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Macron: la fête est déjà finie!


Macron: la fête est déjà finie!
Emmanuel Macron célèbre sa victoire au Louvre, 7 mai 2017. Crédit photo : Denis Meyer
Emmanuel Macron célèbre sa victoire au Louvre, 7 mai 2017. Crédit photo : Denis Meyer

Démentant le diagnostic d’un bon esprit qui pensait que le quinquennat de François Hollande scellerait « l’agonie du mensonge mitterrandien[1. Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français p. 157, éditions Stock, 2016.] », un concours de circonstances inouï a permis l’élection d’un héritier du président qui a placé la France dans la double souricière de l’euro et de l’Europe : le mitterrandisme a survécu, quelque temps encore, à son mensonge et à sa faillite.

L’élection du 7 mai a confirmé le pronostic que j’avais hasardé dans ces colonnes, pensant que la France serait encore une fois à contre-courant. En 1981, elle avait désigné un président appuyé sur un programme à demi marxiste, à rebours de l’Angleterre de Margaret Thatcher et de l’Amérique de Ronald Reagan. Aujourd’hui, elle installe un homme appuyé par les milieux d’affaires de Wall Street et de la City avec l’espoir qu’il pourra contrecarrer les projets de Donald Trump et surtout ceux de Theresa May.

J’ai laissé le soin aux meilleurs plumes politiques de Causeur d’expliciter le scénario qui a conduit au scrutin du 7 mai. Deux points me sont apparus cependant avec force durant la campagne : premièrement, les véritables élections primaires sont médiatiques, deuxièmement, la France vit dans le passé.

Si la France n’a pas de frontières, les problèmes du monde sont les siens

Ce sont les médias ralliés dès le premier tour en proportion de neuf sur dix à la candidature d’Emmanuel Macron, qui ont porté sur le pavois un homme étroitement associé à la gestion du président sortant, avant de le soutenir au second tour dans une proportion qui frise les cent pour cent. Les candidats issus des primaires républicaines ont été soit flingués à mort par leurs soins, soit enterrés avec le parti socialiste disqualifié par cinq années de pouvoir. « How to do much about nothing », « beaucoup de bruit pour rien » aurait dit Shakespeare de l’épisode des primaires. Mais surtout que reste-t-il réellement de la démocratie dont les médias se veulent la garde prétorienne si le pluralisme a cessé d’être ?

La France vit dans le passé. Le passé du Front populaire de 1936 : « No pasarán. » Celui du traité de Rome dont le soixantième anniversaire vient d’être commémoré : « L’Europe est notre destin. » Celui du programme commun de 1972 ressuscité par Hamon et Mélenchon pour les besoins de leur campagne. Celui du big bang thatchérien de 1978 : « There is no alternative. » Celui de l’antiracisme militant des années 1980 : « Touche pas à mon pote. » Celui du traité de Maastricht ratifié en 1992 : « L’euro est notre bouclier. » Le vote du 7 mai, qui a confirmé un personnage dont les grands soutiens affichent une moyenne d’âge de 70 ans, se trouve au confluent de ces anachronismes et de ces illusions.

Reste que le nouveau président s’installe dans une France, une Europe et un monde où les défis se sont multipliés depuis la chute providentielle du mur de Berlin. Laissant de côté les questions géopolitiques, la Corée du Nord, le monde arabe en convulsion, le terrorisme islamique, je m’en tiendrai à trois crises inscrites en filigrane à l’agenda présidentiel : la crise italienne, la crise chinoise et la crise algérienne.

La crise italienne

Qu’on ne m’accuse pas d’être encore et toujours l’oiseau de mauvais augure de l’idéal européen. Le moral des partisans de[access capability= »lire_inedits »] l’euro et de l’Europe est au plus bas. On peut enfin lire, sous leur plume, des tribunes sur la crise existentielle de la construction européenne et des mises en garde contre les fragilités révélées par l’expérience de la monnaie unique. Ils imaginent une Europe à plusieurs vitesses, ils font l’hypothèse d’une autre Europe qui réconcilierait les continentaux et les Anglais, ils avancent encore l’idée d’une mutualisation des dettes des pays pauvres et des pays riches. Ils tablent sur une alliance sacrée entre Macron et Schulz pour redonner du lustre au bâtiment défraîchi de la construction européenne.

Leurs exercices de futurologie à la mie de pain oublient l’essentiel. N’y a-t-il pas de nouveaux risques prêts à se manifester dans un proche avenir ? Si fait, un risque bancaire et un risque politique.

L’Agence chargée de la supervision des banques de la zone euro évalue à mille milliards d’euros le montant total des prêts fragiles gardés dans leurs comptes. Des prêts très inégalement répartis : les proportions sont de 47 % pour la Grèce[3.La faillite consommée des banques grecques est traitée dans le cadre des aides périodiques reçues par l’État grec au titre de son plan de sauvetage.], 16 % pour l’Italie, 14 % pour l’Irlande, malgré le sauvetage massif des banques irlandaises mené en 2011, 6 % pour l’Espagne[4. Le gros des risques est concentré dans la troisième banque du pays, Banco Popular.]. La nature particulière du système fait qu’on ne peut cantonner une crise à son pays d’origine. Or, pour l’instant, c’est l’Italie qui présente le risque majeur pour la zone euro et le reste du monde. Une solution impliquant l’intervention de ses partenaires semble avoir été repoussée au-delà des grandes échéances politiques française et allemande. Elle implique en effet de nouvelles injections de fonds publics qui contrediraient les règles de la nouvelle Union bancaire européenne.

Le risque politique découle de la montée en puissance en Italie de la gauche de la gauche, le Mouvement 5 étoiles, et de la droite de la droite, la Ligue du Nord, qui ont rompu avec l’euro et l’Europe. Il se situe dans un contexte de désamour des Italiens pour l’expérience européenne qu’ils ne sont plus qu’une petite moitié à approuver, contre 80 % il y a dix ans, et plus encore, de scepticisme du patronat italien, de moins en moins convaincu des bienfaits de la monnaie unique. Le scrutin législatif projeté en 2018 dira si les Italiens sont prêts à sauter le pas qui les sépare d’un retour à la souveraineté monétaire.

Les dettes pourries des entreprises chinoises

La crise chinoise n’en finit pas de se faire attendre. Cela fait cinq ans au moins que les signaux d’alarme ont commencé à résonner, d’abord à bas bruit, puis sur un mode plus insistant. Le schéma de cette crise est des plus simples à comprendre. Il est un symétrique et inverse de celui de la crise américaine de 2008. Le séisme américain a procédé d’une surconsommation et d’un surendettement des ménages sur un territoire allant de la Floride jusqu’à la Californie. Celui que nous promet la Chine prend sa source dans un surinvestissement et un surendettement des entreprises chinoises.

Certains s’en étonneront. Ne dit-on pas, ici et là, que la Chine est en train de passer d’un modèle basé sur l’investissement à un modèle fondé sur la consommation ? Les chiffres nous disent au contraire que l’investissement reste disproportionné, pour ne pas dire extravagant : il représente 45 % du PIB contre 34 % en 2000. Son moteur est l’effort massif d’infrastructures : les Chinois construisent chaque année plus de routes, d’autoroutes, de lignes de TGV, d’aéroports.

À ce stade, il y a trois choses à comprendre. Premièrement : le surinvestissement induit une consommation additionnelle – chose constamment oubliée par les économistes du FMI ou de l’OCDE, et bien d’autres – qui en masque la disproportion. Deuxièmement : il s’appuie sur un endettement massif des entreprises qui y contribuent directement ou indirectement : 170 % du PIB (à titre de comparaison, en 2008, la dette des ménages américains représentait 100 % du PIB). Troisièmement : les dirigeants politiques sont pris au piège : le seul fait de stabiliser les dépenses d’infrastructures à leur niveau actuel aurait pour effet de provoquer une récession, par ses effets secondaires sur l’investissement des entreprises et la consommation.

Les autorités financières chinoises en sont conscientes. Le président de l’autorité de régulation bancaire, Guo Shuqing – retenez son nom –, a tiré le signal d’alarme contre le « chaos qui menace », allant jusqu’à mettre sa tête sur le billot. « Si je ne préviens pas le chaos, je démissionnerai. » Il n’est donc pas sûr que la question des dettes pourries puisse attendre le 19e congrès du PC chinois, programmé en novembre prochain, qui doit reconduire le président Xi. En toute hypothèse, le chaos financier dont parle Guo Shuqing ébranlerait une nouvelle fois la mondialisation après la grande secousse de 2008.

La crise algérienne

Vos quotidiens se gardent bien de le dire. L’Algérie a raté son indépendance. Au plan politique : ce pays, plus souverain juridiquement que la France engluée dans l’Europe, est aux mains d’une nomenklatura militaire et civile. Sur le terrain économique et financier, sa survie dépend chaque année un peu plus de sa production de pétrole et de gaz – troisième production mondiale après la Russie et l’Iran. Les hydrocarbures représentent 98 % des exportations.

Mais c’est aujourd’hui un pays de 40 millions d’habitants dont une majorité de jeunes qui n’ont d’autres perspectives que des petits boulots liés à la consommation, les prébendes ou sinécures procurées par le régime ou l’émigration vers la France. Les cerveaux des jeunes Algériens sont hantés par l’image des visas qui permettraient de basculer de l’autre côté de la Méditerranée[5. Par quoi nous voyons le caractère provocateur et grotesque de la posture d’Emmanuel Macron quand il a imputé à la France « un crime contre l’humanité commis en Algérie ».]. En effet, mal informés par leurs compatriotes installés chez nous, ils pensent que la France, dotée de la protection sociale la plus coûteuse de la planète, a les moyens de les accueillir par millions.

Le prochain quinquennat verra la disparition d’Abdelaziz Bouteflika. Alors, ou bien une personnalité providentielle apparaîtra qui fera ce qu’auraient dû faire ses prédécesseurs, purger l’administration et l’armée, et donner le pouvoir économique aux entrepreneurs privés, tout en appelant à la restriction des naissances, contre les homélies des imams, ou bien le chaos s’installera et, à sa faveur, une nouvelle opposition islamiste tentera de s’imposer à Alger la Blanche. Des côtes algériennes pourraient alors s’élancer des milliers d’embarcations de nouveaux migrants.

Comment le président pourrait-il s’opposer à leur arrivée ? L’occasion sera venue d’expier les fautes de la colonisation, en accueillant des populations dont on a opprimé les aïeux. Les médias y veilleront jour et nuit.

Quos vult perdere Jupiter dementat, « ceux que Jupiter veut perdre, il les aveugle« 

Le propos concerne au premier chef Marine Le Pen. Après un parcours sans faute qui avait conduit son parti, réorganisé sous sa direction, au rang de premier parti de France, elle a accumulé les fautes majeures durant sa campagne. D’abord en inventant une priorité à l’emploi des nationaux, inutile et incongrue, qui l’exposait un peu plus à l’incrimination de xénophobie. Ensuite en louvoyant sur la question de la monnaie unique, avec l’idée d’une monnaie commune surajoutée à la monnaie nationale restaurée, dans le but d’accueillir Nicolas Dupont-Aignan et d’adoucir les critiques de la presse bourgeoise de droite. Enfin, en affichant une violence verbale dont elle n’est pas coutumière, à l’occasion du débat du 3 mai, alors que Macron avait demandé le rejet de sa candidature au nom d’une violence présumée du FN qu’on n’a guère vue dans les communes administrées par lui. Trois fautes qu’il lui sera difficile de racheter.

Il concerne aussi son rival victorieux. L’individu ne doute de rien. Une chance insolente l’a accompagné, le portant en quelques années d’un statut de serviteur de la banque Rothschild à celui de chef d’un État vieux de huit siècles. Quand on est glorifié par neuf médias hexagonaux sur dix, par le New York Times, le Wall Street Journal, le Guardian et bien d’autres encore, quand on a été rallié par toute la nomenklatura politique et économique de ces quarante dernières années, d’Alain Madelin à Cohn-Bendit en passant par Pierre Gattaz, peut-on encore garder les pieds sur terre ?

Pour faire face au dérèglement de l’esprit qui le menace, il aurait besoin de s’appuyer sur une culture historique ou littéraire. Mais ses discours révèlent le creux abyssal du personnage là où les difficultés du temps voudraient qu’apparaisse un Bonaparte économique et politique. Où ira la France sous la férule d’Emmanuel Macron ? Les tenants du système nous ont mis en garde après le 23 avril : « Macron ou le chaos. » Et si c’était « Macron et le chaos » ?

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Mai 2017 - #46

Article extrait du Magazine Causeur




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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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