Monsieur Nostalgie nous parle de Jacques Villeret (1951 – 2005), disparu il y a vingt ans, et qui a fait l’objet d’un documentaire « Drôlement tragique » réalisé par Christophe Duchiron, diffusé sur France 3 et visible en replay sur la plateforme France TV
Quand d’habitude, la télévision évoque Jacques Villeret, elle psychologise à mort. Elle sort les violons et le pathos englue les images d’archives. Elle se repaît des douleurs du comédien, il en était rempli, à ras-bord même, pour bien nous instruire que derrière la vedette, l’homme fracassé et instable, sommeillait. Que derrière les rôles, la misère sourde des existences sur un fil criait son désespoir ; alcool, divorce, fisc, origine, Villeret est, à lui seul, une mine d’or pour les contempteurs du divan. Un provincial venu de Loches, fils d’un agent d’entretien et d’une mère coiffeuse qui a décroché l’un des plus difficiles concours d’Etat, un exemple de la méritocratie des planches, formé par Louis Seigner. Oh que oui, il a morflé, il est mort à 53 ans, à quelques jours de son anniversaire. Il buvait à en perdre la raison. Il n’arrivait pas à réguler ses démons. Quand on a dit ça, on n’a absolument rien dit du comédien, de ses performances et de la trace qu’il laisse derrière lui.
Phénoménal
Le documentaire n’élude rien de ses drames personnels, ses déambulations pathétiques et de son caractère virant du doux mélancolique aux récoltes amères, du petit Tourangeau rondouillard à la bête écorchée après le spectacle, mais surtout, il nous montre Villeret le virtuose, en action, dans des extraits où sa voix, son visage, ses gestes et sa fantaisie produisent un effet bœuf. Villeret était un phénomène, à l’instar de Depardieu ou de Carmet. Il est lui-même et mille rôles à la fois. La marque des très grands. Ses fêlures nourrissaient-elles l’acteur ? On s’en fout. Les coulisses, les combines, les transformations, les errements, on s’en fiche, car le public féroce juge la performance pure. Il juge le travail fini et non les brouillons, les « peut-être », les « excuses », les « j’aurais pu mieux faire si… ». La mécanique ombrageuse des acteurs, leur carburant ou leurs trucs pour parvenir à leurs fins nous sont bien égal. Le public paye sa place pour un moment de divertissement, dramatique ou comique, et parfois, s’il est chanceux – avec Villeret, il était extrêmement chanceux – il entrevoit les reflets de l’Art, dans un seul en scène ou dans dix minutes de bravoure à l’écran.
Au-dessus du lot
Avec Villeret, l’Art est gagnant à tous les coups. Ses complices du Conservatoire, Nathalie Baye notamment, ont été subjugués par son sens du jeu inné et profond, sa perpétuelle dualité entre le visible et le rentré, Villeret excellait dans les masques interchangeables. C’était un bonze timide, et puis, la seconde d’après, par une expression, par un travail et des dons peu communs, il se mouvait en romantique pensif ou en bouc-émissaire tendre. Le public qui ne pardonne pas les turpitudes des célébrités lui était attaché pudiquement, viscéralement. Tous les acteurs qui interviennent dans ce documentaire, Weber, Lhermitte, ou les metteurs en scène Leconte, Lelouch ou Ribes répètent les mêmes qualificatifs : « au-dessus du lot » et « surdoué ». Ses performances au cinéma sont désormais des moments d’anthologie, je le préfère dans la Denrée que dans Papy, et dans Robert et Robert que dans Pignon. Il me semble qu’il y a maldonne dans l’analyse générale, on loue son talent en affirmant qu’il nous ressemblait, qu’il était l’étendard de notre humanité vacillante, qu’il vengeait tous les écorchés et les exclus. Au contraire, je crois qu’il nous fascinait car il était à des années-lumière de nous, il était un monstre sacré. Le public ne s’y trompe pas, il le plébiscitait pour voir quelque chose d’unique, de rare, de friable et d’une émotion scintillante. Ce que le commun des mortels est bien incapable de produire dans son quotidien. Le documentaire ne laisse aucun doute sur la maestria de Villeret dans Garçon ! ou La Soupe aux choux, il surclasse Montand et Funès, il leur mange la soupe sur la tête. Il vole avec les aigles. Je ne me lasse pas de le revoir dans « Circulez y a rien à voir ! » que Patrice Leconte n’apprécie pourtant guère, alors que cette comédie me ravit par son empreinte nostalgique. Je garde en mémoire ce que Villeret dit à Michel Blanc : « Tu me fais peur, qu’est-ce que tu mijotes ? ».
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