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Mais nous ne le savions pas…

Les Dessous chics


Mais nous ne le savions pas…
Amiens a accueilli une étape des Quatre Jours de Dunkerque © Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La bonne ville d’Amiens a accueilli une étape des Quatre Jours de Dunkerque, il y a peu. Il faisait un temps superbe ; j’ai tenté d’y amener ma petite-fille. En vain : il y avait un monde fou tant sur le parcours qu’à l’arrivée au parc de La Hotoie. Très difficile d’accéder. Je n’ai donc vu que des cyclistes qui filaient, rapides, liquides, dans l’air tiède de ce printemps picard qui se prenait pour l’été. J’ai appris plus tard que c’était le Français Axel Zingle, de l’équipe Visma-Lease a Bike, qui avait, le premier, franchi la ligne d’arrivée, devançant, après un sprint de dératé, le Danois Tobias Lund Andresen (de Team PicNic) et le Norvégien Stian Fredheim (de Uno-X Mobility).

Plus tard encore, j’ai su que c’était le Britannique Samuel Watson (de Ineos Grenadiers) qui avait gagné les fameux Quatre Jours. Les noms de ces équipes ne me disent rien ; ceux de leurs équipiers non plus. Pourtant, il y a fort longtemps (je devais être collégien), je me suis fortement intéressé au cyclisme, le pratiquant moi-même avec des copains de la cité Roosevelt, à Tergnier (Aisne). La course terminée, j’ai quitté le parc de La Hotoie et suis remonté dans ma voiture avec la ferme intention de revenir chez moi. À ce moment-là, les ennuis commencèrent. Les routes étaient barrées.

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Il devait être un peu plus de 17 heures ; des gens rentraient du boulot. Je me suis retrouvé dans des embouteillages monstrueux. Coincé, complètement coincé. Une horreur ! J’ai bien tenté de prendre des chemins détournés ; rien n’y fit. Le temps passait ; il faisait une chaleur étouffante dans l’habitacle de ma Twingo bleu azurin (que je surnomme ma petite Dragée). Vers 17h30, toujours coincé, je reçus un appel téléphonique de ma Sauvageonne qui commençait à s’inquiéter (Elle devait s’imaginer que j’étais parti me rafraîchir au bistrot). Je la rassurai, façon de parler, lui promettant d’arriver deux ou trois jours plus tard (Je suis d’un naturel optimiste ; tu le sais lectrice). Alors, plutôt que de pester contre la terre entière, de m’en prendre à je ne sais qui (aux organisateurs de l’épreuve, à la mairie, aux Ponts et Chaussées si tant est qu’ils existent encore, à Eddy Mitchell), je me suis mis à penser.

A rêver plutôt, c’est ce que je fais de mieux dans ma fichue vie. Des images me remontaient comme les grosses bulles lâchées par les tanches dans l’étang du Courrier picard, à Argœuves, quand elles farfouillent dans la vase. Je me revoyais à Tergnier ; j’avais 10 ou 12 ans. Mon père venait de m’offrir un vélo demi-course Peugeot. Je m’étais empressé de remplacer les pneus par des boyaux afin de suivre mes copains de la cité qui, eux, avaient osé s’inscrire au club cycliste local : le Vélo Club Ternois (VCT ; maillots verts). Nous nous entraînions sur les routes axonaises. À mes côtés, il y avait Jean-Claude Sellier (le meilleur ; il était parvenu à gagner quelques courses), Yves Leroy, Bernard Havy, Datichy, dit Nounours, et quelques autres. Nous grimpions la côte d’Amigny-Rouy et le mont Tortue, haletants, essoufflés (Grâce à mon physique de freluquet, pire que Charles Denner, je n’étais pas bien lourd et parvenais parfois à arriver le premier au sommet.)

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Nous laissions derrière nous des parfums de Musclor et de Décontractyl Baume, pommades que nous appliquions sur nos mollets de coqs avec l’espoir d’être plus performants. Dans nos gourdes, il y avait du Schweppes ou du Vittel-Délice. Nous rêvions de devenir Jacques Anquetil, Raymond Poulidor, Jean Stablinski, Jean Jourden, José Samyn, Felice Gimondi, Gianni Motta, Federico Bahamontes, l’aigle de Tolède. Notre sang frais faisait battre le cœur des Trente glorieuses. Nous étions jeunes, insouciants. Heureux, et nous ne le savions même pas. Ma passion pour le cyclisme dura plusieurs mois mais, jamais, je ne m’inscrivis au Vélo Club Ternois.

Un matin de septembre, je filais vers le stade de la cité SNCF, à Quessy, pour m’engager dans l’équipe de l’Entente Sportive des Cheminots Ternois (ESCT ; maillots blancs). On m’attribua d’abord le poste d’inter-droit, puis je ne tardai pas à officier à celui d’arrière-droit car, disait notre entraîneur, M. Ruchaud, je possédais une bonne patate et me révélais capable de dégager fort et loin. Arrière-droit, comme mon père, des dizaines d’années plus tôt, au sein de la même équipe. J’oubliais Jourden et Samyn pour ne plus penser qu’à Bosquier, au Red Star, et à Eusébio. Mon demi-course Peugeot et ses boyaux Wolber ne me servaient plus qu’à aller au collège Joliot-Curie. Les petites Ternoises portaient des couettes ; oui, j’étais heureux.



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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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