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Au bal des vaincus

Les rassemblements festifs Place de la République à Paris au soir de la mort de Jean-Marie Le Pen scandalisent, mais auraient peut-être amusé l’ancien leader de la droite nationale. Paris Match publie une photo de Marine Le Pen en pleurs, puis se ravise.


Au cœur de l’hiver 1793, vos semblables avaient dansé eux aussi. C’était dans les heures qui suivirent la mort du roi. Dansé, braillé et bu tout près de là où vous vous étiez agglutinés hier à la nuit tombée. Devant ce spectacle, je ne pouvais m’empêcher de penser que c’est toujours sur le cadavre d’un être qui les dépasse de beaucoup, que ce ne peut être qu’au soir de la mort d’un grand qu’un vil peuple se met en transes.

D’une certaine manière, sans doute est-ce ainsi que, sans le savoir, vous autres rendez hommage aux disparus d’importance. Bien sûr, on chercherait là en vain une quelconque marque de bon goût. En revanche, l’ardeur est bien là, débordante, échevelée, obscène pour tout dire. 

Votre bal improvisé place de la République et autres lieux à travers le pays n’était en vérité que le bal des vaincus.

Vous avez tenu durant quelques heures le caniveau, il est vrai, lieu qui vous sied à merveille, mais c’est désormais la vision lucide, désenchantée et vraie, ce sont les alertes et les idées de Jean-Marie Le Pen qui tiennent partout en France, ne vous en déplaise, le haut du pavé. En fait, évidence que vous seriez bien incapables de reconnaître, c’est bien sur cette victoire-là, inattendue mais à présent probablement décisive, que vous gigotiez, brailliez, vomissiez votre haine. La haine tonitruante des faibles, des impuissants, des défaits, des révolutionnaires de beuveries et de carnaval.

A lire aussi: Causeur #130: Dix ans après, qui est encore Charlie? N’ayons plus peur!

Ce bal des vaincus aura été, que vous en ayez conscience ou non, le plus trépidant, le plus hystérique, le plus braillard, et donc d’un certain point de vue le plus formidable hommage qui pouvait être rendu au Croisé Le Pen au soir de sa mort. Soyez-en remerciés. Mais si, mais si…

Enfin, danser un soir de deuil n’est pas dans mes mœurs, certes, mais me piquant d’être un défenseur farouche et résolu de la liberté de penser je ne peux me dispenser de l’être aussi de la liberté de danser. Dansez donc jeunes gens. Encore et encore… Là-haut, il me semble qu’il s’en trouve un pour ricaner de plaisir.

Et puis, dans le registre du goût douteux, peut-être faut-il aussi ranger cette photo publiée par Paris Match où l’on voit, dans l’avion qui la ramène de Mayotte, Marine Le Pen en larmes, effondrée. Elle vient d’apprendre le décès de son père. Était-il si opportun, si indispensable de dérober ce moment d’intime détresse ? Est-ce que le plus élémentaire respect qu’on doit à la mort, à ceux qu’elle touche, bouleverse, blesse, n’aurait pas dû tempérer quelque peu la précipitation mise à coucher sur papier glacé cet accès de chagrin[1] ? Le respect, oui. Mais parfois on en arriverait à douter qu’on puisse encore respecter quelque chose en France aujourd’hui. Cela dit, à terme, cet instant d’humanité restera. Cet instant volé qui ne peut que rendre la cheffe politique plus proche de nous, du commun des mortels, qui finalement la créditera de cette proximité qui nous semble si souvent faire défaut à nos élites dirigeantes. Il n’y avait pas urgence, certes. Mais ainsi le veut, dans notre monde d’aujourd’hui, la dictature de l’immédiateté.

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[1] Publiée sur les réseaux sociaux, la photo a depuis été retirée

Peggy Sastre: « Nous avons échangé l’émancipation contre la susceptibilité »

Peggy Sastre fait partie de ces enfants des Lumières qui ont perdu de leur naïveté depuis les massacres de Charlie. Dans Ce que je veux sauver, elle défend un idéal de liberté alliant ouverture et fermeté. Et elle désigne ses ennemis : l’individualisme capricieux, l’identitarisme morbide, l’universalisme dévoyé.


Causeur. Après Charlie Hebdo, vous avez mis un mois à pouvoir sortir de chez vous. Après le 7-Octobre, seulement quatre jours. On s’habitue ?

Peggy Sastre. Je ne dirais pas qu’on s’habitue, mais on développe des mécanismes de survie et c’est bien normal. Ou alors on s’érode, comme une falaise face aux marées ? Après, il y a évidemment la logistique, on finit par sortir parce que le monde ne s’arrête pas, et que la petite famille réclame à manger. Mais chaque retour à la « normale » semble davantage appartenir à une autre époque. La sidération se mue en lucidité et on apprend à vivre dans un monde où la barbarie n’est plus une anomalie.

Vous explorez ce qui s’efface sous nos yeux et qui était l’ADN des sociétés libérales. Qu’est-ce qui distingue l’individu autonome des Lumières et l’individu tyrannique d’aujourd’hui ? Comment l’un a-t-il accouché de l’autre ? Y a-t-il eu un libéralisme heureux ?

Les Lumières voulaient limiter les conflits en donnant à chacun la liberté d’être et de penser différemment, dans le cadre de la raison et de la responsabilité. Cet individu autonome devait coexister sans asservir ni être asservi. Mais aujourd’hui, nous avons glissé vers un individualisme capricieux où la moindre contrariété devient une atteinte insupportable. Un peu comme un préado mal élevé (ou mal appris, comme dirait ma mère) qui exige tout, tout de suite, sans vouloir les responsabilités qui vont avec. Cette dérive vient d’un malentendu fondamental : croire que la liberté est illimitée. Le libéralisme originel savait poser des bornes : ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. Aujourd’hui, l’absence de limites engendre un chaos émotionnel. Il n’y a sans doute pas eu de « libéralisme heureux », mais il y a eu des périodes où l’équilibre semblait possible.

Le libéralisme originel défend l’individu contre la tyrannie du groupe. Pendant longtemps, les nouveaux arrivants en France ont échappé à leur groupe (par exemple les enfants des juifs du shtetl). Mais aujourd’hui, dans les sociétés musulmanes européennes et française, le groupe a repris son ascendant sur l’individu. Et on arrive à ce paradoxe d’un individu capricieux et susceptible, qui exige d’abord qu’on respecte son groupe et ses petites lubies…

Oui, c’est le paradoxe de l’universalisme mal compris. L’idéal libéral proposait de protéger les individus des contraintes de leur groupe. Mais aujourd’hui, l’universalisme se retourne contre lui-même : on utilise la protection des groupes comme justification pour brider les libertés individuelles. Ce phénomène est amplifié par les discours identitaires, où les sensibilités des uns deviennent le prétexte pour censurer les autres. Nous avons échangé l’émancipation contre la susceptibilité. Et il est effectivement là, le mot-clef. Nous sommes passés de la quête d’émancipation à une fixation obsessionnelle sur le respect de l’identité, au point de détester quiconque ne partage pas notre vision. Résultat : l’individu hypersensible exige que son groupe soit sacré et que ses caprices deviennent des dogmes. L’ancien libéralisme aura enfanté d’un tyran miniature à force de mal comprendre ce qu’il voulait dire par « liberté ».

L’idéal de la liberté, c’était de pouvoir faire ce qu’on voulait (de sa vie, de son cerveau, etc.). Aujourd’hui, on prétend être ce qu’on veut (homme, femme, caillou, poisson). Au nom de quoi déciderions-nous que cette liberté-là n’est pas désirable ?

La question n’est pas de savoir si elle est désirable, mais si elle est viable. On ne peut pas ignorer les réalités biologiques, sociales et anthropologiques. Se prétendre homme ou femme au gré de ses envies sans reconnaître les structures objectives qui sous-tendent ces catégories, c’est basculer dans une fiction collective. Cette liberté-là n’est pas une avancée, mais une fuite vers l’irréel. Aussi, je crois que cela relève de la confusion entre le vouloir être et le pouvoir être. Vouloir devenir poisson, c’est poétique. L’exiger, c’est absurde. À force de tout sacraliser, y compris nos fantasmes, on finit par perdre le sens des limites. Et sans limites, il n’y a plus de liberté, juste un chaos identitaire où tout se vaut.

« Ce sont des gens qui ont été assassinés, pas la liberté d’expression », disait Luz. Pardon pour votre estomac saturé de symboles, mais n’est-ce pas un peu aussi la liberté d’expression ? Depuis Charlie, tout le monde a peur de parler de l’islam. Qui publierait une caricature aujourd’hui ?

La liberté d’expression n’est pas morte, mais elle est effectivement gravement malade. Le mouvement avait été initié avant janvier 2015, mais le fait est qu’après Charlie, on a vu multiplier les lois et les censures qui brident précisément ce que Charlie défendait. Oui, qui oserait publier une caricature aujourd’hui ? La peur de parler de l’islam est réelle, et elle sape la possibilité même du débat public. Mais il y a aussi tout un appareil législatif qui permet de contraindre les discours, la création intellectuelle, et nourrit l’autocensure.

Dieudonné se rend au ministère de l’Intérieur pour soumettre sa liste « antisioniste » pour les élections européennes, Paris, 13 mai 2009. Les restrictions à la liberté d’expression, loin d’éradiquer les discours qu’elles visent, les rendent souvent plus virulents en les reléguant dans l’ombre.

Vous affirmez, études à l’appui, que les lois de censure (des discours de haine) type loi Gayssot, etc., ne font nullement diminuer la haine. Et même qu’elles la renforcent par un « effet de convergence morale ». (J’apprends dans votre livre qu’il y en avait dans l’Allemagne préhitlérienne). Pourquoi persévère-t-on dans l’erreur en ce cas ? Ces lois sont-elles le moyen d’acheter une bonne conscience collective ? Ne sont-elles pas indispensables quand la civilité naturelle disparaît ?

Parce qu’elles donnent l’illusion d’agir. Ces lois permettent de montrer qu’on est du « bon côté », mais elles n’éradiquent pas les idées qu’elles visent. Au contraire, elles les envoient sous le radar, où elles se radicalisent. Ces lois donnent une illusion de contrôle, mais elles amplifient souvent la haine en la rendant clandestine et plus virulente. Regardez Dieudonné et Soral : leurs idées ont prospéré dans un climat où la discussion libre était bridée. On persévère parce qu’on préfère une bonne conscience collective à une réelle efficacité. C’est de la cosmétique législative.

De fait, après la loi Gayssot, on a eu Dieudonné et Soral qui, bien avant le 7-Octobre, avaient rendu l’antisémitisme tendance. Si les lois sont à l’évidence inefficaces (mais très efficaces pour plomber le débat public et interdire la pensée libre), que faire pour lutter contre les affects déplorables qui envahissent la vie sociale (via les réseaux du même nom) ? Êtes-vous pour le laisser-faire intégral, ce qui signifie qu’on pourrait déclarer publiquement qu’il faut tuer tous les coiffeurs ?

Non, je ne suis pas pour le laisser-faire total, car être maximaliste sur la liberté d’expression, comme je le suis, ne signifie pas que la liberté d’expression n’a aucune limite. Même selon le Premier amendement de la Constitution américaine, tel qu’interprété depuis le milieu du xxe siècle par des juges de la Cour suprême comme Oliver Wendell Holmes et Louis Brandeis, et qui constitue aujourd’hui le cadre législatif le plus permissif qui soit dans le monde sur ce plan, il n’y a qu’un type de discours qui mérite la censure : ceux qui en appellent à des dommages réels et directs envers des personnes, et qui le font de manière immédiate. Ni plus ni moins. Aussi, le problème avec les « discours de haine » contrevient à un autre principe constitutionnel majeur : la neutralité du point de vue, qui interdit au gouvernement de réglementer des propos uniquement parce qu’ils ne sont pas appréciés ou qu’ils sont considérés comme dangereux par les représentants du gouvernement. Et le tout se redouble d’une question pragmatique, d’efficacité : interdire les discours haineux ne fait que les rendre plus séduisants. Qu’on mise plutôt sur la contradiction, l’exposition et l’humour pour dégonfler les passions. Un monde où tout peut être dit est un monde où tout peut être contesté. C’est cela qui fait avancer la société. Laisser parler les imbéciles, c’est leur retirer le charme du tabou. Protéger au maximum la liberté d’expression, c’est aussi permettre aux idées de s’affronter en plein jour, pas de les reléguer dans des champignonnières où elles vont dangereusement fermenter.

Aujourd’hui, c’est à gauche (et dans toutes les niches progressistes) que sévit la pulsion de censure, ce qui nous conduit à nous demander comment les héritiers des Lumières sont devenus le camp de l’obscurantisme. C’est peut-être que la gauche n’est pas héritière des Lumières, mais de la pensée magique de l’Idéologie du progrès (je pense à l’occulto-socialisme de Muray) ?

Je pense que la pulsion de censure sévit partout, mais qu’elle est simplement plus ou moins active selon l’ampleur de votre pouvoir. La gauche a effectivement troqué la raison contre des émotions survoltées, du fait justement des succès des causes progressistes, et elle en est ainsi venue à vouloir toujours plus et à confondre amélioration et perfection. Sauf que vouloir imposer une perfection, c’est le terreau de l’obscurantisme. L’héritage des Lumières repose sur le doute et la critique. Pour avoir toujours raison, il faut être disposé à toujours changer d’avis. Dès que l’on sacralise une idéologie, on glisse vers le dogmatisme, et on arme des inquisiteurs et leurs excommunications.

Les véritables sociétés libérales, si on vous suit, ne proposent aucun contenu sur ce qu’est la vie bonne, mais des procédures pour coexister sans s’étriper. Mais n’a-t-on pas besoin d’autre chose pour vivre ensemble ? Vous moquez justement les « valeurs de la République », mais la tentative de créer un sacré laïque était-elle si stupide ?

Peut-être pas stupide, mais en tout cas mal ficelée. Le sacré laïque est une coquille vide qu’on agite à chaque crise, sans en comprendre le sens. Les « valeurs de la République » sont répétées comme un mantra, mais elles ne reposent plus sur rien de solide, et le danger, c’est qu’elles constituent une religion d’État. Les sociétés libérales ne définissent pas la « vie bonne » : elles instaurent des règles pour coexister sans violence. Avec les « valeurs de la République », on en vient à justifier des normes autoritaires, à chercher une moralisation collective sous couvert de neutralité.

Pour vous la France est l’héritière du wokisme à cause de la centralité d’un État qui dit aux gens ce qu’il faut penser (en réalité ce qu’il ne faut pas penser). N’est-ce pas plutôt à cause d’une sorte de robespierrisme d’atmosphère ? Quand on détient le Bien, on veut l’offrir aux autres, par la force s’il le faut.

Oui, les deux sont liés. La centralisation et le robespierrisme partagent une croyance dans l’imposition du « Bien », avec un grand B et au singulier. Mais dès qu’un État prétend détenir le monopole du bien commun, il ouvre la porte à toutes les formes de coercition morale et ensuite de tyrannie.

« Aucune civilisation n’a résisté sans une certaine fermeté sur ses normes fondatrices », écrivez-vous. Le problème, c’est non seulement la lâcheté, mais aussi le fait que par nature les démocraties ne sont pas fermes puisque la tolérance et l’altérité font partie de leurs normes fondatrices. Comment sortir de là ?

C’est un dilemme. Les démocraties valorisent la tolérance et l’altérité, mais elles doivent se défendre sans renier leurs principes. Cela demande du courage, de la clarté et une capacité à dire : « Jusqu’ici, pas au-delà. » Une démocratie peut être tolérante sans être naïve, et ouverte sans être suicidaire. C’est une gymnastique périlleuse, mais indispensable.

De l’antisémitisme déchaîné au féminisme déréglé, tout indique que nous sommes entrés dans une nuit de la raison. Or, comme vous le démontrez brillamment, c’est la clef de toute vie civilisée. Tout cela – la liberté, la dispute, la possibilité de la dissidence – n’est-il pas déjà détruit par l’affaissement du niveau intellectuel général, encore attesté récemment par une étude OCDE ? Si la clef de l’émancipation, c’est la connaissance et la réflexion, on ne va pas se mentir, comme vous dites : c’est foutu, non ?

Je crois que s’il y avait quelque chose qui pouvait définir le monde libéral, c’est le sentiment que tout est foutu, que l’apocalypse est pour demain. Peut-être parce que le désastre est notre meilleur stimulant ? En tant que traductrice de Peter Turchin, je pourrais aussi vous dire que l’histoire a cette étrange habitude de flirter avec l’abîme avant de rebondir. Alors, foutu ? Peut-être que ce pourrait être un bon prétexte pour arrêter de rêver d’utopies et commencer à faire avec ce qu’on a, en espérant que l’humour et la lucidité survivent au passage.

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Contre le capitalisme de connivence

Dans une économie capitaliste trop encadrée par l’État, comme la nôtre, de vos relations étroites avec les représentants des gouvernements dépendra le succès de vos affaires, déplore notre chroniqueuse.


Le fait que l’État français soit omniprésent induit une forme d’économie administrée, qui, outre son coût élevé pour les citoyens et les entreprises, engendre des effets pervers. Il est indéniable, par exemple, que le succès de certaines entreprises repose, entre autres, sur leurs relations étroites avec le gouvernement, les décideurs politiques et d’autres élites du système, ce qui fausse leur performance et leur compétitivité sur le marché.

On accuse ces entreprises de bénéficier d’aides, de subventions ou d’exonérations, mais c’est aussi ainsi que l’État consolide son pouvoir et maîtrise, croit-il, l’économie du pays ! De leur côté, les entreprises tentent de compenser les pressions fiscales et sociales qu’elles subissent en obtenant des subventions, des contrats publics avantageux ou des régulations sur mesure. Les lobbyistes jouent ici un rôle clé, souvent comme les seuls défenseurs efficaces des entreprises, particulièrement des grandes, car les PME, elles, n’ont pas les moyens d’exercer une telle influence.

Non au capitalisme du copinage

On aboutit alors à une forme de capitalisme de connivence, régulièrement dénoncée, mais dont la responsabilité est complexe à attribuer. Cela peut évidemment dériver vers des pratiques de corruption et de trafic d’influence. Un lobbying quasi officiel, souvent exercé par de hauts fonctionnaires ou d’anciens élus, tente ainsi de manipuler les décisions publiques. Ces interventions, monnayées ou non, sont parfois perçues comme légitimes par leurs auteurs.

A lire aussi, Charles Gave: L’Argentine à la tronçonneuse

Au fil des années, la proximité entre les dirigeants économiques et les politiques s’est accentuée, donnant aux citoyens le sentiment d’être laissés de côté au profit d’élites souvent accusées d’être « toutes pourries ». Le président Emmanuel Macron, par exemple, est régulièrement qualifié de « président des riches ». Bien que cette accusation soit plutôt infondée, elle illustre le problème français : une méfiance envers les riches et la réussite financière, perçue comme injustifiée, imméritée ou malhonnête. Ce jugement est directement lié à cette connivence. Ce phénomène n’est pas propre à la France : l’indice du capitalisme de connivence publié par The Economist évalue la part de la richesse des milliardaires provenant de secteurs favorables à ce type de proximité, comme la défense, les infrastructures ou l’immobilier.

En France, les syndicats, qui ne représentent que seulement 10 % des salariés, possèdent néanmoins un grand pouvoir grâce à leur capacité de nuisance, notamment par la grève, cette menace suprême qui paralyse les réformes nécessaires.

Morale et business

Un exemple concret illustre selon moi cette influence excessive : celui d’un entrepreneur ayant créé un service de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) dans le Vaucluse[1]. Ce service, couronné de succès au départ, proposait des prix compétitifs grâce à la rentabilité obtenue via des espaces publicitaires sur les voitures et dans les véhicules. Cependant, face à la panique des taxis, désireux de faire couler ce concurrent, le ministère de l’Intérieur intervient. Résultat : la loi est modifiée à deux reprises.

D’abord, une longueur minimale de 4,50 mètres est imposée aux véhicules, supérieure aux 4,40 mètres initialement choisis par l’entreprise, qui se voit contrainte de renouveler sa flotte. Ensuite, le lobbying des taxis obtient qu’une puissance moteur minimale soit exigée, sans justification claire. Ces interventions mènent finalement à la faillite de l’entreprise : investisseurs ruinés, vingt chauffeurs au chômage. Merci l’État. Ce manque d’éthique et cet interventionnisme de connivence créent des inégalités économiques et sociales flagrantes.

N’est-ce pas là une négation totale du libéralisme ? Ces pratiques courantes et immorales doivent cesser.

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[1] Easy Take était une société de taxis fondée en 2009 dans le Vaucluse. Son modèle économique se distinguait par des tarifs forfaitaires attractifs, établis en fonction de la distance parcourue. Ces prix s’appliquaient quel que soit le nombre de passagers (véhicules de 4 passagers maximum), avec ou sans bagages. En parallèle de son activité de transport, Easy Take offrait des solutions publicitaires innovantes en utilisant sa flotte de véhicules comme supports de communication. Cela incluait le « covering » (habillage total ou partiel des véhicules) et la diffusion de clips publicitaires sur des écrans embarqués.

Jean-Marie Le Pen a gagné sa bataille culturelle

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Disparu hier, Jean-Marie Le Pen apparait pour une majorité de citoyens français comme un prophète caricaturé – ou caricatural – sur la question de l’immigration.


Jean-Marie Le Pen, décédé mardi dans sa 97e année, a gagné sa bataille culturelle. L’histoire retiendra l’impétueux lanceur d’alertes, davantage que l’homme politique infréquentable. En effet, ses outrances à caractères antisémites font aujourd’hui pâles figures face aux débordements de haines anti-juives qui s’observent dans une partie de la communauté musulmane immigrée et dans l’extrême gauche antisioniste et anticapitaliste. Hier soir, à Paris et ailleurs, des militants « humanistes » se sont rassemblés pour cracher sur le mort en buvant bières et champagnes tièdes. Loin de clore une époque, la disparition du fondateur du Front national s’accompagne, partout dans le monde, du réveil annoncé des peuples et des nations. L’élection de Donald Trump témoigne de cette révolution conservatrice aboutie. L’annonce de la démission du Premier ministre canadien Justin Trudeau, lundi, vient confirmer l’échec des idéologues du mondialisme et du multiculturalisme : des utopies dénoncées par Le Pen.

Le goût de déplaire

Reste que son goût de déplaire aux élites parisiennes et à leurs médias, et sa coquetterie à assumer une posture d’ex-para devenu paria-punk, l’ont poussé à des fautes et à des condamnations infamantes. Cet attrait jubilatoire pour la provocation a eu pour conséquence de créer un effet repoussoir chez ceux (je fus de ceux-là) qui pouvaient comprendre ses assauts contre le politiquement correct mais qui ne pouvaient cautionner son « point de détail de l’histoire » sur les chambres à gaz, son « Durafour crématoire » et autres finesses de fin de banquet. De ce point de vue, Le Pen a contribué à compliquer et donc ralentir la tâche de ceux qui voyaient les mêmes choses mais ne voulaient pas être mêlés à son univers mental.

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Ironie de l’histoire

La concomitance entre sa mort, annoncée hier à midi, et la commémoration des attentats islamistes contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, rappelle l’aveuglement de tous ceux qui, à commencer par la rédaction du journal satirique, n’auront jamais voulu entendre ses mises en garde contre l’immigration de peuplement et la subversion de l’islam conquérant. Ironie de l’histoire : c’est l’ex-gauchiste Daniel Cohn-Bendit qui, dimanche sur LCI parlant de Mayotte submergée par les clandestins, a appelé à « freiner et rendre impossible cette immigration qui est un grand bouleversement, un grand remplacement de la population ». Cette adhésion soudaine du vieux soixante-huitard au vocabulaire de Renaud Camus n’est en tout cas pas partagée par Emmanuel Macron, corseté dans sa dialectique sommaire opposant gentils et  méchants. Non content d’avoir visé l’autre jour Elon Musk en l’accusant de soutenir « une nouvelle Internationale réactionnaire », le chef de l’Etat a désigné Le Pen, dans une nécrologie avare de mots, comme la « figure historique de l’extrême droite ».

Or ce procès récurrent en extrémisme est l’autre moyen, avec la censure, de délégitimer des opinions non conformes. Derrière « l’extrême droite » ou le « fascisme », déjà brandis jadis contre les dénonciateurs du goulag et des crimes communistes, apparait un nouveau cycle politique aspirant au contraire à plus de démocratie.

En l’occurrence, c’est le monde déraciné, indifférencié et remplaçable, rêvé par Soros et appliqué par Macron, qui s’achève pour laisser place à une souveraineté plus directement liée à la volonté des peuples ordinaires. Les yeux de Jean-Marie Le Pen se sont fermés tandis que s’ouvrent les yeux des Français.

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Épopée révolutionnaire

Ariane Mnouchkine et la troupe du Théâtre du Soleil ressuscitent la révolution bolchévique de 1917. Animée par un souffle puissant, l’épopée portée sur scène fustige cent ans de totalitarisme en Russie.


Avec Ici sont les dragons.1917 : la victoire était entre nos mains,le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine renoue avec les grandes fresques héroïques que furent 1789 ou les drames de Shakespeare.  Entre la Révolution de février 1917 qui aurait pu conduire la Russie et les autres nations de l’empire des Romanov sur le chemin de la démocratie, et la révolution d’Octobre fomentée par des bolcheviques fanatiques, avides d’imposer la soi-disant dictature du prolétariat, ce premier volet d’un ambitieux dessein théâtral dévoile avec éloquence combien la force, en Russie, prime sur le droit, et combien l’autocrate Poutine est l’avatar peu glorieux des tyrans de jadis.

Une époustouflante maestria

Des tableaux étonnants, comme l’apparition de Nicolas II émergeant à cheval de l’obscurité, le temps d’une phrase signifiant son fatal aveuglement devant ce qui se trame dans son empire ; ou comme l’arrivée de Lénine en gare de Finlande dans les volutes de vapeur d’une locomotive en fureur ; des scènes de révolution, de batailles, de guerre civile ; les renaissances stupéfiantes des plus noires figures de ce temps, évoquées aussi bien par des masques à leur image que par des textes jadis écrits ou proférés par ces manipulateurs sanglants : de ce chaos d’idéologies, de luttes intestines, de conspirations, de traîtrises, de guerres fratricides, d’événements contradictoires, de ce bouleversement copernicien soulevant le plus vaste pays du monde, Ariane Mnouchkine et ses collaborateurs ont brossé un récit épique qu’ils présentent avec une époustouflante maestria.

Et ces tableaux innombrables qui défilent à un rythme infernal, ces éléments de décor qui apparaissent et disparaissent comme des fulgurances dans un permanent souci d’esthétique, forcent l’admiration. Il y a quelque chose de suffoquant dans cette splendide mécanique qui tourne à plein régime durant près de trois heures sans l’ombre d’une maladresse, et où trois femmes, trois Parques du malheur, sillonnent le théâtre pour toujours annoncer le pire.

© Lucile Cocito

Une lecture fantastique

Textes, mise en scène, direction d’acteurs, décors, lumières, projections, costumes, musiques, fonds sonores, ont été pensés et repensés, polis et repolis, retranchés, réécrits, restructurés au fil d’innombrables répétitions, jusqu’à ne conserver que l’essentiel des événements prodigieux ou misérables qui composent cette épopée ambitionnant avec panache à être une lecture implacable de l’Histoire.  

Ariane Mnouchkine et les siens (plus de soixante-dix personnes, dont trente comédiens sur le plateau) n’hésitent pas à dénoncer l’architecture de ce système totalitaire qui fait du tyran russe d’aujourd’hui le descendant direct des tyrans soviétiques de jadis.   Rien ici ne permet de faire croire que la révolution de Lénine et de Trotski aurait été trahie par Staline, comme tant d’idéologues ont voulu le faire croire. Déjà, elle n’était rien d’autre que l’œuf monstrueux d’où allaient sortir l’hydre stalinienne et la violence actuelle.

Cette course à l’abîme ne permet évidemment pas les nuances. Qu’importe ! L’essentiel est dit. Plus d’un siècle de crimes effroyables, de génocides, de mensonges se profile dans le premier volet de cette effroyable épopée courant de 1916 à 1918, où les crimes de 1917, mais aussi ceux de 1905 commis par le régime impérial, annoncent les crimes qui aujourd’hui ravagent l’Ukraine et pèsent sur la Russie.

Dans cette époustouflante mise en scène qui file comme le vent, sans temps mort, sans anecdotes inutiles, la tempête de l’Histoire est transportée par le génie du théâtre.


Ici sont les dragons
Théâtre du Soleil. Cartoucherie de Vincennes. Jusqu’au 27 avril 2025. https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/notre-theatre/les-spectacles/ici-sont-les-dragons-2024-2470 / 01 43 74 24 08

Barkhane, le temps béni du Mali

Le départ des soldats français déployés au Mali a permis à la Russie de s’implanter au cœur du pouvoir. En soutien à la junte militaire, les mercenaires de Wagner ont instauré un régime de terreur en systématisant massacres, viols et pillages dans certaines régions. Notre envoyé spécial a rencontré des survivants de cette épuration ethnique.


Armée française en Afrique : « On a oublié de nous dire merci » déclare Emmanuel Macron – lors de la Conférence annuelle des ambassadrices et des ambassadeurs à l’Élysée, le 6 janvier 2024

« Il n’y aura bientôt plus de soldats français au Sénégal », déclarait fin novembre le président sénégalais. En deux ans, l’armée française a battu en retraite du Mali, du Burkina Faso et du Niger, cédant à la pression de régimes affidés à la Russie qui ont pris la France comme bouc émissaire de leurs propres difficultés. Elle s’apprête désormais à plier bagage du Tchad, du Sénégal, et ses effectifs diminueront en Côte d’Ivoire et au Gabon. Ce déclin accéléré de la puissance militaire française en Afrique n’est pas le fruit d’une stratégie pensée et planifiée par le président Macron, mais le résultat d’un attentisme qui a fini d’anéantir l’autorité de la France.

Depuis la fin de l’opération Barkhane, près de deux cents civils ont été auditionnés. Tous ont vécu l’arrivée de Wagner au Mali comme un basculement dans l’horreur et regrettent le départ du « protecteur français ». Chômeurs, étudiants, bergers, comptables, gardiens, pompistes, infirmières ou mères au foyer, ils vivaient dans des communes sécurisées par Barkhane au centre et au nord du pays. En plus de permettre aux terroristes islamistes de retrouver leur influence et aux mercenaires russes de s’implanter au Sahel, le départ des Français a également provoqué une hausse massive de l’immigration. La plupart des victimes de Wagner ont émigré dans des pays limitrophes, en Afrique du Nord et en Europe.

Leurs témoignages sont aux antipodes des diatribes des putschistes de Bamako qui, avec une rhétorique volontairement dégagiste et anticolonialiste, ont causé le départ de la France. Ces victimes sont les seules sources vivantes capables de témoigner du régime de terreur instauré par les Russes. À les écouter, on comprend dans quel but la France a été instrumentalisée par le régime de Bamako et comment le Sahel est devenu le nouveau théâtre de la stratégie du chaos pilotée par Moscou aux portes de l’Europe.

La terreur russe au Mali racontée par ses rescapés

« Ça a été si rapide ! Les Wagner sont venus dans mon village accompagnés de militaires maliens. Sans rien chercher à comprendre, ils ont envoyé tous les hommes qu’ils trouvaient loin du village, pour les exécuter. Ensuite, les femmes ont été choisies comme des mangues sur le marché. J’ai été violée par cinq Russes pendant deux heures. » Mariam, 27 ans, Malienne et Touareg.

Les victimes de Wagner sont des survivants. Rencontrer les mercenaires russes a été un choc, puis un cauchemar. Youssouf, 23 ans, ne peut se départir de l’image de ces bergers maures brûlés vifs à dix mètres de sa cachette. Rhissa, 16 ans, a vu des soldats maliens éventrer le cadavre de son frère à la machette et en manger le cœur et le foie devant l’« excitation » et les « rires » des soldats blancs.

L’apparition des mercenaires est synonyme d’épouvante. On les a entendus débarquer sur des hélicoptères, la nuit, ou vus arriver en trombe sur des pick-up percutant enfants, femmes et vieux se trouvant sur leur route. Certains racontent le bruit des balles et les « corps tombant comme des mouches » alors qu’ils faisaient leurs courses au marché. Les rescapés qui ont simplement « croisé » leur chemin en brousse ont été torturés puis laissés pour morts.

Les incursions sanglantes relatées par les victimes de Wagner sont comparables à des razzias. Si la durée des attaques diffère selon les communes, leur structure comporte toujours trois invariants : massacres, viols et pillages. Les actions commises à leur départ s’apparentent à une politique de la terre brûlée : puits et réserves d’eau empoisonnés, récoltes ou maisons incendiées, bétail volé ou abattu, cadavres piégés à l’explosif.

Des Maliens manifestent contre la France et en soutien à la Russie, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du Mali, à Bamako, 22 septembre 2020. Depuis le départ de la France, une grande partie des civils regrette le « protecteur français », perçu avec nostalgie face à la terreur des mercenaires russes de Wagner © AP Photo/Sipa

Purification ethnique et conquête du territoire : l’autre mission de Wagner au Mali

La présence des mercenaires russes au Mali est souvent présentée comme la conséquence d’un pacte avec le régime de Bamako, au terme duquel la junte malienne chercherait à sécuriser son pouvoir en échange de concessions minières et d’un renforcement de la lutte contre les djihadistes. Cette lecture est largement incomplète. Les paramilitaires de Wagner représentent une assurance-vie pour la junte bamakoise et leur accès privilégié aux mines du Mali a été bien renseigné. Cependant une autre mission semble leur avoir été assignée : la conquête des territoires du Centre et du Nord par l’épuration ethnique.

Il suffit de s’attarder sur la géographie de leurs crimes, l’origine de leurs victimes et sur l’histoire du Mali pour comprendre que la barbarie de Wagner n’a rien d’aléatoire. Leurs cibles sont principalement issues du centre et du nord du pays, de contrées éloignées de la capitale, peuplées de Peuls, Songhaï, Bozos, Dogons (au Centre), Maures et Touareg (au nord). À l’inverse, les populations du Sud sont des Bambaras (ethnie de Bamako), Malinkés, Soninkés (sud-ouest) et Sénoufos (sud-est). Depuis son indépendance, la République du Mali n’est indivisible que sur le papier de sa Constitution : au centre du pays les conflits entre Bozos, Dogons et Peuls ont perduré, et les populations arabo-berbères du Nord n’ont cessé d’exprimer leurs différences en s’organisant pour obtenir indépendance ou autonomie.

La junte bamakoise cherche à instaurer un pouvoir favorable aux peuples du Sud et à étendre son hégémonie dans le reste du pays en excitant les tensions interethniques contre les Peuls au Centre, et en purgeant les populations maures et touareg au Nord. Cette politique d’épuration ethnique n’est pas seulement rapportée par les victimes directes de la junte et de leur bras armé russe, qui se disent « ciblées », « pourchassées », « diabolisées ». Elle est aussi attestée par ceux ont échappé à la mort car ils n’étaient ni peuls, ni maures, ni touareg. « Tous mes voisins et mes amis peuls ont été obligés de s’enfuir. Ils savaient qu’ils risquaient leur vie en restant ici. La lutte contre le djihadisme est devenue un règlement de comptes », témoigne Laji, 32 ans, bambara issu d’un village du Centre-Est, où régnait la paix entre les ethnies. Samba, Songhaï issu d’une commune du cercle de Djenné raconte : « Mon ami tamasheq [touareg, ndlr] a été tué chez lui et sa femme a été violée par les Wagner. Il n’a rien fait, son seul tort est d’être né avec la peau blanche. »

Les viols systématiques des femmes peules et touareg rapportés par les rescapés de Wagner relèvent eux aussi de l’épuration ethnique. Nombre de ces viols ont donné naissance à des enfants dont l’existence est un tabou. On les appelle les « bébés Wagner ». Comme leur couleur de peau et leurs traits rappellent l’infamie qui a présidé à leur naissance, ils sont élevés dans le secret.

Si l’hostilité des victimes à l’endroit du régime putschiste est immense, elle est sans commune mesure avec la haine qu’ils nourrissent pour les maîtres d’œuvre de l’épuration. En effet, contrairement à la vision véhiculée par Jeune Afrique ou Le Monde, les Russes ne sont pas des supplétifs de l’armée malienne, c’est l’inverse : sur le terrain, ce sont les paramilitaires russes qui dirigent les opérations. Les FAMa (Forces armées maliennes) ne sont là que pour les seconder, au même titre que les confréries de chasseurs dozos et dogons avec lesquels ils pourchassent les Peuls dans le centre du pays.

S’ils commettent aussi des crimes de guerre, les FAMa sont décrites comme des éléments subalternes, obéissant aux ordres des « Blancs » et relégués aux fonctions de traducteurs ou de guides. Wagner a « droit de vie et de mort » sur les militaires maliens. En cas de désaccord ils sont exécutés par les mercenaires russes, comme à Anéfis, où Ahmad, 22 ans, a assisté à l’exécution de six soldats maliens qui avaient désobéi à leurs « maîtres russes », avant de s’enfuir en Tunisie.

La nostalgie de la France et des années Barkhane

Tous les civils interrogés ont, souvent avec ferveur, affirmé être favorables au retour de l’armée française au Sahel. Combien d’entre eux avaient manifesté sous la bannière « France dégage ! », jeté des pierres sur les convois militaires de l’armée française ou simplement contribué au « sentiment de lassitude » qui a précédé le retrait de Barkhane ? Impossible de le savoir. Depuis le départ de la France, les perceptions ont changé et les soldats français appartiennent à une époque révolue, évoquée avec nostalgie.

« Wagner a détruit neuf ans de paix rétablie par Barkhane. J’ai grandi dans la sécurité. Je bénis ce temps-là aujourd’hui », résume Aicha, tomonaise de 25 ans réfugiée en Mauritanie. L’arrivée des mercenaires a marqué une rupture si violente que toute mention des Français ranime des souvenirs insignifiants, voire pénibles, mais qui, en comparaison des atrocités commises par la suite, ont pris une valeur positive. Même un simple contrôle de routine effectué par une patrouille française devient un souvenir heureux : « Quand ils t’arrêtaient, ils te demandaient les pièces d’identification, passaient tes doigts dans leurs machines et te posaient des questions sur ton voyage. Ils étaient humains et respectueux. Pas des assassins comme Wagner », se remémore Khamis, 32 ans, qui a quitté son village des environs de Gao pour Abidjan.

Dans les esprits, Barkhane est aujourd’hui l’anti-Wagner. Aussi les soldats français sont-ils parfois qualifiés de « saints » ou assimilés à « une armée humanitaire », tandis que les mercenaires russes sont comparés à des « sauvages » ou à des « terroristes pires que Daech ». Les viols, massacres et pillages perpétrés par les Russes ont magnifié les services rendus aux locaux par les Français, dont ce n’était pourtant pas le cœur de mission. Les témoins n’ont pas oublié les « programmes d’aide sociale », les « aides aux micro-entreprises », « l’installation de château d’eau », la « création de barrages », les « dons de médicaments, vêtements, nourriture et fournitures scolaires », la « plantation d’arbres » dans des écoles… jusqu’aux « tournois de football » organisés ponctuellement avec les adolescents.

Si l’idée d’un retour de Barkhane suscite un enthousiasme unanime parmi les rescapés de Wagner, ils n’y croient guère : ils n’attendent plus grand-chose de la France. Les conditions du retrait de Barkhane ont marqué les esprits et l’arrivée de Wagner a profondément modifié la perception de la puissance française. « Les Européens sont lâches et ont peur de la Russie », regrette Abdoul. « Ils ont plié bagage comme s’ils étaient un pays du tiers-monde et non une puissance mondiale », soutient Ramata. Frère et sœur, ils ont quitté Kidal pour l’Algérie dans les six mois qui ont suivi le retrait français.

Le sentiment antifrançais est volatile et ne peut définir une politique africaine

En deux ans, le Sahel est devenu le foyer d’une mutation géopolitique majeure, menaçant directement l’ordre de sécurité européen. Le départ de la France a permis à la Russie, puissance hostile, de s’implanter au cœur d’États fragiles situés dans le grand voisinage de l’Europe : Libye, Mali, Burkina Faso et Niger. La montée du chaos dans ces dominions russes profite au régime de Moscou, garantit le pouvoir de ses alliés africains et menace la stabilité de l’Afrique et de l’Europe.

Les diplomaties française et européenne focalisent leur attention sur la guerre en Ukraine, à l’Est, et se sont détournées de la guerre non conventionnelle menée au Sud par la Russie. Le sentiment antifrançais, dont la presse internationale, les services de propagande de Wagner et les régimes hostiles à la France se sont tant fait les échos, est une donnée changeante, variable, éphémère. Il ne peut représenter la clé de voûte de notre politique africaine.

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Jean-Marie Le Pen: celui dont toujours il était interdit de dire du bien…

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La gauche est allée jusqu’à donner l’impression de danser sur un cadavre. Hier soir, des opposants à Jean-Marie Le Pen, qui le considéraient comme le « diable de la République », se sont scandaleusement rassemblés à travers la France pour célébrer son décès.


Jean-Marie Le Pen est mort à 96 ans. Le fondateur et ancien président du Front national ne bénéficiera sans doute pas des quelques heures de décence qui suivent une disparition, même de quelqu’un d’assez largement honni.

En effet, on a vite observé des réactions honteuses de Jean-Luc Mélenchon, de Louis Boyard et de Philippe Poutou, alors que la classe politique dans l’ensemble s’est montrée digne et correcte. Et une manifestation déplorable place de la République pour se réjouir de la mort d’un homme qu’on détestait. Qu’on puisse ainsi célébrer dans l’allégresse ce qui a endeuillé une famille et traiter aussi vulgairement ce qui aurait mérité au moins le silence est la marque, une de plus, du délitement de notre société, de la dégradation de notre civilisation, avec l’effacement de la retenue à l’égard de ceux qui ne sont plus.

J’ai un peu connu Jean-Marie Le Pen quand ministère public dans deux procès de presse (intentés par lui contre le Canard enchaîné et Libération qui lui avaient reproché d’avoir torturé en Algérie), j’avais eu affaire à lui. Il avait créé de manière très artificielle, avant même le début de l’audience contre Libération, un incident odieux destiné à me déstabiliser et qui pour être réglé avait retardé les débats de plusieurs heures. Je ne peux donc pas être suspecté de partialité à son sujet.

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Sur le plan politique, je le percevais comme une personnalité dont on n’avait jamais le droit de dire du bien. À plusieurs reprises, alors qu’il avait raison, je n’ai pas osé l’approuver, comme si je validais l’interdiction dont la transgression aurait été un péché mortel, un opprobre démocratique.

Un homme d’une immense culture, un orateur incomparable dont les imparfaits du subjonctif ont fait partie de la mythologie française. Avec des prestations médiatiques éblouissantes, notamment celle de 1984 à l’Heure de Vérité où on l’a « découvert ».

Le fondateur du Front national en 1972 avait prévu tout ce qui allait suivre pour ce qui se rapporte à l’immigration, à l’islamisme et au sentiment de dépossession qui en résulterait pour beaucoup de Français. Il avait vu et pensé juste avant tout le monde mais il était hors de question de se servir de sa lucidité puisqu’il était le diable.

En 2002, on a compris son désarroi quand il est parvenu à se qualifier pour le second tour. En réalité, n’étant pas prêt pour exercer le pouvoir, il n’aspirait pas à sortir de son rôle d’éveilleur et de trublion talentueux pour des responsabilités dont les qualités qu’elles auraient exigé ne lui correspondaient pas.

Il me semble d’ailleurs que c’est à cause de cette envie profonde de non-pouvoir qu’il s’est autorisé trop souvent des délires historiques, des provocations scandaleuses, qui ont culminé avec « le point de détail », à partir duquel il a perdu beaucoup de son crédit politique. Ils ne sont pas à mon sens survenus par hasard.

D’une part il y avait ce tempérament provocateur, tel un « potache » hors de contrôle, se plaisant à faire des jeux de mots antisémites et à prendre pour un détail ce qui était pourtant central dans l’extermination des juifs. D’autre part ils s’inscrivaient régulièrement dans un parcours qu’il ne désirait pas irréprochable et qui entravait, avec ses excès, les postures de dédiabolisation de sa fille Marine.

Ses extrémités choquantes ont beaucoup nui à sa crédibilité. Il s’en serait dispensé, il aurait été plus convaincant pour ce qu’il avait de prophétique…

On continuera probablement, malgré sa mort, à faire comme si Marine Le Pen ne s’était pas détachée de lui et n’avait pas renié ses élucubrations historiques. Son souvenir demeurera aussi utile pour ses opposants que le repoussoir qu’il était de son vivant.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas avec de la haine et de la moraline qu’on fera baisser le RN mais avec de l’argumentation et de l’impartialité. En effet c’est en lui donnant équitablement ses chances qu’on démontrera ses faiblesses et son inaptitude. Et je termine ce billet en songeant à cette part d’Histoire de France qui est morte avec lui.

Adieu tribun!

Mourir le 7 janvier, jour de la Saint-Charlie, la dernière provocation de Jean-Marie Le Pen


Albert Camus se plaisait à dire « J’ai une patrie : la langue française ». Incontestablement, Jean-Marie Le Pen manifestait aussi, et peut-être avant tout, son amour de la patrie – amour chez lui chevillé au corps – dans le beau souci qu’il avait du respect de la langue, de l’usage du bel et bon français. Qu’on fût d’accord ou non, on l’écoutait. On se laissait emporter par le flux parfaitement maîtrisé de la phrase, ample, cassante ou sèche, selon l’intention, et on partageait comme malgré soi la gourmandise avec laquelle l’orateur lâchait ses mots.

Le timbre était ferme, la diction assurée, la faconde chatoyante et l’ironie jamais bien loin. Des termes toujours choisis avec intelligence, avec précision, bien à leur place dans la mélodie de la phrase. Une syntaxe au cordeau. Un vocabulaire perlé, riche. Une langue en fête, quoi. Et surtout la saine et fraternelle préoccupation de se faire bien comprendre. Cela sans jamais descendre en gamme, sans sacrifier aux facilités du temps, aux viols permanents du langage que s’autorisent à l’envi les bateleurs encartés du moment. Je rêve d’une anthologie des discours, des propos, des répliques de Jean-Marie Le Pen dûment éditée et mise à la disposition des parlementaires, des élus d’aujourd’hui. Pour leur édification. Ils y gagneraient sûrement en qualité du verbe, et nous en agrément d’écoute. On peut rêver.

Il faudrait pour cela que nos actuels parlementaires aient l’humilité de bien vouloir constater la distance qu’il y a entre leurs éructations de cour d’école et les périodes oratoires quasi cicéroniennes de celui qui vient de passer ad patres. De celui qui vient de partir là où, tout antagonisme politicien aboli, il ne peut manquer de retrouver avec jubilation les Jaurès, les Maurras, les De Gaulle qui, comme lui, se faisaient un devoir intellectuel et moral de mêler en une seule et même passion, en une seule et même exigence l’amour de la langue et de la patrie.

Il y aurait bien des traits, des mots, des trouvailles, des saillies jaillis de sa bouche à retranscrire ici. Je me limiterai à cette seule réponse qu’il fit un jour à un journaliste. Réplique de théâtre d’ailleurs, plus que banale réponse : « Fasciste moi? Allons donc, je ne suis pas assez socialiste pour cela ! »

À défaut de s’inspirer de l’art oratoire de Jean-Marie Le Pen, nos élus du moment feraient bien de méditer ces quelques mots lâchés en riant à demi et qui sont pourtant d’une profondeur politique des plus éclairantes.

La rentrée du numéro 10

À la surprise générale, le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’est emparé de la 10e place du classement des personnalités préférées des Français. L’homme politique s’impose sur le terrain politique mais n’a pourtant pas mis de l’eau dans son vin.


Au foot, le numéro 10 fait figure de maître du jeu. C’est par lui que tout ou presque passe, lui qui distribue les ballons, et qui fort souvent, d’une action d’éclat et de grande classe, marque le but décisif. On se lève dans les tribunes, on l’acclame. Les gamins se font offrir un maillot à son nom avec un gros 10 au milieu du dos et un plus petit sur la poitrine. C’est sur lui, que les regards et les caméras se braquent le plus volontiers à l’entrée des joueurs sur le terrain, tant il est vrai que nombre de légendes du ballon rond l’ont porté, ce numéro 10. Pelé, Zidane, Platini, Messi… Depuis ces jours derniers et la publication du classement IFOP-JDD des personnalités préférées des Français, nous avons un autre numéro 10. Bien qu’il ait le physique d’un sportif de ce niveau-là, ce n’est pas dans le jeu du ballon rond qu’il s’illustre, mais dans un autre, qui se pratique sur un terrain infiniment plus mouvant et bourbeux, la politique. Ce numéro 10 nouveau n’est autre, vous l’aurez compris, que Jordan Bardella. C’est en effet à ce rang estimable qu’il se hausse dans le palmarès 2024 de l’affection populaire que le JDD publie chaque nouvelle année depuis 1988. Une progression de quelque trente places. Belle ascension. Et qui vient couronner une saison à succès. Son livre Ce que je cherche fait un tabac. Un vrai best-seller, malgré les critiques nez pincés de la bonne presse et les dénigrements fielleux de l’engeance Apathie. L’intéressé s’est dit ravi de son numéro 10. À vingt-neuf ans et après seulement une petite dizaine d’années dans la carrière, on le serait à moins. « Ce succès, j’en suis convaincu, a-t-il déclaré, est le fruit d’une affection réciproque entre nous et les Français qui trouvent dans notre projet les réponses à leurs attentes. » Ce « nous » fleure bon la modestie. Il est également justifié par les faits, puisque la capitaine de son équipe, Marine Le Pen, le suit immédiatement dans le classement. Elle enfile cette année le dossard 11. Une progression fulgurante de cinquante places. Du rarement vu. Probablement, l’acharnement considéré injuste d’un arbitrage la menaçant d’une suspension de tout match pour cinq ans aura-t-il eu une certaine influence en sa faveur. Le peuple n’est pas dupe. De loin en loin, il s’entend à le faire savoir.

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Mais il est clair aussi que ces performances – le mot n’est pas trop fort – doivent aussi beaucoup aux déclarations politiques du tandem, notamment celles, parmi les plus récentes, du jeune numéro 10, insistant fortement sur ses préconisations en matière de politique de sécurité. Que ce soit lors de ses vœux ou au cours d’une longue interview sur BFM TV mi-décembre, il a particulièrement pris soin de rappeler la fermeté des engagements pris par son parti sur ce plan : expulsion des délinquants étrangers, rétablissement des peines plancher, démantèlement des réseaux criminels partout où ils prospèrent désormais, suspension des allocations familiales aux parents des mineurs délinquants… Ce faisant, il ne se trompe pas. Ce sont bien là les attentes des Français. Cela dit, il est encore à l’unisson de ce que les citoyens de ce pays ressentent lorsqu’il confesse que la distribution – injustifiée- de subventions à des pays étrangers, lui « fait mal » et quand il affirme que, avec le Mercosur, la France se trouve « violée de sa souveraineté ».

Ce numéro 10 du palmarès 2024 n’est pas à ce jour, certes, le maître du jeu. Son parti, si. On le constatera probablement à l’Assemblée dans les jours qui viennent. Une chose paraît acquise : pour cette partie-là, la balle n’est plus vraiment au centre.

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Jean-Marie Le Pen: « J’ai marché droit »

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En 2019, à l’occasion de la sortie du second tome de ses mémoires, Jean-Marie Le Pen avait accepté l’invitation du défunt site Web ReacNRoll et répondu pendant une heure aux questions d’Elisabeth Lévy et Daoud Boughezala, de Causeur. Remontant le temps jusqu’à la création du FN en 1972 puis revenant sur les temps forts de sa vie politique depuis lors, il a livré là l’un de ses tout derniers grands interviews filmés.


Causeur vous propose de voir ou revoir en intégralité cet entretien.

Au bal des vaincus

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Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine, La Trinité sur Mer, 17 mars 2007 © CHAMUSSY/SIPA

Les rassemblements festifs Place de la République à Paris au soir de la mort de Jean-Marie Le Pen scandalisent, mais auraient peut-être amusé l’ancien leader de la droite nationale. Paris Match publie une photo de Marine Le Pen en pleurs, puis se ravise.


Au cœur de l’hiver 1793, vos semblables avaient dansé eux aussi. C’était dans les heures qui suivirent la mort du roi. Dansé, braillé et bu tout près de là où vous vous étiez agglutinés hier à la nuit tombée. Devant ce spectacle, je ne pouvais m’empêcher de penser que c’est toujours sur le cadavre d’un être qui les dépasse de beaucoup, que ce ne peut être qu’au soir de la mort d’un grand qu’un vil peuple se met en transes.

D’une certaine manière, sans doute est-ce ainsi que, sans le savoir, vous autres rendez hommage aux disparus d’importance. Bien sûr, on chercherait là en vain une quelconque marque de bon goût. En revanche, l’ardeur est bien là, débordante, échevelée, obscène pour tout dire. 

Votre bal improvisé place de la République et autres lieux à travers le pays n’était en vérité que le bal des vaincus.

Vous avez tenu durant quelques heures le caniveau, il est vrai, lieu qui vous sied à merveille, mais c’est désormais la vision lucide, désenchantée et vraie, ce sont les alertes et les idées de Jean-Marie Le Pen qui tiennent partout en France, ne vous en déplaise, le haut du pavé. En fait, évidence que vous seriez bien incapables de reconnaître, c’est bien sur cette victoire-là, inattendue mais à présent probablement décisive, que vous gigotiez, brailliez, vomissiez votre haine. La haine tonitruante des faibles, des impuissants, des défaits, des révolutionnaires de beuveries et de carnaval.

A lire aussi: Causeur #130: Dix ans après, qui est encore Charlie? N’ayons plus peur!

Ce bal des vaincus aura été, que vous en ayez conscience ou non, le plus trépidant, le plus hystérique, le plus braillard, et donc d’un certain point de vue le plus formidable hommage qui pouvait être rendu au Croisé Le Pen au soir de sa mort. Soyez-en remerciés. Mais si, mais si…

Enfin, danser un soir de deuil n’est pas dans mes mœurs, certes, mais me piquant d’être un défenseur farouche et résolu de la liberté de penser je ne peux me dispenser de l’être aussi de la liberté de danser. Dansez donc jeunes gens. Encore et encore… Là-haut, il me semble qu’il s’en trouve un pour ricaner de plaisir.

Et puis, dans le registre du goût douteux, peut-être faut-il aussi ranger cette photo publiée par Paris Match où l’on voit, dans l’avion qui la ramène de Mayotte, Marine Le Pen en larmes, effondrée. Elle vient d’apprendre le décès de son père. Était-il si opportun, si indispensable de dérober ce moment d’intime détresse ? Est-ce que le plus élémentaire respect qu’on doit à la mort, à ceux qu’elle touche, bouleverse, blesse, n’aurait pas dû tempérer quelque peu la précipitation mise à coucher sur papier glacé cet accès de chagrin[1] ? Le respect, oui. Mais parfois on en arriverait à douter qu’on puisse encore respecter quelque chose en France aujourd’hui. Cela dit, à terme, cet instant d’humanité restera. Cet instant volé qui ne peut que rendre la cheffe politique plus proche de nous, du commun des mortels, qui finalement la créditera de cette proximité qui nous semble si souvent faire défaut à nos élites dirigeantes. Il n’y avait pas urgence, certes. Mais ainsi le veut, dans notre monde d’aujourd’hui, la dictature de l’immédiateté.

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[1] Publiée sur les réseaux sociaux, la photo a depuis été retirée

Peggy Sastre: « Nous avons échangé l’émancipation contre la susceptibilité »

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Philippe Matsas/Leextra via opale.photos

Peggy Sastre fait partie de ces enfants des Lumières qui ont perdu de leur naïveté depuis les massacres de Charlie. Dans Ce que je veux sauver, elle défend un idéal de liberté alliant ouverture et fermeté. Et elle désigne ses ennemis : l’individualisme capricieux, l’identitarisme morbide, l’universalisme dévoyé.


Causeur. Après Charlie Hebdo, vous avez mis un mois à pouvoir sortir de chez vous. Après le 7-Octobre, seulement quatre jours. On s’habitue ?

Peggy Sastre. Je ne dirais pas qu’on s’habitue, mais on développe des mécanismes de survie et c’est bien normal. Ou alors on s’érode, comme une falaise face aux marées ? Après, il y a évidemment la logistique, on finit par sortir parce que le monde ne s’arrête pas, et que la petite famille réclame à manger. Mais chaque retour à la « normale » semble davantage appartenir à une autre époque. La sidération se mue en lucidité et on apprend à vivre dans un monde où la barbarie n’est plus une anomalie.

Vous explorez ce qui s’efface sous nos yeux et qui était l’ADN des sociétés libérales. Qu’est-ce qui distingue l’individu autonome des Lumières et l’individu tyrannique d’aujourd’hui ? Comment l’un a-t-il accouché de l’autre ? Y a-t-il eu un libéralisme heureux ?

Les Lumières voulaient limiter les conflits en donnant à chacun la liberté d’être et de penser différemment, dans le cadre de la raison et de la responsabilité. Cet individu autonome devait coexister sans asservir ni être asservi. Mais aujourd’hui, nous avons glissé vers un individualisme capricieux où la moindre contrariété devient une atteinte insupportable. Un peu comme un préado mal élevé (ou mal appris, comme dirait ma mère) qui exige tout, tout de suite, sans vouloir les responsabilités qui vont avec. Cette dérive vient d’un malentendu fondamental : croire que la liberté est illimitée. Le libéralisme originel savait poser des bornes : ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. Aujourd’hui, l’absence de limites engendre un chaos émotionnel. Il n’y a sans doute pas eu de « libéralisme heureux », mais il y a eu des périodes où l’équilibre semblait possible.

Le libéralisme originel défend l’individu contre la tyrannie du groupe. Pendant longtemps, les nouveaux arrivants en France ont échappé à leur groupe (par exemple les enfants des juifs du shtetl). Mais aujourd’hui, dans les sociétés musulmanes européennes et française, le groupe a repris son ascendant sur l’individu. Et on arrive à ce paradoxe d’un individu capricieux et susceptible, qui exige d’abord qu’on respecte son groupe et ses petites lubies…

Oui, c’est le paradoxe de l’universalisme mal compris. L’idéal libéral proposait de protéger les individus des contraintes de leur groupe. Mais aujourd’hui, l’universalisme se retourne contre lui-même : on utilise la protection des groupes comme justification pour brider les libertés individuelles. Ce phénomène est amplifié par les discours identitaires, où les sensibilités des uns deviennent le prétexte pour censurer les autres. Nous avons échangé l’émancipation contre la susceptibilité. Et il est effectivement là, le mot-clef. Nous sommes passés de la quête d’émancipation à une fixation obsessionnelle sur le respect de l’identité, au point de détester quiconque ne partage pas notre vision. Résultat : l’individu hypersensible exige que son groupe soit sacré et que ses caprices deviennent des dogmes. L’ancien libéralisme aura enfanté d’un tyran miniature à force de mal comprendre ce qu’il voulait dire par « liberté ».

L’idéal de la liberté, c’était de pouvoir faire ce qu’on voulait (de sa vie, de son cerveau, etc.). Aujourd’hui, on prétend être ce qu’on veut (homme, femme, caillou, poisson). Au nom de quoi déciderions-nous que cette liberté-là n’est pas désirable ?

La question n’est pas de savoir si elle est désirable, mais si elle est viable. On ne peut pas ignorer les réalités biologiques, sociales et anthropologiques. Se prétendre homme ou femme au gré de ses envies sans reconnaître les structures objectives qui sous-tendent ces catégories, c’est basculer dans une fiction collective. Cette liberté-là n’est pas une avancée, mais une fuite vers l’irréel. Aussi, je crois que cela relève de la confusion entre le vouloir être et le pouvoir être. Vouloir devenir poisson, c’est poétique. L’exiger, c’est absurde. À force de tout sacraliser, y compris nos fantasmes, on finit par perdre le sens des limites. Et sans limites, il n’y a plus de liberté, juste un chaos identitaire où tout se vaut.

« Ce sont des gens qui ont été assassinés, pas la liberté d’expression », disait Luz. Pardon pour votre estomac saturé de symboles, mais n’est-ce pas un peu aussi la liberté d’expression ? Depuis Charlie, tout le monde a peur de parler de l’islam. Qui publierait une caricature aujourd’hui ?

La liberté d’expression n’est pas morte, mais elle est effectivement gravement malade. Le mouvement avait été initié avant janvier 2015, mais le fait est qu’après Charlie, on a vu multiplier les lois et les censures qui brident précisément ce que Charlie défendait. Oui, qui oserait publier une caricature aujourd’hui ? La peur de parler de l’islam est réelle, et elle sape la possibilité même du débat public. Mais il y a aussi tout un appareil législatif qui permet de contraindre les discours, la création intellectuelle, et nourrit l’autocensure.

Dieudonné se rend au ministère de l’Intérieur pour soumettre sa liste « antisioniste » pour les élections européennes, Paris, 13 mai 2009. Les restrictions à la liberté d’expression, loin d’éradiquer les discours qu’elles visent, les rendent souvent plus virulents en les reléguant dans l’ombre.

Vous affirmez, études à l’appui, que les lois de censure (des discours de haine) type loi Gayssot, etc., ne font nullement diminuer la haine. Et même qu’elles la renforcent par un « effet de convergence morale ». (J’apprends dans votre livre qu’il y en avait dans l’Allemagne préhitlérienne). Pourquoi persévère-t-on dans l’erreur en ce cas ? Ces lois sont-elles le moyen d’acheter une bonne conscience collective ? Ne sont-elles pas indispensables quand la civilité naturelle disparaît ?

Parce qu’elles donnent l’illusion d’agir. Ces lois permettent de montrer qu’on est du « bon côté », mais elles n’éradiquent pas les idées qu’elles visent. Au contraire, elles les envoient sous le radar, où elles se radicalisent. Ces lois donnent une illusion de contrôle, mais elles amplifient souvent la haine en la rendant clandestine et plus virulente. Regardez Dieudonné et Soral : leurs idées ont prospéré dans un climat où la discussion libre était bridée. On persévère parce qu’on préfère une bonne conscience collective à une réelle efficacité. C’est de la cosmétique législative.

De fait, après la loi Gayssot, on a eu Dieudonné et Soral qui, bien avant le 7-Octobre, avaient rendu l’antisémitisme tendance. Si les lois sont à l’évidence inefficaces (mais très efficaces pour plomber le débat public et interdire la pensée libre), que faire pour lutter contre les affects déplorables qui envahissent la vie sociale (via les réseaux du même nom) ? Êtes-vous pour le laisser-faire intégral, ce qui signifie qu’on pourrait déclarer publiquement qu’il faut tuer tous les coiffeurs ?

Non, je ne suis pas pour le laisser-faire total, car être maximaliste sur la liberté d’expression, comme je le suis, ne signifie pas que la liberté d’expression n’a aucune limite. Même selon le Premier amendement de la Constitution américaine, tel qu’interprété depuis le milieu du xxe siècle par des juges de la Cour suprême comme Oliver Wendell Holmes et Louis Brandeis, et qui constitue aujourd’hui le cadre législatif le plus permissif qui soit dans le monde sur ce plan, il n’y a qu’un type de discours qui mérite la censure : ceux qui en appellent à des dommages réels et directs envers des personnes, et qui le font de manière immédiate. Ni plus ni moins. Aussi, le problème avec les « discours de haine » contrevient à un autre principe constitutionnel majeur : la neutralité du point de vue, qui interdit au gouvernement de réglementer des propos uniquement parce qu’ils ne sont pas appréciés ou qu’ils sont considérés comme dangereux par les représentants du gouvernement. Et le tout se redouble d’une question pragmatique, d’efficacité : interdire les discours haineux ne fait que les rendre plus séduisants. Qu’on mise plutôt sur la contradiction, l’exposition et l’humour pour dégonfler les passions. Un monde où tout peut être dit est un monde où tout peut être contesté. C’est cela qui fait avancer la société. Laisser parler les imbéciles, c’est leur retirer le charme du tabou. Protéger au maximum la liberté d’expression, c’est aussi permettre aux idées de s’affronter en plein jour, pas de les reléguer dans des champignonnières où elles vont dangereusement fermenter.

Aujourd’hui, c’est à gauche (et dans toutes les niches progressistes) que sévit la pulsion de censure, ce qui nous conduit à nous demander comment les héritiers des Lumières sont devenus le camp de l’obscurantisme. C’est peut-être que la gauche n’est pas héritière des Lumières, mais de la pensée magique de l’Idéologie du progrès (je pense à l’occulto-socialisme de Muray) ?

Je pense que la pulsion de censure sévit partout, mais qu’elle est simplement plus ou moins active selon l’ampleur de votre pouvoir. La gauche a effectivement troqué la raison contre des émotions survoltées, du fait justement des succès des causes progressistes, et elle en est ainsi venue à vouloir toujours plus et à confondre amélioration et perfection. Sauf que vouloir imposer une perfection, c’est le terreau de l’obscurantisme. L’héritage des Lumières repose sur le doute et la critique. Pour avoir toujours raison, il faut être disposé à toujours changer d’avis. Dès que l’on sacralise une idéologie, on glisse vers le dogmatisme, et on arme des inquisiteurs et leurs excommunications.

Les véritables sociétés libérales, si on vous suit, ne proposent aucun contenu sur ce qu’est la vie bonne, mais des procédures pour coexister sans s’étriper. Mais n’a-t-on pas besoin d’autre chose pour vivre ensemble ? Vous moquez justement les « valeurs de la République », mais la tentative de créer un sacré laïque était-elle si stupide ?

Peut-être pas stupide, mais en tout cas mal ficelée. Le sacré laïque est une coquille vide qu’on agite à chaque crise, sans en comprendre le sens. Les « valeurs de la République » sont répétées comme un mantra, mais elles ne reposent plus sur rien de solide, et le danger, c’est qu’elles constituent une religion d’État. Les sociétés libérales ne définissent pas la « vie bonne » : elles instaurent des règles pour coexister sans violence. Avec les « valeurs de la République », on en vient à justifier des normes autoritaires, à chercher une moralisation collective sous couvert de neutralité.

Pour vous la France est l’héritière du wokisme à cause de la centralité d’un État qui dit aux gens ce qu’il faut penser (en réalité ce qu’il ne faut pas penser). N’est-ce pas plutôt à cause d’une sorte de robespierrisme d’atmosphère ? Quand on détient le Bien, on veut l’offrir aux autres, par la force s’il le faut.

Oui, les deux sont liés. La centralisation et le robespierrisme partagent une croyance dans l’imposition du « Bien », avec un grand B et au singulier. Mais dès qu’un État prétend détenir le monopole du bien commun, il ouvre la porte à toutes les formes de coercition morale et ensuite de tyrannie.

« Aucune civilisation n’a résisté sans une certaine fermeté sur ses normes fondatrices », écrivez-vous. Le problème, c’est non seulement la lâcheté, mais aussi le fait que par nature les démocraties ne sont pas fermes puisque la tolérance et l’altérité font partie de leurs normes fondatrices. Comment sortir de là ?

C’est un dilemme. Les démocraties valorisent la tolérance et l’altérité, mais elles doivent se défendre sans renier leurs principes. Cela demande du courage, de la clarté et une capacité à dire : « Jusqu’ici, pas au-delà. » Une démocratie peut être tolérante sans être naïve, et ouverte sans être suicidaire. C’est une gymnastique périlleuse, mais indispensable.

De l’antisémitisme déchaîné au féminisme déréglé, tout indique que nous sommes entrés dans une nuit de la raison. Or, comme vous le démontrez brillamment, c’est la clef de toute vie civilisée. Tout cela – la liberté, la dispute, la possibilité de la dissidence – n’est-il pas déjà détruit par l’affaissement du niveau intellectuel général, encore attesté récemment par une étude OCDE ? Si la clef de l’émancipation, c’est la connaissance et la réflexion, on ne va pas se mentir, comme vous dites : c’est foutu, non ?

Je crois que s’il y avait quelque chose qui pouvait définir le monde libéral, c’est le sentiment que tout est foutu, que l’apocalypse est pour demain. Peut-être parce que le désastre est notre meilleur stimulant ? En tant que traductrice de Peter Turchin, je pourrais aussi vous dire que l’histoire a cette étrange habitude de flirter avec l’abîme avant de rebondir. Alors, foutu ? Peut-être que ce pourrait être un bon prétexte pour arrêter de rêver d’utopies et commencer à faire avec ce qu’on a, en espérant que l’humour et la lucidité survivent au passage.

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Contre le capitalisme de connivence

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DR.

Dans une économie capitaliste trop encadrée par l’État, comme la nôtre, de vos relations étroites avec les représentants des gouvernements dépendra le succès de vos affaires, déplore notre chroniqueuse.


Le fait que l’État français soit omniprésent induit une forme d’économie administrée, qui, outre son coût élevé pour les citoyens et les entreprises, engendre des effets pervers. Il est indéniable, par exemple, que le succès de certaines entreprises repose, entre autres, sur leurs relations étroites avec le gouvernement, les décideurs politiques et d’autres élites du système, ce qui fausse leur performance et leur compétitivité sur le marché.

On accuse ces entreprises de bénéficier d’aides, de subventions ou d’exonérations, mais c’est aussi ainsi que l’État consolide son pouvoir et maîtrise, croit-il, l’économie du pays ! De leur côté, les entreprises tentent de compenser les pressions fiscales et sociales qu’elles subissent en obtenant des subventions, des contrats publics avantageux ou des régulations sur mesure. Les lobbyistes jouent ici un rôle clé, souvent comme les seuls défenseurs efficaces des entreprises, particulièrement des grandes, car les PME, elles, n’ont pas les moyens d’exercer une telle influence.

Non au capitalisme du copinage

On aboutit alors à une forme de capitalisme de connivence, régulièrement dénoncée, mais dont la responsabilité est complexe à attribuer. Cela peut évidemment dériver vers des pratiques de corruption et de trafic d’influence. Un lobbying quasi officiel, souvent exercé par de hauts fonctionnaires ou d’anciens élus, tente ainsi de manipuler les décisions publiques. Ces interventions, monnayées ou non, sont parfois perçues comme légitimes par leurs auteurs.

A lire aussi, Charles Gave: L’Argentine à la tronçonneuse

Au fil des années, la proximité entre les dirigeants économiques et les politiques s’est accentuée, donnant aux citoyens le sentiment d’être laissés de côté au profit d’élites souvent accusées d’être « toutes pourries ». Le président Emmanuel Macron, par exemple, est régulièrement qualifié de « président des riches ». Bien que cette accusation soit plutôt infondée, elle illustre le problème français : une méfiance envers les riches et la réussite financière, perçue comme injustifiée, imméritée ou malhonnête. Ce jugement est directement lié à cette connivence. Ce phénomène n’est pas propre à la France : l’indice du capitalisme de connivence publié par The Economist évalue la part de la richesse des milliardaires provenant de secteurs favorables à ce type de proximité, comme la défense, les infrastructures ou l’immobilier.

En France, les syndicats, qui ne représentent que seulement 10 % des salariés, possèdent néanmoins un grand pouvoir grâce à leur capacité de nuisance, notamment par la grève, cette menace suprême qui paralyse les réformes nécessaires.

Morale et business

Un exemple concret illustre selon moi cette influence excessive : celui d’un entrepreneur ayant créé un service de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) dans le Vaucluse[1]. Ce service, couronné de succès au départ, proposait des prix compétitifs grâce à la rentabilité obtenue via des espaces publicitaires sur les voitures et dans les véhicules. Cependant, face à la panique des taxis, désireux de faire couler ce concurrent, le ministère de l’Intérieur intervient. Résultat : la loi est modifiée à deux reprises.

D’abord, une longueur minimale de 4,50 mètres est imposée aux véhicules, supérieure aux 4,40 mètres initialement choisis par l’entreprise, qui se voit contrainte de renouveler sa flotte. Ensuite, le lobbying des taxis obtient qu’une puissance moteur minimale soit exigée, sans justification claire. Ces interventions mènent finalement à la faillite de l’entreprise : investisseurs ruinés, vingt chauffeurs au chômage. Merci l’État. Ce manque d’éthique et cet interventionnisme de connivence créent des inégalités économiques et sociales flagrantes.

N’est-ce pas là une négation totale du libéralisme ? Ces pratiques courantes et immorales doivent cesser.

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[1] Easy Take était une société de taxis fondée en 2009 dans le Vaucluse. Son modèle économique se distinguait par des tarifs forfaitaires attractifs, établis en fonction de la distance parcourue. Ces prix s’appliquaient quel que soit le nombre de passagers (véhicules de 4 passagers maximum), avec ou sans bagages. En parallèle de son activité de transport, Easy Take offrait des solutions publicitaires innovantes en utilisant sa flotte de véhicules comme supports de communication. Cela incluait le « covering » (habillage total ou partiel des véhicules) et la diffusion de clips publicitaires sur des écrans embarqués.

Jean-Marie Le Pen a gagné sa bataille culturelle

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Défilé du Front national à Paris, 1er mai 1995 © HALEY/JOBARD/NIVIERE/SIPA

Disparu hier, Jean-Marie Le Pen apparait pour une majorité de citoyens français comme un prophète caricaturé – ou caricatural – sur la question de l’immigration.


Jean-Marie Le Pen, décédé mardi dans sa 97e année, a gagné sa bataille culturelle. L’histoire retiendra l’impétueux lanceur d’alertes, davantage que l’homme politique infréquentable. En effet, ses outrances à caractères antisémites font aujourd’hui pâles figures face aux débordements de haines anti-juives qui s’observent dans une partie de la communauté musulmane immigrée et dans l’extrême gauche antisioniste et anticapitaliste. Hier soir, à Paris et ailleurs, des militants « humanistes » se sont rassemblés pour cracher sur le mort en buvant bières et champagnes tièdes. Loin de clore une époque, la disparition du fondateur du Front national s’accompagne, partout dans le monde, du réveil annoncé des peuples et des nations. L’élection de Donald Trump témoigne de cette révolution conservatrice aboutie. L’annonce de la démission du Premier ministre canadien Justin Trudeau, lundi, vient confirmer l’échec des idéologues du mondialisme et du multiculturalisme : des utopies dénoncées par Le Pen.

Le goût de déplaire

Reste que son goût de déplaire aux élites parisiennes et à leurs médias, et sa coquetterie à assumer une posture d’ex-para devenu paria-punk, l’ont poussé à des fautes et à des condamnations infamantes. Cet attrait jubilatoire pour la provocation a eu pour conséquence de créer un effet repoussoir chez ceux (je fus de ceux-là) qui pouvaient comprendre ses assauts contre le politiquement correct mais qui ne pouvaient cautionner son « point de détail de l’histoire » sur les chambres à gaz, son « Durafour crématoire » et autres finesses de fin de banquet. De ce point de vue, Le Pen a contribué à compliquer et donc ralentir la tâche de ceux qui voyaient les mêmes choses mais ne voulaient pas être mêlés à son univers mental.

A lire aussi: La rentrée du numéro 10

Ironie de l’histoire

La concomitance entre sa mort, annoncée hier à midi, et la commémoration des attentats islamistes contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, rappelle l’aveuglement de tous ceux qui, à commencer par la rédaction du journal satirique, n’auront jamais voulu entendre ses mises en garde contre l’immigration de peuplement et la subversion de l’islam conquérant. Ironie de l’histoire : c’est l’ex-gauchiste Daniel Cohn-Bendit qui, dimanche sur LCI parlant de Mayotte submergée par les clandestins, a appelé à « freiner et rendre impossible cette immigration qui est un grand bouleversement, un grand remplacement de la population ». Cette adhésion soudaine du vieux soixante-huitard au vocabulaire de Renaud Camus n’est en tout cas pas partagée par Emmanuel Macron, corseté dans sa dialectique sommaire opposant gentils et  méchants. Non content d’avoir visé l’autre jour Elon Musk en l’accusant de soutenir « une nouvelle Internationale réactionnaire », le chef de l’Etat a désigné Le Pen, dans une nécrologie avare de mots, comme la « figure historique de l’extrême droite ».

Or ce procès récurrent en extrémisme est l’autre moyen, avec la censure, de délégitimer des opinions non conformes. Derrière « l’extrême droite » ou le « fascisme », déjà brandis jadis contre les dénonciateurs du goulag et des crimes communistes, apparait un nouveau cycle politique aspirant au contraire à plus de démocratie.

En l’occurrence, c’est le monde déraciné, indifférencié et remplaçable, rêvé par Soros et appliqué par Macron, qui s’achève pour laisser place à une souveraineté plus directement liée à la volonté des peuples ordinaires. Les yeux de Jean-Marie Le Pen se sont fermés tandis que s’ouvrent les yeux des Français.

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Épopée révolutionnaire

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© Lucile Cocito

Ariane Mnouchkine et la troupe du Théâtre du Soleil ressuscitent la révolution bolchévique de 1917. Animée par un souffle puissant, l’épopée portée sur scène fustige cent ans de totalitarisme en Russie.


Avec Ici sont les dragons.1917 : la victoire était entre nos mains,le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine renoue avec les grandes fresques héroïques que furent 1789 ou les drames de Shakespeare.  Entre la Révolution de février 1917 qui aurait pu conduire la Russie et les autres nations de l’empire des Romanov sur le chemin de la démocratie, et la révolution d’Octobre fomentée par des bolcheviques fanatiques, avides d’imposer la soi-disant dictature du prolétariat, ce premier volet d’un ambitieux dessein théâtral dévoile avec éloquence combien la force, en Russie, prime sur le droit, et combien l’autocrate Poutine est l’avatar peu glorieux des tyrans de jadis.

Une époustouflante maestria

Des tableaux étonnants, comme l’apparition de Nicolas II émergeant à cheval de l’obscurité, le temps d’une phrase signifiant son fatal aveuglement devant ce qui se trame dans son empire ; ou comme l’arrivée de Lénine en gare de Finlande dans les volutes de vapeur d’une locomotive en fureur ; des scènes de révolution, de batailles, de guerre civile ; les renaissances stupéfiantes des plus noires figures de ce temps, évoquées aussi bien par des masques à leur image que par des textes jadis écrits ou proférés par ces manipulateurs sanglants : de ce chaos d’idéologies, de luttes intestines, de conspirations, de traîtrises, de guerres fratricides, d’événements contradictoires, de ce bouleversement copernicien soulevant le plus vaste pays du monde, Ariane Mnouchkine et ses collaborateurs ont brossé un récit épique qu’ils présentent avec une époustouflante maestria.

Et ces tableaux innombrables qui défilent à un rythme infernal, ces éléments de décor qui apparaissent et disparaissent comme des fulgurances dans un permanent souci d’esthétique, forcent l’admiration. Il y a quelque chose de suffoquant dans cette splendide mécanique qui tourne à plein régime durant près de trois heures sans l’ombre d’une maladresse, et où trois femmes, trois Parques du malheur, sillonnent le théâtre pour toujours annoncer le pire.

© Lucile Cocito

Une lecture fantastique

Textes, mise en scène, direction d’acteurs, décors, lumières, projections, costumes, musiques, fonds sonores, ont été pensés et repensés, polis et repolis, retranchés, réécrits, restructurés au fil d’innombrables répétitions, jusqu’à ne conserver que l’essentiel des événements prodigieux ou misérables qui composent cette épopée ambitionnant avec panache à être une lecture implacable de l’Histoire.  

Ariane Mnouchkine et les siens (plus de soixante-dix personnes, dont trente comédiens sur le plateau) n’hésitent pas à dénoncer l’architecture de ce système totalitaire qui fait du tyran russe d’aujourd’hui le descendant direct des tyrans soviétiques de jadis.   Rien ici ne permet de faire croire que la révolution de Lénine et de Trotski aurait été trahie par Staline, comme tant d’idéologues ont voulu le faire croire. Déjà, elle n’était rien d’autre que l’œuf monstrueux d’où allaient sortir l’hydre stalinienne et la violence actuelle.

Cette course à l’abîme ne permet évidemment pas les nuances. Qu’importe ! L’essentiel est dit. Plus d’un siècle de crimes effroyables, de génocides, de mensonges se profile dans le premier volet de cette effroyable épopée courant de 1916 à 1918, où les crimes de 1917, mais aussi ceux de 1905 commis par le régime impérial, annoncent les crimes qui aujourd’hui ravagent l’Ukraine et pèsent sur la Russie.

Dans cette époustouflante mise en scène qui file comme le vent, sans temps mort, sans anecdotes inutiles, la tempête de l’Histoire est transportée par le génie du théâtre.


Ici sont les dragons
Théâtre du Soleil. Cartoucherie de Vincennes. Jusqu’au 27 avril 2025. https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/notre-theatre/les-spectacles/ici-sont-les-dragons-2024-2470 / 01 43 74 24 08

Barkhane, le temps béni du Mali

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Des soldats de l’opération Barkhane dans la région de Tombouctou, au nord du Mali, 21 avril 2019. En août 2022, la France a annoncé le retrait de ses derniers soldats, mettant ainsi fin à neuf ans d'opérations militaires dans le pays © Laurence Geai/SIPA

Le départ des soldats français déployés au Mali a permis à la Russie de s’implanter au cœur du pouvoir. En soutien à la junte militaire, les mercenaires de Wagner ont instauré un régime de terreur en systématisant massacres, viols et pillages dans certaines régions. Notre envoyé spécial a rencontré des survivants de cette épuration ethnique.


Armée française en Afrique : « On a oublié de nous dire merci » déclare Emmanuel Macron – lors de la Conférence annuelle des ambassadrices et des ambassadeurs à l’Élysée, le 6 janvier 2024

« Il n’y aura bientôt plus de soldats français au Sénégal », déclarait fin novembre le président sénégalais. En deux ans, l’armée française a battu en retraite du Mali, du Burkina Faso et du Niger, cédant à la pression de régimes affidés à la Russie qui ont pris la France comme bouc émissaire de leurs propres difficultés. Elle s’apprête désormais à plier bagage du Tchad, du Sénégal, et ses effectifs diminueront en Côte d’Ivoire et au Gabon. Ce déclin accéléré de la puissance militaire française en Afrique n’est pas le fruit d’une stratégie pensée et planifiée par le président Macron, mais le résultat d’un attentisme qui a fini d’anéantir l’autorité de la France.

Depuis la fin de l’opération Barkhane, près de deux cents civils ont été auditionnés. Tous ont vécu l’arrivée de Wagner au Mali comme un basculement dans l’horreur et regrettent le départ du « protecteur français ». Chômeurs, étudiants, bergers, comptables, gardiens, pompistes, infirmières ou mères au foyer, ils vivaient dans des communes sécurisées par Barkhane au centre et au nord du pays. En plus de permettre aux terroristes islamistes de retrouver leur influence et aux mercenaires russes de s’implanter au Sahel, le départ des Français a également provoqué une hausse massive de l’immigration. La plupart des victimes de Wagner ont émigré dans des pays limitrophes, en Afrique du Nord et en Europe.

Leurs témoignages sont aux antipodes des diatribes des putschistes de Bamako qui, avec une rhétorique volontairement dégagiste et anticolonialiste, ont causé le départ de la France. Ces victimes sont les seules sources vivantes capables de témoigner du régime de terreur instauré par les Russes. À les écouter, on comprend dans quel but la France a été instrumentalisée par le régime de Bamako et comment le Sahel est devenu le nouveau théâtre de la stratégie du chaos pilotée par Moscou aux portes de l’Europe.

La terreur russe au Mali racontée par ses rescapés

« Ça a été si rapide ! Les Wagner sont venus dans mon village accompagnés de militaires maliens. Sans rien chercher à comprendre, ils ont envoyé tous les hommes qu’ils trouvaient loin du village, pour les exécuter. Ensuite, les femmes ont été choisies comme des mangues sur le marché. J’ai été violée par cinq Russes pendant deux heures. » Mariam, 27 ans, Malienne et Touareg.

Les victimes de Wagner sont des survivants. Rencontrer les mercenaires russes a été un choc, puis un cauchemar. Youssouf, 23 ans, ne peut se départir de l’image de ces bergers maures brûlés vifs à dix mètres de sa cachette. Rhissa, 16 ans, a vu des soldats maliens éventrer le cadavre de son frère à la machette et en manger le cœur et le foie devant l’« excitation » et les « rires » des soldats blancs.

L’apparition des mercenaires est synonyme d’épouvante. On les a entendus débarquer sur des hélicoptères, la nuit, ou vus arriver en trombe sur des pick-up percutant enfants, femmes et vieux se trouvant sur leur route. Certains racontent le bruit des balles et les « corps tombant comme des mouches » alors qu’ils faisaient leurs courses au marché. Les rescapés qui ont simplement « croisé » leur chemin en brousse ont été torturés puis laissés pour morts.

Les incursions sanglantes relatées par les victimes de Wagner sont comparables à des razzias. Si la durée des attaques diffère selon les communes, leur structure comporte toujours trois invariants : massacres, viols et pillages. Les actions commises à leur départ s’apparentent à une politique de la terre brûlée : puits et réserves d’eau empoisonnés, récoltes ou maisons incendiées, bétail volé ou abattu, cadavres piégés à l’explosif.

Des Maliens manifestent contre la France et en soutien à la Russie, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du Mali, à Bamako, 22 septembre 2020. Depuis le départ de la France, une grande partie des civils regrette le « protecteur français », perçu avec nostalgie face à la terreur des mercenaires russes de Wagner © AP Photo/Sipa

Purification ethnique et conquête du territoire : l’autre mission de Wagner au Mali

La présence des mercenaires russes au Mali est souvent présentée comme la conséquence d’un pacte avec le régime de Bamako, au terme duquel la junte malienne chercherait à sécuriser son pouvoir en échange de concessions minières et d’un renforcement de la lutte contre les djihadistes. Cette lecture est largement incomplète. Les paramilitaires de Wagner représentent une assurance-vie pour la junte bamakoise et leur accès privilégié aux mines du Mali a été bien renseigné. Cependant une autre mission semble leur avoir été assignée : la conquête des territoires du Centre et du Nord par l’épuration ethnique.

Il suffit de s’attarder sur la géographie de leurs crimes, l’origine de leurs victimes et sur l’histoire du Mali pour comprendre que la barbarie de Wagner n’a rien d’aléatoire. Leurs cibles sont principalement issues du centre et du nord du pays, de contrées éloignées de la capitale, peuplées de Peuls, Songhaï, Bozos, Dogons (au Centre), Maures et Touareg (au nord). À l’inverse, les populations du Sud sont des Bambaras (ethnie de Bamako), Malinkés, Soninkés (sud-ouest) et Sénoufos (sud-est). Depuis son indépendance, la République du Mali n’est indivisible que sur le papier de sa Constitution : au centre du pays les conflits entre Bozos, Dogons et Peuls ont perduré, et les populations arabo-berbères du Nord n’ont cessé d’exprimer leurs différences en s’organisant pour obtenir indépendance ou autonomie.

La junte bamakoise cherche à instaurer un pouvoir favorable aux peuples du Sud et à étendre son hégémonie dans le reste du pays en excitant les tensions interethniques contre les Peuls au Centre, et en purgeant les populations maures et touareg au Nord. Cette politique d’épuration ethnique n’est pas seulement rapportée par les victimes directes de la junte et de leur bras armé russe, qui se disent « ciblées », « pourchassées », « diabolisées ». Elle est aussi attestée par ceux ont échappé à la mort car ils n’étaient ni peuls, ni maures, ni touareg. « Tous mes voisins et mes amis peuls ont été obligés de s’enfuir. Ils savaient qu’ils risquaient leur vie en restant ici. La lutte contre le djihadisme est devenue un règlement de comptes », témoigne Laji, 32 ans, bambara issu d’un village du Centre-Est, où régnait la paix entre les ethnies. Samba, Songhaï issu d’une commune du cercle de Djenné raconte : « Mon ami tamasheq [touareg, ndlr] a été tué chez lui et sa femme a été violée par les Wagner. Il n’a rien fait, son seul tort est d’être né avec la peau blanche. »

Les viols systématiques des femmes peules et touareg rapportés par les rescapés de Wagner relèvent eux aussi de l’épuration ethnique. Nombre de ces viols ont donné naissance à des enfants dont l’existence est un tabou. On les appelle les « bébés Wagner ». Comme leur couleur de peau et leurs traits rappellent l’infamie qui a présidé à leur naissance, ils sont élevés dans le secret.

Si l’hostilité des victimes à l’endroit du régime putschiste est immense, elle est sans commune mesure avec la haine qu’ils nourrissent pour les maîtres d’œuvre de l’épuration. En effet, contrairement à la vision véhiculée par Jeune Afrique ou Le Monde, les Russes ne sont pas des supplétifs de l’armée malienne, c’est l’inverse : sur le terrain, ce sont les paramilitaires russes qui dirigent les opérations. Les FAMa (Forces armées maliennes) ne sont là que pour les seconder, au même titre que les confréries de chasseurs dozos et dogons avec lesquels ils pourchassent les Peuls dans le centre du pays.

S’ils commettent aussi des crimes de guerre, les FAMa sont décrites comme des éléments subalternes, obéissant aux ordres des « Blancs » et relégués aux fonctions de traducteurs ou de guides. Wagner a « droit de vie et de mort » sur les militaires maliens. En cas de désaccord ils sont exécutés par les mercenaires russes, comme à Anéfis, où Ahmad, 22 ans, a assisté à l’exécution de six soldats maliens qui avaient désobéi à leurs « maîtres russes », avant de s’enfuir en Tunisie.

La nostalgie de la France et des années Barkhane

Tous les civils interrogés ont, souvent avec ferveur, affirmé être favorables au retour de l’armée française au Sahel. Combien d’entre eux avaient manifesté sous la bannière « France dégage ! », jeté des pierres sur les convois militaires de l’armée française ou simplement contribué au « sentiment de lassitude » qui a précédé le retrait de Barkhane ? Impossible de le savoir. Depuis le départ de la France, les perceptions ont changé et les soldats français appartiennent à une époque révolue, évoquée avec nostalgie.

« Wagner a détruit neuf ans de paix rétablie par Barkhane. J’ai grandi dans la sécurité. Je bénis ce temps-là aujourd’hui », résume Aicha, tomonaise de 25 ans réfugiée en Mauritanie. L’arrivée des mercenaires a marqué une rupture si violente que toute mention des Français ranime des souvenirs insignifiants, voire pénibles, mais qui, en comparaison des atrocités commises par la suite, ont pris une valeur positive. Même un simple contrôle de routine effectué par une patrouille française devient un souvenir heureux : « Quand ils t’arrêtaient, ils te demandaient les pièces d’identification, passaient tes doigts dans leurs machines et te posaient des questions sur ton voyage. Ils étaient humains et respectueux. Pas des assassins comme Wagner », se remémore Khamis, 32 ans, qui a quitté son village des environs de Gao pour Abidjan.

Dans les esprits, Barkhane est aujourd’hui l’anti-Wagner. Aussi les soldats français sont-ils parfois qualifiés de « saints » ou assimilés à « une armée humanitaire », tandis que les mercenaires russes sont comparés à des « sauvages » ou à des « terroristes pires que Daech ». Les viols, massacres et pillages perpétrés par les Russes ont magnifié les services rendus aux locaux par les Français, dont ce n’était pourtant pas le cœur de mission. Les témoins n’ont pas oublié les « programmes d’aide sociale », les « aides aux micro-entreprises », « l’installation de château d’eau », la « création de barrages », les « dons de médicaments, vêtements, nourriture et fournitures scolaires », la « plantation d’arbres » dans des écoles… jusqu’aux « tournois de football » organisés ponctuellement avec les adolescents.

Si l’idée d’un retour de Barkhane suscite un enthousiasme unanime parmi les rescapés de Wagner, ils n’y croient guère : ils n’attendent plus grand-chose de la France. Les conditions du retrait de Barkhane ont marqué les esprits et l’arrivée de Wagner a profondément modifié la perception de la puissance française. « Les Européens sont lâches et ont peur de la Russie », regrette Abdoul. « Ils ont plié bagage comme s’ils étaient un pays du tiers-monde et non une puissance mondiale », soutient Ramata. Frère et sœur, ils ont quitté Kidal pour l’Algérie dans les six mois qui ont suivi le retrait français.

Le sentiment antifrançais est volatile et ne peut définir une politique africaine

En deux ans, le Sahel est devenu le foyer d’une mutation géopolitique majeure, menaçant directement l’ordre de sécurité européen. Le départ de la France a permis à la Russie, puissance hostile, de s’implanter au cœur d’États fragiles situés dans le grand voisinage de l’Europe : Libye, Mali, Burkina Faso et Niger. La montée du chaos dans ces dominions russes profite au régime de Moscou, garantit le pouvoir de ses alliés africains et menace la stabilité de l’Afrique et de l’Europe.

Les diplomaties française et européenne focalisent leur attention sur la guerre en Ukraine, à l’Est, et se sont détournées de la guerre non conventionnelle menée au Sud par la Russie. Le sentiment antifrançais, dont la presse internationale, les services de propagande de Wagner et les régimes hostiles à la France se sont tant fait les échos, est une donnée changeante, variable, éphémère. Il ne peut représenter la clé de voûte de notre politique africaine.

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Jean-Marie Le Pen: celui dont toujours il était interdit de dire du bien…

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Place de la République, des manifestants se rassemblées hier soir pour "fêter" la mort de Jean-Marie Le Pen. DR.

La gauche est allée jusqu’à donner l’impression de danser sur un cadavre. Hier soir, des opposants à Jean-Marie Le Pen, qui le considéraient comme le « diable de la République », se sont scandaleusement rassemblés à travers la France pour célébrer son décès.


Jean-Marie Le Pen est mort à 96 ans. Le fondateur et ancien président du Front national ne bénéficiera sans doute pas des quelques heures de décence qui suivent une disparition, même de quelqu’un d’assez largement honni.

En effet, on a vite observé des réactions honteuses de Jean-Luc Mélenchon, de Louis Boyard et de Philippe Poutou, alors que la classe politique dans l’ensemble s’est montrée digne et correcte. Et une manifestation déplorable place de la République pour se réjouir de la mort d’un homme qu’on détestait. Qu’on puisse ainsi célébrer dans l’allégresse ce qui a endeuillé une famille et traiter aussi vulgairement ce qui aurait mérité au moins le silence est la marque, une de plus, du délitement de notre société, de la dégradation de notre civilisation, avec l’effacement de la retenue à l’égard de ceux qui ne sont plus.

J’ai un peu connu Jean-Marie Le Pen quand ministère public dans deux procès de presse (intentés par lui contre le Canard enchaîné et Libération qui lui avaient reproché d’avoir torturé en Algérie), j’avais eu affaire à lui. Il avait créé de manière très artificielle, avant même le début de l’audience contre Libération, un incident odieux destiné à me déstabiliser et qui pour être réglé avait retardé les débats de plusieurs heures. Je ne peux donc pas être suspecté de partialité à son sujet.

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Sur le plan politique, je le percevais comme une personnalité dont on n’avait jamais le droit de dire du bien. À plusieurs reprises, alors qu’il avait raison, je n’ai pas osé l’approuver, comme si je validais l’interdiction dont la transgression aurait été un péché mortel, un opprobre démocratique.

Un homme d’une immense culture, un orateur incomparable dont les imparfaits du subjonctif ont fait partie de la mythologie française. Avec des prestations médiatiques éblouissantes, notamment celle de 1984 à l’Heure de Vérité où on l’a « découvert ».

Le fondateur du Front national en 1972 avait prévu tout ce qui allait suivre pour ce qui se rapporte à l’immigration, à l’islamisme et au sentiment de dépossession qui en résulterait pour beaucoup de Français. Il avait vu et pensé juste avant tout le monde mais il était hors de question de se servir de sa lucidité puisqu’il était le diable.

En 2002, on a compris son désarroi quand il est parvenu à se qualifier pour le second tour. En réalité, n’étant pas prêt pour exercer le pouvoir, il n’aspirait pas à sortir de son rôle d’éveilleur et de trublion talentueux pour des responsabilités dont les qualités qu’elles auraient exigé ne lui correspondaient pas.

Il me semble d’ailleurs que c’est à cause de cette envie profonde de non-pouvoir qu’il s’est autorisé trop souvent des délires historiques, des provocations scandaleuses, qui ont culminé avec « le point de détail », à partir duquel il a perdu beaucoup de son crédit politique. Ils ne sont pas à mon sens survenus par hasard.

D’une part il y avait ce tempérament provocateur, tel un « potache » hors de contrôle, se plaisant à faire des jeux de mots antisémites et à prendre pour un détail ce qui était pourtant central dans l’extermination des juifs. D’autre part ils s’inscrivaient régulièrement dans un parcours qu’il ne désirait pas irréprochable et qui entravait, avec ses excès, les postures de dédiabolisation de sa fille Marine.

Ses extrémités choquantes ont beaucoup nui à sa crédibilité. Il s’en serait dispensé, il aurait été plus convaincant pour ce qu’il avait de prophétique…

On continuera probablement, malgré sa mort, à faire comme si Marine Le Pen ne s’était pas détachée de lui et n’avait pas renié ses élucubrations historiques. Son souvenir demeurera aussi utile pour ses opposants que le repoussoir qu’il était de son vivant.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas avec de la haine et de la moraline qu’on fera baisser le RN mais avec de l’argumentation et de l’impartialité. En effet c’est en lui donnant équitablement ses chances qu’on démontrera ses faiblesses et son inaptitude. Et je termine ce billet en songeant à cette part d’Histoire de France qui est morte avec lui.

Adieu tribun!

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Jean-Marie Le Pen photographié en 2018 © Hannah Assouline

Mourir le 7 janvier, jour de la Saint-Charlie, la dernière provocation de Jean-Marie Le Pen


Albert Camus se plaisait à dire « J’ai une patrie : la langue française ». Incontestablement, Jean-Marie Le Pen manifestait aussi, et peut-être avant tout, son amour de la patrie – amour chez lui chevillé au corps – dans le beau souci qu’il avait du respect de la langue, de l’usage du bel et bon français. Qu’on fût d’accord ou non, on l’écoutait. On se laissait emporter par le flux parfaitement maîtrisé de la phrase, ample, cassante ou sèche, selon l’intention, et on partageait comme malgré soi la gourmandise avec laquelle l’orateur lâchait ses mots.

Le timbre était ferme, la diction assurée, la faconde chatoyante et l’ironie jamais bien loin. Des termes toujours choisis avec intelligence, avec précision, bien à leur place dans la mélodie de la phrase. Une syntaxe au cordeau. Un vocabulaire perlé, riche. Une langue en fête, quoi. Et surtout la saine et fraternelle préoccupation de se faire bien comprendre. Cela sans jamais descendre en gamme, sans sacrifier aux facilités du temps, aux viols permanents du langage que s’autorisent à l’envi les bateleurs encartés du moment. Je rêve d’une anthologie des discours, des propos, des répliques de Jean-Marie Le Pen dûment éditée et mise à la disposition des parlementaires, des élus d’aujourd’hui. Pour leur édification. Ils y gagneraient sûrement en qualité du verbe, et nous en agrément d’écoute. On peut rêver.

Il faudrait pour cela que nos actuels parlementaires aient l’humilité de bien vouloir constater la distance qu’il y a entre leurs éructations de cour d’école et les périodes oratoires quasi cicéroniennes de celui qui vient de passer ad patres. De celui qui vient de partir là où, tout antagonisme politicien aboli, il ne peut manquer de retrouver avec jubilation les Jaurès, les Maurras, les De Gaulle qui, comme lui, se faisaient un devoir intellectuel et moral de mêler en une seule et même passion, en une seule et même exigence l’amour de la langue et de la patrie.

Il y aurait bien des traits, des mots, des trouvailles, des saillies jaillis de sa bouche à retranscrire ici. Je me limiterai à cette seule réponse qu’il fit un jour à un journaliste. Réplique de théâtre d’ailleurs, plus que banale réponse : « Fasciste moi? Allons donc, je ne suis pas assez socialiste pour cela ! »

À défaut de s’inspirer de l’art oratoire de Jean-Marie Le Pen, nos élus du moment feraient bien de méditer ces quelques mots lâchés en riant à demi et qui sont pourtant d’une profondeur politique des plus éclairantes.

La rentrée du numéro 10

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Jordan Bardella © Alain ROBERT/SIPA

À la surprise générale, le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’est emparé de la 10e place du classement des personnalités préférées des Français. L’homme politique s’impose sur le terrain politique mais n’a pourtant pas mis de l’eau dans son vin.


Au foot, le numéro 10 fait figure de maître du jeu. C’est par lui que tout ou presque passe, lui qui distribue les ballons, et qui fort souvent, d’une action d’éclat et de grande classe, marque le but décisif. On se lève dans les tribunes, on l’acclame. Les gamins se font offrir un maillot à son nom avec un gros 10 au milieu du dos et un plus petit sur la poitrine. C’est sur lui, que les regards et les caméras se braquent le plus volontiers à l’entrée des joueurs sur le terrain, tant il est vrai que nombre de légendes du ballon rond l’ont porté, ce numéro 10. Pelé, Zidane, Platini, Messi… Depuis ces jours derniers et la publication du classement IFOP-JDD des personnalités préférées des Français, nous avons un autre numéro 10. Bien qu’il ait le physique d’un sportif de ce niveau-là, ce n’est pas dans le jeu du ballon rond qu’il s’illustre, mais dans un autre, qui se pratique sur un terrain infiniment plus mouvant et bourbeux, la politique. Ce numéro 10 nouveau n’est autre, vous l’aurez compris, que Jordan Bardella. C’est en effet à ce rang estimable qu’il se hausse dans le palmarès 2024 de l’affection populaire que le JDD publie chaque nouvelle année depuis 1988. Une progression de quelque trente places. Belle ascension. Et qui vient couronner une saison à succès. Son livre Ce que je cherche fait un tabac. Un vrai best-seller, malgré les critiques nez pincés de la bonne presse et les dénigrements fielleux de l’engeance Apathie. L’intéressé s’est dit ravi de son numéro 10. À vingt-neuf ans et après seulement une petite dizaine d’années dans la carrière, on le serait à moins. « Ce succès, j’en suis convaincu, a-t-il déclaré, est le fruit d’une affection réciproque entre nous et les Français qui trouvent dans notre projet les réponses à leurs attentes. » Ce « nous » fleure bon la modestie. Il est également justifié par les faits, puisque la capitaine de son équipe, Marine Le Pen, le suit immédiatement dans le classement. Elle enfile cette année le dossard 11. Une progression fulgurante de cinquante places. Du rarement vu. Probablement, l’acharnement considéré injuste d’un arbitrage la menaçant d’une suspension de tout match pour cinq ans aura-t-il eu une certaine influence en sa faveur. Le peuple n’est pas dupe. De loin en loin, il s’entend à le faire savoir.

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Mais il est clair aussi que ces performances – le mot n’est pas trop fort – doivent aussi beaucoup aux déclarations politiques du tandem, notamment celles, parmi les plus récentes, du jeune numéro 10, insistant fortement sur ses préconisations en matière de politique de sécurité. Que ce soit lors de ses vœux ou au cours d’une longue interview sur BFM TV mi-décembre, il a particulièrement pris soin de rappeler la fermeté des engagements pris par son parti sur ce plan : expulsion des délinquants étrangers, rétablissement des peines plancher, démantèlement des réseaux criminels partout où ils prospèrent désormais, suspension des allocations familiales aux parents des mineurs délinquants… Ce faisant, il ne se trompe pas. Ce sont bien là les attentes des Français. Cela dit, il est encore à l’unisson de ce que les citoyens de ce pays ressentent lorsqu’il confesse que la distribution – injustifiée- de subventions à des pays étrangers, lui « fait mal » et quand il affirme que, avec le Mercosur, la France se trouve « violée de sa souveraineté ».

Ce numéro 10 du palmarès 2024 n’est pas à ce jour, certes, le maître du jeu. Son parti, si. On le constatera probablement à l’Assemblée dans les jours qui viennent. Une chose paraît acquise : pour cette partie-là, la balle n’est plus vraiment au centre.

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Jean-Marie Le Pen: « J’ai marché droit »

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En 2019, à l’occasion de la sortie du second tome de ses mémoires, Jean-Marie Le Pen avait accepté l’invitation du défunt site Web ReacNRoll et répondu pendant une heure aux questions d’Elisabeth Lévy et Daoud Boughezala, de Causeur. Remontant le temps jusqu’à la création du FN en 1972 puis revenant sur les temps forts de sa vie politique depuis lors, il a livré là l’un de ses tout derniers grands interviews filmés.


Causeur vous propose de voir ou revoir en intégralité cet entretien.