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Mali : Et le nationaliste Touareg devint jihadiste


Mali : Et le nationaliste Touareg devint jihadiste

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Avec son intervention militaire au Mali, la France est entrée dans un conflit aussi difficile à mener qu’à comprendre. Malgré l’importance de nos intérêts au Sahel et la présence d’otages français, rares sont ceux qui suivent l’évolution de la situation dans cette vaste étendue désertique. Sans prétendre passionner les foules en quelques paragraphes, je propose d’aborder la question à travers le portrait de l’un des héros du drame sahélien. Il s’agit d’Iyad ag Ghali, chef du groupe djihadiste Ansar Dine (« défenseurs de la religion »), organisation qui après trois mois de combats a chassé l’armée malienne de la moitié nord du pays pour y imposer la charia, sur le modèle taliban afghan avant l’intervention occidentale de 2001.

Avant d’être musulman, Iyad ag Ghali, né au début des années 1950, est un Touareg de la région de Kidal (nord-est du Mali). Comme beaucoup de Touaregs pauvres de sa génération, le jeune ag Ghali a été séduit par la « Légion islamique » fondée par Kadhafi en 1972. Tenté par le projet d’unification arabe du Sahel et sans doute plus prosaïquement, par la perspective du boom économique suscité par le fleuve de pétrodollars qui irriguait alors la Libye, il s’engagea aux côtés de ce pays de cocagne. Comme tous les autres projets mégalomaniaques de Kadhafi, la Légion fut un lamentable échec. Avant sa dissolution à la fin des années 1980, le Guide libyen l’utilisa essentiellement dans ses guerres désastreuses avec le Tchad. En revanche, les anciens légionnaires Touaregs de Kadhafi, forts de l’expérience militaire[1. Qu’il ne faut ni minimiser ni exagérer au vu des piètres performances de cette formation au Tchad.] et de l’instruction politique qu’ils y ont acquises,  allaient bouleverser l’équilibre du Sahel.

Ce n’est pas par hasard qu’une rébellion touarègue s’est déclenchée au Mali en 1990, peu de temps après la dissolution de la Légion. Au même moment, Iyad ag Ghali fit son entrée sur le devant de la scène sahélienne en tant que chef du MPLA (Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad) un mouvement nationaliste et laïc, et prit la tête de ce qui allait devenir la deuxième rébellion touarègue. Personnage clé des négociations qui ont suivi la rébellion, Iyad ag Ghali s’impose dans les années 1990 et 2000 comme un acteur incontournable de la scène politique malienne. Fort de ce statut, il participe en 2003 aux négociations qui ont abouti à la libération des otages occidentaux détenus par le « Groupe salafiste pour la prédication et le combat » (GSPC algérien), ultérieurement rebaptisé Aqmi (Al Qaïda au Maghreb Islamique). Dans ce cadre, ag Gahli a entretenu des liens étroits avec les services de renseignements algériens. Grâce à Wikileaks, on sait qu’en 2004, les Américains le soupçonnaient de rouler essentiellement pour lui-même, une sorte de Monsieur 10% du business de prise d’otage du Sahel. Quelques années plus tard, en 2008, le président malien Amadou Toumani Touré l’intègre au corps diplomatique en le nommant consul de Djeddah. Deux ans plus tard, les autorités saoudiennes demandent au Mali de rappeler son consul qui entretenait des liens trop étroits à leur goût avec des mouvements islamistes. Les prédicateurs pakistanais du Tabligh installés à Kindal ont fait du bon travail.

Une fois rentré au Mali, ag Ghali échoue à reprendre les rênes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et fonde Ansar Dine. Le nationaliste touareg se mue en djihadiste façon Al-Qaïda. À l’aube de ses soixante ans, Iyad ag Ghali a en effet rencontré Allah et décidé de vouer le restant de sa vie à l’application de la charia en commençant par son propre pays, le Mali. Malgré les divergences profondes entre le « born again » musulman et ses anciens camarades nationalistes et laïcs, les deux mouvements, essentiellement touaregs, ont lancé conjointement l’offensive de janvier-mars 2012 qui a mis en déroute l’armée malienne. Mais leur noce n’a pas duré et Iyad ag Ghali a fini par prendre le dessus en imposant ses nouvelles idées. Les résultats sont sur nos écrans et les Unes de nos journaux depuis le printemps dernier.

L’itinéraire d’Iyad ag Ghali est emblématique de la question sahélienne et de son corollaire, la guerre au Mali. Et puisque tout le monde convient que la solution ne peut être uniquement militaire, deux questions importantes restent entières : que reste-t-il des éléments laïcs du Mouvement de libération nationale touareg ? Quelle place comptent donner à cette ethnie les pays arabes et africains qui se partagent le Sahel ?



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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