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Sommes-nous assez dignes de MBS?

Le prince héritier d'Arabie saoudite n’est ni naïf ni stupide. Il connait nos faiblesses...


Sommes-nous assez dignes de MBS?
Mohammed ben Salmane à Paris, 28 juillet 2022 © Benoit Tessier/AP/SIPA

Une tribune de Driss Ghali


Les temps ont changé, mais les élites françaises semblent l’ignorer. Fini le temps où elles étaient en droit de se pincer le nez avant d’aller à la rencontre de chefs d’États étrangers réputés autoritaires. Terminée l’époque où elles étaient en position de supériorité par rapport au reste du monde, et en particulier en capacité de se dire supérieures aux pays arabes et africains. Désormais, elles sont l’homme malade qui suscite moquerie et suspicion. En réalité, la France et l’Europe de l’Ouest en général sont l’homme malade des relations internationales, et la volonté de les mettre en quarantaine ne manque pas chez nombre de pays dits émergents. Ces pays nous perçoivent de plus en plus comme un foyer infectieux, prompt à exporter ses maladies sociétales : « Black lives matter », théorie du genre, apocalypse climatique, refus de l’autorité, destruction de la famille etc.

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MBS sait parfaitement que nous ne sommes plus capables de distinguer un homme d’une femme ; que nous ne sommes plus en mesure d’assurer l’ordre aux abords du Stade de France ; que nous sommes devenus les chaouchs des Américains qui nous demandent de nous tirer une balle dans le pied, en nous privant du gaz et du marché russes, sans aucune contrepartie.

En toute rigueur, c’est à MBS de s’interroger sur l’opportunité de se réunir avec E. Macron, pas l’inverse. Il sait très bien que le président français a perdu toute indépendance par rapport à l’Oncle Sam ; qu’il ne fait que s’inscrire dans un mouvement de dédiabolisation entamée par J. Biden qui s’est rendu en personne en Arabie Saoudite le 15 juillet dernier.  La France ne fait que marcher dans les pas des Américains, elle n’ouvre plus la route et n’éclaire plus le chemin. Elle n’en a plus envie, convaincue que tout ce qui vient de Washington ou de Berlin est forcément bon et utile.

MBS est parfaitement au courant de notre déclassement diplomatique. Nous ne pouvons plus parler aux Iraniens, qui détiennent d’immenses réserves de gaz et de pétrole. Les Américains nous l’interdisent. Nous ne sommes plus un partenaire de choix pour le monde arabe et islamique, car nombre de pays du Golfe et du Maghreb traitent directement avec Israël. Ce pays nous a remplacés en quelque sorte, car il assure à ses nouveaux amis arabes une d’alternative au tête-à-tête difficile avec les États-Unis qui veulent le beurre et l’argent du beurre : vendre leurs armes dans des quantités invraisemblables, obtenir la soumission des pays dits alliés, et entraver les synergies avec les autres puissances comme la Chine ou la Russie. En collaborant avec Israël, ils ont une assurance de sécurité (collaboration militaire et en matière de renseignement), la garantie que personne ne leur fera de leçons de morale (wokisme, droits de l’homme…) et un moyen de pression sur Washington, le cas échéant. Nous, depuis notre allégeance stérile à l’OTAN (réintégration du commandement intégré) et à l’Europe allemande, nous avons perdu de notre attrait. Nous sommes devenus un pays comme un autre, telle l’Espagne ou la Belgique, comme si la tradition gaulliste, notre armée et notre bombe nucléaire n’avaient jamais existé.

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Enfin, le souverain saoudien est conscient de notre folie, c’est-à-dire de notre perte totale du contact avec la réalité de nos intérêts. Par dogmatisme, nous avons ostracisé J. Bolsonaro, le président du Brésil dont le pays ne demande qu’à s’intégrer au monde occidental, dont il fait amplement partie par sa culture et son histoire. Nous avons réussi le tour de force de pousser le Brésil dans les bras des BRICS, un ensemble de pays avec lesquels il n’a rien à échanger à part du soja et des fertilisants. Pourtant, il n’y a aucune communauté de valeurs entre le Brésilien et le Chinois ou même entre le Brésilien et le Russe. Mais notre haine stupide à l’égard de Bolsonaro, qui n’a jamais touché un cheveu d’un homosexuel ou d’une femme (contrairement aux Saoudiens), a achevé de l’aligner sur la position russe dans le conflit ukrainien. Il faut le faire !

Notre « chance » est que les pays du Golfe, à commencer par l’Arabie Saoudite, sont fragiles et en sont pleinement conscients. Ils ont peur de l’Iran, ils ne font pas vraiment confiance à leurs forces armées pour les défendre contre les agressions extérieures (le fiasco saoudien au Yémen en dit long sur la qualité des militaires au service de MBS), ce sont des pays d’immigration où l’essentiel de la population active est composé de jeunes hommes célibataires qui sont discriminés en raison de leurs origines. Autant dire que le Qatar, les Emirats ou même l’Arabie ne sont pas à l’abri d’un printemps de leurs « banlieues ».

À nous de leur offrir une solution à leurs peurs. Et en dépit de notre déclassement, nous avons encore quelques cordes à notre arc, à commencer par les capacités de notre armée et l’état d’esprit de notre peuple profond, qui est capable de coopérer avec les uns et les autres sans leur demander de devenir laïcs, féministes, végétariens ou amateurs de patinettes électriques…

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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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