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Mourir peut attendre — aller le voir aussi

Le dernier James Bond est raté


Mourir peut attendre — aller le voir aussi
Daniel Craig et Léa Seydoux dans "Mourir peut attendre" (2021) de Cary Joji Fukunagav © Danjaq, LLC and Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc.

Nul à ce point, je ne m’y attendais pas.


Je savais bien que Daniel Craig était fatigué, que le film avait eu un accouchement douloureux, et que Léa Seydoux y jouait. Beaucoup de handicaps. Je savais aussi qu’il s’agissait d’un scénario original, auquel Ian Fleming n’avait pas donné le la (il s’en serait voulu !), et que c’était la suite du très évitable « Spectre », le film qui est parvenu à faire déjouer Christoph Waltz. Pour moi, la série Daniel Craig aurait dû s’arrêter à « Skyfall », où il y avait un vrai scénario et un vrai méchant — Javier Bardem, qui a du talent à revendre.

Alerte spoiler

Il fallait donc en finir avec l’incarnation de Bond par Craig. Alors on le fait mourir (je n’ai pas peur de divulgâcher la fin, autant que vous n’y alliez pas). Ma foi, pourquoi pas, Conan Doyle a bien fait disparaître Sherlock Holmes (pendant un an), et Ian Fleming lui-même enterre Bond dans une île japonaise où il se prend pour un pêcheur de clams — à la fin d’ « On ne vit que deux fois ». Et après tout, Dumas tue D’Artagnan dans les dernières pages du Vicomte de Bragelonne.

En fait, Bond est mis en bière pendant tout le film, qui est un enterrement de 2h45, ce qui est beaucoup. Il coule des jours heureux à la Jamaïque (clin d’œil, ah ah, à Fleming qui s’y était installé pour écrire). « Retirement », disent les Anglais pour la retraite — une connotation quasi sexuelle là où les Français, avec « retraite », mettent un écho militaire. Oh oui, Bond aurait dû se retirer, il a enfanté une gamine qui hélas ressemble à sa mère. Mais Bond meurt en serrant contre son cœur le doudou de la gamine, c’était la conclusion logique d’un film qui exalte les valeurs familiales.

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Puis le héros s’enterre une seconde fois dans les bras de Léa Seydoux — l’actrice que le monde entier nous envie, qui a fait du cinéma sur son seul talent, c’est sûr, et pas du tout parce qu’elle était la petite-fille de Jérôme Seydoux, patron de Pathé, et la nièce de Nicolas Seydoux, patron de la Gaumont. Dès le premier mot qu’elle articule (« yes »), et à sa façon de dire en français « je t’aime », on rigolerait presque. On ne peut la voir, tout le film durant, sans penser à la chanson de Robert Farel, les Petits boudins, hein hein hein. Et elle passe une bonne partie du film en jean blanc, ce qui ne vous avantage guère quand vous avez des jambes comme des poteaux et des fesses excessives, ou filmée en gros plan, ce qui est catastrophique quand vous avez le nez de Lee Marvin.

Lashana Lynch prendra-t-elle la suite ?

La presse spécialisée s’est extasiée sur la performance rapide d’Ana de Armas, une actrice cubaine à qui l’on donne la lourde tâche d’évoquer Halle Berry dans John Wick III — l’esthétique entière du film de Cary Joji Fukunaga est empruntée aux films de Chad Stahelski (et aux jeux vidéos), en plus fauché. Et pourtant, près de 300 millions de dollars pour produire cette bouse, ce n’est pas donné. De même, la nouvelle 007 (une femme, une Jamaïcaine aussi fessue que Seydoux), Lashana Lynch, n’a rigoureusement qu’une seule expression faciale : l’auto-satisfaction d’une actrice de « Captain Marvel » qui monte en grade dans une grosse production. Avec un peu de malchance et une louche d’idéologie woke, les producteurs la choisiront pour incarner l’agent secret la prochaine fois.

La Britannique Lashana Lynch. D.R.

Insidieusement se glisse dans ce film un nouveau standard féminin. Fini, le corps sculptural des Ursula Andress, Honor Blackman, Claudine Auger et tant d’autres James Bond Girls à la plastique de statues. Désormais, c’est la ménagère de moins de quarante ans qui pourra se reconnaître. Mimesis à deux balles. Pour la part de rêve, vous repasserez.


Il paraît que Craig, co-producteur (ne joue plus, Daniel, tu as pris de l’âge et ça se voit) a insisté pour qu’une certaine Phoebe Waller-Bridge, scénariste de séries (ils viennent presque tous de l’univers de la télé, et ça aussi ça se voit, c’est filmé pour le petit écran, avec des dialogues en champ-contrechamp qui n’en finissent pas) insuffle un peu d’humour dans une daube qu’il sentait indigeste. Mais il joue, accablé, comme s’il savait à quel point c’est mauvais, lui qui se souvient de « Casino Royale » ou de « Skyfall » — et de quelques autres films hors Bond où il jouait fort bien, par exemple « Logan Lucky ».

Rami Malek, un méchant raté

Le Méchant est une pièce essentielle, dans la mécanique Bond. Mais Rami Malek fait le service minimum — jouer Freddy Mercury l’a épuisé pour la vie. Et Christoph Waltz ne fait une courte apparition, dans un copié-collé du Silence des agneaux, le suspense en moins, — que pour mourir comme une poupée dégonflée. Fin de Spectre. Le film liquide tout ce qui l’a précédé, et s’autodétruit pour finir. Boum.

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Les dialogues sont écœurants de bêtise, les gadgets sans intérêt, et la nouvelle voiture de Bond, l’Aston Martin V8 Vantage, ne vaut pas sa vieille DB5, rapidement mise au rencart, criblée de balles (quand je vous dis que l’on détruit tout ce qui existait auparavant…).

Il se trouve que je connais Bond sur le bout des doigts. J’avais lu tous les romans à dix ans. A 12 ans c’est la lecture d’un article savant d’Umberto Eco qui m’a fait découvrir l’analyse structurale. Bien sûr, j’ai vu tous les films, et je sais à quel point Sean Connery était irremplaçable. Mais je sais surtout que Ian Fleming était un vrai écrivain, qu’il bâtissait des histoires bien ficelées, et que s’il avait les préjugés de son temps sur les Russes, les Juifs et les Noirs, il savait mettre en mots la guerre froide.


Quant aux femmes, il y aurait beaucoup à dire. Les poupées lisses des films (avant Seydoux) ne correspondent pas du tout aux héroïnes des romans, toutes plus cabossées les unes que les autres et dotées de personnalités très fortes.

Ce n’est même pas un nanar — il y aurait de quoi sourire. C’est un navet, et ma foi, je préfère encore ceux de Pardaillan — avec un magret rosé et un madiran, c’est merveilleux.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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