment de souligner le gouffre qui le sépare du « Premier des courtisans » : Nicolas Sarkozy lui-même et sa vision d’un pouvoir aimé pour les effets de plaisir et de gloire qu’il procure. Pour Villepin, l’ode au Général De Gaulle, le culte voué à l’idéal d’indépendance et de fidélité représente autant de manières de dessiner en creux son autoportrait.

Mise en scène

Dans le passage consacré au Général, résonne son discours de l’ONU où, en plaidant l’opposition à la guerre en Irak, il s’affirme comme le gardien de l’indépendance de la France, tout en marquant bien la séparation avec Nicolas Sarkozy, relayé au statut de vil laquais à la solde de l’Empire Américain.
Ainsi l’esprit gaulliste animerait le verbe villepiniste et inversement.
Le sursaut républicain que Dominique de Villepin appelle de ses vœux, au début et à la fin de son livre, voudrait être aussi une façon de s’inscrire dans la droite ligne de l’appel gaulliste, c’est à dire à refuser le fatalisme tout en se présentant comme celui qui serait porteur d’un grand projet collectif capable de guérir la France de cette fameuse tumeur « curiale ».
Tombée de rideau !
Villepin, en affirmant que le propre du courtisan moderne, est « qu’il n’est plus identifié comme tel, ce qui le rend encore plus redoutable car il avance masqué », finit donc par se trahir lui-même. A travers cette séduisante mise en scène, c’est lui qui finit par apparaître comme l’archétype du courtisan.
Parce que tout de même, il ne faudrait pas oublier que l’ « esprit villepiniste » s’incarne lui aussi banalement dans un système politique et que si l’homme est un féru d’histoire, il parle, tout d’abord, en tant que chef de parti politique soumis, comme tous les autres partis, aux dérives courtisanes.

« Y’a pas que de la pomme… »

C’est le site web de Paris Match qui nous l’apprend cette semaine : manger régulièrement des pommes pourrait réduire le risque de fracture osseuse. Et si l’on n’est pas forcé de croire tout ce qu’on lit chez le coiffeur, on peut raisonnablement se fier à la source d’origine de l’info, à savoir l’American Journal of Clinical Nutrition. L’étude à l’origine de ce scoop, menée par des chercheurs de l’université McGill de Montréal, attesterait que manger des fruits et des légumes – et singulièrement des pommes – rend le squelette plus solide; accessoirement, les résultats sont, c’est injuste mais c’est comme ça, encore plus probants chez les femmes que chez les hommes.

Hélas, nos honorables chercheurs québécois n’ont toujours rien trouvé sur une éventuelle corrélation entre l’ingestion de pommes et la réduction de la fracture… sociale cette fois-ci. La réduction de la « fracture sociale », écho vintage des temps anciens… Encore un gimmick électoral chiraquien des années 90 qui ne se vérifiera pas…

A trop vouloir réduire les « fractures », un jour ou l’autre, d’ailleurs, on tombe sur un os. La sombre affaire du mystérieux embrasement spontané de l’autobus de Karachi le démontrera peut-être…

Pour oublier Dantzig, lisez Martinez !

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Dandy de foires du livre se rêvant Truman Capote – un Truman Capote sans De sang froid, sans Marilyn et sans poudre blanche -, Charles Dantzig est un pédant ridicule comme Philippe Besson avec lequel il partage les lunettes, la coupe de cheveux et le statut de directeur de conscience pour Marc-Olivier Fogiel et Claire Chazal. Il est donc d’autant plus intéressant de rappeler que Dantzig fit son apparition, au début des années 90, dans L’Idiot International, le gueuloir très foutraque de Jean-Edern Hallier. Un peu en vue entre les signatures de Patrick Besson, Gabriel Matzneff et Marc-Edouard Nabe, Dantzig évoque rarement cette époque, sauf pour décréter qu’il imposa Houellebecq dans les colonnes de L’Idiot.

Dantzig, cette « tête de mort »[1. Selon le mot très juste de Guy Debord dans Cette mauvaise réputation]…

Dantzig est toujours cet arriviste – genre Séguéla appointé par Grasset – qui cherche les signes extérieurs d’un pouvoir minuscule. Quand la mode est aux dictionnaires, il torchonne le plus gros de tous. Son Pavé égoïste de la littérature épate les bobos et les babas. C’est rempli de bêtises sur Blondin, Céline, Bloy, Montaigne entre autres. Et l’idée est piquée, de loin, à Jacques Brenner et Kleber Haedens et, de près, à Hallier qui publia jadis en feuilleton un Dictionnaire injuste de la littérature.
Après les dictionnaires, les Miscellanées se multiplient. Dantzig récupère ses listes de courses, recopie quelques carnets et griffonne à vue une Encyclopédie capricieuse du tout et du rien de presque mille pages que personne ne lit – au mieux, elle est feuilletée avant de faire très mal en tombant. A l’occasion, Dantzig fait office de guide touristique du 7e arrondissement parisien, cite des titres de romans en VO et parle de quelques écrivains, certes trop oubliés : Frédéric Berthet, Remy de Gourmont ou Jean de la Ville de Mirmont. Paul Gégauff l’intéresse aussi mais sent trop le soufre. Dantzig se veut sur les photos de famille mais il n’ira pas jusqu’à se griller avec les grands cramés. Son Pourquoi lire?, défense d’un insipide art de la lecture, en apporte une nouvelle illustration. Pose et prose de curé en chaire, c’est un livre pompier qui n’allume aucune mèche. Des simagrées sur Duras, Gérard de Villiers moqué, Proust lu dans l’herbe et c’est tout. Auteur cuculte, Dantzig lorgne du côté des stylistes cultes, ce qu’il n’est pas. Contrairement à Paul-Jean Toulet.

Martinez, l’anti-Dantzig

Toulet, à orthographier Too Late comme lui-même aimait le faire, est un des personnages d’ Aux singuliers – Les excentriques des Lettres de Frédéric Martinez. Avec d’autres sacrés numéros parmi lesquels le fou en exil mexicain Artaud, l’ombrageux Malherbe, l’aventurier Malraux ou Henry IV amoureux fou de Charlotte de Montmorency comme Nerval l’était de la comédienne Jenny Colon.
Pas étonnant que Martinez, dans ses ouvrages précédents, se soit intéressé à Jimmy Hendrix et Claude Monet et que les Cartes postales de Henry Jean-Marie Levet, le « diplomate globe-trotter », ne quitte jamais sa poche.

Martinez, c’est l’anti-Dantzig : chez lui, rien ne pèse et tout cogne aux carreaux des sens. Son Prends garde à la douceur des choses, en 2008, était déjà une merveille de braconnages élégants sur les pas de Toulet. Et Martinez, à travers quelques pages de ses Excentriques, ne lâche pas les semelles du poète des Contrerimes qui, dans une des lettres à lui-même qu’il se postait des quatre coins du globe, écrivait : « Ce que j’ai aimé le plus au monde, ne pensez-vous pas que ce soit les femmes, l’alcool et les paysages ? »
Toulet, c’est cet homme de 53 ans qui, à Guéthary, se promène au bord de l’océan, regardant en face le soleil et la mort. Il se souvient des nuits enfumées de Paris avec Curnonsky et Léon Daudet, des aubes éthyliques en Alger et sur l’île Maurice, des fusées allumées dans le gras de pavés à l’eau de rose écrits pour monsieur Colette, le sieur Willy, et de quelques silhouettes dont la grâce flirte avec son soufre au coeur. J’aime les filles : chanson de Dutronc et, dixit Frédéric Martinez, écho de la vie pressée, des passions de Toulet.
Les filles, héroïnes de joie et de tristesse, sont en effet les grains de beauté sur la peau douce des mots de Toulet. Dans ses romans – Mon amie Nane, La jeune fille verte -, dans ses contes légers comme des volutes de blondes – Touchante histoire de la jeune femme qui pleurait, que réédite L’Arbre vengeur – et dans ses poèmes à offrir sans fin à la plus délicate des apparitions :

« Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
Ne riez pas trop haut.
»

Aux singuliers: Les excentriques des lettres

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Zemmour sur RTL: les petits jaloux du Grand Journal

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Jeudi soir, Michel Denisot conviait à son Grand Journal, les dirigeants de RTL, Radio France et de RMC afin de commenter avec eux les derniers résultats d’audience de leurs stations respectives annoncées le matin même par Médiamétrie.

Christophe Baldelli, qui préside aux destinées de RTL, est interrogé par Denisot sur les bons résultats de la mère des tranches horaires, la matinale. Il répond qu’ils sont notamment provoqués par l’arrivée de deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15 et d’Yves Calvi à 8h15.

Mais Baldelli, juste après qu’il a prononcé le mot « Zemmour », est coupé par un Baddou qui sur un ton, mi-rigolard mi-méprisant lance « Une belle ! ». Le chroniqueur continue de ricaner et Massenet embraye: «Zemmour, vous avez eu peur, quand même ?![1. On était dans l’exclamation tout autant que dans l’interrogation]». Baldelli ne se démonte pas tandis qu’Aphatie se cache pour rigoler :«Peur de quoi ?». « Peur des excès, des dérapages ![2. Là, on est davantage dans l’exclamation que dans l’interrogation]» Christophe Baldelli explique que les études qualitatives ont démontré que l’argumentation à base de références historiques était appréciée des auditeurs de la station. «Mais vous, personnellement !», relance Baddou. «Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup ». « Vous pourriez faire de la politique», conclut Denisot.

Décryptage.

Baldelli – […]deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15…

Baddou – Ha, ha,ha, de la merde en branche, oui ! Ha, ha, ha

Baldelli – …et d’Yves Calvi à 8h15.

Massenet – Mais vous êtes foldingo, ou quoi ?

Baldelli – Mais, pourquoi donc ?

Massenet – Ce type est le Diable en personne, et vous lui donnez un micro, espèce d’irresponsable !

Baldelli – Mais nos études prouvent que ce qu’il dit est apprécié par nombre de nos auditeurs.

Baddou – Oui mais vous, vous n’appréciez, pas ! Dites le ! Je ne peux pas croire que vous appréciez le Démon comme tous ces gens !

Baldelli – Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup.

Denisot – Ah on sait bien que vous pensez comme nous, espèce d’hypocrite ! Vous faites ça pour le fric, c’est tout.

Baddou et Massenet – Ha, ha, ha. Expie ! Expie ! Tu aimes flirter avec le Malin ! Expie !

Aphatie – Hi, hi, hi (mes copains ont raison mais je peux pas le dire).

Voilà donc le véritable sens de cet échange. Baldelli a de la classe. D’une part, il a assumé son choix. Il a dit à quel point il avait fait une bonne affaire en recrutant Zemmour dont les analyses sont appréciées par un public qui n’avait jusque là que Duhamel (depuis combien de temps, déjà ?) et Aphatie à se mettre sous la dent. La bande de Denisot voulait absolument qu’il expie, qu’il avoue sa faute morale dans le procès cool -mais procès quand même- qu’on lui faisait. Qu’il lâche qu’il n’était pas d’accord, mais alors pas du tout, avec tout ce que disait Zemmour au micro de sa station. Il ne l’a pas fait.

Vous me direz que c’est la moindre des choses puisque c’est lui-même qui a embauché Zemmour et qu’il aurait été plutôt lâche de se comporter autrement. Certes. Mais il l’a assumé d’une belle manière. En insistant sur la nécessité d’un certain pluralisme sur une antenne. Denisot, alors, n’y a vu que du feu en pensant qu’il s’agissait d’une réponse politique. Alors que c’était une flèche acérée qui le visait. Décidément, Baldelli est bien plus intelligent que cette bande de truffes. Chapeau bas, monsieur.

Bon sens ne saurait mentir

Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !

Bien sûr que le populisme est un fourre-tout. Et qu’on aurait plus de mal à le définir sérieusement qu’à essayer de cerner la philosophie politique de Luc Besson. Ceux qui veulent supprimer tous les impôts ? Populistes ! Ceux qui veulent faire payer les riches? Populistes itou ! Y’a pas comme un problème, là ? On met dans le même sac d’opprobre ceux qui veulent rouvrir les maisons closes et ceux qui veulent criminaliser putes et clients, ceux qui pensent que les fonctionnaires sont tous des charançons et ceux qui exigent que l’Etat crée des emplois pour tous. Ceux qui pensent que l’immigration musulmane est mère de tous nos maux et ceux qui insinuent qu’on voit trop d’Arthur, d’Elie Semoun ou de Gad Elmaleh à la télé. Et ainsi de suite…

Bref, le populisme, contrairement au fascisme ou au naturisme, est une fiction. S’il existe, c’est essentiellement grâce à ses contempteurs. En conséquence de quoi l’antipopulisme est, lui, beaucoup plus facile à cerner. Et à abhorrer un brin, en en ce qui nous concerne. On s’explique.[access capability= »lire_inedits »]

Tout d’abord pour le mot : parler de « populisme » la bouche en cul-de-poule, c’est décréter que le peuple pue. Que le mot « populiste » ait remplacé le mot « démagogue » en dit long sur l’inconscient de nos éditorialistes favoris, et accessoirement sur leur statut social.

Ensuite pour l’usage : techniquement, pas de procès en populisme viable sans recours systématique à l’amalgame. Vous ne goûtez pas Murakami à Versailles ? Tiens, tiens… Le Pen aussi est archi-contre. Vous réclamez une loi contre la burqa, n’en pinceriez-vous pas pour Geert Wilders ? Vous critiquez le FMI ? Comme les complotistes, non ? Vous préférez Benny Hill à François Ozon ? Hum hum…

Le peuple n’a pas toujours tort

Enfin et surtout, nous supportons mal qu’on nous rabâche que tout ce qui en appelle au bon sens va forcément dans le mauvais sens. Le bon sens, pour mémoire, c’est grosso modo ce que pensent nos mamans ou nos cousins de province (pardon, de région). Ils sont donc populistes quand ils trouvent que, depuis l’euro, tout a augmenté. Que le pognon de la guerre en Afghanistan serait peut-être mieux employé pour relever le minimum vieillesse. Que les députés ne savent pas de quoi ils parlent quand ils causent pouvoir d’achat, retraites ou même radars. Ou bien que ça serait mieux que les mômes apprennent à lire et à écrire avant d’aller en sixième. On peut se contenter d’objecter que c’est plus compliqué que ça. Les mépriser et rester entre soi pour éviter d’être pollué par ce poujadisme moisi qui salit nos semelles. Voire changer le peuple quand les électeurs osent voter non à certains traités européens, alors qu’ils auraient dû dire oui, ces cons.

Nous, on préfère penser que, si le peuple n’a pas toujours raison, ce n’est pas pour autant qu’il a forcément tort.

On accuse couramment les supposés « populistes » d’abuser de l’argument du « Tous pourris ! ». C’est vrai que cette analyse de la classe politico-médiatique est un peu basse de plafond. Mais cette rengaine n’aurait aucun impact si nos élites ne prouvaient pas chaque jour que, pour elles, le peuple est tout pourri.[/access]

Bourdieu, Carles, Pinçon, qui a écrit ça ? Help !

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En faisant les antiquaires, je suis tombé, chez un bouquiniste, sur les pages dactylographiées et quelque peu jaunies d’un texte intéressant, teinté d’une violence contenue. Impossible d’en connaitre l’auteur et le vendeur n’a pas pu m’éclairer sur ce point. Le passage me rappelle que la sociologie est peut-être un sport de combat, que les chances sont décidément inégales à la naissance et que les privilèges de classe, de caste et de bandes se perpétuent, toujours, sans fin. Je lis et relis encore mais pas moyen d’identifier l’auteur qui parle si bien de ce que l’on reçoit en héritage, de ce capital social et culturel qui à la toute fin des fins vous place devant les autres dans les centres de pouvoir et de décision. Voilà ce que ça dit:
« … Il s’agit toujours d’exclure en distinguant, que ce soit dans l’apparence – la marque a remplacé l’habit et la voiture de collection le carrosse -, le langage et une sociabilité fermée. Si Versailles a disparu, les élites vivent toujours dans les mêmes quartiers et se retrouvent entre elles dans des espaces étroits édifiés à l’abri des regards indiscrets : clubs privés, restaurants sélects, cercles de réflexion hérités des salons d’antan, sans oublier les voyages, les chasses, les lieux de villégiature pour happy few où l’on se retrouve entre soi, comme les défuntes aristocraties allaient prendre les eaux. Les dirigeants s’y croisent, se parlent, s’échangent des services, des informations dont le commun des mortels est dépourvu, dans une promiscuité inconnue des grandes démocratie fédéralistes, comme l’Allemagne. Seule différence notable : la place considérable et récente prise par l’argent et les médi… »

La suite est déchirée. J’ai pensé à Pierre Bourdieu, même à Pierre Carles voire Serge Halimi, comme j’ai interviewé Monique Pinçon (de chez Pinçon et Charlot), sociologue des riches, pour On revient vers vous je lui ai immédiatement demandé si ce texte était d’elle, mais non. Le paragraphe en question m’a également fait penser à ce qu’on peut lire chez Cycéron, mais il est blogueur. Bref, ces quelques lignes me plongent dans une certaine perplexité d’autant qu’elles auraient pu être écrites récemment par un de ceux qui ont manifesté devant le Crillon, juste avant un dîner du Siècle, pour dénoncer ce qu’ils estiment être une collusion des élites politiques et économiques et certains hauts représentant des médias traditionnels. A mon avis, ce texte émane d’un courant de pensée aguerri dans la critique des élites mais à vrai dire, je n’en sais pas davantage, peut-être est-ce tout simplement, la page d’un mémoire de socio…

Si vous avez une idée, donc, n’hésitez pas

On achève bien les homos

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Au sein de l’ONU, l’Assemblée générale se subdivise en commissions. La troisième, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, se déclarant « consciente de l’importance de prévenir, de combattre et d’éliminer les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » serait selon un communiqué des Nations Unies du 14 novembre « demeurée néanmoins profondément divisée par une référence à l’orientation sexuelle dans un projet de résolution ». Ladite résolution, répondant au doux nom de L.29/Rev.1, mentionnait depuis 2000 à l’alinéa b de son article 6 la « discrimination notamment fondée sur les préférences sexuelles ». Elle est revotée sans broncher tous les deux ans -ou plutôt, elle l’était jusque là.

En effet, sur proposition insistante du Groupe des Etats d’Afrique et de l’OCI, un amendement a été adopté à une majorité écrasante pour supprimer cette référence impie et la remplacer par « discriminations, quel qu’en soit le fondement ». Les rédacteurs ne manquent pas d’humour.

Gays, lesbiens, trans… et aveugles

Bizarrement, les confrères ayant évoqué la question, et surtout les principaux intéressés, font une curieuse lecture de l’épisode.
Ainsi Christine Le Doaré, présidente du Centre Gay, Lesbien, Bi et Trans de Paris, impute-t-elle la responsabilité de la décision… aux évangéliques américains, dont on se demande quand ils auraient rejoint l’OCI et depuis quand ils imposeraient leur loi au Maroc et au Mali, qui ont présenté l’amendement. Voilà en en effet le compte-rendu des débats tel qu’il est presenté sur le site de l’ONU :
« La représentante du Maroc, au nom de l’Organisation de la Conférence islamique (…) s’est dite troublée par les tentatives visant à se concentrer sur des droits individuels spécifiques et a réaffirmé que la notion d’orientation sexuelle ne devrait pas figurer dans ce texte. La communauté internationale devrait, selon elle, éviter une interprétation sélective de certains droits de l’homme. Cette situation pourrait entraîner un précédent dangereux. L’OCI continuera de protéger la notion de famille en tant que noyau fondamental de la société. »

Ses défenseurs avaient un argument de poids, compréhensible du point de vue de la richesse de la variété culturelle : il n’existe pas d’accord international sur cette « notion » ! Ils ont donc suggéré d’en traiter à l’occasion d’une réunion intergouvernementale. Promis, en 2012 le monde entier reconnaîtra dans les fondements un lieu commun à diverses sexualités. Et cette notion étant admise comme internationale et transculturelle, les homosexuels ne seront plus l’objet de persécutions, exécutions et assassinats en Iran (où, selon les déclarations de Mahmoud Ahmadinejad, ils n’existent tout simplement pas et ne sont donc pas pendus), au Sénégal, au Cameroun, en Irak, en Egypte, en Arabie Saoudite, en Ouganda…

Les délégations occidentales et notamment la Finlande, la France et la Suisse auraient exprimé leurs regrets. C’est très gentil. Surtout après avoir voté oui.

Montebourg : j’y vais ou j’y vais pas?

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Je crois qu’Arnaud souhaite que je le rejoigne. Peut-être souhaite t-il faire de moi son futur Premier ministre… Ou que, plus modestement, j’entre à son service comme nègre (pour faire plaisir à M. Guerlain) ou plume (pour exciter DSK). Ou, encore plus humblement, que j’accepte de devenir rédacteur en chef du bulletin d’information du conseil général de Saone-et-Loire.

Mais, c’est sûr, il essaie d’attirer mon attention. Vous ne me croyez pas ? Mais c’est que j’ai plusieurs indices ! Arnaud a fait acte de candidature à Frangy-en-Bresse dans le 71 ! Or, je suis né en 71. Et je suis souvent passé en voiture à Frangy-en-Bresse, village très calme en dehors des jours comme ce samedi, où le nombre de caméras dépasse de peu celui de poulets et de beaucoup celui des habitants. Je reconnais toutefois que si j’y suis passé, jamais l’idée saugrenue de m’y arrêter n’a traversé mon esprit. Léger comme indice ? Mais ce n’est pas tout ! Je suis né en 71 mais plus exactement le 20 novembre, un samedi. Or c’est bien hier, samedi 20 novembre qu’Arnaud a avoué à la France son envie d’elle.

Coïncidences ? Mais que vous faut-il donc ? Arnaud m’envoie des signes idéologiques. Qu’écrivé-je ? Des signes doctrinaires ! Il souhaite baser sa candidature sur le thème de la « démondialisation ». Il explique que « économiquement et écologiquement, la mondialisation est un désastre car elle survalorise l’exportation. Il faut donc assumer un certain protectionnisme comme un outil pour le développement, au nord comme au sud. » C’est ce que je me tue à écrire depuis des années. C’est bien simple, on dirait un extrait du tract de campagne de Debout la République aux dernières élections européennes. Arnaud, qui a rejoint Martine, la fille de Delors et la copine de Pascal Lamy, ne peut pas parler mondialisation en de si mauvais termes par hasard.
Bon, maintenant, c’est sûr. Arnaud a entendu parler de moi. Ce que j’écris lui plaît. Et il souhaite m’attirer dans ses filets politiques. J’en suis tout chose. Face à cet entrain, je ne peux me dérober. Je me dois d’apporter, publiquement, une réponse à de telles avances.

Arnaud, tu es sur le bon chemin. Mais il te reste à parcourir de la distance :
1 – Abandonne tes obsessions de VIe République, on y est déjà ! La Ve du Général est morte depuis longtemps. Cohabitations, quinquennat et Nicolas Sarkozy ont déjà eu sa peau.
2- Le protectionnisme, c’est bien. Redonner à ton pays le pouvoir de battre monnaie, c’est mieux.
3 – Enfin, si tu es vraiment le jeune lion que tu dis, oublie cette pantalonnade de primaires, présente-toi directement aux suffrages du peuple tout entier.
Là, on pourra éventuellement commencer à boire un verre. Du Jura, sur un poulet de Bresse.

Amitiés.

PS (ça ne s’invente pas) : Si ça se trouve, Arnaud n’a aucune idée de mon existence et je vais avoir l’air d’un con. Tant pis. C’est dit.

Contre de Gaulle

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Il semblerait que la gaullomanie – cette idéologie reposant sur l’idée que de Gaulle est un demi-Dieu, non seulement un grand homme d’Etat, mais aussi un grand moraliste, un grand écrivain et même un type rigolo comme tout – ne puisse désormais que refluer, écrasée sous le poids de ses affabulations. Ses partisans se contentent de brandir des idées générales ou des slogans propres à flatter ce goût pour l’exaltation sous l’empire duquel chacun d’entre nous est prêt, à différentes périodes de sa vie, à faire n’importe quoi. Les opposants du Général, eux, ont toujours invoqué des faits, sanglants pour la plupart. Le plus brillant de ces opposants fut Jacques Laurent, dont le Mauriac sous de Gaulle est un bijou de vérité, d’ironie et de courage.

Mythomanie sanglante

La postérité du gaullisme risque ainsi d’être contrariée par le souvenir des victimes qui jonchent sa route. Et c’est par le roman – quoi de mieux qu’un roman pour rendre compte de la réalité ? – que cette mythomanie sanglante est écornée aujourd’hui.

Les écrivains parfois écrivent de manière parallèle sans s’en rendre compte, évidemment : ce n’est qu’à la publication qu’on s’aperçoit par exemple que deux romans sortis en même temps ont pour cadre principal le mois d’août 1962, et un sujet commun : la trahison.

Dans Je ne vous oublie pas, (Cherche-Midi), Emmanuel Sabatié fait resurgir du néant les supplétifs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Son roman commence dans l’atmosphère propre aux périodes dites de « libération », que l’auteur restitue à merveille et qui donne d’emblée au récit une dimension universelle. Un harki cherche à gagner la France avec sa femme et ses deux enfants. Il n’est pas possible d’en écrire plus, car ce roman, que l’on lit d’une traite avec la sensation d’une douleur physique au ventre, n’est pas de ceux que l’on chronique distraitement avec des mots choisis et élégants. Il rappelle simplement la sauvagerie des hommes dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes, et surtout lorsqu’ils sont encouragés par le pouvoir en place.

Vieil homme cruel

C’est justement le sort de ces supplétifs qui constituent les plus belles pages du roman d’Alice Ferney Passé sous silence (Actes Sud) et qui, parmi d’autres motifs, ont conduit Bastien-Thiry à commettre son geste désespéré au Petit Clamart. Alice Ferney convoque ainsi cette belle figure (sous le nom de « Donadieu »), qu’elle oppose au fameux général au menton mou (« Grandberger », dont la description physique page 60 vaut le détour). Elle n’en rajoute pas : son récit est précis, d’une objectivité que ne renierait pas un historien pointilleux. De Gaulle n’est pas dénué de qualités : indifférent au danger physique, par exemple.

Mais cette confrontation à distance entre Grandberger « vieil homme cruel » et Donadieu « l’homme d’exception » n’est pas à l’avantage du premier et éclaire toute la période, bien mieux que cinquante ouvrages universitaires sur la guerre d’Algérie. Elle nous rappelle par exemple que l’armée avait vaincu la sédition, rendant ainsi possible toutes sortes de solutions, y compris éventuellement l’indépendance sans les massacres.

Il présente l’intérêt, aussi, de nous restituer le vrai Bastien-Thiry : ce n’était pas un « activiste » (terme bien commode pour fusiller les gens en insultant vaguement leur mémoire), il n’a jamais été membre de l’OAS, on ne lui connaît aucune opinion politique (sauf peut-être gaulliste, justement). C’était un des plus brillants scientifiques français, haut gradé, promis à une belle carrière, père de trois filles. Pas vraiment le profil du tueur fascisant que la légende gaulliste (comme ces deux termes, « légende gaulliste », vont bien ensemble !) a colporté.

Ces deux écrivains prouvent ainsi la supériorité, parfois, du roman sur d’autres formes d’écritures : les historiens se perdent en nuances ou même, dans le cas des harkis, ont carrément déclaré forfait.

Peut-être est-il enfin temps de laisser le Général à ses procès truqués, à sa justice aux ordres, à sa cruauté d’avoir livré aux bourreaux des Algériens qui avaient cru à ses promesses, à ses petits matins blêmes où l’on fusille à la sauvette, à son Paris outragé et à son Québec libre.

Je ne vous oublie pas

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Passé sous silence

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Les infortunes d’un mot

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Hotel du Nord

Hotel du Nord

Tout cela n’est pas très sérieux. Voilà un mot, « populisme », dont les médias dominants se servent pour qualifier aussi bien Sarah Palin qu’Hugo Chavez alors que, si la première devenait présidente des Etats-Unis, il est probable qu’elle enverrait illico presto la CIA organiser un putsch, assassiner le leader bolivarien et plus si affinités. On pourra toujours parler de rivalité mimétique entre populistes, qu’on me permette, pour une fois, de douter de la pertinence de la grille de lecture girardienne.

En France, les mêmes médias emploient désormais cet adjectif − qu’ils connotent forcément de manière péjorative − pour Le Pen père et fille d’une part et pour Mélenchon de l’autre. Or, à moins de faire de « populiste » le synonyme de « bon orateur », trouver quelque chose de commun entre le Front national et le Front de gauche relève de la mauvaise foi, ou plus exactement de cette foi très post-moderne (Furet est passé par ici) que tout désir de changement de société s’appuyant sur le peuple finit nécessairement en totalitarisme, ce qui disqualifie tout discours de transformation.

Le mot « populisme », comme « patrie » et, ces temps-ci, « laïcité », est la victime d’un grand hold-up sémantique effectué par une droite dure, conservatrice et parfois ethniciste sur des notions qui appartenaient auparavant à la gauche et constituaient même l’ADN de la République et des mouvements d’émancipation. [access capability= »lire_inedits »]

Le populisme, en tant que courant politique, apparaît aux Etats-Unis. On se rapportera à la somme d’Howard Zinn sur la question, Une Histoire populaire des Etats-Unis, où il rappelle qu’il y eut toujours une résistance au big business dans le pays de la libre-entreprise. Il cite notamment la plateforme électorale du People’s Party en 1892 : « La corruption domine l’élection, les législatures, le Congrès, et effleure l’hermine des magistrats. Les journaux sont subventionnés ou étouffés. Notre travail perd sa valeur, la terre se concentre dans les mains des capitalistes. Les ouvriers ne peuvent pas se syndiquer, des travailleurs importés font pression sur les salaires, le produit du labeur de millions est volé pour édifier de colossales fortunes. » Quant on sait, en plus, que le People’s party, notamment dans le Sud, était un parti interracial, il devient un peu compliqué de le classer dans la droite de l’époque. On voit en même temps d’où a pu venir le malentendu : la dénonciation des petits contres les gros, le thème de la corruption, l’antiparlementarisme vont aussi devenir les thèmes d’une certaine extrême droite et notamment, pratiquement à la même époque en France, du boulangisme.

Le populisme littéraire est un humanisme

Pourtant, le terme « populisme » est encore, chez nous, au moins dans le domaine de la littérature, dénué de tout sous-entendu suspect. Savez-vous que l’on remet chaque année en France, depuis 1929, un Prix du roman populiste ? Et il n’a pas été remis à Marine Le Pen pour une autofiction ou à Jorg Haider pour son journal posthume dans les backrooms de Carinthie. Non, si l’on regarde le palmarès, on voit qu’il est resté fidèle à sa vocation première telle qu’elle est définie dans les statuts : récompenser « un roman qui met les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ».

Le populisme littéraire est, pour paraphraser Sartre, qui a reçu ce prix en 1946 pour son recueil de nouvelles Le Mur, un humanisme. Il rejoint en cela le populisme des narodniki russes, ces étudiants du XIXe siècle qui, lassés des conventions bourgeoises, de la bulle artificielle dans laquelle ils vivaient, allèrent à la rencontre du monde paysan et tentèrent de fonder, sans trop de succès, un socialisme agraire. Il s’agit pour le roman populiste d’en finir soit avec l’ignorance pure et simple du peuple dans la fiction littéraire, soit avec la confusion plus ou moins consciente entretenue par les romanciers « réactionnaires » entre classes laborieuses et classes dangereuses. Pour un Victor Hugo ou un Zola, au XIXe siècle, qui font du peuple un objet d’étude et expriment le désir de le voir s’émanciper, combien de Paul Bourget  et d’autres noms heureusement oubliés qui furent d’efficaces chiens de garde ne s’intéressant qu’aux émois chlorotiques des jeunes filles en dentelles ?

Le roman populiste n’a jamais eu les faveurs, non plus, du Parti communiste, contrairement à ce que l’on aurait pu croire. Cette littérature se refuse en effet à envisager le peuple comme une classe sociale mais davantage comme un personnage, ou même une personne. Pas d’idéalisation, seulement le désir de connaître, de comprendre, de donner une égale dignité au chagrin d’une ouvrière et à celui d’un jeune dandy, non pas parce qu’elle est ouvrière mais parce qu’elle participe d’une égale humanité et a aussi droit de cité dans l’imaginaire d’une nation.

La liste des auteurs lauréats du Prix du roman populiste se joue d’ailleurs des clivages politiques. Le premier à être couronné est Marcel Aymé. On sait à quel point celui-là fut rétif à tous les embrigadements et fut même classé dans la droite littéraire de l’après-guerre parce qu’il marqua un certain écœurement devant une épuration qui avait tendance à s’acharner sur ses confrères plutôt que sur les responsables de la collaboration économique.

D’autres, en revanche, furent plus clairement de gauche, comme Eugène Dabit et son Hôtel du Nord (« Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » ou le scandaleusement oublié Louis Guilloux, l’auteur du Sang noir, qui resta un « nietzschéen de gauche » jamais tenté par le communisme, sans doute parce qu’il avait accompagné Gide lors de son fameux voyage en URSS. Plus récemment, le Prix populiste fut capable aussi de décorer Bernard Clavel, compagnon de route du PCF récemment décédé, et Denis Tillinac, gaulliste old school qui, précisément, comme tout vrai gaulliste, a, au fond, la « fibre popu ».

Ce détour par la littérature semble décidément indispensable en cette période où le mot « populisme » est devenu synonyme d’une instrumentalisation du peuple et de ses pulsions alors qu’il fut, avant tout, l’expression d’un beau souci, (beau parce que non dogmatique) pour tous ces abonnés absents d’une histoire et d’une actualité officielles, calibrées par les classes moyennes et pour les classes moyennes.[/access]

Villepin, fenêtre sur cour

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Dominique de Villepin se présente comme le chevalier blanc de la politique, au cœur purifié de toutes les scories courtisanes, entièrement dévoué à servir la France avec honneur, loyauté et panache gaulliste. Il ne s’est pourtant pas privé, ces jours-ci, d’agir en parfait « homme de l’occasion » pour reprendre les termes de Balthazar Gracian. La parution de son dernier livre, De l’esprit de cour, la malédiction française, combinée par ses piques oratoires à l’encontre du Président, lancées le dimanche 7 novembre sur l’antenne d’Europe 1, tombaient à pic.
En soutenant que l’esprit de cour est à l’origine du blocage de la société, de l’essoufflement général du pays et de la corruption du régime politique, puis en accusant Nicolas Sarkozy d’être aujourd’hui « un des problèmes de la France », Dominique de Villepin a retiré au pouvoir une crédibilité qu’il veut gagner en le critiquant. À la veille du remaniement ministériel, voilà qui n’était pas mal joué. Sa thèse prenait tout son éclat à mesure que le ballet des prétendants agitait fébrilement l’Elysée.

Virus curial[1. Les termes sont de Dominique de Villepin lui-même : précieux un jour, précieux toujours]

Or, l’habileté et l’opportunisme dont fait preuve Dominique de Villepin ne sont-ils pas des qualités qui caractérisent le courtisan avisé ? En disant ce qu’il faut au moment où il faut, ne s’est-il pas tenu « au centre de l’occasion », comme ferait un parfait homme de cour, qui saurait profiter de l’inconstance, des humeurs et de la contingence du sort pour être certain de plaire et de s’attirer la faveur populaire ? En effet, à défaut de flatter notre Prince, son ennemi juré, c’est le peuple que Dominique de Villepin tente de courtiser en prenant bien soin de dissimuler son intention sous le paravent de la satire.
Et pour couronner cette stratégie, tout s’est passé à quelques jours de la commémoration du quarantième anniversaire de la mort du Général De Gaulle, envisagé par l’intéressé comme contre modèle idéal du sarkozysme. Voilà qui lui donne des gages d’assurance pour se présenter comme l’homme providentiel qui vivifierait à nouveau l’esprit républicain étouffé actuellement par l’esprit de cour.
Mais penchons-nous sur ce « virus curial », jugé par Dominique de Villepin comme « une spécificité française constamment à l’œuvre au cœur du pouvoir ». L’auteur prend la cour comme « fil d’Ariane » pour voyager dans un passé, comparé, si on file la métaphore jusqu’au bout, à un labyrinthe. Et là, la perplexité gagne. N’est-ce pas surprenant pour se diriger dans le labyrinthe du passé d’utiliser la cour, qui est elle-même un véritable labyrinthe où chacun simule pour mieux dissimuler et guide pour mieux égarer ?

Comme le courtisan, la cour présente deux faces. L’une artificielle et apparente cache l’autre, nuisible et invisible.
Dominique de Villepin montre comment, grâce à cette duplicité, la cour fait croire qu’elle renforce le pouvoir alors qu’elle conspire contre lui. Vue du dehors, la cour apparaît comme l’instrument du pouvoir. Mais en réalité, la cour verrouille tout de l’intérieur tandis que du dedans, elle exerce sa capacité de nuisance et devient moins le lieu où l’on paraît qu’un foyer où l’on manigance contre le pouvoir en place, le mécanisme des passions aidant à alimenter la sédition des courtisans humiliés.
Cour monarchique, cour impériale, pour Villepin, la cour se métamorphose selon la nature des régimes, mais son fonctionnement oligarchique reste foncièrement le même.

Un diseur de vérité

Se drapant dans les habits de Ruy Blas, Dominique de Villepin prend plaisir à décrire le climat perpétuel de guerre froide, où les courtisans donneraient les apparences de servir l’intérêt général pour mieux se servir eux-mêmes et évincer leurs rivaux potentiels en se fourvoyant dans un cortège de coups bas, d’intrigues et de complots. Avec la démocratie parlementaire, la cour se désincarnerait mais ne perdrait pas en influence. Bien au contraire, en se masquant, en devenant une sorte de société secrète, qui prospèrerait entre le monde des affaires et le monde du pouvoir, son influence se répandrait plus facilement. Ainsi, comme le phoenix, la cour ne meurt jamais, elle renaît de ses cendres et se survit dans l’esprit qui l’anime.
En apparence, Dominique de Villepin se présente comme un diseur de vérité qui ose nommer le mal qui ronge la France et que les élites s’évertuent à dissimuler.
En réalité, dans les plis et les replis de sa critique et de l’éloge adressé aux hommes illustres, se glisse son propre sacre. En filigrane de son analyse historique, il ne cesse d’affirmer sa différence avec l’actuel Président et établit in fine sa propre légitimité présidentielle.
Dominique de Villepin ne manque à aucun moment de souligner le gouffre qui le sépare du « Premier des courtisans » : Nicolas Sarkozy lui-même et sa vision d’un pouvoir aimé pour les effets de plaisir et de gloire qu’il procure. Pour Villepin, l’ode au Général De Gaulle, le culte voué à l’idéal d’indépendance et de fidélité représente autant de manières de dessiner en creux son autoportrait.

Mise en scène

Dans le passage consacré au Général, résonne son discours de l’ONU où, en plaidant l’opposition à la guerre en Irak, il s’affirme comme le gardien de l’indépendance de la France, tout en marquant bien la séparation avec Nicolas Sarkozy, relayé au statut de vil laquais à la solde de l’Empire Américain.
Ainsi l’esprit gaulliste animerait le verbe villepiniste et inversement.
Le sursaut républicain que Dominique de Villepin appelle de ses vœux, au début et à la fin de son livre, voudrait être aussi une façon de s’inscrire dans la droite ligne de l’appel gaulliste, c’est à dire à refuser le fatalisme tout en se présentant comme celui qui serait porteur d’un grand projet collectif capable de guérir la France de cette fameuse tumeur « curiale ».
Tombée de rideau !
Villepin, en affirmant que le propre du courtisan moderne, est « qu’il n’est plus identifié comme tel, ce qui le rend encore plus redoutable car il avance masqué », finit donc par se trahir lui-même. A travers cette séduisante mise en scène, c’est lui qui finit par apparaître comme l’archétype du courtisan.
Parce que tout de même, il ne faudrait pas oublier que l’ « esprit villepiniste » s’incarne lui aussi banalement dans un système politique et que si l’homme est un féru d’histoire, il parle, tout d’abord, en tant que chef de parti politique soumis, comme tous les autres partis, aux dérives courtisanes.

« Y’a pas que de la pomme… »

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C’est le site web de Paris Match qui nous l’apprend cette semaine : manger régulièrement des pommes pourrait réduire le risque de fracture osseuse. Et si l’on n’est pas forcé de croire tout ce qu’on lit chez le coiffeur, on peut raisonnablement se fier à la source d’origine de l’info, à savoir l’American Journal of Clinical Nutrition. L’étude à l’origine de ce scoop, menée par des chercheurs de l’université McGill de Montréal, attesterait que manger des fruits et des légumes – et singulièrement des pommes – rend le squelette plus solide; accessoirement, les résultats sont, c’est injuste mais c’est comme ça, encore plus probants chez les femmes que chez les hommes.

Hélas, nos honorables chercheurs québécois n’ont toujours rien trouvé sur une éventuelle corrélation entre l’ingestion de pommes et la réduction de la fracture… sociale cette fois-ci. La réduction de la « fracture sociale », écho vintage des temps anciens… Encore un gimmick électoral chiraquien des années 90 qui ne se vérifiera pas…

A trop vouloir réduire les « fractures », un jour ou l’autre, d’ailleurs, on tombe sur un os. La sombre affaire du mystérieux embrasement spontané de l’autobus de Karachi le démontrera peut-être…

Pour oublier Dantzig, lisez Martinez !

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Dandy de foires du livre se rêvant Truman Capote – un Truman Capote sans De sang froid, sans Marilyn et sans poudre blanche -, Charles Dantzig est un pédant ridicule comme Philippe Besson avec lequel il partage les lunettes, la coupe de cheveux et le statut de directeur de conscience pour Marc-Olivier Fogiel et Claire Chazal. Il est donc d’autant plus intéressant de rappeler que Dantzig fit son apparition, au début des années 90, dans L’Idiot International, le gueuloir très foutraque de Jean-Edern Hallier. Un peu en vue entre les signatures de Patrick Besson, Gabriel Matzneff et Marc-Edouard Nabe, Dantzig évoque rarement cette époque, sauf pour décréter qu’il imposa Houellebecq dans les colonnes de L’Idiot.

Dantzig, cette « tête de mort »[1. Selon le mot très juste de Guy Debord dans Cette mauvaise réputation]…

Dantzig est toujours cet arriviste – genre Séguéla appointé par Grasset – qui cherche les signes extérieurs d’un pouvoir minuscule. Quand la mode est aux dictionnaires, il torchonne le plus gros de tous. Son Pavé égoïste de la littérature épate les bobos et les babas. C’est rempli de bêtises sur Blondin, Céline, Bloy, Montaigne entre autres. Et l’idée est piquée, de loin, à Jacques Brenner et Kleber Haedens et, de près, à Hallier qui publia jadis en feuilleton un Dictionnaire injuste de la littérature.
Après les dictionnaires, les Miscellanées se multiplient. Dantzig récupère ses listes de courses, recopie quelques carnets et griffonne à vue une Encyclopédie capricieuse du tout et du rien de presque mille pages que personne ne lit – au mieux, elle est feuilletée avant de faire très mal en tombant. A l’occasion, Dantzig fait office de guide touristique du 7e arrondissement parisien, cite des titres de romans en VO et parle de quelques écrivains, certes trop oubliés : Frédéric Berthet, Remy de Gourmont ou Jean de la Ville de Mirmont. Paul Gégauff l’intéresse aussi mais sent trop le soufre. Dantzig se veut sur les photos de famille mais il n’ira pas jusqu’à se griller avec les grands cramés. Son Pourquoi lire?, défense d’un insipide art de la lecture, en apporte une nouvelle illustration. Pose et prose de curé en chaire, c’est un livre pompier qui n’allume aucune mèche. Des simagrées sur Duras, Gérard de Villiers moqué, Proust lu dans l’herbe et c’est tout. Auteur cuculte, Dantzig lorgne du côté des stylistes cultes, ce qu’il n’est pas. Contrairement à Paul-Jean Toulet.

Martinez, l’anti-Dantzig

Toulet, à orthographier Too Late comme lui-même aimait le faire, est un des personnages d’ Aux singuliers – Les excentriques des Lettres de Frédéric Martinez. Avec d’autres sacrés numéros parmi lesquels le fou en exil mexicain Artaud, l’ombrageux Malherbe, l’aventurier Malraux ou Henry IV amoureux fou de Charlotte de Montmorency comme Nerval l’était de la comédienne Jenny Colon.
Pas étonnant que Martinez, dans ses ouvrages précédents, se soit intéressé à Jimmy Hendrix et Claude Monet et que les Cartes postales de Henry Jean-Marie Levet, le « diplomate globe-trotter », ne quitte jamais sa poche.

Martinez, c’est l’anti-Dantzig : chez lui, rien ne pèse et tout cogne aux carreaux des sens. Son Prends garde à la douceur des choses, en 2008, était déjà une merveille de braconnages élégants sur les pas de Toulet. Et Martinez, à travers quelques pages de ses Excentriques, ne lâche pas les semelles du poète des Contrerimes qui, dans une des lettres à lui-même qu’il se postait des quatre coins du globe, écrivait : « Ce que j’ai aimé le plus au monde, ne pensez-vous pas que ce soit les femmes, l’alcool et les paysages ? »
Toulet, c’est cet homme de 53 ans qui, à Guéthary, se promène au bord de l’océan, regardant en face le soleil et la mort. Il se souvient des nuits enfumées de Paris avec Curnonsky et Léon Daudet, des aubes éthyliques en Alger et sur l’île Maurice, des fusées allumées dans le gras de pavés à l’eau de rose écrits pour monsieur Colette, le sieur Willy, et de quelques silhouettes dont la grâce flirte avec son soufre au coeur. J’aime les filles : chanson de Dutronc et, dixit Frédéric Martinez, écho de la vie pressée, des passions de Toulet.
Les filles, héroïnes de joie et de tristesse, sont en effet les grains de beauté sur la peau douce des mots de Toulet. Dans ses romans – Mon amie Nane, La jeune fille verte -, dans ses contes légers comme des volutes de blondes – Touchante histoire de la jeune femme qui pleurait, que réédite L’Arbre vengeur – et dans ses poèmes à offrir sans fin à la plus délicate des apparitions :

« Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
Ne riez pas trop haut.
»

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Zemmour sur RTL: les petits jaloux du Grand Journal

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Jeudi soir, Michel Denisot conviait à son Grand Journal, les dirigeants de RTL, Radio France et de RMC afin de commenter avec eux les derniers résultats d’audience de leurs stations respectives annoncées le matin même par Médiamétrie.

Christophe Baldelli, qui préside aux destinées de RTL, est interrogé par Denisot sur les bons résultats de la mère des tranches horaires, la matinale. Il répond qu’ils sont notamment provoqués par l’arrivée de deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15 et d’Yves Calvi à 8h15.

Mais Baldelli, juste après qu’il a prononcé le mot « Zemmour », est coupé par un Baddou qui sur un ton, mi-rigolard mi-méprisant lance « Une belle ! ». Le chroniqueur continue de ricaner et Massenet embraye: «Zemmour, vous avez eu peur, quand même ?![1. On était dans l’exclamation tout autant que dans l’interrogation]». Baldelli ne se démonte pas tandis qu’Aphatie se cache pour rigoler :«Peur de quoi ?». « Peur des excès, des dérapages ![2. Là, on est davantage dans l’exclamation que dans l’interrogation]» Christophe Baldelli explique que les études qualitatives ont démontré que l’argumentation à base de références historiques était appréciée des auditeurs de la station. «Mais vous, personnellement !», relance Baddou. «Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup ». « Vous pourriez faire de la politique», conclut Denisot.

Décryptage.

Baldelli – […]deux belles signatures, celles d’Eric Zemmour à 7h15…

Baddou – Ha, ha,ha, de la merde en branche, oui ! Ha, ha, ha

Baldelli – …et d’Yves Calvi à 8h15.

Massenet – Mais vous êtes foldingo, ou quoi ?

Baldelli – Mais, pourquoi donc ?

Massenet – Ce type est le Diable en personne, et vous lui donnez un micro, espèce d’irresponsable !

Baldelli – Mais nos études prouvent que ce qu’il dit est apprécié par nombre de nos auditeurs.

Baddou – Oui mais vous, vous n’appréciez, pas ! Dites le ! Je ne peux pas croire que vous appréciez le Démon comme tous ces gens !

Baldelli – Je tiens à ce que diverses pensées, sensibilités, puissent être représentées sur RTL. J’y tiens beaucoup.

Denisot – Ah on sait bien que vous pensez comme nous, espèce d’hypocrite ! Vous faites ça pour le fric, c’est tout.

Baddou et Massenet – Ha, ha, ha. Expie ! Expie ! Tu aimes flirter avec le Malin ! Expie !

Aphatie – Hi, hi, hi (mes copains ont raison mais je peux pas le dire).

Voilà donc le véritable sens de cet échange. Baldelli a de la classe. D’une part, il a assumé son choix. Il a dit à quel point il avait fait une bonne affaire en recrutant Zemmour dont les analyses sont appréciées par un public qui n’avait jusque là que Duhamel (depuis combien de temps, déjà ?) et Aphatie à se mettre sous la dent. La bande de Denisot voulait absolument qu’il expie, qu’il avoue sa faute morale dans le procès cool -mais procès quand même- qu’on lui faisait. Qu’il lâche qu’il n’était pas d’accord, mais alors pas du tout, avec tout ce que disait Zemmour au micro de sa station. Il ne l’a pas fait.

Vous me direz que c’est la moindre des choses puisque c’est lui-même qui a embauché Zemmour et qu’il aurait été plutôt lâche de se comporter autrement. Certes. Mais il l’a assumé d’une belle manière. En insistant sur la nécessité d’un certain pluralisme sur une antenne. Denisot, alors, n’y a vu que du feu en pensant qu’il s’agissait d’une réponse politique. Alors que c’était une flèche acérée qui le visait. Décidément, Baldelli est bien plus intelligent que cette bande de truffes. Chapeau bas, monsieur.

Bon sens ne saurait mentir

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Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !
Vous n'aimez pas Murakami ? C'est que vous êtes populiste !

Bien sûr que le populisme est un fourre-tout. Et qu’on aurait plus de mal à le définir sérieusement qu’à essayer de cerner la philosophie politique de Luc Besson. Ceux qui veulent supprimer tous les impôts ? Populistes ! Ceux qui veulent faire payer les riches? Populistes itou ! Y’a pas comme un problème, là ? On met dans le même sac d’opprobre ceux qui veulent rouvrir les maisons closes et ceux qui veulent criminaliser putes et clients, ceux qui pensent que les fonctionnaires sont tous des charançons et ceux qui exigent que l’Etat crée des emplois pour tous. Ceux qui pensent que l’immigration musulmane est mère de tous nos maux et ceux qui insinuent qu’on voit trop d’Arthur, d’Elie Semoun ou de Gad Elmaleh à la télé. Et ainsi de suite…

Bref, le populisme, contrairement au fascisme ou au naturisme, est une fiction. S’il existe, c’est essentiellement grâce à ses contempteurs. En conséquence de quoi l’antipopulisme est, lui, beaucoup plus facile à cerner. Et à abhorrer un brin, en en ce qui nous concerne. On s’explique.[access capability= »lire_inedits »]

Tout d’abord pour le mot : parler de « populisme » la bouche en cul-de-poule, c’est décréter que le peuple pue. Que le mot « populiste » ait remplacé le mot « démagogue » en dit long sur l’inconscient de nos éditorialistes favoris, et accessoirement sur leur statut social.

Ensuite pour l’usage : techniquement, pas de procès en populisme viable sans recours systématique à l’amalgame. Vous ne goûtez pas Murakami à Versailles ? Tiens, tiens… Le Pen aussi est archi-contre. Vous réclamez une loi contre la burqa, n’en pinceriez-vous pas pour Geert Wilders ? Vous critiquez le FMI ? Comme les complotistes, non ? Vous préférez Benny Hill à François Ozon ? Hum hum…

Le peuple n’a pas toujours tort

Enfin et surtout, nous supportons mal qu’on nous rabâche que tout ce qui en appelle au bon sens va forcément dans le mauvais sens. Le bon sens, pour mémoire, c’est grosso modo ce que pensent nos mamans ou nos cousins de province (pardon, de région). Ils sont donc populistes quand ils trouvent que, depuis l’euro, tout a augmenté. Que le pognon de la guerre en Afghanistan serait peut-être mieux employé pour relever le minimum vieillesse. Que les députés ne savent pas de quoi ils parlent quand ils causent pouvoir d’achat, retraites ou même radars. Ou bien que ça serait mieux que les mômes apprennent à lire et à écrire avant d’aller en sixième. On peut se contenter d’objecter que c’est plus compliqué que ça. Les mépriser et rester entre soi pour éviter d’être pollué par ce poujadisme moisi qui salit nos semelles. Voire changer le peuple quand les électeurs osent voter non à certains traités européens, alors qu’ils auraient dû dire oui, ces cons.

Nous, on préfère penser que, si le peuple n’a pas toujours raison, ce n’est pas pour autant qu’il a forcément tort.

On accuse couramment les supposés « populistes » d’abuser de l’argument du « Tous pourris ! ». C’est vrai que cette analyse de la classe politico-médiatique est un peu basse de plafond. Mais cette rengaine n’aurait aucun impact si nos élites ne prouvaient pas chaque jour que, pour elles, le peuple est tout pourri.[/access]

Bourdieu, Carles, Pinçon, qui a écrit ça ? Help !

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En faisant les antiquaires, je suis tombé, chez un bouquiniste, sur les pages dactylographiées et quelque peu jaunies d’un texte intéressant, teinté d’une violence contenue. Impossible d’en connaitre l’auteur et le vendeur n’a pas pu m’éclairer sur ce point. Le passage me rappelle que la sociologie est peut-être un sport de combat, que les chances sont décidément inégales à la naissance et que les privilèges de classe, de caste et de bandes se perpétuent, toujours, sans fin. Je lis et relis encore mais pas moyen d’identifier l’auteur qui parle si bien de ce que l’on reçoit en héritage, de ce capital social et culturel qui à la toute fin des fins vous place devant les autres dans les centres de pouvoir et de décision. Voilà ce que ça dit:
« … Il s’agit toujours d’exclure en distinguant, que ce soit dans l’apparence – la marque a remplacé l’habit et la voiture de collection le carrosse -, le langage et une sociabilité fermée. Si Versailles a disparu, les élites vivent toujours dans les mêmes quartiers et se retrouvent entre elles dans des espaces étroits édifiés à l’abri des regards indiscrets : clubs privés, restaurants sélects, cercles de réflexion hérités des salons d’antan, sans oublier les voyages, les chasses, les lieux de villégiature pour happy few où l’on se retrouve entre soi, comme les défuntes aristocraties allaient prendre les eaux. Les dirigeants s’y croisent, se parlent, s’échangent des services, des informations dont le commun des mortels est dépourvu, dans une promiscuité inconnue des grandes démocratie fédéralistes, comme l’Allemagne. Seule différence notable : la place considérable et récente prise par l’argent et les médi… »

La suite est déchirée. J’ai pensé à Pierre Bourdieu, même à Pierre Carles voire Serge Halimi, comme j’ai interviewé Monique Pinçon (de chez Pinçon et Charlot), sociologue des riches, pour On revient vers vous je lui ai immédiatement demandé si ce texte était d’elle, mais non. Le paragraphe en question m’a également fait penser à ce qu’on peut lire chez Cycéron, mais il est blogueur. Bref, ces quelques lignes me plongent dans une certaine perplexité d’autant qu’elles auraient pu être écrites récemment par un de ceux qui ont manifesté devant le Crillon, juste avant un dîner du Siècle, pour dénoncer ce qu’ils estiment être une collusion des élites politiques et économiques et certains hauts représentant des médias traditionnels. A mon avis, ce texte émane d’un courant de pensée aguerri dans la critique des élites mais à vrai dire, je n’en sais pas davantage, peut-être est-ce tout simplement, la page d’un mémoire de socio…

Si vous avez une idée, donc, n’hésitez pas