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God Save the Pape


photo : SabineThole

Deux milliards de téléspectateurs pour le mariage du Prince William et de Kate Middleton, plus d’un million de fidèles pour la béatification du pape Jean-Paul II. Pourquoi ces deux événements ont-ils suscité un tel engouement planétaire ?
Nombreux sont les commentateurs qui se sont empressés d’analyser ces deux cérémonies à travers le prisme du divertissement festif et du calcul stratégique. Buckingham, usine à rêves et le Vatican, usine à croire, auraient instrumentalisé la magie du conte de fée et l’authenticité du miracle pour restaurer popularité et pouvoir.

On aurait donc assisté, d’un côté à un méga raout « pipole » orchestré par la cellule RP d’une monarchie anglaise partie à la reconquête de son opinion, et de l’autre, à une vile manœuvre de l’Église destinée à mobiliser ses ouailles à quelques mois des JMJ.

Quant à la foule, qu’elle ait été agglutinée sur la place Saint Pierre ou devant Westminster, elle ne pouvait être composée que de midinettes écervelées et d’idolâtres superstitieux qui, pour mieux immortaliser le jour J, ont consommé avec frénésie mugs, posters, porte-clefs ou T-shirts à l’effigie de Jean-Paul II superstar ou du couple princier le plus glamour du moment.
Cette foule, amassée pendant des heures, campant deux nuits durant sur place, n’aurait aucune autre aspiration que d’entr’apercevoir un bout de dentelle de la robe de l’heureuse Kate lors de son fugitif passage en carrosse, de cancaner sur les talons vertigineux des Louboutin de Victoria Beckham, ou bien encore de hurler de plaisir à la vue des deux baisers furtivement échangés.

En somme, le monde entier aurait suivi le mariage princier uniquement pour vivre par procuration le conte de fées de Kate la roturière épousant William le prince charmant et assisté à la béatification juste pour éprouver, à l’approche du cercueil du Bienheureux Jean-Paul II, l’extase mystique, telle Sainte Thérèse d’Avila rentrant en transe à la vision du Christ ressuscité.

On dirait qu’il faut absolument accentuer le côté « pipole », commercial et stratégique de ces célébrations pour mieux évacuer leur caractère populaire et spirituel. Biaisée par des a priori insidieux, cette grille de lecture témoigne en effet d’une conception bien méprisante du peuple et, dans la foulée, prend soin d’effacer toute trace de transcendance de la fascination, voire de la communion universelle provoquée par les deux événements.

Il est indéniable que le sacré, monarchique dans un cas, religieux dans l’autre, ont été non seulement mis en scène mais commercialisés. Mais après tout, quoi de plus normal ? Le pouvoir n’est-il pas, par nature, voué à se symboliser pour exprimer sa légitimité ? On peut s’en étonner, voire s’en indigner, mais alors il faut être cohérent et non seulement accepter mais tout faire pour instaurer un système politique fondé exclusivement sur la raison, et dénué de tout rite susceptible de contenir l’émotion spontanée dans un cadre symbolique. Or, un pouvoir sans symbole n’est-il pas comme un roi sans royaume ?

Certes le mariage princier a été fastueux mais est-il juste de le décrire dans la grammaire des paillettes pour VIP, ce qui revient à confondre l’imagerie de la monarchie la vulgarité clinquante et arrogante des nouveaux riches de la planète jet-set ? Faut-il être anti-monarchiste avec la même frénésie que celle que l’on met à être anti-sarkozyste au point de se (et de nous) raconter que le mariage princier a été simplement la VO de l’escapade de notre Président et de sa belle à Eurodisney ?

Oui, le public a frissonné de plaisir devant l’échange des vœux et des deux baisers mais est-ce là suffisant pour expliquer l’enthousiasme mondial ? Ne faut-il pas en chercher la cause ailleurs que dans la fascination ou l’envie pour la richesse matérielle ? Elisabeth II et Philippe d’Edimbourg en 1953, Charles et Diana en 1981, et William et Kate en 2011 : la résonance internationale de ces trois mariages britanniques ne traduit-elle pas autre chose qu’un engouement superficiel et un peu ridicule pour les love stories royales ?

De même que Benoît XVI, à la tête de l’Eglise catholique, est le médiateur entre le ciel et la terre, Elisabeth II, chef de l’Eglise anglicane et du Commonwealth, assure la jonction entre le passé et l’avenir. Ces deux monarchies, l’une spirituelle, l’autre temporelle, savent bien l’importance de la Pourpre et du rite pour rendre visible cette part de sacré, fondement immatériel d’une communauté qui précède et survit à l’individu et qui fait que la vie de chacun de nous ne se résume pas, que l’on soit ou non croyant, à son passage sur terre ? Dans un monde où tout est consommable, périssable et instantané, cette part de sacré agit comme une bouffée d’oxygène, libérant la condition humaine de sa finitude.

Ce n’est pas pour en rajouter dans le folklore qu’un Lancaster, un Spitfire et un Hurricane survolèrent le Palais ou que le Prince William salua la stèle des anciens combattants.
Ces trois avions mythiques de la Royal Air Force, qui ont remporté la bataille d’Angleterre et contribué à libérer l’Europe du joug nazi, n’ont-ils pas fait battre le cœur de ce Canadien, de ce Néo-zélandais ou de cet Australien venus de l’autre bout du monde pour assister au (premier) « Mariage du siècle » ?

Leur grand-père était peut-être l’un de ces jeunes qui, à 19 ans à peine, est allé se battre au coté des Anglais, des Américains, de tous ces soldats venant des colonies anglaises, et dont les descendants étaient peut-être juste là, à ses côtés, pour rendre hommage à cette couronne britannique qui a fait preuve d’une ténacité héroïque remarquable dans les moments les plus sombres de l’histoire mondiale. Alors si ces « Anglo-saxons » – terme qui est curieusement devenu injurieux – étaient présents dans la foule, ce n’était pas seulement pour tweeter au moment de cet « amazing and royal kiss », mais pour ressentir le lien qui les rattache à cette communauté de valeurs incarnée par la couronne britannique et par la famille royale.

Oui, j’ai aimé la Parade, comme des millions de mes semblables, parce qu’elle incarnait des valeurs aussi immuables que la fidélité, l’espérance, le courage ou encore la beauté. Pourquoi, pour une fois, ne pas reconnaître que l’homme est à la fois bête et ange et que sa propension à la médiocrité, la facilité ou la bassesse ne fait pas disparaître sa soif d’absolu et de grandeur ?
En France, la dernière manifestation de ferveur collective a été l’adoration du ballon rond. La Grande-Bretagne et le Commonwealth eurent le mariage de William et Kate. Illusions ? Peut-être. Mais on ne m’empêchera pas de penser que ces illusions contiennent bien plus de vérité que toutes les certitudes assenées avec supériorité par ceux à qui on ne la fait pas.



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