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Le crépuscule des saints

Le passé de l’abbé Pierre ressurgit, et ce dernier ne peut plus répondre à tous ceux qui l’accusent d’être un prédateur sexuel. La fondation qu’il a créée est renommée « Fondation pour le Logement des Défavorisés ». Accuser publiquement un mort n’est déjà pas élégant, mais est-il juste d’effacer son souvenir ?


Il était le favori dans la liste des notabilités préférées des Français durant des années. Il était reçu au palais de l’Elysée, il a eu droit à un hommage national lors de ses obsèques en janvier 2007. Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy assistèrent à la messe de son enterrement à Notre-Dame. Plusieurs films ont été réalisés pour célébrer son œuvre de bienfaisance. Au crépuscule de sa vie, il était considéré comme un quasi-saint vivant ; c’était Henry Grouès, dit l’abbé Pierre, l’ancien maquisard, passeur de familles juives, ancien député et surtout connu pour être le cofondateur de l’organisation Emmaüs qui vient en aide aux plus déshérités et pour son appel de l’hiver 1954.

Il aurait pu être panthéonisé tant il faisait l’unanimité dans la classe politique. Et puis, patatras ! Plus de quinze ans après sa mort, un rapport commandé par une officine dirigée par la militante féministe Caroline De Haas fait état de « comportements pouvant s’apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel » de la part de l’abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005… Bigre ! Plusieurs décennies après les supposés faits, l’abbé, post mortem, réussit à faire parler ces femmes jusqu’alors muettes ! Ne serait-ce pas le miracle qui manquait à la canonisation du saint homme ?

À l’époque où un baiser volé peut vous valoir une convocation devant le juge d’instruction, on ne badine pas avec ce sujet ! Adieu la sainteté, bonjour la diabolisation. Il a fallu ces témoignages impossibles à contredire pour faire tomber en quelques jours l’ex-personnalité préférée des Français de son piédestal ! Fi de la Résistance, fi des milliers de personnes secourues, fi de l’aide apportée aux plus démunis, fi de toute une vie dévouée à résorber la misère…

À lire aussi, Elisabeth Lévy : Abbé Pierre: peut-on juger un mort?

Même les actuels dirigeants d’Emmaüs veulent effacer le nom du créateur ! Les langues se délient toujours plus facilement pour salir que pour bénir et l’ingratitude des peuples n’est plus à prouver. C’est tellement grisant de brûler ses idoles. Faire le procès des morts, Déboulonner les statues, débaptiser des lieux, oublier des noms…

C’est ainsi que la culture de l’effacement commence. Accuser publiquement un mort n’est déjà pas élégant mais est-il juste d’effacer son souvenir ? Quand bien même l’abbé Pierre aurait des péchés à se faire pardonner, est-il honnête de le bannir alors qu’il a passé toute sa vie au service des nécessiteux et qu’il laisse derrière lui une œuvre efficace à laquelle il fut entièrement dévoué ? Faut-il revisiter la vie de tous nos héros au risque d’y trouver quelques péchés ? Je constate que la société est bien plus sévère que l’Église. Cette dernière, après résipiscence, sait absoudre les péchés mortels, mais le bon peuple ne tolère pas les péchés véniels.

À ce compte-là, bien des saints qui furent de grands pécheurs avant leur conversion ne mériteraient pas de figurer dans le calendrier. Dans une société geignarde, à une époque où la mentalité victimaire est dominante, voire sacralisée, il n’est pas bon d’admirer les grands noms qui font l’histoire ou ceux qui excellent dans leur domaine. Que vous soyez un comédien à la mode, un footballeur ou un illustre personnage du passé, personne n’échappera au jugement terrestre ! Après le crépuscule des dieux et celui des idoles, voici le crépuscule des saints.

Le procès de Jupiter

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La Belgique toujours sans gouvernement: anatomie d’une déliquescence

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Dernière minute ! Les négociateurs réunis pour former un nouveau gouvernement en Belgique ont jusqu’à aujourd’hui pour finaliser les tractations. Les discussions ont eu lieu toute la nuit, sans fumée blanche pour le moment. On ignore donc s’ils aboutiront ; à l’heure où nous publions ces lignes, le pays n’a toujours pas de gouvernement, huit mois après les élections •

Les Belges se sont rendus aux urnes le 9 juin 2024, délivrant un message clair : au nord du pays, les formations de la droite nationaliste (la Nieuw-Vlaams Alliantie – que l’on peut traduire par Alliance néo-flamande – et le Vlaams Belang – Intérêt flamand -) sont arrivés en tête, devant les partis du centre et de la gauche ; au sud du pays, après plusieurs décennies de mainmise socialiste sur la « chose publique », le centre et son voisin de centre-droit sont sortis vainqueurs ; pourtant, huit mois plus tard, le pays n’a toujours pas de gouvernement, dans l’indifférence générale, mais non sans honte. Mais, nous rassure-t-on, on est près du dénouement.

Chauffage en panne

La scène pourrait prêter à sourire : tandis qu’ils devaient se réunir une énième fois pour tenter d’accorder leurs violons, les responsables des partis supposés entrer au gouvernement, loin d’être des Stradivarius, ont dû revoir leur plan, car l’endroit choisi se trouvait confronté à une panne de… chauffage. On ne pourrait trouver meilleure allégorie du mal qui ronge la vie politique belge. L’élégant Château de Val Duchesse dont il est question, sis en bordure de forêt de Soignes, fut le lieu par excellence des négociations dans les années quatre-vingt-dix : à l’époque, le parti au centre de la vie politique s’affichait encore sous l’étiquette « démocrate-chrétienne », les socialistes n’étaient pas encore woke, les écologistes aimaient les fleurs et étaient loin d’être islamisés ; les ministres avaient encore un semblant de culture – en tout cas celle du pays – ; à la fin, tout se terminait par un compromis brinquebalant dit « à la Belge » et Jean-Luc Dehaene restait Premier ministre.

A lire aussi: Le métro bruxellois, symbole du déclin de la capitale belge

Depuis les difficiles négociations entre partis flamands et francophones dans les années 2000, notamment sur les facilités accordées aux francophones dans certaines communes situées sur le territoire flamand, plus rien n’est vraiment comme avant, avec en point d’orgue le record du monde de la formation de gouvernement la plus longue, en 2011. À l’époque, il fallut la menace d’une agence de notation de dégrader la note de la Belgique pour que, soudainement, les négociateurs retrouvassent un semblant de raison.

Depuis, les mois suivant les élections ont donné lieu à d’affligeants spectacles au cours desquels le Roi dût nommer des informateurs, des formateurs, des médiateurs, des démineurs, des conciliateurs, des explorateurs, autant de vocables entrés dans le lexique politique du plat pays, pour dénouer des crises qui ont aggravé la fracture belge. Les raisons de la déliquescence sont multiples, en voici au moins trois, autres que l’existence de deux opinions publiques distinctes – l’une flamande, l’autre francophone.

La terreur intellectuelle que fait planer la gauche (politique, médiatique, syndicale…) a institutionnalisé le très antidémocratique principe du cordon sanitaire (à quand sa constitutionnalisation ?). Selon celui-ci, il est formellement interdit de discuter et a fortiori de s’allier avec l’ « extrême droite ». Même le très « sarkozyste » état-major de la N-VA s’y plie et préfère les socialistes francophones au Vlaams Belang, avec pour conséquence la mise en minorité politique des Flamands, pourtant démographiquement majoritaires dans le pays, et de la droite – au point que le MR de centre-droit signa le Pacte de Marrakech, au prix de la chute d’un gouvernement, et vota plus récemment le Pacte migratoire européen.

Grand malade européen

Quand il n’existe pas de vrai débat, faute d’opposition, l’époque est au mieux à la cristallisation des discussions, au pire à leur hystérisation, avec pour acteurs de série B (comme Belgique) des politiciens qui n’ont pas l’aura de leurs aînés : nains politiques qui débusquent l’extrême droite partout mais qui refusent de voir l’islamisme gangréner la société, épigones belges de Sandrine Rousseau dont l’horizon politique s’arrête aux arrêts de bus qu’il faut renommer, godillots qui insultent et excommunient à tout-va, responsables de partis de la majorité qui passent leur temps à critiquer le… gouvernement sur les réseaux sociaux. Quand on manque de culture, de civilité, de grandes ambitions, d’esprit collectif, il devient compliqué d’exercer le pouvoir en vue d’y accomplir de grandes choses : relance économique, défi de l’IA, intérêts géostratégiques, crise énergétique et pouvoir d’achat…

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Enfin, à force d’avoir « cramé la caisse » à coups de subsides généreusement accordés à des ASBL1 politisées ou en raison du train de vie dispendieux de l’État et de ses entités fédérées, imposé un vivre ensemble qui ne fonctionne pas, tout déconstruit jusqu’à la dernière pierre, les moyens financiers à disposition et la capacité à gérer une communauté d’individus qui se trouvent un destin commun sont forcément limitées. Pendant des années, les socialistes francophones et leurs alliés traditionnels ont augmenté la dette tout en vivant aux crochets des flamands – qui finiront bien par fermer le robinet -, ont poursuivi une politique d’immigration insensée et coûteuse, ont bafoué les droits démocratiques les plus élémentaires en muselant leurs adversaires et nivelé par le très très très bas l’enseignement – tel un symbole, des milliers de professeurs ont manifesté à Bruxelles lundi dernier : plutôt que de réclamer une école de qualité, ils se sont surtout illustrés par les dégradations et autres gestes déplacés dont ils ont été les auteurs. 

Ce portrait n’est malheureusement pas celui d’une république bananière ou d’une dictature lointaine, mais de la femme malade de l’Europe. À propos de la Belgique, il est souvent dit de façon un peu bêtasse que quiconque comprenait ce pays se l’était sans doute mal fait expliquer. C’est faux. En réalité, la Belgique est un millefeuille de niveaux de pouvoirs, de partis, de corps intermédiaires tout heureux de trouver dans la complexité une manière de ne pas à avoir à justifier leur bilan calamiteux.


  1. Association sans but lucratif ↩︎

Et maintenant, l’homme princesse

Sur TikTok, des hommes revendiquent désormais d’être traités avec les mêmes égards que les femmes autrefois. Cette mode éloigne encore davantage l’homme de la virilité traditionnelle. Les femmes seront-elles amenées à regretter la galanterie d’antan?


Le phénomène de « l’homme princesse » sur TikTok suscite de vives réactions depuis plusieurs mois, oscillant entre amusement et controverse. Cette tendance, qui cumule plus de 60 millions de vues sur le réseau social chinois, où des hommes adoptent des comportements traditionnellement associés aux femmes, tels que le raffinement, la tendresse et le soin apporté à l’apparence, entend bousculer les rôles de genre et ouvrir un débat sur l’égalité dans les relations de couple.

Un concept qui remet en question les normes traditionnelles de masculinité et qui divise. Si, certains s’en félicitent et y voient une avancée vers plus de flexibilité et d’équilibre dans le couple, d’autres y décèlent une forme de passivité, voire un recul de plus face aux luttes féministes de plus en plus radicales. Pour une autre fraction d’internautes, ces comportements sont perçus comme une manière de fuir les responsabilités plutôt que de réinventer la masculinité.

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Des experts, comme la psychologue Johanna Rozenblum, soulignent que l’expression « homme princesse » reste pourtant elle-même péjorative, car elle renforce des stéréotypes en assignant certains comportements à un genre comme à un autre. « Je ne vois pas en quoi certains traitements devraient être réservés aux femmes et d’autres aux hommes », s’agace l’autrice du livre Déconditionnez-vous. Elle reconnaît toutefois que cette tendance sur les réseaux sociaux démontre « l’intérêt pour cette nouvelle manière de vivre sa masculinité ». Ainsi, en réappropriant des attitudes dites « féminines », l’homme princesse entendrait s’affranchir de l’idée même de patriarcat et des représentations immuables de la masculinité dans lequel il a été élevé.

En faisant la promotion d’une passivité libératrice pour l’homme, cette tendance en vogue pose en définitive une question essentielle qui nous mène à une profonde introspection sociétale : comment les hommes peuvent-ils évoluer dans un monde où la définition de la masculinité est en constante transformation castratrice ?

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Un pape déconstruit

Fervent catholique, le sociologue Philippe d’Iribarne s’inquiète dans son dernier livre[1] de la fièvre relativiste qui s’est emparée du Vatican depuis l’élection du pape François.


Quand il était au CNRS, Philippe d’Iribarne laissait ses convictions religieuses au vestiaire. Il faut dire que son domaine de recherches (le monde du travail et la diversité des systèmes de valeurs qui s’y exercent) requiert la neutralité la plus stricte chez l’observateur. Mais depuis qu’il a pris sa retraite, au terme de quarante années d’une carrière passionnante marquée par des publications phares comme La Logique de l’honneur (Seuil, 1989), c’est aussi en tant que croyant qu’il intervient dans le débat public.

Son dernier ouvrage n’en est que plus touchant. A bientôt 88 ans, d’Iribarne s’y penche, documents à l’appui, sur la crise profonde que traverse l’Eglise et qui l’affecte lui-même. Sur un ton tout sauf querelleur, le sociologue décrit un phénomène troublant: à présent, même parmi les fidèles ayant soutenu l’aggiornamento de Vatican II, bon nombre de catholiques sont mal à l’aise quand le pape fait les yeux doux au wokisme.

Difficile en effet de ne pas être stupéfait quand, en 2019, le souverain pontife publie une Déclaration d’Abou Dhabi (texte dont le titre officiel est : Document sur la fraternité humaine, pour la paix mondiale et la coexistence commune), dans laquelle il écrit : « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine. »  Lui qui est jésuite, c’est-à-dire l’enfant spirituel des missionnaires ayant évangélisé son Amérique latine natale, sait pourtant bien que l’adhésion au credo ne procède en rien de l’identité biologique, ethnique ou culturelle.

Et comment ne pas être effaré quand, en 2023, il déclare, avant de se rendre dans la cité phocéenne : « J’irai à Marseille, mais pas en France » ? En tant que chef d’Etat, ne connaît-il pas l’importance des institutions nationales ? Que dirait-il si l’un de ses visiteurs officiels affirmait, au moment de rentrer dans la basilique Saint-Pierre, que celle-ci se trouve à Rome mais pas au Vatican ?

Lorsqu’on pousse l’adoration des peuples du Sud jusqu’à nier la vocation universelle de son propre culte, lorsqu’on s’essaye au jeu du radicalisme chic en déniant aux peuples occidentaux les cadres et les conventions dont on est pourtant le premier à bénéficier, ne risque-t-on pas de sombrer dans l’aveuglement, la haine de soi, l’anomie ? Se gardant d’attaquer frontalement le Vatican, d’Iribarne plaide pour une autre voie, moins progressiste que celle du pape sans être tradi, et identifie certains signes d’espoir, notamment dans l’Amérique de Donald Trump. Un regard mesuré, mais pas si consensuel que ça.

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Causeur. Le 8 décembre dernier, le pape François a séché la réouverture de Notre-Dame de Paris. Qu’avez-vous pensé de cette absence remarquée ?

Philippe d’Iribarne. Quand le pape a fait savoir qu’il déclinait l’invitation des autorités françaises, il a indiqué que c’était pour ne pas faire d’ombre à la cathédrale, ne pas lui ravir la vedette. L’argument a du sens. Mais aussi louable ce refus de la peopolisation soit-il, il cache une seconde raison, moins officielle, de la défection papale : le désintérêt de François pour le continent européen. Il suffit de lire son encyclique Fratelli Tutti, parue en 2020 pour voir combien il préfère les pays du Sud, qui représentent à ses yeux les marges auxquelles il convient d’être attentif comme l’avenir de l’Eglise. Le souverain pontife est, à sa manière, un militant tiers-mondiste.

Diriez-vous carrément que c’est un pape révolutionnaire ?

Je n’irai pas jusque là. Dans mon livre, je montre que François est très influencé par la pensée postmoderne, façonnée en réaction à l’horreur de la Shoah, avec le projet de créer une humanité nouvelle ayant surmonté les antagonismes entre les peuples, les religions, les cultures et aboli toutes les formes de domination. Cette pensée n’est pas révolutionnaire au sens d’une volonté de déconstruction radicale des structures traditionnelles. Il s’agit plutôt d’affirmer que toutes ces structures sont également respectables, y compris les spiritualités ancestrales, comme le chamanisme ou le zen, qui avaient été méprisées par la modernité. Le pape semble supposer, naïvement selon moi, que cette vision d’une ouverture indifférenciée est conforme à un esprit évangélique.

Mais est-ce une si mauvaise idée de son point de vue ? Les Saintes Ecritures ne trouvent-elles pas quelque résonance dans la pensée post-moderne ? Jésus n’aspirait-il pas, lui aussi, à une société sans frontières ?

Il est vrai que, dans les Evangiles, le Christ passe son temps à prêcher l’accueil inconditionnel de tous. Mais il insiste de façon tout aussi appuyée pour que cet accueil se fasse dans la vérité, c’est-à-dire en étant lucide sur ceux qui sont accueillis, à la fois sur ce qu’on peut en attendre, avec des appels à se méfier des hommes, et sur le chemin que chacun doit parcourir pour mener une vie féconde. Le thème des fruits revient sans cesse dans l’Evangile. Il y a une tendance dans l’Eglise à oublier cet aspect pourtant essentiel.

Dans l’Eglise, dites-vous. Y compris au Vatican ?

Tout dépend des situations. Par exemple quand le pape François se rend, en septembre dernier, à Bruxelles et qu’il s’incline devant la tombe du roi Baudoin pour saluer son « courage » et son opposition à la « loi meurtrière » sur l’avortement promulguée en 1990 en Belgique, on ne peut pas dire qu’il prône un catholicisme sans exigence ! En revanche, à chaque fois qu’il laisse entendre que l’on peut venir comme on est (pour parler comme dans les publicités pour Mac Donald) dans son Église, il flatte la doxa contemporaine selon laquelle tous les choix de vie se valent. Pourtant le Christ n’était pas aussi accommodant. Il voyait en chaque homme un pécheur. Il pouvait même avoir des paroles blessantes, commettre des micro-agressions comme on dit aujourd’hui, y compris envers les plus faibles, en mettant par exemple en garde les pauvres contre le risque de s’enfermer dans le ressentiment.

Dans votre livre, vous employez le terme de « catholicisme inclusif » pour décrire ceux qui, dans l’Eglise, ont peur de blesser les païens et conçoivent leur religion comme égale aux autres. A quand remonte cette poussée d’angélisme ?

Une date importante est évidemment Vatican II. En 1965, au dernier jour du concile, le texte Gaudium et Spes (Joie et espoir) est approuvé par la quasi-totalité des évêques. En lisant ce document soixante ans après, on est frappé par la candeur de ses auteurs, qui s’imaginaient alors qu’une société mondiale hors sol, transcendant les cultures, était sur le point d’advenir ! On a l’impression qu’ils ont cultivé une utopie consolatrice.

Vous étiez un jeune homme lors de Vatican II. Comment l’avez-vous vécu, en tant que croyant ?

J’ai été très sensible au souffle du concile. J’étais marqué par de grandes figures qui y ont joué un grand rôle, tels les Pères de Lubac ou Congar. Le Pays basque, dont je suis originaire, a été protégé de l’appauvrissement liturgique associé au passage aux langues profanes par le fait que de grands auteurs et musiciens de l’abbaye de Belloc ont produit des chants liturgiques e, basque aussi beaux que dans l’Eglise orthodoxe ! On aurait tort d’imputer à Vatican II des dérives ultérieures. Joseph Ratzinger, le futur pape Benoît XVI, aux positions doctrinaires très classiques, était l’un des théologiens influent du concile. L’Eglise a eu un problème épineux à résoudre : comment réformer un système autoritaire, qui en a bien besoin, sans le casser ? C’est la question que pose Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution.

Et à Paris, où vous avez fait vos études ?

Quand j’étais élève à Polytechnique, l’aumônerie des étudiants de Paris était dirigée par Jean-Marie Lustiger, qui allait devenir cardinal de Paris vingt ans plus tard et dont le dynamisme et l’intelligence donnaient l’image d’une foi pleine de souffle. Très investi dans des groupes bibliques, je ne prêtais pas attention aux théories des théologiens qui développaient une approche des religions niant ou du moins relativisant l’apport spécifique du christianisme.

Mais au fond, pourquoi réformer l’Eglise catholique ?

Il fallait tourner une page. L’Eglise s’était crispée depuis Vatican I sur des positions défensives, dans une vision très disciplinaire de la foi, loin de la proclamation d’un message de lumière et de joie. Le Vatican n’avait pas été exemplaire face au nazisme. A l’intérieur d’une partie du monde chrétien, on sentait la séduction du communisme. Maurice Clavel, disait avec humour : « Le dernier des marxistes sera un chanoine breton. » Il fallait réagir.

Étiez-vous présent à la Porte de Versailles en 1974, lors du congrès annuel des Jeunesses ouvrières chrétiennes, durant lequel, comme vous le rappelez dans votre livre, 35.000 participants ont entonné l’Internationale pour saluer l’arrivée du communiste Georges Marchais à la tribune…

Ce n’était pas mon univers.

A ce sujet, comment expliquez-vous que vous-même n’ayez jamais été tenté par le communisme ?

Dès mon enfance le procès Kravchenko, dissident soviétique, a été donné un aperçu de la réalité du « paradis soviétique ». J’ai été élevé dans une grande méfiance par rapport aux idéologies porteuses d’illusion et un attachement à la rigueur de la pensée, en lisant dès l’adolescence des ouvrages de philosophie des sciences, de Louis de Broglie, Henri Poincaré ou Albert Einstein. Cela m’a sûrement immunisé contre la séduction du communisme avant même de le côtoyer de près, ce qui s’est produit dans les années 60 avec les apparatchiks du PCF au sein de la Direction de la prévision du ministère de l’Economie. J’ai perçu à quel point ils vivaient dans un univers parallèle, que j’ai retrouvé en lisant Lénine. La répression du printemps de Prague, à cette époque, est apparue non comme un dérapage, mais la quintessence du régime soviétique.

Votre foi catholique ne vous a-t-elle pas également prémuni contre le matérialisme ?

Sûrement. L’univers chrétien, avec toutes les expressions de la foi, dans la musique, la peinture, l’architecture, la littérature, ouvre à la richesse du monde, d’une façon qui protège de la superficialité pitoyable du matérialisme. Cet univers fait écho à la profondeur humaine de l’Ecriture, depuis la poésie des Psaumes et du Cantique des cantiques. Je trouve bien triste que, dans notre monde, la doxa matérialiste déguisée en idéologie laïque empêche notre système éducatif de faire découvrir cette richesse par tous. 

Pensez-vous que l’Eglise soit prête à entendre vos critiques contre elle ?

Mon intention n’est nullement de la critiquer mais de l’aider à comprendre et à dépasser la situation difficile où elle se trouve.

Le pape peut-il évoluer sur cette question ?

Difficile de vous répondre. C’est un homme complexe. J’ai été frappé par le documentaire que Wim Wenders a tourné sur lui en 2018, Un homme de parole, dans lequel on perçoit bien sa personnalité à double face. La première est celle d’un être éminemment sensible à la souffrance humaine, authentiquement à l’écoute, par exemple, des prisonniers qu’il rencontre devant la caméra de Wenders. La seconde est celle d’un dirigeant sûr de lui et autoritaire qui a du mal à accepter la critique.

Et au sein de la communauté des fidèles, votre discours est-il audible ?

Pas par ceux qui, du côté « progressiste » comme du côté « tradi » sont convaincus qu’il suffirait de les suivre. Tout à fait par ceux qui ont du mal à exprimer leur foi et à la transmettre, et qui sont heureux de mieux comprendre ce qu’ils vivent. On a dans le monde un certain renouveau chrétien, en particulier chez les catholiques. On l’a vu en France avec ce qui s’est passé autour du Notre-Dame. On a un fort mouvement aux États-Unis, dont le Vice-président J.D. Vance est un bon représentant, associé à un refus des errances du néo-libéralisme économique et de la dérive woke, dans une recherche d’une existence à la fois ordonnée et riche de sens. Un grand point d’interrogation, auquel je tente spécialement de répondre, concerne le rôle de la vie spirituelle dans les orientations que prend la cité.


[1] Au-delà des fractures chrétiennes, Salvator

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Vaincre la Russie à tout prix, même celui de l’État de droit ?

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À l’heure où la nouvelle administration Trump entre en fonction et que nous approchons du 3ème anniversaire de l’invasion de l’Ukraine et des sanctions massives introduites consécutivement, quels enseignements juridiques tirer des sanctions de l’Union européenne ?


Maître Étienne Épron est un avocat français spécialisé dans les fusions-acquisitions, le droit des sociétés et les sanctions internationales. Il a développé une expertise notable concernant la Russie, notamment en passant cinq ans au sein du cabinet Gide à Moscou et à Paris. Son cabinet, Épron Quievy & Associés, dispose d’une présence internationale, notamment à Moscou •

Au-delà de la question de leur efficacité, il est un aspect des sanctions qui est passé sous silence, alors même qu’il engage nos valeurs : les sanctions, en particulier les sanctions individuelles, restreignent les libertés fondamentales de personnes désignées. Concilier la nécessaire protection des libertés fondamentales avec l’action politique de l’Union Européenne est un défi juridique de taille.

En matière pénale, les privations de libertés sont l’éventuelle conséquence d’un jugement rendu à l’issue d’une instruction détaillée – à charge et à décharge -, qui garantit le respect des droits de la défense et de la présomption d’innocence. Au cours de cette instruction, le prévenu peut accéder au dossier, fournir aux autorités des éléments de nature disculpatoire et être accompagné d’un avocat.

Tout au contraire, en matière de sanctions, il n’y a pas de jugement préalable à la privation de liberté, l’instruction étant remplacée par la seule volonté politique du Conseil de l’Union européenne assise sur des « dossiers de preuves » dont on ne sait trop comment ils sont constitués et dont le contenu est parfois contestable.

Notre expérience nous enseigne en effet que ceux-ci peuvent comporter des éléments peu fiables et orientés idéologiquement, pouvant être perçus comme arbitraires. Le Conseil de l’Union européenne n’hésite ainsi pas à assoir ses décisions sur des articles de presse issus d’obscurs sites internet tels que : www.russian-crimes.comhttps://sokalinfo.com/https://nowheretorun.org/https://www.spisok-putina.org/ https://zampolit.com.

La mise sous sanction d’une personne résulte ainsi d’éléments factuels non vérifiés de manière indépendante, souvent présentés avec partialité par des sites idéologiquement orientés.

Le respect des droits fondamentaux de l’individu concerné n’intervient donc pas en amont mais strictement et exclusivement en aval par la saisine du Tribunal de l’Union européenne, soit, après que celui-ci ait été privé, outre de son droit à la défense, de ses avoirs européens et de sa liberté de se mouvoir.

À ceci, les représentants de l’Union européenne argueront, d’une part, que les sanctions sont de simples mesures conservatoires, réévaluées tous les six mois et, d’autre part, qu’il est possible de demander leur annulation devant le Tribunal de l’Union européenne pour divers motifs, notamment l’erreur d’appréciation du Conseil. L’idée sous-jacente est que les sanctions ne seraient pas de nature pénale – ce qui justifierait que l’on se passe d’instruction sérieuse, que l’on outrepasse les droits de la défense et que l’intervention d’un juge ne soit que postérieure.

De tels arguments se heurtent hélas à la réalité de l’application et de la mise en œuvre des sanctions, qui ne sont pas toujours levées, même après une annulation judiciaire.

Les sanctions en pratique

La mise en œuvre des sanctions soulève de nombreuses problématiques pratiques.

Sans chercher à être exhaustif, notons dans un premier temps que les sanctions individuelles peuvent étonnamment être imposées sans qu’il soit nécessaire que les personnes visées aient un lien quelconque avec la guerre en Ukraine.

Plus encore, et a contrario du droit pénal, les sanctions peuvent s’étendre aux membres de la famille tels que les conjoints et les enfants sans qu’il soit nécessaire d’établir autre chose que le fait qu’un membre de la famille tire avantage de la personne désignée. Le Tribunal de l’Union Européenne retient dans un arrêt de juin 2024 qu’ « en l’espèce, il convient de constater que le Conseil a décidé de réinscrire le nom de la requérante sur les listes en cause sur le fondement d’un seul motif, à savoir son lien avec (X), qui en l’occurrence est son mari».

La réévaluation des situations individuelles des personnes sanctionnées, intervenant tous les six mois est censée permettre aux personnes sanctionnées de modifier le comportement qui leur est reproché de sorte à ce que les mesures prises à leur encontre puissent être levées lorsque ledit comportement a cessé.

Toutefois, lorsque les motifs retenus par le Conseil ne font pas référence à une situation continue comme être un actionnaire ou un dirigeant d’une société donnée mais plutôt à une action passée, comme avoir voté une loi ou avoir réalisé une opération, on voit mal comment la réévaluation semestrielle pourrait conduire à faire cesser les sanctions. Que pouvons-nous changer du passé ?

C’est ici que la pratique du Conseil commence à contredire les textes européens conférant potentiellement un caractère perpétuel aux sanctions.

Plus étonnant encore, force est de constater que les justiciables qui ont réussi à faire annuler les sanctions à leur encontre par le Tribunal de l’Union Européenne sont presque systématiquement resanctionnés, soit (i) sur la base d’une motivation modifiée, soit (ii) sur la base d’un changement du critère applicable, soit (iii) avec la même motivation mais en ayant préalablement modifié les termes du critère utilisé.

En matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dont les sanctions relèvent, le Conseil agit en tant qu’organe exécutif ET législateur de l’Union. Il peut ainsi modifier les termes des règlements au fur et à mesure que sa mise en œuvre est invalidée par le Tribunal. Cet état de fait se heurte au concept clef de Tocqueville : la séparation des pouvoirs.

Cette « particularité institutionnelle européenne » restreint drastiquement l’efficacité des recours juridictionnels et contredit selon nous l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

En d’autres termes, tant que la volonté politique demeure, les actions judiciaires intentées devant les juridictions européennes sont d’effet particulièrement limité.

Cette réalité découle également de la mécanique juridique des sanctions. Même après une victoire judiciaire, aussi surprenant que cela soit, les sanctions ne cessent de produire leurs effets que si le Conseil y consent et adopte une décision ad hoc retirant la personne de la liste.

On a ainsi pu voir le cas d’une personne qui, prenant en compte les motifs retenus à son encontre, avait démissionné de ses fonctions. Après avoir obtenu l’annulation de tous les renouvellements, elle est néanmoins demeurée sous sanctions, les autorités arguant que la décision initiale à son encontre et qui n’avait pas été annulée (elle n’avait alors pas encore démissionné) n’est pas limitée dans le temps…

D’aucun désignerait cette situation comme un cas patent de déni de justice aux effets contre-productifs : quel intérêt peut-il avoir pour une personne sanctionnée à changer de comportement si les sanctions demeurent ?

La nature supposément temporaire et conservatoire des privations de libertés fondamentales se trouve ainsi fermement démentie par les faits.

Dès lors, comment justifier que les personnes concernées soient privées des droits d’une défense pénale, notamment ceux résultant d’une instruction à charge et à décharge, de l’accès au dossier et de l’intervention d’un juge en amont desdites privations ?

Ainsi, bien que ces sanctions soient perçues par une partie de l’opinion publique européenne comme légitimes car elles visent in fine le gouvernement de la Fédération de Russie et qu’elles touchent de riches Russes à l’éthique d’affaires parfois contestable, elles soulèvent des questions importantes liées au respect des principes juridiques fondamentaux des pays européens.

Accepter ces atteintes aux libertés fondamentales, en l’absence de garanties procédurales et de voies de recours effectives, revient à accepter de violer les principes juridiques historiques des États membres. Si ces méthodes semblent acceptables dans le cadre de la confrontation avec la Russie, il n’en reste pas moins qu’il y a là un déni de droit. Accepter ces graves entorses aux libertés fondamentales au prétexte que les personnes visées sont russes, c’est remettre en cause les valeurs même que nous cherchons à défendre. C’est ouvrir une brèche dans l’État de droit.

Comment alors être sûr que de tels mécanismes ne viseront pas un jour des citoyens européens ?

La marche et le sacré

Le nouveau livre de Sébastien de Courtois mêle marche, histoire et littérature. Marie-Hélène Verdier revient sur ce pèlerinage littéraire.


Marcher est le propre de l’homme

J’avais aimé Un thé à Istanbul, les Lettres du Bosphore, L’ami des beaux jours. Une fois de plus, j’ai été séduite par la plume de Sébastien de Courtois, dans son dernier livre, aussi dense que lumineux : La marche et le sacré. Si marcher est le propre de l’homme, et avoir un rapport au temps, à l’espace et à autrui, à vitesse humaine, c’est à un petit exercice spirituel que l’auteur nous convie pour faire « quelques pas vers l’éternité. »

Quand on lui a proposé de réfléchir à la rencontre entre le dépassement de soi par la marche et un au-delà peuplé de croyances et d’interdits, Sébastien De Courtois, écrivain et spécialiste des chrétiens d’Orient, a compris qu’il devait revenir sur ses voyages et « rendre compte de sa vocation de passeur d’histoire et de culture, par la marche et la littérature ».

La marche, on sait la définir. Le sacré, c’est plus difficile. On peut l’envisager en anthropologue, en historien des religions, en croyant, en poète. On peut dire aussi que le sacré, c’est un patrimoine. La plupart du temps, on le définit négativement : c’est ce qui reste quand on n’a plus « le religieux. » Ce qui vous manque et vers quoi on aspire… « Une sorte de transcendance animale, dit l’auteur, un peu comme d’aimer une personne disparue ».

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Le grand marcheur devant l’éternel qu’est Sébastien De Courtois le dit : s’il a voulu d’abord « partir », ce fut pour échapper à une vie sans relief ainsi qu’à la tyrannie des idées du débat politique. Alors, son goût pour « la marche » qui « dégage l’âme » – pour reprendre Rousseau–, s’est incarné dans son amour du Moyen-Orient et son intérêt pour le fait religieux. Après le défi lancé à lui-même d’aller, à pied, de Turquie, en Chine, sur la trace des nestoriens, la marche l’a conduit, au fil des années et des pays, toujours plus loin en lui-même et vers autrui. Alors, l’éternité a pris la forme de l’amitié, de la beauté, de la prière, de la grâce des rencontres, avec les amis, les anciens maîtres et, toujours, les habitants. À présent, vivant en Méditerranée aux « îles comme des planètes », Sébastien De Courtois écrit pour transmettre son enchantement des voyages– et donner une voix aux chrétiens d’Orient.

Entre histoire et littérature

Ses idées ? Marcher, « c’est marcher dans le temps et l’histoire ». La croix à l’horizon? Oui, mais pas comme une carte d’identité. Si un lieu incarne, à lui seul, l’idée du sacré qui préside au livre, c’est bien le Tur Abdin dont l’auteur parle comme d’une seconde patrie. Situé en Haute-Mésopotamie, en bordure du Tigre, le Tur Abdin est un des berceaux du christianisme de langue syriaque, un rameau de l’araméen des origines. Il ressemble à la Toscane et à la Provence, avec ses collines, ses murets de terre sèche, ses cyprès, ses oliviers et de pistachiers. C’est le pays de Siméon le Stylite qui correspondit avec sainte Geneviève. Là-bas, l’auteur dit avoir revécu les débuts du christianisme: cette formidable rencontre du monde sémitique et de la cité grecque. Et d’évoquer les monastères, celui de saint Gabriel, dont Sébastien De Courtois a restauré une mosaïque byzantine, les ermitages, les chants, les rituels, l’église Saint-Jacques. Plus loin, avec Mar Moussa, c’est un petit morceau de Syrie que l’auteur fait vivre, après la marche « sobre » (entendez… franciscaine, un tantinet écolo) vers cette antique forteresse du XIème siècle — sans que la plume de l’auteur dissimule le tragique des enlèvements ou des disparitions de certains de ses hôtes. Façon de faire réfléchir, peut-être, sur « la spiritualité islamo-chrétienne. »

On l’aura compris, notre marcheur est un citoyen du monde mais ancré dans un terroir. À présent, il vit dans cette île de Chypre à l’histoire complexe qui se rattache si étroitement à la France par les Lusignan, et se dit ambassadeur de « cette histoire mosaïque » que nous devons, dit-il, nous réapproprier. Ce livre serait-il, dit-il, non sans humour, « un manifeste politique : celui de la marche vers le sacré ? »

En tout cas, la clé de ce livre, qui n’est ni d’érudition ni reportage, c’est la littérature, « le pas de côté » chère à Hannah Arendt qui défend de toute idéologie: l’art du récit, l’évocation de l’histoire, un esprit bienveillant, la poésie des lieux. Ce n’est pas par hasard si l’auteur, qui est allé, il y a quelque temps, sur les pas d’Arthur Rimbaud, a mis en exergue une phrase d’Ernst Jünger « J’ai du mal à me représenter un jour sans lecture et je me demande souvent si je n’ai pas vécu, au fond, en lecteur… » Belle phrase à faire sienne en fermant ce petit livre, riche de paysages, de personnes et d’une foi personnelle – et qui fait du bien, en donnant à connaître ce Moyen-Orient chrétien avec lequel nous sommes liés, sous la plume d’un homme qui le connaît et qui l’aime.

110 pages.

La marche et le sacré. Quelques pas vers l'éternité

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Retailleau face à la crise de l’autorité

Bruno Retailleau a affirmé être « horrifié » par le meurtre d’Elias. Selon le ministre de l’Intérieur, « on est au bout d’un cycle de laxisme, où on a été dominé par une idéologie gauchisante, où l’on a refusé l’autorité ». Notre contributeur Charles Rojzman revient sur les causes de cette violence.


Les affaires récentes du meurtre d’Elias, commis par deux adolescents, et celui de Philippine ont bouleversé la France. Ces événements tragiques ne sont pas de simples faits divers isolés, mais s’inscrivent dans un contexte plus large d’insécurité croissante et d’angoisse collective. La gestion des récidivistes mineurs par la justice, l’immigration de masse, le développement des trafics de drogue et l’impunité apparente des actes de violence inquiètent à juste titre la population, qui ne peut que constater l’impuissance des autorités à y apporter des réponses efficaces.

Histoire de la violence

Ces violences qui frappent notre société atteignent un niveau alarmant. Qu’elles soient verbales ou physiques, elles suivent une dynamique graduelle : insultes, agressions et, dans les cas les plus extrêmes, des actes tragiques comme les récentes attaques au couteau ayant coûté la vie à des adolescents et des adultes. Ces actes ne surgissent pas de nulle part. Ils sont le produit de tensions sociales, culturelles et idéologiques profondes, qu’il est essentiel de comprendre pour y apporter des réponses adaptées.

Une du Parisien du 28 janvier 2025. DR.

Parmi les manifestations contemporaines de la violence, celle d’une partie de la jeunesse issue des cités est particulièrement préoccupante. La violence a toujours une histoire. Elle s’ancre d’abord dans des familles souvent issues de l’immigration musulmane, touchées de plein fouet par une crise du patriarcat qui laisse des enfants brutalisés par des pères violents ou abandonnés sans repères, livrés à la loi de la rue et des gangs. Mais ces jeunes ne sont pas seulement des victimes passives d’une société injuste. Ils évoluent dans des environnements où l’ordre social a été remplacé par des logiques de domination et de puissance.

République parallèle

Si le discours traditionnel pointe la précarité et le chômage, il faut reconnaître qu’un autre système économique s’est installé : celui des trafics. Ces activités illicites, omniprésentes dans certains quartiers, fournissent une source de revenus bien supérieure à celle des emplois légaux. Elles instaurent un système parallèle où les règles de la République n’ont plus cours. Ces jeunes ne se perçoivent pas comme marginalisés économiquement, mais comme puissants dans leur environnement, affirmant leur contrôle sur leurs territoires à travers la violence. Le couteau, l’insulte ou l’intimidation deviennent des outils pour asseoir leur position, imposer leur respect et rejeter tout ce qui n’appartient pas à leur monde.

Dans ces quartiers, un autre facteur amplifie la violence : l’influence de leaders négatifs et de discours idéologiques radicaux. Certains prêcheurs religieux, figures communautaires ou chefs de réseaux encouragent un rejet explicite de la société « majoritaire », présentée comme un ennemi à combattre. Ce rejet vise souvent des cibles précises : les juifs, les blancs, ou encore les représentants des institutions républicaines.

Ces discours ne sont pas de simples paroles en l’air. Ils forgent une idéologie où la violence devient légitime, voire valorisée, comme un moyen de punir ou de se venger. Dans cette logique, l’autre n’est plus perçu comme un être humain, mais comme une menace ou une cible à éliminer. La haine ainsi nourrie explose sous forme de violences physiques ou verbales, traduisant un rejet total de l’autre et un sentiment de toute-puissance. La solidarité affichée avec la résistance du Hamas chez certains jeunes est significative d’une complicité idéologique.

Pourtant, la violence spectaculaire des agressions à l’arme blanche et du terrorisme ne doit pas nous faire oublier les formes plus quotidiennes et universelles de la violence dans notre société. Dans les entreprises, les tensions liées à la hiérarchie, au stress ou à la compétition se traduisent par des agressions verbales et des conflits ouverts. Dans les espaces publics, l’agressivité est omniprésente : insultes, incivilités, harcèlement. Même dans les institutions politiques, les débats deviennent de plus en plus brutaux, et l’insulte remplace l’échange argumenté.

Ces différentes expressions de la violence traduisent une crise profonde de l’autorité, une perte de sens collectif et un effritement des structures traditionnelles. Faute d’espace légitime pour exprimer les tensions, celles-ci se transforment en violences destructrices.

Face à cette montée des violences, il est essentiel de replacer le conflit au cœur des interactions sociales. Contrairement à la violence, qui déshumanise et détruit, le conflit repose sur la reconnaissance de l’autre comme un être humain, porteur d’intérêts opposés mais légitimes. Ce travail exige plusieurs étapes :

  • Reconnaître la réalité des fractures

Il ne sert à rien de nier les tensions ou de minimiser la gravité des violences, qu’elles viennent des cités, des entreprises ou des espaces publics. La première étape consiste à accepter l’existence de ces tensions et à les nommer.

  • Créer des espaces de confrontation légitime

Dans les quartiers, les écoles, et même les institutions, il faut réintroduire des lieux où les désaccords peuvent être exprimés, débattus et affrontés sans basculer dans l’agression.

  • Désamorcer les discours de haine

Les figures négatives qui nourrissent la violence doivent être activement combattues. Cela passe par une vigilance accrue envers les prêcheurs, les leaders communautaires ou les chefs de réseaux qui encouragent le rejet et la déshumanisation de l’autre.

Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas seulement une répression plus ferme, mais une capacité à transformer les tensions en conflits productifs. Replacer le conflit au centre des interactions et offrir des alternatives aux logiques destructrices est le défi d’une société qui refuse de se laisser submerger par la haine et la violence. À la fermeté nécessaire des institutions régaliennes doit s’ajouter aujourd’hui une compréhension des dynamiques différentes et spécifiques qui installent les actes violents ou les discours violents dans l’ensemble de notre vie commune.

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En route pour l’harmonie des êtres humains entre eux

Jean-Luc Mélenchon est tellement en avance sur la présidentielle qu’on dirait qu’il se prépare déjà pour 2032… Mardi, le leader islamo-gauchiste présentait les 831 mesures mises à jour de son Avenir en commun. Au moindre signe de départ de Macron, il est prêt à bondir ! Toutefois, dans son dos, ses soutiens reconnaissent qu’ils sont loin d’avoir les 500 signatures…


Ce mardi, M. Mélenchon, flanqué d’une brochette de fidèles lieutenants n’ayant pas encore pâti d’une de ces purges aussi discrètes qu’efficaces dont, en bon stalino-gauchiste qu’il est, il a le secret, présentait le millésime 2025 de son programme. Plus exactement le programme de la France Insoumise, son mouvement. Le « lider maximo » tint d’ailleurs à bien insister sur le fait qu’il s’agit d’un mouvement et non d’un parti. Sans doute pour nous faire mieux comprendre qu’il n’est pas encore d’actualité que sa paroisse s’encombre de ce qui fait la vie normale d’un parti politique chez nous, ces formalités du genre élections démocratiques des dirigeants, tenues elles aussi démocratiques de congrès et ces cent et mille broutilles qui ne sont là que pour faire de l’ombre à l’autocrate en place. « Le mouvement est le programme et le programme est le mouvement », a martelé le chef afin qu’on se le tienne pour dit.

143 nouvelles mesures

Le programme donc. 831 mesures, dont 143 nouvelles et 120 modifiées par rapport à la précédente mouture de 2022. L’intitulé reste le même L’avenir en commun. On ne change pas une enseigne qui marche. Ou a failli marcher…

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En fait, nous devrons nous contenter d’une heure et quatorze minutes de discours, le boss s’éclipsant au bout d’un gros quart d’heure pour « vaquer à ses autres occupations », abandonnant les journalistes « à la cruauté de ses camarades » (sic) et laissant ceux-ci faire le job. En réalité, ce ne fut qu’une succession de survols, de répétitions de phrases convenues, de choses connues, si bien qu’au terme de cette heure on pouvait se demander si le but était bien la présentation effective d’un programme électoral. Il semble que l’essentiel était ailleurs : s’offrir un moment médiatique pour bien montrer que, contrairement aux autres, à La France Insoumise on est prêt à gouverner, prêt à investir l’Élysée, ne doutant pas que l’actuel locataire n’y fera pas long feu. On insista beaucoup – un rien lourdement même – sur ce point. « Macron doit partir, et la Vème République » avec lui a répété Mme Panot avec gourmandise.

Au revoir la Ve !

Au programme donc, la VIème République, la « révolution citoyenne, par les urnes », selon M. Mélenchon qui a pris soin de préciser qu’il reconnaissait l’existence d’autres moyens de prendre le pouvoir mais qu’il n’en faisait pas son miel. Du moins en l’état actuel des choses, nous permettrons-nous de compléter…

Le but suprême de cette révolution citoyenne ? « L’harmonie des êtres humains entre eux. » Tout un programme en effet. C’est beau comme une prédication chamanique après incantations et fumettes. J’oubliais : il s’agit plus globalement de « l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature ». Il serait ballot en effet de ne pas aller pêcher des suffrages du côté des verts pâturages.

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Si on lit entre les lignes, l’harmonisation en question aurait tous les aspects d’un nivellement plutôt drastique des individus. Les riches à la caisse, les autres au guichet. Faire tomber des têtes et raser les autres gratis. Je résume un peu sèchement, probablement, mais le sens général est bien là. Rien de bien nouveau, donc, par rapport aux précédentes versions. On retrouve aussi l’instauration du référendum révocatoire qui donne la latitude au « peuple » de rejeter projets et élus qui ne lui conviendraient plus. Un tribunal populaire révolutionnaire qui ne dirait pas clairement son nom, on l’aura compris. Populaire, car tout ici, mesdames et messieurs, se fait au nom du peuple, pour le peuple, et – selon la longue tradition communisante – contre ce peuple quand il rechigne à admettre que ce qui se décide dans son dos ne peut être que pour son bien.

Trouve tes signatures d’abord, camarade !

Quel candidat mystère pour défendre cet ambitieux projet ? DR.

Il faudra donc attendre pour que nous soient annoncés les détails de ce programme. Pour l’heure, nous sommes invités à nous contenter de savoir qu’il « sera porté par sa candidature le moment venu ». Suspense insoutenable autour de cette candidature, convenons-en.

À ce sujet, des rares questions posées par les journalistes – eux aussi sur leur faim, je présume – il y en eut une sur la recherche des cinq-cents parrainages indispensables pour la validation officielle de la candidature. Dans l’hypothèse d’une présidentielle anticipée, il n’y a en effet pas de temps à perdre. Pour la réponse, Manuel Bompard se dévoue. Des courriers ont été envoyés, en deux salves, aux soutiens de 2022 d’abord, puis à un échantillon élargi. Dans sa réponse, le militant se montre confiant. Raisonnablement confiant. Mais, finit-il par préciser sans grand enthousiasme : « ce sera un long travail ». Pas si confiant que cela, peut-être bien…

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Quelques métaphores langagières pornographiques

Nourris par des interprétations biaisées et des anachronismes historiques, les glissements sémantiques récents autour des vocables de « génocide » ou « otages » ne visent pas seulement à diaboliser Israël, mais à réécrire la mémoire collective en inversant les rôles de victime et de bourreau.


« La plupart de ce que nous comprenons dans le discours public ne réside pas dans les mots eux-mêmes, mais dans la compréhension non consciente que nous apportons aux mots ».

Cette phrase d’un linguiste américain, George Lakoff, permet d’appréhender les ressorts manipulés dans la guerre des mots qui cherche à façonner l’opinion, fait rage contre Israël et pour laquelle le terme de propagande n’est qu’un vernis superficiel. De fait, prétend Lakoff, le sens que nous donnons au monde qui nous entoure ne provient pas d’un affadissement d’idées transcendantes dont nous chercherions, comme le veut la tradition platonicienne, à retrouver la pureté première, mais d’un bricolage subjectif fondé sur notre bagage de sensations et d’expériences et incarné dans des métaphores conceptuelles. Lorsque Dominique de Villepin dit que « Gaza est un camp de concentration à ciel ouvert », chacun comprend ce qu’il insinue: Gaza, c’est Auschwitz. Et pourtant le terme de camp pourrait s’appliquer à un rassemblement de scouts et la population de Gaza est bien concentrée sur un territoire restreint. Le «ciel ouvert » n’est pas là pour dire que les Gazaouis peuvent voir le soleil, mais que tout ce qui s’y passe s’effectue sous nos yeux: nous sommes coupables si nous ne le dénonçons pas. Faire passer par sauts métaphoriques presque insensibles d’une réunion de scouts à la Shoah est le fait d’un communicant redoutable. Je m’abstiendrai néanmoins de féliciter M. de Villepin. Sa glissade dévoyée de métaphores conceptuelles s’apparente à de la pornographie langagière: Gaza n’est pas Auschwitz.

Les accords dont nous suivons le déroulement ont été décrits par certains journalistes comme des «échanges de prisonniers». La dérive sémantique vaut la peine d’être analysée.


Évoquant un otage, le commun des Français ne pensera pas au roi Jean le Bon détenu à Londres dans des conditions princières, mais à celui ou celle qui par malchance sert de paravent ou de monnaie d’échange à un criminel, ou aux Français enlevés par des organisations islamiques au Sahel ou au Liban. Etre otage implique innocence, chantage et parfois sévices. Un preneur d’otage est forcément un malfaiteur, mais un prisonnier non, et un gardien de prisonniers non plus. Mais la confusion ne sert pas seulement à déculpabiliser le Hamas, elle permet de culpabiliser les Israéliens, dont l’emprisonnement devient légitime puisque, civils ou soldats, ils font la guerre aux Palestiniens, tout comme des Palestiniens sont emprisonnés pour avoir combattu contre Israël. Cela inclut Kfir Bibas, deux ans, qui pourrait plus tard lui aussi faire la guerre aux Palestiniens…

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«Petit Jésus palestinien» n’est pas encore une expression courante, mais la métaphore fait son chemin et il est triste de voir que la non-réaction du  Pape lui donne un semblant d’authenticité.

Faut-il rappeler que le nom de Palestine n’apparait pas dans les Evangiles car il a été imposé par l’Empereur Hadrien à la suite de la révolte de Bar Kochba, 100 ans après la crucifixion de Jésus? Faut-il rappeler que Mahmoud Abbas nie que Jérusalem ait été juive, et qu’il prétend, contre toute donnée scientifique que les Juifs descendent des Khazars? Bien sûr, on peut supposer que le keffieh n’est qu’un symbole de la souffrance des enfants de Gaza. Mais l’image de Jésus palestinien fait son chemin depuis plusieurs années déjà. Bientôt va en dériver une métaphore conceptuelle encore plus toxique, sur laquelle insiste Yonathan Arfi, président du Crif: si Jésus est Palestinien, alors les même Juifs qui sont responsables du génocide palestinien sont les mêmes qui étaient déjà responsables du déicide.

On en vient à la dérive langagière aujourd’hui la plus grave envers Israël, l’accusation de génocide. Ce crime n’est pas défini par des critères quantitatifs, mais un élément est indispensable, l’intention. Où l’Afrique du Sud, porteuse devant la CIJ de l’accusation contre Israël l’a-t-elle trouvé? De trois phrases, à l’emporte-pièce, de responsables politiques israéliens (dont un ministre insignifiant) émises dans l’émotion du 7-Octobre et qu’on peut résumer à «on va les liquider, ces fils de…».

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La CIJ a estimé qu’elle devait réfléchir et qu’Israël devait prendre des précautions humanitaires envers les Gazaouis. Sa décision de ne pas décider pour mieux cogiter sur les critères de l’intentionnalité a eu des conséquences désastreuses et a été présentée par les ennemis d’Israël comme une confirmation du génocide.

Le grand public n’a que faire d’arguments juridiques subtils: la métaphore conceptuelle du génocide a évidemment glissé vers Auschwitz. Israël génocidaire efface l’image troublante des Juifs exterminés. Désormais se profile le vrai génocide, la Neqba, et la vraie victime, le Palestinien, qui subit, dit le nouveau chef du Hamas, Khalil Huyya, un génocide «comme il n’y en pas eu dans l’histoire». Il faut lutter, il faut hurler…

Haut Conseil à l’Égalité: un rapport biaisé sur le sexisme

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Le HCE a publié un énième rapport alarmiste sur le sexisme en France, affirmant que les hommes dominent systématiquement les femmes, oubliant que certains galèrent aussi pas mal… Pour y remédier, il propose encore une fois des mesures discutables comme des quotas, des interdictions de pubs pour jouets genrés ou des congés paternité obligatoires…


Le dernier rapport du Haut Conseil à l’Égalité (HCE) sur l’état du sexisme en France, publié le 22 janvier, présente une vision alarmiste des inégalités entre les sexes, que ce soit dans les médias, au travail, dans le sport ou dans la littérature jeunesse. Selon le HCE, la société serait de plus en plus polarisée autour des questions de genre, avec « d’un côté des femmes plus sensibles au féminisme et de l’autre une partie des jeunes hommes plus sensibles à des positions sexistes très dures, aux discours masculinistes ». Cette insistance sur une oppression systémique qu’exerceraient les hommes sur les femmes apparaît comme très idéologique et suscite des interrogations, tant sur le fond que sur la méthodologie employée par le HCE.

Une définition approximative du sexisme

Tout d’abord, le rapport définit le sexisme de manière extrêmement large, englobant à la fois les actes les plus graves (coups, viols, meurtres) et les comportements sujets à interprétation comme des remarques graveleuses, des blagues ou des commentaires sur une tenue vestimentaire. Une telle approche crée une confusion entre des faits de nature très différente et exagère nécessairement l’importance du sexisme dans la société française.

Ensuite, une grande partie du rapport s’appuie sur le Baromètre sexisme, une enquête d’opinion qui prétend mesurer la prédominance des comportements et représentations jugées sexistes en France. La lecture des réponses laisse penser que la perception des uns et des autres n’est pas aussi biaisée que le rapport veut nous le faire croire, et que les données utilisées par le HCE ressemblent beaucoup à du cherry picking, cette présentation tendancieuse qui ne retient que les éléments favorables à une thèse.

Le mythe de la domination masculine

L’une des conclusions les plus contestables du rapport est que le sexisme relèverait d’un système global qui perpétue la domination masculine. Pour appuyer ses théories, le HCE reprend le concept de la charge mentale, selon lequel la gestion quotidienne du foyer occuperait surtout l’esprit des femmes et nuirait à leur bien-être : « 80 % des femmes font la cuisine ou le ménage au moins une heure chaque jour, contre 36 % des hommes » ; « 83 % des rendez-vous médicaux en ligne sont encore pris par les mères ». Faut-il en déduire qu’il s’agit d’une horrible domination systémique ? Et si les femmes étaient, en moyenne, plus enclines à s’occuper de leur foyer et de leurs enfants, non pas parce que la « société » les obligerait implicitement à le faire, mais parce qu’elles en ont plus de goût pour certaines tâches que leur compagnon ?

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Le HCE s’appuie aussi sur une conviction majoritaire chez les sondés, que les hommes et les femmes ont des comportements différents dans certains domaines : la gestion financière, le rapport au travail, les activités domestiques… À quoi attribuent-ils ces différences, qui peuvent tout aussi bien relever de réflexes sexistes que de choix individuels et préférences personnelles ? La question ne leur a manifestement pas été posée. Parmi tant d’autres choses encore, le rapport reprend la rhétorique féministe habituelle sur les inégalités salariales ou, devrait-on dire, l’écart salarial entre hommes et femmes.

Il est sûrement significatif que le rapport du HCE ne dise rien des problèmes que rencontrent les hommes dans des domaines qui les concernent plus spécifiquement, et qui sont systématiquement passés sous silence dans ce type d’analyse. Rien sur le taux de suicide supérieur (notamment parce qu’ils sont plus enclins à utiliser des moyens plus radicaux comme les armes à feu) ; sur la surreprésentation dans les prisons ; sur le plus gros pourcentage de décrochage scolaire, etc. À en croire les chiffres du HCE lui-même, ils seraient de plus en plus nombreux à estimer qu’il est difficile d’être un homme dans la société (45 % des moins des 15-24 ans, une hausse de 19 points en deux ans). Là encore, de quelle domination parle-t-on ?

Les recommandations dangereuses du HCE

Pour remédier à ce qu’ils considèrent comme une situation inéquitable, les membres du HCE font une série de recommandations. Dans le domaine de l’éducation, ils proposent un programme effectif d’éducation à l’égalité censé sensibiliser enfants et adolescents au respect du corps, aux émotions et à la déconstruction des stéréotypes. Ils restent flous sur le contenu exact d’un tel programme mais on a pu voir que la moindre critique ou objection est immédiatement cataloguée comme réactionnaire, « anti-droits » et « anti-choix », en particulier lorsqu’elle provient d’organisations familiales qui s’inquiètent de l’influence de la théorie du genre à l’école. Le HCE la présente comme un fantasme, alors même que des directives comme la circulaire Blanquer sur l’identité de genre en milieu scolaire montrent bien les pressions idéologiques à l’œuvre.

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D’autres propositions sont tout aussi contestables. Citons, par exemple :

  • l’interdiction de la publicité pour les jouets genrés, qui revient à légitimer une intervention excessive de l’État dans le domaine commercial et à ignorer par ailleurs les préférences des enfants ;
  • les quotas de filles dans les filières de l’informatique et du numérique pour « réduire l’écart salarial et assurer une plus grande mixité et parité dans le monde professionnel », mais qui sous-entendent clairement que les femmes auraient besoin d’un traitement de faveur pour réussir dans des domaines techniques ;
  • l’instauration d’un service public de la petite enfance, sans qu’il soit expliqué en quoi cela répondrait à un besoin réel, ni comment il serait financé ;
  • le congé paternité obligatoire, concomitant au congé maternité de 16 semaines. Une mesure qui se veut progressiste mais qui, en imposant un modèle familial unique, prive les parents de leur liberté de choix sur l’organisation de leur vie ;
  • le délit de sexisme, présenté comme un « véritable outil juridique de condamnation du sexisme ». Il est probablement inconstitutionnel et contribue à enfermer les femmes dans une posture permanente de victimes qui nécessiterait une protection spécifique.

Le HCE, un organisme dépendant du pouvoir politique

Créé sous la présidence de François Hollande en 2013, le HCE apparaît comme un organe avant tout politique, bien plus préoccupé par la diffusion d’une idéologie que par un travail rigoureux d’analyse des rapports sociaux. Il est dépendant du pouvoir exécutif (ses membres sont nommés par arrêté du Premier ministre, sur proposition du ministre des Droits des femmes), composé de « personnalités qualifiées », est-il dit sur le site sans autres précisions sur leurs compétences, bref il a le profil type de ces « machins » de plus en plus dénoncés dans le contexte actuel de réformes et simplifications nécessaires. À la lecture de son rapport, il n’est en effet pas flagrant que ses travaux soient vraiment nécessaires. 

Le crépuscule des saints

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L'abbé Pierre © VASSEUR THIERRY/SIPA

Le passé de l’abbé Pierre ressurgit, et ce dernier ne peut plus répondre à tous ceux qui l’accusent d’être un prédateur sexuel. La fondation qu’il a créée est renommée « Fondation pour le Logement des Défavorisés ». Accuser publiquement un mort n’est déjà pas élégant, mais est-il juste d’effacer son souvenir ?


Il était le favori dans la liste des notabilités préférées des Français durant des années. Il était reçu au palais de l’Elysée, il a eu droit à un hommage national lors de ses obsèques en janvier 2007. Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy assistèrent à la messe de son enterrement à Notre-Dame. Plusieurs films ont été réalisés pour célébrer son œuvre de bienfaisance. Au crépuscule de sa vie, il était considéré comme un quasi-saint vivant ; c’était Henry Grouès, dit l’abbé Pierre, l’ancien maquisard, passeur de familles juives, ancien député et surtout connu pour être le cofondateur de l’organisation Emmaüs qui vient en aide aux plus déshérités et pour son appel de l’hiver 1954.

Il aurait pu être panthéonisé tant il faisait l’unanimité dans la classe politique. Et puis, patatras ! Plus de quinze ans après sa mort, un rapport commandé par une officine dirigée par la militante féministe Caroline De Haas fait état de « comportements pouvant s’apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel » de la part de l’abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005… Bigre ! Plusieurs décennies après les supposés faits, l’abbé, post mortem, réussit à faire parler ces femmes jusqu’alors muettes ! Ne serait-ce pas le miracle qui manquait à la canonisation du saint homme ?

À l’époque où un baiser volé peut vous valoir une convocation devant le juge d’instruction, on ne badine pas avec ce sujet ! Adieu la sainteté, bonjour la diabolisation. Il a fallu ces témoignages impossibles à contredire pour faire tomber en quelques jours l’ex-personnalité préférée des Français de son piédestal ! Fi de la Résistance, fi des milliers de personnes secourues, fi de l’aide apportée aux plus démunis, fi de toute une vie dévouée à résorber la misère…

À lire aussi, Elisabeth Lévy : Abbé Pierre: peut-on juger un mort?

Même les actuels dirigeants d’Emmaüs veulent effacer le nom du créateur ! Les langues se délient toujours plus facilement pour salir que pour bénir et l’ingratitude des peuples n’est plus à prouver. C’est tellement grisant de brûler ses idoles. Faire le procès des morts, Déboulonner les statues, débaptiser des lieux, oublier des noms…

C’est ainsi que la culture de l’effacement commence. Accuser publiquement un mort n’est déjà pas élégant mais est-il juste d’effacer son souvenir ? Quand bien même l’abbé Pierre aurait des péchés à se faire pardonner, est-il honnête de le bannir alors qu’il a passé toute sa vie au service des nécessiteux et qu’il laisse derrière lui une œuvre efficace à laquelle il fut entièrement dévoué ? Faut-il revisiter la vie de tous nos héros au risque d’y trouver quelques péchés ? Je constate que la société est bien plus sévère que l’Église. Cette dernière, après résipiscence, sait absoudre les péchés mortels, mais le bon peuple ne tolère pas les péchés véniels.

À ce compte-là, bien des saints qui furent de grands pécheurs avant leur conversion ne mériteraient pas de figurer dans le calendrier. Dans une société geignarde, à une époque où la mentalité victimaire est dominante, voire sacralisée, il n’est pas bon d’admirer les grands noms qui font l’histoire ou ceux qui excellent dans leur domaine. Que vous soyez un comédien à la mode, un footballeur ou un illustre personnage du passé, personne n’échappera au jugement terrestre ! Après le crépuscule des dieux et celui des idoles, voici le crépuscule des saints.

Le procès de Jupiter

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La Belgique toujours sans gouvernement: anatomie d’une déliquescence

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Des professeurs belges manifestent à Bruxelles, 27 janvier 2025 © Shutterstock/SIPA
Dernière minute ! Les négociateurs réunis pour former un nouveau gouvernement en Belgique ont jusqu’à aujourd’hui pour finaliser les tractations. Les discussions ont eu lieu toute la nuit, sans fumée blanche pour le moment. On ignore donc s’ils aboutiront ; à l’heure où nous publions ces lignes, le pays n’a toujours pas de gouvernement, huit mois après les élections •

Les Belges se sont rendus aux urnes le 9 juin 2024, délivrant un message clair : au nord du pays, les formations de la droite nationaliste (la Nieuw-Vlaams Alliantie – que l’on peut traduire par Alliance néo-flamande – et le Vlaams Belang – Intérêt flamand -) sont arrivés en tête, devant les partis du centre et de la gauche ; au sud du pays, après plusieurs décennies de mainmise socialiste sur la « chose publique », le centre et son voisin de centre-droit sont sortis vainqueurs ; pourtant, huit mois plus tard, le pays n’a toujours pas de gouvernement, dans l’indifférence générale, mais non sans honte. Mais, nous rassure-t-on, on est près du dénouement.

Chauffage en panne

La scène pourrait prêter à sourire : tandis qu’ils devaient se réunir une énième fois pour tenter d’accorder leurs violons, les responsables des partis supposés entrer au gouvernement, loin d’être des Stradivarius, ont dû revoir leur plan, car l’endroit choisi se trouvait confronté à une panne de… chauffage. On ne pourrait trouver meilleure allégorie du mal qui ronge la vie politique belge. L’élégant Château de Val Duchesse dont il est question, sis en bordure de forêt de Soignes, fut le lieu par excellence des négociations dans les années quatre-vingt-dix : à l’époque, le parti au centre de la vie politique s’affichait encore sous l’étiquette « démocrate-chrétienne », les socialistes n’étaient pas encore woke, les écologistes aimaient les fleurs et étaient loin d’être islamisés ; les ministres avaient encore un semblant de culture – en tout cas celle du pays – ; à la fin, tout se terminait par un compromis brinquebalant dit « à la Belge » et Jean-Luc Dehaene restait Premier ministre.

A lire aussi: Le métro bruxellois, symbole du déclin de la capitale belge

Depuis les difficiles négociations entre partis flamands et francophones dans les années 2000, notamment sur les facilités accordées aux francophones dans certaines communes situées sur le territoire flamand, plus rien n’est vraiment comme avant, avec en point d’orgue le record du monde de la formation de gouvernement la plus longue, en 2011. À l’époque, il fallut la menace d’une agence de notation de dégrader la note de la Belgique pour que, soudainement, les négociateurs retrouvassent un semblant de raison.

Depuis, les mois suivant les élections ont donné lieu à d’affligeants spectacles au cours desquels le Roi dût nommer des informateurs, des formateurs, des médiateurs, des démineurs, des conciliateurs, des explorateurs, autant de vocables entrés dans le lexique politique du plat pays, pour dénouer des crises qui ont aggravé la fracture belge. Les raisons de la déliquescence sont multiples, en voici au moins trois, autres que l’existence de deux opinions publiques distinctes – l’une flamande, l’autre francophone.

La terreur intellectuelle que fait planer la gauche (politique, médiatique, syndicale…) a institutionnalisé le très antidémocratique principe du cordon sanitaire (à quand sa constitutionnalisation ?). Selon celui-ci, il est formellement interdit de discuter et a fortiori de s’allier avec l’ « extrême droite ». Même le très « sarkozyste » état-major de la N-VA s’y plie et préfère les socialistes francophones au Vlaams Belang, avec pour conséquence la mise en minorité politique des Flamands, pourtant démographiquement majoritaires dans le pays, et de la droite – au point que le MR de centre-droit signa le Pacte de Marrakech, au prix de la chute d’un gouvernement, et vota plus récemment le Pacte migratoire européen.

Grand malade européen

Quand il n’existe pas de vrai débat, faute d’opposition, l’époque est au mieux à la cristallisation des discussions, au pire à leur hystérisation, avec pour acteurs de série B (comme Belgique) des politiciens qui n’ont pas l’aura de leurs aînés : nains politiques qui débusquent l’extrême droite partout mais qui refusent de voir l’islamisme gangréner la société, épigones belges de Sandrine Rousseau dont l’horizon politique s’arrête aux arrêts de bus qu’il faut renommer, godillots qui insultent et excommunient à tout-va, responsables de partis de la majorité qui passent leur temps à critiquer le… gouvernement sur les réseaux sociaux. Quand on manque de culture, de civilité, de grandes ambitions, d’esprit collectif, il devient compliqué d’exercer le pouvoir en vue d’y accomplir de grandes choses : relance économique, défi de l’IA, intérêts géostratégiques, crise énergétique et pouvoir d’achat…

A lire aussi: «Otages palestiniens» de France info: ce qui se cache derrière la manipulation journalistique insidieuse

Enfin, à force d’avoir « cramé la caisse » à coups de subsides généreusement accordés à des ASBL1 politisées ou en raison du train de vie dispendieux de l’État et de ses entités fédérées, imposé un vivre ensemble qui ne fonctionne pas, tout déconstruit jusqu’à la dernière pierre, les moyens financiers à disposition et la capacité à gérer une communauté d’individus qui se trouvent un destin commun sont forcément limitées. Pendant des années, les socialistes francophones et leurs alliés traditionnels ont augmenté la dette tout en vivant aux crochets des flamands – qui finiront bien par fermer le robinet -, ont poursuivi une politique d’immigration insensée et coûteuse, ont bafoué les droits démocratiques les plus élémentaires en muselant leurs adversaires et nivelé par le très très très bas l’enseignement – tel un symbole, des milliers de professeurs ont manifesté à Bruxelles lundi dernier : plutôt que de réclamer une école de qualité, ils se sont surtout illustrés par les dégradations et autres gestes déplacés dont ils ont été les auteurs. 

Ce portrait n’est malheureusement pas celui d’une république bananière ou d’une dictature lointaine, mais de la femme malade de l’Europe. À propos de la Belgique, il est souvent dit de façon un peu bêtasse que quiconque comprenait ce pays se l’était sans doute mal fait expliquer. C’est faux. En réalité, la Belgique est un millefeuille de niveaux de pouvoirs, de partis, de corps intermédiaires tout heureux de trouver dans la complexité une manière de ne pas à avoir à justifier leur bilan calamiteux.


  1. Association sans but lucratif ↩︎

Et maintenant, l’homme princesse

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Représentation d'un homme princesse sur le compte TikTok qouizzdecouple, 4 février 2024 © Capture TikTok qouizzdecouple

Sur TikTok, des hommes revendiquent désormais d’être traités avec les mêmes égards que les femmes autrefois. Cette mode éloigne encore davantage l’homme de la virilité traditionnelle. Les femmes seront-elles amenées à regretter la galanterie d’antan?


Le phénomène de « l’homme princesse » sur TikTok suscite de vives réactions depuis plusieurs mois, oscillant entre amusement et controverse. Cette tendance, qui cumule plus de 60 millions de vues sur le réseau social chinois, où des hommes adoptent des comportements traditionnellement associés aux femmes, tels que le raffinement, la tendresse et le soin apporté à l’apparence, entend bousculer les rôles de genre et ouvrir un débat sur l’égalité dans les relations de couple.

Un concept qui remet en question les normes traditionnelles de masculinité et qui divise. Si, certains s’en félicitent et y voient une avancée vers plus de flexibilité et d’équilibre dans le couple, d’autres y décèlent une forme de passivité, voire un recul de plus face aux luttes féministes de plus en plus radicales. Pour une autre fraction d’internautes, ces comportements sont perçus comme une manière de fuir les responsabilités plutôt que de réinventer la masculinité.

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Des experts, comme la psychologue Johanna Rozenblum, soulignent que l’expression « homme princesse » reste pourtant elle-même péjorative, car elle renforce des stéréotypes en assignant certains comportements à un genre comme à un autre. « Je ne vois pas en quoi certains traitements devraient être réservés aux femmes et d’autres aux hommes », s’agace l’autrice du livre Déconditionnez-vous. Elle reconnaît toutefois que cette tendance sur les réseaux sociaux démontre « l’intérêt pour cette nouvelle manière de vivre sa masculinité ». Ainsi, en réappropriant des attitudes dites « féminines », l’homme princesse entendrait s’affranchir de l’idée même de patriarcat et des représentations immuables de la masculinité dans lequel il a été élevé.

En faisant la promotion d’une passivité libératrice pour l’homme, cette tendance en vogue pose en définitive une question essentielle qui nous mène à une profonde introspection sociétale : comment les hommes peuvent-ils évoluer dans un monde où la définition de la masculinité est en constante transformation castratrice ?

Déconditionnez-vous ! - Tout comprendre aux schémas de pensée qui nous enferment

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Un pape déconstruit

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Le directeur de recherches du CNRS Philippe d'Iribarne © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Fervent catholique, le sociologue Philippe d’Iribarne s’inquiète dans son dernier livre[1] de la fièvre relativiste qui s’est emparée du Vatican depuis l’élection du pape François.


Quand il était au CNRS, Philippe d’Iribarne laissait ses convictions religieuses au vestiaire. Il faut dire que son domaine de recherches (le monde du travail et la diversité des systèmes de valeurs qui s’y exercent) requiert la neutralité la plus stricte chez l’observateur. Mais depuis qu’il a pris sa retraite, au terme de quarante années d’une carrière passionnante marquée par des publications phares comme La Logique de l’honneur (Seuil, 1989), c’est aussi en tant que croyant qu’il intervient dans le débat public.

Son dernier ouvrage n’en est que plus touchant. A bientôt 88 ans, d’Iribarne s’y penche, documents à l’appui, sur la crise profonde que traverse l’Eglise et qui l’affecte lui-même. Sur un ton tout sauf querelleur, le sociologue décrit un phénomène troublant: à présent, même parmi les fidèles ayant soutenu l’aggiornamento de Vatican II, bon nombre de catholiques sont mal à l’aise quand le pape fait les yeux doux au wokisme.

Difficile en effet de ne pas être stupéfait quand, en 2019, le souverain pontife publie une Déclaration d’Abou Dhabi (texte dont le titre officiel est : Document sur la fraternité humaine, pour la paix mondiale et la coexistence commune), dans laquelle il écrit : « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine. »  Lui qui est jésuite, c’est-à-dire l’enfant spirituel des missionnaires ayant évangélisé son Amérique latine natale, sait pourtant bien que l’adhésion au credo ne procède en rien de l’identité biologique, ethnique ou culturelle.

Et comment ne pas être effaré quand, en 2023, il déclare, avant de se rendre dans la cité phocéenne : « J’irai à Marseille, mais pas en France » ? En tant que chef d’Etat, ne connaît-il pas l’importance des institutions nationales ? Que dirait-il si l’un de ses visiteurs officiels affirmait, au moment de rentrer dans la basilique Saint-Pierre, que celle-ci se trouve à Rome mais pas au Vatican ?

Lorsqu’on pousse l’adoration des peuples du Sud jusqu’à nier la vocation universelle de son propre culte, lorsqu’on s’essaye au jeu du radicalisme chic en déniant aux peuples occidentaux les cadres et les conventions dont on est pourtant le premier à bénéficier, ne risque-t-on pas de sombrer dans l’aveuglement, la haine de soi, l’anomie ? Se gardant d’attaquer frontalement le Vatican, d’Iribarne plaide pour une autre voie, moins progressiste que celle du pape sans être tradi, et identifie certains signes d’espoir, notamment dans l’Amérique de Donald Trump. Un regard mesuré, mais pas si consensuel que ça.

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Causeur. Le 8 décembre dernier, le pape François a séché la réouverture de Notre-Dame de Paris. Qu’avez-vous pensé de cette absence remarquée ?

Philippe d’Iribarne. Quand le pape a fait savoir qu’il déclinait l’invitation des autorités françaises, il a indiqué que c’était pour ne pas faire d’ombre à la cathédrale, ne pas lui ravir la vedette. L’argument a du sens. Mais aussi louable ce refus de la peopolisation soit-il, il cache une seconde raison, moins officielle, de la défection papale : le désintérêt de François pour le continent européen. Il suffit de lire son encyclique Fratelli Tutti, parue en 2020 pour voir combien il préfère les pays du Sud, qui représentent à ses yeux les marges auxquelles il convient d’être attentif comme l’avenir de l’Eglise. Le souverain pontife est, à sa manière, un militant tiers-mondiste.

Diriez-vous carrément que c’est un pape révolutionnaire ?

Je n’irai pas jusque là. Dans mon livre, je montre que François est très influencé par la pensée postmoderne, façonnée en réaction à l’horreur de la Shoah, avec le projet de créer une humanité nouvelle ayant surmonté les antagonismes entre les peuples, les religions, les cultures et aboli toutes les formes de domination. Cette pensée n’est pas révolutionnaire au sens d’une volonté de déconstruction radicale des structures traditionnelles. Il s’agit plutôt d’affirmer que toutes ces structures sont également respectables, y compris les spiritualités ancestrales, comme le chamanisme ou le zen, qui avaient été méprisées par la modernité. Le pape semble supposer, naïvement selon moi, que cette vision d’une ouverture indifférenciée est conforme à un esprit évangélique.

Mais est-ce une si mauvaise idée de son point de vue ? Les Saintes Ecritures ne trouvent-elles pas quelque résonance dans la pensée post-moderne ? Jésus n’aspirait-il pas, lui aussi, à une société sans frontières ?

Il est vrai que, dans les Evangiles, le Christ passe son temps à prêcher l’accueil inconditionnel de tous. Mais il insiste de façon tout aussi appuyée pour que cet accueil se fasse dans la vérité, c’est-à-dire en étant lucide sur ceux qui sont accueillis, à la fois sur ce qu’on peut en attendre, avec des appels à se méfier des hommes, et sur le chemin que chacun doit parcourir pour mener une vie féconde. Le thème des fruits revient sans cesse dans l’Evangile. Il y a une tendance dans l’Eglise à oublier cet aspect pourtant essentiel.

Dans l’Eglise, dites-vous. Y compris au Vatican ?

Tout dépend des situations. Par exemple quand le pape François se rend, en septembre dernier, à Bruxelles et qu’il s’incline devant la tombe du roi Baudoin pour saluer son « courage » et son opposition à la « loi meurtrière » sur l’avortement promulguée en 1990 en Belgique, on ne peut pas dire qu’il prône un catholicisme sans exigence ! En revanche, à chaque fois qu’il laisse entendre que l’on peut venir comme on est (pour parler comme dans les publicités pour Mac Donald) dans son Église, il flatte la doxa contemporaine selon laquelle tous les choix de vie se valent. Pourtant le Christ n’était pas aussi accommodant. Il voyait en chaque homme un pécheur. Il pouvait même avoir des paroles blessantes, commettre des micro-agressions comme on dit aujourd’hui, y compris envers les plus faibles, en mettant par exemple en garde les pauvres contre le risque de s’enfermer dans le ressentiment.

Dans votre livre, vous employez le terme de « catholicisme inclusif » pour décrire ceux qui, dans l’Eglise, ont peur de blesser les païens et conçoivent leur religion comme égale aux autres. A quand remonte cette poussée d’angélisme ?

Une date importante est évidemment Vatican II. En 1965, au dernier jour du concile, le texte Gaudium et Spes (Joie et espoir) est approuvé par la quasi-totalité des évêques. En lisant ce document soixante ans après, on est frappé par la candeur de ses auteurs, qui s’imaginaient alors qu’une société mondiale hors sol, transcendant les cultures, était sur le point d’advenir ! On a l’impression qu’ils ont cultivé une utopie consolatrice.

Vous étiez un jeune homme lors de Vatican II. Comment l’avez-vous vécu, en tant que croyant ?

J’ai été très sensible au souffle du concile. J’étais marqué par de grandes figures qui y ont joué un grand rôle, tels les Pères de Lubac ou Congar. Le Pays basque, dont je suis originaire, a été protégé de l’appauvrissement liturgique associé au passage aux langues profanes par le fait que de grands auteurs et musiciens de l’abbaye de Belloc ont produit des chants liturgiques e, basque aussi beaux que dans l’Eglise orthodoxe ! On aurait tort d’imputer à Vatican II des dérives ultérieures. Joseph Ratzinger, le futur pape Benoît XVI, aux positions doctrinaires très classiques, était l’un des théologiens influent du concile. L’Eglise a eu un problème épineux à résoudre : comment réformer un système autoritaire, qui en a bien besoin, sans le casser ? C’est la question que pose Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution.

Et à Paris, où vous avez fait vos études ?

Quand j’étais élève à Polytechnique, l’aumônerie des étudiants de Paris était dirigée par Jean-Marie Lustiger, qui allait devenir cardinal de Paris vingt ans plus tard et dont le dynamisme et l’intelligence donnaient l’image d’une foi pleine de souffle. Très investi dans des groupes bibliques, je ne prêtais pas attention aux théories des théologiens qui développaient une approche des religions niant ou du moins relativisant l’apport spécifique du christianisme.

Mais au fond, pourquoi réformer l’Eglise catholique ?

Il fallait tourner une page. L’Eglise s’était crispée depuis Vatican I sur des positions défensives, dans une vision très disciplinaire de la foi, loin de la proclamation d’un message de lumière et de joie. Le Vatican n’avait pas été exemplaire face au nazisme. A l’intérieur d’une partie du monde chrétien, on sentait la séduction du communisme. Maurice Clavel, disait avec humour : « Le dernier des marxistes sera un chanoine breton. » Il fallait réagir.

Étiez-vous présent à la Porte de Versailles en 1974, lors du congrès annuel des Jeunesses ouvrières chrétiennes, durant lequel, comme vous le rappelez dans votre livre, 35.000 participants ont entonné l’Internationale pour saluer l’arrivée du communiste Georges Marchais à la tribune…

Ce n’était pas mon univers.

A ce sujet, comment expliquez-vous que vous-même n’ayez jamais été tenté par le communisme ?

Dès mon enfance le procès Kravchenko, dissident soviétique, a été donné un aperçu de la réalité du « paradis soviétique ». J’ai été élevé dans une grande méfiance par rapport aux idéologies porteuses d’illusion et un attachement à la rigueur de la pensée, en lisant dès l’adolescence des ouvrages de philosophie des sciences, de Louis de Broglie, Henri Poincaré ou Albert Einstein. Cela m’a sûrement immunisé contre la séduction du communisme avant même de le côtoyer de près, ce qui s’est produit dans les années 60 avec les apparatchiks du PCF au sein de la Direction de la prévision du ministère de l’Economie. J’ai perçu à quel point ils vivaient dans un univers parallèle, que j’ai retrouvé en lisant Lénine. La répression du printemps de Prague, à cette époque, est apparue non comme un dérapage, mais la quintessence du régime soviétique.

Votre foi catholique ne vous a-t-elle pas également prémuni contre le matérialisme ?

Sûrement. L’univers chrétien, avec toutes les expressions de la foi, dans la musique, la peinture, l’architecture, la littérature, ouvre à la richesse du monde, d’une façon qui protège de la superficialité pitoyable du matérialisme. Cet univers fait écho à la profondeur humaine de l’Ecriture, depuis la poésie des Psaumes et du Cantique des cantiques. Je trouve bien triste que, dans notre monde, la doxa matérialiste déguisée en idéologie laïque empêche notre système éducatif de faire découvrir cette richesse par tous. 

Pensez-vous que l’Eglise soit prête à entendre vos critiques contre elle ?

Mon intention n’est nullement de la critiquer mais de l’aider à comprendre et à dépasser la situation difficile où elle se trouve.

Le pape peut-il évoluer sur cette question ?

Difficile de vous répondre. C’est un homme complexe. J’ai été frappé par le documentaire que Wim Wenders a tourné sur lui en 2018, Un homme de parole, dans lequel on perçoit bien sa personnalité à double face. La première est celle d’un être éminemment sensible à la souffrance humaine, authentiquement à l’écoute, par exemple, des prisonniers qu’il rencontre devant la caméra de Wenders. La seconde est celle d’un dirigeant sûr de lui et autoritaire qui a du mal à accepter la critique.

Et au sein de la communauté des fidèles, votre discours est-il audible ?

Pas par ceux qui, du côté « progressiste » comme du côté « tradi » sont convaincus qu’il suffirait de les suivre. Tout à fait par ceux qui ont du mal à exprimer leur foi et à la transmettre, et qui sont heureux de mieux comprendre ce qu’ils vivent. On a dans le monde un certain renouveau chrétien, en particulier chez les catholiques. On l’a vu en France avec ce qui s’est passé autour du Notre-Dame. On a un fort mouvement aux États-Unis, dont le Vice-président J.D. Vance est un bon représentant, associé à un refus des errances du néo-libéralisme économique et de la dérive woke, dans une recherche d’une existence à la fois ordonnée et riche de sens. Un grand point d’interrogation, auquel je tente spécialement de répondre, concerne le rôle de la vie spirituelle dans les orientations que prend la cité.


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Vaincre la Russie à tout prix, même celui de l’État de droit ?

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Cour de justice européenne © Thierry Roge/ISOPIX/SIPA

À l’heure où la nouvelle administration Trump entre en fonction et que nous approchons du 3ème anniversaire de l’invasion de l’Ukraine et des sanctions massives introduites consécutivement, quels enseignements juridiques tirer des sanctions de l’Union européenne ?


Maître Étienne Épron est un avocat français spécialisé dans les fusions-acquisitions, le droit des sociétés et les sanctions internationales. Il a développé une expertise notable concernant la Russie, notamment en passant cinq ans au sein du cabinet Gide à Moscou et à Paris. Son cabinet, Épron Quievy & Associés, dispose d’une présence internationale, notamment à Moscou •

Au-delà de la question de leur efficacité, il est un aspect des sanctions qui est passé sous silence, alors même qu’il engage nos valeurs : les sanctions, en particulier les sanctions individuelles, restreignent les libertés fondamentales de personnes désignées. Concilier la nécessaire protection des libertés fondamentales avec l’action politique de l’Union Européenne est un défi juridique de taille.

En matière pénale, les privations de libertés sont l’éventuelle conséquence d’un jugement rendu à l’issue d’une instruction détaillée – à charge et à décharge -, qui garantit le respect des droits de la défense et de la présomption d’innocence. Au cours de cette instruction, le prévenu peut accéder au dossier, fournir aux autorités des éléments de nature disculpatoire et être accompagné d’un avocat.

Tout au contraire, en matière de sanctions, il n’y a pas de jugement préalable à la privation de liberté, l’instruction étant remplacée par la seule volonté politique du Conseil de l’Union européenne assise sur des « dossiers de preuves » dont on ne sait trop comment ils sont constitués et dont le contenu est parfois contestable.

Notre expérience nous enseigne en effet que ceux-ci peuvent comporter des éléments peu fiables et orientés idéologiquement, pouvant être perçus comme arbitraires. Le Conseil de l’Union européenne n’hésite ainsi pas à assoir ses décisions sur des articles de presse issus d’obscurs sites internet tels que : www.russian-crimes.comhttps://sokalinfo.com/https://nowheretorun.org/https://www.spisok-putina.org/ https://zampolit.com.

La mise sous sanction d’une personne résulte ainsi d’éléments factuels non vérifiés de manière indépendante, souvent présentés avec partialité par des sites idéologiquement orientés.

Le respect des droits fondamentaux de l’individu concerné n’intervient donc pas en amont mais strictement et exclusivement en aval par la saisine du Tribunal de l’Union européenne, soit, après que celui-ci ait été privé, outre de son droit à la défense, de ses avoirs européens et de sa liberté de se mouvoir.

À ceci, les représentants de l’Union européenne argueront, d’une part, que les sanctions sont de simples mesures conservatoires, réévaluées tous les six mois et, d’autre part, qu’il est possible de demander leur annulation devant le Tribunal de l’Union européenne pour divers motifs, notamment l’erreur d’appréciation du Conseil. L’idée sous-jacente est que les sanctions ne seraient pas de nature pénale – ce qui justifierait que l’on se passe d’instruction sérieuse, que l’on outrepasse les droits de la défense et que l’intervention d’un juge ne soit que postérieure.

De tels arguments se heurtent hélas à la réalité de l’application et de la mise en œuvre des sanctions, qui ne sont pas toujours levées, même après une annulation judiciaire.

Les sanctions en pratique

La mise en œuvre des sanctions soulève de nombreuses problématiques pratiques.

Sans chercher à être exhaustif, notons dans un premier temps que les sanctions individuelles peuvent étonnamment être imposées sans qu’il soit nécessaire que les personnes visées aient un lien quelconque avec la guerre en Ukraine.

Plus encore, et a contrario du droit pénal, les sanctions peuvent s’étendre aux membres de la famille tels que les conjoints et les enfants sans qu’il soit nécessaire d’établir autre chose que le fait qu’un membre de la famille tire avantage de la personne désignée. Le Tribunal de l’Union Européenne retient dans un arrêt de juin 2024 qu’ « en l’espèce, il convient de constater que le Conseil a décidé de réinscrire le nom de la requérante sur les listes en cause sur le fondement d’un seul motif, à savoir son lien avec (X), qui en l’occurrence est son mari».

La réévaluation des situations individuelles des personnes sanctionnées, intervenant tous les six mois est censée permettre aux personnes sanctionnées de modifier le comportement qui leur est reproché de sorte à ce que les mesures prises à leur encontre puissent être levées lorsque ledit comportement a cessé.

Toutefois, lorsque les motifs retenus par le Conseil ne font pas référence à une situation continue comme être un actionnaire ou un dirigeant d’une société donnée mais plutôt à une action passée, comme avoir voté une loi ou avoir réalisé une opération, on voit mal comment la réévaluation semestrielle pourrait conduire à faire cesser les sanctions. Que pouvons-nous changer du passé ?

C’est ici que la pratique du Conseil commence à contredire les textes européens conférant potentiellement un caractère perpétuel aux sanctions.

Plus étonnant encore, force est de constater que les justiciables qui ont réussi à faire annuler les sanctions à leur encontre par le Tribunal de l’Union Européenne sont presque systématiquement resanctionnés, soit (i) sur la base d’une motivation modifiée, soit (ii) sur la base d’un changement du critère applicable, soit (iii) avec la même motivation mais en ayant préalablement modifié les termes du critère utilisé.

En matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dont les sanctions relèvent, le Conseil agit en tant qu’organe exécutif ET législateur de l’Union. Il peut ainsi modifier les termes des règlements au fur et à mesure que sa mise en œuvre est invalidée par le Tribunal. Cet état de fait se heurte au concept clef de Tocqueville : la séparation des pouvoirs.

Cette « particularité institutionnelle européenne » restreint drastiquement l’efficacité des recours juridictionnels et contredit selon nous l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

En d’autres termes, tant que la volonté politique demeure, les actions judiciaires intentées devant les juridictions européennes sont d’effet particulièrement limité.

Cette réalité découle également de la mécanique juridique des sanctions. Même après une victoire judiciaire, aussi surprenant que cela soit, les sanctions ne cessent de produire leurs effets que si le Conseil y consent et adopte une décision ad hoc retirant la personne de la liste.

On a ainsi pu voir le cas d’une personne qui, prenant en compte les motifs retenus à son encontre, avait démissionné de ses fonctions. Après avoir obtenu l’annulation de tous les renouvellements, elle est néanmoins demeurée sous sanctions, les autorités arguant que la décision initiale à son encontre et qui n’avait pas été annulée (elle n’avait alors pas encore démissionné) n’est pas limitée dans le temps…

D’aucun désignerait cette situation comme un cas patent de déni de justice aux effets contre-productifs : quel intérêt peut-il avoir pour une personne sanctionnée à changer de comportement si les sanctions demeurent ?

La nature supposément temporaire et conservatoire des privations de libertés fondamentales se trouve ainsi fermement démentie par les faits.

Dès lors, comment justifier que les personnes concernées soient privées des droits d’une défense pénale, notamment ceux résultant d’une instruction à charge et à décharge, de l’accès au dossier et de l’intervention d’un juge en amont desdites privations ?

Ainsi, bien que ces sanctions soient perçues par une partie de l’opinion publique européenne comme légitimes car elles visent in fine le gouvernement de la Fédération de Russie et qu’elles touchent de riches Russes à l’éthique d’affaires parfois contestable, elles soulèvent des questions importantes liées au respect des principes juridiques fondamentaux des pays européens.

Accepter ces atteintes aux libertés fondamentales, en l’absence de garanties procédurales et de voies de recours effectives, revient à accepter de violer les principes juridiques historiques des États membres. Si ces méthodes semblent acceptables dans le cadre de la confrontation avec la Russie, il n’en reste pas moins qu’il y a là un déni de droit. Accepter ces graves entorses aux libertés fondamentales au prétexte que les personnes visées sont russes, c’est remettre en cause les valeurs même que nous cherchons à défendre. C’est ouvrir une brèche dans l’État de droit.

Comment alors être sûr que de tels mécanismes ne viseront pas un jour des citoyens européens ?

La marche et le sacré

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Portrait de Sébastien de Courtois, auteur de La marche et le sacré © Editions Salvator

Le nouveau livre de Sébastien de Courtois mêle marche, histoire et littérature. Marie-Hélène Verdier revient sur ce pèlerinage littéraire.


Marcher est le propre de l’homme

J’avais aimé Un thé à Istanbul, les Lettres du Bosphore, L’ami des beaux jours. Une fois de plus, j’ai été séduite par la plume de Sébastien de Courtois, dans son dernier livre, aussi dense que lumineux : La marche et le sacré. Si marcher est le propre de l’homme, et avoir un rapport au temps, à l’espace et à autrui, à vitesse humaine, c’est à un petit exercice spirituel que l’auteur nous convie pour faire « quelques pas vers l’éternité. »

Quand on lui a proposé de réfléchir à la rencontre entre le dépassement de soi par la marche et un au-delà peuplé de croyances et d’interdits, Sébastien De Courtois, écrivain et spécialiste des chrétiens d’Orient, a compris qu’il devait revenir sur ses voyages et « rendre compte de sa vocation de passeur d’histoire et de culture, par la marche et la littérature ».

La marche, on sait la définir. Le sacré, c’est plus difficile. On peut l’envisager en anthropologue, en historien des religions, en croyant, en poète. On peut dire aussi que le sacré, c’est un patrimoine. La plupart du temps, on le définit négativement : c’est ce qui reste quand on n’a plus « le religieux. » Ce qui vous manque et vers quoi on aspire… « Une sorte de transcendance animale, dit l’auteur, un peu comme d’aimer une personne disparue ».

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Le grand marcheur devant l’éternel qu’est Sébastien De Courtois le dit : s’il a voulu d’abord « partir », ce fut pour échapper à une vie sans relief ainsi qu’à la tyrannie des idées du débat politique. Alors, son goût pour « la marche » qui « dégage l’âme » – pour reprendre Rousseau–, s’est incarné dans son amour du Moyen-Orient et son intérêt pour le fait religieux. Après le défi lancé à lui-même d’aller, à pied, de Turquie, en Chine, sur la trace des nestoriens, la marche l’a conduit, au fil des années et des pays, toujours plus loin en lui-même et vers autrui. Alors, l’éternité a pris la forme de l’amitié, de la beauté, de la prière, de la grâce des rencontres, avec les amis, les anciens maîtres et, toujours, les habitants. À présent, vivant en Méditerranée aux « îles comme des planètes », Sébastien De Courtois écrit pour transmettre son enchantement des voyages– et donner une voix aux chrétiens d’Orient.

Entre histoire et littérature

Ses idées ? Marcher, « c’est marcher dans le temps et l’histoire ». La croix à l’horizon? Oui, mais pas comme une carte d’identité. Si un lieu incarne, à lui seul, l’idée du sacré qui préside au livre, c’est bien le Tur Abdin dont l’auteur parle comme d’une seconde patrie. Situé en Haute-Mésopotamie, en bordure du Tigre, le Tur Abdin est un des berceaux du christianisme de langue syriaque, un rameau de l’araméen des origines. Il ressemble à la Toscane et à la Provence, avec ses collines, ses murets de terre sèche, ses cyprès, ses oliviers et de pistachiers. C’est le pays de Siméon le Stylite qui correspondit avec sainte Geneviève. Là-bas, l’auteur dit avoir revécu les débuts du christianisme: cette formidable rencontre du monde sémitique et de la cité grecque. Et d’évoquer les monastères, celui de saint Gabriel, dont Sébastien De Courtois a restauré une mosaïque byzantine, les ermitages, les chants, les rituels, l’église Saint-Jacques. Plus loin, avec Mar Moussa, c’est un petit morceau de Syrie que l’auteur fait vivre, après la marche « sobre » (entendez… franciscaine, un tantinet écolo) vers cette antique forteresse du XIème siècle — sans que la plume de l’auteur dissimule le tragique des enlèvements ou des disparitions de certains de ses hôtes. Façon de faire réfléchir, peut-être, sur « la spiritualité islamo-chrétienne. »

On l’aura compris, notre marcheur est un citoyen du monde mais ancré dans un terroir. À présent, il vit dans cette île de Chypre à l’histoire complexe qui se rattache si étroitement à la France par les Lusignan, et se dit ambassadeur de « cette histoire mosaïque » que nous devons, dit-il, nous réapproprier. Ce livre serait-il, dit-il, non sans humour, « un manifeste politique : celui de la marche vers le sacré ? »

En tout cas, la clé de ce livre, qui n’est ni d’érudition ni reportage, c’est la littérature, « le pas de côté » chère à Hannah Arendt qui défend de toute idéologie: l’art du récit, l’évocation de l’histoire, un esprit bienveillant, la poésie des lieux. Ce n’est pas par hasard si l’auteur, qui est allé, il y a quelque temps, sur les pas d’Arthur Rimbaud, a mis en exergue une phrase d’Ernst Jünger « J’ai du mal à me représenter un jour sans lecture et je me demande souvent si je n’ai pas vécu, au fond, en lecteur… » Belle phrase à faire sienne en fermant ce petit livre, riche de paysages, de personnes et d’une foi personnelle – et qui fait du bien, en donnant à connaître ce Moyen-Orient chrétien avec lequel nous sommes liés, sous la plume d’un homme qui le connaît et qui l’aime.

110 pages.

La marche et le sacré. Quelques pas vers l'éternité

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Retailleau face à la crise de l’autorité

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Le ministre français de l'Intérieur Bruno Retailleau après la réunion hebdomadaire du cabinet à l'Élysée présidentiel à Paris, le 22 janvier 2025 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Bruno Retailleau a affirmé être « horrifié » par le meurtre d’Elias. Selon le ministre de l’Intérieur, « on est au bout d’un cycle de laxisme, où on a été dominé par une idéologie gauchisante, où l’on a refusé l’autorité ». Notre contributeur Charles Rojzman revient sur les causes de cette violence.


Les affaires récentes du meurtre d’Elias, commis par deux adolescents, et celui de Philippine ont bouleversé la France. Ces événements tragiques ne sont pas de simples faits divers isolés, mais s’inscrivent dans un contexte plus large d’insécurité croissante et d’angoisse collective. La gestion des récidivistes mineurs par la justice, l’immigration de masse, le développement des trafics de drogue et l’impunité apparente des actes de violence inquiètent à juste titre la population, qui ne peut que constater l’impuissance des autorités à y apporter des réponses efficaces.

Histoire de la violence

Ces violences qui frappent notre société atteignent un niveau alarmant. Qu’elles soient verbales ou physiques, elles suivent une dynamique graduelle : insultes, agressions et, dans les cas les plus extrêmes, des actes tragiques comme les récentes attaques au couteau ayant coûté la vie à des adolescents et des adultes. Ces actes ne surgissent pas de nulle part. Ils sont le produit de tensions sociales, culturelles et idéologiques profondes, qu’il est essentiel de comprendre pour y apporter des réponses adaptées.

Une du Parisien du 28 janvier 2025. DR.

Parmi les manifestations contemporaines de la violence, celle d’une partie de la jeunesse issue des cités est particulièrement préoccupante. La violence a toujours une histoire. Elle s’ancre d’abord dans des familles souvent issues de l’immigration musulmane, touchées de plein fouet par une crise du patriarcat qui laisse des enfants brutalisés par des pères violents ou abandonnés sans repères, livrés à la loi de la rue et des gangs. Mais ces jeunes ne sont pas seulement des victimes passives d’une société injuste. Ils évoluent dans des environnements où l’ordre social a été remplacé par des logiques de domination et de puissance.

République parallèle

Si le discours traditionnel pointe la précarité et le chômage, il faut reconnaître qu’un autre système économique s’est installé : celui des trafics. Ces activités illicites, omniprésentes dans certains quartiers, fournissent une source de revenus bien supérieure à celle des emplois légaux. Elles instaurent un système parallèle où les règles de la République n’ont plus cours. Ces jeunes ne se perçoivent pas comme marginalisés économiquement, mais comme puissants dans leur environnement, affirmant leur contrôle sur leurs territoires à travers la violence. Le couteau, l’insulte ou l’intimidation deviennent des outils pour asseoir leur position, imposer leur respect et rejeter tout ce qui n’appartient pas à leur monde.

Dans ces quartiers, un autre facteur amplifie la violence : l’influence de leaders négatifs et de discours idéologiques radicaux. Certains prêcheurs religieux, figures communautaires ou chefs de réseaux encouragent un rejet explicite de la société « majoritaire », présentée comme un ennemi à combattre. Ce rejet vise souvent des cibles précises : les juifs, les blancs, ou encore les représentants des institutions républicaines.

Ces discours ne sont pas de simples paroles en l’air. Ils forgent une idéologie où la violence devient légitime, voire valorisée, comme un moyen de punir ou de se venger. Dans cette logique, l’autre n’est plus perçu comme un être humain, mais comme une menace ou une cible à éliminer. La haine ainsi nourrie explose sous forme de violences physiques ou verbales, traduisant un rejet total de l’autre et un sentiment de toute-puissance. La solidarité affichée avec la résistance du Hamas chez certains jeunes est significative d’une complicité idéologique.

Pourtant, la violence spectaculaire des agressions à l’arme blanche et du terrorisme ne doit pas nous faire oublier les formes plus quotidiennes et universelles de la violence dans notre société. Dans les entreprises, les tensions liées à la hiérarchie, au stress ou à la compétition se traduisent par des agressions verbales et des conflits ouverts. Dans les espaces publics, l’agressivité est omniprésente : insultes, incivilités, harcèlement. Même dans les institutions politiques, les débats deviennent de plus en plus brutaux, et l’insulte remplace l’échange argumenté.

Ces différentes expressions de la violence traduisent une crise profonde de l’autorité, une perte de sens collectif et un effritement des structures traditionnelles. Faute d’espace légitime pour exprimer les tensions, celles-ci se transforment en violences destructrices.

Face à cette montée des violences, il est essentiel de replacer le conflit au cœur des interactions sociales. Contrairement à la violence, qui déshumanise et détruit, le conflit repose sur la reconnaissance de l’autre comme un être humain, porteur d’intérêts opposés mais légitimes. Ce travail exige plusieurs étapes :

  • Reconnaître la réalité des fractures

Il ne sert à rien de nier les tensions ou de minimiser la gravité des violences, qu’elles viennent des cités, des entreprises ou des espaces publics. La première étape consiste à accepter l’existence de ces tensions et à les nommer.

  • Créer des espaces de confrontation légitime

Dans les quartiers, les écoles, et même les institutions, il faut réintroduire des lieux où les désaccords peuvent être exprimés, débattus et affrontés sans basculer dans l’agression.

  • Désamorcer les discours de haine

Les figures négatives qui nourrissent la violence doivent être activement combattues. Cela passe par une vigilance accrue envers les prêcheurs, les leaders communautaires ou les chefs de réseaux qui encouragent le rejet et la déshumanisation de l’autre.

Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas seulement une répression plus ferme, mais une capacité à transformer les tensions en conflits productifs. Replacer le conflit au centre des interactions et offrir des alternatives aux logiques destructrices est le défi d’une société qui refuse de se laisser submerger par la haine et la violence. À la fermeté nécessaire des institutions régaliennes doit s’ajouter aujourd’hui une compréhension des dynamiques différentes et spécifiques qui installent les actes violents ou les discours violents dans l’ensemble de notre vie commune.

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En route pour l’harmonie des êtres humains entre eux

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M. Mélenchon présente son programme politique "Avenir en commun", Paris, 27 janvier 2025 © ISA HARSIN/SIPA

Jean-Luc Mélenchon est tellement en avance sur la présidentielle qu’on dirait qu’il se prépare déjà pour 2032… Mardi, le leader islamo-gauchiste présentait les 831 mesures mises à jour de son Avenir en commun. Au moindre signe de départ de Macron, il est prêt à bondir ! Toutefois, dans son dos, ses soutiens reconnaissent qu’ils sont loin d’avoir les 500 signatures…


Ce mardi, M. Mélenchon, flanqué d’une brochette de fidèles lieutenants n’ayant pas encore pâti d’une de ces purges aussi discrètes qu’efficaces dont, en bon stalino-gauchiste qu’il est, il a le secret, présentait le millésime 2025 de son programme. Plus exactement le programme de la France Insoumise, son mouvement. Le « lider maximo » tint d’ailleurs à bien insister sur le fait qu’il s’agit d’un mouvement et non d’un parti. Sans doute pour nous faire mieux comprendre qu’il n’est pas encore d’actualité que sa paroisse s’encombre de ce qui fait la vie normale d’un parti politique chez nous, ces formalités du genre élections démocratiques des dirigeants, tenues elles aussi démocratiques de congrès et ces cent et mille broutilles qui ne sont là que pour faire de l’ombre à l’autocrate en place. « Le mouvement est le programme et le programme est le mouvement », a martelé le chef afin qu’on se le tienne pour dit.

143 nouvelles mesures

Le programme donc. 831 mesures, dont 143 nouvelles et 120 modifiées par rapport à la précédente mouture de 2022. L’intitulé reste le même L’avenir en commun. On ne change pas une enseigne qui marche. Ou a failli marcher…

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En fait, nous devrons nous contenter d’une heure et quatorze minutes de discours, le boss s’éclipsant au bout d’un gros quart d’heure pour « vaquer à ses autres occupations », abandonnant les journalistes « à la cruauté de ses camarades » (sic) et laissant ceux-ci faire le job. En réalité, ce ne fut qu’une succession de survols, de répétitions de phrases convenues, de choses connues, si bien qu’au terme de cette heure on pouvait se demander si le but était bien la présentation effective d’un programme électoral. Il semble que l’essentiel était ailleurs : s’offrir un moment médiatique pour bien montrer que, contrairement aux autres, à La France Insoumise on est prêt à gouverner, prêt à investir l’Élysée, ne doutant pas que l’actuel locataire n’y fera pas long feu. On insista beaucoup – un rien lourdement même – sur ce point. « Macron doit partir, et la Vème République » avec lui a répété Mme Panot avec gourmandise.

Au revoir la Ve !

Au programme donc, la VIème République, la « révolution citoyenne, par les urnes », selon M. Mélenchon qui a pris soin de préciser qu’il reconnaissait l’existence d’autres moyens de prendre le pouvoir mais qu’il n’en faisait pas son miel. Du moins en l’état actuel des choses, nous permettrons-nous de compléter…

Le but suprême de cette révolution citoyenne ? « L’harmonie des êtres humains entre eux. » Tout un programme en effet. C’est beau comme une prédication chamanique après incantations et fumettes. J’oubliais : il s’agit plus globalement de « l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature ». Il serait ballot en effet de ne pas aller pêcher des suffrages du côté des verts pâturages.

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Si on lit entre les lignes, l’harmonisation en question aurait tous les aspects d’un nivellement plutôt drastique des individus. Les riches à la caisse, les autres au guichet. Faire tomber des têtes et raser les autres gratis. Je résume un peu sèchement, probablement, mais le sens général est bien là. Rien de bien nouveau, donc, par rapport aux précédentes versions. On retrouve aussi l’instauration du référendum révocatoire qui donne la latitude au « peuple » de rejeter projets et élus qui ne lui conviendraient plus. Un tribunal populaire révolutionnaire qui ne dirait pas clairement son nom, on l’aura compris. Populaire, car tout ici, mesdames et messieurs, se fait au nom du peuple, pour le peuple, et – selon la longue tradition communisante – contre ce peuple quand il rechigne à admettre que ce qui se décide dans son dos ne peut être que pour son bien.

Trouve tes signatures d’abord, camarade !

Quel candidat mystère pour défendre cet ambitieux projet ? DR.

Il faudra donc attendre pour que nous soient annoncés les détails de ce programme. Pour l’heure, nous sommes invités à nous contenter de savoir qu’il « sera porté par sa candidature le moment venu ». Suspense insoutenable autour de cette candidature, convenons-en.

À ce sujet, des rares questions posées par les journalistes – eux aussi sur leur faim, je présume – il y en eut une sur la recherche des cinq-cents parrainages indispensables pour la validation officielle de la candidature. Dans l’hypothèse d’une présidentielle anticipée, il n’y a en effet pas de temps à perdre. Pour la réponse, Manuel Bompard se dévoue. Des courriers ont été envoyés, en deux salves, aux soutiens de 2022 d’abord, puis à un échantillon élargi. Dans sa réponse, le militant se montre confiant. Raisonnablement confiant. Mais, finit-il par préciser sans grand enthousiasme : « ce sera un long travail ». Pas si confiant que cela, peut-être bien…

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Quelques métaphores langagières pornographiques

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Des Palestiniens déplacés se dirigent vers le nord de la bande de Gaza, le mercredi 29 janvier 2025, après qu'Israël a commencé à autoriser des centaines de milliers de Palestiniens à revenir dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas © Abdel Kareem Hana/AP/SIPA

Nourris par des interprétations biaisées et des anachronismes historiques, les glissements sémantiques récents autour des vocables de « génocide » ou « otages » ne visent pas seulement à diaboliser Israël, mais à réécrire la mémoire collective en inversant les rôles de victime et de bourreau.


« La plupart de ce que nous comprenons dans le discours public ne réside pas dans les mots eux-mêmes, mais dans la compréhension non consciente que nous apportons aux mots ».

Cette phrase d’un linguiste américain, George Lakoff, permet d’appréhender les ressorts manipulés dans la guerre des mots qui cherche à façonner l’opinion, fait rage contre Israël et pour laquelle le terme de propagande n’est qu’un vernis superficiel. De fait, prétend Lakoff, le sens que nous donnons au monde qui nous entoure ne provient pas d’un affadissement d’idées transcendantes dont nous chercherions, comme le veut la tradition platonicienne, à retrouver la pureté première, mais d’un bricolage subjectif fondé sur notre bagage de sensations et d’expériences et incarné dans des métaphores conceptuelles. Lorsque Dominique de Villepin dit que « Gaza est un camp de concentration à ciel ouvert », chacun comprend ce qu’il insinue: Gaza, c’est Auschwitz. Et pourtant le terme de camp pourrait s’appliquer à un rassemblement de scouts et la population de Gaza est bien concentrée sur un territoire restreint. Le «ciel ouvert » n’est pas là pour dire que les Gazaouis peuvent voir le soleil, mais que tout ce qui s’y passe s’effectue sous nos yeux: nous sommes coupables si nous ne le dénonçons pas. Faire passer par sauts métaphoriques presque insensibles d’une réunion de scouts à la Shoah est le fait d’un communicant redoutable. Je m’abstiendrai néanmoins de féliciter M. de Villepin. Sa glissade dévoyée de métaphores conceptuelles s’apparente à de la pornographie langagière: Gaza n’est pas Auschwitz.

Les accords dont nous suivons le déroulement ont été décrits par certains journalistes comme des «échanges de prisonniers». La dérive sémantique vaut la peine d’être analysée.


Évoquant un otage, le commun des Français ne pensera pas au roi Jean le Bon détenu à Londres dans des conditions princières, mais à celui ou celle qui par malchance sert de paravent ou de monnaie d’échange à un criminel, ou aux Français enlevés par des organisations islamiques au Sahel ou au Liban. Etre otage implique innocence, chantage et parfois sévices. Un preneur d’otage est forcément un malfaiteur, mais un prisonnier non, et un gardien de prisonniers non plus. Mais la confusion ne sert pas seulement à déculpabiliser le Hamas, elle permet de culpabiliser les Israéliens, dont l’emprisonnement devient légitime puisque, civils ou soldats, ils font la guerre aux Palestiniens, tout comme des Palestiniens sont emprisonnés pour avoir combattu contre Israël. Cela inclut Kfir Bibas, deux ans, qui pourrait plus tard lui aussi faire la guerre aux Palestiniens…

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«Petit Jésus palestinien» n’est pas encore une expression courante, mais la métaphore fait son chemin et il est triste de voir que la non-réaction du  Pape lui donne un semblant d’authenticité.

Faut-il rappeler que le nom de Palestine n’apparait pas dans les Evangiles car il a été imposé par l’Empereur Hadrien à la suite de la révolte de Bar Kochba, 100 ans après la crucifixion de Jésus? Faut-il rappeler que Mahmoud Abbas nie que Jérusalem ait été juive, et qu’il prétend, contre toute donnée scientifique que les Juifs descendent des Khazars? Bien sûr, on peut supposer que le keffieh n’est qu’un symbole de la souffrance des enfants de Gaza. Mais l’image de Jésus palestinien fait son chemin depuis plusieurs années déjà. Bientôt va en dériver une métaphore conceptuelle encore plus toxique, sur laquelle insiste Yonathan Arfi, président du Crif: si Jésus est Palestinien, alors les même Juifs qui sont responsables du génocide palestinien sont les mêmes qui étaient déjà responsables du déicide.

On en vient à la dérive langagière aujourd’hui la plus grave envers Israël, l’accusation de génocide. Ce crime n’est pas défini par des critères quantitatifs, mais un élément est indispensable, l’intention. Où l’Afrique du Sud, porteuse devant la CIJ de l’accusation contre Israël l’a-t-elle trouvé? De trois phrases, à l’emporte-pièce, de responsables politiques israéliens (dont un ministre insignifiant) émises dans l’émotion du 7-Octobre et qu’on peut résumer à «on va les liquider, ces fils de…».

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La CIJ a estimé qu’elle devait réfléchir et qu’Israël devait prendre des précautions humanitaires envers les Gazaouis. Sa décision de ne pas décider pour mieux cogiter sur les critères de l’intentionnalité a eu des conséquences désastreuses et a été présentée par les ennemis d’Israël comme une confirmation du génocide.

Le grand public n’a que faire d’arguments juridiques subtils: la métaphore conceptuelle du génocide a évidemment glissé vers Auschwitz. Israël génocidaire efface l’image troublante des Juifs exterminés. Désormais se profile le vrai génocide, la Neqba, et la vraie victime, le Palestinien, qui subit, dit le nouveau chef du Hamas, Khalil Huyya, un génocide «comme il n’y en pas eu dans l’histoire». Il faut lutter, il faut hurler…

Haut Conseil à l’Égalité: un rapport biaisé sur le sexisme

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Bérangère Couillard, présidente du Haut Conseil à l'Égalité depuis 2024, ici photographiée en 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Le HCE a publié un énième rapport alarmiste sur le sexisme en France, affirmant que les hommes dominent systématiquement les femmes, oubliant que certains galèrent aussi pas mal… Pour y remédier, il propose encore une fois des mesures discutables comme des quotas, des interdictions de pubs pour jouets genrés ou des congés paternité obligatoires…


Le dernier rapport du Haut Conseil à l’Égalité (HCE) sur l’état du sexisme en France, publié le 22 janvier, présente une vision alarmiste des inégalités entre les sexes, que ce soit dans les médias, au travail, dans le sport ou dans la littérature jeunesse. Selon le HCE, la société serait de plus en plus polarisée autour des questions de genre, avec « d’un côté des femmes plus sensibles au féminisme et de l’autre une partie des jeunes hommes plus sensibles à des positions sexistes très dures, aux discours masculinistes ». Cette insistance sur une oppression systémique qu’exerceraient les hommes sur les femmes apparaît comme très idéologique et suscite des interrogations, tant sur le fond que sur la méthodologie employée par le HCE.

Une définition approximative du sexisme

Tout d’abord, le rapport définit le sexisme de manière extrêmement large, englobant à la fois les actes les plus graves (coups, viols, meurtres) et les comportements sujets à interprétation comme des remarques graveleuses, des blagues ou des commentaires sur une tenue vestimentaire. Une telle approche crée une confusion entre des faits de nature très différente et exagère nécessairement l’importance du sexisme dans la société française.

Ensuite, une grande partie du rapport s’appuie sur le Baromètre sexisme, une enquête d’opinion qui prétend mesurer la prédominance des comportements et représentations jugées sexistes en France. La lecture des réponses laisse penser que la perception des uns et des autres n’est pas aussi biaisée que le rapport veut nous le faire croire, et que les données utilisées par le HCE ressemblent beaucoup à du cherry picking, cette présentation tendancieuse qui ne retient que les éléments favorables à une thèse.

Le mythe de la domination masculine

L’une des conclusions les plus contestables du rapport est que le sexisme relèverait d’un système global qui perpétue la domination masculine. Pour appuyer ses théories, le HCE reprend le concept de la charge mentale, selon lequel la gestion quotidienne du foyer occuperait surtout l’esprit des femmes et nuirait à leur bien-être : « 80 % des femmes font la cuisine ou le ménage au moins une heure chaque jour, contre 36 % des hommes » ; « 83 % des rendez-vous médicaux en ligne sont encore pris par les mères ». Faut-il en déduire qu’il s’agit d’une horrible domination systémique ? Et si les femmes étaient, en moyenne, plus enclines à s’occuper de leur foyer et de leurs enfants, non pas parce que la « société » les obligerait implicitement à le faire, mais parce qu’elles en ont plus de goût pour certaines tâches que leur compagnon ?

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Le HCE s’appuie aussi sur une conviction majoritaire chez les sondés, que les hommes et les femmes ont des comportements différents dans certains domaines : la gestion financière, le rapport au travail, les activités domestiques… À quoi attribuent-ils ces différences, qui peuvent tout aussi bien relever de réflexes sexistes que de choix individuels et préférences personnelles ? La question ne leur a manifestement pas été posée. Parmi tant d’autres choses encore, le rapport reprend la rhétorique féministe habituelle sur les inégalités salariales ou, devrait-on dire, l’écart salarial entre hommes et femmes.

Il est sûrement significatif que le rapport du HCE ne dise rien des problèmes que rencontrent les hommes dans des domaines qui les concernent plus spécifiquement, et qui sont systématiquement passés sous silence dans ce type d’analyse. Rien sur le taux de suicide supérieur (notamment parce qu’ils sont plus enclins à utiliser des moyens plus radicaux comme les armes à feu) ; sur la surreprésentation dans les prisons ; sur le plus gros pourcentage de décrochage scolaire, etc. À en croire les chiffres du HCE lui-même, ils seraient de plus en plus nombreux à estimer qu’il est difficile d’être un homme dans la société (45 % des moins des 15-24 ans, une hausse de 19 points en deux ans). Là encore, de quelle domination parle-t-on ?

Les recommandations dangereuses du HCE

Pour remédier à ce qu’ils considèrent comme une situation inéquitable, les membres du HCE font une série de recommandations. Dans le domaine de l’éducation, ils proposent un programme effectif d’éducation à l’égalité censé sensibiliser enfants et adolescents au respect du corps, aux émotions et à la déconstruction des stéréotypes. Ils restent flous sur le contenu exact d’un tel programme mais on a pu voir que la moindre critique ou objection est immédiatement cataloguée comme réactionnaire, « anti-droits » et « anti-choix », en particulier lorsqu’elle provient d’organisations familiales qui s’inquiètent de l’influence de la théorie du genre à l’école. Le HCE la présente comme un fantasme, alors même que des directives comme la circulaire Blanquer sur l’identité de genre en milieu scolaire montrent bien les pressions idéologiques à l’œuvre.

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D’autres propositions sont tout aussi contestables. Citons, par exemple :

  • l’interdiction de la publicité pour les jouets genrés, qui revient à légitimer une intervention excessive de l’État dans le domaine commercial et à ignorer par ailleurs les préférences des enfants ;
  • les quotas de filles dans les filières de l’informatique et du numérique pour « réduire l’écart salarial et assurer une plus grande mixité et parité dans le monde professionnel », mais qui sous-entendent clairement que les femmes auraient besoin d’un traitement de faveur pour réussir dans des domaines techniques ;
  • l’instauration d’un service public de la petite enfance, sans qu’il soit expliqué en quoi cela répondrait à un besoin réel, ni comment il serait financé ;
  • le congé paternité obligatoire, concomitant au congé maternité de 16 semaines. Une mesure qui se veut progressiste mais qui, en imposant un modèle familial unique, prive les parents de leur liberté de choix sur l’organisation de leur vie ;
  • le délit de sexisme, présenté comme un « véritable outil juridique de condamnation du sexisme ». Il est probablement inconstitutionnel et contribue à enfermer les femmes dans une posture permanente de victimes qui nécessiterait une protection spécifique.

Le HCE, un organisme dépendant du pouvoir politique

Créé sous la présidence de François Hollande en 2013, le HCE apparaît comme un organe avant tout politique, bien plus préoccupé par la diffusion d’une idéologie que par un travail rigoureux d’analyse des rapports sociaux. Il est dépendant du pouvoir exécutif (ses membres sont nommés par arrêté du Premier ministre, sur proposition du ministre des Droits des femmes), composé de « personnalités qualifiées », est-il dit sur le site sans autres précisions sur leurs compétences, bref il a le profil type de ces « machins » de plus en plus dénoncés dans le contexte actuel de réformes et simplifications nécessaires. À la lecture de son rapport, il n’est en effet pas flagrant que ses travaux soient vraiment nécessaires.