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Ma France Culture à moi


Ma France Culture à moi

A France Culture, on aime le débat. Surtout avec les gens qui pensent comme soi. Enfin, soyons juste. Il n’est pas ici question de tout France Culture mais seulement de l’un de ses producteurs, Frédéric Martel. Frédéric Martel, donc, est un garçon cultivé et travailleur qui officie chaque samedi matin sur France Culture, juste avant Alain Finkielkraut, dans une émission appelée Masse Critique[1. Il ne m’échappe pas que cet aimable garçon m’a succédé à l’antenne de France Culture où l’a nommé David Kessler après m’avoir virée. A ceux qui diront que je livre là une basse vengeance, qu’il me soit permis de répondre par avance : primo, si j’avais voulu me venger, j’aurais trouvé depuis longtemps dans l’émission de Martel de quoi le faire ; deuxio, la logique de cet argument est que je ne saurais critiquer Frédéric Martel puisqu’il occupe la place dont j’ai été chassée : et puis quoi encore ? Tertio, je n’en ai jamais voulu à Martel mais à la direction de France Culture. J’ai même accepté de sa part une aimable invitation à un déjeuner au cours duquel j’ai été fort amusée de l’entendre m’expliquer que, si David Kessler l’avait choisi, lui, pour occuper la case qui avait été la mienne deux ans durant, c’était pour ne pas me peiner.]. Il y a quelques années, il avait montré un certain courage en publiant un ouvrage intitulé Le Rose et le Noir dans lequel il revenait sur la longue marche des homosexuels, tout en rentrant dans le cadre du communautarisme gay. Cela lui avait valu de prendre pas mal de coups – et il faut rappeler qu’à l’époque, et Alain Finkielkraut et votre servante avaient pris sa défense.

Martel a retenu la leçon. Il préfère maintenant être du côté du manche. Samedi dernier, pour annoncer « Répliques », l’émission d’Alain Finkielkraut qui est le fleuron de la chaîne, voilà en effet la petite déclaration dont il s’est fendu, déclaration que chacun peut écouter sur le site : « Aujourd’hui, Alain Finkielkraut débat avec Renaud Camus. Personnellement, je ne trouve pas d’ailleurs qu’il y ait matière à débat avec Renaud Camus, surtout après le livre qu’il vient de publier. Mais c’est un avis très personnel. Allez passons, oublions. Finie l’amertume de la pseudo-déculturation. Et tiens, je vous propose de se quitter avec un bon antidote, généreux, un hymne à la diversité. Et je vous le dis comme je le pense : c’est plutôt ça, ma France à moi, celle que j’aime, et pas celle de Renaud Camus. » On ne s’en étonnera pas : producteur dans une chaîne qui s’appelle France Culture, Frédéric Martel n’a rien trouvé de mieux à opposer à la passionnante réflexion de Camus sur La grande déculturation (Fayard) que la chanson de la grande artiste Diam’s Ma France à moi.

Passons sur cette mauvaise manière faite par un producteur à un autre – encore que c’est sans doute une première. Ce n’est pas à moi qu’il revient de veiller à la confraternité sur l’antenne de France Culture. Oublions même la mauvaise foi caractérisée qui a fait oublier à Martel que, comme c’est le cas dans 90 % de ses émissions, Alain Finkielkraut n’avait pas un invité mais deux, puisque Renaud Camus avait comme contradicteur Stéphane Martin, président du Musée du quai Branly.

Pas de quoi se mettre Martel en tête, dira-t-on. Sans doute. Sauf que son propos ne laisse pas d’être significatif. Monsieur Martel ne trouve pas qu’il y ait matière à débat avec Renaud Camus. Peut-être faut-il en conclure que tous les gens qui ne pensent pas comme Frédéric Martel doivent être réduits au silence. Sans doute Frédéric Martel n’a-t-il pas la chance de connaître le bonheur du désaccord intelligent. Dans le monde de Martel, la tolérance (vertu qu’il croit certainement posséder au plus haut point) a des limites : on ne saurait tolérer que ce que la doxa a défini comme tolérable. A moins qu’il ne s’agisse de basse politique : ayant été lui-même la cible des vigilants, Frédéric Martel a dû en tirer la conclusion qu’il était préférable d’être du côté de la meute que de celui du gibier. Il ira loin, Martel.

Il n’est pas inutile de revenir sur les deux termes dont se prévaut Frédéric Martel – générosité et diversité.

Commençons par la générosité. Entre Frédéric Martel et Renaud Camus, le rapport des forces est on ne peut plus équilibré : d’un côté, le producteur d’une émission hebdomadaire sur France Culture et directeur d’un site d’information (qui, comme gage de son indépendance, bénéficie d’une subvention du secrétariat aux Affaires européennes, sans doute pour son bon esprit) ; de l’autre, un écrivain talentueux mais isolé contre lequel le Tout-Paris s’est déchaîné il y a quelques années, mais qui a le cran de défendre des idées qui ne sont point dans l’air du temps. Quelle générosité, en effet, que celle qui consiste à s’indigner de ce que cet amoureux de la langue soit, pour une fois, invité dans une grande émission sans avoir à craindre un guet-apens ! Et ne parlons pas du courage consistant à livrer un combat gagné d’avance, le tout, bien sûr, en « se la jouant » grand résistant. Comme mutin de Panurge, il est très bien, Frédéric Martel.

Quant à la diversité, on saura désormais qu’elle doit concerner toutes les composantes de la vie à la seule exception des idées. Vive la diversité, à condition que tout le monde pense pareil ! Le pluralisme, ce n’est pas très tendance.

Il fut un temps où France Culture pouvait s’enorgueillir de donner la parole à des individus singuliers capables de penser par eux-mêmes plutôt que d’ânonner les poncifs érigés en vérités. Certes, tous n’ont pas disparu de l’antenne. Je le dis comme je le pense : ma France Culture à moi, c’était celle-là, pas celle de Frédéric Martel.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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