Les relations entre l’Algérie et la France se sont tendues récemment avec l’arrestation à Montpellier de Boualem Naman, alias « Doualemn », un influenceur algérien de 59 ans, après la diffusion d’une vidéo incitant à la violence sur TikTok. Après avoir été envoyé en Algérie jeudi, il a été renvoyé en France le même jour. Marine Tondelier, en donnant le sentiment de prendre le parti des autorités algériennes, nous déshonore et détourne l’attention des véritables violations commises par l’Algérie.
La crise franco-algérienne connaît une escalade
Les Algériens ont expulsé l’influenceur Doualemn et nous donnent des leçons de droit. Espérons qu’il restera en rétention jusqu’à son procès. On le garde, mais au frais…
En France, le ton monte. L’Algérie se « déshonore » avec la rétention de l’écrivain Boualem Sansal, selon le président Emmanuel Macron. L’Algérie cherche à nous humilier, selon le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Ce sont des mots forts. À présent, on attend les actes. Chacun y va de son idée : de Jordan Bardella à Gabriel Attal, nous avons assisté à un tir groupé contre le Traité de 1968. Mais tout le monde semble oublier que ce traité relève de la compétence du président. Gérald Darmanin propose une exemption de visas pour la nomenklatura. Xavier Driencourt, ancien ambassadeur, rappelle qu’en Algérie, diplomates, officiels et religieux français ne peuvent se déplacer sans autorisation et escorte policière, et propose de faire de même pour les Algériens en France.
Beaucoup se demandent pourquoi il ne serait pas plus simple de carrément ne plus délivrer de visas aux Algériens. La réponse est simple : avec l’espace Schengen, la France n’a plus complètement la main. Si la France refuse un visa, un ressortissant algérien peut toujours en solliciter un auprès de nos voisins.
Depuis 70 ans, la France entretient avec l’Algérie une relation sadomasochiste. Les Algériens ont piétiné les accords d’Évian et expulsé les Pieds-Noirs, mais, malgré cela, les ressortissants algériens devraient toujours être chouchoutés en France. Et aujourd’hui, les relais du régime se déchaînent. Sans réaction forte, voire brutale, le message que la France envoie est clair : vous pouvez nous envoyer vos délinquants, emprisonner nos écrivains et nous insulter sans conséquence. Il est temps d’agir fermement. Basta ! C’est le moment de faire du Trump.
Il existe un large consensus en France pour adopter une position de fermeté, et des moyens d’action sont à notre disposition
Avant d’envisager une rupture des relations diplomatiques, plusieurs mesures sont à notre portée. L’Algérie a besoin de la France. D’ailleurs, le bloc central semble se rallier à la fermeté défendue par la droite. « La France est une grande puissance et doit se faire respecter. On ne provoque pas la France sans en subir les conséquences », affirme Gabriel Attal dans Le Figaro. Pour l’instant, ce qu’il dit est faux. L’ancien Premier ministre prend par ailleurs soin dans sa tribune de critiquer aussi bien l’aveuglement de l’extrême gauche que la haine aveugle de l’extrême droite…
Pour terminer, il convient de revenir sur la différence stridente et choquante constatée à gauche. Interrogée sur les provocations algériennes, Marine Tondelier ose parler des « provocations » de Bruno Retailleau et l’accuse de ne pas respecter le droit. Au-delà des enjeux électoraux et de la prétendue « obsession » du RN, cette attitude traduit une véritable névrose de cette gauche née dans le combat anticolonial. Certains semblent congelés depuis 1962. Des décennies plus tard, la France reste engluée dans la repentance et un antiracisme unilatéral, qui veut que « racisés » et colonisés aient toujours raison. Ségolène Royal prétend que nous avons une « dette morale », et elle semble sincèrement le croire. Fouettez-moi…
Excusez-moi, mais la colonisation est un phénomène complexe et universel. Et si je ne m’abuse, l’Algérie est née d’une colonisation arabe. Juger les faits coloniaux avec les critères moraux actuels n’a guère de sens. L’histoire n’est pas un simple bilan comptable, et des crimes ont été commis des deux côtés.
Alors que la France est agressée par un régime autoritaire et qu’un écrivain croupit en prison, la gauche reste muette et refuse de défendre son pays. Certains de ses représentants vont jusqu’à joindre leurs crachats à ceux de nos ennemis. Ils ont de la chance d’être français. Dans un pays libre, on a le droit de ne pas être patriote.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio
Symbole du sport français, Le Coq sportif lutte pour sa survie. Placée en redressement judiciaire, la marque a six mois pour se remplumer.
Il a paradé sur le maillot jaune de Bernard Hinault, pavoisé sur le polo de Yannick Noah, légendé la tunique verte de l’AS Saint-Étienne, et en août dernier, lors des JO de Paris, le Coq sportif, emblème d’une firme française créée il y a cent cinquante ans, était encore brodé sur le cœur de tous les athlètes de la délégation tricolore. Mais depuis, le chant du coq ressemble au chant du cygne.
Le 22 novembre, le Coq, qui a illustré les plus belles pages du sport français, a été placé en redressement judiciaire, avec un sursis de six mois pour se remplumer. Les pertes sont considérables : de janvier 2023 à juin 2024, il a perdu quelque 46 millions d’euros, malgré deux prêts de l’État dont les 22 millions se sont révélés trop volatils (la CGT se demande aujourd’hui où est passé l’argent…). Dans l’Aube, à Romilly-sur-Seine, où le Coq est élevé, 350 emplois sont menacés, des centaines d’emplois indirects impactés…
Parmi les créanciers qui lui volent dans les plumes, le Coq sportif doit combattre contre… le coq du XV de France, l’emblème de la FFR (Fédération française de rugby) ! La fédération réclame à l’équipementier 5,3 millions pour des litiges liés au contrat qui les a unis de 2018 à septembre 2024. À la FFR, des voix se sont élevées pour condamner ces poursuites judiciaires de basse-cour, estimant qu’une « fédération sportive délégataire de service public ne peut prendre le risque aussi infime soit-il de précipiter des centaines de familles de salariés dans la précarité en liquidant une société française exemplaire à bien des égards comme Le Coq sportif ».
Mais Florian Grill, président de la FFR réélu le 19 octobre, est resté ferme. On sait aujourd’hui pourquoi. Le 7 décembre, la FFR a présenté ses comptes. Ils ne sont pas fameux. Lors de la Coupe du monde de rugby organisée en 2023 en France, la FFR a perdu environ 20 millions, en tant qu’actionnaire d’un « GIE hospitalités et voyages » : destiné à exploiter le tourisme sportif, ce groupement d’intérêt économique n’a pas fait recette. Il s’agit donc de renflouer les caisses. Florian Grill ne le cache plus : « C’est de ma responsabilité de président de la fédération de faire rentrer les sous. »
Pauvre France dont les coqs, pour ne pas passer à la casserole, recherchent désespérément une poule aux œufs d’or.
Contrairement à la gauche et au centre, qui considèrent que le modèle éducatif républicain est dépassé, le député RN Roger Chudeau explique ici comment son mouvement politique entend renouer avec une Éducation nationale performante
Affirmer que notre système éducatif va mal est devenu un truisme. À l’instar d’autres services publics l’école connait une sorte de lent affaissement dont chacun connait les indices : effondrement du niveau de maîtrise des connaissances fondamentales, échec de l’intégration par l’école, inculture de nos futures élites, trop peu de doctorants, trop peu d’ingénieurs
Comme souvent dans la longue histoire de notre nation, dont le Général de Gaulle disait qu’elle avait été « créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires », il semble que nous succombions peu à peu au vertige du vide et du renoncement et l’état de notre école n’en n’est qu’un des tristes symptômes.
À gauche comme au centre, la cause est entendue : le modèle français d’éducation nationale est forclos, obsolète, dépassé.
La gauche, dans des publications récentes, estime que l’avenir du système éducatif réside dans son ouverture tous azimuts à la société : interventions des associations et « mouvements pédagogiques » en classe, omniprésence des parents d’élèves, « éducation » à toutes les questions « sociétales », enfin, pilotage de l’éducation par les « cités éducatives » et les collectivités territoriales. En un mot, an 2 de la déconstruction, fin d’une éducation nationale.
Le « bloc central », quant à lui, a toujours professé pour la question éducative une forme d’embarras, teintée d’incompétence. Au fond, la fuite des classes moyennes et supérieures vers le privé, sorte d’avatar de la « main invisible du marché », fait bien l’affaire de ceux qui n’ont jamais pris la peine de réfléchir sérieusement aux enjeux, pour la nation, d’une école performante.
Notre position est toute différente.
Nous sommes certes parfaitement au fait des causes de l’effondrement de notre système éducatif et de ses effets dévastateurs et nous estimons que ce modèle doit être réinventé. Mais nous considérons aussi qu’il est d’intérêt général de doter notre pays d’un système éducatif rénové, modernisé, conçu et piloté par la puissance publique.
Seule celle-ci, selon nous, est en mesure de produire une analyse prospective des nombreux défis que notre pays devra affronter dans les 50 prochaines années : défis économiques, écologiques, sécuritaires, géopolitiques, informationnels. Il appartient à l’État de déterminer, avec les institutions de la République et la contribution de la société civile, ce que doivent être les missions, les objectifs, l’organisation de l’action éducatrice au XXIème siècle.
Au sein des « Horaces » nous élaborons donc un projet de reconstruction de notre système éducatif susceptible de répondre à la question suivante : De quel appareil éducatif notre pays a-t-il besoin pour relever les défis de notre siècle ?
Notre projet de reconstruction de l’école de France repose sur trois principes :
Restaurer l’efficacité de l’école, en la recentrant sur sa mission de transmission des connaissances et des valeurs. Pour cela, procéder à une remise à plat des programmes, des cursus et des examens. Revoir aussi la formation des professeurs qui devra être assurée par l’employeur et non plus par l’Université. L’idée est de retrouver un bon niveau chez les professeurs et donc chez les élèves. L’élévation du niveau permettra de rétablir l’ascenseur social : le principe méritocratique, fondement de l’ambition républicaine de mobilité sociale, sera restauré et les politiques dites de « discrimination positive », supprimées.
Restaurer l’autorité, sanctuariser l’institution scolaire, en réprimant toute atteinte portée à l’institution scolaire. Les débats sociétaux n’y auront pas leur place, pas plus que les tentatives d’emprises islamistes ou politiques. Le statut du corps enseignant devra évoluer sensiblement pour l’adapter aux objectifs du système éducatif et permettre la revalorisation salariale des professeurs.
Ériger en méthode de gouvernance la liberté et la responsabilité pédagogiques : Les établissements disposeront des marges d’autonomie permettant le recrutement de personnels, l’aménagement des programmes et des horaires, des expérimentations pédagogiques, dans le cadre de contrats d’objectifs et de moyens à la manière des « charterschools ». Les résultats de chaque établissement seront rendus publics tous les ans afin de mesurer l’efficacité de leur action éducative.
Ces principes, déclinés en mesures législatives et réglementaires, seront présentés aux Français dans le cadre des rendez-vous électoraux majeurs à venir.
La crise de l’école n’est pas une fatalité. Nous devons, nous pouvons redresser cette institution essentielle à la France. Il ne s’agit pas d’un simple enjeu éducatif : c’est un défi civilisationnel.
Le combat pour l’école est un combat pour la France.
Contribution de Roger Chudeau, Député de Loir-et-Cher, Inspecteur général de l’Éducation nationale honoraire, ancien Directeur de l’encadrement du MEN, ancien conseiller « éducation » du Premier ministre François Fillon. Les Horaces sont un cercle de hauts fonctionnaires, hommes politiques, universitaires, entrepreneurs et intellectuels apportant leur expertise à Marine Le Pen, fondé et présidé par André Rougé, député français au Parlement européen.
Avant que de nouveaux pavés en mémoire de l’Holocauste soient inaugurés à Anderlecht vendredi dernier, une polémique a été évitée de justesse. Le témoignage de Fadila Maaroufi.
Il y a deux jours, nous avons appris que deux écoles communales d’Anderlecht, Carrefour et Marius Renard, avaient refusé de participer à la pose de Pavés de la Mémoire honorant les victimes de la Shoah, invoquant des sensibilités liées au conflit israélo-palestinien. Selon le journal La Dernière Heure, les directions des écoles craignaient des débordements et des réactions de la part des parents. Cependant, le 10 janvier 2025, décision a finalement été prise de faire participer ces écoles à cet événement, ce qui est une avancée positive.
Néanmoins, il est légitime de se demander comment aller de l’avant. Tentera-t-on encore longtemps de dissimuler les problèmes sous le tapis ?
Pour mieux comprendre le contexte, il est essentiel de revenir sur l’histoire du quartier de Cureghem, anciennement un quartier juif où une synagogue a été construite le 6 avril 1933. Ce quartier a connu de profonds changements, notamment avec le départ des grossistes juifs situés dans le triangle près de la gare du Midi. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution, notamment l’augmentation des actes d’antisémitisme, souvent passés sous silence.
Antisémitisme minimisé depuis des années
Des événements marquants témoignent de cette montée de l’intolérance. En 1997, un acte de vandalisme a failli coûter cher à la synagogue, quand de l’essence avait été répandue, mais les flammes évitées. Des pavés ont été lancés sur les vitres, et des cocktails Molotov ont été utilisés. Le dimanche 31 mars 2002, des jeunes ont jeté plusieurs cocktails Molotov sur le lieu de culte, causant des dégâts considérables. Les journalistes de l’époque ont recueilli quelques témoignages qui minimisent l’antisémitisme voire le justifient.
Brahim, un jeune musulman de 25 ans, a qualifié cet acte de « gratuit et inutile« , soulignant que seuls des individus irresponsables pouvaient agir ainsi. Il est crucial d’interroger les racines de l’antisémitisme, notamment parmi les jeunes musulmans, et de réfléchir à l’idéologie des Frères musulmans qui se propage en Europe. Rachid, 24 ans, s’est également exprimé sur ces attaques : « C’est triste à dire, mais ce sont des choses qui arrivent en Europe, nous recevons juste les informations intéressantes la communauté juive. Quand on confronte les télés arabes aux télés juives, allez savoir qui a raison… Cela ne justifie rien, mais il faut trouver la part des choses. Le plus important ici est qu’un lieu de culte a été attaqué. Qu’il soit musulman, juif ou catholique, peu importe, car c’est de toute manière inadmissible qu’un quelconque lieu de culte soit attaqué. »
Cette justification et cette façon de minimiser la situation ne sont pas nouvelles et sont largement partagées et diffusées depuis le 7 octobre 2023, après les attaques des terroristes du Hamas contre Israël auprès des jeunes et dans le monde médiatique.
Analysons le témoignage de Rachid : il suggérait que de tels actes sont courants et presque inévitables, ce qui minimise la gravité de l’antisémitisme, et semblait même normaliser la violence quand il dit : « Ce sont des choses qui arrivent en Europe« .
La phrase « nous recevons juste les informations intéressantes la communauté juive » et la comparaison entre « les télés arabes » et « les télés juives » impliquent une méfiance envers les médias et insinuent un biais, ce qui nourrit des théories du complot ou des préjugés.
Quand il dit « il faut trouver la part des choses« , cela peut être interprété comme une tentative de chercher des excuses ou des explications qui atténuent la responsabilité des auteurs des actes antisémites. C’est un appel à la relativiser l’acte.
Bien que son propos reconnaisse l’inadmissibilité des attaques contre les lieux de culte, il minimise l’antisémitisme, son propos semble diluer l’importance de l’antisémitisme en le plaçant sur le même plan que toute attaque contre un lieu de culte, sans reconnaître la spécificité et l’histoire des violences antisémites.
On peut constater la contradiction dans la phrase « Cela ne justifie rien… », qui est suivie par des propos qui semblent justement chercher à relativiser ou expliquer le contexte, ce qui affaiblit la condamnation initiale. Dans l’ensemble, la phrase oscille entre la reconnaissance de la gravité d’une attaque contre un lieu de culte et une tentative de relativisation qui nous pouvons percevoir comme une banalisation de l’antisémitisme.
Une jeunesse ciblée par l’idéologie
En 2010, un cocktail Molotov a de nouveau été lancé contre la porte d’entrée de la synagogue. En 2014, celle-ci a été victime d’un incendie volontaire, quelques mois après l’attentat tragique du musée juif de Bruxelles. En 2017, des actes de vandalisme ont visé les caméras de surveillance de la synagogue à plusieurs reprises.
Ce quartier est aussi le témoin de mon enfance. Je me souviens des cocktails Molotov lancés sur la synagogue et du départ progressif des Juifs du triangle, remplacés par des commerces pakistanais. Cette évolution marque une page qui se tourne, laissant des souvenirs empreints de stigmates et un antisémitisme qui continue de se manifester dans les murs du quartier. Il est essentiel de se souvenir et de réfléchir à ces événements, non seulement pour honorer la mémoire des victimes, mais aussi pour construire un avenir sécurisé pour nos compatriotes juifs et pour l’ensemble de la société. Nous ne pouvons pas ignorer ces faits ni tourner la page. Tous les actes d’antisémitisme, qu’ils soient verbaux ou physiques, soulignent la nécessité d’une prise de conscience collective sur ce problème, d’oser le nommer et de reconnaître qu’il nous concerne tous. Cet antisémitisme est en partie le résultat de la pénétration de l’islamisme dans divers secteurs de notre société, et l’école a été l’une des premières cibles de l’idéologie des Frères musulmans.
Le Pierrot, ou Gilles, de Watteau, a regagné les cimaises du Louvre après restauration. Les couleurs, en retrouvant leur éclat, redonnent corps à ce portrait mystérieux et rassurant. Dans le vacarme du monde, cet homme immobile nous regarde fixement, et, surtout, garde le silence.
Il est là, debout, les bras ballants, dans son costume de Pierrot, les paupières et le dessous du nez légèrement rougis. On le reconnaît à sa collerette, son habit blanc à boutons, son pantalon flottant et son bonnet-calotte sous son chapeau de feutre. Il est né Pedrolino dans la comédie italienne, francisé en Pierrot dans les années 1680. Personnage farcesque, à l’origine faire-valoir d’Arlequin, il a longtemps incarné la naïveté et la gaucherie avant de devenir, avec le temps, un amoureux sentimental et un poète rêveur. En 1719, date vers laquelle il a sans doute été peint par Antoine Watteau (1684-1721), il n’a pas encore entendu parler du célèbre mime Jean-Gaspard Deburau (1796-1846) qui recréera son personnage au xixe siècle. Il n’a pas vu l’acteur Jean-Louis Barrault (Baptiste) lui rendre hommage dans Les Enfants du Paradis (1945), n’a pas lu le très beau conte Pierrot ou Les Secrets de la nuit de Michel Tournier (1979) et n’a pas goûté les douceurs Pierrot Gourmand lancées en 1924 par le confiseur Georges Evrard.
Analyse d’un regard perdu
Dans le célèbre tableau de Watteau, œuvre au format inhabituellement monumental (184,5 x 149,5 cm) que le musée du Louvre présente au public après restauration, Pierrot se tient immobile, sans rien dire et sans rien faire. Il nous regarde. Ses yeux asymétriques rompent avec le monotone alignement des boutons de son habit de cotonnade. Pas de grimace ni de pantomime : les rubans roses des souliers, les gros plis des manches de la veste et le plissé vaporeux de la collerette laissent place à un visage lisse de jeune homme dont les traits singuliers et l’expressivité naturelle ne semblent plus relever de la comédie ni du jeu d’acteur. A-t-il réellement cet air niais et pataud que la critique lui fait endosser comme un habit de scène, et que l’on retrouve, il est vrai, dans d’autres œuvres du peintre ? Derrière lui, en contrebas du talus où il est monté seul, s’agitent des comédiens dont la réunion est plus qu’improbable à une époque où la querelle des théâtres fait rage et où la Comédie-Française parvient parfois à faire interdire les représentations du très populaire Théâtre de la Foire incarné par le personnage de Pierrot : le Crispin ricaneur (Comédie-Française), le Momus ahuri (le fou de la Foire) et le comédien italien ne font pas partie de la même troupe. Le Pierrot du Louvre, lui, ne ricane pas, ne sourit pas, ne fait pas l’étonné et ne tire pas sur la longe d’un âne qui s’est lui aussi invité dans ce décor de fêtes galantes. Il est tout entier dans ce regard qu’il nous lance depuis le xviiie siècle, un regard qui s’est perdu un temps, jusqu’à la découverte du tableau sur le marché parisien en 1826, et qui fascine encore. On est fasciné par ce qu’on ne s’explique pas, et ce comédien qui ne dit pas un mot fait forcément beaucoup parler de lui. De surcroît, on supporte assez mal le silence, même lorsqu’il émane de nos personnages de fiction. Songeons à Rosalie écrivant à David dans le film de Claude Sautet (1972) : « Je t’écris ma cinquième lettre et je m’attends à ton cinquième silence ; ce n’est pas ton indifférence qui me tourmente, c’est le nom que je lui donne. » Au silence du Pierrot du Louvre, on a donné le nom d’« embarras ». Faute de mieux.
Cette œuvre de Watteau, longtemps nommée le Gilles (du nom d’un autre personnage de théâtre burlesque), vient d’être restaurée. La restauration des œuvres d’art et des édifices du patrimoine national prend, dans une société assez familière du saccage et de la détérioration, une dimension particulière. « On dénonce un monument, on massacre un tas de pierres ; nous leur en voulons de tous les crimes des temps passés. Nous voudrions effacer le tout de notre histoire » : Victor Hugo tonnait déjà, en son temps, contre ce qu’il nommait joliment « le vandalisme subventionné » (Guerre aux démolisseurs, 1832). À l’heure où l’on ruine des écoles, où l’on dégrade des églises, mais où également toute statue de l’espace public est susceptible de tomber pour complicité de crime contre l’humanité, savoir que la cathédrale Notre-Dame et le Pierrot de Watteau ont recouvré tout leur éclat a quelque chose de réconfortant. Silencieuse, la restauration des œuvres d’art conjugue au futur la beauté d’autres âges. Elle réalise sur des épidermes de toile ou de pierre ce que les gens attendent pour eux-mêmes de la science et de la médecine : enlever les couches gâtées par le temps et redonner aux couleurs leur vivacité initiale. Elle mise sur une forme possible d’éternité : la conservation de notre culture.
Les interprétations du Pierrot de Watteau, sur fond de querelle des théâtres, d’autoportraits divers et de motifs repris de croquis antérieurs, sont à lire dans le bel ouvrage dirigé par Guillaume Faroult qui accompagne l’exposition « Revoir Watteau : un comédien sans réplique ». Mais au-delà de tout ce qu’on peut en dire, le silence de ce Pierrot est en soi un bien précieux. Dans un contexte général de commedia dell’arte et de théâtre de foire bas de gamme, avec son lot de cacophonie politique, de ricanements subventionnés, d’âneries culturelles variées, de plaidoyers de toutes les causes, de récits dramatiques chantés a cappella, de sensibilisations tapageuses et d’états d’âme diffusés en Dolby stéréo, un peu de silence, en ce début d’année, ne peut pas faire de mal. Le Pierrot du Louvre se tait et c’est tant mieux. Réjouissez-vous ! Vous ne l’entendrez pas parler de « problématique », de « paradigme », de « ligne rouge », de « proxis » et d’« ADN ». Il ne dira pas qu’« il faut changer de logiciel » ou qu’« il y a un avant et un après ». Il ne dira pas non plus – hideuse mode grammaticale – ce comédien-là ou cet habit-là en parlant de ce comédien ou de cet habit. Imaginez, s’il parlait comme on entend parler en France aujourd’hui, ce que cela donnerait : « Le sujet c’est qu’avec ce tableau-là il y a un avant et un après Watteau. »
Non, vraiment, rien que pour son silence, le Pierrot du Louvre est notre ami.
À voir :
« Revoir Watteau : un comédien sans réplique, Pierrot, dit le Gilles », musée du Louvre jusqu’au 3 février.
Jérôme Leroy nous revient en forme et en force. Il rassemble soixante-dix textes en prose qui forment les éclats d’un miroir brisé par les assauts du temps. Et chaque éclat nous renvoie à une France – et même à une partie de l’Europe septentrionale pour l’auteur – que nous avons aimée car nous y étions jeunes, l’esprit plein d’alacrité. On suit Leroy tour à tour sur le canal de la Deûle, dans un train que je connais bien, le Paris-Limoges, sur une plage blonde du Portugal, une île grecque hantée par le souvenir lumineux d’un Michel Déon écrivant l’un de ses meilleurs romans, sinon le meilleur, Un déjeuner de soleil. Rien que le titre du nouveau livre de Leroy est un oxymore génial : Un effondrement parfait. Ça colle à notre époque qui salit tout, efface le plus délicat, saccage la beauté tremblée d’un internat de province, celui-là même qui nous offrit les armes du goût pour tenir en respect les ondes perturbantes des Assis. Il n’y a plus rien de parfait hors la destruction de ce qui nous tient encore debout. Leroy est dur avec l’époque, mais comme c’est un tendre, ça touche où l’on souffre le plus : la disparition du style. Extrait : « L’actuelle zombielangue dans laquelle on baigne, jusque dans le roman, a autant de rapports avec le français qu’un showroom de concessionnaire automobile dans une zone commerciale en a avec le soleil sur la Vienne du côté d’Eymoutiers. » Il regrette la figure rassurante de Georges Pompidou, mort il y a cinquante ans, et cette « impression d’épaisseur et d’intelligence dans l’usage du monde, bien lointain de celui des gueules en plastique qui prétendent nous mettre au pas. » Leroy est définitif : « Je ne sais pas ce qui s’est passé en moins de quarante ans mais ce dont je suis certain, c’est que l’on a changé de civilisation. Je ne juge même plus, je ne fais que constater. »
L’un des ennemis, pour ne pas dire le seul, c’est le capitalisme qui ne cesse de détruire le peu de douceur de vivre qu’il reste, « c’est-à-dire pas grand-chose. » C’est pour cela qu’il cite l’évadé permanent, Rimbaud : « Je préfère partir que de me faire exploiter. »
Leroy voyage, et son livre s’écrit. Il n’est pas seul, il accompagne ses amis. Ils se nomment Paul Morand, Jacques Laurent, Roger Vercel – totalement oublié – André Dhôtel, Yves Navarre, Roger Nimier, avec une mention spéciale pour Simenon et le commissaire Maigret. L’interrogatoire va durer. Leroy, faites monter des sandwichs, de la bière, la brasserie Dauphine est encore ouverte. Lire Simenon, c’est vous éviter vingt ans d’analyse stérile. Avec l’argent économisé, on peut alors revoir les plages de son enfance, la marée qui efface les pas, les jeunes filles à nattes blondes, inaccessibles, le préau de l’école communale, la colère mêlée à la tristesse dans le regard du père syndicaliste après la fermeture de l’usine délocalisée. Attention, Leroy est un trafiquant de mélancolie vive.
Il y a un très beau passage sur l’écolier qu’il fut, amoureux de sa prof de maths, « ronde comme une pomme ou une journée réussie. » Il a fait une bêtise, le minot Leroy, alors elle lui colle une punition, une rédaction. C’est malin comme choix ; elle doit l’avoir bien cerné. Elle lit son texte devant la classe : « Parce que c’est bien, même si c’est une punition. » Voilà une belle définition de la littérature.
Bon, je lui en veux un peu quand il dresse la liste des écrivains avec lesquels il n’aurait pas aimé boire. Il cite Alain Robbe-Grillet. Là, Jérôme Leroy, vous avez tort : l’auteur du Voyeur était très drôle. Le vin blanc électrisait son humour, surtout avec une douzaine d’huitres, à la Closerie.
Je vous recommande chaudement de lire cet effondrement parfait, d’en ouvrir les pages au hasard, de revoir ainsi son propre passé dans l’éclat du miroir brisé. L’envie vous prendra peut-être d’aller vous chafrioler, et sûrement de retrouver « le vrai goût du temps » en écoutant la « rumeur estivale des plages ». Car, pour Leroy, un seul programme politique se tient, « aller à la plage. » Et pour moi, à la pêche.
Jérôme Leroy, Un effondrement parfait, La Table Ronde. 160 pages.
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
Amiens.
La ville d’Amiens n’a pas la seule particularité d’être celle de notre bon et bien aimé président Emmanuel Macron, et la capitale du macaron ; elle détient aussi en ses murs l’un des cinémas Pathé qui propose les places les plus chères de France ! « Ce n’est pas le plus cher de France. Les cinémas parisiens sont plus chers et ça semble logique parce que c’est la capitale. Le loyer et le coût de la vie y sont plus importants », déclarait, il y a peu, Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) à nos confrères de France 3 Hauts-de-France. « Amiens, c’est, en quelque sorte, la capitale de la Somme, donc c’est normal que le loyer soit plus cher là-bas que dans les autres villes. » Bah voyons ! À part que nous, pauvres Amiénois, on n’a rien demandé du tout ; on veut juste tenter de voir un film sans se ruiner la couenne. Face à cette situation inédite et assez déplorable, deux alternatives : fréquenter le ciné Saint-Leu, dans le quartier éponyme, et/ou le ciné Orson-Welles, à la Maison de la culture. (C’est environ la moitié du coût du ticket Pathé-Amiens et les programmations y sont de grande qualité.) Je suis donc allé voir, au ciné Saint-Leu, le film En fanfare, d’Emmanuel Courcol. Je ne l’ai pas regretté. Présenté en avant-première au Festival de Cannes 2024, ce long-métrage est une totale réussite, tissé d’émotion, superbement interprété, délicat et subtil. On serait bien tenté de le qualifier de chef-d’œuvre si ce terme n’était pas, de nos jours, galvaudé. Emmanuel Courcol nous raconte l’histoire de Thibaut Desormeaux (campé par le talentueux Benjamin Lavernhe), chef d’orchestre reconnu internationalement, élevé à Meudon, à qui on diagnostique une leucémie foudroyante ; cette dernière nécessite de toute urgence une greffe de moelle osseuse. Les médecins recherchent un donneur potentiel dans sa famille. À cette occasion, il apprend, grâce aux tests ADN, que ses parents ne sont pas ses parents, et sa sœur, pas sa sœur. En fait, il a été adopté. Il apprend aussi qu’il a un frère biologique, Jimmy Lecocq (interprété par l’émouvant Pierre Lottin), adopté également, qui vit dans la ville de leur mère, dans le Nord. Un espoir pour la greffe. Il rencontre donc son jeune frangin, minuscule employé d’une cantine scolaire, et tromboniste au sein de l’harmonie municipale. Tout les oppose mais la passion de la musique les unit. La vedette de Meudon et le modeste Nordiste se serrent une fraternelle poignée de mains et tentent de tailler la pierre brute de l’injustice sociale. Y parviendront-ils ?
Suis ressorti de la salle tout bousculé, et, dois-je l’avouer, le regard humide. Certaines scènes sont poignantes. Et la fin est carrément sublime. Ce film est aussi un hymne aux fanfares et harmonies de province, et à ce Nord de la France ici si bien décrit et filmé. Dans cette œuvre, tout sonne juste. J’ai adoré.
L’amiral Olivier de Kersauson se fait instituteur dans un bréviaire paru au Cherche midi où il égrène quelques propos maritimes
Nous sommes habitués à le voir et à l’entendre dans les studios, maugréer, rabrouer, tancer, taquiner les hommes qui ont choisi la terre à la mer. Bougon en chef, réfractaire aux modes absurdes, habillé de sa mauvaise humeur qui fit son succès radiophonique, caractériel par ruse pour faire oublier son érudition, Olivier de Kersauson est notre marin médiatique, phare brestois du « Tour du monde », aujourd’hui Polynésien de cœur. Dans une nation qui compte de nombreux navigateurs célèbres, on retiendra Tabarly l’héroïque, le racinaire. Sans lui, rien n’aurait été possible, il a ouvert les voies. Puis Florence, son prénom a ému la France à une époque où la parité sur l’eau errait dans les limbes. Et Kersauson, rocailleux et tempétueux, l’homme des records du monde en multicoque, capitaine du Lyonnaise des eaux et du Sport-Elec, patron à l’ancienne, croyant à bord aux vertus de l’observation, méfiant sur les nouvelles technologies tout en les étrennant, libertaire-conservateur, drôle de bonhomme totalement ancré dans un temps déconstruit.
Esthète de l’audace
Avec l’âge, il ne se fait pas plus doux ou mielleux. On l’aime pour ses abordages virils dans les débats qui agitent la société ; sa répartie décontenança tant d’animateurs satisfaits d’eux, à la télé. Cependant, dans son dernier ouvrage Avant que la mémoire s’efface, Kersauson se fait instituteur, plus éducateur que professeur jargonnant, il parle de ce qu’il connaît le mieux, la mer, ses joies et ses démons, avec des mots simples à la portée d’un Berrichon ne connaissant que les étangs clos de Sologne. Ce fameux trois-mâts, large d’épaules, a un lourd passif avec l’horizon ; en 1967-1968, il effectuait déjà son service militaire dans la marine, affecté sur la goélette Pen Duick III (19 mètres) sous les ordres du capitaine de vaisseau Tabarly. Kersauson, dans un rôle nouveau de transmetteur, convoque le ciel, les vents et la mer. Une vie à naviguer, à observer, à retenir quelques intuitions, à éprouver des millions de solutions, à se méfier des appareils, à calculer et à « cheffer » car, à la fin, un homme va décider pour l’ensemble de l’équipage. Ce retour à une navigation connectée aux éléments naturels, sur les années de ce long apprentissage où comme Jean Gabin on sait que l’on ne sait (presque) rien est un beau témoignage sur le danger, la prise de risque, la liberté et une forme d’absolu. Kersauson n’engage pas une controverse entre modernes et anciens, il n’est pas hostile, par principe, aux nouveaux matériaux et aux outils de prévision, car son rêve demeure intact. Il recherche le frisson et la béatitude de la vitesse pure, il sera toujours un esthète de l’audace. « C’est vraiment jouissif d’avoir des beaux bateaux dans les mains, c’est comme les gens qui aiment conduire et avoir une belle voiture » écrit-il. Ce bonheur-là, quand ça « roule », « quand ça glisse » à 30 nœuds, l’homme sait intimement qu’il a enfin trouvé un sens à sa vie.
L’amour du risque
À la manière d’un écrivain qui tente de trouver le chemin vers la phrase parfaite, bien balancée et équilibrée, sans graisse avec cette profondeur vivifiante qui éclaire l’esprit, le marin travaille à l’oreille, avance au son. « Naviguer, c’est se servir autant des oreilles que des yeux » conclue-t-il. Kersauson, voyageur sans valises, n’est pas un adepte du principe de précaution à tout-va. Il replace le risque au centre des existences humaines. A contre-courant des discours pusillanimes, il déclare que le risque est : « inhérent à la vie, il est biologique, ontologique si l’on préfère ». Dans ces carnets, il reconnaît que certains écolos qu’il qualifie d’escrologues l’agacent, mais nier leurs combats serait une hérésie. « Il y a un crime de l’humain à l’égard de la nature. Le discours écologiste, même avec ses excès, permet la prise de conscience ». Kersauson n’est pas atteint de gâtisme, il a parcouru la planète et vu des horreurs comme les stations baleinières en Géorgie du Sud, « là où furent tuées des milliers de baleines ». Kersauson rend aussi hommage au plus grand, Magellan, « c’est le premier geste de la mondialisation » et l’initiateur de la cartographie. Quand il évoque l’effroi du Grand Sud, on trésaille, « C’est un univers qui n’a pas besoin de moi, j’y suis inutile. L’homme est là, il est là, mais il ne sert à RIEN ». Cette solitude est une introspection sur soi qui est tellement salutaire à l’ère de l’homme s’imaginant surpuissant.
Avant que la mémoire s’efface de Olivier de Kersauson – le cherche midi 216 pages.
Entre appels à la frugalité et résignation face à l’effondrement, les maniaques de l’urgence climatique ne savent plus où donner de la tête.
Il y a un an, Le Monde expliquait le climat aux enfants en déroulant le credo écolo : le « dérèglement climatique » est fulgurant, les glaciers fondent, les canicules s’accumulent, les sécheresses et les inondations sont de plus en plus fortes et nombreuses, le bourdon velouté se fait rare, un frelon asiatique a été aperçu en Finlande, etc. – et tout ça à cause des « activités humaines ». Les marmots, morts de trouille, étaient supposés demander des conseils.
Que devaient-ils faire, eux et leurs parents, pour éviter la catastrophe ? C’est simple, adopter un mode de vie frugal, décroissant et décarboné : éviter d’utiliser la voiture, de prendre l’avion, de manger de la viande, de mettre la lumière, de monter le chauffage, d’acheter des vêtements et des jouets neufs.
À la veille des fêtes de Noël, le risque étant grand que les Français aient envie de faire plaisir à leurs proches en leur offrant quelques cadeaux dont le bilan carbone est, comme chacun sait maintenant, désastreux, l’Agence de la transition écologique a de son côté relancé une campagne publicitaire incitant les citoyens à réfléchir à deux fois avant d’acheter quoi que ce soit. Des spots télévisuels mettent en scène des Français moyens qui, désirant faire l’achat d’une machine à laver, d’un téléphone portable ou d’un polo, abordent ce qu’ils croient être un vendeur mais est en fait un « dévendeur », lequel leur conseille de… ne rien acheter du tout, parce que « c’est mieux pour les ressources de la planète et que c’est plus économique ».
D’un autre côté, si l’on écoute Yves Cochet, pourquoi se priver ? « Il est trop tard, l’effondrement est imminent », assène l’écologiste dans son dernier essai, Précisions sur la fin du monde. « La catastrophe est certaine et inéluctable », d’ici à dix ans « Internet aura disparu », « la moitié survivante de l’humanité » agonisera sur « les restes de la civilisation thermo-industrielle », la planète ressemblera à une gigantesque ZAD, en plus moche. Alors, autant en profiter maintenant. Au diable le GIEC et Bonne Année à tous !
Patrice Jean et Bruno Lafourcade ont commencé à se lire sans se connaître. Puis ils se sont écrit. Les Mauvais fils compile cet échange épistolaire entre deux écrivains qui ont, chacun à sa manière, déclaré la guerre à leur époque. Leur plume et leur humour prouvent que la correspondance littéraire n’est pas morte !
Sous l’hégémonie du progressisme et sur une scène littéraire qu’aseptisent la bien-pensance et le politiquement correct, le verbe périclite, la parole s’assèche. On ne se parle plus, on n’échange plus. Tout au plus s’envoie-t-on quelques signaux de pâle fumée aussitôt dissipés par les vapeurs toxiques du temps. On était donc résigné : on croyait les grandes correspondances littéraires, où s’échangent les idées avec la chair des mots, reléguées dans le passé. La correspondance de Flaubert repose dans les volumes de la Pléiade ; quant à Chardonne et Morand, ils ne s’écrivent plus depuis longtemps.
Nous voici heureusement détrompés avec Les Mauvais Fils. Patrice Jean et Bruno Lafourcade nous offrent un choix de lettres qu’ils se sont écrites ces dernières années. L’échange débute en 2017, année où, entrant tous deux dans la cinquantaine, ils se lient d’amitié et, « avec des fortunes diverses, tentent de sortir de l’ombre et de leurs nuits jumelles » ; il s’achève en 2022. Dans cette relation épistolaire, « on parle boutique » bien sûr, et on cause du monde littéraire. Mais surtout, on cherche à se connaître pour comprendre l’autre, son semblable et son frère. Et au-delà des anecdotes savoureuses, cette correspondance invite à se regarder soi-même avec autodérision. On pense également à Montaigne : « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. »
Dans La Vie des spectres, le dernier roman de Patrice Jean, un modeste héros oppose le bon sens à la bêtise contemporaine. Quant à Bruno Lafourcade, il a publié, avec le réalisateur Laurent Firode, Main basse sur le cinématographe, un essai qui torpille les lieux communs et les fables qui innervent le milieu du cinéma.
Après les avoir lus, Causeur les a fait parler.
Causeur. Comment est née votre amitié ?
Patrice Jean. J’ai été le premier à écrire à Bruno, via Messenger : j’avais lu son essai sur le suicide et voulais le féliciter. Je crois qu’il est la seule personne que j’aie jamais contactée de cette façon ! C’était le bon moment, nous allions tous les deux publier un nouveau roman auquel nous attachions beaucoup d’importance. Nous avons constaté que nous étions nés la même année, et que nous avions eu des parcours à la fois suffisamment proches et différents pour nous comprendre, confronter notre expérience.
Bruno Lafourcade. Patrice allait publier L’Homme surnuméraire et moi L’Ivraie… La naissance de notre amitié mêle les deux mondes, l’ancien (celui des bibliothèques) et le nouveau (celui d’internet) : nous avons lu nos livres, puis nous avons fait connaissance sur les réseaux sociaux. Ce qui nous a rapprochés, c’est l’âge, les origines, la situation sociale et nos ouvrages.
À travers vos déboires et vos réussites, votre correspondance offre un panorama de la vie littéraire, avec ses figures indispensables (éditeurs, critiques), mais aussi ses « petites mains » (correcteurs, bibliothécaires, etc.).
B. L. D’un certain point de vue, c’est un livre sur l’adversité, sur l’humiliation, et, pour ma part, sur une certaine conception pugilistique de l’existence, y compris littéraire. On se heurte, surtout, quand on est jeune, à ceux qui considèrent la volonté d’écrire comme une occupation dérisoire ou prétentieuse. On le ressent comme la négation de ce que l’on est, d’autant qu’une part de soi donne raison à cette négation. On écrit contre tous ceux qui s’y opposent : parents, collègues, éditeurs, journalistes, libraires ou correcteurs, et nous en donnons effectivement des exemples dans Mauvais Fils.
P. J. Je partage cette analyse. Avant d’être publié, un apprenti écrivain vit dans l’humiliation de ses ambitions littéraires, que Gombrowicz définissait, avec simplicité, comme l’aspiration à devenir plus important que les autres. Après la publication, on se heurte, contre toute attente, à des centaines de malentendus : je pensais me faire comprendre, et, en bien des circonstances, j’ai observé qu’il n’en était rien. C’est pourquoi il faut sans cesse remettre son ouvrage sur le métier.
Si beaucoup de choses vous rapprochent, on note aussi des différences littéraires : Patrice Jean est essentiellement romancier alors que Bruno Lafourcade a aussi publié des chroniques, des essais, des pamphlets…
B. L. Il y a entre nous des différences de caractère : je suis plus sanguin et impatient que Patrice. Il en ressort des différences dans les genres littéraires : j’aime bien les pamphlets, Patrice n’en a jamais écrit ; je préfère le bref au long : je n’ai pas écrit de roman de l’ampleur de ceux de Patrice. Pour le reste, il a aussi publié un essai, des nouvelles, des articles de revue, de sorte qu’il n’a pas que le roman à son arc.
P. J. Pas mieux, comme on disait à « Des chiffres et des lettres » !
Vous n’avez pas mené la même vie : Patrice Jean, vous êtes professeur de lycée ; Bruno Lafourcade, vous avez un itinéraire moins régulier, plus marginal. Vos parcours ont-ils influencé votre vie d’écrivain ?
P. J. J’aurais aimé publier plus tôt, j’ai même longtemps cru qu’il était trop tard. J’avais embrassé la carrière de professeur en pensant qu’elle me laisserait le temps d’écrire : ce fut loin d’être le cas, elle m’a épuisé. J’ai remonté le courant, avec l’énergie du désespoir, pour commencer à écrire sérieusement.
B. L. Nous avons l’un et l’autre publié des livres assez tardivement. Je voulais vivre avant d’écrire, et ce fut assez chaotique. Puis j’ai appris à écrire, et comme je ne suis pas bien malin, ça m’a pris du temps. Mais une fois que j’ai su écrire, ça m’a amusé de continuer.
La question de la transmission, du passage de témoin d’une génération à une autre revient souvent dans votre correspondance. Que vous a transmis la génération précédente (vous évoquez notamment Finkielkraut et Muray) et que transmettrez-vous à celle qui vous succédera ?
P. J. La génération précédente nous a appris à lire, à compter, puis, comme l’écrit Bruno dans Une jeunesse les dents serrées, elle nous a jetés dans la vie, sans jamais nous aider. Pour la génération suivante, notre génération n’existe pas : nous sommes déjà, à leurs yeux, des « boomers », et l’ensemble de l’humanité, au fond, n’est qu’une vaste espèce de boomers.
B. L.(Rires) C’est vrai : tout ce qui est plus âgé qu’elle, morts ou vivants, est constitué de boomers. Quant aux vrais boomers, c’est la génération Moloch : elle a cherché à tuer les fils, après avoir tué le père. Puis, elle a préféré transmettre à ses petits-enfants plutôt qu’à ses enfants ; donc la génération qui vient n’a que faire de nous. Elle est déjà au pouvoir.
Votre abordez aussi le travail, l’école, jusqu’au foot et la télé-réalité ! L’un de vous parle également de la douleur qu’il a éprouvée en regardant un film des années soixante-dix. L’un l’explique par « l’inévitable nostalgie de notre jeunesse », l’autre par « la disparition de l’humilité ». Pouvez-vous nous en dire davantage ?
B. L. C’était La Femme d’à côté. Truffaut me laisse plutôt indifférent, comme la Nouvelle Vague en général, où je n’aime vraiment que Paul Gégauff. Devant ce monde englouti, où des Odile et des Roland, parlant un français simple et naturel, vivent dans un village paisible de l’Isère, j’ai eu le cœur serré par tout ce que nous avions perdu, qui était un rapport pacifié et humble à l’espace, au corps et au langage : on parlait à voix basse, on s’habillait pour sortir, on tenait compte des autres…
P. J. Je pense aussi qu’il y avait, dans nos jeunes années, encore un souci de l’élégance, moins de tape-à-l’œil. La nostalgie est légitime : je regrette ma jeunesse, pas l’époque de ma jeunesse. Et la nouvelle génération, dans trente ans, regrettera les années 2020.
Vous ne portez pas un regard tendre sur notre époque. Comment la décririez-vous ?
P. J. Je n’aime pas beaucoup mon époque, mais je n’en aurais aimé aucune car, dans tous les siècles, toutes les régions, les imbéciles règnent en maîtres. Bruno est un hypersensible, toute bêtise le fout en rage. Il est plutôt du côté d’Alceste, et moi du côté de Philinte. Mais j’ai des attaques de misanthropie, comme d’autres ont des vapeurs.
B. L. Alceste et Philinte ? C’est bien possible… L’époque est passionnante et hystérique, fondée sur une inversion fondamentale : l’élève enseigne, le juge libère, le dominant s’imagine être dominé. Patrice évoque par exemple deux vertueuses, bien en cour, pensant droit comme une règle d’architecte, sans une incorrection dépassant de leur frange. Or ce sont elles, pour qui les micros et les journaux s’ouvrent comme la mer Rouge, qui font la leçon à Patrice, et lui reprochent de faire partie des dominants…
Ce que vous dites des femmes m’a beaucoup fait rire, bien que ce ne soit pas toujours très aimable. Il me semble cependant que vous les aimez. En fait, que leur reprochez-vous ?
P. J. Je préfère les femmes, car je les trouve plus jolies que les hommes.
B. L. Patrice est un extrémiste. Il y a quand même des femmes moches et des hommes beaux… « J’aime les femmes », c’est un mot de misogyne, de cynique : on n’aime personne quand on aime tout le monde. On aime toujours un homme ou une femme en particulier, « parce que c’est lui, parce que c’est moi », avec son visage, son rire, son intelligence. On aime la chair, parce que c’est aussi de l’esprit. On n’aime pas des abstractions. Mais, évidemment, certaines femmes se donnent du mal pour qu’on ne les aime pas. On en montre des échantillons dans ces pages.
L’humour est-il indispensable ?
P. J. Le rire est une réponse de perdants : c’est une façon de ne pas perdre la face en prenant des coups. J’ajouterai, et j’en suis persuadé, que tous les hommes sont des perdants et des ratés. Moi compris, bien sûr. Et toutes les femmes aussi, cela va de soi. Charlie Chaplin, dans Les Feux de la rampe, prétend que nous ne vivons pas assez longtemps pour devenir autre chose que des amateurs. Sans le rire, nous serions une espèce détestable.
B. L. Le rire est une vertu. Rien n’est efficace comme la satire pour mettre en perspective l’absurdité ou la violence d’une époque. C’est une des dimensions que j’aime dans les romans de Patrice.
Êtes-vous nostalgiques du « monde d’hier » au point de vouloir en laisser une trace dans votre œuvre ?
B. L. Je ne regrette pas le monde où l’on mourrait de la tuberculose à trente-cinq ans, où les ouvriers turbinaient douze heures par jour et où l’on crevait dans les tranchées. Je ne regrette pas non plus mon enfance ni mon adolescence ; je ne les revivrais pour rien au monde. Pourtant, oui, j’éprouve de la nostalgie. Je suppose que c’est un paradoxe. Mais ce que l’on peut souhaiter à un auteur, c’est en effet que ses livres conservent un peu de ce monde englouti.
P. J. Comme je l’ai dit, je suis nostalgique de ma jeunesse, au sens où, à cette époque, j’avais la vie devant moi. Aujourd’hui, l’air se raréfie, le temps restant à vivre diminue. Mais, comme Bruno et comme Dave : « Je ne voudrais pas refaire le chemin en arrière, et pourtant je paierais cher pour revivre un seul instant, le temps du bonheur, à l’ombre d’une fille en fleurs. » Notre monde est plus beau qu’il y a cent ans, pour les raisons dites par Bruno. Il est aussi plus laid, car l’art et la littérature y jouent désormais un rôle marginal.
L'influenceur algérien « Doualemn » sur TikTok. DR.
Les relations entre l’Algérie et la France se sont tendues récemment avec l’arrestation à Montpellier de Boualem Naman, alias « Doualemn », un influenceur algérien de 59 ans, après la diffusion d’une vidéo incitant à la violence sur TikTok. Après avoir été envoyé en Algérie jeudi, il a été renvoyé en France le même jour. Marine Tondelier, en donnant le sentiment de prendre le parti des autorités algériennes, nous déshonore et détourne l’attention des véritables violations commises par l’Algérie.
La crise franco-algérienne connaît une escalade
Les Algériens ont expulsé l’influenceur Doualemn et nous donnent des leçons de droit. Espérons qu’il restera en rétention jusqu’à son procès. On le garde, mais au frais…
En France, le ton monte. L’Algérie se « déshonore » avec la rétention de l’écrivain Boualem Sansal, selon le président Emmanuel Macron. L’Algérie cherche à nous humilier, selon le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Ce sont des mots forts. À présent, on attend les actes. Chacun y va de son idée : de Jordan Bardella à Gabriel Attal, nous avons assisté à un tir groupé contre le Traité de 1968. Mais tout le monde semble oublier que ce traité relève de la compétence du président. Gérald Darmanin propose une exemption de visas pour la nomenklatura. Xavier Driencourt, ancien ambassadeur, rappelle qu’en Algérie, diplomates, officiels et religieux français ne peuvent se déplacer sans autorisation et escorte policière, et propose de faire de même pour les Algériens en France.
Beaucoup se demandent pourquoi il ne serait pas plus simple de carrément ne plus délivrer de visas aux Algériens. La réponse est simple : avec l’espace Schengen, la France n’a plus complètement la main. Si la France refuse un visa, un ressortissant algérien peut toujours en solliciter un auprès de nos voisins.
Depuis 70 ans, la France entretient avec l’Algérie une relation sadomasochiste. Les Algériens ont piétiné les accords d’Évian et expulsé les Pieds-Noirs, mais, malgré cela, les ressortissants algériens devraient toujours être chouchoutés en France. Et aujourd’hui, les relais du régime se déchaînent. Sans réaction forte, voire brutale, le message que la France envoie est clair : vous pouvez nous envoyer vos délinquants, emprisonner nos écrivains et nous insulter sans conséquence. Il est temps d’agir fermement. Basta ! C’est le moment de faire du Trump.
Il existe un large consensus en France pour adopter une position de fermeté, et des moyens d’action sont à notre disposition
Avant d’envisager une rupture des relations diplomatiques, plusieurs mesures sont à notre portée. L’Algérie a besoin de la France. D’ailleurs, le bloc central semble se rallier à la fermeté défendue par la droite. « La France est une grande puissance et doit se faire respecter. On ne provoque pas la France sans en subir les conséquences », affirme Gabriel Attal dans Le Figaro. Pour l’instant, ce qu’il dit est faux. L’ancien Premier ministre prend par ailleurs soin dans sa tribune de critiquer aussi bien l’aveuglement de l’extrême gauche que la haine aveugle de l’extrême droite…
Pour terminer, il convient de revenir sur la différence stridente et choquante constatée à gauche. Interrogée sur les provocations algériennes, Marine Tondelier ose parler des « provocations » de Bruno Retailleau et l’accuse de ne pas respecter le droit. Au-delà des enjeux électoraux et de la prétendue « obsession » du RN, cette attitude traduit une véritable névrose de cette gauche née dans le combat anticolonial. Certains semblent congelés depuis 1962. Des décennies plus tard, la France reste engluée dans la repentance et un antiracisme unilatéral, qui veut que « racisés » et colonisés aient toujours raison. Ségolène Royal prétend que nous avons une « dette morale », et elle semble sincèrement le croire. Fouettez-moi…
Excusez-moi, mais la colonisation est un phénomène complexe et universel. Et si je ne m’abuse, l’Algérie est née d’une colonisation arabe. Juger les faits coloniaux avec les critères moraux actuels n’a guère de sens. L’histoire n’est pas un simple bilan comptable, et des crimes ont été commis des deux côtés.
Alors que la France est agressée par un régime autoritaire et qu’un écrivain croupit en prison, la gauche reste muette et refuse de défendre son pays. Certains de ses représentants vont jusqu’à joindre leurs crachats à ceux de nos ennemis. Ils ont de la chance d’être français. Dans un pays libre, on a le droit de ne pas être patriote.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio
Symbole du sport français, Le Coq sportif lutte pour sa survie. Placée en redressement judiciaire, la marque a six mois pour se remplumer.
Il a paradé sur le maillot jaune de Bernard Hinault, pavoisé sur le polo de Yannick Noah, légendé la tunique verte de l’AS Saint-Étienne, et en août dernier, lors des JO de Paris, le Coq sportif, emblème d’une firme française créée il y a cent cinquante ans, était encore brodé sur le cœur de tous les athlètes de la délégation tricolore. Mais depuis, le chant du coq ressemble au chant du cygne.
Le 22 novembre, le Coq, qui a illustré les plus belles pages du sport français, a été placé en redressement judiciaire, avec un sursis de six mois pour se remplumer. Les pertes sont considérables : de janvier 2023 à juin 2024, il a perdu quelque 46 millions d’euros, malgré deux prêts de l’État dont les 22 millions se sont révélés trop volatils (la CGT se demande aujourd’hui où est passé l’argent…). Dans l’Aube, à Romilly-sur-Seine, où le Coq est élevé, 350 emplois sont menacés, des centaines d’emplois indirects impactés…
Parmi les créanciers qui lui volent dans les plumes, le Coq sportif doit combattre contre… le coq du XV de France, l’emblème de la FFR (Fédération française de rugby) ! La fédération réclame à l’équipementier 5,3 millions pour des litiges liés au contrat qui les a unis de 2018 à septembre 2024. À la FFR, des voix se sont élevées pour condamner ces poursuites judiciaires de basse-cour, estimant qu’une « fédération sportive délégataire de service public ne peut prendre le risque aussi infime soit-il de précipiter des centaines de familles de salariés dans la précarité en liquidant une société française exemplaire à bien des égards comme Le Coq sportif ».
Mais Florian Grill, président de la FFR réélu le 19 octobre, est resté ferme. On sait aujourd’hui pourquoi. Le 7 décembre, la FFR a présenté ses comptes. Ils ne sont pas fameux. Lors de la Coupe du monde de rugby organisée en 2023 en France, la FFR a perdu environ 20 millions, en tant qu’actionnaire d’un « GIE hospitalités et voyages » : destiné à exploiter le tourisme sportif, ce groupement d’intérêt économique n’a pas fait recette. Il s’agit donc de renflouer les caisses. Florian Grill ne le cache plus : « C’est de ma responsabilité de président de la fédération de faire rentrer les sous. »
Pauvre France dont les coqs, pour ne pas passer à la casserole, recherchent désespérément une poule aux œufs d’or.
Contrairement à la gauche et au centre, qui considèrent que le modèle éducatif républicain est dépassé, le député RN Roger Chudeau explique ici comment son mouvement politique entend renouer avec une Éducation nationale performante
Affirmer que notre système éducatif va mal est devenu un truisme. À l’instar d’autres services publics l’école connait une sorte de lent affaissement dont chacun connait les indices : effondrement du niveau de maîtrise des connaissances fondamentales, échec de l’intégration par l’école, inculture de nos futures élites, trop peu de doctorants, trop peu d’ingénieurs
Comme souvent dans la longue histoire de notre nation, dont le Général de Gaulle disait qu’elle avait été « créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires », il semble que nous succombions peu à peu au vertige du vide et du renoncement et l’état de notre école n’en n’est qu’un des tristes symptômes.
À gauche comme au centre, la cause est entendue : le modèle français d’éducation nationale est forclos, obsolète, dépassé.
La gauche, dans des publications récentes, estime que l’avenir du système éducatif réside dans son ouverture tous azimuts à la société : interventions des associations et « mouvements pédagogiques » en classe, omniprésence des parents d’élèves, « éducation » à toutes les questions « sociétales », enfin, pilotage de l’éducation par les « cités éducatives » et les collectivités territoriales. En un mot, an 2 de la déconstruction, fin d’une éducation nationale.
Le « bloc central », quant à lui, a toujours professé pour la question éducative une forme d’embarras, teintée d’incompétence. Au fond, la fuite des classes moyennes et supérieures vers le privé, sorte d’avatar de la « main invisible du marché », fait bien l’affaire de ceux qui n’ont jamais pris la peine de réfléchir sérieusement aux enjeux, pour la nation, d’une école performante.
Notre position est toute différente.
Nous sommes certes parfaitement au fait des causes de l’effondrement de notre système éducatif et de ses effets dévastateurs et nous estimons que ce modèle doit être réinventé. Mais nous considérons aussi qu’il est d’intérêt général de doter notre pays d’un système éducatif rénové, modernisé, conçu et piloté par la puissance publique.
Seule celle-ci, selon nous, est en mesure de produire une analyse prospective des nombreux défis que notre pays devra affronter dans les 50 prochaines années : défis économiques, écologiques, sécuritaires, géopolitiques, informationnels. Il appartient à l’État de déterminer, avec les institutions de la République et la contribution de la société civile, ce que doivent être les missions, les objectifs, l’organisation de l’action éducatrice au XXIème siècle.
Au sein des « Horaces » nous élaborons donc un projet de reconstruction de notre système éducatif susceptible de répondre à la question suivante : De quel appareil éducatif notre pays a-t-il besoin pour relever les défis de notre siècle ?
Notre projet de reconstruction de l’école de France repose sur trois principes :
Restaurer l’efficacité de l’école, en la recentrant sur sa mission de transmission des connaissances et des valeurs. Pour cela, procéder à une remise à plat des programmes, des cursus et des examens. Revoir aussi la formation des professeurs qui devra être assurée par l’employeur et non plus par l’Université. L’idée est de retrouver un bon niveau chez les professeurs et donc chez les élèves. L’élévation du niveau permettra de rétablir l’ascenseur social : le principe méritocratique, fondement de l’ambition républicaine de mobilité sociale, sera restauré et les politiques dites de « discrimination positive », supprimées.
Restaurer l’autorité, sanctuariser l’institution scolaire, en réprimant toute atteinte portée à l’institution scolaire. Les débats sociétaux n’y auront pas leur place, pas plus que les tentatives d’emprises islamistes ou politiques. Le statut du corps enseignant devra évoluer sensiblement pour l’adapter aux objectifs du système éducatif et permettre la revalorisation salariale des professeurs.
Ériger en méthode de gouvernance la liberté et la responsabilité pédagogiques : Les établissements disposeront des marges d’autonomie permettant le recrutement de personnels, l’aménagement des programmes et des horaires, des expérimentations pédagogiques, dans le cadre de contrats d’objectifs et de moyens à la manière des « charterschools ». Les résultats de chaque établissement seront rendus publics tous les ans afin de mesurer l’efficacité de leur action éducative.
Ces principes, déclinés en mesures législatives et réglementaires, seront présentés aux Français dans le cadre des rendez-vous électoraux majeurs à venir.
La crise de l’école n’est pas une fatalité. Nous devons, nous pouvons redresser cette institution essentielle à la France. Il ne s’agit pas d’un simple enjeu éducatif : c’est un défi civilisationnel.
Le combat pour l’école est un combat pour la France.
Contribution de Roger Chudeau, Député de Loir-et-Cher, Inspecteur général de l’Éducation nationale honoraire, ancien Directeur de l’encadrement du MEN, ancien conseiller « éducation » du Premier ministre François Fillon. Les Horaces sont un cercle de hauts fonctionnaires, hommes politiques, universitaires, entrepreneurs et intellectuels apportant leur expertise à Marine Le Pen, fondé et présidé par André Rougé, député français au Parlement européen.
Avant que de nouveaux pavés en mémoire de l’Holocauste soient inaugurés à Anderlecht vendredi dernier, une polémique a été évitée de justesse. Le témoignage de Fadila Maaroufi.
Il y a deux jours, nous avons appris que deux écoles communales d’Anderlecht, Carrefour et Marius Renard, avaient refusé de participer à la pose de Pavés de la Mémoire honorant les victimes de la Shoah, invoquant des sensibilités liées au conflit israélo-palestinien. Selon le journal La Dernière Heure, les directions des écoles craignaient des débordements et des réactions de la part des parents. Cependant, le 10 janvier 2025, décision a finalement été prise de faire participer ces écoles à cet événement, ce qui est une avancée positive.
Néanmoins, il est légitime de se demander comment aller de l’avant. Tentera-t-on encore longtemps de dissimuler les problèmes sous le tapis ?
Pour mieux comprendre le contexte, il est essentiel de revenir sur l’histoire du quartier de Cureghem, anciennement un quartier juif où une synagogue a été construite le 6 avril 1933. Ce quartier a connu de profonds changements, notamment avec le départ des grossistes juifs situés dans le triangle près de la gare du Midi. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution, notamment l’augmentation des actes d’antisémitisme, souvent passés sous silence.
Antisémitisme minimisé depuis des années
Des événements marquants témoignent de cette montée de l’intolérance. En 1997, un acte de vandalisme a failli coûter cher à la synagogue, quand de l’essence avait été répandue, mais les flammes évitées. Des pavés ont été lancés sur les vitres, et des cocktails Molotov ont été utilisés. Le dimanche 31 mars 2002, des jeunes ont jeté plusieurs cocktails Molotov sur le lieu de culte, causant des dégâts considérables. Les journalistes de l’époque ont recueilli quelques témoignages qui minimisent l’antisémitisme voire le justifient.
Brahim, un jeune musulman de 25 ans, a qualifié cet acte de « gratuit et inutile« , soulignant que seuls des individus irresponsables pouvaient agir ainsi. Il est crucial d’interroger les racines de l’antisémitisme, notamment parmi les jeunes musulmans, et de réfléchir à l’idéologie des Frères musulmans qui se propage en Europe. Rachid, 24 ans, s’est également exprimé sur ces attaques : « C’est triste à dire, mais ce sont des choses qui arrivent en Europe, nous recevons juste les informations intéressantes la communauté juive. Quand on confronte les télés arabes aux télés juives, allez savoir qui a raison… Cela ne justifie rien, mais il faut trouver la part des choses. Le plus important ici est qu’un lieu de culte a été attaqué. Qu’il soit musulman, juif ou catholique, peu importe, car c’est de toute manière inadmissible qu’un quelconque lieu de culte soit attaqué. »
Cette justification et cette façon de minimiser la situation ne sont pas nouvelles et sont largement partagées et diffusées depuis le 7 octobre 2023, après les attaques des terroristes du Hamas contre Israël auprès des jeunes et dans le monde médiatique.
Analysons le témoignage de Rachid : il suggérait que de tels actes sont courants et presque inévitables, ce qui minimise la gravité de l’antisémitisme, et semblait même normaliser la violence quand il dit : « Ce sont des choses qui arrivent en Europe« .
La phrase « nous recevons juste les informations intéressantes la communauté juive » et la comparaison entre « les télés arabes » et « les télés juives » impliquent une méfiance envers les médias et insinuent un biais, ce qui nourrit des théories du complot ou des préjugés.
Quand il dit « il faut trouver la part des choses« , cela peut être interprété comme une tentative de chercher des excuses ou des explications qui atténuent la responsabilité des auteurs des actes antisémites. C’est un appel à la relativiser l’acte.
Bien que son propos reconnaisse l’inadmissibilité des attaques contre les lieux de culte, il minimise l’antisémitisme, son propos semble diluer l’importance de l’antisémitisme en le plaçant sur le même plan que toute attaque contre un lieu de culte, sans reconnaître la spécificité et l’histoire des violences antisémites.
On peut constater la contradiction dans la phrase « Cela ne justifie rien… », qui est suivie par des propos qui semblent justement chercher à relativiser ou expliquer le contexte, ce qui affaiblit la condamnation initiale. Dans l’ensemble, la phrase oscille entre la reconnaissance de la gravité d’une attaque contre un lieu de culte et une tentative de relativisation qui nous pouvons percevoir comme une banalisation de l’antisémitisme.
Une jeunesse ciblée par l’idéologie
En 2010, un cocktail Molotov a de nouveau été lancé contre la porte d’entrée de la synagogue. En 2014, celle-ci a été victime d’un incendie volontaire, quelques mois après l’attentat tragique du musée juif de Bruxelles. En 2017, des actes de vandalisme ont visé les caméras de surveillance de la synagogue à plusieurs reprises.
Ce quartier est aussi le témoin de mon enfance. Je me souviens des cocktails Molotov lancés sur la synagogue et du départ progressif des Juifs du triangle, remplacés par des commerces pakistanais. Cette évolution marque une page qui se tourne, laissant des souvenirs empreints de stigmates et un antisémitisme qui continue de se manifester dans les murs du quartier. Il est essentiel de se souvenir et de réfléchir à ces événements, non seulement pour honorer la mémoire des victimes, mais aussi pour construire un avenir sécurisé pour nos compatriotes juifs et pour l’ensemble de la société. Nous ne pouvons pas ignorer ces faits ni tourner la page. Tous les actes d’antisémitisme, qu’ils soient verbaux ou physiques, soulignent la nécessité d’une prise de conscience collective sur ce problème, d’oser le nommer et de reconnaître qu’il nous concerne tous. Cet antisémitisme est en partie le résultat de la pénétration de l’islamisme dans divers secteurs de notre société, et l’école a été l’une des premières cibles de l’idéologie des Frères musulmans.
Le Pierrot, ou Gilles, de Watteau, a regagné les cimaises du Louvre après restauration. Les couleurs, en retrouvant leur éclat, redonnent corps à ce portrait mystérieux et rassurant. Dans le vacarme du monde, cet homme immobile nous regarde fixement, et, surtout, garde le silence.
Il est là, debout, les bras ballants, dans son costume de Pierrot, les paupières et le dessous du nez légèrement rougis. On le reconnaît à sa collerette, son habit blanc à boutons, son pantalon flottant et son bonnet-calotte sous son chapeau de feutre. Il est né Pedrolino dans la comédie italienne, francisé en Pierrot dans les années 1680. Personnage farcesque, à l’origine faire-valoir d’Arlequin, il a longtemps incarné la naïveté et la gaucherie avant de devenir, avec le temps, un amoureux sentimental et un poète rêveur. En 1719, date vers laquelle il a sans doute été peint par Antoine Watteau (1684-1721), il n’a pas encore entendu parler du célèbre mime Jean-Gaspard Deburau (1796-1846) qui recréera son personnage au xixe siècle. Il n’a pas vu l’acteur Jean-Louis Barrault (Baptiste) lui rendre hommage dans Les Enfants du Paradis (1945), n’a pas lu le très beau conte Pierrot ou Les Secrets de la nuit de Michel Tournier (1979) et n’a pas goûté les douceurs Pierrot Gourmand lancées en 1924 par le confiseur Georges Evrard.
Analyse d’un regard perdu
Dans le célèbre tableau de Watteau, œuvre au format inhabituellement monumental (184,5 x 149,5 cm) que le musée du Louvre présente au public après restauration, Pierrot se tient immobile, sans rien dire et sans rien faire. Il nous regarde. Ses yeux asymétriques rompent avec le monotone alignement des boutons de son habit de cotonnade. Pas de grimace ni de pantomime : les rubans roses des souliers, les gros plis des manches de la veste et le plissé vaporeux de la collerette laissent place à un visage lisse de jeune homme dont les traits singuliers et l’expressivité naturelle ne semblent plus relever de la comédie ni du jeu d’acteur. A-t-il réellement cet air niais et pataud que la critique lui fait endosser comme un habit de scène, et que l’on retrouve, il est vrai, dans d’autres œuvres du peintre ? Derrière lui, en contrebas du talus où il est monté seul, s’agitent des comédiens dont la réunion est plus qu’improbable à une époque où la querelle des théâtres fait rage et où la Comédie-Française parvient parfois à faire interdire les représentations du très populaire Théâtre de la Foire incarné par le personnage de Pierrot : le Crispin ricaneur (Comédie-Française), le Momus ahuri (le fou de la Foire) et le comédien italien ne font pas partie de la même troupe. Le Pierrot du Louvre, lui, ne ricane pas, ne sourit pas, ne fait pas l’étonné et ne tire pas sur la longe d’un âne qui s’est lui aussi invité dans ce décor de fêtes galantes. Il est tout entier dans ce regard qu’il nous lance depuis le xviiie siècle, un regard qui s’est perdu un temps, jusqu’à la découverte du tableau sur le marché parisien en 1826, et qui fascine encore. On est fasciné par ce qu’on ne s’explique pas, et ce comédien qui ne dit pas un mot fait forcément beaucoup parler de lui. De surcroît, on supporte assez mal le silence, même lorsqu’il émane de nos personnages de fiction. Songeons à Rosalie écrivant à David dans le film de Claude Sautet (1972) : « Je t’écris ma cinquième lettre et je m’attends à ton cinquième silence ; ce n’est pas ton indifférence qui me tourmente, c’est le nom que je lui donne. » Au silence du Pierrot du Louvre, on a donné le nom d’« embarras ». Faute de mieux.
Cette œuvre de Watteau, longtemps nommée le Gilles (du nom d’un autre personnage de théâtre burlesque), vient d’être restaurée. La restauration des œuvres d’art et des édifices du patrimoine national prend, dans une société assez familière du saccage et de la détérioration, une dimension particulière. « On dénonce un monument, on massacre un tas de pierres ; nous leur en voulons de tous les crimes des temps passés. Nous voudrions effacer le tout de notre histoire » : Victor Hugo tonnait déjà, en son temps, contre ce qu’il nommait joliment « le vandalisme subventionné » (Guerre aux démolisseurs, 1832). À l’heure où l’on ruine des écoles, où l’on dégrade des églises, mais où également toute statue de l’espace public est susceptible de tomber pour complicité de crime contre l’humanité, savoir que la cathédrale Notre-Dame et le Pierrot de Watteau ont recouvré tout leur éclat a quelque chose de réconfortant. Silencieuse, la restauration des œuvres d’art conjugue au futur la beauté d’autres âges. Elle réalise sur des épidermes de toile ou de pierre ce que les gens attendent pour eux-mêmes de la science et de la médecine : enlever les couches gâtées par le temps et redonner aux couleurs leur vivacité initiale. Elle mise sur une forme possible d’éternité : la conservation de notre culture.
Les interprétations du Pierrot de Watteau, sur fond de querelle des théâtres, d’autoportraits divers et de motifs repris de croquis antérieurs, sont à lire dans le bel ouvrage dirigé par Guillaume Faroult qui accompagne l’exposition « Revoir Watteau : un comédien sans réplique ». Mais au-delà de tout ce qu’on peut en dire, le silence de ce Pierrot est en soi un bien précieux. Dans un contexte général de commedia dell’arte et de théâtre de foire bas de gamme, avec son lot de cacophonie politique, de ricanements subventionnés, d’âneries culturelles variées, de plaidoyers de toutes les causes, de récits dramatiques chantés a cappella, de sensibilisations tapageuses et d’états d’âme diffusés en Dolby stéréo, un peu de silence, en ce début d’année, ne peut pas faire de mal. Le Pierrot du Louvre se tait et c’est tant mieux. Réjouissez-vous ! Vous ne l’entendrez pas parler de « problématique », de « paradigme », de « ligne rouge », de « proxis » et d’« ADN ». Il ne dira pas qu’« il faut changer de logiciel » ou qu’« il y a un avant et un après ». Il ne dira pas non plus – hideuse mode grammaticale – ce comédien-là ou cet habit-là en parlant de ce comédien ou de cet habit. Imaginez, s’il parlait comme on entend parler en France aujourd’hui, ce que cela donnerait : « Le sujet c’est qu’avec ce tableau-là il y a un avant et un après Watteau. »
Non, vraiment, rien que pour son silence, le Pierrot du Louvre est notre ami.
À voir :
« Revoir Watteau : un comédien sans réplique, Pierrot, dit le Gilles », musée du Louvre jusqu’au 3 février.
Jérôme Leroy nous revient en forme et en force. Il rassemble soixante-dix textes en prose qui forment les éclats d’un miroir brisé par les assauts du temps. Et chaque éclat nous renvoie à une France – et même à une partie de l’Europe septentrionale pour l’auteur – que nous avons aimée car nous y étions jeunes, l’esprit plein d’alacrité. On suit Leroy tour à tour sur le canal de la Deûle, dans un train que je connais bien, le Paris-Limoges, sur une plage blonde du Portugal, une île grecque hantée par le souvenir lumineux d’un Michel Déon écrivant l’un de ses meilleurs romans, sinon le meilleur, Un déjeuner de soleil. Rien que le titre du nouveau livre de Leroy est un oxymore génial : Un effondrement parfait. Ça colle à notre époque qui salit tout, efface le plus délicat, saccage la beauté tremblée d’un internat de province, celui-là même qui nous offrit les armes du goût pour tenir en respect les ondes perturbantes des Assis. Il n’y a plus rien de parfait hors la destruction de ce qui nous tient encore debout. Leroy est dur avec l’époque, mais comme c’est un tendre, ça touche où l’on souffre le plus : la disparition du style. Extrait : « L’actuelle zombielangue dans laquelle on baigne, jusque dans le roman, a autant de rapports avec le français qu’un showroom de concessionnaire automobile dans une zone commerciale en a avec le soleil sur la Vienne du côté d’Eymoutiers. » Il regrette la figure rassurante de Georges Pompidou, mort il y a cinquante ans, et cette « impression d’épaisseur et d’intelligence dans l’usage du monde, bien lointain de celui des gueules en plastique qui prétendent nous mettre au pas. » Leroy est définitif : « Je ne sais pas ce qui s’est passé en moins de quarante ans mais ce dont je suis certain, c’est que l’on a changé de civilisation. Je ne juge même plus, je ne fais que constater. »
L’un des ennemis, pour ne pas dire le seul, c’est le capitalisme qui ne cesse de détruire le peu de douceur de vivre qu’il reste, « c’est-à-dire pas grand-chose. » C’est pour cela qu’il cite l’évadé permanent, Rimbaud : « Je préfère partir que de me faire exploiter. »
Leroy voyage, et son livre s’écrit. Il n’est pas seul, il accompagne ses amis. Ils se nomment Paul Morand, Jacques Laurent, Roger Vercel – totalement oublié – André Dhôtel, Yves Navarre, Roger Nimier, avec une mention spéciale pour Simenon et le commissaire Maigret. L’interrogatoire va durer. Leroy, faites monter des sandwichs, de la bière, la brasserie Dauphine est encore ouverte. Lire Simenon, c’est vous éviter vingt ans d’analyse stérile. Avec l’argent économisé, on peut alors revoir les plages de son enfance, la marée qui efface les pas, les jeunes filles à nattes blondes, inaccessibles, le préau de l’école communale, la colère mêlée à la tristesse dans le regard du père syndicaliste après la fermeture de l’usine délocalisée. Attention, Leroy est un trafiquant de mélancolie vive.
Il y a un très beau passage sur l’écolier qu’il fut, amoureux de sa prof de maths, « ronde comme une pomme ou une journée réussie. » Il a fait une bêtise, le minot Leroy, alors elle lui colle une punition, une rédaction. C’est malin comme choix ; elle doit l’avoir bien cerné. Elle lit son texte devant la classe : « Parce que c’est bien, même si c’est une punition. » Voilà une belle définition de la littérature.
Bon, je lui en veux un peu quand il dresse la liste des écrivains avec lesquels il n’aurait pas aimé boire. Il cite Alain Robbe-Grillet. Là, Jérôme Leroy, vous avez tort : l’auteur du Voyeur était très drôle. Le vin blanc électrisait son humour, surtout avec une douzaine d’huitres, à la Closerie.
Je vous recommande chaudement de lire cet effondrement parfait, d’en ouvrir les pages au hasard, de revoir ainsi son propre passé dans l’éclat du miroir brisé. L’envie vous prendra peut-être d’aller vous chafrioler, et sûrement de retrouver « le vrai goût du temps » en écoutant la « rumeur estivale des plages ». Car, pour Leroy, un seul programme politique se tient, « aller à la plage. » Et pour moi, à la pêche.
Jérôme Leroy, Un effondrement parfait, La Table Ronde. 160 pages.
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
Amiens.
La ville d’Amiens n’a pas la seule particularité d’être celle de notre bon et bien aimé président Emmanuel Macron, et la capitale du macaron ; elle détient aussi en ses murs l’un des cinémas Pathé qui propose les places les plus chères de France ! « Ce n’est pas le plus cher de France. Les cinémas parisiens sont plus chers et ça semble logique parce que c’est la capitale. Le loyer et le coût de la vie y sont plus importants », déclarait, il y a peu, Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) à nos confrères de France 3 Hauts-de-France. « Amiens, c’est, en quelque sorte, la capitale de la Somme, donc c’est normal que le loyer soit plus cher là-bas que dans les autres villes. » Bah voyons ! À part que nous, pauvres Amiénois, on n’a rien demandé du tout ; on veut juste tenter de voir un film sans se ruiner la couenne. Face à cette situation inédite et assez déplorable, deux alternatives : fréquenter le ciné Saint-Leu, dans le quartier éponyme, et/ou le ciné Orson-Welles, à la Maison de la culture. (C’est environ la moitié du coût du ticket Pathé-Amiens et les programmations y sont de grande qualité.) Je suis donc allé voir, au ciné Saint-Leu, le film En fanfare, d’Emmanuel Courcol. Je ne l’ai pas regretté. Présenté en avant-première au Festival de Cannes 2024, ce long-métrage est une totale réussite, tissé d’émotion, superbement interprété, délicat et subtil. On serait bien tenté de le qualifier de chef-d’œuvre si ce terme n’était pas, de nos jours, galvaudé. Emmanuel Courcol nous raconte l’histoire de Thibaut Desormeaux (campé par le talentueux Benjamin Lavernhe), chef d’orchestre reconnu internationalement, élevé à Meudon, à qui on diagnostique une leucémie foudroyante ; cette dernière nécessite de toute urgence une greffe de moelle osseuse. Les médecins recherchent un donneur potentiel dans sa famille. À cette occasion, il apprend, grâce aux tests ADN, que ses parents ne sont pas ses parents, et sa sœur, pas sa sœur. En fait, il a été adopté. Il apprend aussi qu’il a un frère biologique, Jimmy Lecocq (interprété par l’émouvant Pierre Lottin), adopté également, qui vit dans la ville de leur mère, dans le Nord. Un espoir pour la greffe. Il rencontre donc son jeune frangin, minuscule employé d’une cantine scolaire, et tromboniste au sein de l’harmonie municipale. Tout les oppose mais la passion de la musique les unit. La vedette de Meudon et le modeste Nordiste se serrent une fraternelle poignée de mains et tentent de tailler la pierre brute de l’injustice sociale. Y parviendront-ils ?
Suis ressorti de la salle tout bousculé, et, dois-je l’avouer, le regard humide. Certaines scènes sont poignantes. Et la fin est carrément sublime. Ce film est aussi un hymne aux fanfares et harmonies de province, et à ce Nord de la France ici si bien décrit et filmé. Dans cette œuvre, tout sonne juste. J’ai adoré.
L’amiral Olivier de Kersauson se fait instituteur dans un bréviaire paru au Cherche midi où il égrène quelques propos maritimes
Nous sommes habitués à le voir et à l’entendre dans les studios, maugréer, rabrouer, tancer, taquiner les hommes qui ont choisi la terre à la mer. Bougon en chef, réfractaire aux modes absurdes, habillé de sa mauvaise humeur qui fit son succès radiophonique, caractériel par ruse pour faire oublier son érudition, Olivier de Kersauson est notre marin médiatique, phare brestois du « Tour du monde », aujourd’hui Polynésien de cœur. Dans une nation qui compte de nombreux navigateurs célèbres, on retiendra Tabarly l’héroïque, le racinaire. Sans lui, rien n’aurait été possible, il a ouvert les voies. Puis Florence, son prénom a ému la France à une époque où la parité sur l’eau errait dans les limbes. Et Kersauson, rocailleux et tempétueux, l’homme des records du monde en multicoque, capitaine du Lyonnaise des eaux et du Sport-Elec, patron à l’ancienne, croyant à bord aux vertus de l’observation, méfiant sur les nouvelles technologies tout en les étrennant, libertaire-conservateur, drôle de bonhomme totalement ancré dans un temps déconstruit.
Esthète de l’audace
Avec l’âge, il ne se fait pas plus doux ou mielleux. On l’aime pour ses abordages virils dans les débats qui agitent la société ; sa répartie décontenança tant d’animateurs satisfaits d’eux, à la télé. Cependant, dans son dernier ouvrage Avant que la mémoire s’efface, Kersauson se fait instituteur, plus éducateur que professeur jargonnant, il parle de ce qu’il connaît le mieux, la mer, ses joies et ses démons, avec des mots simples à la portée d’un Berrichon ne connaissant que les étangs clos de Sologne. Ce fameux trois-mâts, large d’épaules, a un lourd passif avec l’horizon ; en 1967-1968, il effectuait déjà son service militaire dans la marine, affecté sur la goélette Pen Duick III (19 mètres) sous les ordres du capitaine de vaisseau Tabarly. Kersauson, dans un rôle nouveau de transmetteur, convoque le ciel, les vents et la mer. Une vie à naviguer, à observer, à retenir quelques intuitions, à éprouver des millions de solutions, à se méfier des appareils, à calculer et à « cheffer » car, à la fin, un homme va décider pour l’ensemble de l’équipage. Ce retour à une navigation connectée aux éléments naturels, sur les années de ce long apprentissage où comme Jean Gabin on sait que l’on ne sait (presque) rien est un beau témoignage sur le danger, la prise de risque, la liberté et une forme d’absolu. Kersauson n’engage pas une controverse entre modernes et anciens, il n’est pas hostile, par principe, aux nouveaux matériaux et aux outils de prévision, car son rêve demeure intact. Il recherche le frisson et la béatitude de la vitesse pure, il sera toujours un esthète de l’audace. « C’est vraiment jouissif d’avoir des beaux bateaux dans les mains, c’est comme les gens qui aiment conduire et avoir une belle voiture » écrit-il. Ce bonheur-là, quand ça « roule », « quand ça glisse » à 30 nœuds, l’homme sait intimement qu’il a enfin trouvé un sens à sa vie.
L’amour du risque
À la manière d’un écrivain qui tente de trouver le chemin vers la phrase parfaite, bien balancée et équilibrée, sans graisse avec cette profondeur vivifiante qui éclaire l’esprit, le marin travaille à l’oreille, avance au son. « Naviguer, c’est se servir autant des oreilles que des yeux » conclue-t-il. Kersauson, voyageur sans valises, n’est pas un adepte du principe de précaution à tout-va. Il replace le risque au centre des existences humaines. A contre-courant des discours pusillanimes, il déclare que le risque est : « inhérent à la vie, il est biologique, ontologique si l’on préfère ». Dans ces carnets, il reconnaît que certains écolos qu’il qualifie d’escrologues l’agacent, mais nier leurs combats serait une hérésie. « Il y a un crime de l’humain à l’égard de la nature. Le discours écologiste, même avec ses excès, permet la prise de conscience ». Kersauson n’est pas atteint de gâtisme, il a parcouru la planète et vu des horreurs comme les stations baleinières en Géorgie du Sud, « là où furent tuées des milliers de baleines ». Kersauson rend aussi hommage au plus grand, Magellan, « c’est le premier geste de la mondialisation » et l’initiateur de la cartographie. Quand il évoque l’effroi du Grand Sud, on trésaille, « C’est un univers qui n’a pas besoin de moi, j’y suis inutile. L’homme est là, il est là, mais il ne sert à RIEN ». Cette solitude est une introspection sur soi qui est tellement salutaire à l’ère de l’homme s’imaginant surpuissant.
Avant que la mémoire s’efface de Olivier de Kersauson – le cherche midi 216 pages.
Entre appels à la frugalité et résignation face à l’effondrement, les maniaques de l’urgence climatique ne savent plus où donner de la tête.
Il y a un an, Le Monde expliquait le climat aux enfants en déroulant le credo écolo : le « dérèglement climatique » est fulgurant, les glaciers fondent, les canicules s’accumulent, les sécheresses et les inondations sont de plus en plus fortes et nombreuses, le bourdon velouté se fait rare, un frelon asiatique a été aperçu en Finlande, etc. – et tout ça à cause des « activités humaines ». Les marmots, morts de trouille, étaient supposés demander des conseils.
Que devaient-ils faire, eux et leurs parents, pour éviter la catastrophe ? C’est simple, adopter un mode de vie frugal, décroissant et décarboné : éviter d’utiliser la voiture, de prendre l’avion, de manger de la viande, de mettre la lumière, de monter le chauffage, d’acheter des vêtements et des jouets neufs.
À la veille des fêtes de Noël, le risque étant grand que les Français aient envie de faire plaisir à leurs proches en leur offrant quelques cadeaux dont le bilan carbone est, comme chacun sait maintenant, désastreux, l’Agence de la transition écologique a de son côté relancé une campagne publicitaire incitant les citoyens à réfléchir à deux fois avant d’acheter quoi que ce soit. Des spots télévisuels mettent en scène des Français moyens qui, désirant faire l’achat d’une machine à laver, d’un téléphone portable ou d’un polo, abordent ce qu’ils croient être un vendeur mais est en fait un « dévendeur », lequel leur conseille de… ne rien acheter du tout, parce que « c’est mieux pour les ressources de la planète et que c’est plus économique ».
D’un autre côté, si l’on écoute Yves Cochet, pourquoi se priver ? « Il est trop tard, l’effondrement est imminent », assène l’écologiste dans son dernier essai, Précisions sur la fin du monde. « La catastrophe est certaine et inéluctable », d’ici à dix ans « Internet aura disparu », « la moitié survivante de l’humanité » agonisera sur « les restes de la civilisation thermo-industrielle », la planète ressemblera à une gigantesque ZAD, en plus moche. Alors, autant en profiter maintenant. Au diable le GIEC et Bonne Année à tous !
Patrice Jean et Bruno Lafourcade ont commencé à se lire sans se connaître. Puis ils se sont écrit. Les Mauvais fils compile cet échange épistolaire entre deux écrivains qui ont, chacun à sa manière, déclaré la guerre à leur époque. Leur plume et leur humour prouvent que la correspondance littéraire n’est pas morte !
Sous l’hégémonie du progressisme et sur une scène littéraire qu’aseptisent la bien-pensance et le politiquement correct, le verbe périclite, la parole s’assèche. On ne se parle plus, on n’échange plus. Tout au plus s’envoie-t-on quelques signaux de pâle fumée aussitôt dissipés par les vapeurs toxiques du temps. On était donc résigné : on croyait les grandes correspondances littéraires, où s’échangent les idées avec la chair des mots, reléguées dans le passé. La correspondance de Flaubert repose dans les volumes de la Pléiade ; quant à Chardonne et Morand, ils ne s’écrivent plus depuis longtemps.
Nous voici heureusement détrompés avec Les Mauvais Fils. Patrice Jean et Bruno Lafourcade nous offrent un choix de lettres qu’ils se sont écrites ces dernières années. L’échange débute en 2017, année où, entrant tous deux dans la cinquantaine, ils se lient d’amitié et, « avec des fortunes diverses, tentent de sortir de l’ombre et de leurs nuits jumelles » ; il s’achève en 2022. Dans cette relation épistolaire, « on parle boutique » bien sûr, et on cause du monde littéraire. Mais surtout, on cherche à se connaître pour comprendre l’autre, son semblable et son frère. Et au-delà des anecdotes savoureuses, cette correspondance invite à se regarder soi-même avec autodérision. On pense également à Montaigne : « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. »
Dans La Vie des spectres, le dernier roman de Patrice Jean, un modeste héros oppose le bon sens à la bêtise contemporaine. Quant à Bruno Lafourcade, il a publié, avec le réalisateur Laurent Firode, Main basse sur le cinématographe, un essai qui torpille les lieux communs et les fables qui innervent le milieu du cinéma.
Après les avoir lus, Causeur les a fait parler.
Causeur. Comment est née votre amitié ?
Patrice Jean. J’ai été le premier à écrire à Bruno, via Messenger : j’avais lu son essai sur le suicide et voulais le féliciter. Je crois qu’il est la seule personne que j’aie jamais contactée de cette façon ! C’était le bon moment, nous allions tous les deux publier un nouveau roman auquel nous attachions beaucoup d’importance. Nous avons constaté que nous étions nés la même année, et que nous avions eu des parcours à la fois suffisamment proches et différents pour nous comprendre, confronter notre expérience.
Bruno Lafourcade. Patrice allait publier L’Homme surnuméraire et moi L’Ivraie… La naissance de notre amitié mêle les deux mondes, l’ancien (celui des bibliothèques) et le nouveau (celui d’internet) : nous avons lu nos livres, puis nous avons fait connaissance sur les réseaux sociaux. Ce qui nous a rapprochés, c’est l’âge, les origines, la situation sociale et nos ouvrages.
À travers vos déboires et vos réussites, votre correspondance offre un panorama de la vie littéraire, avec ses figures indispensables (éditeurs, critiques), mais aussi ses « petites mains » (correcteurs, bibliothécaires, etc.).
B. L. D’un certain point de vue, c’est un livre sur l’adversité, sur l’humiliation, et, pour ma part, sur une certaine conception pugilistique de l’existence, y compris littéraire. On se heurte, surtout, quand on est jeune, à ceux qui considèrent la volonté d’écrire comme une occupation dérisoire ou prétentieuse. On le ressent comme la négation de ce que l’on est, d’autant qu’une part de soi donne raison à cette négation. On écrit contre tous ceux qui s’y opposent : parents, collègues, éditeurs, journalistes, libraires ou correcteurs, et nous en donnons effectivement des exemples dans Mauvais Fils.
P. J. Je partage cette analyse. Avant d’être publié, un apprenti écrivain vit dans l’humiliation de ses ambitions littéraires, que Gombrowicz définissait, avec simplicité, comme l’aspiration à devenir plus important que les autres. Après la publication, on se heurte, contre toute attente, à des centaines de malentendus : je pensais me faire comprendre, et, en bien des circonstances, j’ai observé qu’il n’en était rien. C’est pourquoi il faut sans cesse remettre son ouvrage sur le métier.
Si beaucoup de choses vous rapprochent, on note aussi des différences littéraires : Patrice Jean est essentiellement romancier alors que Bruno Lafourcade a aussi publié des chroniques, des essais, des pamphlets…
B. L. Il y a entre nous des différences de caractère : je suis plus sanguin et impatient que Patrice. Il en ressort des différences dans les genres littéraires : j’aime bien les pamphlets, Patrice n’en a jamais écrit ; je préfère le bref au long : je n’ai pas écrit de roman de l’ampleur de ceux de Patrice. Pour le reste, il a aussi publié un essai, des nouvelles, des articles de revue, de sorte qu’il n’a pas que le roman à son arc.
P. J. Pas mieux, comme on disait à « Des chiffres et des lettres » !
Vous n’avez pas mené la même vie : Patrice Jean, vous êtes professeur de lycée ; Bruno Lafourcade, vous avez un itinéraire moins régulier, plus marginal. Vos parcours ont-ils influencé votre vie d’écrivain ?
P. J. J’aurais aimé publier plus tôt, j’ai même longtemps cru qu’il était trop tard. J’avais embrassé la carrière de professeur en pensant qu’elle me laisserait le temps d’écrire : ce fut loin d’être le cas, elle m’a épuisé. J’ai remonté le courant, avec l’énergie du désespoir, pour commencer à écrire sérieusement.
B. L. Nous avons l’un et l’autre publié des livres assez tardivement. Je voulais vivre avant d’écrire, et ce fut assez chaotique. Puis j’ai appris à écrire, et comme je ne suis pas bien malin, ça m’a pris du temps. Mais une fois que j’ai su écrire, ça m’a amusé de continuer.
La question de la transmission, du passage de témoin d’une génération à une autre revient souvent dans votre correspondance. Que vous a transmis la génération précédente (vous évoquez notamment Finkielkraut et Muray) et que transmettrez-vous à celle qui vous succédera ?
P. J. La génération précédente nous a appris à lire, à compter, puis, comme l’écrit Bruno dans Une jeunesse les dents serrées, elle nous a jetés dans la vie, sans jamais nous aider. Pour la génération suivante, notre génération n’existe pas : nous sommes déjà, à leurs yeux, des « boomers », et l’ensemble de l’humanité, au fond, n’est qu’une vaste espèce de boomers.
B. L.(Rires) C’est vrai : tout ce qui est plus âgé qu’elle, morts ou vivants, est constitué de boomers. Quant aux vrais boomers, c’est la génération Moloch : elle a cherché à tuer les fils, après avoir tué le père. Puis, elle a préféré transmettre à ses petits-enfants plutôt qu’à ses enfants ; donc la génération qui vient n’a que faire de nous. Elle est déjà au pouvoir.
Votre abordez aussi le travail, l’école, jusqu’au foot et la télé-réalité ! L’un de vous parle également de la douleur qu’il a éprouvée en regardant un film des années soixante-dix. L’un l’explique par « l’inévitable nostalgie de notre jeunesse », l’autre par « la disparition de l’humilité ». Pouvez-vous nous en dire davantage ?
B. L. C’était La Femme d’à côté. Truffaut me laisse plutôt indifférent, comme la Nouvelle Vague en général, où je n’aime vraiment que Paul Gégauff. Devant ce monde englouti, où des Odile et des Roland, parlant un français simple et naturel, vivent dans un village paisible de l’Isère, j’ai eu le cœur serré par tout ce que nous avions perdu, qui était un rapport pacifié et humble à l’espace, au corps et au langage : on parlait à voix basse, on s’habillait pour sortir, on tenait compte des autres…
P. J. Je pense aussi qu’il y avait, dans nos jeunes années, encore un souci de l’élégance, moins de tape-à-l’œil. La nostalgie est légitime : je regrette ma jeunesse, pas l’époque de ma jeunesse. Et la nouvelle génération, dans trente ans, regrettera les années 2020.
Vous ne portez pas un regard tendre sur notre époque. Comment la décririez-vous ?
P. J. Je n’aime pas beaucoup mon époque, mais je n’en aurais aimé aucune car, dans tous les siècles, toutes les régions, les imbéciles règnent en maîtres. Bruno est un hypersensible, toute bêtise le fout en rage. Il est plutôt du côté d’Alceste, et moi du côté de Philinte. Mais j’ai des attaques de misanthropie, comme d’autres ont des vapeurs.
B. L. Alceste et Philinte ? C’est bien possible… L’époque est passionnante et hystérique, fondée sur une inversion fondamentale : l’élève enseigne, le juge libère, le dominant s’imagine être dominé. Patrice évoque par exemple deux vertueuses, bien en cour, pensant droit comme une règle d’architecte, sans une incorrection dépassant de leur frange. Or ce sont elles, pour qui les micros et les journaux s’ouvrent comme la mer Rouge, qui font la leçon à Patrice, et lui reprochent de faire partie des dominants…
Ce que vous dites des femmes m’a beaucoup fait rire, bien que ce ne soit pas toujours très aimable. Il me semble cependant que vous les aimez. En fait, que leur reprochez-vous ?
P. J. Je préfère les femmes, car je les trouve plus jolies que les hommes.
B. L. Patrice est un extrémiste. Il y a quand même des femmes moches et des hommes beaux… « J’aime les femmes », c’est un mot de misogyne, de cynique : on n’aime personne quand on aime tout le monde. On aime toujours un homme ou une femme en particulier, « parce que c’est lui, parce que c’est moi », avec son visage, son rire, son intelligence. On aime la chair, parce que c’est aussi de l’esprit. On n’aime pas des abstractions. Mais, évidemment, certaines femmes se donnent du mal pour qu’on ne les aime pas. On en montre des échantillons dans ces pages.
L’humour est-il indispensable ?
P. J. Le rire est une réponse de perdants : c’est une façon de ne pas perdre la face en prenant des coups. J’ajouterai, et j’en suis persuadé, que tous les hommes sont des perdants et des ratés. Moi compris, bien sûr. Et toutes les femmes aussi, cela va de soi. Charlie Chaplin, dans Les Feux de la rampe, prétend que nous ne vivons pas assez longtemps pour devenir autre chose que des amateurs. Sans le rire, nous serions une espèce détestable.
B. L. Le rire est une vertu. Rien n’est efficace comme la satire pour mettre en perspective l’absurdité ou la violence d’une époque. C’est une des dimensions que j’aime dans les romans de Patrice.
Êtes-vous nostalgiques du « monde d’hier » au point de vouloir en laisser une trace dans votre œuvre ?
B. L. Je ne regrette pas le monde où l’on mourrait de la tuberculose à trente-cinq ans, où les ouvriers turbinaient douze heures par jour et où l’on crevait dans les tranchées. Je ne regrette pas non plus mon enfance ni mon adolescence ; je ne les revivrais pour rien au monde. Pourtant, oui, j’éprouve de la nostalgie. Je suppose que c’est un paradoxe. Mais ce que l’on peut souhaiter à un auteur, c’est en effet que ses livres conservent un peu de ce monde englouti.
P. J. Comme je l’ai dit, je suis nostalgique de ma jeunesse, au sens où, à cette époque, j’avais la vie devant moi. Aujourd’hui, l’air se raréfie, le temps restant à vivre diminue. Mais, comme Bruno et comme Dave : « Je ne voudrais pas refaire le chemin en arrière, et pourtant je paierais cher pour revivre un seul instant, le temps du bonheur, à l’ombre d’une fille en fleurs. » Notre monde est plus beau qu’il y a cent ans, pour les raisons dites par Bruno. Il est aussi plus laid, car l’art et la littérature y jouent désormais un rôle marginal.