Le meilleur défenseur sochalien est… avocat à Epinal!

Nous nous étions rencontrés alors qu’il plaidait un référé au tribunal administratif de Besançon. Il s’était étonné que nous soyons là. Le FC Sochaux-Montbéliard, contrairement au petit club de Luzenac qui avait opté pour la pression médiatique, avait choisi la discrétion. Mais nous avions d’excellentes sources.
Ce jour-là, Maître Yanis Zoubeidi-Defert, puisque c’est de lui dont il s’agit, jeune avocat inscrit au barreau d’Epinal, avait déjà montré tout son talent, expliquant au juge administratif pourquoi il fallait d’ores et déjà arrêter les championnats de France de football 2014-2015 de Ligue 1 et de Ligue 2, afin de réintégrer le FC Sochaux dans l’élite. Cette fois-ci, le tribunal ne l’avait pas suivi, jugeant que les compétitions ne pouvaient être interrompues à ce stade mais reconnaissant que la demande du club franc-comtois n’avait rien d’illégitime en droit. Le jugement sur le fond allait le confirmer.
Comme nous vous l’annoncions il y a un an, l’avocat vosgien terrassait Frédéric Thiriez et Noël Le Graët, représentants la Ligue professionnelle de football et la Fédération, le tribunal administratif de Besançon jugeant que l’accession du RC Lens en Ligue 1 avait été obtenue de manière illégale, passant outre les décisions souveraines de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG).
La LFP et la FFF firent donc appel devant la Cour administrative d’appel de Nancy, qui a confirmé ce mardi la décision du tribunal administratif de Besançon. Là encore, saluons le travail et le talent de l’avocat qui double ainsi la mise.
On ne sait encore si Thiriez et Le Graët porteront l’affaire en cassation devant le Conseil d’Etat. Après tout, les deux pontes du foot français ne sont plus très copains : ils sont depuis l’an dernier en plein conflit à propos du nombre de montées et de descentes entre la Ligue 1 et la Ligue 2.
Ce serait néanmoins pour eux une manière de gagner du temps avant de passer à la caisse. La descente illégale de Sochaux a causé un sérieux manque à gagner, lequel se chiffre à plusieurs millions d’euros. Grâce à celui qui est, sans contestation possible, le meilleur joueur sochalien depuis deux ans, Thiriez et Le Graët y subiront sans le moindre doute une troisième défaite d’affilée. Leur démission conjointe, suite à ce fiasco juridique, moral, financier et surtout inédit, ne serait pas de trop.
Baisse de l’espérance de vie: haut les cœurs!

Laurent Chalard est docteur en géographie et membre du think tank European centre for International Affairs.
Céline Revel-Dumas : Une récente étude de l’Insee annonce une baisse de l’espérance de vie en France, pour la première fois depuis quarante-cinq ans. Face à l’inquiétude suscitée par cette information, vécue comme le symptôme d’un déclin – à la fois social et sanitaire – il convient d’essayer de la comprendre. Qu’est-ce exactement que « l’espérance de vie » et comment l’Insee la calcule-t-elle ?
Laurent Chalard : « L’espérance de vie à la naissance » est un concept statistique calculé par les démographes, qui a pour but de déterminer quelle serait la durée de vie moyenne d’une génération d’individus qui viendrait de naître dans l’année si cette génération connaissait au cours de sa vie les mêmes conditions de mortalité à chaque âge que les personnes décédées l’année écoulée. Les chiffres de l’espérance de vie à la naissance en France en 2015 que vient de publier l’Insee sont donc calculés sur les personnes décédées en 2015.
L’espérance de vie donnée à un instant « t » est-elle fiable ?
Du fait de son mode de calcul, l’espérance de vie à la naissance se présente uniquement comme une projection et ne reflète donc pas la durée de vie réelle d’une génération. En effet, tout au long du XXe siècle, la durée de vie moyenne des générations de français a été plus importante que l’espérance de vie moyenne au moment où elles sont nées, du fait des améliorations considérables des conditions sanitaires et médicales au cours de leur vie. Cela sous-entend que, sauf catastrophe géopolitique et/ou épidémiologique, les enfants nés en France en 2015 peuvent espérer vivre plus longtemps que l’espérance de vie calculée par l’Insee à cette date.
Ces données sont-elles, comme l’expliquent les démographes, « conjoncturelles » – dues aux épidémies de grippe, ou à des conditions météorologiques extrêmes – ou peuvent-elles véritablement être révélatrices d’une dégradation durable de notre environnement (pollution) et de nos conditions de vie (stress, alimentation, sédentarité, crise économique…) ?
La démographie se caractérise par l’irrégularité des variations annuelles, les données statistiques étant rarement linéaires. Les facteurs d’évolution d’ordre conjoncturels sont nombreux et expliquent une large partie des variations annuelles des différents indicateurs démographiques constatées. Il faut donc analyser ces derniers sur la durée pour pouvoir déterminer les grandes évolutions structurelles et éviter les interprétations erronées. Par exemple, la légère baisse de l’espérance de vie constatée aux Etats-Unis en 2008 avait été largement reportée par les médias américains, qui s’en inquiétaient, alors qu’elle est repartie à la hausse les années suivantes.
Concernant l’espérance de vie à la naissance en France, deux principaux facteurs conjoncturels jouent un rôle à l’heure actuelle : l’ampleur de l’épidémie de grippe en hiver et l’existence d’un épisode caniculaire en été. Lorsque la première est peu virulente et que la seconde est inexistante, la mortalité baisse et l’espérance de vie progresse sensiblement. Cela a par exemple été le cas pour l’année 2014, où l’espérance de vie a progressé de 0,5 an pour les hommes et 0,4 an pour les femmes, soit une hausse très importante ! A contrario, lorsque l’épidémie de grippe est particulièrement virulente et que l’été a connu une période caniculaire, combinaison relativement rare, l’espérance de vie peut stagner, voire baisser, ce qui correspond à la situation constatée en 2015, qui a vu l’espérance de vie se réduire de 0,3 an pour les hommes et les femmes.
La diminution de l’espérance de vie moyenne à la naissance en France constatée en 2015 correspond donc en large partie à un facteur conjoncturel. Il est fort probable que la mortalité sera plus faible en 2016, faisant repartir l’espérance de vie à la hausse. Le seul élément d’inquiétude concerne l’espérance de vie des femmes, qui augmente beaucoup plus lentement ces dernières années, conséquence logique de la multiplication des comportements à risque chez le sexe féminin, dont le tabagisme.
Cette tendance est-elle déjà apparue dans un autre contexte ?
À l’échelle internationale, depuis la seconde guerre mondiale, les fortes baisses de l’espérance de vie sur une longue durée ont concerné des Etats en déliquescence ou en guerre et des Etats fortement touchés par l’épidémie du SIDA. Cependant, d’une certaine manière, celles-ci sont également conjoncturelles, puisque dès que l’instabilité politique prend fin ou qu’un remède médical est trouvé, l’espérance de vie repart à la hausse, retrouvant, et bien souvent dépassant, son niveau d’avant crise. Par exemple, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, entre 1987 et 1994, l’espérance de vie en Russie a diminué de plus de 7 ans pour les hommes et de plus de 3 ans pour les femmes. Puis, entre 1994 et 2014, elle est remontée de plus de 8 ans pour les hommes et de plus de 5 ans pour les femmes. En Afrique du Sud, suite à l’épidémie de Sida, l’espérance de vie pour l’ensemble de la population était descendue à 52 ans en 2005, puis, grâce à l’introduction des médicaments anti-rétroviraux, elle a fait un bond spectaculaire à 61 ans en 2014. Jusqu’ici, la tendance structurelle sur la planète est à la hausse de l’espérance de vie.
Ecole, jusqu’ici tout va mal

La contestation gronde de toutes parts, le bulldozer de la réforme avance. Sauf miracle qui reproduirait la défense de l’école libre en 1984, le collège Najat entrera en vigueur à la rentrée prochaine – et avec lui les nouveaux programmes dont on a tort de si peu parler.
Collège, latin-grec, orthographe : les salles des profs hésitent entre rage et désespoir, les réseaux sociaux sont en émeute, des pétitions circulent, des grèves isolées se multiplient, des parents entrent dans la danse. L’accent circonflexe ne cédera pas. Les langues mortes vivront. Fait notable, c’est une partie des bataillons traditionnels de la gauche qui s’insurge contre le progressisme scolaire sous toutes ses formes. Najat Vallaud-Belkacem peut bien admonester ses prédécesseurs, coupables de confondre dans le même opprobre une réforme de l’orthographe qui selon elle n’existe pas et à laquelle elle n’a, il est vrai, pris aucune part (sauf peut-être en encourageant les éditeurs de manuels mais c’est une supposition), il faut croire que les petits esprits se rencontrent.
Une idéologie faussement égalitaire
C’est bien la même idéologie, bétassonne, uniformisatrice et faussement égalitaire, qui préside à la simplification de l’orthographe et à la destruction du collège, lentement mais sûrement transformé en centre d’animation socio-culturel. Puisque le latin-grec, comme l’orthographe soignée, sont des marqueurs de distinction sociale, on les combattra l’un et l’autre. On pourrait au contraire rêver d’offrir à tous les élèves ces possibilités de distinction hautement méritocratiques. Mais comme l’écrit un ancien enseignant[1. Marc Le Bris, « Réforme du collège : la double faute de Najat Vallaud-Belkacem », Le Figaro, 16 février 2016.], la sottise bourdivine en milieu scolaire a pour effet que l’on « prend désormais les enfants de la classe ouvrière – et aujourd’hui des quartiers défavorisés – pour des incapables congénitaux ».[access capability= »lire_inedits »] La bonne conscience progressiste s’exprime autant dans ce mépris de dame patronnesse pour ceux que l’on prétend vouloir aider, que dans la morgue faussement compatissante réservée aux « pseudo-intellectuels » qui dénoncent en vain la catastrophe. S’il y a quelque chose de glaçant chez la ministre de l’Éducation nationale, c’est son apparente incapacité à ressentir la moindre inquiétude, mais aussi la moindre empathie pour ceux qui s’inquiètent.
Dans ce champ de ruines, on aurait tort de passer sous silence les bonnes nouvelles. La première est que, pour l’orthographe comme pour le collège, la résistance n’est pas venue de quelques hypothétiques nostalgiques des coups de règles, mais de l’ensemble de la société, des classes moyennes et des classes populaires qui veulent qu’on enseigne l’effort à leurs enfants. Cela réjouit l’académicien Alain Finkielkraut qui n’apprécie guère l’ardeur simplificatrice de ses pairs et prédécesseurs : « C’est le peuple qui défend ce bien commun qu’est la langue contre une réforme bureaucratique, c’est le peuple qui veille sur les morts et qui refuse à quelques vivants péremptoires le droit d’effacer ses traces orthographiques. » Et c’est le peuple qui ne se résigne pas à ce que l’on fasse de ses enfants des petits barbares sans racines et sans règles.
Une minsitre experte en djihadisme et mixité
La deuxième bonne nouvelle, et le deuxième point commun entre la réforme de l’orthographe et celle du collège, c’est qu’elles ne passeront pas sans les profs, ce qui signifie qu’elles ne passeront peut-être pas du tout. Ceux-ci, en effet, refusent d’être enrôlés pour éradiquer le djihadisme et supprimer les inégalités, ils veulent enseigner. Or, significativement, la plupart des interventions récentes de la ministre n’avaient strictement rien à voir avec l’enseignement. Le 24 janvier, dans le « Supplément » de Canal + , le journaliste qui l’a suivie une semaine durant, l’interroge comme experte, à la fois en djihadisme et en mixité sociale. Émerveillé, il semble penser que Najat Vallaud-Belkacem a trouvé la pierre philosophale : « Mélanger les riches et les pauvres dès l’école pour empêcher le communautarisme, terreau de l’islam radical. » Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?
Affairée qu’elle est à changer le monde, la ministre ne se soucie guère des humeurs enseignantes. Sinon, elle comprendrait que, comme l’observe judicieusement Le Bris, sa réforme « enlève aux enseignants leur véritable moteur interne, la satisfaction du travail bien fait ; la satisfaction d’emmener un mauvais élève vers du mieux, mais aussi celle d’envoyer un bon élève briller plus haut, d’où qu’il vienne ». Autant changer de métier : « Le rejet massif de la réforme par les enseignants du secondaire est naturel, conclut Le Bris. On ne pourra jamais les empêcher à ce point d’enseigner. » De fait, sous le prétexte à peine inavoué de punir les bons élèves, tous seront pénalisés. Tous nuls ! – on ne peut imaginer plus égalitaire.
Une envie de sabotage
Certes, la révolte sourde des profs n’empêche pas la machine administrative d’avancer. Au lendemain de la quatrième journée de mobilisation, le 26 janvier – 22 % de grévistes selon le ministère, 50 % d’après les syndicats –, tous les établissements de France ont reçu leur « DHG », « dotation horaire globale », document qui, après plusieurs opérations passablement obscures, sort de l’alambic transformé en emplois du temps pour les élèves et pour les enseignants. Sous l’apparente simplicité du sigle, la DHG prend en compte tellement de paramètres qu’il est impossible de savoir si le nombre d’heures affecté à une discipline a augmenté ou pas, ce qui permet à la ministre d’enfumer tout le monde avec des chiffres fantaisistes. En réalité, avec ses chatoyantes inventions trans ou inter (disciplinaires), la réforme habille de considérations pédagogiques les nécessités budgétaires. Ainsi les heures dévolues aux EPI (les machins interdisciplinaires) et AP (accompagnements personnalisés) sont-elles retirées aux disciplines. Ensuite, chaque établissement se débrouille. Au collège Pierre-de-Geyter[2. Compositeur de la musique de l’Internationale.] de Saint-Denis, où enseigne notre ami Iannis Roder, on a sauvé le latin, mais avec une heure de moins (soit 2 au lieu de 3) en quatrième et en troisième.
Les professeurs ne peuvent rien faire contre le carcan horaire. Il est, heureusement, beaucoup plus difficile de contrôler ce qu’ils feront dans leurs salles de classe. Or, l’idée de résistance passive se propage. « Le mot d’ordre qui circule, observe Iannis Roder, c’est de s’opposer autant que possible à la mise en œuvre de la réforme. ». Certains profs ont été sanctionnés pour avoir boycotté les « journées d’information », que les syndicats appellent « journées de formatage », au cours desquelles des émissaires du rectorat tentent de vendre la réforme aux profs. La plupart s’y rendent et écoutent dans un silence hostile des arguments auxquels ceux qui les emploient ne croient pas.
Cette envie de sabotage est encouragée par le fait que la réforme est objectivement inapplicable, ne serait-ce qu’en raison du surplus de foutoir administratif qu’elle génère. Ainsi les fameux EPI étaient-ils prévus pour être co-animés par deux professeurs. Eh bien, nul ne s’était avisé que cela revenait à doubler la présence de chacun d’eux. Résultat, le ministère a rétropédalé sur la co-animation, et les EPI seront assurés par chacun des professeurs concernés dans son cours. Au point qu’ils pourraient bien ressembler finalement à des cours classiques.
Un jeu de cache-cache avec le ministère
Il est certes désespérant que les professeurs soient obligés de jouer à cache-cache avec l’institution qu’ils représentent pour avoir une chance de faire leur métier et de sauver ce que les bons sentiments n’ont pas encore détruit. Mais il est rassurant de savoir qu’ils ne lâcheront pas. Entre nous et le désastre absolu, ils sont le dernier rempart.
En attendant, que les jeunes Parisiens se rassurent : au terme de cette énième réforme, eux continueront à avoir accès sans problème au latin et au grec, contrairement à pas mal de leurs camarades moins bien nés, en banlieue ou en zone rurale. Cela s’appelle la justice sociale.
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Causeur de mars: Profs, ne lâchez rien!
« Le vrai problème qu’on a aujourd’hui au collège, c’est que les élèves s’ennuient. », s’inquiétait il y a quelque temps Najat Vallaud-Belkacem sur les ondes. La ministre de l’Education nationale est décidément pleine de sollicitude pour nos petites têtes blondes, brunes ou rouquines. Après avoir déconstruit le collège au printemps dernier, l’hôte de la rue de Grenelle a sans doute un nouveau chantier en tête : le lycée. Alarmé par un récent rapport de la Cour des comptes et les conclusions d’une mission parlementaire, Laurent Cantamessi prévoit un prochain passage du collège au lycée uniques. À des fins d’efficacité, le rapport parlementaire Bréhier préconise en effet la création d’un « lycée pour tous » (aussi indiscutable que le mariage du même nom) « mêlant école à la carte et mythologie interdisciplinaire ».
Nos radars placés sous les préaux ne s’y sont pas trompés : chez les profs, la révolte gronde. Bien que le « collège Najat » entre bientôt en vigueur, Elisabeth Lévy salue la résistance passive des enseignants contraints d’appliquer l’interdisciplinarité kafkaïenne et de saborder l’enseignement des humanités. Pour notre chère directrice de la rédaction, « c’est bien la même idéologie, bêtassonne, uniformisatrice, et faussement égalitaire, qui préside à la simplification de l’orthographe et à la destruction du collège. » Et comme de bien entendu, ce n’est pas l’enfant de bourgeois latiniste de Louis-le-Grand qui trinquera mais le petit prolo de Montluçon… Aux yeux de l’ancien recteur d’académie Alain Morvan, que Régis Soubrouillard a interrogé dans nos colonnes, « la suppression des langues anciennes répond à une idéologie : celle de l’arasement » défendue par une « véritable camarilla de bien-pensance pédagogique (qui) a fait son nid au cœur de la rue de Grenelle (…) pour répandre son idéologie toxique » de déculturation.
Bourdieu allié du management ?
Mais cédons la parole à la défense. Chef de file présumé des pédagos, Philippe Meirieu a eu l’élégance de nous accorder un entretien. Proposant « d’accompagner l’élève pour qu’il se dépasse et progresse en étant fier de ses acquisitions », il démonte les clichés qui lui collent à la peau et réaffirme son attachement à la transmission des savoirs. C’est plutôt du côté de Florence Robine, directrice générale de l’enseignement scolaire, qu’il faudrait chercher l’inspiratrice des réformes sauce Najat, fruits d’une hybridation bourdieusisme et fascination pour l’idéologie managériale.
Comme le note malicieusement Elisabeth Lévy, « c’est une partie des bataillons traditionnels de la gauche qui s’insurge contre le progressisme scolaire » débridé. L’annonce d’un virage républicain à bâbord ? En tout cas, une partie du peuple et des intellectuels de gauche redécouvre le réel en matière d’éducation, de laïcité et d’immigration. De quoi inspirer un dossier entier à Causeur, partant du constat dressé par Helvé Algalarrondo : la gauche de Tonton version Epinay, c’est fini ! Au cœur de l’aventure du Printemps républicain, collectif d’intellectuels et de personnalités issus de la gauche républicaine, Marc Cohen nous fait partager son journal d’un laïque en campagne dont l’ardeur militante a été réveillée par les attentats du 13 novembre. Plus circonspect, Gérald Andrieu dresse un état des lieux de la nébuleuse plus large qu’on pourrait qualifier de gauche conservatrice, républicaine, laïque ou tout simplement libre. Revenus des appareils partisans, ses membres divergent cependant sur le terrain économique, ce qui fait pousser un sanglot de regret à mon confrère : ce grand parti sociétaliste a beau avoir raison, faut-il pour autant oublier l’économie ?
« Si affronter le réel c’est être conservateur, alors il existe en effet une gauche conservatrice. », résume le professeur de philosophie du droit Eric Desmons. L’auteur de Mourir pour la patrie qui m’a fait la grâce d’une interview scrute le penchant de l’individu moderne à ne chercher que la poursuite de sa propre survie. Face aux légions de kamikazes de l’Etat islamique, notre incapacité à nous sacrifier pour une cause rend le combat malaisé. Sur le terrain de la lutte antiterroriste, l’expert François Heisbourg se désole de la guerre des polices qui mine l’efficacité de nos services : mises bout à bout, les bourdes et erreurs en tous genres de janvier et novembre 2015 ne laissent pas d’inquiéter…
Stallone et antimodernité
Place à la culture. Tristan Ranx retrace le destin tragique d’Eduardo Rosza-Flores dit Chico, comédien et martyr hongrois passé par les guerres de Yougoslavie, Israël puis l’Amérique du Sud avant de mourir en Bolivie en comédien et martyr du mercenariat. Quant à notre ami Luc Rosenzweig, trop content de commander L’esprit du judaïsme de Bernard-Henri Lévy en vue d’une recension, il a purement et simplement confondu cet essai avec son quasi-homonyme Le génie du judaïsme, signé d’un certain Dominique Zardi. Si une certaine parenté semble relier les deux thèses, rien de commun entre leurs auteurs : le philosophe n’a certainement jamais croisé le regretté acteur abonné aux rôles de brutes. À ce propos, ne boudons pas notre plaisir à lire le portrait-fleuve de Sylvester Stallone que Patrick Mandon a consacré à Rocky Balboa fait homme. Sans oublier un long détour par l’article de Jérôme Leroy autour de Baudouin de Bodinat, post-situ de l’Encyclopédie des nuisances, auteur d’Au fond de la couche gazeuse, dont la démolition grand style de la vie moderne enchantera autant les esthètes en quête de radicalité que les radicaux en quête de beauté.
Avec Alain Finkielkraut, Roland Jaccard, Jérôme Leroy, et L’ouvreuse comme parrains chroniqueurs, vous voilà parés pour la rentrée de février !
Agriculteurs: «L’UE organise la compétition et leur extermination»

Causeur : La part des subventions dans les revenus agricoles n’a cessé d’augmenter depuis 1991, passant de 18% à 97% en 2005. Ce, malgré une production multipliée par deux depuis les années 1960 alors que les prix, eux, ont été divisés par deux. .. L’Etat français doit-il lui aussi soutenir financièrement plus avant le monde agricole ?
Philippe Collin : Il faut se méfier des chiffres. Antérieurement, les « soutiens » — terme que je préfère à celui de « subventions » — n’étaient pas donnés aux paysans mais aux transformateurs et n’apparaissaient donc pas dans les aides directes aux paysans. A la fin des années 70-80, existait ainsi un mécanisme d’aide aux exportations. On donnait par exemple comme aide aux exportateurs, pour envoyer du blé à destination de l’ex-URSS, l’équivalent de ce que l’on donnait aux producteurs pour rémunérer leur travail.
Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est en fait définir un projet européen qui se fixe pour objectif de maintenir des paysans en état de vie et pas seulement en état de survie. L’enjeu est de redéfinir les conditions dans lesquelles on organise la compétition en faisant concourir de manière égalitaire un cheval de course, une formule 1 et un coureur avec un boulet au pied — ce qui est le constat que l’on peut faire de la concurrence d’aujourd’hui. Car il existe des fermes de 1 000, 2 000, 3 000 vaches en Europe qui coexistent avec des paysans qui ont 40 à 50 vaches — c’est la moyenne française.
Il faut donc rompre avec une logique de compétition alors même que l’Europe est appelée « Union ». Peut-on faire une « union » en organisant une compétition et l’extermination de son prochain, en voulant toujours être meilleur que lui ? Assurément non. Si cette Europe n’est pas capable de redéfinir son projet, elle risque donc d’exploser et de conduire à la renationalisation des politiques agricoles. Ce qui est un peu en marche et n’est pas, à terme, une solution très salutaire pour la France qui est un exportateur net de produits agricoles à la différence de la quasi-totalité des autres pays de l’UE. Le Front national devrait d’ailleurs y réfléchir à deux fois avant de proposer la nationalisation de la politique agricole.
Plusieurs modèles d’exploitations agricoles existent : de très petites exploitations (30% en 2000) et de très grandes (30%) qui tendent à se développer au détriment des exploitations de taille moyenne. Au vu de ce constat peut-on envisager une politique publique unique à la crise agricole ?
En effet, il faut cesser de penser que l’on peut avoir une seule politique agricole alors qu’il existe plusieurs agricultures. La supercherie tient à considérer que ces agricultures sont équivalentes. D’abord parce que les soutiens financiers ne sont pas distribués en fonction du nombre de personnes qui y travaillent, mais uniquement en fonction de la taille des exploitations – ils sont même proportionnels. Ensuite, parce que les lieux dans lesquels se pratiquent ces agricultures ne sont pas les mêmes non plus. Il faut admettre la nécessité de politiques agricoles différenciées centrées autour d’un objectif social, et non pas uniquement un objectif de conquête des marchés internationaux au sein desquels ni la France, ni l’Europe ne sont bien placées pour être les meilleures.
Qu’en est-il des différents plans de soutien annoncés par le gouvernement ? Les allègements de charges promis ont-ils portés leurs fruits ?
L’Etat ne peut pas dans des contextes budgétaires contraignants, mettre énormément d’argent sur la table vu l’ampleur de la crise. Il est question du lait, mais on évoquera probablement dans les années qui viennent le secteur céréalier. Dès lors, les mesures de soutiens ponctuelles permettent de traverser les périodes difficiles mais elles ne sont pas de nature à assurer un revenu réel. Les plus fragiles souffriront probablement beaucoup. Il faut ajouter qu’il y a un cadre communautaire extrêmement rigide qui s’applique aux Etats, au nom de la loi sur la concurrence, qui leur interdit de prendre des mesures considérées par l’Union européenne comme anti-concurrentielles. Par l’exemple, il est interdit aux Etats de donner plus de 15 000 euros de soutien direct à un agriculteur.
Comment pourrions-nous lutter efficacement contre la concurrence intra-européenne, notamment celle de l’Allemagne qui fait appel à une main d’œuvre à bas coût venue des pays de l’Est ?
Il faut remettre une dose ponctuelle de soutien direct au niveau communautaire. Certes, les montants distribués en valeur absolue sont déjà très importants. Mais la question tend à interroger le modèle de société dont nous voulons. Nous avons une alimentation relativement abordable avec des produits de qualité. Voulons-nous remettre cela en cause et sacrifier autonomie et sécurité alimentaire ? C’est une question éminemment politique. Je considère pour ma part que l’Europe devrait prendre des mesures adaptées, grâce à des fonds communautaires, pour permettre aux paysans de dépasser la crise agricole actuelle. Dans un second temps, la PAC devrait être remise à plat. Validée récemment, elle est déjà inadaptée car adoptée dans un contexte international moins complexe qu’il ne l’est aujourd’hui. La surproduction est désormais mondiale, car la consommation a évolué et s’est contractée. Il y a trop de lait, trop de céréales. Les pays exportateurs de pétrole ont des revenus en baisse et les pays importateurs de produits agricoles tentent de devenir autonomes. Récemment, la Chine a incité le développement de sa production laitière pour ne pas dépendre d’un marché international fluctuant. La Russie, elle, va profiter de l’embargo pour redémarrer sa production laitière. A cause des sanctions économiques contre la Russie, on ne retrouvera jamais le potentiel d’exportation que l’on avait vers ce pays.
N’existe-t-il pas une forme d’absurdité à ce que le monde agricole se soit offert majoritairement à la FNSEA alors même que son président, Xavier Beulin, incarne à travers l’entreprise qu’il préside, Avril, cette industrie agro-alimentaire qui participe activement à la mort de la paysannerie traditionnelle ? Est-il vraiment contesté par sa base, comme on nous le dit ?
Xavier Beulin est contesté de façon de plus en plus visible. On a beaucoup évoqué les sifflets réservés à François Hollande lors de sa visite au Salon de l’Agriculture, mais il y en a certains qui étaient destinés au patron de la FNSEA. D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que la FNSEA, au travers de ses multiples tentacules, a sous sa coupe une grande partie des institutions et des outils économiques du monde agricole par le biais des coopératives, des Chambres de l’agriculture, des centres de gestion et autres organismes assimilés, qui assurent des missions de conseil et des services.
Pourquoi, après tout, maintenir une agriculture en France ? Au-delà du simple aspect productif, quel rôle social joue l’agriculteur au sein des campagnes ?
Les Anglais ont considéré au XIXème siècle que plutôt de maintenir une agriculture coûteuse avec des prix élevés, il valait mieux avoir une politique coloniale qui assure la sécurité alimentaire. Ce modèle est très fragile et nécessite une domination militaire…
Si l’on maintient l’agriculture en France, c’est pour assurer une alimentation à l’ensemble de nos concitoyens. Ce n’est pas un objectif si marginal que ça ! La France suffit très largement à ses besoins, mais assure également l’approvisionnement du Benelux. Notre pays est le premier exportateur européen et le premier producteur en volume.
Mais une chose apparaît essentielle aujourd’hui : il faut casser cette spirale infernale de la baisse du coût de l’alimentation. Depuis plusieurs décennies déjà, le coût de l’alimentation baisse, mais est-il pertinent par exemple d’assurer dans le même temps le développement des rentes des propriétaires immobiliers ? Cela génère un coût d’accès au logement qui est considérable et des aides qui, elles, sont peu contestées, alors que le prix de l’alimentation l’est sans cesse.
Au sein des campagnes, l’agriculteur n’a pas toujours un rôle social important. Il y a plusieurs catégories de paysans. Ceux qui participent au marché européen avec une production de masse et pour lesquels le voisin rural est avant tout un problème, et ceux pour lesquels ce voisin et non seulement un atout, mais un auxiliaire : il achète les produits des agriculteurs, visite leur ferme et la fait découvrir à ses enfants. On a en fait deux types d’agriculture. Dans ce contexte, la vente directe a tendance à se développer. Pourquoi d’ailleurs devrait-on nourrir les 12 millions de Franciliens avec un maraîchage venu du sud de l’Espagne ? Au XIXème siècle, la région parisienne était couverte de productions maraîchères et fruitières, qui ont totalement disparues aujourd’hui.
La reconnaissance du rôle social des agriculteurs est encore trop peu prise en compte dans l’acte d’achat. L’élévation des normes et l’amélioration de la qualité sont tout de même désormais porteuses d’espoir. Les poulets de Loué, garantis sans OGM, se vendent aujourd’hui beaucoup mieux que les poulets de Bretagne par exemple. Il faut véritablement redonner un sens au vivre-ensemble au travers d’identifiants tels que la qualité, la sécurité alimentaire et la proximité.
La longue marche des pro-life!

Derrière un stand, deux femmes souriantes nous tendent une panière remplie de petits fœtus en plâtre du meilleur goût. « C’est gratuit, servez-vous. » Nous ne sommes pas dans un roman d’Aldous Huxley, mais dans le sous-sol de l’hôtel Renaissance, où se tiennent les quartiers généraux de la March for life, dont la 43e édition a lieu ce vendredi 22 janvier à Washington. Les antennes ont beau se relayer pour annoncer la tempête de neige du siècle, rien ne semble pouvoir entamer l’enthousiasme général. Entre le café et les croissants du matin, les conférences s’enchaînent, mise en scène et rhétorique impeccables. Et lorsque les intervenants marquent une courte pause, chacun est invité à flâner entre les dizaines de stands qui parcourent l’immense sous-sol du bâtiment, tenus par des associations qui ont fait de l’avortement leur cheval de bataille. Une jeune femme, tatouages partout sur les bras et cheveux multicolores, n’hésite pas à aborder le chaland à la manière des commerçants du souk. L’avortement ? Elle reconnaît n’en avoir eu que faire jusqu’à ce que, persuadée d’être enceinte alors qu’elle avait à peine 16 ans, son compagnon de l’époque menace de la tuer si elle ne se soumettait pas à une IVG. « À ce moment-là, il y a quelque chose en moi qui s’est passé. Je ne pouvais pas accepter le fait de répondre à une violence par une autre violence. J’ai intériorisé l’idée. Il devenait évident que j’étais pro-life. » [access capability= »lire_inedits »] Plus loin, Bob, jeune noir un peu enrobé à la voix douce s’avance timidement. Cela fait deux semaines qu’il a rejoint Care Net, une association qui souhaite offrir compassion, espoir et secours à ceux qui s’orientent vers le choix de l’avortement en leur proposant une autre solution et la parole de Jésus-Christ. « Notre vision, c’est qu’un homme et une femme qui, face à une grossesse, doivent prendre une décision, l’Évangile peut les transformer et leur donner la force de choisir la vie ». Résolument plus pragmatique, cette clinique procure ses services à des futures mères en détresse : services gynécologiques et obstétriques, traitement de l’infertilité, elle propose aussi un planning familial naturel ainsi qu’un service spécial d’accompagnement dans la période périnatale. Entre les innombrables prospectus, T-shirts, pin’s, mugs, flanqués de l’omniprésent mot-clé « life », on trouve quelques étals plus radicaux, pour ne pas dire allumés, avec par exemple, ce CD proclamant que « l’avortement est un sacrifice satanique », ou cette brochure expliquant que l’IVG doit être interdit même en cas de viol.
Ambiance subitement plus solennelle. La grande veillée de prière qui précède la Marche pour la vie va commencer. Pas loin de 20 000 jeunes s’y retrouvent pour assister à l’office présidé par le cardinal de New York, Monseigneur Dolan. Le sanctuaire de l’Immaculée Conception est plein à craquer. On compte huit cardinaux et une quarantaine d’évêques. Religieuses, prêtres et jeunes à peine sortis de l’adolescence composent essentiellement l’assistance. On s’interroge. Pourquoi aussi peu de cheveux gris ou blancs ? Comment font-ils pour drainer un public aussi jeune ? Un observateur averti explique : « Nos principaux pourvoyeurs de manifestants sont les écoles et les universités catholiques. Elles encouragent autant qu’elles peuvent les jeunes à se rendre à cette marche, en leur accordant un jour de congé à cette date-là par exemple. C’est tactique. Ces jeunes se rappelleront toute leur vie de cette marche. Demain, certains d’entre eux seront sûrement des décideurs. » Ceux qui auraient constaté la timidité de l’Église de France dans le combat pour la vie se pinceront pour y croire. Ici, l’Église catholique est à l’avant-garde et conduit la stratégie. Mais elle invite à prier aussi. Et dans cette nuit qui laissera ensuite place à la marche, les chapelets s’égrèneront.
Le scandale du Planned Parenthood
Erigé en droit constitutionnel par une décision de la Cour suprême « Roe v. Wade » du 22 janvier 1973, l’avortement s’est imposé aux États dans des conditions ultralibérales qui contrastent pour le moins avec la loi Veil. Chacun était autorisé à avorter dans les modalités qu’il choisirait. Alors qu’en France il s’agissait d’une dérogation, une exception érigée progressivement en droit, outre-Atlantique, c’est le chemin inverse qui s’est produit : un droit absolu s’est vu progressivement encadré. Jusqu’à ce qu’une loi, passée grâce à la pression des pro-life, ne l’interdise en 2003, on pouvait par exemple procéder à des « partial-birth abortions », des avortements nécessitant une naissance partielle du fœtus. Les militants pro-life peuvent donc s’enorgueillir de plusieurs victoires (des centaines de lois restreignant le droit illimité sont passées depuis quarante ans), à l’inverse de la France où ils ne cessent de perdre du terrain. D’où l’intensification du combat pour une bonne partie du pays qui croit à la bascule.
Un événement récent est venu changer la donne, marquant une rupture dans le combat des pro-life. Le scandale du Planned Parenthood, qui, à l’été 2015, a pris une ampleur inédite aux États-Unis à l’été 2015, a fait éclater au grand jour la « culture du déchet » consubstantielle à l’avortement de masse. Piégée par des militants pro-life en caméra cachée, une responsable du Planned Parenthood (planning familial américain) avait détaillé la collecte et le trafic auxquels se livre l’organisation, accusée de vendre des organes de fœtus avortés pour la recherche. La révélation de ces vidéos a créé une polémique monstre aux États-Unis, gagnant le camp des Républicains, qui à l’approche des primaires, remettaient sur le tapis l’idée de désubventionner le Planning familial. Une loi en ce sens est allée jusqu’au Congrès, mais Obama a promis d’y mettre son veto. Le scandale a fait de l’avortement un débat politique pour la présidentielle de 2016. Tous les candidats à la primaire républicaine s’affichent d’ailleurs pro-life, sauf Donald Trump, ambigu sur la question, et peu apprécié des militants de la Marche pour la vie.
Car, si dans l’Hexagone l’ensemble de la classe politique et médiatique communie dans la célébration du droit à l’avortement, aux États-Unis, les pro-life et les pro-choice s’affrontent en toute liberté, à coups de lobbys, de sondages, d’associations et d’initiatives diverses. Mais cette division, qui s’est imposée au fil des années, paraît aujourd’hui très arbitraire. En effet, l’opinion américaine se divise en deux parts à peu près égales, et ce de façon stable dans le temps. Dans un pays où la législation sur l’avortement est quasiment inexistante au niveau fédéral, le débat n’est plus tellement entre ceux qui veulent l’autoriser et ceux qui veulent l’interdire. Selon un dernier sondage, 60 % des Américains considèrent l’avortement comme « moralement répréhensible », et 81 % d’entre eux voudraient le voir limité aux cas de viol, d’inceste, ou de mise en danger de la santé de la mère. Le clivage pro-life/pro-choice a tendance à escamoter la majorité indécise, qui ne trouve pas l’avortement « amazing » mais n’affiche pas franchement ses convictions.
Comme l’explique Jeanne Mancini, la présidente de la March for Life, les objectifs du combat pro-life sont à deux niveaux. Au niveau politique, il s’agit d’influencer les décideurs politiques pour faire passer des lois fédérales posant des limites à l’avortement. Mais c’est au niveau culturel que tout se joue. Il s’agit, selon les mots des organisateurs, de « construire une culture de vie », par la diffusion de campagnes de communication et d’initiatives multiples. Celles-ci sont innombrables, dans une société civile américaine foisonnante : programmes d’éducation pour former des militants pro-vie dès la maternelle, formation des églises, et surtout, centres d’aide à la grossesse qui prennent en charge les mères. Comme l’expliquait Ron Paul, ex-candidat libertarien à la présidentielle américaine et adversaire résolu de l’avortement, « les pro-life ne vaincront pas par la politique ». « Les centres de crise pour grossesses, qui prodiguent de l’aide et de la compassion à des femmes faisant face à des grossesses non désirées ont fait beaucoup plus pour la cause pro-life que n’importe quel politicien », écrivait-il à la suite du scandale du Planned Parenthood. En effet, si en France l’aide à la maternité non planifiée est confiée principalement à des associations confidentielles et confessionnelles, aux États-Unis, de très nombreux organismes proposent d’aider les femmes à garder leurs enfants. Ainsi, sur les brochures distribuées, on trouve des compteurs des enfants sauvés par ces associations. « 66 000 vies sauvées par an », proclame ainsi Carenet, un organisme qui aide les femmes enceintes en détresse dans 1 100 « pregnancy centers » aux États-Unis.
«Abortion is an Obamination»
C’est le D-Day. Une forêt de pancartes convergent au pied du Washington Monument, au départ de la March for Life. « Vous pouvez me jeter des capotes dessus, je ne changerai pas d’avis, j’ai lu la Bible, je sais que j’ai raison » : Carly Fiorina, seule candidate féminine à la primaire républicaine, ne mâche pas ses mots. Par un froid de -5°, elle galvanise une foule acquise d’avance. À la fin de son discours, les témoignages d’élues républicaines engagées dans le combat pro-life défilent sur l’écran. Pour cette 43e marche pour la vie, le thème affiché est « Pro-women and pro-life go hand in hand » (Les féministes et les pro-life avancent ensemble). Des femmes affichent fièrement leurs T-shirts « I am a pro-life feminist ». L’idée mise en avant est que la lutte contre l’avortement est le véritable combat féministe. Stratégiquement, l’argumentaire s’est déplacé de la souffrance physique du fœtus à la souffrance psychique de la mère. Car si les « non-nés » ne peuvent par définition pas témoigner, les femmes ayant subi une IVG, elles, le peuvent. Ces dernières défilent en portant bien haut leurs panneaux « I regret my abortion ». L’une d’entre elle prend la parole, visiblement émue « J’étais seule, j’ai cédé à la pression. J’ai fait une dépression, puis une tentative de suicide. Aujourd’hui, je ne me tairai plus. » Sue Ellen Browder, auteur de Subverted : How I Helped the Sexual Revolution Hijack the Women’s Movement, vient témoigner. Cette ancienne reporter au magazine branché Cosmopolitan (équivalent américain de notre Marie-Claire), « convertie » au combat pro-life après avoir subi une IVG, dénonce dans cet essai le fait que l’avortement soit devenu une revendication féministe.
Un des rares hommes à intervenir, Matt Birk, prend le micro. Ce quadragénaire blond, ex-champion de football américain, est une égérie de la cause pro-life. Quand son équipe a gagné le Super Bowl, il a refusé de se rendre à la réception donnée en leur honneur par Obama, car celui-ci avait déclaré « God Bless Planned Parenthood ». « Si la vie des Noirs compte (« black lives matters » est un slogan de la cause noire aux États-Unis), alors la vie dans le ventre des femmes compte aussi », crie le sportif devant la foule enthousiaste. Les intervenants qui se succèdent affichent la coolitude et l’enthousiasme américain, à mille lieues de la naphtaline des cortèges de Civitas. Chacun raconte « how he became pro-life », à la manière d’une conversion. La méthode est celle du protestantisme évangélique américain, très marqué par la culture du « born-again».
Dans la foule qui s’ébranle en ordre discipliné en direction de la Cour suprême, pas de sonos hurlantes, pas de slogans scandés à l’unisson. Quelques chants entonnés ici et là (« Hey, Obama your momma chose life ! » / « Hey Hey Ho Ho Roe v Wade has got to go »), mais surtout de multiples pancartes brandies fièrement et qui mettent en exergue les différentes chapelles qui composent ce mouvement national. Une curieuse cohabitation, des plus classiques (Defend Life / Women deserve better than abortion / I am the pro-life generation) aux plus intrigantes (I regret my abortion / Abortion is an Obamination / I mourn my aborted sibling). La procession est à mi-chemin lorsque des écrans géants viennent projeter quelques courtes séquences chocs où se succèdent des images de fœtus déchiquetés et sanguinolents. Le trash et le cool, le religieux et le pragmatique, le confessionnel et le sensationnel cohabitent, à l’image d’une Amérique binaire et paradoxale. Le mouvement pro-life, qui a pu être très violent (on dénombre huit médecins ayant pratiqué l’avortement, assassinés par des fanatiques), a tout de même compris qu’il devait évoluer vers le soft pour convaincre l’opinion. L’argumentaire est uniquement centré sur l’avortement, la mère et l’enfant, dans des considérations émotionnelles et pragmatiques, éventuellement religieuses, mais jamais philosophiques ni anthropologiques, comme l’ont été les arguments de la Manif pour tous en France. La gestation pour autrui, l’euthanasie, la procréation médicalement assistée et autres problématiques bioéthiques ne seront jamais évoquées. On est loin de la « révolution conservatrice » observée en France à l’occasion de la Manif pour Tous. Si l’avortement, enjeu très émotionnel a sa place dans le débat, l’anthropologie individualiste du modèle américain n’est jamais remise en cause. Sauf que des millions d’individualistes réunis autour d’une même cause, ici, ça s’appelle une communauté. Et aux USA, les communautés, ça compte, et ça gagne souvent à la fin.[/access]
Petit précis de décomposition politique

L’une des caractéristiques de la situation actuelle est le désenchantement vis-à-vis du « rêve » européen. L’Europe, et en particulier sous sa forme de l’Union européenne, ne fait plus rêver. Elle inquiète et elle fait même peur. Le « rêve » s’est transformé en cauchemar, d’Athènes à Paris, en passant par Rome, Lisbonne et Madrid. Les causes en sont multiples : chômage de masse, politiques d’austérité à répétition dont le poids est toujours porté par les mêmes, mais aussi montée des réglementations liberticides et des détournements de souveraineté, enfin des comportements scandaleux à l’échelle internationale comme on peut le voir dans la gestion calamiteuse de la question des réfugiés ou dans l’alignement sur la politique états-unienne avec le soutien apporté, de fait, aux néo-nazis qui sévissent à Kiev. Ce désenchantement se traduit par la montée des remises en cause de l’Union européenne, dont le débat sur une sortie possible de la Grande-Bretagne (ce que l’on appelle le « Brexit ») est l’un des exemples. Il provoque en retour la crise ouverte des élites politiques, et en particulier en France où la « construction européenne » avait depuis longtemps quitté le domaine de la raison pour entrer dans celui du dogme religieux. C’est ce qui explique le spectacle de décomposition accélérée que donnent les deux partis anciennement dominant de la vie politique française, le Parti « socialiste » et l’ex-UMP rebaptisé « Les Républicains ».
Un PS incapable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire
Cette décomposition est aujourd’hui une évidence au sein du P« S ». La tribune co-signée par Mme Martine Aubry et quelques autres, tribune dont on a déjà parlé, en est l’un des symptômes[1. Voir Sapir J., « L’indécence et l’impudence de la tribune de Martine Aubry » note publiée le 26 février in RussEurope, http://russeurope.hypotheses.org/4746]. Dans cette « rupture », qui semble bien aujourd’hui actée[2. http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2016/02/28/25001-20160228ARTFIG00072-martine-aubry-et-ses-proches-annoncent-leur-retrait-de-la-direction-du-ps.php], entre deux lignes que pourtant tout rapproche et en particulier leur européisme, ce sont les querelles d’égo qui ont d’abord parlée. Et ceci est symptomatique d’une décomposition politique quand on n’est plus capable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, ou que l’on en vient à considérer les questions de personnes comme essentielles. De fait, la cohérence du gouvernement, et des partis qui le soutiennent, est déterminée par le vote du Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (le TSCG[3. Voir le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit TSCG, URL :http://www.consilium.europa.eu/media/1478399/07_-_tscg.en12.pdf]), vote qui fut obtenu en septembre 2012[4. Voir Sapir J., « Honneur au Soixante-dix », note publiée le 9 octobre 2012 sur RussEurope, http://russeurope.hypotheses.org/266]. Ce Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, contient en réalité trois mensonges pour le prix d’un. Quelle stabilité, quand on voit dans le rapport récent du FMI[5. http://russeurope.hypotheses.org/253] que les mêmes mécanismes qui ont été mis en œuvre depuis 2010 n’ont fait qu’aggraver la crise ? Quelle stabilité encore quand on voit la dépression que connaissent les pays en crise ? Parler de stabilité est ici un mensonge flagrant. Quelle coordination, encore, quand on sait qu’il n’y a de coordination qu’entre des agents libres et des Etats souverains, alors c’est à une autorité hiérarchique que l’on a affaire, et qu’il n’y a dans ce traité qu’asservissement à des agences dites indépendantes ? J’écrivais en octobre 2012 : « Ce Traité organise en fait le dépérissement de la démocratie en Europe avec la fin de l’autorité suprême des Parlements nationaux en matière budgétaire. Or, il faut s’en souvenir, c’est par le consentement à l’impôt que commence la démocratie. »[6. http://russeurope.hypotheses.org/266]
Quelle gouvernance, enfin, dans un Traité qui s’est avéré inapplicable et qui n’a pas eu d’autres fonctions que d’être violé à peine signé ? Mais ce traité désastreux a bien été l’inspiration des diverses mesures prises par François Hollande et ses divers gouvernements. C’était ce traité qu’il fallait combattre et non pas pleurer sur ses conséquences. Ceci ne rappelle que trop cette célèbre phrase de Bossuet qui s’applique, hélas, parfaitement à cette situation : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance ».[7. Bossuet J.B., Œuvres complètes de Bossuet, vol XIV, éd. L. Vivès (Paris), 1862-1875, p. 145. Cette citation est connue dans sa forme courte « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ».]
Entre Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ?
Mais, la décomposition sévit aussi dans l’opposition. La « primaire » que les « Républicains » veulent organiser n’est pas seulement une injure aux institutions, dont ce parti devrait, de par ses origines, être le meilleur défenseur. Elle se traduit par une surenchère de petites phrases, des postures dont raffolent certains dirigeants politiques, le verbe haut et les coups bas. Car, entre MM. Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ? Un peu plus ou un peu moins d’austérité ? Quelques cadeaux en plus ou en moins pour le Medef ? Le jeunisme brouillon contre la calvitie couverte d’erreurs ? Ce sera, toujours, le même alignement sur Bruxelles, sur l’Union européenne et sur l’Allemagne. Il faut espérer qu’une voix se lève pour faire entendre un autre discours. Mais, en attendant, nous avons droit au même spectacle que celui donné par les « Solfériniens ».
Enfin, des histrions proposent des candidatures de fantaisies, comme celle de Nicolas Hulot, sans se soucier du programme qui pourrait la sous-tendre. Cette focalisation sur des personnalités est bien la preuve que nous sommes dans un espace politique complètement décomposé.
Le dilemme européen : la déflation ou la disparition
Pourtant, l’heure est grave. La situation de la France n’a d’égal que la crise que connaît l’Union européenne. Il suffit de lire ce qu’écrit un auteur « européiste », mais pourtant lucide, pour s’en convaincre [8. Fazi T., « Why The European Periphery Needs A Post-Euro Strategy », 25 février 2016, https://www.socialeurope.eu/2016/02/bleak-times-ahead-for-the-european-periphery/]. Car cette crise qui perdure a une origine. Cette destruction de l’ensemble du cadre économique et social que nous connaissons en France vient de ce que l’euro favorise ou impose dans les différents pays membres. Mais, elle découle aussi du cadre politique implicite qui se met en place à propos de l’euro dans les pays de la zone euro. Aujourd’hui, la plupart des Européens sont désormais conscients des effets négatifs sur l’économie de la monnaie. On sait ce qu’elle entraîne, et ce qui était prévisible depuis près de dix ans[9. voir J. Bibow, (2007), ‘Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This’, in J. Bibow et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007.] : croissance faible et montée du chômage. La crise de la zone euro est désormais une évidence, même pour les idéologues les plus bornés. Aucun des problèmes fondamentaux posés dès l’origine n’a été résolu, et leurs effets désormais s’accumulent. Les solutions partielles qui ont été proposées, et présentées comme des avancées historiques vers une Europe fédérale, posent en réalité bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. La zone euro n’a plus d’autre choix que de s’engager toujours plus dans une politique de déflation, dont les conséquences cumulées sont redoutables pour les peuples des pays qui la composent, ou de disparaître.
L’attractivité de l’euro mais aussi de l’Union européenne est en train de s’effacer. La faute en revient aux politiques d’austérité qui ont été mises en œuvres ouvertement pour « sauver » l’euro, c’est-à-dire pour résoudre la crise des dettes souveraines. Or, ces politiques ont plongé les pays qui les ont appliquées dans des récessions très profondes[10. Baum A., Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, (2012), « Fiscal Multipliers and the State of the Economy », IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC. Blanchard O. et D. Leigh, (2013), « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C.]. Il faudra que très rapidement les dirigeants des différents pays en prennent acte et soit trouvent des thèmes susceptibles de refonder cette attractivité, soit comprennent que l’on ne peut durablement faire vivre des institutions contre la volonté des peuples.
Pour des Comités d’action de la révolte sociale
Les quolibets et les insultes que le président de la République a subis au Salon de l’agriculture le matin du samedi 27 février sont exemplaires de l’exaspération d’une profession, mais au-delà des Français. Or, les problèmes de l’agriculture française, dont les sources sont multiples et où le rôle de la grande distribution est à signaler, seraient largement réduits si une différence de 40% s’établissait entre le franc retrouvé et le deutsche mark. Cela correspond à ce que donnent les calculs dans le cas d’une dissolution de la zone euro, soit une dépréciation de 10% pour le franc et une appréciation de 30% pour le DM. Notons encore que c’est l’Union européenne qui s’oppose à la signature d’accords garantissant les prix d’achat aux producteurs, au nom du sacro-saint respect de la « concurrence libre et non faussée ». Le gouvernement français aurait parfaitement les moyens de régler cette crise en jouant sur les prix et non par des suppressions de cotisations, qui ne sont que des palliatifs temporaires.
La montée de l’exaspération populaire est aujourd’hui palpable, et sur l’ensemble des terrains. C’est ce qui explique le retentissement des manifestations du Salon de l’agriculture le 27 février. De la calamiteuse « loi Travail » à la situation dramatique des agriculteurs, de la révolte des enseignants contre la réforme du collège et le discours de l’Education nationale à la casse des services publics et de l’esprit public (avec son corollaire, la laïcité) sur l’ensemble du territoire, il est temps que ces diverses colères trouvent leur débouché politique. Ce débouché ne peut être qu’une position radicalement opposée à l’euro et renvoyant l’Union européenne à une réforme immédiate. Ce débouché doit prendre la forme d’un rejet immédiat des deux partis, le P« S » et les « Républicains » dont la cogestion de la France au sein de l’idéologie européiste a produit la situation actuelle. Cela impose de dire haut et fort que nous ne voterons en 2017 ni Hollande, ni Aubry, ni aucun des clones que nous produira cette « gauche » déshonorée, ni pour Juppé, ni pour Sarkozy, ni aucun de ces clowns issus de la matrice européiste.
Cette convergence des luttes doit s’organiser, si possible avec l’aide des syndicats, ce qui serait naturellement souhaitable, mais s’il le faut sans eux. Un grand mouvement de Comités d’action de la révolte sociale est possible. Ces comités doivent avoir deux principes directeurs : la volonté de faire converger les luttes et le rejet clair et sans ambiguïté du cadre européen avec la volonté affirmé de retrouver notre solidarité. Telle pourrait être la meilleure sortie possible de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons.
Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.
>>> Retrouvez en cliquant ici l’ensemble de nos articles consacrés au Brexit.
Kamel Daoud ou la victoire des intégristes de la pensée molle

Un quarteron de féministes en mal de mâles ou d’idées intelligentes, de sociologues en dérive et délire et d’intellectuels auto-proclamés, donc de gauche, a fini par demander la peau de Kamel Daoud, coupable d’avoir dit la vérité sur les viols à la chaîne commis dans toute l’Europe (et pas seulement à Cologne pour la Saint-Sylvestre) par des migrants orientaux ou des immigrés nord-africains. Des vérités d’évidence, mais qui contreviennent à la règle de silence imposée aux médias et à l’opinion par la mauvaise conscience occidentale.
Je dis « demander la peau » parce que clouer au pilori, sous ce prétexte, un écrivain vivant en Algérie, c’est le vouer aux gémonies des extrémistes qui pullulent dans ce joli pays, y compris dans les sphères gouvernementales, où les fondamentalistes qui hier décapitaient des moines à Tibérine et leurs concitoyens un peu partout partagent le pouvoir et les revenus du pays avec les militaires qui ont confisqué le pouvoir depuis trente ans afin d’arrondir leurs fins de mois et leurs comptes en Suisse.
C’est d’autant plus infâme que les signataires de la tribune publiée par le Monde, en expiation de celle écrite par Kamel Daoud peu auparavant — comme si toutes les opinions se valaient et pouvaient se contrebalancer, une idée inscrite dans la loi Jospin de 1989 et dans le crâne des mauvais élèves — ne risquent rien, eux. Ils sont à l’abri en Occident — et même, ils donnent des gages aux tueurs qui sommeillent ici. Ils sont réfugiés derrière la muraille de leur bonne conscience. Sans doute apprécient-ils Jean-Louis Bianco et François Hollande, ces chantres infatigables de la laïcité aménagée, et ouverte. Au pire estiment-ils que ce n’était pas grave — « juste un doigt », hein…
Dès la mi-janvier, Elisabeth Lévy notait qu’à l’occasion des centaines de viols commis en Allemagne, en Suède (combien en France ?) ou en Egypte sur la personne de journalistes occidentales (et sur combien d’Egyptiennes non conformes ?), le « parti du déni » s’était surpassé. Que c’est en tentant de dissimuler la réalité que l’on nourrit les fantasmes — non en disant, comme Kamel Daoud, que la société algérienne est une société complètement malade de son hémisphère sud, si je puis dire, comme l’a souligné une longue et passionnante étude publiée dans le Monde diplomatique. Que « la répétition de mêmes scènes, de la place Tahrir au cœur de villes européennes, permet au moins de demander s’il n’y a pas un rapport entre ces déchainement pulsionnels et la vision que nombre d’hommes, dans les sociétés arabo-musulmanes, ont des femmes, et pire encore, des femmes infidèles. » Et que la politique d’Angela Merkel en a pris un vieux coup dans l’aile.
L’aveuglement des bonnes consciences
Tâchons d’être clair.
Toute personne qui impose aux femmes un vêtement — le voile, par exemple — ou une mutilation — excision ou infibulation, des pratiques fort répandues dans nombre de sociétés musulmanes, de l’Egypte au Nigeria et à l’Indonésie — sous prétexte de les améliorer/camoufler/soustraire à la concupiscence, est un malade qu’il faut soigner par les moyens les plus énergiques. Ce n’est pas une question d’opinion : c’est un problème constitutionnel. Et toute personne appuyant ces malades doit être inculpée, très vite, de non-assistance à personne en danger.
Passons sur le fait que Kamel Daoud a dans son petit doigt plus de talent que tous ces signataires de la bonne conscience dans toute leur personne. Mais ce qu’il dit est vérité d’évidence : y voir le reflet de fantasmes coloniaux (ah, l’arabe violeur et le nègre cannibale — sans doute n’y avait-il pas, n’y a-t-il jamais eu de cannibales en Afrique) marque encore une fois le totalitarisme mou des démocraties moribondes, via l’expression politiquement correcte de la Lingua Quarti Imperii, comme dirait un Klemperer moderne, qui marque l’irruption du fascisme des larves dans notre République.
Parce que les lieux communs ne sont pas sous la plume de Kamel Daoud. Ils sont dans l’aveuglement des bonnes consciences, qui croient que tous les hommes se ressemblent et partagent les mêmes idéaux, alors que les préjugés plombent l’esprit critique de ces civilisations venues du chaud. N’y aurait-il plus de bon musulman qu’un musulman athée ?
Non que j’ignore que si la République ne reconnaît et ne subventionne aucun culte, elle est garante du droit de croire ce que l’on veut. Mais l’islam fondamentaliste n’est plus une religion : c’est une machine de guerre. Et le viol de masse est l’un des moyens de cette guerre. Comme il le fut de tous temps et partout, des Croisades aux guerres africaines d’aujourd’hui en passant par les Américains de la Seconde guerre mondiale — on évalue à deux millions le nombre d’Allemandes violées par l’Armée rouge, quelques dizaines de milliers pour les Gi’s et leurs alliés, Français compris. Le viol est le repos du guerrier. C’est la loi de la guerre, qui est l’espace de la non-loi.
Et justement, c’est bien d’une guerre qu’il s’agit, comme le disait si bienUmberto Eco — pas d’une question religieuse. C’est d’une armée qu’il s’agit — pas de « fidèles ». Et comme d’habitude les femmes paient le tribut le plus lourd et le plus immédiat. Qu’un homme — musulman de surcroît — ait le culot de le dire affole les bonnes consciences repues de ce côté de la Méditerranée — et doit à cette heure inciter à aiguiser les couteaux de l’autre côté. Quand ils l’auront tué, il se trouvera bien quelques belles âmes pour s’en émouvoir, nous prêcher quand même le « padamalgam » habituel et quelques autres qui penseront, comme pour Charlie, qu’il l’a « bien cherché ».
En attendant, Daoud s’est mis en semi-abstinence journalistique — il continuera ses chroniques au Point et c’est tout. Victoire des intégristes de la pensée molle et de la reddition annoncée. Qui ne voit que la peur de la récupération de Cologne par l’extrême droite sert en fait à cautionner cette autre extrême droite qu’est l’extrémisme religieux ? En vérité je le dis aux 19 imbéciles signataires de l’article du Monde qui croient que fustiger Kamel Daoud refourbira leur aura : dans un an et des poussières, quelques millions de Français voteront contre vos illusions — et vous balaieront. Et je ne pleurerai pas sur vos dépouilles. Comme vous diriez vous-mêmes : « Vous l’aurez bien cherché. »
PS : Jacques Julliard écrit des choses très justes sur l’affaire Daoud dans le dernier numéro de Marianne du 26 février, notant qu’« à la lâcheté ordinaire s’ajoute quelque chose qui s’apparente à la dénonciation. » Ben oui.
Allemagne: du welcome au go home

Une fois de plus, l’Allemagne étonne. Nul ne doute que les incidents qui ont émaillé la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, quand des bandes de jeunes à moitié ivres d’origine étrangère s’en sont prises à des femmes sans défense, en combinant agressions sexuelles et vols, méritent d’être vigoureusement condamnés. Nul ne s’étonne de voir les autorités allemandes résolues à punir sévèrement les auteurs de ces exactions. Mais ce qui surprend est de voir l’Allemagne prête à basculer radicalement dans son attitude à l’égard des réfugiés, passant d’une ouverture sans égale de la part des autorités comme d’une grande partie de la population, ouverture contrastant avec l’attitude frileuse de maint pays européen, à une réaction de rejet. N’y a-t-il pas une disproportion entre l’événement, qui n’a impliqué qu’une infime minorité des réfugiés, et ses conséquences ?
Certes, les autorités ont hautement affirmé qu’il ne fallait pas stigmatiser les réfugiés, et les étrangers en général, à la lumière de ces événements. « C’est ce que font les charognards de l’extrême droite », a déclaré le ministre de l’Intérieur de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Ralf Jäger. Mais, après un moment de flottement, parfois qualifié de « conspiration du silence » le fait que les agresseurs aient été des étrangers extra-européens, et pour une part des réfugiés, a été hautement mis en avant. Le même Ralf Jäger a souligné que les agressions de Cologne ont été commises « presque exclusivement » par des personnes « d’origine immigrée », notamment du Maghreb et d’autres pays arabes. De plus, au-delà des auteurs des faits délictueux, la législation concernant l’asile est mise en cause globalement. Il est prévu qu’un demandeur d’asile, même condamné à une simple peine de prison avec sursis verra sa demande rejetée alors qu’actuellement c’est seulement le cas des demandeurs d’asile condamnés à trois ans de prison ferme ou plus.
Ces réactions vont de pair avec le fait que l’opinion a été profondément ébranlée. Les événements ont multiplié les doutes sur la capacité du pays à intégrer le million de demandeurs d’asile venus en 2015.[access capability= »lire_inedits »] « Avec Cologne, c’est la qualité du débat sur la politique des réfugiés qui a changé », a déclaré le président de la commission des affaires européennes au Bundestag, Gunther Krichbaum (CDU). Une adjointe (Verts) au maire de Cologne pendant quatorze ans, Angela Spizig, se désole : « J’ai célébré Cologne comme une ville de deux mille ans de migrations, d’intégration réussie et de femmes fortes. J’ai eu l’impression que tout ce qui fait cette ville et qui a été construit ces dernières années a été ruiné en une nuit. » Pour Der Spiegel, « Cologne, c’est le début de la fin du politiquement correct ».
Comment comprendre que l’action de quelques individus ait pu suffire à transformer à ce point l’image d’une multitude ?
Une première explication tient à la difficulté à penser simultanément plusieurs représentations contradictoires d’une même réalité. Pensons à la fameuse image où l’on peut voir soit une très vieille femme, soit une femme très jeune, mais pas l’une et l’autre à la fois. On a affaire au même type de phénomène avec les réfugiés. Deux images s’opposent. D’un côté on a affaire à un ensemble de personnes en détresse, qui, tel l’homme de la parabole, blessé, secouru par le bon Samaritain, méritent aide et compassion. L’enfant mort noyé, abandonné sur une plage turque, dont la photo a fait le tour du monde, en fournit une représentation exemplaire. Et, simultanément, on a affaire à des individus marqués par des cultures porteuses, aux antipodes de la culture allemande, d’un certain mépris des femmes, pour lesquelles toute femme d’apparence un peu libre tend à être vue comme une femme de mœurs légères, qu’il n’est pas choquant de traiter en objet sexuel.
Les ONG qui gèrent les centres d’accueil ont cherché en vain à attirer l’attention sur les violences sexuelles
Quand l’afflux des réfugiés s’est produit, la situation dramatique qu’ils fuyaient, l’horreur de l’État islamique, la détresse où ils se trouvaient, ont conduit à activer la première représentation. L’image d’un monde social et culturel problématique a été recouverte par celle du réfugié en détresse, qui demandait que l’on vole à son secours. On a pu parler de « Willkommenskultur » – culture de l’hospitalité. On a vu des haies d’honneur saluant les réfugiés entrant en gare de Munich. La force de cette image de détresse a même rendu inacceptable d’activer l’image inquiétante. À ce titre, ceux qui, tel le mouvement Pegida, ont refusé l’accueil, ont fait scandale. Et les pays d’Europe de l’Est qui ont parlé d’effectuer des distinctions entre bons et mauvais réfugiés, en particulier entre réfugiés musulmans et chrétiens, ont choqué.
Et puis, avec les événements de la Saint-Sylvestre, cette autre image est revenue en force. Interrogée par le journal Le Monde, une célèbre féministe, Alice Schwarzer, a déclaré : « L’Allemagne, en raison de son histoire récente, nourrit une conception erronée de la tolérance, qui l’a conduite à fermer les yeux sur des ségrégations entre les sexes et des violences masculines dans la communauté musulmane ». On s’est mis à prêter attention au fait que les ONG qui gèrent les centres d’accueil cherchent en vain depuis des mois à attirer l’attention sur les violences sexuelles dans les foyers. On voit l’ancien maire social-démocrate d’un quartier multiculturel de Berlin affirmer, rapporte Libération : « Le problème, c’est l’image des femmes qu’ont de nombreux migrants venus du Moyen-Orient. Pour beaucoup d’entre eux, une femme sortant le soir n’est rien d’autre qu’une prostituée. Bien des hommes qui ont grandi dans une société patriarcale n’ont pas de honte à tripoter les femmes. Il faudra plus que des cours d’intégration pour changer cette image des femmes ! »
Après les événements de la Saint-Sylvestre, il est devenu impossible de fermer les yeux sur cet autre aspect de la réalité. On a pu avoir un changement d’image aussi brutal que celui qui conduit à cesser de voir la jeune femme pour voir la vieille femme, ou l’inverse, dans l’image ambiguë classique. Dès lors un changement de réactions très brutal lui aussi n’a rien d’étonnant.
Ce changement de regard global a en outre été favorisé par un passage d’une vision de personnes à une vision de masses. Quand on pense à la détresse des réfugiés c’est le sort de chaque personne en état de faiblesse que l’on considère et qui émeut. Au contraire, lors des événements de la Saint-Sylvestre on a eu affaire à des bandes tentant d’imposer leur loi, de plus sur le point si sensible en Allemagne du respect porté aux femmes. On a quitté alors le registre des rapports entre personnes pour passer dans celui des rapports entre les peuples et les civilisations. Ce passage a été d’autant plus aisé que, dans une vision allemande, les appartenances communautaires sont considérées comme essentielles et qu’on est loin des réticences françaises à la prise en compte des cultures.
De plus, l’intensité des réactions allemandes a été alimentée par la vision d’une vie civilisée qui prévaut en Allemagne. Kant en est un bon témoin. La préoccupation de « former un peuple » de ce qui pourrait n’être qu’une « horde de sauvages » revient sans cesse chez lui[1. E. Kant, Projet de paix perpétuelle, (1795), in Œuvres philosophiques, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1986, tome III, p. 366.]. Il regarde avec horreur les arbres « qui lancent à leur gré leurs branches en liberté et à l’écart des autres » et, de ce fait, « poussent rabougris, tordus et courbés » pendant que, au contraire « dans une forêt, les arbres, justement parce que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, se contraignent réciproquement à chercher l’un et l’autre au-dessus d’eux, et par suite ils poussent beaux et droits »[2. E. Kant, Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, (1784), in Œuvres philosophiques, op. cit.,tome II, p. 194.]. D’après lui, l’homme a besoin d’être forcé à échapper à ses mauvais penchants, par la vertu des contraintes qu’engendre la vie avec ses semblables. Être libre, ce n’est pas agir à sa guise, c’est avoir voix au chapitre dans les orientations que prend la communauté à laquelle on appartient[3. E. Kant, Métaphysique des mœurs (1796), in Œuvres philosophiques, op. cit., tome III, p 581.]. Dans cette perspective, les « hordes » (le terme a été employé) échappant à tout contrôle pour se livrer à des comportements barbares sont source d’angoisse. Et le fait que la police a perdu le contrôle de la situation, qu’une forme d’anarchie s’est installée, n’a pu que renforcer ce sentiment.
Enfin la foi dans un monde civilisé rassemblant des hommes de toutes origines dans une même communauté, telle qu’elle a été mise en avant en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale par réaction à l’exaltation de la nation allemande au temps de la barbarie nazie, a pu être sérieusement ébranlée. Cette foi a alimenté l’accueil réservé tout d’abord aux réfugiés. Mais, dans la vision communautaire allemande, il est spécialement attendu de celui qui est traité comme membre de la communauté qu’il se comporte comme tel, adhère pleinement à l’ordre collectif régissant celle-ci. Le ministre fédéral de l’Intérieur, Thomas de Maizière, a tenu des propos très fermes sur ce point : « Nous voulons voir le processus d’intégration respecté et accepté comme une obligation des deux côtés, l’État allemand et les migrants. Il doit être clair que tous ceux qui vivent en Allemagne et qui souhaitent y vivre doivent respecter nos lois et notre ordre social, et doivent s’intégrer. Quiconque y manquera sentira la pleine force de la loi. » Dans une telle perspective, les événements de la Saint-Sylvestre ont constitué une véritable trahison.[/access]
Le meilleur défenseur sochalien est… avocat à Epinal!

Nous nous étions rencontrés alors qu’il plaidait un référé au tribunal administratif de Besançon. Il s’était étonné que nous soyons là. Le FC Sochaux-Montbéliard, contrairement au petit club de Luzenac qui avait opté pour la pression médiatique, avait choisi la discrétion. Mais nous avions d’excellentes sources.
Ce jour-là, Maître Yanis Zoubeidi-Defert, puisque c’est de lui dont il s’agit, jeune avocat inscrit au barreau d’Epinal, avait déjà montré tout son talent, expliquant au juge administratif pourquoi il fallait d’ores et déjà arrêter les championnats de France de football 2014-2015 de Ligue 1 et de Ligue 2, afin de réintégrer le FC Sochaux dans l’élite. Cette fois-ci, le tribunal ne l’avait pas suivi, jugeant que les compétitions ne pouvaient être interrompues à ce stade mais reconnaissant que la demande du club franc-comtois n’avait rien d’illégitime en droit. Le jugement sur le fond allait le confirmer.
Comme nous vous l’annoncions il y a un an, l’avocat vosgien terrassait Frédéric Thiriez et Noël Le Graët, représentants la Ligue professionnelle de football et la Fédération, le tribunal administratif de Besançon jugeant que l’accession du RC Lens en Ligue 1 avait été obtenue de manière illégale, passant outre les décisions souveraines de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG).
La LFP et la FFF firent donc appel devant la Cour administrative d’appel de Nancy, qui a confirmé ce mardi la décision du tribunal administratif de Besançon. Là encore, saluons le travail et le talent de l’avocat qui double ainsi la mise.
On ne sait encore si Thiriez et Le Graët porteront l’affaire en cassation devant le Conseil d’Etat. Après tout, les deux pontes du foot français ne sont plus très copains : ils sont depuis l’an dernier en plein conflit à propos du nombre de montées et de descentes entre la Ligue 1 et la Ligue 2.
Ce serait néanmoins pour eux une manière de gagner du temps avant de passer à la caisse. La descente illégale de Sochaux a causé un sérieux manque à gagner, lequel se chiffre à plusieurs millions d’euros. Grâce à celui qui est, sans contestation possible, le meilleur joueur sochalien depuis deux ans, Thiriez et Le Graët y subiront sans le moindre doute une troisième défaite d’affilée. Leur démission conjointe, suite à ce fiasco juridique, moral, financier et surtout inédit, ne serait pas de trop.
Baisse de l’espérance de vie: haut les cœurs!

Laurent Chalard est docteur en géographie et membre du think tank European centre for International Affairs.
Céline Revel-Dumas : Une récente étude de l’Insee annonce une baisse de l’espérance de vie en France, pour la première fois depuis quarante-cinq ans. Face à l’inquiétude suscitée par cette information, vécue comme le symptôme d’un déclin – à la fois social et sanitaire – il convient d’essayer de la comprendre. Qu’est-ce exactement que « l’espérance de vie » et comment l’Insee la calcule-t-elle ?
Laurent Chalard : « L’espérance de vie à la naissance » est un concept statistique calculé par les démographes, qui a pour but de déterminer quelle serait la durée de vie moyenne d’une génération d’individus qui viendrait de naître dans l’année si cette génération connaissait au cours de sa vie les mêmes conditions de mortalité à chaque âge que les personnes décédées l’année écoulée. Les chiffres de l’espérance de vie à la naissance en France en 2015 que vient de publier l’Insee sont donc calculés sur les personnes décédées en 2015.
L’espérance de vie donnée à un instant « t » est-elle fiable ?
Du fait de son mode de calcul, l’espérance de vie à la naissance se présente uniquement comme une projection et ne reflète donc pas la durée de vie réelle d’une génération. En effet, tout au long du XXe siècle, la durée de vie moyenne des générations de français a été plus importante que l’espérance de vie moyenne au moment où elles sont nées, du fait des améliorations considérables des conditions sanitaires et médicales au cours de leur vie. Cela sous-entend que, sauf catastrophe géopolitique et/ou épidémiologique, les enfants nés en France en 2015 peuvent espérer vivre plus longtemps que l’espérance de vie calculée par l’Insee à cette date.
Ces données sont-elles, comme l’expliquent les démographes, « conjoncturelles » – dues aux épidémies de grippe, ou à des conditions météorologiques extrêmes – ou peuvent-elles véritablement être révélatrices d’une dégradation durable de notre environnement (pollution) et de nos conditions de vie (stress, alimentation, sédentarité, crise économique…) ?
La démographie se caractérise par l’irrégularité des variations annuelles, les données statistiques étant rarement linéaires. Les facteurs d’évolution d’ordre conjoncturels sont nombreux et expliquent une large partie des variations annuelles des différents indicateurs démographiques constatées. Il faut donc analyser ces derniers sur la durée pour pouvoir déterminer les grandes évolutions structurelles et éviter les interprétations erronées. Par exemple, la légère baisse de l’espérance de vie constatée aux Etats-Unis en 2008 avait été largement reportée par les médias américains, qui s’en inquiétaient, alors qu’elle est repartie à la hausse les années suivantes.
Concernant l’espérance de vie à la naissance en France, deux principaux facteurs conjoncturels jouent un rôle à l’heure actuelle : l’ampleur de l’épidémie de grippe en hiver et l’existence d’un épisode caniculaire en été. Lorsque la première est peu virulente et que la seconde est inexistante, la mortalité baisse et l’espérance de vie progresse sensiblement. Cela a par exemple été le cas pour l’année 2014, où l’espérance de vie a progressé de 0,5 an pour les hommes et 0,4 an pour les femmes, soit une hausse très importante ! A contrario, lorsque l’épidémie de grippe est particulièrement virulente et que l’été a connu une période caniculaire, combinaison relativement rare, l’espérance de vie peut stagner, voire baisser, ce qui correspond à la situation constatée en 2015, qui a vu l’espérance de vie se réduire de 0,3 an pour les hommes et les femmes.
La diminution de l’espérance de vie moyenne à la naissance en France constatée en 2015 correspond donc en large partie à un facteur conjoncturel. Il est fort probable que la mortalité sera plus faible en 2016, faisant repartir l’espérance de vie à la hausse. Le seul élément d’inquiétude concerne l’espérance de vie des femmes, qui augmente beaucoup plus lentement ces dernières années, conséquence logique de la multiplication des comportements à risque chez le sexe féminin, dont le tabagisme.
Cette tendance est-elle déjà apparue dans un autre contexte ?
À l’échelle internationale, depuis la seconde guerre mondiale, les fortes baisses de l’espérance de vie sur une longue durée ont concerné des Etats en déliquescence ou en guerre et des Etats fortement touchés par l’épidémie du SIDA. Cependant, d’une certaine manière, celles-ci sont également conjoncturelles, puisque dès que l’instabilité politique prend fin ou qu’un remède médical est trouvé, l’espérance de vie repart à la hausse, retrouvant, et bien souvent dépassant, son niveau d’avant crise. Par exemple, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, entre 1987 et 1994, l’espérance de vie en Russie a diminué de plus de 7 ans pour les hommes et de plus de 3 ans pour les femmes. Puis, entre 1994 et 2014, elle est remontée de plus de 8 ans pour les hommes et de plus de 5 ans pour les femmes. En Afrique du Sud, suite à l’épidémie de Sida, l’espérance de vie pour l’ensemble de la population était descendue à 52 ans en 2005, puis, grâce à l’introduction des médicaments anti-rétroviraux, elle a fait un bond spectaculaire à 61 ans en 2014. Jusqu’ici, la tendance structurelle sur la planète est à la hausse de l’espérance de vie.
Ecole, jusqu’ici tout va mal


La contestation gronde de toutes parts, le bulldozer de la réforme avance. Sauf miracle qui reproduirait la défense de l’école libre en 1984, le collège Najat entrera en vigueur à la rentrée prochaine – et avec lui les nouveaux programmes dont on a tort de si peu parler.
Collège, latin-grec, orthographe : les salles des profs hésitent entre rage et désespoir, les réseaux sociaux sont en émeute, des pétitions circulent, des grèves isolées se multiplient, des parents entrent dans la danse. L’accent circonflexe ne cédera pas. Les langues mortes vivront. Fait notable, c’est une partie des bataillons traditionnels de la gauche qui s’insurge contre le progressisme scolaire sous toutes ses formes. Najat Vallaud-Belkacem peut bien admonester ses prédécesseurs, coupables de confondre dans le même opprobre une réforme de l’orthographe qui selon elle n’existe pas et à laquelle elle n’a, il est vrai, pris aucune part (sauf peut-être en encourageant les éditeurs de manuels mais c’est une supposition), il faut croire que les petits esprits se rencontrent.
Une idéologie faussement égalitaire
C’est bien la même idéologie, bétassonne, uniformisatrice et faussement égalitaire, qui préside à la simplification de l’orthographe et à la destruction du collège, lentement mais sûrement transformé en centre d’animation socio-culturel. Puisque le latin-grec, comme l’orthographe soignée, sont des marqueurs de distinction sociale, on les combattra l’un et l’autre. On pourrait au contraire rêver d’offrir à tous les élèves ces possibilités de distinction hautement méritocratiques. Mais comme l’écrit un ancien enseignant[1. Marc Le Bris, « Réforme du collège : la double faute de Najat Vallaud-Belkacem », Le Figaro, 16 février 2016.], la sottise bourdivine en milieu scolaire a pour effet que l’on « prend désormais les enfants de la classe ouvrière – et aujourd’hui des quartiers défavorisés – pour des incapables congénitaux ».[access capability= »lire_inedits »] La bonne conscience progressiste s’exprime autant dans ce mépris de dame patronnesse pour ceux que l’on prétend vouloir aider, que dans la morgue faussement compatissante réservée aux « pseudo-intellectuels » qui dénoncent en vain la catastrophe. S’il y a quelque chose de glaçant chez la ministre de l’Éducation nationale, c’est son apparente incapacité à ressentir la moindre inquiétude, mais aussi la moindre empathie pour ceux qui s’inquiètent.
Dans ce champ de ruines, on aurait tort de passer sous silence les bonnes nouvelles. La première est que, pour l’orthographe comme pour le collège, la résistance n’est pas venue de quelques hypothétiques nostalgiques des coups de règles, mais de l’ensemble de la société, des classes moyennes et des classes populaires qui veulent qu’on enseigne l’effort à leurs enfants. Cela réjouit l’académicien Alain Finkielkraut qui n’apprécie guère l’ardeur simplificatrice de ses pairs et prédécesseurs : « C’est le peuple qui défend ce bien commun qu’est la langue contre une réforme bureaucratique, c’est le peuple qui veille sur les morts et qui refuse à quelques vivants péremptoires le droit d’effacer ses traces orthographiques. » Et c’est le peuple qui ne se résigne pas à ce que l’on fasse de ses enfants des petits barbares sans racines et sans règles.
Une minsitre experte en djihadisme et mixité
La deuxième bonne nouvelle, et le deuxième point commun entre la réforme de l’orthographe et celle du collège, c’est qu’elles ne passeront pas sans les profs, ce qui signifie qu’elles ne passeront peut-être pas du tout. Ceux-ci, en effet, refusent d’être enrôlés pour éradiquer le djihadisme et supprimer les inégalités, ils veulent enseigner. Or, significativement, la plupart des interventions récentes de la ministre n’avaient strictement rien à voir avec l’enseignement. Le 24 janvier, dans le « Supplément » de Canal + , le journaliste qui l’a suivie une semaine durant, l’interroge comme experte, à la fois en djihadisme et en mixité sociale. Émerveillé, il semble penser que Najat Vallaud-Belkacem a trouvé la pierre philosophale : « Mélanger les riches et les pauvres dès l’école pour empêcher le communautarisme, terreau de l’islam radical. » Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?
Affairée qu’elle est à changer le monde, la ministre ne se soucie guère des humeurs enseignantes. Sinon, elle comprendrait que, comme l’observe judicieusement Le Bris, sa réforme « enlève aux enseignants leur véritable moteur interne, la satisfaction du travail bien fait ; la satisfaction d’emmener un mauvais élève vers du mieux, mais aussi celle d’envoyer un bon élève briller plus haut, d’où qu’il vienne ». Autant changer de métier : « Le rejet massif de la réforme par les enseignants du secondaire est naturel, conclut Le Bris. On ne pourra jamais les empêcher à ce point d’enseigner. » De fait, sous le prétexte à peine inavoué de punir les bons élèves, tous seront pénalisés. Tous nuls ! – on ne peut imaginer plus égalitaire.
Une envie de sabotage
Certes, la révolte sourde des profs n’empêche pas la machine administrative d’avancer. Au lendemain de la quatrième journée de mobilisation, le 26 janvier – 22 % de grévistes selon le ministère, 50 % d’après les syndicats –, tous les établissements de France ont reçu leur « DHG », « dotation horaire globale », document qui, après plusieurs opérations passablement obscures, sort de l’alambic transformé en emplois du temps pour les élèves et pour les enseignants. Sous l’apparente simplicité du sigle, la DHG prend en compte tellement de paramètres qu’il est impossible de savoir si le nombre d’heures affecté à une discipline a augmenté ou pas, ce qui permet à la ministre d’enfumer tout le monde avec des chiffres fantaisistes. En réalité, avec ses chatoyantes inventions trans ou inter (disciplinaires), la réforme habille de considérations pédagogiques les nécessités budgétaires. Ainsi les heures dévolues aux EPI (les machins interdisciplinaires) et AP (accompagnements personnalisés) sont-elles retirées aux disciplines. Ensuite, chaque établissement se débrouille. Au collège Pierre-de-Geyter[2. Compositeur de la musique de l’Internationale.] de Saint-Denis, où enseigne notre ami Iannis Roder, on a sauvé le latin, mais avec une heure de moins (soit 2 au lieu de 3) en quatrième et en troisième.
Les professeurs ne peuvent rien faire contre le carcan horaire. Il est, heureusement, beaucoup plus difficile de contrôler ce qu’ils feront dans leurs salles de classe. Or, l’idée de résistance passive se propage. « Le mot d’ordre qui circule, observe Iannis Roder, c’est de s’opposer autant que possible à la mise en œuvre de la réforme. ». Certains profs ont été sanctionnés pour avoir boycotté les « journées d’information », que les syndicats appellent « journées de formatage », au cours desquelles des émissaires du rectorat tentent de vendre la réforme aux profs. La plupart s’y rendent et écoutent dans un silence hostile des arguments auxquels ceux qui les emploient ne croient pas.
Cette envie de sabotage est encouragée par le fait que la réforme est objectivement inapplicable, ne serait-ce qu’en raison du surplus de foutoir administratif qu’elle génère. Ainsi les fameux EPI étaient-ils prévus pour être co-animés par deux professeurs. Eh bien, nul ne s’était avisé que cela revenait à doubler la présence de chacun d’eux. Résultat, le ministère a rétropédalé sur la co-animation, et les EPI seront assurés par chacun des professeurs concernés dans son cours. Au point qu’ils pourraient bien ressembler finalement à des cours classiques.
Un jeu de cache-cache avec le ministère
Il est certes désespérant que les professeurs soient obligés de jouer à cache-cache avec l’institution qu’ils représentent pour avoir une chance de faire leur métier et de sauver ce que les bons sentiments n’ont pas encore détruit. Mais il est rassurant de savoir qu’ils ne lâcheront pas. Entre nous et le désastre absolu, ils sont le dernier rempart.
En attendant, que les jeunes Parisiens se rassurent : au terme de cette énième réforme, eux continueront à avoir accès sans problème au latin et au grec, contrairement à pas mal de leurs camarades moins bien nés, en banlieue ou en zone rurale. Cela s’appelle la justice sociale.
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Causeur de mars: Profs, ne lâchez rien!
« Le vrai problème qu’on a aujourd’hui au collège, c’est que les élèves s’ennuient. », s’inquiétait il y a quelque temps Najat Vallaud-Belkacem sur les ondes. La ministre de l’Education nationale est décidément pleine de sollicitude pour nos petites têtes blondes, brunes ou rouquines. Après avoir déconstruit le collège au printemps dernier, l’hôte de la rue de Grenelle a sans doute un nouveau chantier en tête : le lycée. Alarmé par un récent rapport de la Cour des comptes et les conclusions d’une mission parlementaire, Laurent Cantamessi prévoit un prochain passage du collège au lycée uniques. À des fins d’efficacité, le rapport parlementaire Bréhier préconise en effet la création d’un « lycée pour tous » (aussi indiscutable que le mariage du même nom) « mêlant école à la carte et mythologie interdisciplinaire ».
Nos radars placés sous les préaux ne s’y sont pas trompés : chez les profs, la révolte gronde. Bien que le « collège Najat » entre bientôt en vigueur, Elisabeth Lévy salue la résistance passive des enseignants contraints d’appliquer l’interdisciplinarité kafkaïenne et de saborder l’enseignement des humanités. Pour notre chère directrice de la rédaction, « c’est bien la même idéologie, bêtassonne, uniformisatrice, et faussement égalitaire, qui préside à la simplification de l’orthographe et à la destruction du collège. » Et comme de bien entendu, ce n’est pas l’enfant de bourgeois latiniste de Louis-le-Grand qui trinquera mais le petit prolo de Montluçon… Aux yeux de l’ancien recteur d’académie Alain Morvan, que Régis Soubrouillard a interrogé dans nos colonnes, « la suppression des langues anciennes répond à une idéologie : celle de l’arasement » défendue par une « véritable camarilla de bien-pensance pédagogique (qui) a fait son nid au cœur de la rue de Grenelle (…) pour répandre son idéologie toxique » de déculturation.
Bourdieu allié du management ?
Mais cédons la parole à la défense. Chef de file présumé des pédagos, Philippe Meirieu a eu l’élégance de nous accorder un entretien. Proposant « d’accompagner l’élève pour qu’il se dépasse et progresse en étant fier de ses acquisitions », il démonte les clichés qui lui collent à la peau et réaffirme son attachement à la transmission des savoirs. C’est plutôt du côté de Florence Robine, directrice générale de l’enseignement scolaire, qu’il faudrait chercher l’inspiratrice des réformes sauce Najat, fruits d’une hybridation bourdieusisme et fascination pour l’idéologie managériale.
Comme le note malicieusement Elisabeth Lévy, « c’est une partie des bataillons traditionnels de la gauche qui s’insurge contre le progressisme scolaire » débridé. L’annonce d’un virage républicain à bâbord ? En tout cas, une partie du peuple et des intellectuels de gauche redécouvre le réel en matière d’éducation, de laïcité et d’immigration. De quoi inspirer un dossier entier à Causeur, partant du constat dressé par Helvé Algalarrondo : la gauche de Tonton version Epinay, c’est fini ! Au cœur de l’aventure du Printemps républicain, collectif d’intellectuels et de personnalités issus de la gauche républicaine, Marc Cohen nous fait partager son journal d’un laïque en campagne dont l’ardeur militante a été réveillée par les attentats du 13 novembre. Plus circonspect, Gérald Andrieu dresse un état des lieux de la nébuleuse plus large qu’on pourrait qualifier de gauche conservatrice, républicaine, laïque ou tout simplement libre. Revenus des appareils partisans, ses membres divergent cependant sur le terrain économique, ce qui fait pousser un sanglot de regret à mon confrère : ce grand parti sociétaliste a beau avoir raison, faut-il pour autant oublier l’économie ?
« Si affronter le réel c’est être conservateur, alors il existe en effet une gauche conservatrice. », résume le professeur de philosophie du droit Eric Desmons. L’auteur de Mourir pour la patrie qui m’a fait la grâce d’une interview scrute le penchant de l’individu moderne à ne chercher que la poursuite de sa propre survie. Face aux légions de kamikazes de l’Etat islamique, notre incapacité à nous sacrifier pour une cause rend le combat malaisé. Sur le terrain de la lutte antiterroriste, l’expert François Heisbourg se désole de la guerre des polices qui mine l’efficacité de nos services : mises bout à bout, les bourdes et erreurs en tous genres de janvier et novembre 2015 ne laissent pas d’inquiéter…
Stallone et antimodernité
Place à la culture. Tristan Ranx retrace le destin tragique d’Eduardo Rosza-Flores dit Chico, comédien et martyr hongrois passé par les guerres de Yougoslavie, Israël puis l’Amérique du Sud avant de mourir en Bolivie en comédien et martyr du mercenariat. Quant à notre ami Luc Rosenzweig, trop content de commander L’esprit du judaïsme de Bernard-Henri Lévy en vue d’une recension, il a purement et simplement confondu cet essai avec son quasi-homonyme Le génie du judaïsme, signé d’un certain Dominique Zardi. Si une certaine parenté semble relier les deux thèses, rien de commun entre leurs auteurs : le philosophe n’a certainement jamais croisé le regretté acteur abonné aux rôles de brutes. À ce propos, ne boudons pas notre plaisir à lire le portrait-fleuve de Sylvester Stallone que Patrick Mandon a consacré à Rocky Balboa fait homme. Sans oublier un long détour par l’article de Jérôme Leroy autour de Baudouin de Bodinat, post-situ de l’Encyclopédie des nuisances, auteur d’Au fond de la couche gazeuse, dont la démolition grand style de la vie moderne enchantera autant les esthètes en quête de radicalité que les radicaux en quête de beauté.
Avec Alain Finkielkraut, Roland Jaccard, Jérôme Leroy, et L’ouvreuse comme parrains chroniqueurs, vous voilà parés pour la rentrée de février !
Agriculteurs: «L’UE organise la compétition et leur extermination»

Causeur : La part des subventions dans les revenus agricoles n’a cessé d’augmenter depuis 1991, passant de 18% à 97% en 2005. Ce, malgré une production multipliée par deux depuis les années 1960 alors que les prix, eux, ont été divisés par deux. .. L’Etat français doit-il lui aussi soutenir financièrement plus avant le monde agricole ?
Philippe Collin : Il faut se méfier des chiffres. Antérieurement, les « soutiens » — terme que je préfère à celui de « subventions » — n’étaient pas donnés aux paysans mais aux transformateurs et n’apparaissaient donc pas dans les aides directes aux paysans. A la fin des années 70-80, existait ainsi un mécanisme d’aide aux exportations. On donnait par exemple comme aide aux exportateurs, pour envoyer du blé à destination de l’ex-URSS, l’équivalent de ce que l’on donnait aux producteurs pour rémunérer leur travail.
Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est en fait définir un projet européen qui se fixe pour objectif de maintenir des paysans en état de vie et pas seulement en état de survie. L’enjeu est de redéfinir les conditions dans lesquelles on organise la compétition en faisant concourir de manière égalitaire un cheval de course, une formule 1 et un coureur avec un boulet au pied — ce qui est le constat que l’on peut faire de la concurrence d’aujourd’hui. Car il existe des fermes de 1 000, 2 000, 3 000 vaches en Europe qui coexistent avec des paysans qui ont 40 à 50 vaches — c’est la moyenne française.
Il faut donc rompre avec une logique de compétition alors même que l’Europe est appelée « Union ». Peut-on faire une « union » en organisant une compétition et l’extermination de son prochain, en voulant toujours être meilleur que lui ? Assurément non. Si cette Europe n’est pas capable de redéfinir son projet, elle risque donc d’exploser et de conduire à la renationalisation des politiques agricoles. Ce qui est un peu en marche et n’est pas, à terme, une solution très salutaire pour la France qui est un exportateur net de produits agricoles à la différence de la quasi-totalité des autres pays de l’UE. Le Front national devrait d’ailleurs y réfléchir à deux fois avant de proposer la nationalisation de la politique agricole.
Plusieurs modèles d’exploitations agricoles existent : de très petites exploitations (30% en 2000) et de très grandes (30%) qui tendent à se développer au détriment des exploitations de taille moyenne. Au vu de ce constat peut-on envisager une politique publique unique à la crise agricole ?
En effet, il faut cesser de penser que l’on peut avoir une seule politique agricole alors qu’il existe plusieurs agricultures. La supercherie tient à considérer que ces agricultures sont équivalentes. D’abord parce que les soutiens financiers ne sont pas distribués en fonction du nombre de personnes qui y travaillent, mais uniquement en fonction de la taille des exploitations – ils sont même proportionnels. Ensuite, parce que les lieux dans lesquels se pratiquent ces agricultures ne sont pas les mêmes non plus. Il faut admettre la nécessité de politiques agricoles différenciées centrées autour d’un objectif social, et non pas uniquement un objectif de conquête des marchés internationaux au sein desquels ni la France, ni l’Europe ne sont bien placées pour être les meilleures.
Qu’en est-il des différents plans de soutien annoncés par le gouvernement ? Les allègements de charges promis ont-ils portés leurs fruits ?
L’Etat ne peut pas dans des contextes budgétaires contraignants, mettre énormément d’argent sur la table vu l’ampleur de la crise. Il est question du lait, mais on évoquera probablement dans les années qui viennent le secteur céréalier. Dès lors, les mesures de soutiens ponctuelles permettent de traverser les périodes difficiles mais elles ne sont pas de nature à assurer un revenu réel. Les plus fragiles souffriront probablement beaucoup. Il faut ajouter qu’il y a un cadre communautaire extrêmement rigide qui s’applique aux Etats, au nom de la loi sur la concurrence, qui leur interdit de prendre des mesures considérées par l’Union européenne comme anti-concurrentielles. Par l’exemple, il est interdit aux Etats de donner plus de 15 000 euros de soutien direct à un agriculteur.
Comment pourrions-nous lutter efficacement contre la concurrence intra-européenne, notamment celle de l’Allemagne qui fait appel à une main d’œuvre à bas coût venue des pays de l’Est ?
Il faut remettre une dose ponctuelle de soutien direct au niveau communautaire. Certes, les montants distribués en valeur absolue sont déjà très importants. Mais la question tend à interroger le modèle de société dont nous voulons. Nous avons une alimentation relativement abordable avec des produits de qualité. Voulons-nous remettre cela en cause et sacrifier autonomie et sécurité alimentaire ? C’est une question éminemment politique. Je considère pour ma part que l’Europe devrait prendre des mesures adaptées, grâce à des fonds communautaires, pour permettre aux paysans de dépasser la crise agricole actuelle. Dans un second temps, la PAC devrait être remise à plat. Validée récemment, elle est déjà inadaptée car adoptée dans un contexte international moins complexe qu’il ne l’est aujourd’hui. La surproduction est désormais mondiale, car la consommation a évolué et s’est contractée. Il y a trop de lait, trop de céréales. Les pays exportateurs de pétrole ont des revenus en baisse et les pays importateurs de produits agricoles tentent de devenir autonomes. Récemment, la Chine a incité le développement de sa production laitière pour ne pas dépendre d’un marché international fluctuant. La Russie, elle, va profiter de l’embargo pour redémarrer sa production laitière. A cause des sanctions économiques contre la Russie, on ne retrouvera jamais le potentiel d’exportation que l’on avait vers ce pays.
N’existe-t-il pas une forme d’absurdité à ce que le monde agricole se soit offert majoritairement à la FNSEA alors même que son président, Xavier Beulin, incarne à travers l’entreprise qu’il préside, Avril, cette industrie agro-alimentaire qui participe activement à la mort de la paysannerie traditionnelle ? Est-il vraiment contesté par sa base, comme on nous le dit ?
Xavier Beulin est contesté de façon de plus en plus visible. On a beaucoup évoqué les sifflets réservés à François Hollande lors de sa visite au Salon de l’Agriculture, mais il y en a certains qui étaient destinés au patron de la FNSEA. D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que la FNSEA, au travers de ses multiples tentacules, a sous sa coupe une grande partie des institutions et des outils économiques du monde agricole par le biais des coopératives, des Chambres de l’agriculture, des centres de gestion et autres organismes assimilés, qui assurent des missions de conseil et des services.
Pourquoi, après tout, maintenir une agriculture en France ? Au-delà du simple aspect productif, quel rôle social joue l’agriculteur au sein des campagnes ?
Les Anglais ont considéré au XIXème siècle que plutôt de maintenir une agriculture coûteuse avec des prix élevés, il valait mieux avoir une politique coloniale qui assure la sécurité alimentaire. Ce modèle est très fragile et nécessite une domination militaire…
Si l’on maintient l’agriculture en France, c’est pour assurer une alimentation à l’ensemble de nos concitoyens. Ce n’est pas un objectif si marginal que ça ! La France suffit très largement à ses besoins, mais assure également l’approvisionnement du Benelux. Notre pays est le premier exportateur européen et le premier producteur en volume.
Mais une chose apparaît essentielle aujourd’hui : il faut casser cette spirale infernale de la baisse du coût de l’alimentation. Depuis plusieurs décennies déjà, le coût de l’alimentation baisse, mais est-il pertinent par exemple d’assurer dans le même temps le développement des rentes des propriétaires immobiliers ? Cela génère un coût d’accès au logement qui est considérable et des aides qui, elles, sont peu contestées, alors que le prix de l’alimentation l’est sans cesse.
Au sein des campagnes, l’agriculteur n’a pas toujours un rôle social important. Il y a plusieurs catégories de paysans. Ceux qui participent au marché européen avec une production de masse et pour lesquels le voisin rural est avant tout un problème, et ceux pour lesquels ce voisin et non seulement un atout, mais un auxiliaire : il achète les produits des agriculteurs, visite leur ferme et la fait découvrir à ses enfants. On a en fait deux types d’agriculture. Dans ce contexte, la vente directe a tendance à se développer. Pourquoi d’ailleurs devrait-on nourrir les 12 millions de Franciliens avec un maraîchage venu du sud de l’Espagne ? Au XIXème siècle, la région parisienne était couverte de productions maraîchères et fruitières, qui ont totalement disparues aujourd’hui.
La reconnaissance du rôle social des agriculteurs est encore trop peu prise en compte dans l’acte d’achat. L’élévation des normes et l’amélioration de la qualité sont tout de même désormais porteuses d’espoir. Les poulets de Loué, garantis sans OGM, se vendent aujourd’hui beaucoup mieux que les poulets de Bretagne par exemple. Il faut véritablement redonner un sens au vivre-ensemble au travers d’identifiants tels que la qualité, la sécurité alimentaire et la proximité.
La longue marche des pro-life!

Derrière un stand, deux femmes souriantes nous tendent une panière remplie de petits fœtus en plâtre du meilleur goût. « C’est gratuit, servez-vous. » Nous ne sommes pas dans un roman d’Aldous Huxley, mais dans le sous-sol de l’hôtel Renaissance, où se tiennent les quartiers généraux de la March for life, dont la 43e édition a lieu ce vendredi 22 janvier à Washington. Les antennes ont beau se relayer pour annoncer la tempête de neige du siècle, rien ne semble pouvoir entamer l’enthousiasme général. Entre le café et les croissants du matin, les conférences s’enchaînent, mise en scène et rhétorique impeccables. Et lorsque les intervenants marquent une courte pause, chacun est invité à flâner entre les dizaines de stands qui parcourent l’immense sous-sol du bâtiment, tenus par des associations qui ont fait de l’avortement leur cheval de bataille. Une jeune femme, tatouages partout sur les bras et cheveux multicolores, n’hésite pas à aborder le chaland à la manière des commerçants du souk. L’avortement ? Elle reconnaît n’en avoir eu que faire jusqu’à ce que, persuadée d’être enceinte alors qu’elle avait à peine 16 ans, son compagnon de l’époque menace de la tuer si elle ne se soumettait pas à une IVG. « À ce moment-là, il y a quelque chose en moi qui s’est passé. Je ne pouvais pas accepter le fait de répondre à une violence par une autre violence. J’ai intériorisé l’idée. Il devenait évident que j’étais pro-life. » [access capability= »lire_inedits »] Plus loin, Bob, jeune noir un peu enrobé à la voix douce s’avance timidement. Cela fait deux semaines qu’il a rejoint Care Net, une association qui souhaite offrir compassion, espoir et secours à ceux qui s’orientent vers le choix de l’avortement en leur proposant une autre solution et la parole de Jésus-Christ. « Notre vision, c’est qu’un homme et une femme qui, face à une grossesse, doivent prendre une décision, l’Évangile peut les transformer et leur donner la force de choisir la vie ». Résolument plus pragmatique, cette clinique procure ses services à des futures mères en détresse : services gynécologiques et obstétriques, traitement de l’infertilité, elle propose aussi un planning familial naturel ainsi qu’un service spécial d’accompagnement dans la période périnatale. Entre les innombrables prospectus, T-shirts, pin’s, mugs, flanqués de l’omniprésent mot-clé « life », on trouve quelques étals plus radicaux, pour ne pas dire allumés, avec par exemple, ce CD proclamant que « l’avortement est un sacrifice satanique », ou cette brochure expliquant que l’IVG doit être interdit même en cas de viol.
Ambiance subitement plus solennelle. La grande veillée de prière qui précède la Marche pour la vie va commencer. Pas loin de 20 000 jeunes s’y retrouvent pour assister à l’office présidé par le cardinal de New York, Monseigneur Dolan. Le sanctuaire de l’Immaculée Conception est plein à craquer. On compte huit cardinaux et une quarantaine d’évêques. Religieuses, prêtres et jeunes à peine sortis de l’adolescence composent essentiellement l’assistance. On s’interroge. Pourquoi aussi peu de cheveux gris ou blancs ? Comment font-ils pour drainer un public aussi jeune ? Un observateur averti explique : « Nos principaux pourvoyeurs de manifestants sont les écoles et les universités catholiques. Elles encouragent autant qu’elles peuvent les jeunes à se rendre à cette marche, en leur accordant un jour de congé à cette date-là par exemple. C’est tactique. Ces jeunes se rappelleront toute leur vie de cette marche. Demain, certains d’entre eux seront sûrement des décideurs. » Ceux qui auraient constaté la timidité de l’Église de France dans le combat pour la vie se pinceront pour y croire. Ici, l’Église catholique est à l’avant-garde et conduit la stratégie. Mais elle invite à prier aussi. Et dans cette nuit qui laissera ensuite place à la marche, les chapelets s’égrèneront.
Le scandale du Planned Parenthood
Erigé en droit constitutionnel par une décision de la Cour suprême « Roe v. Wade » du 22 janvier 1973, l’avortement s’est imposé aux États dans des conditions ultralibérales qui contrastent pour le moins avec la loi Veil. Chacun était autorisé à avorter dans les modalités qu’il choisirait. Alors qu’en France il s’agissait d’une dérogation, une exception érigée progressivement en droit, outre-Atlantique, c’est le chemin inverse qui s’est produit : un droit absolu s’est vu progressivement encadré. Jusqu’à ce qu’une loi, passée grâce à la pression des pro-life, ne l’interdise en 2003, on pouvait par exemple procéder à des « partial-birth abortions », des avortements nécessitant une naissance partielle du fœtus. Les militants pro-life peuvent donc s’enorgueillir de plusieurs victoires (des centaines de lois restreignant le droit illimité sont passées depuis quarante ans), à l’inverse de la France où ils ne cessent de perdre du terrain. D’où l’intensification du combat pour une bonne partie du pays qui croit à la bascule.
Un événement récent est venu changer la donne, marquant une rupture dans le combat des pro-life. Le scandale du Planned Parenthood, qui, à l’été 2015, a pris une ampleur inédite aux États-Unis à l’été 2015, a fait éclater au grand jour la « culture du déchet » consubstantielle à l’avortement de masse. Piégée par des militants pro-life en caméra cachée, une responsable du Planned Parenthood (planning familial américain) avait détaillé la collecte et le trafic auxquels se livre l’organisation, accusée de vendre des organes de fœtus avortés pour la recherche. La révélation de ces vidéos a créé une polémique monstre aux États-Unis, gagnant le camp des Républicains, qui à l’approche des primaires, remettaient sur le tapis l’idée de désubventionner le Planning familial. Une loi en ce sens est allée jusqu’au Congrès, mais Obama a promis d’y mettre son veto. Le scandale a fait de l’avortement un débat politique pour la présidentielle de 2016. Tous les candidats à la primaire républicaine s’affichent d’ailleurs pro-life, sauf Donald Trump, ambigu sur la question, et peu apprécié des militants de la Marche pour la vie.
Car, si dans l’Hexagone l’ensemble de la classe politique et médiatique communie dans la célébration du droit à l’avortement, aux États-Unis, les pro-life et les pro-choice s’affrontent en toute liberté, à coups de lobbys, de sondages, d’associations et d’initiatives diverses. Mais cette division, qui s’est imposée au fil des années, paraît aujourd’hui très arbitraire. En effet, l’opinion américaine se divise en deux parts à peu près égales, et ce de façon stable dans le temps. Dans un pays où la législation sur l’avortement est quasiment inexistante au niveau fédéral, le débat n’est plus tellement entre ceux qui veulent l’autoriser et ceux qui veulent l’interdire. Selon un dernier sondage, 60 % des Américains considèrent l’avortement comme « moralement répréhensible », et 81 % d’entre eux voudraient le voir limité aux cas de viol, d’inceste, ou de mise en danger de la santé de la mère. Le clivage pro-life/pro-choice a tendance à escamoter la majorité indécise, qui ne trouve pas l’avortement « amazing » mais n’affiche pas franchement ses convictions.
Comme l’explique Jeanne Mancini, la présidente de la March for Life, les objectifs du combat pro-life sont à deux niveaux. Au niveau politique, il s’agit d’influencer les décideurs politiques pour faire passer des lois fédérales posant des limites à l’avortement. Mais c’est au niveau culturel que tout se joue. Il s’agit, selon les mots des organisateurs, de « construire une culture de vie », par la diffusion de campagnes de communication et d’initiatives multiples. Celles-ci sont innombrables, dans une société civile américaine foisonnante : programmes d’éducation pour former des militants pro-vie dès la maternelle, formation des églises, et surtout, centres d’aide à la grossesse qui prennent en charge les mères. Comme l’expliquait Ron Paul, ex-candidat libertarien à la présidentielle américaine et adversaire résolu de l’avortement, « les pro-life ne vaincront pas par la politique ». « Les centres de crise pour grossesses, qui prodiguent de l’aide et de la compassion à des femmes faisant face à des grossesses non désirées ont fait beaucoup plus pour la cause pro-life que n’importe quel politicien », écrivait-il à la suite du scandale du Planned Parenthood. En effet, si en France l’aide à la maternité non planifiée est confiée principalement à des associations confidentielles et confessionnelles, aux États-Unis, de très nombreux organismes proposent d’aider les femmes à garder leurs enfants. Ainsi, sur les brochures distribuées, on trouve des compteurs des enfants sauvés par ces associations. « 66 000 vies sauvées par an », proclame ainsi Carenet, un organisme qui aide les femmes enceintes en détresse dans 1 100 « pregnancy centers » aux États-Unis.
«Abortion is an Obamination»
C’est le D-Day. Une forêt de pancartes convergent au pied du Washington Monument, au départ de la March for Life. « Vous pouvez me jeter des capotes dessus, je ne changerai pas d’avis, j’ai lu la Bible, je sais que j’ai raison » : Carly Fiorina, seule candidate féminine à la primaire républicaine, ne mâche pas ses mots. Par un froid de -5°, elle galvanise une foule acquise d’avance. À la fin de son discours, les témoignages d’élues républicaines engagées dans le combat pro-life défilent sur l’écran. Pour cette 43e marche pour la vie, le thème affiché est « Pro-women and pro-life go hand in hand » (Les féministes et les pro-life avancent ensemble). Des femmes affichent fièrement leurs T-shirts « I am a pro-life feminist ». L’idée mise en avant est que la lutte contre l’avortement est le véritable combat féministe. Stratégiquement, l’argumentaire s’est déplacé de la souffrance physique du fœtus à la souffrance psychique de la mère. Car si les « non-nés » ne peuvent par définition pas témoigner, les femmes ayant subi une IVG, elles, le peuvent. Ces dernières défilent en portant bien haut leurs panneaux « I regret my abortion ». L’une d’entre elle prend la parole, visiblement émue « J’étais seule, j’ai cédé à la pression. J’ai fait une dépression, puis une tentative de suicide. Aujourd’hui, je ne me tairai plus. » Sue Ellen Browder, auteur de Subverted : How I Helped the Sexual Revolution Hijack the Women’s Movement, vient témoigner. Cette ancienne reporter au magazine branché Cosmopolitan (équivalent américain de notre Marie-Claire), « convertie » au combat pro-life après avoir subi une IVG, dénonce dans cet essai le fait que l’avortement soit devenu une revendication féministe.
Un des rares hommes à intervenir, Matt Birk, prend le micro. Ce quadragénaire blond, ex-champion de football américain, est une égérie de la cause pro-life. Quand son équipe a gagné le Super Bowl, il a refusé de se rendre à la réception donnée en leur honneur par Obama, car celui-ci avait déclaré « God Bless Planned Parenthood ». « Si la vie des Noirs compte (« black lives matters » est un slogan de la cause noire aux États-Unis), alors la vie dans le ventre des femmes compte aussi », crie le sportif devant la foule enthousiaste. Les intervenants qui se succèdent affichent la coolitude et l’enthousiasme américain, à mille lieues de la naphtaline des cortèges de Civitas. Chacun raconte « how he became pro-life », à la manière d’une conversion. La méthode est celle du protestantisme évangélique américain, très marqué par la culture du « born-again».
Dans la foule qui s’ébranle en ordre discipliné en direction de la Cour suprême, pas de sonos hurlantes, pas de slogans scandés à l’unisson. Quelques chants entonnés ici et là (« Hey, Obama your momma chose life ! » / « Hey Hey Ho Ho Roe v Wade has got to go »), mais surtout de multiples pancartes brandies fièrement et qui mettent en exergue les différentes chapelles qui composent ce mouvement national. Une curieuse cohabitation, des plus classiques (Defend Life / Women deserve better than abortion / I am the pro-life generation) aux plus intrigantes (I regret my abortion / Abortion is an Obamination / I mourn my aborted sibling). La procession est à mi-chemin lorsque des écrans géants viennent projeter quelques courtes séquences chocs où se succèdent des images de fœtus déchiquetés et sanguinolents. Le trash et le cool, le religieux et le pragmatique, le confessionnel et le sensationnel cohabitent, à l’image d’une Amérique binaire et paradoxale. Le mouvement pro-life, qui a pu être très violent (on dénombre huit médecins ayant pratiqué l’avortement, assassinés par des fanatiques), a tout de même compris qu’il devait évoluer vers le soft pour convaincre l’opinion. L’argumentaire est uniquement centré sur l’avortement, la mère et l’enfant, dans des considérations émotionnelles et pragmatiques, éventuellement religieuses, mais jamais philosophiques ni anthropologiques, comme l’ont été les arguments de la Manif pour tous en France. La gestation pour autrui, l’euthanasie, la procréation médicalement assistée et autres problématiques bioéthiques ne seront jamais évoquées. On est loin de la « révolution conservatrice » observée en France à l’occasion de la Manif pour Tous. Si l’avortement, enjeu très émotionnel a sa place dans le débat, l’anthropologie individualiste du modèle américain n’est jamais remise en cause. Sauf que des millions d’individualistes réunis autour d’une même cause, ici, ça s’appelle une communauté. Et aux USA, les communautés, ça compte, et ça gagne souvent à la fin.[/access]
Petit précis de décomposition politique

L’une des caractéristiques de la situation actuelle est le désenchantement vis-à-vis du « rêve » européen. L’Europe, et en particulier sous sa forme de l’Union européenne, ne fait plus rêver. Elle inquiète et elle fait même peur. Le « rêve » s’est transformé en cauchemar, d’Athènes à Paris, en passant par Rome, Lisbonne et Madrid. Les causes en sont multiples : chômage de masse, politiques d’austérité à répétition dont le poids est toujours porté par les mêmes, mais aussi montée des réglementations liberticides et des détournements de souveraineté, enfin des comportements scandaleux à l’échelle internationale comme on peut le voir dans la gestion calamiteuse de la question des réfugiés ou dans l’alignement sur la politique états-unienne avec le soutien apporté, de fait, aux néo-nazis qui sévissent à Kiev. Ce désenchantement se traduit par la montée des remises en cause de l’Union européenne, dont le débat sur une sortie possible de la Grande-Bretagne (ce que l’on appelle le « Brexit ») est l’un des exemples. Il provoque en retour la crise ouverte des élites politiques, et en particulier en France où la « construction européenne » avait depuis longtemps quitté le domaine de la raison pour entrer dans celui du dogme religieux. C’est ce qui explique le spectacle de décomposition accélérée que donnent les deux partis anciennement dominant de la vie politique française, le Parti « socialiste » et l’ex-UMP rebaptisé « Les Républicains ».
Un PS incapable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire
Cette décomposition est aujourd’hui une évidence au sein du P« S ». La tribune co-signée par Mme Martine Aubry et quelques autres, tribune dont on a déjà parlé, en est l’un des symptômes[1. Voir Sapir J., « L’indécence et l’impudence de la tribune de Martine Aubry » note publiée le 26 février in RussEurope, http://russeurope.hypotheses.org/4746]. Dans cette « rupture », qui semble bien aujourd’hui actée[2. http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2016/02/28/25001-20160228ARTFIG00072-martine-aubry-et-ses-proches-annoncent-leur-retrait-de-la-direction-du-ps.php], entre deux lignes que pourtant tout rapproche et en particulier leur européisme, ce sont les querelles d’égo qui ont d’abord parlée. Et ceci est symptomatique d’une décomposition politique quand on n’est plus capable de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, ou que l’on en vient à considérer les questions de personnes comme essentielles. De fait, la cohérence du gouvernement, et des partis qui le soutiennent, est déterminée par le vote du Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (le TSCG[3. Voir le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit TSCG, URL :http://www.consilium.europa.eu/media/1478399/07_-_tscg.en12.pdf]), vote qui fut obtenu en septembre 2012[4. Voir Sapir J., « Honneur au Soixante-dix », note publiée le 9 octobre 2012 sur RussEurope, http://russeurope.hypotheses.org/266]. Ce Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, contient en réalité trois mensonges pour le prix d’un. Quelle stabilité, quand on voit dans le rapport récent du FMI[5. http://russeurope.hypotheses.org/253] que les mêmes mécanismes qui ont été mis en œuvre depuis 2010 n’ont fait qu’aggraver la crise ? Quelle stabilité encore quand on voit la dépression que connaissent les pays en crise ? Parler de stabilité est ici un mensonge flagrant. Quelle coordination, encore, quand on sait qu’il n’y a de coordination qu’entre des agents libres et des Etats souverains, alors c’est à une autorité hiérarchique que l’on a affaire, et qu’il n’y a dans ce traité qu’asservissement à des agences dites indépendantes ? J’écrivais en octobre 2012 : « Ce Traité organise en fait le dépérissement de la démocratie en Europe avec la fin de l’autorité suprême des Parlements nationaux en matière budgétaire. Or, il faut s’en souvenir, c’est par le consentement à l’impôt que commence la démocratie. »[6. http://russeurope.hypotheses.org/266]
Quelle gouvernance, enfin, dans un Traité qui s’est avéré inapplicable et qui n’a pas eu d’autres fonctions que d’être violé à peine signé ? Mais ce traité désastreux a bien été l’inspiration des diverses mesures prises par François Hollande et ses divers gouvernements. C’était ce traité qu’il fallait combattre et non pas pleurer sur ses conséquences. Ceci ne rappelle que trop cette célèbre phrase de Bossuet qui s’applique, hélas, parfaitement à cette situation : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance ».[7. Bossuet J.B., Œuvres complètes de Bossuet, vol XIV, éd. L. Vivès (Paris), 1862-1875, p. 145. Cette citation est connue dans sa forme courte « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ».]
Entre Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ?
Mais, la décomposition sévit aussi dans l’opposition. La « primaire » que les « Républicains » veulent organiser n’est pas seulement une injure aux institutions, dont ce parti devrait, de par ses origines, être le meilleur défenseur. Elle se traduit par une surenchère de petites phrases, des postures dont raffolent certains dirigeants politiques, le verbe haut et les coups bas. Car, entre MM. Fillon, Juppé, Le Maire et Sarkozy, où sont les différences ? Un peu plus ou un peu moins d’austérité ? Quelques cadeaux en plus ou en moins pour le Medef ? Le jeunisme brouillon contre la calvitie couverte d’erreurs ? Ce sera, toujours, le même alignement sur Bruxelles, sur l’Union européenne et sur l’Allemagne. Il faut espérer qu’une voix se lève pour faire entendre un autre discours. Mais, en attendant, nous avons droit au même spectacle que celui donné par les « Solfériniens ».
Enfin, des histrions proposent des candidatures de fantaisies, comme celle de Nicolas Hulot, sans se soucier du programme qui pourrait la sous-tendre. Cette focalisation sur des personnalités est bien la preuve que nous sommes dans un espace politique complètement décomposé.
Le dilemme européen : la déflation ou la disparition
Pourtant, l’heure est grave. La situation de la France n’a d’égal que la crise que connaît l’Union européenne. Il suffit de lire ce qu’écrit un auteur « européiste », mais pourtant lucide, pour s’en convaincre [8. Fazi T., « Why The European Periphery Needs A Post-Euro Strategy », 25 février 2016, https://www.socialeurope.eu/2016/02/bleak-times-ahead-for-the-european-periphery/]. Car cette crise qui perdure a une origine. Cette destruction de l’ensemble du cadre économique et social que nous connaissons en France vient de ce que l’euro favorise ou impose dans les différents pays membres. Mais, elle découle aussi du cadre politique implicite qui se met en place à propos de l’euro dans les pays de la zone euro. Aujourd’hui, la plupart des Européens sont désormais conscients des effets négatifs sur l’économie de la monnaie. On sait ce qu’elle entraîne, et ce qui était prévisible depuis près de dix ans[9. voir J. Bibow, (2007), ‘Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This’, in J. Bibow et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007.] : croissance faible et montée du chômage. La crise de la zone euro est désormais une évidence, même pour les idéologues les plus bornés. Aucun des problèmes fondamentaux posés dès l’origine n’a été résolu, et leurs effets désormais s’accumulent. Les solutions partielles qui ont été proposées, et présentées comme des avancées historiques vers une Europe fédérale, posent en réalité bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. La zone euro n’a plus d’autre choix que de s’engager toujours plus dans une politique de déflation, dont les conséquences cumulées sont redoutables pour les peuples des pays qui la composent, ou de disparaître.
L’attractivité de l’euro mais aussi de l’Union européenne est en train de s’effacer. La faute en revient aux politiques d’austérité qui ont été mises en œuvres ouvertement pour « sauver » l’euro, c’est-à-dire pour résoudre la crise des dettes souveraines. Or, ces politiques ont plongé les pays qui les ont appliquées dans des récessions très profondes[10. Baum A., Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, (2012), « Fiscal Multipliers and the State of the Economy », IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC. Blanchard O. et D. Leigh, (2013), « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C.]. Il faudra que très rapidement les dirigeants des différents pays en prennent acte et soit trouvent des thèmes susceptibles de refonder cette attractivité, soit comprennent que l’on ne peut durablement faire vivre des institutions contre la volonté des peuples.
Pour des Comités d’action de la révolte sociale
Les quolibets et les insultes que le président de la République a subis au Salon de l’agriculture le matin du samedi 27 février sont exemplaires de l’exaspération d’une profession, mais au-delà des Français. Or, les problèmes de l’agriculture française, dont les sources sont multiples et où le rôle de la grande distribution est à signaler, seraient largement réduits si une différence de 40% s’établissait entre le franc retrouvé et le deutsche mark. Cela correspond à ce que donnent les calculs dans le cas d’une dissolution de la zone euro, soit une dépréciation de 10% pour le franc et une appréciation de 30% pour le DM. Notons encore que c’est l’Union européenne qui s’oppose à la signature d’accords garantissant les prix d’achat aux producteurs, au nom du sacro-saint respect de la « concurrence libre et non faussée ». Le gouvernement français aurait parfaitement les moyens de régler cette crise en jouant sur les prix et non par des suppressions de cotisations, qui ne sont que des palliatifs temporaires.
La montée de l’exaspération populaire est aujourd’hui palpable, et sur l’ensemble des terrains. C’est ce qui explique le retentissement des manifestations du Salon de l’agriculture le 27 février. De la calamiteuse « loi Travail » à la situation dramatique des agriculteurs, de la révolte des enseignants contre la réforme du collège et le discours de l’Education nationale à la casse des services publics et de l’esprit public (avec son corollaire, la laïcité) sur l’ensemble du territoire, il est temps que ces diverses colères trouvent leur débouché politique. Ce débouché ne peut être qu’une position radicalement opposée à l’euro et renvoyant l’Union européenne à une réforme immédiate. Ce débouché doit prendre la forme d’un rejet immédiat des deux partis, le P« S » et les « Républicains » dont la cogestion de la France au sein de l’idéologie européiste a produit la situation actuelle. Cela impose de dire haut et fort que nous ne voterons en 2017 ni Hollande, ni Aubry, ni aucun des clones que nous produira cette « gauche » déshonorée, ni pour Juppé, ni pour Sarkozy, ni aucun de ces clowns issus de la matrice européiste.
Cette convergence des luttes doit s’organiser, si possible avec l’aide des syndicats, ce qui serait naturellement souhaitable, mais s’il le faut sans eux. Un grand mouvement de Comités d’action de la révolte sociale est possible. Ces comités doivent avoir deux principes directeurs : la volonté de faire converger les luttes et le rejet clair et sans ambiguïté du cadre européen avec la volonté affirmé de retrouver notre solidarité. Telle pourrait être la meilleure sortie possible de la situation de décomposition politique dans laquelle nous nous trouvons.
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Kamel Daoud ou la victoire des intégristes de la pensée molle

Un quarteron de féministes en mal de mâles ou d’idées intelligentes, de sociologues en dérive et délire et d’intellectuels auto-proclamés, donc de gauche, a fini par demander la peau de Kamel Daoud, coupable d’avoir dit la vérité sur les viols à la chaîne commis dans toute l’Europe (et pas seulement à Cologne pour la Saint-Sylvestre) par des migrants orientaux ou des immigrés nord-africains. Des vérités d’évidence, mais qui contreviennent à la règle de silence imposée aux médias et à l’opinion par la mauvaise conscience occidentale.
Je dis « demander la peau » parce que clouer au pilori, sous ce prétexte, un écrivain vivant en Algérie, c’est le vouer aux gémonies des extrémistes qui pullulent dans ce joli pays, y compris dans les sphères gouvernementales, où les fondamentalistes qui hier décapitaient des moines à Tibérine et leurs concitoyens un peu partout partagent le pouvoir et les revenus du pays avec les militaires qui ont confisqué le pouvoir depuis trente ans afin d’arrondir leurs fins de mois et leurs comptes en Suisse.
C’est d’autant plus infâme que les signataires de la tribune publiée par le Monde, en expiation de celle écrite par Kamel Daoud peu auparavant — comme si toutes les opinions se valaient et pouvaient se contrebalancer, une idée inscrite dans la loi Jospin de 1989 et dans le crâne des mauvais élèves — ne risquent rien, eux. Ils sont à l’abri en Occident — et même, ils donnent des gages aux tueurs qui sommeillent ici. Ils sont réfugiés derrière la muraille de leur bonne conscience. Sans doute apprécient-ils Jean-Louis Bianco et François Hollande, ces chantres infatigables de la laïcité aménagée, et ouverte. Au pire estiment-ils que ce n’était pas grave — « juste un doigt », hein…
Dès la mi-janvier, Elisabeth Lévy notait qu’à l’occasion des centaines de viols commis en Allemagne, en Suède (combien en France ?) ou en Egypte sur la personne de journalistes occidentales (et sur combien d’Egyptiennes non conformes ?), le « parti du déni » s’était surpassé. Que c’est en tentant de dissimuler la réalité que l’on nourrit les fantasmes — non en disant, comme Kamel Daoud, que la société algérienne est une société complètement malade de son hémisphère sud, si je puis dire, comme l’a souligné une longue et passionnante étude publiée dans le Monde diplomatique. Que « la répétition de mêmes scènes, de la place Tahrir au cœur de villes européennes, permet au moins de demander s’il n’y a pas un rapport entre ces déchainement pulsionnels et la vision que nombre d’hommes, dans les sociétés arabo-musulmanes, ont des femmes, et pire encore, des femmes infidèles. » Et que la politique d’Angela Merkel en a pris un vieux coup dans l’aile.
L’aveuglement des bonnes consciences
Tâchons d’être clair.
Toute personne qui impose aux femmes un vêtement — le voile, par exemple — ou une mutilation — excision ou infibulation, des pratiques fort répandues dans nombre de sociétés musulmanes, de l’Egypte au Nigeria et à l’Indonésie — sous prétexte de les améliorer/camoufler/soustraire à la concupiscence, est un malade qu’il faut soigner par les moyens les plus énergiques. Ce n’est pas une question d’opinion : c’est un problème constitutionnel. Et toute personne appuyant ces malades doit être inculpée, très vite, de non-assistance à personne en danger.
Passons sur le fait que Kamel Daoud a dans son petit doigt plus de talent que tous ces signataires de la bonne conscience dans toute leur personne. Mais ce qu’il dit est vérité d’évidence : y voir le reflet de fantasmes coloniaux (ah, l’arabe violeur et le nègre cannibale — sans doute n’y avait-il pas, n’y a-t-il jamais eu de cannibales en Afrique) marque encore une fois le totalitarisme mou des démocraties moribondes, via l’expression politiquement correcte de la Lingua Quarti Imperii, comme dirait un Klemperer moderne, qui marque l’irruption du fascisme des larves dans notre République.
Parce que les lieux communs ne sont pas sous la plume de Kamel Daoud. Ils sont dans l’aveuglement des bonnes consciences, qui croient que tous les hommes se ressemblent et partagent les mêmes idéaux, alors que les préjugés plombent l’esprit critique de ces civilisations venues du chaud. N’y aurait-il plus de bon musulman qu’un musulman athée ?
Non que j’ignore que si la République ne reconnaît et ne subventionne aucun culte, elle est garante du droit de croire ce que l’on veut. Mais l’islam fondamentaliste n’est plus une religion : c’est une machine de guerre. Et le viol de masse est l’un des moyens de cette guerre. Comme il le fut de tous temps et partout, des Croisades aux guerres africaines d’aujourd’hui en passant par les Américains de la Seconde guerre mondiale — on évalue à deux millions le nombre d’Allemandes violées par l’Armée rouge, quelques dizaines de milliers pour les Gi’s et leurs alliés, Français compris. Le viol est le repos du guerrier. C’est la loi de la guerre, qui est l’espace de la non-loi.
Et justement, c’est bien d’une guerre qu’il s’agit, comme le disait si bienUmberto Eco — pas d’une question religieuse. C’est d’une armée qu’il s’agit — pas de « fidèles ». Et comme d’habitude les femmes paient le tribut le plus lourd et le plus immédiat. Qu’un homme — musulman de surcroît — ait le culot de le dire affole les bonnes consciences repues de ce côté de la Méditerranée — et doit à cette heure inciter à aiguiser les couteaux de l’autre côté. Quand ils l’auront tué, il se trouvera bien quelques belles âmes pour s’en émouvoir, nous prêcher quand même le « padamalgam » habituel et quelques autres qui penseront, comme pour Charlie, qu’il l’a « bien cherché ».
En attendant, Daoud s’est mis en semi-abstinence journalistique — il continuera ses chroniques au Point et c’est tout. Victoire des intégristes de la pensée molle et de la reddition annoncée. Qui ne voit que la peur de la récupération de Cologne par l’extrême droite sert en fait à cautionner cette autre extrême droite qu’est l’extrémisme religieux ? En vérité je le dis aux 19 imbéciles signataires de l’article du Monde qui croient que fustiger Kamel Daoud refourbira leur aura : dans un an et des poussières, quelques millions de Français voteront contre vos illusions — et vous balaieront. Et je ne pleurerai pas sur vos dépouilles. Comme vous diriez vous-mêmes : « Vous l’aurez bien cherché. »
PS : Jacques Julliard écrit des choses très justes sur l’affaire Daoud dans le dernier numéro de Marianne du 26 février, notant qu’« à la lâcheté ordinaire s’ajoute quelque chose qui s’apparente à la dénonciation. » Ben oui.
Allemagne: du welcome au go home


Une fois de plus, l’Allemagne étonne. Nul ne doute que les incidents qui ont émaillé la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, quand des bandes de jeunes à moitié ivres d’origine étrangère s’en sont prises à des femmes sans défense, en combinant agressions sexuelles et vols, méritent d’être vigoureusement condamnés. Nul ne s’étonne de voir les autorités allemandes résolues à punir sévèrement les auteurs de ces exactions. Mais ce qui surprend est de voir l’Allemagne prête à basculer radicalement dans son attitude à l’égard des réfugiés, passant d’une ouverture sans égale de la part des autorités comme d’une grande partie de la population, ouverture contrastant avec l’attitude frileuse de maint pays européen, à une réaction de rejet. N’y a-t-il pas une disproportion entre l’événement, qui n’a impliqué qu’une infime minorité des réfugiés, et ses conséquences ?
Certes, les autorités ont hautement affirmé qu’il ne fallait pas stigmatiser les réfugiés, et les étrangers en général, à la lumière de ces événements. « C’est ce que font les charognards de l’extrême droite », a déclaré le ministre de l’Intérieur de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Ralf Jäger. Mais, après un moment de flottement, parfois qualifié de « conspiration du silence » le fait que les agresseurs aient été des étrangers extra-européens, et pour une part des réfugiés, a été hautement mis en avant. Le même Ralf Jäger a souligné que les agressions de Cologne ont été commises « presque exclusivement » par des personnes « d’origine immigrée », notamment du Maghreb et d’autres pays arabes. De plus, au-delà des auteurs des faits délictueux, la législation concernant l’asile est mise en cause globalement. Il est prévu qu’un demandeur d’asile, même condamné à une simple peine de prison avec sursis verra sa demande rejetée alors qu’actuellement c’est seulement le cas des demandeurs d’asile condamnés à trois ans de prison ferme ou plus.
Ces réactions vont de pair avec le fait que l’opinion a été profondément ébranlée. Les événements ont multiplié les doutes sur la capacité du pays à intégrer le million de demandeurs d’asile venus en 2015.[access capability= »lire_inedits »] « Avec Cologne, c’est la qualité du débat sur la politique des réfugiés qui a changé », a déclaré le président de la commission des affaires européennes au Bundestag, Gunther Krichbaum (CDU). Une adjointe (Verts) au maire de Cologne pendant quatorze ans, Angela Spizig, se désole : « J’ai célébré Cologne comme une ville de deux mille ans de migrations, d’intégration réussie et de femmes fortes. J’ai eu l’impression que tout ce qui fait cette ville et qui a été construit ces dernières années a été ruiné en une nuit. » Pour Der Spiegel, « Cologne, c’est le début de la fin du politiquement correct ».
Comment comprendre que l’action de quelques individus ait pu suffire à transformer à ce point l’image d’une multitude ?
Une première explication tient à la difficulté à penser simultanément plusieurs représentations contradictoires d’une même réalité. Pensons à la fameuse image où l’on peut voir soit une très vieille femme, soit une femme très jeune, mais pas l’une et l’autre à la fois. On a affaire au même type de phénomène avec les réfugiés. Deux images s’opposent. D’un côté on a affaire à un ensemble de personnes en détresse, qui, tel l’homme de la parabole, blessé, secouru par le bon Samaritain, méritent aide et compassion. L’enfant mort noyé, abandonné sur une plage turque, dont la photo a fait le tour du monde, en fournit une représentation exemplaire. Et, simultanément, on a affaire à des individus marqués par des cultures porteuses, aux antipodes de la culture allemande, d’un certain mépris des femmes, pour lesquelles toute femme d’apparence un peu libre tend à être vue comme une femme de mœurs légères, qu’il n’est pas choquant de traiter en objet sexuel.
Les ONG qui gèrent les centres d’accueil ont cherché en vain à attirer l’attention sur les violences sexuelles
Quand l’afflux des réfugiés s’est produit, la situation dramatique qu’ils fuyaient, l’horreur de l’État islamique, la détresse où ils se trouvaient, ont conduit à activer la première représentation. L’image d’un monde social et culturel problématique a été recouverte par celle du réfugié en détresse, qui demandait que l’on vole à son secours. On a pu parler de « Willkommenskultur » – culture de l’hospitalité. On a vu des haies d’honneur saluant les réfugiés entrant en gare de Munich. La force de cette image de détresse a même rendu inacceptable d’activer l’image inquiétante. À ce titre, ceux qui, tel le mouvement Pegida, ont refusé l’accueil, ont fait scandale. Et les pays d’Europe de l’Est qui ont parlé d’effectuer des distinctions entre bons et mauvais réfugiés, en particulier entre réfugiés musulmans et chrétiens, ont choqué.
Et puis, avec les événements de la Saint-Sylvestre, cette autre image est revenue en force. Interrogée par le journal Le Monde, une célèbre féministe, Alice Schwarzer, a déclaré : « L’Allemagne, en raison de son histoire récente, nourrit une conception erronée de la tolérance, qui l’a conduite à fermer les yeux sur des ségrégations entre les sexes et des violences masculines dans la communauté musulmane ». On s’est mis à prêter attention au fait que les ONG qui gèrent les centres d’accueil cherchent en vain depuis des mois à attirer l’attention sur les violences sexuelles dans les foyers. On voit l’ancien maire social-démocrate d’un quartier multiculturel de Berlin affirmer, rapporte Libération : « Le problème, c’est l’image des femmes qu’ont de nombreux migrants venus du Moyen-Orient. Pour beaucoup d’entre eux, une femme sortant le soir n’est rien d’autre qu’une prostituée. Bien des hommes qui ont grandi dans une société patriarcale n’ont pas de honte à tripoter les femmes. Il faudra plus que des cours d’intégration pour changer cette image des femmes ! »
Après les événements de la Saint-Sylvestre, il est devenu impossible de fermer les yeux sur cet autre aspect de la réalité. On a pu avoir un changement d’image aussi brutal que celui qui conduit à cesser de voir la jeune femme pour voir la vieille femme, ou l’inverse, dans l’image ambiguë classique. Dès lors un changement de réactions très brutal lui aussi n’a rien d’étonnant.
Ce changement de regard global a en outre été favorisé par un passage d’une vision de personnes à une vision de masses. Quand on pense à la détresse des réfugiés c’est le sort de chaque personne en état de faiblesse que l’on considère et qui émeut. Au contraire, lors des événements de la Saint-Sylvestre on a eu affaire à des bandes tentant d’imposer leur loi, de plus sur le point si sensible en Allemagne du respect porté aux femmes. On a quitté alors le registre des rapports entre personnes pour passer dans celui des rapports entre les peuples et les civilisations. Ce passage a été d’autant plus aisé que, dans une vision allemande, les appartenances communautaires sont considérées comme essentielles et qu’on est loin des réticences françaises à la prise en compte des cultures.
De plus, l’intensité des réactions allemandes a été alimentée par la vision d’une vie civilisée qui prévaut en Allemagne. Kant en est un bon témoin. La préoccupation de « former un peuple » de ce qui pourrait n’être qu’une « horde de sauvages » revient sans cesse chez lui[1. E. Kant, Projet de paix perpétuelle, (1795), in Œuvres philosophiques, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1986, tome III, p. 366.]. Il regarde avec horreur les arbres « qui lancent à leur gré leurs branches en liberté et à l’écart des autres » et, de ce fait, « poussent rabougris, tordus et courbés » pendant que, au contraire « dans une forêt, les arbres, justement parce que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, se contraignent réciproquement à chercher l’un et l’autre au-dessus d’eux, et par suite ils poussent beaux et droits »[2. E. Kant, Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, (1784), in Œuvres philosophiques, op. cit.,tome II, p. 194.]. D’après lui, l’homme a besoin d’être forcé à échapper à ses mauvais penchants, par la vertu des contraintes qu’engendre la vie avec ses semblables. Être libre, ce n’est pas agir à sa guise, c’est avoir voix au chapitre dans les orientations que prend la communauté à laquelle on appartient[3. E. Kant, Métaphysique des mœurs (1796), in Œuvres philosophiques, op. cit., tome III, p 581.]. Dans cette perspective, les « hordes » (le terme a été employé) échappant à tout contrôle pour se livrer à des comportements barbares sont source d’angoisse. Et le fait que la police a perdu le contrôle de la situation, qu’une forme d’anarchie s’est installée, n’a pu que renforcer ce sentiment.
Enfin la foi dans un monde civilisé rassemblant des hommes de toutes origines dans une même communauté, telle qu’elle a été mise en avant en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale par réaction à l’exaltation de la nation allemande au temps de la barbarie nazie, a pu être sérieusement ébranlée. Cette foi a alimenté l’accueil réservé tout d’abord aux réfugiés. Mais, dans la vision communautaire allemande, il est spécialement attendu de celui qui est traité comme membre de la communauté qu’il se comporte comme tel, adhère pleinement à l’ordre collectif régissant celle-ci. Le ministre fédéral de l’Intérieur, Thomas de Maizière, a tenu des propos très fermes sur ce point : « Nous voulons voir le processus d’intégration respecté et accepté comme une obligation des deux côtés, l’État allemand et les migrants. Il doit être clair que tous ceux qui vivent en Allemagne et qui souhaitent y vivre doivent respecter nos lois et notre ordre social, et doivent s’intégrer. Quiconque y manquera sentira la pleine force de la loi. » Dans une telle perspective, les événements de la Saint-Sylvestre ont constitué une véritable trahison.[/access]


