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Quand l’orfraie effraie


photo : Vincent Mesure

Je suis de plus en plus préoccupé par la haine des orfraies qui sévit dans Causeur dans l’indifférence générale – y compris celle de l’Observatoire des ornithophobies. Si mon inquiétude à l’endroit de ce noble oiseau vous semble manquer de mesure, vérifiez par vous-même : tapez le mot « orfraie » dans le moteur de recherche interne de Causeur. Le résultat est stupéfiant : neuf pages de réponses ! Quatre-vingt-un articles reprochant à la gauche de pousser ses « éternels » ou « rituels » « cris d’orfraie » ! Pourquoi l’indignation perpétuelle contre l’indignation perpétuelle doit-elle toujours voler dans ces plumes-là ? La gauche ne mérite-t-elle aucun autre nom d’oiseau ?[access capability= »lire_inedits »]

La haine ignore ce qu’elle hait

La haine, comme de coutume, ignore qui elle hait et se repaît de l’ignorance. Amis causeurs qui rouez l’orfraie à toute heure, je vous en prie, consentez à la rencontrer enfin véritablement. Faites une trêve. Croisez pour la première fois son regard, avec confiance. L’orfraie est un grand aigle noir à tête blanche, un généreux rapace qui ne ferait pas de mal à une mouche, ni même à un homme. Vivant humblement de sa pêche, elle pratique l’ichtyophagie la plus stricte, la plus scrupuleuse. C’est un oiseau diurne qui n’a rien à dissimuler ni à se reprocher. « Orfraie » est le nom que portent deux cousins aussi honnêtes qu’inoffensifs : le pygargue (Haliaeetus leucocephalus) et le balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus). Mais voici, surtout, entendez : aucun cri strident n’a jamais franchi le bec de l’orfraie. Aucune indignation outrancière n’a jamais gonflé son poitrail. Chastement, elle se refuse à donner dans les simagrées narcissiques. D’entre tous les oiseaux, l’orfraie a toujours été le moins chicanier.

Complice de la haine ignorante contre l’orfraie, Alexandre Dumas ne craint pas, dans Othon l’archer, de se ridiculiser aux yeux de tous en évoquant le « vol nocturne » des orfraies. Il faut croire que, comme tous les décrieurs d’orfraies, Dumas n’a jamais lu Pierre Belon, le célèbre ornithologue de la Renaissance. Celui-ci savait bien pourtant, dès 1555, que « l’oiseau qui vole la nuict par les villes et faict un cri moult effrayant, nous l’avons nommé une fresaye, ou bien effraye ». Bien que notre langue se plaise à l’oublier, c’est elle la stridente, la hurleuse de cauchemar : l’effraie des clochers (Tyto alba), dite communément chouette effraie ou dame blanche.

C’est l’effraie que vous vilipendez

Vous croyiez haïr l’orfraie : c’est l’effraie que vous vilipendiez. En outre, cette dernière ne pousse pas un seul cri, mais deux fort distincts. Le premier, qu’il est peut-être davantage permis de prêter à la gauche que le second, consiste en un « khrû » ou « khraikh » rauque et répétitif. Il imite aussi admirablement qu’un socialiste français le ronflement du gros dormeur en phase terminale. L’autre, celui dont parle de travers votre expression favorite, est un chuintement terrifique, un puissant, interminable et épouvantable « chhhhhh ». Lorsqu’un homme de gauche exprime devant des caméras une indignation disproportionnée ou factice, il ne s’est encore jamais vu que les journalistes, autour de lui, se soient endormis ou aient déguerpi sous le coup de la terreur. Le gauchiste, convenez-en, n’a donc pas poussé de cris d’orfraie – euh, pardon, d’effraie.

Une ornithophobie peut en cacher une autre. En vous acharnant contre l’orfraie, c’est la longue haine contre l’effraie que vous perpétuez. C’est elle que vous clouez sans vergogne aux portes des granges gauchistes. La chouette effraie est pourtant déjà suffisamment menacée par la méchanceté des hommes et la raréfaction des campagnols (ou l’inverse ?).

Amis causeurs, peut-être avez-vous lu un peu rapidement l’annexe I de la directive européenne « Oiseaux » qui lui assure, depuis 1976, « une protection totale sur le territoire français » sur lequel, je cite de mémoire, il est formellement proscrit « de la détruire, la mutiler, la capturer ou l’enlever, de la perturber intentionnellement ou de la naturaliser, ainsi que de détruire ou enlever les œufs et les nids. »

Faites maintenant la paix avec l’orfraie et l’effraie.

Et que saint François vous pardonne.[/access]

Avril 2011 · N°34

Article extrait du Magazine Causeur



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