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Poètes: ceux que j’aime prennent le train

Retour sur l’année poétique 2018


Poètes: ceux que j’aime prennent le train
Gare de Bayonne. Sipa. Numéro de reportage : 00588741_000009

Ouvrons 2019 avec une sélection des poésies de 2018.


Nous l’avons encore entendu ce matin, dans le train, chuchoté, certes, mais articulé en conscience : « La poésie ne sert à rien. ». Et comme aurait pu l’écrire un autre poète, suisse et voyageur, égaré dans les îles d’Aran, « Mais c’est ce rien qui m’intéresse. »

Comment ne pas songer à ce bon mot de ce tout aussi bon Gérard de Nerval lorsqu’il écrit : « Il y a ici des médecins et des commissaires qui veillent à ce que l’on n’étende pas le champ de la poésie aux dépends de la voie publique. »

Les trains nous conduisent toujours vers l’enfance

Eugène Guillevic, le Breton et l’apprenti, a raconté que lorsqu’il a tendu à sa mère ses premiers poèmes, il aurait mieux fait de lui tendre de suite la seconde joue puisqu’elle lui a donné une gifle en guise de lecture.

Ainsi les trains nous conduisent toujours vers l’enfance. Et la poésie – qui ne sert à rien – , elle aussi.

Dans Les souvenirs m’observent, Tomas Tranströmer, poète absolument poète et prix Nobel de littérature en 2011, en octobre – car c’est important les saisons -, écrit : « J’espérais tout le temps que les cours prendraient fin, pour que je puisse enfin me jeter à corps perdu dans ce qui m’intéressait vraiment : l’Afrique, l’univers sous-marin, le Moyen Âge. »

Début d’année et période de jolies résolutions obligent, il est peut-être temps de ne rien changer et de continuer à lire de la poésie.  Aussi j’emprunte des trains et des poètes.

A travers la vitre, après la pluie, les pluies, toutes les pluies, il est de nouveau un ciel dans le ciel. Faites un vœu, ou plusieurs ; écrivez-les. C’est le moment. Et ce vœu, c’est peut-être un poème comme un aveu.

On ne naît pas impunément à Reims

S’il est bien un poète qui fait aveu de tout bois, c’est Marc Alyn, dans Le temps est un faucon qui plonge, ses mémoires.

« Chaque jour j’écris le premier mot de mon langage.

Je suis neuf jusqu’au crépuscule.

Chaque baiser de l’aube sur la bouche des arbres

Me fait don d’une peau nouvelle. »

Marc Alyn est un jeune homme d’âge mûr qui a connu beaucoup de monde. Ami de Roger Caillois ou de Lawrence Durrell, voyageur vénitien et collectionneur d’Orient(s), créateur de la collection Poésie Flammarion, le mémorialiste se raconte sans excès, pas à pas, et mot-à-mot choisis avec grâce. Marc Alyn, poète alchimiste et alchimique pour de vrai, a conscience que l’ange au sourire s’est presque penché sur son berceau. On ne naît pas impunément à Reims, ville de Paul Fort et du « Grand Jeu » de Roger-Gilbert Lecomte et Roger Vailland. Marc Alyn loue l’existence de Fantômas, fait chanter les tarots et célèbre le chemin de la Gnose.

Les derniers étourneaux de l’Est 

Marc Alyn est un solide et soliste compagnon de route, toujours sur « la ligne de départ, aspirant à rejoindre l’Ordre clandestin des poètes : Templiers privés de règle et de Grand Maître, en marche vers le feu. »

Un faucon plonge et, à travers la vitre, les derniers étourneaux de l’Est font leur bagage.

«  Un oiseau est du ciel. Il est plus proche de l’éternité que du monde » ; confie l’abbé Rancé à la marquise de Sablé ; et Pascal Quignard dans Sur l’idée d’une communauté de solitaires – Arléa 2018 -, de nous le faire remarquer. J’alterne les regards, des oiseaux aux poètes, et confond les cartes comme l’on rebat des campagnes ou des paysages.

Dans Compris dans le paysage, donc, Georges Guillain écrit :

Quand même / il n’y a pas de poésie descriptive / rien ne se représente ou n’est jamais là / totalement / que nous / du ciel / et dessous / la main qui tremble simplement / ces gros paquets de partout de nerfs / aboutissant à des images /

alors / on dira / que sur les toits ce sont des souvenirs d’école /des histoires qui glissent / un coin du monde saisissant / par les yeux / bien maté / qui nous traverse / se reconstruit, en sens inverse.

Les paysages s’effacent derrière les paysages

Chez Georges Guillain, les paysages s’effacent derrière les paysages – ce mystère du paysage –  et les hommes qui file vers l’est en une douloureuse rhapsodie. Voyager avec Georges Guillain et ses dahlias de lumière, c’est voyager avec un ami.

Lecteur des deux rives, vous êtes : quel flâneur êtes-vous ? Lecteur des deux rives, vous êtes : quelles sont ces deux rives. Lecteur des deux rives, vous êtes : qu’attendez-vous de l’autre rive ? A ces questions, Flora Bonfanti, répond dans Lieux exemplaires :« La parole devient come un une note ; elle quitte le signe, devient chose. Sa forme n’est plus qu’une carcasse enceinte d’une semence de feu. Elle est moelle durcie. La sens a laissé en résidu sa fore même., sans marge : pierre volcanique de l’ancien magma. Les yeux du lecteur rallument le magma – qui, dans tous ses états, garde son épaisseur et la densité de ses courbes. C’est ce que nous appelons le poétique. » Il existe chez cette toute jeune poète de grande conscience, qui s’interroge sur le mal et explore le silence, une grâce d’écriture retenue et une maturité inouïe.

Le bruit du temps

Poète des saisons, douloureuses ou jubilatoires, Christine Fizscher, elle, dans L’Ombre de la terre, nous invite en sa maison et en ses vides, et retient les nuits qu’il lui reste ici.

« Ici veillera le séquoia funèbre,

Le foudroyé

Oh ! Le temps d’été, vent,

 Ici la nuit qui était à nous. »

Puis le 20 octobre – car c’est important les saisons – elle écrit :

« Ce matin aura été un matin

Sans tour Eiffel à l’horizon.

l’automne incendiait la forêt et le jours, gris, épais, lourd

mais allumé,

descendait sur l’autoroute. »

Christine Fizscher connait le bruit du temps qui broie et file, et goûte le plaisir de la compagnie des poètes ; et même seule, la voila bel(le) et bien accompagnée.

S’il y en a un qui ne perd jamais de vue la tour Eiffel, c’est bien Bernard Ollier, l’homme fou et sage, l’homme des livres d’artistes, l’arpenteur des sommets métalliques. Chez Pierre Mainard, l’éditeur scrupuleux et réjouissant, on lira l’étonnant Bernard Ollier exagère La tour Eiffel. Et le poète n’y va jamais de main ni de lettre morte. Il agrandit, escalade, échafaude. Avec lui tout va, car le bâtiment va ; et à tout va !« C’est sa force à la Tour Eiffel : des siècles que ça va durer, alors que toi, tu ne sais même pas pour toi.

Tu ne sais même pas pour toi, c’est toute la différence avec la Tour Eiffel.

La tour Eiffel, je te rappelle, qui sait, elle ! qui sait qu’on sait pour elle !
Si bien qu’elle sait qu’elle n’a pas besoin de savoir. Tranquille, la Tour Eiffel.

Tu te rends compte, aucun effort à faire, elle est sur d’avance et de tout temps, universellement sue qu’elle est, elle est sue d’être, c’est ça une Tour Eiffel.

Être sue et en tout temps, à toute heure, voilà comme elle est, la Tour Eiffel. »

Ce Bernard Ollier-là, n’est pas si loin d’être un zouave et c’est un sacré ingénieur du langage.

Le train arrive et il me reste un autre zouave pour la fin de route. Un poète encore, un poète toujours, jeune, increvable, irrévérencieux, magnifique. Il s’appelle Hans Limon : gourmand de vie et gourmet de mots. Il a lu ses classiques, et se faufile à leur suite à grands bruits pour faire entendre ses propres mots. Avec lui, ça charrie du verbe et convoie de l’énergie.

Mort à la poésie

Dans Poéticide, un recueil solide, solaire et de grand vent, le voilà Diogène et qui écrit à tue-tête : « Tu veux exterminer la poésie ? Alors prends ce couteau à pain sur ma table de cuisine, juste à côté de mon horoscope, et va poignarder le soleil, le point du jour qui maquille les toits des masures, les gamins qui sourient aux mendiants, les poules qui caquettent à heures fixes, Londres et ses pestilences, les opéras gouffres, les femmes et leurs tectoniques multiples, les quintes merveilleuses, les merdes fécondes, poignarde la terre entière, la terre infestée d’hommes, et alors même que tu l’auras fait, il te restera les idées, qui flottent un peu partout dans l’atmosphère, et les autres espèces, et les autres planètes, et les autres galaxies, et les autres univers ! Peine perdue ! Peine perdue ! »

Si Raymond Queneau célèbre les fous littéraires dans Les Enfants du limon, il faudrait, dare-dare – avant qu’on nous ne le pique -, dans les enfants du fou poète, célébrer le Limon !

Grincement d’essieu et le train est presqu’à quai ; je n’ai pas vu les poètes passer.

Amis, J’ai eu vent des peines dites indicibles et de votre disposition mélancolique, des joies de mots acrobatiques. À la nuit tombée, les filles fantômes et filantes sont des étoiles comme les autres.Le temps est un flocon qui tombe

Et les poètes, mes héros de l’enfance.

Le Temps est un faucon qui plonge, Marc Alyn, éd. Pierre-Guillaume de Roux.

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Lieux exemplaires, Flora Bonfanti, éd. Unes.

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L’ombre de la terre, Christine Fizscher, éd. Dumerchez.

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Bernard Ollier exagère la Tour Eiffel, Bernard Ollier, éd Pierre Mainard

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Poéticide, Hans Limon, éd. Quidam.

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est poète et éditeur, notamment au Castor Astral. Dernier ouvrage publié : "L’ombre de la girafe" (Bleu autour, 2018). A paraître : "Comment vivre en poète ?" (Castor Astral).

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