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Quand la France court après son intelligence perdue

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Déglaciation. Peut-on encore croire en ceux qui, comme M. Bayrou, découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez depuis des années, et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ? se demande Ivan Rioufol.


La révolution ? C’est à droite qu’elle gagne les esprits. Ce week-end, à Madrid, Marine Le Pen s’est jointe aux leaders de la droite nationale européenne pour décliner le slogan trumpien du Maga (« Make America Great Again »). Le « Make Europe great again ! » a été avalisé par la fondatrice du RN, lors d’une réunion des Patriotes pour l’Europe. La conversion atlantiste, conservatrice et libérale de la candidate supposée à la prochaine présidentielle n’a pas été revendiquée pour autant. Il n’empêche : quand Le Pen reconnaît que la victoire de Donald Trump constitue un « véritable basculement mondial », elle met ses pas dans ceux du président américain et de sa « révolution du bon sens ». Ce retournement vient rompre avec le chauvinisme d’un mouvement jusqu’alors rétif au modèle nord-américain.

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Jeudi dernier, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a lancé pour sa part une autre audace idéologique à propos du tabou du droit du sol : « Le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol dans notre pays (…) Il faut un effort pour devenir français. Être Français, c’est une volonté. C’est le droit de la volonté ». Embrayant sur cette révélation tardive, François Bayrou a souhaité « entrer dans le débat » sur l’identité française et l’acquis de la nationalité. Le Premier ministre a invité à réfléchir à la question : « Qu’est-ce qu’être Français ? ». Ces déblocages mentaux, au RN comme au gouvernement, sont d’autant plus spectaculaires que la gauche s’accroche, en réaction, à son passé dépassé. Cependant cette déglaciation en cours, sous l’effet du changement de climat porté par Trump et son retour aux frontières, laisse voir l’état comateux du débat en France, tétanisé par trente ans et plus de pensées sous surveillance. D’où la question : faut-il croire en ceux qui découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez sans oser l’aborder et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ?

La réflexion de Schopenhauer se vérifie une fois de plus : « Toute vérité franchit trois étapes. Tout d’abord, elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis elle est considérée comme ayant été toujours une évidence ». Ceux qui ont alerté sur la débandade des « élites » à propos de la nationalité, de son contenu et de ses protections ont d’abord été assimilés à « la France rance », avant d’être combattus pour leur « xénophobie », pour enfin être rejoints par leurs contempteurs. Pendant longtemps, se réclamer de la nation a été vu comme une régression pétainiste, y compris par la droite de gouvernement. En mai 2015, Laurent Wauquiez, confronté désormais à l’envolée prometteuse de Bruno Retailleau, déclarait : « Nous souhaitons nous appeler les Républicains car nous défendons avant tout l’identité républicaine ». Cette même année, Nicolas Sarkozy reconnaissait, abordant la critique de son débat sur l’identité nationale de 2009 : « Je n’aurais pas dû parler d’identité nationale, mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République ». Cette honte à parler de la France charnelle, de son âme, de sa mémoire et de son peuple est au cœur de la crise intellectuelle, qui fait passer le président américain comme le libérateur des cerveaux cadenassés.

Ce lundi, à l’occasion d’un sommet mondial coorganisé à Paris avec l’Inde, Emmanuel Macron, à la recherche d’un rôle, va tenter de se mettre au centre de la promotion de l’intelligence artificielle européenne et de cette autre révolution mondialiste venue des États-Unis. Mais l’urgence est d’abord de retrouver l’intelligence collective perdue.

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Annie Dillard, seule

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Rencontre au sommet : quand le plus grand américaniste vivant – Pierre-Yves Pétillon – se déplace pour traduire une femme écrivain devenue culte – Annie Dillard.


« Un écrivain cherchant un sujet ne s’intéresse pas à ce qu’il aime le plus, mais à ce qu’il est le seul à aimer. (…) Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur cette pensée particulière dont tu parles, sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend ? Parce que c’est à toi de jouer»

En vivant, en écrivant (1996)

L’Amour des Maytree est un roman où il est beaucoup question de la beauté, du sentiment de la nature (née en 1945, Dillard est l’auteur d’une thèse sur le Walden de H.D. Thoreau), des livres, de l’amour – de l’amour dans les livres, et de la vision qu’ils nous en donnent : « Des années de lecture n’avaient fait qu’étayer sa conjecture, à savoir qu’hommes et femmes ont en fait une perception identique de l’amour, à disons cinq pour cent près. »

L’Amour des Maytree est un livre où il est beaucoup question du temps qui passe, de la beauté qui persiste, et de ce à quoi permettent d’accéder les livres : l’émotion, la connaissance, la sagesse parfois – et ces sentiments que « seuls (ils) peuvent durablement fournir. »

L’Amour des Maytree est un livre crépusculaire et somptueux sur l’amour d’une vie, « l’amour longue durée comme acte de volonté » – et la « chute des jours » qui l’accompagne.

Argument d’autorité qui recommande de s’attarder : son traducteur qui se déplace peu ès qualités – Pierre-Yves Pétillon, le plus grand américaniste français vivant, auteur d’une Histoire de la littérature américaine – Notre demi-siècle 1939-1989 (1992 ; réédition augmentée en 2003, Fayard) – un de ces livres rares, sitôt parus, sitôt salués comme des classiques, qui justifient une vie de travail acharné… D’une intelligence incandescente. Donc Pétillon.

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Argument de votre serviteur : avec quelques romans contemporains, parus dans le domaine anglo-saxon – Sur la plage de Chesyl de Ian McEwan, La Maison des rencontres de Martin Amis, Demain de Graham Swift ou Fugitives d’Alice Munro -, c’est un des romans qui auront marqué la première décennie des années 2000 (oui, on tient les comptes) : on les lit, on les relit, on en parle, on regarde leurs tranches dans nos piles de livres – on est ému, ils nous ont touché, enseigné.

C’est l’histoire de l’amour des Maytree (le titre, donc), de Toby, poète et charpentier, et de Lou, peintre à ses heures. De la naissance de leur passion, de la vie de leur passion, de ses métamorphoses.

C’est ensuite, après quatorze années de mariage avec Lou, l’histoire de la fuite de Toby avec une amie, Deary, de leur amour qui durera vingt ans, de la maladie et de la mort de Deary – et des retrouvailles de Toby et de Lou.

C’est, enfin, l’histoire de Toby qui choisit… l’amour, comme sujet d’étude. Vaste programme : « Dans toute son œuvre, il avait évité les sujets sentimentaux : l’amour, le chagrin. Mais, malgré tout, n’est-ce pas, ils vous rattrapaient. »

Toby lit (les scientifiques, les poètes et les écrivains : Stevenson, Henry Green, Borges, Baudelaire, Thomas Hardy), se demande comment il est possible que « l’amour apparemment absolu puisse se reproduire » (Lou, Deary), tente de comprendre.

Annie Dillard mêle Thoreau, Melville et Emily Dickinson. Du premier, elle a le regard  « transcendantaliste », pour lequel « chaque détail, intensément observé devient un macrocosme et une terre sainte, chaque micro-événement, une épiphanie » ; du deuxième, et de la religion presbytérienne de son enfance, elle a la « sensibilité à la violence tapie dans la Nature » ; enfin de la hiératique troisième, elle a l’intrépidité et le courage, dans sa volonté d’éveiller son lecteur et de le consoler du silence – « le silence du Seigneur, lointain, caché, mais planant, néanmoins, sur les eaux ».

L’univers qu’envisage et décrit la contemplative Annie Dillard est chargé de sens, de pensée. Son écriture intense, tantôt très concrète, descriptive (la nature, le quotidien, l’habitude), tantôt métaphysique, a le caractère élémentaire (sens strict) de son propos : elle bâtit un petit temple – elle, dirait « une cabane » – destiné à honorer le passage furtif et humble de nos pas sur l’immense et si « taiseuse » terre – voire à lui donner un sens. Finalement, plus que l’élémentaire, ce qui intéresse et requiert la solitaire Annie Dillard, c’est l’essentiel. Qui est peut-être la même chose, son autre nom.


L’Amour des Maytree, d’Annie Dillard. Traduit de l’anglais par Pierre-Yves Pétillon, Christian Bourgois, 280p.

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Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

Gang bang theory

Dans un immeuble chic du 15 arrondissement, un organisateur de soirées libertines envisage plus de participants. Mairie et voisins crient au scandale. La préfecture tente de freiner l’orgie, mais la loi n’interdit pas les plaisirs privés… La police du fantasme est dépêchée sur les lieux.


Des soirées libertines parisiennes sont dans le collimateur de la mairie et des voisins. Cela se passe à Paris XVe, dans une résidence ordinaire, plutôt cossue. Au sous-sol, on trouve des locaux commerciaux où un mystérieux Z organise des soirées gang-bangs ce qui signifie, explique pudiquement Le Parisien, qu’une femme est placée au centre des attentions de plusieurs hommes1. Les hommes payent 80 euros, et peuvent être 20 maximum. La femme, évidemment consentante, n’est pas rémunérée (il n’y a donc pas de prostitution ni de proxénétisme). Ce sont des jeux sexuels entre adultes. Il n’y a rien d’illégal. Et pourtant, tout le monde voudrait les voir décamper. Mairie, Préfecture, riverains… Z affirme être très attentif à ne pas troubler le voisinage. Il donne rendez-vous à un pâté de maisons. «Ne venez jamais rôder en avance, faire les 100 pas ou attendre devant l’immeuble».

Du reste, la Préfecture verbalise les « stagnations dans le hall » et mène des contrôles ciblés d’infractions sur les stupéfiants. «En cas d’infraction avérée, une fermeture de l’établissement sera demandée», déclare une source préfectorale. Bref, Z est attendu au tournant.

Ne peut-on pas comprendre les riverains, non ?

S’il s’agissait d’une salle de sport avec bien plus d’allées et venues, cela ne gênerait personne. Mais il s’agit de morale. « Préfecture et mairie sont désemparées face à cette activité malsaine », lit-on dans l’article.  Pareil pour les riverains, farouchement opposés à ces pratiques «dégradantes» et «moralement difficilement acceptables». Chacun semble se sentir autorisé à juger la sexualité de ses contemporains. «Maintenant quand ils nous croisent, ils baissent les yeux. Mais ça reste dérangeant. Les hommes qui participent à ces gang bangs ont le fantasme du viol collectif », déclare un couple de riverains. Nous y sommes. Le fantasme du viol (partagé par pas mal d’adultes selon nombre d’enquêtes, y compris chez les femmes) est un crime contre la morale.

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Le maire LR du XVe Philippe Goujon, qui promet de tout faire pour faire cesser ces cochonneries, déclare: « Après le procès de Mazan, on ne peut plus voir des choses comme ça ». Adorno disait qu’après Auschwitz on ne peut plus faire de poésie et le maire du XV nous apprend qu’après Mazan, finie la gaudriole ! Désormais, les seuls rapports sexuels autorisés, c’est papa dans maman le samedi soir. Et dans une position convenable svp.

Je rigole, mais j’enrage qu’on instrumentalise en permanence les femmes violentées, agressées ou violées pour réprimer une sexualité peut-être non-conventionnelle mais parfaitement légale et qui ne fait de mal à personne.

Ce puritanisme – cette pudibonderie même – n’ont rien à voir avec l’égalité ni avec la protection des femmes. Derrière ce cirque de dames patronnesses, il y a une haine de la liberté et surtout de la sexualité. Not in my name ! 


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin dans la matinale

  1. https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-les-soirees-gang-bangs-du-xve-pourraient-bientot-accueillir-plus-de-monde-au-grand-dam-des-riverains-08-02-2025-OIKTDUKXLBDZBP42NIDEUBBTW4.php ↩︎

TVA et micro-entrepreneurs: jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins

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Quand le gouvernement décide de faire payer la TVA aux micro-entrepreneurs dès qu’ils dépassent 25 000 € de chiffre d’affaires, cela grince des dents plus fort qu’un rideau de fer rouillé… Devant la levée de boucliers, Éric Lombard a finalement suspendu sa mesure, unanimement considérée comme pénalisante pour des travailleurs considérés comme précaires. Analyse.


Depuis quelques jours, la nouvelle mesure fiscale passée en force par le gouvernement de François Bayrou suscite une massive levée de boucliers et moults réactions indignées émanant de politiques, d’organisations professionnelles mais également de journalistes ou simples particuliers. La grande majorité s’offusque et se dit choquée que le gouvernement s’en prenne aux petites, voire aux très petites entreprises, celles que l’on appelle les micro-entreprises depuis la disparition du statut d’auto-entrepreneur en 2016. Le gouvernement prévoit en effet dans le budget 2025 d’assujettir à la TVA ces micro-entreprises dès lors que leur chiffre d’affaires annuel dépasse 25 000 euros, alors que le seuil était auparavant fixé à 37 500€ pour une activité de prestation de service et à 85 000€ pour le négoce (achat/vente de biens).

Revenus modestes

Comment imaginer sans honte renflouer les caisses de l’État en taxant l’activité des petits travailleurs indépendants dont le statut est souvent considéré, à juste titre, comme précaire ? Une fois n’est pas coutume, le discours du Rassemblement national à ce sujet s’accorde avec celui de La France Insoumise. Même l’édito de Pascal Praud du 6 février sur CNews rejoint sur le fond l’article de Mediapart du même jour, l’un prenant l’exemple d’un petit jardinier tandis que l’autre donne la parole à une secrétaire médicale et une gérante de friperie. Cependant, cette mesure est-elle si scandaleuse et injuste qu’elle en a l’air ? L’assujettissement à la TVA de ces micro-entreprises signera-t-il vraiment la mort de celles-ci ? Entraînera-t-elle forcément une baisse des revenus déjà modestes des travailleurs indépendants concernés ?

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J’ai le souvenir très net d’un échange téléphonique que j’ai eu avec un chef d’entreprise expérimenté alors que j’étais jeune entrepreneure. Je m’étais plainte auprès de lui de payer chaque mois bien trop de TVA. À ma grande surprise, loin d’abonder dans mon sens, celui-ci m’avait alors répondu : « Pour une entreprise, payer de la TVA c’est une bonne maladie ». En effet, plus on réalise de chiffre d’affaires, plus on paye de TVA. Payer beaucoup, c’est gagner beaucoup. Dans le négoce, hors achats intracommunautaires et activités saisonnières, se retrouver avec un crédit de TVA est même souvent synonyme d’une mauvaise période durant laquelle les dépenses ont été plus importantes que les encaissements. Aussi, le seuil d’assujettissement de TVA déjà existant, supposé être un coup de pouce fiscal pour les micro-entrepreneurs, se révèle souvent être un plafond de verre que beaucoup d’entre eux craignent de dépasser au point de freiner délibérément la croissance de leur activité, voire de l’arrêter complètement jusqu’au prochain exercice fiscal. Jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins.

Cap difficile

Plutôt que de propager l’idée que l’assujettissement à la TVA signerait forcément l’arrêt de mort des micro-entreprises, pourquoi ne pas les accompagner dans ce changement et leur développement ? Il s’agirait d’encourager les micro-entrepreneurs, les former à facturer et à établir des déclarations de TVA. Une fois passé ce cap, ce serait un frein de moins au développement de leur activité. Je ne dis pas que toute micro-entreprise a vocation à devenir une PME ou multinationale mais, économiquement, nous avons tout à gagner à tirer les entreprises françaises vers le haut.

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Si l’on parle de justice, cela fait plusieurs années que certains dirigeants de TPE et PME assujettis à la TVA dénoncent la concurrence déloyale des micro-entrepreneurs. Ceux-ci, pour un même service (ou vente de biens), dans un même secteur d’activité, peuvent afficher des tarifs potentiellement plus concurrentiels (la TVA représentant jusqu’à 20% du prix de vente) alors que quelques centaines ou milliers d’euros seulement séparent les chiffres d’affaires des deux entreprises concurrentes. Les clients eux-mêmes sont parfois perdus dans ces différences de facturation.

C’est le consommateur qui paie !

Rappelons également que la TVA n’est pas un impôt pour les entreprises mais bien une taxe dont le consommateur s’acquitte. On pourrait même dire que c’est un impôt « juste » puisque tout le monde le paye à hauteur de sa consommation. L’entreprise, elle, n’est que collectrice de la TVA, obligée certes de la reverser mais autorisée également à la récupérer sur ses achats ! Même lorsque l’activité est une prestation de service, le non-paiement de TVA sur les achats peut s’avérer très intéressante, que ce soit pour de la communication, du matériel ou même simplement les fournitures administratives indispensables à toute activité aussi modeste soit-elle. Dans le cas d’une activité de négoce avec une TVA à 20% par exemple, l’entrepreneur devra certes augmenter un peu ses tarifs mais cette inflation ne sera pas d’un pourcentage équivalent puisqu’une grande partie sera compensée par la récupération de la TVA sur ses achats.  

Si le contenu de cette mesure fiscale ne me choque pas, sa mise en place me laisse en revanche   dubitative. Faire cette annonce début février pour une application la même année, c’est méconnaître complètement les réalités du terrain et nier le bouleversement qu’un changement fiscal représente pour les micro-entrepreneurs, obligés, dans l’urgence et le stress, de revoir leur tarification, leur comptabilité et parfois toute leur organisation. En outre, cette mesure aurait été mieux accueillie si elle n’avait pas été isolée mais intégrée à un projet plus global visant par exemple à simplifier la fiscalité des entreprises, quelle que soit leur taille.

Lyrique: un opéra-oratorio de Haendel sacrifié à la transposition scénographique

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À l’origine, Semele a la forme d’un oratorio profane – car on ne donnait pas d’opéra pendant le Carême. Œuvre tardive du compositeur saxon naturalisé anglais Georg Friedrich Haendel (1685-1757), elle n’eut alors qu’un succès très relatif – quatre représentations à peine.  Créée en 1744 à Covent Garden (soit trois ans après le célèbre Messie), Semele fut écrite en un temps record, par un compositeur à la santé très délabrée, en ce mois de juillet 1743, sur un livret de William Congreve tiré des Métamorphoses d’Ovide.

De cet opéra durablement éclipsé du répertoire lyrique, le Théâtre des Champs-Elysées avait donné une version scénique en 2004, reprise en 1010, –  au pupitre, Marc Minkowski puis Christophe Rousset. Au XXIème siècle, il n’est pas facile d’illustrer les trois actes de cet argument mythologique où s’entrecroisent dieux et mortels dans des jeux d’amour et de pouvoir fort compliqués: Jupiter est secrètement aimé de la princesse thébaine Semele, fille de Cadmus, promise en mariage à Athamas, prince de Béotie, dont Ino, la sœur de Semele, est elle-même éprise. Junon, épouse de Jupiter, est folle de jalousie. Jupiter prend l’apparence d’un aigle pour enlever Semele. Junon, aidé de sa servante Iris, en appelle à Somnus, dieu du sommeil, pour se venger. Elle se débrouille pour apparaître à Semele sous les traits de sa sœur Ino, et conseille à Semele (qui, rappelons-le, est mortelle) de se refuser à Jupiter tant qu’il ne lui promet pas l’immortalité. Pris au piège du serment qui lui est arraché, le dieu du tonnerre voue Semele aux flammes. Et Jupiter de décider qu’Ino épousera Athamas. Mais « des cendres de Semele surgira un phénix (…) Il témoignera d’un dieu plus grand que l’Amour et empêchera pour toujours les soupirs et les chagrins », assure Apollon, avant que le chœur des prêtres n’invite Bacchus à « crown the joys of love ». Bref, la vertu du foyer est sauve.

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Sous la houlette d’Olivier Mears, l’actuel directeur du Royal Ballet londonien, cette fable hédoniste, flamboyante, peuplée d’Amours et de Zéphirs, ne revêt plus la forme que d’un marivaudage bourgeois. Sur un décor signé Annemarie Woods passablement anachronique, celui d’un palace post-art déco flottant entre les années 1940, 1950 et 1960, qui aurait été meublé avec froideur par quelque capitaliste parvenu, de mœurs légères : éclairé d’appliques murales en verre dépoli,  fermé en fond de plateau par une large baie totalement aveugle, un espace grisâtre au milieu duquel trône un vaste sommier circulaire dans le goût propre aux maisons closes, plumard drapé et molletonné d’un vert hideux, près duquel flambe une imposante colonne – cheminée habillée de carreaux de porcelaine (où se consumera Semele, of course). A main gauche, un meuble bas supporte une platine stéréo où, à l’occasion, entre deux clopes – car on fume beaucoup chez Haendel –  Semele fera crépiter un vinyle sorti de son étui, d’un chromatisme furieusement sixties. Le troisième acte nous transporte dans la repoussante bathroom envahie de tessons où un Somnus en caleçon et fixe-chaussettes prend les eaux du Léthé au fond de sa baignoire fangeuse. Puis retour dans la suite XXL de l’hôtel, siège, au passage, d’une bataille de polochons entre les deux frangines. Accoutrés de tenues pied-de-poule et de falzars amarante, les chœurs figurent les femmes de chambre et autres larbins de l’entreprise dont Jupiter est le grand patron… Junon, blonde marâtre atrabilaire, troquera au dernier acte son austère tenue noire pour une robe éclatant du rouge de la vengeance.

Aucune transposition contemporaine du répertoire lyrique baroque n’est, en soi, irrecevable. Sinon que toute la satire, à la fois capiteuse, leste et fantasmagorique où, extraites la fable antique, s’ébattent ces êtres surnaturels, voués aux plus improbables prodiges (Jupiter métamorphosé en rapace, Semele en beauté céleste sous l’effet d’un miroir magique…), se banalise ici jusqu’à la trivialité, sous les espèces d’une confrontation socioéconomique attisée par la frustration et la jalousie.

SEMELE – Au Theatre des Champs Elysees – Vincent PONTET

Ce parti pris élude l’enchantement, la fantaisie, le faste qui rutilent dans l’écriture baroque.  C’est d’autant plus navrant que sous les traits de la grande mezzo Alice Coote, Junon développe une musicalité cuivrée, d’une amplitude souveraine ; que la célèbre soprano sud-africaine Pretty Yende se risque pour la première fois hors du bel canto, son territoire de prédilection, pour exécuter les trilles et les ornements virtuoses du rôle-titre sans faillir ; que le contre-ténor Carlo Vistoli incarne Athamas impeccablement ; que le ténor Ben Bliss, surtout, campe un Jupiter  absolument superbe ; tandis que la jeune Irlandaise Niamh O’Sullivan se projette avec aisance dans le rôle d’Ino, tout comme la soprano arménienne Marianna Hovanisyan, qu’on découvre dans celui d’Iris… Quant aux chœurs du Concert d’Astrée, ils sont d’une solidité à toute épreuve. Et si Emmanuelle Haïm, comme toujours à la baguette de sa formation maison, dirige la fosse avec plus de nerf que de rondeur, Semele pourrait parfaitement se passer de mise en scène pour renaître de ses cendres.              


Semele. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Pretty Yende, Ben Bliss, Alice Coote… Direction : Emmanuelle Haïm. Mise en scène : Olivier Maers. Orchestre et chœur Le Concert d’Astrée.
Durée : 3h
Théâtre des Champs-Elysées, les 11, 13, 15 février à 19h30. Le 9 février à 17h.

XV de France: pas encore au point!

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Samedi dernier, la France s’est inclinée par un petit point d’écart contre l’Angleterre (26-25), mettant fin à quatre ans d’invincibilité française contre son adversaire de toujours…


Une du Midi Olympique, journal français du rugby de référence, 10 février 2025.

Le XV de la Rose a donné raison à Pythagore, philosophe et mathématicien de la Grèce antique dont le théorème « le carré de l’hypoténuse… » nous a fait découvrir à notre adolescence les joies et les désagréments de la géométrie. Selon lui, « rien n’est impossible même l’invraisemblable ». Et, en effet, l’invraisemblable s’est produit samedi à Twickenham, seconde journée du Tournoi des Six nations, par une fin d’après-midi grise et triste, typique d’un hiver d’Outre-Manche. L’équipe de rugby d’Angleterre a gagné son match contre la France qu’elle perdait à un peu moins de soixante secondes du coup de sifflet final.

Un match mouvementé

À ce moment, la victoire était acquise aux Bleus vu le peu de temps de jeu qui restait. Ils menaient par 25 à 19 après être revenus quatre minutes auparavant, à la marque grâce à un miraculeux essai de son véloce ailier Bielle-Biarrey transformé, aboutissement d’une audacieuse contre-attaque initiée par Antoine Dupont. Quatre autres minutes avant, à la 71ème, pour la première fois bien que dominés pratiquement au tout au long de la rencontre, les Anglais avaient pris l’avantage d’un petit point, 19 à 18.

Le match s’emballe alors et vire à une sorte de partie de ping-pong. Les deux équipes se livrent à un duel de coups de pied pour porter le danger près de la ligne d’en-but et faire craquer la défense adverse qui tourne à la 75ème minute à l’avantage des Français. Grâce à l’essai de Bielle-Biarrey, les Bleus ont engrangé six points d’avance, certes qui ne les mettent pas à l’abri d’un essai transformé. Mais pour tout esprit rationnel, celui-ci est peu probable, autrement dit impossible. L’affaire semble donc bouclée et le XV de la Rose s’apprête à subir l’humiliation d’une quatrième défaite consécutive et, le pire, sur ses terres.

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Lorsque à un peu plus de deux minutes de la fin, les Bleus perdent le contrôle du ballon. Les Anglais tentent le tout pour le tout. D’un coup de pied, ils cherchent à porter le jeu dans les 22 mètres et à livrer un baroud pour l’honneur.

Toutefois, la chance n’est pas en leur faveur. Le vigilant et agile arrière Ramos est à la réception. Mais, revirement du sort inespéré, il se fait plaquer et commet l’irréparable faute en ne lâchant pas le ballon une fois à terre. Une aubaine pour les Anglais qui leur offre une touche à cinq mètres de l’en-but. Celle-ci jouée, les Bleus résistent farouchement. Les assauts anglais sont vains quand se produit « l’invraisemblable ». Deux défenseurs bleus laissent un maigre interstice entr’eux dans lequel va se faufiler le trois-quarts central anglais Elliot Daly et aplatir entre les deux poteaux assurant en conséquence sa transformation.

Une revanche pour le rugby anglais

Plus que jamais ce 112ème affrontement entre Anglais et Français a mérité la qualification que lui a donnée la presse britannique de « crunch » qu’on peut traduire en français par « choc majeur ». A l’issue de ce dernier, les supporteurs anglais ont dû se dire : « My god, what a crazy crunch ». En 2024, la France l’avait emportée par deux points d’avance (33-31). Cette fois-ci l’Angleterre a gagné d’un point (26-25). Comme l’a dit Antoine Blondin, chantre de l’Ovalie et du Tour de France, « Les Anglais ne perdent jamais, mais, parfois, on les bat. » Ce ne fut pas le cas cette fois-ci.

Cette victoire étriquée obtenue quand tout semblait perdu est une bouffée d’oxygène (très probablement que temporaire) pour le rugby anglais qui connait, comme l’a souligné Le Figaro du 7 février, « une crise financière et institutionnelle majeure ». Trois clubs de l’élite ont depuis la crise du Covid-19 mis la clé sous la porte dont les Wasps (six titres nationaux et deux coupes d’Europe à leur palmarès). Sept sont au bord de la faillite. Sa première division ne compte plus que dix clubs. Ses meilleurs joueurs s’expatrient. Le nombre de licenciés est en chute libre. « Pour ne rien arranger, souligne Le Figaro, la RFU (la fédération anglaise de rugby) est traversée par une grave crise de gouvernance » qui a contraint son président, Tom Llube, à démissionner.

Pour la France, cette défaite est amère, comme l’a reconnu Antoine Dupont, son capitaine. « On ne peut que s’en prendre qu’à nous-mêmes, surtout en première mi-temps. On aurait dû marquer trois essais. » Les Bleus ont cumulé 27 fautes de main dont 15 dans les quarante premières minutes. « Inutile de faire dans l’indulgence, écrit Romain Bayeux dans les colonnes du Parisien-dimanche, et de pointer ce léger crachin venu mouiller Twickenham. Il avait plu en 2023 », rappelle-t-il, quand les Bleus avaient administré une cuisante correction (53 à 10) aux Anglais.

Cependant cette défaite n’hypothèque pas tout à fait ses chances d’emporter le tournoi même si celles-ci sont très minces. Le match France-Irlande le 8 mars pourrait se profiler comme une éventuelle finale, si les Bleus ne perdent pas contre l’Italie et l’Écosse. Et surtout, à condition que l’Irlande connaisse une déconvenue contre ses deux prochains adversaires, le Pays de Galle et l’Italie. Ce qui paraît très peu probable. À ce stade de la compétition, elle est la seule sélection invaincue et semble bien déterminée à le demeurer.

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* traduction en français des années 60 du Sud-ouest, patrie de l’Ovalie hexagonale : « Putain de gozon, ça pour une castagne, ç’a été une castagne. »

Et si Milei devait nous inspirer?

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La couverture du Point sur le « phénomène Milei » a de quoi interpeller. Pendant que l’Argentine taille dans le vif de son État-obèse, la France continue de se gaver de lois et de règlements comme si la démocratie se mesurait au poids de son Code…


D’abord se débarrasser de l’argument trop facile qui consiste à soutenir que les avancées des autres pays ne seraient pas applicables en France. C’est parfois vrai, mais pas toujours. On a le droit d’essayer.

L’excellent numéro du Point, consacré au « phénomène Milei », nous éclaire sur ce président argentin qu’on aurait bien tort de tourner en dérision tant il démontre, notamment dans un entretien substantiel, à quel point ses visions libertaires, sa détestation de « l’État » et son obsession de chercher autant que possible à libérer les énergies, les compétences et l’esprit d’entreprise de chacun, constituent des pistes sérieuses qui méritent d’être examinées.

L’axe central de sa pensée est une volonté de simplification, sur tous les plans. Loin de considérer que la complexité du monde contraint à l’alourdissement des contraintes réglementaires et législatives, à la multiplication des textes et des limites, il met en œuvre exactement l’inverse.

Il me semble que la France, de droite comme de gauche, est au moins accordée sur ce plan inverse : la démocratie n’est pas digne de confiance si elle n’ajoute pas à la masse des lois et des règlements, si elle n’apporte pas sa pierre à l’édifice déjà monumental d’une République qui ne se sent bien que si elle aggrave, complique et sophistique. Aux antipodes donc de la pratique présidentielle de Javier Milei.

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Pourtant, c’est lui qui a raison. Le bon sens, l’expérience et la comparaison avec les gouvernements et les administrations efficaces fournissent une leçon sans équivoque : le remède à l’ambiguïté du monde, au chaos et au désordre de notre nation, à l’infinie diversité de la société, n’est pas une surenchère qui irait dans le même sens. C’est l’inverse : il faut une répudiation du surabondant, un refus du superfétatoire, une destruction de l’inutile, une épuration administrative. Diminuer la tentative désespérée et en définitive absurde de coller aux évolutions par la profusion législative serait déjà la première marche d’un progrès décisif.

Notre pays se sauvera en devenant plus léger, en luttant contre son obésité. Il convient que sorte de l’esprit collectif et de la tête des dirigeants le poncif que la réussite politique passe par le nombre et donc une bureaucratie pléthorique.

Les seules périodes au cours desquelles on supprime tiennent à la victoire de telle ou telle idéologie jugeant insupportable de conserver le dispositif antérieur. Par exemple Robert Badinter, quand il est devenu garde des Sceaux, a fait table rase de lois appartenant à la nuit alors que le jour vanté par Jack Lang avait fait son apparition en 1981.

Tronçonner « les budgets publics et les réglementations » à la manière de Milei et de son ministre de la Dérégulation et de la Transformation de l’État est donc tout sauf une absurdité ou une provocation. Le second raconte : »Je suis allé voir Milei avec deux paquets de 500 lois à abroger. Il m’a dit : « Fonce ! » ».

On comprend que l’Italie et les États-Unis soient très intéressés par l’expérience argentine.

Qu’attend donc la France pour s’inspirer de Milei ?

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Dorange: jeunesse de France


Le Vendée Globe a aujourd’hui son icône au féminin. Violette Dorange, 23 ans seulement. Et seulement quatre-vingt dix jours pour boucler son tour du monde en solitaire et sans escales. On admire. Sans réserve.

Sa prouesse personnelle, individuelle est aussi un magnifique exemple de ce que peut donner un esprit de transmission bien comprise. Le navigateur hyper chevronné Jean Le Cam l’a prise sous son aile, lui a transmis son bateau, un modèle déjà ancien, ainsi que son expérience, sa maîtrise de ces réglages techniques d’une infinie complexité qu’exige ce défi au long cours. Monter le budget, monter l’équipe, toute une épopée humaine pour un résultat des plus aléatoires au bout de laquelle ce peut être la gloire, comme aujourd’hui, ou l’amère désillusion du naufrage, de l’échec. Voire la vie perdue dans des rugissants sans merci.

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Violette Dorange, c’est la jeunesse de France telle qu’on l’aime, celle dont on ne parle pas assez. Celle qui a du souffle, de l’ambition, de la ténacité et qui pourtant cultive la simplicité, la fraîcheur, l’humilité. L’humilité qu’imposent les immensités océanes à qui s’aventure à les affronter. La jeune femme compte plus d’un million d’abonnés, d’amis sur les réseaux. On s’en réjouit. Les influenceurs, parfois fort douteux, ne sont donc pas les seuls à faire recette. Et c’est très bien ainsi.

Il faudrait à présent qu’on sache, en haut lieu, ériger la jeune femme en modèle, qu’on raconte dans les classes son exploit et les vertus requises pour le mener au bout. Des qualités, des vertus essentielles, qu’on ait à naviguer sur les vastes mers ou à se coleter avec le quotidien de l’existence.

Toujours est-il qu’un mot tout simple s’impose au moment même où la très talentueuse nouvelle petite fiancée de l’océan franchit la ligne.

Et ce mot est tout simplement MERCI !

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Yvonne Beauvais, femme ardente

Yvonne Beauvais, religieuse et résistante décorée par de Gaulle, a transformé son couvent en clinique moderne et a courageusement caché des Juifs et des résistants pendant la guerre, avant d’être torturée par la Gestapo. Mais son mysticisme, marqué par des phénomènes surnaturels, a suscité la méfiance, conduisant l’Église à abandonner sa canonisation en 1960 avec l’argument « Trop de miracles ». Jean de Saint-Cheron retrace son destin fascinant…


Notre époque matérialiste supporte difficilement l’intrusion du surnaturel dans nos vies de consommateurs soumis à l’immédiateté et à l’horizontalité. Dès que l’on parle de mystique, de phénomènes irrationnels, de prophéties, de stigmates, de bilocation, de visions autres que celles sous psychotropes, la société du Spectacle crie à la supercherie et s’imagine devant un tableau des Peintures noires de Goya. On ne comprend rien à l’épopée de Jeanne d’Arc, à son message universel, lorsqu’elle brûle devant une foule sidérée. On méprise les paroles de Saint-Bernard, prononcées en 1146, sur la colline de Vézelay, exhortant les paysans illettrés à le rejoindre pour grossir les rangs de la Deuxième croisade. On ne comprend guère mieux l’Appel du 18-Juin du général de Gaulle si l’on n’admet pas un acte dicté par l’irrationnel. Même le Vatican, parfois, se méfie des « miracles » et refuse de les reconnaitre. « Trop de miracles », déclare l’inquisition de l’Église de Rome, en 1960, après avoir examiné le cas d’Yvonne Beauvais, morte le 3 février 1951, des suites d’un cancer du sein, à l’âge de quarante-neuf ans. Le dossier de canonisation est alors définitivement refermé.

DR.

Mais qui était cette femme ? Une mythomane ? Une illuminée ? Une malade rongée par l’absence du « phallus symbolique » ? Ou une femme trop libre, à la volonté de fer, dans une société patriarcale ? Dans un livre passionnant, qui se lit comme un roman de Simenon, Jean de Saint-Cheron mène l’enquête au pays de cette belle jeune femme qui se fit religieuse à l’âge de 26 ans et transforma le monastère des Augustines de Malestroit en une clinique moderne. Pas mal pour une prétendue possédée. On le suit pas à pas dans la Bretagne tellurique, sous les ornières du ciel, cette Bretagne « parsemée de bosquets de chênes, de menhirs et d’Intermarché ‘’Les Mousquetaires’’ ». On découvre le couvent gothique, les boules bleues des hortensias, les silhouettes massives des taiseux qui passent sans vous regarder. C’est le territoire d’Yvonne Beauvais, connue sous le nom d’Yvonne-Aimée de Malestroit. Son dévouement, sa bravoure, sa foi méritaient un livre de cette dimension. Jean de Saint-Chéron lui rend un vibrant hommage tout en n’hésitant pas à éclairer les zones sombres de sa personnalité. Sans être une « sainte bataillienne », les crises mystiques d’Yvonne obligent à la prudence tant les phénomènes de stigmates et de prémonitions, ainsi que ses visions violentes, sont formidables. L’auteur nous apprend qu’elle fut également une grande résistante, ce qui n’est pas rien dans une France collaborationniste. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Mère supérieure est gaulliste. Malestroit cache massivement des résistants, des parachutistes alliés, sans oublier cette jeune juive qui échappe aux wagons plombés. Yvonne est arrêtée par la Gestapo, elle subit la torture, ne parle pas, à l’instar de Jean Moulin qui aura le visage détruit par les coups. Cette femme, par son courage, devient comme une sœur des suppliciées de Ravensbrück. Extrait : « Quand on la torture le 17 février 1943 à la prison du Cherche-Midi, alors que des plaintes cauchemardesques s’échappent des cellules voisines, Yvonne Beauvais ne hurle pas. Le benêt qui la violente la regarde danser sur ses orteils, tandis que ses épaules se déforment sous les assauts du cuir. Elle souffre en silence. » Elle sera décorée de la Légion d’honneur par le général de Gaulle. C’était une époque où cette décoration signifiait quelque chose.

Pour la comprendre, et l’aimer, il y a cette lettre écrite à Marguerite Villemont, datée du 2 novembre 1925 : « Ce soir, en visitant des tombes de famille, des amis, des connaissances, je sentais un bonheur intense m’envahir. Oh ! si le monde pouvait comprendre ce qu’est vraiment la mort. Mourir, c’est enfin sortir du moi borné et se jeter dans l’infini de Dieu. »

Jean de Saint-Cheron, Malestroit, Vie et mort d’une résistante mystique, Grasset. 224 pages.

Le rond, maître du jeu

Monsieur Nostalgie nous parle de Jacques Villeret (1951 – 2005), disparu il y a vingt ans, et qui a fait l’objet d’un documentaire « Drôlement tragique » réalisé par Christophe Duchiron, diffusé sur France 3 et visible en replay sur la plateforme France TV


Quand d’habitude, la télévision évoque Jacques Villeret, elle psychologise à mort. Elle sort les violons et le pathos englue les images d’archives. Elle se repaît des douleurs du comédien, il en était rempli, à ras-bord même, pour bien nous instruire que derrière la vedette, l’homme fracassé et instable, sommeillait. Que derrière les rôles, la misère sourde des existences sur un fil criait son désespoir ; alcool, divorce, fisc, origine, Villeret est, à lui seul, une mine d’or pour les contempteurs du divan. Un provincial venu de Loches, fils d’un agent d’entretien et d’une mère coiffeuse qui a décroché l’un des plus difficiles concours d’Etat, un exemple de la méritocratie des planches, formé par Louis Seigner. Oh que oui, il a morflé, il est mort à 53 ans, à quelques jours de son anniversaire. Il buvait à en perdre la raison. Il n’arrivait pas à réguler ses démons. Quand on a dit ça, on n’a absolument rien dit du comédien, de ses performances et de la trace qu’il laisse derrière lui.

Phénoménal

Le documentaire n’élude rien de ses drames personnels, ses déambulations pathétiques et de son caractère virant du doux mélancolique aux récoltes amères, du petit Tourangeau rondouillard à la bête écorchée après le spectacle, mais surtout, il nous montre Villeret le virtuose, en action, dans des extraits où sa voix, son visage, ses gestes et sa fantaisie produisent un effet bœuf. Villeret était un phénomène, à l’instar de Depardieu ou de Carmet. Il est lui-même et mille rôles à la fois. La marque des très grands. Ses fêlures nourrissaient-elles l’acteur ? On s’en fout. Les coulisses, les combines, les transformations, les errements, on s’en fiche, car le public féroce juge la performance pure. Il juge le travail fini et non les brouillons, les « peut-être », les « excuses », les « j’aurais pu mieux faire si… ». La mécanique ombrageuse des acteurs, leur carburant ou leurs trucs pour parvenir à leurs fins nous sont bien égal. Le public paye sa place pour un moment de divertissement, dramatique ou comique, et parfois, s’il est chanceux – avec Villeret, il était extrêmement chanceux – il entrevoit les reflets de l’Art, dans un seul en scène ou dans dix minutes de bravoure à l’écran.

Au-dessus du lot

Avec Villeret, l’Art est gagnant à tous les coups. Ses complices du Conservatoire, Nathalie Baye notamment, ont été subjugués par son sens du jeu inné et profond, sa perpétuelle dualité entre le visible et le rentré, Villeret excellait dans les masques interchangeables. C’était un bonze timide, et puis, la seconde d’après, par une expression, par un travail et des dons peu communs, il se mouvait en romantique pensif ou en bouc-émissaire tendre. Le public qui ne pardonne pas les turpitudes des célébrités lui était attaché pudiquement, viscéralement. Tous les acteurs qui interviennent dans ce documentaire, Weber, Lhermitte, ou les metteurs en scène Leconte, Lelouch ou Ribes répètent les mêmes qualificatifs : « au-dessus du lot » et « surdoué ». Ses performances au cinéma sont désormais des moments d’anthologie, je le préfère dans la Denrée que dans Papy, et dans Robert et Robert que dans Pignon. Il me semble qu’il y a maldonne dans l’analyse générale, on loue son talent en affirmant qu’il nous ressemblait, qu’il était l’étendard de notre humanité vacillante, qu’il vengeait tous les écorchés et les exclus. Au contraire, je crois qu’il nous fascinait car il était à des années-lumière de nous, il était un monstre sacré. Le public ne s’y trompe pas, il le plébiscitait pour voir quelque chose d’unique, de rare, de friable et d’une émotion scintillante. Ce que le commun des mortels est bien incapable de produire dans son quotidien. Le documentaire ne laisse aucun doute sur la maestria de Villeret dans Garçon ! ou La Soupe aux choux, il surclasse Montand et Funès, il leur mange la soupe sur la tête. Il vole avec les aigles. Je ne me lasse pas de le revoir dans « Circulez y a rien à voir ! » que Patrice Leconte n’apprécie pourtant guère, alors que cette comédie me ravit par son empreinte nostalgique. Je garde en mémoire ce que Villeret dit à Michel Blanc : « Tu me fais peur, qu’est-ce que tu mijotes ? ».


1 heure

https://www.france.tv/documentaires/documentaires-art-et-culture/6845761-jacques-villeret-drolement-tragique.html

Quand la France court après son intelligence perdue

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Marine Le Pen prononce un discours lors du sommet des Patriotes pour l'Europe à Madrid, le 8 février 2025 © Paul White/AP/SIPA

Déglaciation. Peut-on encore croire en ceux qui, comme M. Bayrou, découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez depuis des années, et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ? se demande Ivan Rioufol.


La révolution ? C’est à droite qu’elle gagne les esprits. Ce week-end, à Madrid, Marine Le Pen s’est jointe aux leaders de la droite nationale européenne pour décliner le slogan trumpien du Maga (« Make America Great Again »). Le « Make Europe great again ! » a été avalisé par la fondatrice du RN, lors d’une réunion des Patriotes pour l’Europe. La conversion atlantiste, conservatrice et libérale de la candidate supposée à la prochaine présidentielle n’a pas été revendiquée pour autant. Il n’empêche : quand Le Pen reconnaît que la victoire de Donald Trump constitue un « véritable basculement mondial », elle met ses pas dans ceux du président américain et de sa « révolution du bon sens ». Ce retournement vient rompre avec le chauvinisme d’un mouvement jusqu’alors rétif au modèle nord-américain.

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Jeudi dernier, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a lancé pour sa part une autre audace idéologique à propos du tabou du droit du sol : « Le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol dans notre pays (…) Il faut un effort pour devenir français. Être Français, c’est une volonté. C’est le droit de la volonté ». Embrayant sur cette révélation tardive, François Bayrou a souhaité « entrer dans le débat » sur l’identité française et l’acquis de la nationalité. Le Premier ministre a invité à réfléchir à la question : « Qu’est-ce qu’être Français ? ». Ces déblocages mentaux, au RN comme au gouvernement, sont d’autant plus spectaculaires que la gauche s’accroche, en réaction, à son passé dépassé. Cependant cette déglaciation en cours, sous l’effet du changement de climat porté par Trump et son retour aux frontières, laisse voir l’état comateux du débat en France, tétanisé par trente ans et plus de pensées sous surveillance. D’où la question : faut-il croire en ceux qui découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez sans oser l’aborder et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ?

La réflexion de Schopenhauer se vérifie une fois de plus : « Toute vérité franchit trois étapes. Tout d’abord, elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis elle est considérée comme ayant été toujours une évidence ». Ceux qui ont alerté sur la débandade des « élites » à propos de la nationalité, de son contenu et de ses protections ont d’abord été assimilés à « la France rance », avant d’être combattus pour leur « xénophobie », pour enfin être rejoints par leurs contempteurs. Pendant longtemps, se réclamer de la nation a été vu comme une régression pétainiste, y compris par la droite de gouvernement. En mai 2015, Laurent Wauquiez, confronté désormais à l’envolée prometteuse de Bruno Retailleau, déclarait : « Nous souhaitons nous appeler les Républicains car nous défendons avant tout l’identité républicaine ». Cette même année, Nicolas Sarkozy reconnaissait, abordant la critique de son débat sur l’identité nationale de 2009 : « Je n’aurais pas dû parler d’identité nationale, mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République ». Cette honte à parler de la France charnelle, de son âme, de sa mémoire et de son peuple est au cœur de la crise intellectuelle, qui fait passer le président américain comme le libérateur des cerveaux cadenassés.

Ce lundi, à l’occasion d’un sommet mondial coorganisé à Paris avec l’Inde, Emmanuel Macron, à la recherche d’un rôle, va tenter de se mettre au centre de la promotion de l’intelligence artificielle européenne et de cette autre révolution mondialiste venue des États-Unis. Mais l’urgence est d’abord de retrouver l’intelligence collective perdue.

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Annie Dillard, seule

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Le président Barack Obama décerne la Médaille nationale des sciences humaines à la romancière Annie Dillard, à la Maison Blanche, le 10 septembre 2015 © Andrew Harnik/AP/SIPA

Rencontre au sommet : quand le plus grand américaniste vivant – Pierre-Yves Pétillon – se déplace pour traduire une femme écrivain devenue culte – Annie Dillard.


« Un écrivain cherchant un sujet ne s’intéresse pas à ce qu’il aime le plus, mais à ce qu’il est le seul à aimer. (…) Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur cette pensée particulière dont tu parles, sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend ? Parce que c’est à toi de jouer»

En vivant, en écrivant (1996)

L’Amour des Maytree est un roman où il est beaucoup question de la beauté, du sentiment de la nature (née en 1945, Dillard est l’auteur d’une thèse sur le Walden de H.D. Thoreau), des livres, de l’amour – de l’amour dans les livres, et de la vision qu’ils nous en donnent : « Des années de lecture n’avaient fait qu’étayer sa conjecture, à savoir qu’hommes et femmes ont en fait une perception identique de l’amour, à disons cinq pour cent près. »

L’Amour des Maytree est un livre où il est beaucoup question du temps qui passe, de la beauté qui persiste, et de ce à quoi permettent d’accéder les livres : l’émotion, la connaissance, la sagesse parfois – et ces sentiments que « seuls (ils) peuvent durablement fournir. »

L’Amour des Maytree est un livre crépusculaire et somptueux sur l’amour d’une vie, « l’amour longue durée comme acte de volonté » – et la « chute des jours » qui l’accompagne.

Argument d’autorité qui recommande de s’attarder : son traducteur qui se déplace peu ès qualités – Pierre-Yves Pétillon, le plus grand américaniste français vivant, auteur d’une Histoire de la littérature américaine – Notre demi-siècle 1939-1989 (1992 ; réédition augmentée en 2003, Fayard) – un de ces livres rares, sitôt parus, sitôt salués comme des classiques, qui justifient une vie de travail acharné… D’une intelligence incandescente. Donc Pétillon.

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Argument de votre serviteur : avec quelques romans contemporains, parus dans le domaine anglo-saxon – Sur la plage de Chesyl de Ian McEwan, La Maison des rencontres de Martin Amis, Demain de Graham Swift ou Fugitives d’Alice Munro -, c’est un des romans qui auront marqué la première décennie des années 2000 (oui, on tient les comptes) : on les lit, on les relit, on en parle, on regarde leurs tranches dans nos piles de livres – on est ému, ils nous ont touché, enseigné.

C’est l’histoire de l’amour des Maytree (le titre, donc), de Toby, poète et charpentier, et de Lou, peintre à ses heures. De la naissance de leur passion, de la vie de leur passion, de ses métamorphoses.

C’est ensuite, après quatorze années de mariage avec Lou, l’histoire de la fuite de Toby avec une amie, Deary, de leur amour qui durera vingt ans, de la maladie et de la mort de Deary – et des retrouvailles de Toby et de Lou.

C’est, enfin, l’histoire de Toby qui choisit… l’amour, comme sujet d’étude. Vaste programme : « Dans toute son œuvre, il avait évité les sujets sentimentaux : l’amour, le chagrin. Mais, malgré tout, n’est-ce pas, ils vous rattrapaient. »

Toby lit (les scientifiques, les poètes et les écrivains : Stevenson, Henry Green, Borges, Baudelaire, Thomas Hardy), se demande comment il est possible que « l’amour apparemment absolu puisse se reproduire » (Lou, Deary), tente de comprendre.

Annie Dillard mêle Thoreau, Melville et Emily Dickinson. Du premier, elle a le regard  « transcendantaliste », pour lequel « chaque détail, intensément observé devient un macrocosme et une terre sainte, chaque micro-événement, une épiphanie » ; du deuxième, et de la religion presbytérienne de son enfance, elle a la « sensibilité à la violence tapie dans la Nature » ; enfin de la hiératique troisième, elle a l’intrépidité et le courage, dans sa volonté d’éveiller son lecteur et de le consoler du silence – « le silence du Seigneur, lointain, caché, mais planant, néanmoins, sur les eaux ».

L’univers qu’envisage et décrit la contemplative Annie Dillard est chargé de sens, de pensée. Son écriture intense, tantôt très concrète, descriptive (la nature, le quotidien, l’habitude), tantôt métaphysique, a le caractère élémentaire (sens strict) de son propos : elle bâtit un petit temple – elle, dirait « une cabane » – destiné à honorer le passage furtif et humble de nos pas sur l’immense et si « taiseuse » terre – voire à lui donner un sens. Finalement, plus que l’élémentaire, ce qui intéresse et requiert la solitaire Annie Dillard, c’est l’essentiel. Qui est peut-être la même chose, son autre nom.


L’Amour des Maytree, d’Annie Dillard. Traduit de l’anglais par Pierre-Yves Pétillon, Christian Bourgois, 280p.

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Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

Gang bang theory

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Dans un immeuble chic du 15 arrondissement, un organisateur de soirées libertines envisage plus de participants. Mairie et voisins crient au scandale. La préfecture tente de freiner l’orgie, mais la loi n’interdit pas les plaisirs privés… La police du fantasme est dépêchée sur les lieux.


Des soirées libertines parisiennes sont dans le collimateur de la mairie et des voisins. Cela se passe à Paris XVe, dans une résidence ordinaire, plutôt cossue. Au sous-sol, on trouve des locaux commerciaux où un mystérieux Z organise des soirées gang-bangs ce qui signifie, explique pudiquement Le Parisien, qu’une femme est placée au centre des attentions de plusieurs hommes1. Les hommes payent 80 euros, et peuvent être 20 maximum. La femme, évidemment consentante, n’est pas rémunérée (il n’y a donc pas de prostitution ni de proxénétisme). Ce sont des jeux sexuels entre adultes. Il n’y a rien d’illégal. Et pourtant, tout le monde voudrait les voir décamper. Mairie, Préfecture, riverains… Z affirme être très attentif à ne pas troubler le voisinage. Il donne rendez-vous à un pâté de maisons. «Ne venez jamais rôder en avance, faire les 100 pas ou attendre devant l’immeuble».

Du reste, la Préfecture verbalise les « stagnations dans le hall » et mène des contrôles ciblés d’infractions sur les stupéfiants. «En cas d’infraction avérée, une fermeture de l’établissement sera demandée», déclare une source préfectorale. Bref, Z est attendu au tournant.

Ne peut-on pas comprendre les riverains, non ?

S’il s’agissait d’une salle de sport avec bien plus d’allées et venues, cela ne gênerait personne. Mais il s’agit de morale. « Préfecture et mairie sont désemparées face à cette activité malsaine », lit-on dans l’article.  Pareil pour les riverains, farouchement opposés à ces pratiques «dégradantes» et «moralement difficilement acceptables». Chacun semble se sentir autorisé à juger la sexualité de ses contemporains. «Maintenant quand ils nous croisent, ils baissent les yeux. Mais ça reste dérangeant. Les hommes qui participent à ces gang bangs ont le fantasme du viol collectif », déclare un couple de riverains. Nous y sommes. Le fantasme du viol (partagé par pas mal d’adultes selon nombre d’enquêtes, y compris chez les femmes) est un crime contre la morale.

À lire aussi: Haut Conseil à l’Égalité: un rapport biaisé sur le sexisme

Le maire LR du XVe Philippe Goujon, qui promet de tout faire pour faire cesser ces cochonneries, déclare: « Après le procès de Mazan, on ne peut plus voir des choses comme ça ». Adorno disait qu’après Auschwitz on ne peut plus faire de poésie et le maire du XV nous apprend qu’après Mazan, finie la gaudriole ! Désormais, les seuls rapports sexuels autorisés, c’est papa dans maman le samedi soir. Et dans une position convenable svp.

Je rigole, mais j’enrage qu’on instrumentalise en permanence les femmes violentées, agressées ou violées pour réprimer une sexualité peut-être non-conventionnelle mais parfaitement légale et qui ne fait de mal à personne.

Ce puritanisme – cette pudibonderie même – n’ont rien à voir avec l’égalité ni avec la protection des femmes. Derrière ce cirque de dames patronnesses, il y a une haine de la liberté et surtout de la sexualité. Not in my name ! 


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin dans la matinale

  1. https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-les-soirees-gang-bangs-du-xve-pourraient-bientot-accueillir-plus-de-monde-au-grand-dam-des-riverains-08-02-2025-OIKTDUKXLBDZBP42NIDEUBBTW4.php ↩︎

TVA et micro-entrepreneurs: jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins

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Le ministre de l'Economie Eric Lombard invité de RTL, 9 février 2025. DR.

Quand le gouvernement décide de faire payer la TVA aux micro-entrepreneurs dès qu’ils dépassent 25 000 € de chiffre d’affaires, cela grince des dents plus fort qu’un rideau de fer rouillé… Devant la levée de boucliers, Éric Lombard a finalement suspendu sa mesure, unanimement considérée comme pénalisante pour des travailleurs considérés comme précaires. Analyse.


Depuis quelques jours, la nouvelle mesure fiscale passée en force par le gouvernement de François Bayrou suscite une massive levée de boucliers et moults réactions indignées émanant de politiques, d’organisations professionnelles mais également de journalistes ou simples particuliers. La grande majorité s’offusque et se dit choquée que le gouvernement s’en prenne aux petites, voire aux très petites entreprises, celles que l’on appelle les micro-entreprises depuis la disparition du statut d’auto-entrepreneur en 2016. Le gouvernement prévoit en effet dans le budget 2025 d’assujettir à la TVA ces micro-entreprises dès lors que leur chiffre d’affaires annuel dépasse 25 000 euros, alors que le seuil était auparavant fixé à 37 500€ pour une activité de prestation de service et à 85 000€ pour le négoce (achat/vente de biens).

Revenus modestes

Comment imaginer sans honte renflouer les caisses de l’État en taxant l’activité des petits travailleurs indépendants dont le statut est souvent considéré, à juste titre, comme précaire ? Une fois n’est pas coutume, le discours du Rassemblement national à ce sujet s’accorde avec celui de La France Insoumise. Même l’édito de Pascal Praud du 6 février sur CNews rejoint sur le fond l’article de Mediapart du même jour, l’un prenant l’exemple d’un petit jardinier tandis que l’autre donne la parole à une secrétaire médicale et une gérante de friperie. Cependant, cette mesure est-elle si scandaleuse et injuste qu’elle en a l’air ? L’assujettissement à la TVA de ces micro-entreprises signera-t-il vraiment la mort de celles-ci ? Entraînera-t-elle forcément une baisse des revenus déjà modestes des travailleurs indépendants concernés ?

A lire aussi: Sous tutelle, vite!

J’ai le souvenir très net d’un échange téléphonique que j’ai eu avec un chef d’entreprise expérimenté alors que j’étais jeune entrepreneure. Je m’étais plainte auprès de lui de payer chaque mois bien trop de TVA. À ma grande surprise, loin d’abonder dans mon sens, celui-ci m’avait alors répondu : « Pour une entreprise, payer de la TVA c’est une bonne maladie ». En effet, plus on réalise de chiffre d’affaires, plus on paye de TVA. Payer beaucoup, c’est gagner beaucoup. Dans le négoce, hors achats intracommunautaires et activités saisonnières, se retrouver avec un crédit de TVA est même souvent synonyme d’une mauvaise période durant laquelle les dépenses ont été plus importantes que les encaissements. Aussi, le seuil d’assujettissement de TVA déjà existant, supposé être un coup de pouce fiscal pour les micro-entrepreneurs, se révèle souvent être un plafond de verre que beaucoup d’entre eux craignent de dépasser au point de freiner délibérément la croissance de leur activité, voire de l’arrêter complètement jusqu’au prochain exercice fiscal. Jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins.

Cap difficile

Plutôt que de propager l’idée que l’assujettissement à la TVA signerait forcément l’arrêt de mort des micro-entreprises, pourquoi ne pas les accompagner dans ce changement et leur développement ? Il s’agirait d’encourager les micro-entrepreneurs, les former à facturer et à établir des déclarations de TVA. Une fois passé ce cap, ce serait un frein de moins au développement de leur activité. Je ne dis pas que toute micro-entreprise a vocation à devenir une PME ou multinationale mais, économiquement, nous avons tout à gagner à tirer les entreprises françaises vers le haut.

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Si l’on parle de justice, cela fait plusieurs années que certains dirigeants de TPE et PME assujettis à la TVA dénoncent la concurrence déloyale des micro-entrepreneurs. Ceux-ci, pour un même service (ou vente de biens), dans un même secteur d’activité, peuvent afficher des tarifs potentiellement plus concurrentiels (la TVA représentant jusqu’à 20% du prix de vente) alors que quelques centaines ou milliers d’euros seulement séparent les chiffres d’affaires des deux entreprises concurrentes. Les clients eux-mêmes sont parfois perdus dans ces différences de facturation.

C’est le consommateur qui paie !

Rappelons également que la TVA n’est pas un impôt pour les entreprises mais bien une taxe dont le consommateur s’acquitte. On pourrait même dire que c’est un impôt « juste » puisque tout le monde le paye à hauteur de sa consommation. L’entreprise, elle, n’est que collectrice de la TVA, obligée certes de la reverser mais autorisée également à la récupérer sur ses achats ! Même lorsque l’activité est une prestation de service, le non-paiement de TVA sur les achats peut s’avérer très intéressante, que ce soit pour de la communication, du matériel ou même simplement les fournitures administratives indispensables à toute activité aussi modeste soit-elle. Dans le cas d’une activité de négoce avec une TVA à 20% par exemple, l’entrepreneur devra certes augmenter un peu ses tarifs mais cette inflation ne sera pas d’un pourcentage équivalent puisqu’une grande partie sera compensée par la récupération de la TVA sur ses achats.  

Si le contenu de cette mesure fiscale ne me choque pas, sa mise en place me laisse en revanche   dubitative. Faire cette annonce début février pour une application la même année, c’est méconnaître complètement les réalités du terrain et nier le bouleversement qu’un changement fiscal représente pour les micro-entrepreneurs, obligés, dans l’urgence et le stress, de revoir leur tarification, leur comptabilité et parfois toute leur organisation. En outre, cette mesure aurait été mieux accueillie si elle n’avait pas été isolée mais intégrée à un projet plus global visant par exemple à simplifier la fiscalité des entreprises, quelle que soit leur taille.

Lyrique: un opéra-oratorio de Haendel sacrifié à la transposition scénographique

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© Vincent Pontet

À l’origine, Semele a la forme d’un oratorio profane – car on ne donnait pas d’opéra pendant le Carême. Œuvre tardive du compositeur saxon naturalisé anglais Georg Friedrich Haendel (1685-1757), elle n’eut alors qu’un succès très relatif – quatre représentations à peine.  Créée en 1744 à Covent Garden (soit trois ans après le célèbre Messie), Semele fut écrite en un temps record, par un compositeur à la santé très délabrée, en ce mois de juillet 1743, sur un livret de William Congreve tiré des Métamorphoses d’Ovide.

De cet opéra durablement éclipsé du répertoire lyrique, le Théâtre des Champs-Elysées avait donné une version scénique en 2004, reprise en 1010, –  au pupitre, Marc Minkowski puis Christophe Rousset. Au XXIème siècle, il n’est pas facile d’illustrer les trois actes de cet argument mythologique où s’entrecroisent dieux et mortels dans des jeux d’amour et de pouvoir fort compliqués: Jupiter est secrètement aimé de la princesse thébaine Semele, fille de Cadmus, promise en mariage à Athamas, prince de Béotie, dont Ino, la sœur de Semele, est elle-même éprise. Junon, épouse de Jupiter, est folle de jalousie. Jupiter prend l’apparence d’un aigle pour enlever Semele. Junon, aidé de sa servante Iris, en appelle à Somnus, dieu du sommeil, pour se venger. Elle se débrouille pour apparaître à Semele sous les traits de sa sœur Ino, et conseille à Semele (qui, rappelons-le, est mortelle) de se refuser à Jupiter tant qu’il ne lui promet pas l’immortalité. Pris au piège du serment qui lui est arraché, le dieu du tonnerre voue Semele aux flammes. Et Jupiter de décider qu’Ino épousera Athamas. Mais « des cendres de Semele surgira un phénix (…) Il témoignera d’un dieu plus grand que l’Amour et empêchera pour toujours les soupirs et les chagrins », assure Apollon, avant que le chœur des prêtres n’invite Bacchus à « crown the joys of love ». Bref, la vertu du foyer est sauve.

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Sous la houlette d’Olivier Mears, l’actuel directeur du Royal Ballet londonien, cette fable hédoniste, flamboyante, peuplée d’Amours et de Zéphirs, ne revêt plus la forme que d’un marivaudage bourgeois. Sur un décor signé Annemarie Woods passablement anachronique, celui d’un palace post-art déco flottant entre les années 1940, 1950 et 1960, qui aurait été meublé avec froideur par quelque capitaliste parvenu, de mœurs légères : éclairé d’appliques murales en verre dépoli,  fermé en fond de plateau par une large baie totalement aveugle, un espace grisâtre au milieu duquel trône un vaste sommier circulaire dans le goût propre aux maisons closes, plumard drapé et molletonné d’un vert hideux, près duquel flambe une imposante colonne – cheminée habillée de carreaux de porcelaine (où se consumera Semele, of course). A main gauche, un meuble bas supporte une platine stéréo où, à l’occasion, entre deux clopes – car on fume beaucoup chez Haendel –  Semele fera crépiter un vinyle sorti de son étui, d’un chromatisme furieusement sixties. Le troisième acte nous transporte dans la repoussante bathroom envahie de tessons où un Somnus en caleçon et fixe-chaussettes prend les eaux du Léthé au fond de sa baignoire fangeuse. Puis retour dans la suite XXL de l’hôtel, siège, au passage, d’une bataille de polochons entre les deux frangines. Accoutrés de tenues pied-de-poule et de falzars amarante, les chœurs figurent les femmes de chambre et autres larbins de l’entreprise dont Jupiter est le grand patron… Junon, blonde marâtre atrabilaire, troquera au dernier acte son austère tenue noire pour une robe éclatant du rouge de la vengeance.

Aucune transposition contemporaine du répertoire lyrique baroque n’est, en soi, irrecevable. Sinon que toute la satire, à la fois capiteuse, leste et fantasmagorique où, extraites la fable antique, s’ébattent ces êtres surnaturels, voués aux plus improbables prodiges (Jupiter métamorphosé en rapace, Semele en beauté céleste sous l’effet d’un miroir magique…), se banalise ici jusqu’à la trivialité, sous les espèces d’une confrontation socioéconomique attisée par la frustration et la jalousie.

SEMELE – Au Theatre des Champs Elysees – Vincent PONTET

Ce parti pris élude l’enchantement, la fantaisie, le faste qui rutilent dans l’écriture baroque.  C’est d’autant plus navrant que sous les traits de la grande mezzo Alice Coote, Junon développe une musicalité cuivrée, d’une amplitude souveraine ; que la célèbre soprano sud-africaine Pretty Yende se risque pour la première fois hors du bel canto, son territoire de prédilection, pour exécuter les trilles et les ornements virtuoses du rôle-titre sans faillir ; que le contre-ténor Carlo Vistoli incarne Athamas impeccablement ; que le ténor Ben Bliss, surtout, campe un Jupiter  absolument superbe ; tandis que la jeune Irlandaise Niamh O’Sullivan se projette avec aisance dans le rôle d’Ino, tout comme la soprano arménienne Marianna Hovanisyan, qu’on découvre dans celui d’Iris… Quant aux chœurs du Concert d’Astrée, ils sont d’une solidité à toute épreuve. Et si Emmanuelle Haïm, comme toujours à la baguette de sa formation maison, dirige la fosse avec plus de nerf que de rondeur, Semele pourrait parfaitement se passer de mise en scène pour renaître de ses cendres.              


Semele. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Pretty Yende, Ben Bliss, Alice Coote… Direction : Emmanuelle Haïm. Mise en scène : Olivier Maers. Orchestre et chœur Le Concert d’Astrée.
Durée : 3h
Théâtre des Champs-Elysées, les 11, 13, 15 février à 19h30. Le 9 février à 17h.

XV de France: pas encore au point!

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Célébration anglaise après l'essai d'Eliott Dally à la 79ème minute © Anthony Hanc/Shutterstock/SIPA

Samedi dernier, la France s’est inclinée par un petit point d’écart contre l’Angleterre (26-25), mettant fin à quatre ans d’invincibilité française contre son adversaire de toujours…


Une du Midi Olympique, journal français du rugby de référence, 10 février 2025.

Le XV de la Rose a donné raison à Pythagore, philosophe et mathématicien de la Grèce antique dont le théorème « le carré de l’hypoténuse… » nous a fait découvrir à notre adolescence les joies et les désagréments de la géométrie. Selon lui, « rien n’est impossible même l’invraisemblable ». Et, en effet, l’invraisemblable s’est produit samedi à Twickenham, seconde journée du Tournoi des Six nations, par une fin d’après-midi grise et triste, typique d’un hiver d’Outre-Manche. L’équipe de rugby d’Angleterre a gagné son match contre la France qu’elle perdait à un peu moins de soixante secondes du coup de sifflet final.

Un match mouvementé

À ce moment, la victoire était acquise aux Bleus vu le peu de temps de jeu qui restait. Ils menaient par 25 à 19 après être revenus quatre minutes auparavant, à la marque grâce à un miraculeux essai de son véloce ailier Bielle-Biarrey transformé, aboutissement d’une audacieuse contre-attaque initiée par Antoine Dupont. Quatre autres minutes avant, à la 71ème, pour la première fois bien que dominés pratiquement au tout au long de la rencontre, les Anglais avaient pris l’avantage d’un petit point, 19 à 18.

Le match s’emballe alors et vire à une sorte de partie de ping-pong. Les deux équipes se livrent à un duel de coups de pied pour porter le danger près de la ligne d’en-but et faire craquer la défense adverse qui tourne à la 75ème minute à l’avantage des Français. Grâce à l’essai de Bielle-Biarrey, les Bleus ont engrangé six points d’avance, certes qui ne les mettent pas à l’abri d’un essai transformé. Mais pour tout esprit rationnel, celui-ci est peu probable, autrement dit impossible. L’affaire semble donc bouclée et le XV de la Rose s’apprête à subir l’humiliation d’une quatrième défaite consécutive et, le pire, sur ses terres.

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Lorsque à un peu plus de deux minutes de la fin, les Bleus perdent le contrôle du ballon. Les Anglais tentent le tout pour le tout. D’un coup de pied, ils cherchent à porter le jeu dans les 22 mètres et à livrer un baroud pour l’honneur.

Toutefois, la chance n’est pas en leur faveur. Le vigilant et agile arrière Ramos est à la réception. Mais, revirement du sort inespéré, il se fait plaquer et commet l’irréparable faute en ne lâchant pas le ballon une fois à terre. Une aubaine pour les Anglais qui leur offre une touche à cinq mètres de l’en-but. Celle-ci jouée, les Bleus résistent farouchement. Les assauts anglais sont vains quand se produit « l’invraisemblable ». Deux défenseurs bleus laissent un maigre interstice entr’eux dans lequel va se faufiler le trois-quarts central anglais Elliot Daly et aplatir entre les deux poteaux assurant en conséquence sa transformation.

Une revanche pour le rugby anglais

Plus que jamais ce 112ème affrontement entre Anglais et Français a mérité la qualification que lui a donnée la presse britannique de « crunch » qu’on peut traduire en français par « choc majeur ». A l’issue de ce dernier, les supporteurs anglais ont dû se dire : « My god, what a crazy crunch ». En 2024, la France l’avait emportée par deux points d’avance (33-31). Cette fois-ci l’Angleterre a gagné d’un point (26-25). Comme l’a dit Antoine Blondin, chantre de l’Ovalie et du Tour de France, « Les Anglais ne perdent jamais, mais, parfois, on les bat. » Ce ne fut pas le cas cette fois-ci.

Cette victoire étriquée obtenue quand tout semblait perdu est une bouffée d’oxygène (très probablement que temporaire) pour le rugby anglais qui connait, comme l’a souligné Le Figaro du 7 février, « une crise financière et institutionnelle majeure ». Trois clubs de l’élite ont depuis la crise du Covid-19 mis la clé sous la porte dont les Wasps (six titres nationaux et deux coupes d’Europe à leur palmarès). Sept sont au bord de la faillite. Sa première division ne compte plus que dix clubs. Ses meilleurs joueurs s’expatrient. Le nombre de licenciés est en chute libre. « Pour ne rien arranger, souligne Le Figaro, la RFU (la fédération anglaise de rugby) est traversée par une grave crise de gouvernance » qui a contraint son président, Tom Llube, à démissionner.

Pour la France, cette défaite est amère, comme l’a reconnu Antoine Dupont, son capitaine. « On ne peut que s’en prendre qu’à nous-mêmes, surtout en première mi-temps. On aurait dû marquer trois essais. » Les Bleus ont cumulé 27 fautes de main dont 15 dans les quarante premières minutes. « Inutile de faire dans l’indulgence, écrit Romain Bayeux dans les colonnes du Parisien-dimanche, et de pointer ce léger crachin venu mouiller Twickenham. Il avait plu en 2023 », rappelle-t-il, quand les Bleus avaient administré une cuisante correction (53 à 10) aux Anglais.

Cependant cette défaite n’hypothèque pas tout à fait ses chances d’emporter le tournoi même si celles-ci sont très minces. Le match France-Irlande le 8 mars pourrait se profiler comme une éventuelle finale, si les Bleus ne perdent pas contre l’Italie et l’Écosse. Et surtout, à condition que l’Irlande connaisse une déconvenue contre ses deux prochains adversaires, le Pays de Galle et l’Italie. Ce qui paraît très peu probable. À ce stade de la compétition, elle est la seule sélection invaincue et semble bien déterminée à le demeurer.

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* traduction en français des années 60 du Sud-ouest, patrie de l’Ovalie hexagonale : « Putain de gozon, ça pour une castagne, ç’a été une castagne. »

Et si Milei devait nous inspirer?

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La une du "Point" du 6 février 2025 © D.R.

La couverture du Point sur le « phénomène Milei » a de quoi interpeller. Pendant que l’Argentine taille dans le vif de son État-obèse, la France continue de se gaver de lois et de règlements comme si la démocratie se mesurait au poids de son Code…


D’abord se débarrasser de l’argument trop facile qui consiste à soutenir que les avancées des autres pays ne seraient pas applicables en France. C’est parfois vrai, mais pas toujours. On a le droit d’essayer.

L’excellent numéro du Point, consacré au « phénomène Milei », nous éclaire sur ce président argentin qu’on aurait bien tort de tourner en dérision tant il démontre, notamment dans un entretien substantiel, à quel point ses visions libertaires, sa détestation de « l’État » et son obsession de chercher autant que possible à libérer les énergies, les compétences et l’esprit d’entreprise de chacun, constituent des pistes sérieuses qui méritent d’être examinées.

L’axe central de sa pensée est une volonté de simplification, sur tous les plans. Loin de considérer que la complexité du monde contraint à l’alourdissement des contraintes réglementaires et législatives, à la multiplication des textes et des limites, il met en œuvre exactement l’inverse.

Il me semble que la France, de droite comme de gauche, est au moins accordée sur ce plan inverse : la démocratie n’est pas digne de confiance si elle n’ajoute pas à la masse des lois et des règlements, si elle n’apporte pas sa pierre à l’édifice déjà monumental d’une République qui ne se sent bien que si elle aggrave, complique et sophistique. Aux antipodes donc de la pratique présidentielle de Javier Milei.

À lire aussi, Charles Gave : L’Argentine à la tronçonneuse

Pourtant, c’est lui qui a raison. Le bon sens, l’expérience et la comparaison avec les gouvernements et les administrations efficaces fournissent une leçon sans équivoque : le remède à l’ambiguïté du monde, au chaos et au désordre de notre nation, à l’infinie diversité de la société, n’est pas une surenchère qui irait dans le même sens. C’est l’inverse : il faut une répudiation du surabondant, un refus du superfétatoire, une destruction de l’inutile, une épuration administrative. Diminuer la tentative désespérée et en définitive absurde de coller aux évolutions par la profusion législative serait déjà la première marche d’un progrès décisif.

Notre pays se sauvera en devenant plus léger, en luttant contre son obésité. Il convient que sorte de l’esprit collectif et de la tête des dirigeants le poncif que la réussite politique passe par le nombre et donc une bureaucratie pléthorique.

Les seules périodes au cours desquelles on supprime tiennent à la victoire de telle ou telle idéologie jugeant insupportable de conserver le dispositif antérieur. Par exemple Robert Badinter, quand il est devenu garde des Sceaux, a fait table rase de lois appartenant à la nuit alors que le jour vanté par Jack Lang avait fait son apparition en 1981.

Tronçonner « les budgets publics et les réglementations » à la manière de Milei et de son ministre de la Dérégulation et de la Transformation de l’État est donc tout sauf une absurdité ou une provocation. Le second raconte : »Je suis allé voir Milei avec deux paquets de 500 lois à abroger. Il m’a dit : « Fonce ! » ».

On comprend que l’Italie et les États-Unis soient très intéressés par l’expérience argentine.

Qu’attend donc la France pour s’inspirer de Milei ?

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Dorange: jeunesse de France

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La navigatrice Violette Dorange, Les Sables d'Olonne, 10 novembre 2024 © ADIL BENAYACHE/SIPA

Le Vendée Globe a aujourd’hui son icône au féminin. Violette Dorange, 23 ans seulement. Et seulement quatre-vingt dix jours pour boucler son tour du monde en solitaire et sans escales. On admire. Sans réserve.

Sa prouesse personnelle, individuelle est aussi un magnifique exemple de ce que peut donner un esprit de transmission bien comprise. Le navigateur hyper chevronné Jean Le Cam l’a prise sous son aile, lui a transmis son bateau, un modèle déjà ancien, ainsi que son expérience, sa maîtrise de ces réglages techniques d’une infinie complexité qu’exige ce défi au long cours. Monter le budget, monter l’équipe, toute une épopée humaine pour un résultat des plus aléatoires au bout de laquelle ce peut être la gloire, comme aujourd’hui, ou l’amère désillusion du naufrage, de l’échec. Voire la vie perdue dans des rugissants sans merci.

A lire aussi: Merwane Benlazar: l’habit fait Anne-Élisabeth Lemoine

Violette Dorange, c’est la jeunesse de France telle qu’on l’aime, celle dont on ne parle pas assez. Celle qui a du souffle, de l’ambition, de la ténacité et qui pourtant cultive la simplicité, la fraîcheur, l’humilité. L’humilité qu’imposent les immensités océanes à qui s’aventure à les affronter. La jeune femme compte plus d’un million d’abonnés, d’amis sur les réseaux. On s’en réjouit. Les influenceurs, parfois fort douteux, ne sont donc pas les seuls à faire recette. Et c’est très bien ainsi.

Il faudrait à présent qu’on sache, en haut lieu, ériger la jeune femme en modèle, qu’on raconte dans les classes son exploit et les vertus requises pour le mener au bout. Des qualités, des vertus essentielles, qu’on ait à naviguer sur les vastes mers ou à se coleter avec le quotidien de l’existence.

Toujours est-il qu’un mot tout simple s’impose au moment même où la très talentueuse nouvelle petite fiancée de l’océan franchit la ligne.

Et ce mot est tout simplement MERCI !

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Yvonne Beauvais, femme ardente

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Jean de Saint-Cheron © JF PAGA.

Yvonne Beauvais, religieuse et résistante décorée par de Gaulle, a transformé son couvent en clinique moderne et a courageusement caché des Juifs et des résistants pendant la guerre, avant d’être torturée par la Gestapo. Mais son mysticisme, marqué par des phénomènes surnaturels, a suscité la méfiance, conduisant l’Église à abandonner sa canonisation en 1960 avec l’argument « Trop de miracles ». Jean de Saint-Cheron retrace son destin fascinant…


Notre époque matérialiste supporte difficilement l’intrusion du surnaturel dans nos vies de consommateurs soumis à l’immédiateté et à l’horizontalité. Dès que l’on parle de mystique, de phénomènes irrationnels, de prophéties, de stigmates, de bilocation, de visions autres que celles sous psychotropes, la société du Spectacle crie à la supercherie et s’imagine devant un tableau des Peintures noires de Goya. On ne comprend rien à l’épopée de Jeanne d’Arc, à son message universel, lorsqu’elle brûle devant une foule sidérée. On méprise les paroles de Saint-Bernard, prononcées en 1146, sur la colline de Vézelay, exhortant les paysans illettrés à le rejoindre pour grossir les rangs de la Deuxième croisade. On ne comprend guère mieux l’Appel du 18-Juin du général de Gaulle si l’on n’admet pas un acte dicté par l’irrationnel. Même le Vatican, parfois, se méfie des « miracles » et refuse de les reconnaitre. « Trop de miracles », déclare l’inquisition de l’Église de Rome, en 1960, après avoir examiné le cas d’Yvonne Beauvais, morte le 3 février 1951, des suites d’un cancer du sein, à l’âge de quarante-neuf ans. Le dossier de canonisation est alors définitivement refermé.

DR.

Mais qui était cette femme ? Une mythomane ? Une illuminée ? Une malade rongée par l’absence du « phallus symbolique » ? Ou une femme trop libre, à la volonté de fer, dans une société patriarcale ? Dans un livre passionnant, qui se lit comme un roman de Simenon, Jean de Saint-Cheron mène l’enquête au pays de cette belle jeune femme qui se fit religieuse à l’âge de 26 ans et transforma le monastère des Augustines de Malestroit en une clinique moderne. Pas mal pour une prétendue possédée. On le suit pas à pas dans la Bretagne tellurique, sous les ornières du ciel, cette Bretagne « parsemée de bosquets de chênes, de menhirs et d’Intermarché ‘’Les Mousquetaires’’ ». On découvre le couvent gothique, les boules bleues des hortensias, les silhouettes massives des taiseux qui passent sans vous regarder. C’est le territoire d’Yvonne Beauvais, connue sous le nom d’Yvonne-Aimée de Malestroit. Son dévouement, sa bravoure, sa foi méritaient un livre de cette dimension. Jean de Saint-Chéron lui rend un vibrant hommage tout en n’hésitant pas à éclairer les zones sombres de sa personnalité. Sans être une « sainte bataillienne », les crises mystiques d’Yvonne obligent à la prudence tant les phénomènes de stigmates et de prémonitions, ainsi que ses visions violentes, sont formidables. L’auteur nous apprend qu’elle fut également une grande résistante, ce qui n’est pas rien dans une France collaborationniste. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Mère supérieure est gaulliste. Malestroit cache massivement des résistants, des parachutistes alliés, sans oublier cette jeune juive qui échappe aux wagons plombés. Yvonne est arrêtée par la Gestapo, elle subit la torture, ne parle pas, à l’instar de Jean Moulin qui aura le visage détruit par les coups. Cette femme, par son courage, devient comme une sœur des suppliciées de Ravensbrück. Extrait : « Quand on la torture le 17 février 1943 à la prison du Cherche-Midi, alors que des plaintes cauchemardesques s’échappent des cellules voisines, Yvonne Beauvais ne hurle pas. Le benêt qui la violente la regarde danser sur ses orteils, tandis que ses épaules se déforment sous les assauts du cuir. Elle souffre en silence. » Elle sera décorée de la Légion d’honneur par le général de Gaulle. C’était une époque où cette décoration signifiait quelque chose.

Pour la comprendre, et l’aimer, il y a cette lettre écrite à Marguerite Villemont, datée du 2 novembre 1925 : « Ce soir, en visitant des tombes de famille, des amis, des connaissances, je sentais un bonheur intense m’envahir. Oh ! si le monde pouvait comprendre ce qu’est vraiment la mort. Mourir, c’est enfin sortir du moi borné et se jeter dans l’infini de Dieu. »

Jean de Saint-Cheron, Malestroit, Vie et mort d’une résistante mystique, Grasset. 224 pages.

Le rond, maître du jeu

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Jacques Villeret, Jane Birkin et Michel Blanc, "Circulez y'a rien a voir" de Patrice Leconte, 1983 © NANA PRODUCTIONS/SIPA

Monsieur Nostalgie nous parle de Jacques Villeret (1951 – 2005), disparu il y a vingt ans, et qui a fait l’objet d’un documentaire « Drôlement tragique » réalisé par Christophe Duchiron, diffusé sur France 3 et visible en replay sur la plateforme France TV


Quand d’habitude, la télévision évoque Jacques Villeret, elle psychologise à mort. Elle sort les violons et le pathos englue les images d’archives. Elle se repaît des douleurs du comédien, il en était rempli, à ras-bord même, pour bien nous instruire que derrière la vedette, l’homme fracassé et instable, sommeillait. Que derrière les rôles, la misère sourde des existences sur un fil criait son désespoir ; alcool, divorce, fisc, origine, Villeret est, à lui seul, une mine d’or pour les contempteurs du divan. Un provincial venu de Loches, fils d’un agent d’entretien et d’une mère coiffeuse qui a décroché l’un des plus difficiles concours d’Etat, un exemple de la méritocratie des planches, formé par Louis Seigner. Oh que oui, il a morflé, il est mort à 53 ans, à quelques jours de son anniversaire. Il buvait à en perdre la raison. Il n’arrivait pas à réguler ses démons. Quand on a dit ça, on n’a absolument rien dit du comédien, de ses performances et de la trace qu’il laisse derrière lui.

Phénoménal

Le documentaire n’élude rien de ses drames personnels, ses déambulations pathétiques et de son caractère virant du doux mélancolique aux récoltes amères, du petit Tourangeau rondouillard à la bête écorchée après le spectacle, mais surtout, il nous montre Villeret le virtuose, en action, dans des extraits où sa voix, son visage, ses gestes et sa fantaisie produisent un effet bœuf. Villeret était un phénomène, à l’instar de Depardieu ou de Carmet. Il est lui-même et mille rôles à la fois. La marque des très grands. Ses fêlures nourrissaient-elles l’acteur ? On s’en fout. Les coulisses, les combines, les transformations, les errements, on s’en fiche, car le public féroce juge la performance pure. Il juge le travail fini et non les brouillons, les « peut-être », les « excuses », les « j’aurais pu mieux faire si… ». La mécanique ombrageuse des acteurs, leur carburant ou leurs trucs pour parvenir à leurs fins nous sont bien égal. Le public paye sa place pour un moment de divertissement, dramatique ou comique, et parfois, s’il est chanceux – avec Villeret, il était extrêmement chanceux – il entrevoit les reflets de l’Art, dans un seul en scène ou dans dix minutes de bravoure à l’écran.

Au-dessus du lot

Avec Villeret, l’Art est gagnant à tous les coups. Ses complices du Conservatoire, Nathalie Baye notamment, ont été subjugués par son sens du jeu inné et profond, sa perpétuelle dualité entre le visible et le rentré, Villeret excellait dans les masques interchangeables. C’était un bonze timide, et puis, la seconde d’après, par une expression, par un travail et des dons peu communs, il se mouvait en romantique pensif ou en bouc-émissaire tendre. Le public qui ne pardonne pas les turpitudes des célébrités lui était attaché pudiquement, viscéralement. Tous les acteurs qui interviennent dans ce documentaire, Weber, Lhermitte, ou les metteurs en scène Leconte, Lelouch ou Ribes répètent les mêmes qualificatifs : « au-dessus du lot » et « surdoué ». Ses performances au cinéma sont désormais des moments d’anthologie, je le préfère dans la Denrée que dans Papy, et dans Robert et Robert que dans Pignon. Il me semble qu’il y a maldonne dans l’analyse générale, on loue son talent en affirmant qu’il nous ressemblait, qu’il était l’étendard de notre humanité vacillante, qu’il vengeait tous les écorchés et les exclus. Au contraire, je crois qu’il nous fascinait car il était à des années-lumière de nous, il était un monstre sacré. Le public ne s’y trompe pas, il le plébiscitait pour voir quelque chose d’unique, de rare, de friable et d’une émotion scintillante. Ce que le commun des mortels est bien incapable de produire dans son quotidien. Le documentaire ne laisse aucun doute sur la maestria de Villeret dans Garçon ! ou La Soupe aux choux, il surclasse Montand et Funès, il leur mange la soupe sur la tête. Il vole avec les aigles. Je ne me lasse pas de le revoir dans « Circulez y a rien à voir ! » que Patrice Leconte n’apprécie pourtant guère, alors que cette comédie me ravit par son empreinte nostalgique. Je garde en mémoire ce que Villeret dit à Michel Blanc : « Tu me fais peur, qu’est-ce que tu mijotes ? ».


1 heure

https://www.france.tv/documentaires/documentaires-art-et-culture/6845761-jacques-villeret-drolement-tragique.html