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Mystère chrétien et mystère romanesque


Mystère chrétien et mystère romanesque

Pendant trois jours, entre Sa mort et Sa résurrection, Celui qui a affirmé « Et moi, je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde » s’est éclipsé. C’est au récit de cet interstice qu’Enguerrand Guépy a consacré son premier roman. Les personnages de L’éclipse ? Ce sont les douze apôtres, Marie, mère de Jésus, Lazare, Marie-Madeleine, Marthe, mais aussi Barrabas, Caïphe, Pilate et son épouse Claudia, et beaucoup d’autres encore. Scène après scène, Enguerrand Guépy décrit la façon singulière dont chacun d’entre eux perçoit et traverse ces trois jours d’apocalypse. La tentative d’un auteur chrétien de se glisser également dans la peau des différents ennemis du Christ et de les comprendre le plus intimement possible représente un bel effort romanesque.

Les entrailles de l’Evangile

Je n’ai pas aimé L’éclipse esthétiquement, mais il m’a touché spirituellement par son courage à plonger de manière personnelle dans les entrailles des Evangiles et parce que la frontière entre le bien et le mal n’y passe pas entre les ennemis et les amis de Jésus, mais traverse de manière véridique l’âme de chaque personnage. Les apôtres et les amis de Jésus y sont, tout comme les ennemis du Christ, de pauvres hommes. Leurs âmes sont dévorées par la jalousie et le péché, torturées par le doute, la peur et le remords.

Dans le registre esthétique, trois personnages me semblent très réussis : Barabbas, l’effervescent révolutionnaire désireux de réduire à néant la puissance coloniale romaine, figure d’une grande force spirituelle ; Vanic, légionnaire serbe en exil, serviteur déçu de la puissance romaine, dont l’âme brûle pour la vérité et s’ouvre peu à peu au Christ ; et le peuple enfin, qui constitue l’un des personnages principaux de L’éclipse. Le peuple de Jérusalem, blessé et humilié par l’occupation romaine, livré à la plus extrême misère, la foule grouillante, tumultueuse, torturée du peuple de Jérusalem, dont les remous imprévisibles font trembler aussi bien les apôtres, qui craignent qu’elle exige bientôt leur sacrifice, que les forces d’occupation romaines, qui éprouvent charnellement ses frémissements annonciateurs et attendent dans la peur, sachant qu’elle sera juste, l’insurrection qui vient.

À l’exception de ces trois réussites, les autres personnages ne me semblent pas parvenir à échapper au registre des archétypes, des figures symboliques. Ils ne parviennent pas à devenir des personnages romanesques au sens fort. C’est-à-dire des êtres incalculables et imprévisibles, absolument singuliers, ancrés non dans le registre des significations prédéfinies mais dans le terreau noir du monde concret et de l’existence.

Leur transsubstantiation en êtres de prose, en créatures prosaïques, n’est pas atteinte. Les personnages romanesques adviennent lorsque le romancier les affranchit entièrement de sa volonté propre, de ses intentions, lorsqu’il ne sait absolument rien d’eux et se met à l’écoute de l’obscure nécessité de leur liberté. Dans le cas des figures des évangiles, la charge émotionnelle et le poids de la tradition sont peut-être trop grands, à jamais, rendant ontologiquement impossible leur ressaisie romanesque. Je n’en sais rien, en vérité. J’espère que certains lecteurs pourront m’éclairer un peu sur ce point.

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