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Médine et les rappeurs, professionnels de la victimisation

Le rap français a fait de sa "persécution" un créneau


Médine et les rappeurs, professionnels de la victimisation
Médine (Zaouiche) en concert à la Cigale à Paris, mai 2017. SIPA. 00863059_000002

Concerné par une polémique autour de ses futurs concerts au Bataclan, le rappeur Médine a dénoncé « l’extrême-droite » qui « détourne le sens » de ses chansons. Une stratégie de victimisation dont le rap français a fait sa vache à lait. 


Deux jours après le début des remous suscités par son passage prévu au Bataclan (19 et 20 octobre, complet), le rappeur Médine Zaouiche a publié sur sa page Facebook un billet, dans lequel il assure les familles des victimes de son « profond soutien » et rappelle ses « condamnations passées à l’égard des abjects attentats du 13 novembre 2015 ». Le rappeur du Havre se voit reprocher les paroles de sa chanson « Don’t Laïk » : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha (…) Si j’applique la Charia les voleurs pourront plus faire de main courante (…) Ils n’ont ni Dieu ni maître à part Maître Kanter –  Je scie l’arbre de leur laïcité avant qu’on le mette en terre (…) Islamo-racaille c’est l’appel du muezzin », etc.

Médine n’est pas un cas isolé

La chanson est sortie exactement six mois avant les attentats du 13 novembre. « J’ai eu la sensation d’être allé trop loin », avait déclaré son auteur en 2017 devant des étudiant de Normale Sup.

Le Bataclan se refuse à tout commentaire. Les responsables de la programmation connaissaient-ils ce texte ? Si c’est le cas, il ne les a probablement pas choqué outre-mesure. L’appel à la violence avec racisme anti-blanc et référence plus ou moins discrète à l’islam est fréquent dans le rap français. Médine Zaouiche reste modéré, dans ce registre. La chanson « Petit frère d’Oussama », du rappeur Alpha 5.20, par exemple, est nettement plus agressive.

En majorité, les auditeurs prennent ces paroles comme des figures de style, au même titre que les invocations de l’antéchrist par les groupes gothiques. Reste une minorité, facile à repérer dans les commentaires sur Youtube, qui prend ce discours au sérieux.

L’enchainement polémique-victimisation

Le problème n’est pas nouveau. Le sociologue Karim Hammou avait listé, dans Une Histoire du rap en France publiée en 2012 (La Découverte), de nombreuses questions au gouvernement, émanant de parlementaires désireux de censurer des textes jugés outranciers. Ministère Amer (1995), NTM (1996), La Rumeur (2002), Sniper (2003) ont été poursuivis et parfois condamnés pour appel à la haine, diffamation, outrage, etc. Ces poursuites ont grossi un autre torrent de poncifs dans lequel puisent volontiers les rappeurs : la victimisation.

A lire aussi: Médine, un islamiste au Bataclan ?

Dans son message sur Facebook, Médine Zaouiche prend déjà date : il est persécuté. « Je combats toutes formes de radicalisme dans mes albums. Un engagement qui me vaut les foudres de l’extrême-droite et de ses sympathisants ». Agression physique, menace de mort, concert empêché ? Rien de tout cela. Comme Causeur l’a déjà raconté, Médine Zaouiche se plaint de malheurs qu’il ne subit pas vraiment. Au Havre, sa ville natale, c’est une figure locale, un professionnel de l’animation socio-culturelle, musicale ou sportive, en termes courtois avec des mairies PCF et LR. La rage est son registre comme la mélancolie est celui de Francis Cabrel : rien de personnel.

Ce n’est pas un cas isolé dans le rap français, dont les stars parlent souvent d’un malheur qu’ils n’ont pas connu. Booba, de son vrai nom Elie Yaffa, est issu de la classe moyenne. Il a passé son enfance entre Meudon-la-Forêt et Boulogne-Billancourt. Lacrim (Karim Zenoud), gamin désocialisé, passé par les foyers et la prison pour braquage et association de malfaiteurs, est l’exception, non la règle. Rappeur semi-officiel du PSG, Niska a passé son bac et a commencé des études d’éducateur spécialisé, « jusqu’à ce que la musique commence à marcher. Il fallait donc choisir entre la musique et l’école », expliquait-il en 2015 avec une certaine ingénuité. Il a bien choisi. Il est dans le top 5 des ventes en 2017.

Rien à voir avec les rappeurs américains

La colère des rappeurs américains avaient des racines profondes. Au début des années 1990, l’espérance de vie d’un noir américain (67 ans) était inférieure de 10 ans à celle d’un blanc (l’écart se réduit : 75,6 ans contre 79 ans en 2014). En fonction de la couleur de peau, le risque de mort violente était dix fois plus élevé chez les hommes jeunes. Overdose, balle ou sida, les rappeurs américains tombés prématurément sont légion (Notorious Big, Jam Master Jay, Tupac…). Le rock français, c’est comme le vin anglais, disait John Lennon, mort trop tôt pour rire de nos rappeurs. Au pays de la couverture maladie universelle, du RSA et des ateliers hip-hop à la maison de la culture, ils ont parfois besoin d’une piqûre de rappel pour se sentir persécutés. Tout laisse craindre que la polémique en cours joue ce rôle.

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