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Notre-Dame: Macron oublie les catholiques

Le président occulte la dimension spirituelle de la cathédrale


Notre-Dame: Macron oublie les catholiques
Allocution télévisée d'Emmanuel Macron, avril 2019, © Ludovic MARIN / AFP

Si Emmanuel Macron a réagi à l’incendie de Notre-Dame par une première adresse sobre et habitée, il a ensuite cédé aux mirages de la communication et du bougisme. En promettant de reconstruire la cathédrale en cinq ans, le président occulte la dimension spirituelle de l’édifice au profit de l’agenda olympique. Et replonge dans un prométhéisme fort malvenu.


« La reconstruire plus belle en cinq ans » : la formule du président de la République, dans son allocution officielle du mardi 16 avril 2019, avait sa part de dévoilement qui passait outre les bornes de la prudence, mais aussi du refoulement. La veille, en une nuit incendiaire qui avait vu la cathédrale de Paris se changer en Notre-Dame de France, d’Europe, de la Terre, il avait su reporter son discours de politique générale, se rendre sur les lieux, entrer dans la nef calcinée et en ressortir pour une première adresse dont le ton protecteur et l’accent prophétique quelque peu surjoués pouvaient cependant exciper de l’émotion nationale et internationale.

Mais tel Orphée revenant des enfers, le chef de l’État n’a pu s’empêcher de retourner sur ses pas et préférer le mirage de la communication au magistère du silence, lequel suffit pourtant, en temps d’« épreuve », au consentement tacite entre le prince et le peuple. Empressé de reparler, Emmanuel Macron n’a pas manqué de déparler, se livrant à un tour de passe-passe censé le délivrer du spectre de la désillusion qui lui colle aux basques. L’occasion était encore « plus belle » que la restauration promise de renvoyer les calamités de l’heure à la faute de personne, si ce n’est le mauvais sort des astres, quitte à confondre la circonstance impondérable avec la condition nécessaire pour qu’enfin les Français se prennent à l’écouter. Prétendant nous parler de nous, il nous a ainsi parlé de lui.

D’un discours à l’autre, un mot trois fois répété dans le commentaire immédiat a été effacé de l’exhortation officielle, celui spontané mais aux contours contrariés de « destin ». Une telle invocation du fatum antique devant un monument élevé à la gloire de la providence biblique résume à elle seule l’idée de la transcendance, dont le locataire de l’Élysée se targue qu’elle le hante, et dont l’on est en droit de soupçonner en conséquence qu’il pourrait bien juger judicieux qu’on la rapporte à sa personne. Ce qui invite, incidemment, à relire à une autre lumière, plutôt américaine et chargée de halos théodémocratiques, le goût qu’il manifeste à intervenir auprès des corps religieux et à s’en faire l’intercesseur.

Or, les catholiques, imprimant l’image le premier soir, car naturellement représentés à son côté par le clergé de la cathédrale, ont été gommés du texte le second soir. Une prise de hauteur laïque ? Non. Car l’on voit mal comment on peut en appeler à la « continuité de la nation française » et omettre qu’à défaut d’avoir été et d’être demeuré un lieu de culte, Notre-Dame n’aurait ni existé ni duré. Ce n’est pas là une affaire de plainte victimaire, mais de véracité historique. Toutefois, si les Français ont été invités à se redécouvrir « bâtisseurs », ce n’est pas afin de rééditer les patientes prouesses de piété qu’ils portent en héritage, quelles que soient leurs confessions ou convictions, mais pour ne pas tarder à ripoliner la vitrine de Paris en vue des prochains Jeux olympiques, soit « cinq ans » chrono en main, quinquennat second et dérivé qui sera voué, promis, juré, à la « reconstruction ». Mais de quoi, sinon du premier mandat, ressortant d’ores et déjà lui-même noirci et naufragé ?

Qu’inscrivaient les flammes dévorant Notre-Dame dans notre paysage physique et psychique ? Qu’à tout moment peut périr ce que nous croyons impérissable. Qu’à l’instar des catastrophes naturelles, il est des catastrophes culturelles. Que même l’apparente immutabilité des pierres n’emporte pas de sûre immortalité. Le feu et l’eau mêlés, montant et descendant dans l’éther pour le changer en brouillard assombrissant l’horizon, nous ont montré combien le monde peut finir, et nous avec. Touchés par cette possible amputation d’un passé vivant jusque dans notre chair présente, nous avons contemplé la vanité de nos rêves prométhéens à sillonner après-demain les galaxies. C’était notre extrême fragilité qui brûlait sur ce bûcher en furie. Il en allait comme d’une ordalie de notre vulnérabilité se consumant dans l’insignifiance absolue du néant et qu’il nous fallait contempler, impuissants.

Doué qu’il est dès qu’il s’agit d’user et d’abuser des symboles, le président a bien noté, mais en passant, la précarité à laquelle se risque précisément toute destinée, collective ou individuelle, avant d’en balayer l’augure au nom de la volonté. Ce qui équivalait à relever, en direct, le mythe du progrès de ses cendres, cette fois aussi « matérielles » que « spirituelles ». Agir, réagir, trouver, retrouver, nouer, renouer, devenir, le tout sur le mode accéléré comme l’on avance un film pour arriver sans attendre à l’ultime séquence : il ne s’agissait pas de célébrer le temps du deuil succédant au temps du drame, d’en méditer la prégnance, d’en tirer un enseignement, mais de décréter une vaste mobilisation des masses au profit du mobilisme mondialisé.

Dans la cité idéale qu’a dessinée Emmanuel Macron, il y avait « les pompiers, les policiers, les soignants, les photographes, les journalistes, les écrivains, les riches et les moins riches, parisiens, français, étrangers », affairés autour de la cathédrale qui était près de s’effondrer et, certes, ils étaient tous à saluer, les sapeurs de la capitale en premier. Mais il y manquait les anonymes, les fous de foi en l’espérance qui prend divers noms et que figurait la flèche de Notre-Dame tendue vers le ciel. À nouveau, ils sont restés innomés dans le discours présidentiel.

Même avec le concours de milliardaires rivalisant en dons munificents, on n’exorcise pas plus les sentiments d’apocalypse qu’on n’achète les cœurs des pauvres. Contre la philanthropie postmoderne, la leçon ancienne est que la charité ne consiste pas à dispenser des biens, mais à donner de soi. Non pas en accordant ce que l’on a de trop, mais en se privant de ce dont l’on manque. Et que l’on ne gagne en félicité qu’en se perdant dans la misère. Aussi, qui entend incarner « une histoire millénaire » doit commencer par la laisser vivre en lui, tel un feu sacré, forcément sacrificiel.

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Mai 2019 - Causeur #68

Article extrait du Magazine Causeur




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dirige les éditions du cerf. Il est notamment l’auteur de L’Apocalypse russe (Fayard).

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